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941. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXIII » pp. 378-393

Qu’on se figure, dans la position de madame de Maintenon, une femme d’un autre caractère : elle mettra en jeu tout ce que l’art de la galanterie aura de plus raffiné, d’abord pour nuire à sa rivale, ensuite pour plaire toujours plus qu’elle-même : elle disputera sa possession autant qu’il faudra pour en exalter le désir jusqu’à la passion. […] La fermeté tranchante du duc de Montausier pouvait n’être pas déplacée dans un homme de sa profession et surtout de son caractère ; mais la longue expérience de Bossuet et sa profonde connaissance du cœur humain lui avaient appris que la douceur, la patience et les exhortations évangéliques sont les véritables armes a un évêque pour combattre les passions et qu’elles servent plus souvent à en triompher que ces décisions brusques et absolues qui obtiennent rarement un si heureux succès. […] Bossuet, au contraire, par la rectitude de sa conduite, par ses utiles instructions, et surtout par ce caractère de vertu et de sagesse qui ne l’abandonnait jamais dans les circonstances les plus difficiles et les plus délicates, vit enfin ses vœux couronnés.

942. (1811) Discours de réception à l’Académie française (7 novembre 1811)

Son talent flexible et varié en saisit tous les caractères, en fait ressortir toutes les nuances. […] C’est ainsi que Marivaux écrivant des comédies, faisait encore des romans, et que Lesage écrivant des romans, faisait encore des comédies ; car, ce n’est pas seulement la facilité de combiner des scènes et de développer une intrigue qui constitue l’auteur comique, c’est l’art de saisir les caractères, d’observer les mœurs, et d’en présenter un tableau dramatique et fidèle. […] Les abus, les préjugés, les caractères même changent de formes avec des institutions nouvelles.

943. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Ernest Hello » pp. 389-403

Aujourd’hui, je vais parler du moraliste et du critique, mais d’un moraliste et d’un critique dont on n’a plus actuellement la moindre idée, — car voilà le caractère du talent de M.  […] Il est plus métaphysicien, plus théologien, plus creusé, plus à fond, d’idées générales plus hautes, plus arrêtées et plus fermes que le brillant auteur des Caractères. Dans les chapitres de son livre, qui n’a que des chapitres et dont l’unité n’existe que dans la personnalité très particulière de l’auteur, ceux-là qui sont intitulés : La Lumière et la Foule, Les Ténèbres et la Foule, Les Sables mouvants, Les Préjugés, Les Caractères, Les Passions et les Âmes, La Charité intellectuelle, sont de ces choses qu’il est difficile dénommer, parce qu’elles n’ont pas d’analogue en littérature… Le côté que j’oserai appeler le côté divin de cette critique, échappera sans nul doute à ceux qui ont le mépris insolent et bestial du mysticisme de l’auteur.

944. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XI. MM. Mignet et Pichot. Charles Quint, son abdication, son séjour et sa mort au monastère de Yuste. — Charles V, chronique de sa vie intérieure dans le cloître de Yuste » pp. 267-281

La Curiosité, éveillée par les détails nouveaux qu’on apporte, se trouble, s’inquiète et recommence de poser son éternel problème : quelle cause détermina l’abdication de Charles-Quint et sa retraite à Yuste, et donne à ces faits, grandioses ou petits, leur véritable caractère ? […] quand on l’a évoquée et quand on l’a regardée à son tour, après avoir interrogé la physionomie ambiguë de son César anachorète, ne semble-t-il pas, à l’instant, que cette indication, qui n’en fut pas une, et que ce séjour à Yuste, qui fut moins une retraite qu’une résidence, prennent leur véritable caractère ? […] Sans doute, la chronique est encore une forme intéressante de l’histoire, mais Charles-Quint, comme tous les personnages qui font question dans les Annales du monde, échappe à la chronique par la profondeur de son caractère ; et quelque dévoué que l’on soit à ramasser les épingles que l’histoire laisse parfois tomber, il y a mieux pourtant que ce travail de bésicles et de flambeau par terre, quand il s’agit d’un homme qu’il faut regarder en plein visage pour le pénétrer.

945. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Lacordaire. Conférences de Notre-Dame de Paris » pp. 313-328

… Toute prédication catholique — à quelque âge du monde qu’elle ait eu ou doive avoir lieu — a donc été ou sera marquée de ces deux imposants caractères : une connaissance plus intime de Dieu ; une connaissance plus intime de l’homme. […] Or, ces deux caractères universels à la prédication catholique, le père Lacordaire les posséda, pour son compte, au plus haut degré. […] Lacordaire un caractère irrésistible et tout-puissant.

946. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Christophe »

Dans l’introduction qui précède son ouvrage, par exemple, et dans laquelle il trace rapidement le chemin qu’a déjà parcouru la papauté, il glorifie Grégoire VII d’avoir posé avec un si grand caractère et une si longue prévoyance la question des investitures, qui n’était, en définitive, que la question pour laquelle on combattait hier encore, la question, sous une autre forme, de la séparation du spirituel et du temporel, de l’Église et de l’État. […] l’histoire d’un seul Pape, dans l’histoire de l’Église, a de tels rayonnements en avant et en arrière que ce n’est plus l’histoire d’un siècle ni d’un Pape, mais l’histoire de l’Église universelle et éternelle, concentrée dans la minute d’un siècle ou d’une vie d’homme, comme tout un horizon répercuté et concentré dans une facette de diamant… En intérêt, l’Histoire de la Papauté pendant le xve  siècle, par l’abbé Christophe, vaut, avec d’autres événements et des personnalités différentes, son Histoire de la Papauté pendant le xive  siècle, et elle a le même mérite d’unité dans la variété qui est le caractère particulier de toutes les histoires détachées de l’histoire générale de l’Église, qui a bien raison de s’appeler catholique, c’est-à-dire universelle ; car si Dieu l’ôtait de ce monde, il s’y ferait un de ces trous, comme dit Shakespeare en parlant des monarchies qui croulent, que rien — quoi qu’on y jette — ne peut plus combler ! III Cette histoire de cent années racontée par l’abbé Christophe, qui se pique beaucoup d’être surtout un narrateur, va du trop ignoré Martin V jusqu’au trop célèbre Alexandre VI, et elle a, au plus haut degré, le caractère que je viens de signaler, — cette portée en avant et en arrière, dans le passé et dans l’avenir, qui fait un cadre si vivant et si dramatique à toute histoire isolée de l’Église ou de la papauté.

947. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXI. De Mascaron et de Bossuet. »

Ce jugement paraîtra sans doute extraordinaire ; mais si l’éloquence consiste à s’emparer fortement d’un sujet, à en connaître les ressources, à en mesurer l’étendue, à enchaîner toutes les parties, à faire succéder avec impétuosité les idées aux idées, et les sentiments aux sentiments, à être poussé par une force irrésistible qui vous entraîne, et à communiquer ce mouvement rapide et involontaire aux autres ; si elle consiste à peindre avec des images vives, à agrandir l’âme, à l’étonner, à répandre dans le discours un sentiment qui se mêle à chaque idée, et lui donne la vie ; si elle consiste à créer des expressions profondes et vastes qui enrichissent les langues, à enchanter l’oreille par une harmonie majestueuse, à n’avoir ni un ton, ni une manière fixe, mais à prendre toujours et le ton et la loi du moment, à marcher quelquefois avec une grandeur imposante et calme, puis tout à coup à s’élancer, à s’élever, à descendre, s’élever encore, imitant la nature, qui est irrégulière et grande, et qui embellit quelquefois l’ordre de l’univers par le désordre même ; si tel est le caractère de la sublime éloquence, qui parmi nous a jamais été aussi éloquent que Bossuet ? […] Après avoir admiré les beautés générales, et surtout le grand caractère qui se trouve dans ces éloges funèbres, on est fâché d’avoir des défauts à y relever. […] Tel est cet orateur célèbre, qui par ses beautés et ses défauts, a le plus grand caractère du génie, et avec lequel tous les orateurs anciens et modernes n’ont rien de commun.

948. (1890) Les princes de la jeune critique pp. -299

La peinture des caractères est humaine : celle des conditions l’est fort peu. […] Ganderax excelle aussi à en maintenir le vrai caractère. […] Seulement l’art, pratiqué par eux, doit prendre un caractère particulier. […] Après cela seulement, l’on peut tenter de définir la constitution de son esprit et les caractères de son style. […] Qui mesurera la déviation que cette crise sanglante a fait subir à leur caractère ou à leurs opinions ?

949. (1880) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Première série pp. 1-336

Comprendrait-on que le caractère lui-même de l’œuvre fût encore un objet de dispute et de controverse entre philosophes et chrétiens ? […] et si, plus heureux, dans un ménage plus calme, il eût enfoncé dans certains caractères aussi avant qu’il l’a fait ? […] La subordination des caractères aux sujets, voilà ce qu’on appellerait justement la formule maîtresse du théâtre de Corneille ; la subordination des sujets aux caractères, voilà l’originalité du théâtre de Molière et de Racine. […] Les situations ou conditions d’abord, les caractères ensuite, et les caractères décidés par les situations. […] et le Voltaire de jadis, cette âme fière, « qui n’avait pu plier son caractère à faire la cour au cardinal Fleury » ?

950. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Delille »

Tout en nous dépend du tour des caractères, quand ils sont donnés par la nature un peu décidément. […] Ses ouvrages même n’ont ni le caractère ni la physionomie de sa conversation. […] » Ce caractère inoffensif et bienveillant de l’abbé Delille le rendit, jusque bien avant dans la Révolution, étranger à toutes les querelles. […] La grâce paraît être son caractère distinctif, mais c’est la grâce plus ingénieuse que naturelle de Boucher. […] Le caractère gentil et peureux de l’abbé, et sa facilité d’oubli, s’y retrouvent assez au naturel.

951. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre » pp. 393-472

Le dialogue n’allait pas à son caractère ; sa conversation était un inépuisable monologue. […] Les petites circonstances sont quelquefois les meilleures révélations du caractère. […] C’était là une de ces manœuvres équivoques qui perdent plus que la fortune d’une cour, qui perdent son caractère. […] Le comte de Maistre les faussait en prétendant agir comme homme et rester revêtu de son caractère d’envoyé de son roi. […] C’est un inconvénient de caractère auquel je ne vois pas trop de remède.

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