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524. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Gustave Flaubert »

Il n’est pas besoin d’âme pour ces métiers et ces industries ; il n’en est pas besoin davantage pour les ouvrages que fait Flaubert. […] A-t-on vraiment besoin d’écrire des livres à prétention sur ces gens-là ? […] Quand il veut faire autre chose que pincer des objets physiques dans sa langue matérielle, il n’y est plus, et il écrit alors des phrases dans le genre de celle-ci, lui, l’ami de Théophile Gautier l’Impeccable, comme disait Baudelaire : « Un besoin le poussait (un besoin qui pousse !) […] Il avait la fortune qui le dispensa de la terrible lutte pour la vie, et qu’il remplaça noblement par la lutte pour l’esprit, qui n’est pas toujours plus heureuse… Il travailla, en effet, comme s’il eût eu besoin de travailler.

525. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette (suite et fin.) »

Il est besoin pourtant de quelque explication. […] On aura beau dire, rien ne sera exagéré, et au contraire tout sera au-dessous de ce que nous avons vu et éprouvé. » Elle écrivait encore au comte de Mercy dans le même temps : « Vous n’avez pas besoin de me dire votre douleur, et je n’exprimerai pas ce que je sens ; il me suffit d’être sûre que vous avez apprécié tout ce que j’éprouve. […] J’avais besoin de cette assurance pour me décider ; le frisson me restait encore malgré cette affirmation, qui cependant devait être une certitude, vu le caractère de celui qui parlait. […] Il y avait des jours où, sentant le besoin de maintenir, de raviver sa popularité en souffrance, et cédant sans doute aussi à son tempérament d’orateur révolutionnaire, il reprenait sa voix tonnante dans l’Assemblée, et alors on se croyait trahi comme par un transfuge, on était furieux contre lui aux Tuileries.

526. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DISCOURS DE RÉCEPTION A L’ACADÉMIE FRANÇAISE, Prononcé le 27 février 1845, en venant prendre séance à la place de M. Casimir Delavigne. » pp. 169-192

Messieurs, C’est un grand moment dans la vie de tout homme de lettres que celui où il entre à l’Académie : c’en est un surtout bien imposant et tout à fait décisif pour l’écrivain dont les débuts étaient loin de se diriger vers un prix si glorieux et pouvaient même sembler s’en détourner quelquefois ; qui eût considéré, il y a peu de temps encore, ce but solennel comme peu accessible, et qui a eu besoin, pour y aspirer sérieusement, de l’indulgence de tous et de l’encourageante bienveillance de quelques-uns. […] presque tout entiers de mémoire avant de les écrire, il avait besoin de temps, de recueillement. […] Même en ses moindres cadres, il a besoin d’espace et il s’en procure. […] Sa persévérance si remarquable et cette force réelle dont j’ai parlé consistaient plutôt à suivre sa ligne en tenant compte habilement des obstacles, et même à s’en faire au besoin des points d’appui, des occasions de diversité.

527. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « CHRISTEL » pp. 515-533

A la question de l’adresse, elle répondit oui vivement, sans avoir besoin de regarder au bureau, et avant d’y songer ; puis, s’apercevant peut-être de sa promptitude, elle remit les trois lettres en rougissant. […] Elle l’admire par ce besoin d’admirer qui est dans l’amour. […] Comme si, pour être aimé, il était besoin de mériter ! […] Hervé et Christel n’avaient pas besoin de confronter longuement leurs âmes, de s’en expliquer la source et le cours : On s’est toujours connu, du moment que l’on aime, a dit un poëte ; mais il est doux de se reconnaître, de faire pas à pas des découvertes dans une vie amie comme dans un pays sûr, de jouir jour par jour de ce nouveau, à peine imprévu, qui ressemble à des réminiscences légères d’une ancienne patrie et à ces songes d’or retrouvés du berceau.

528. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le Livre des rois, par le poète persan Firdousi, publié et traduit par M. Jules Mohl. (3 vol. in-folio.) » pp. 332-350

Ferdousi n’a pas besoin d’avoir lu Horace ni Ovide pour dire les mêmes choses qu’eux, avec la haute conscience de sa force, et dans un sentiment plus poignant. […] … Mais le fils d’un esclave ne peut valoir grand-chose, quand même son père serait devenu roi… Quand tu planterais dans le jardin du paradis un arbre dont l’espèce est amère, quand tu en arroserais les racines, au temps où elles ont besoin d’eau, avec du miel pur puisé dans le ruisseau du paradis, à la fin il montrera sa nature et portera un fruit amer. […] On porta les présents du sultan chez la fille de Ferdousi, qui, d’un cœur digne de son père, les refusa en disant : « J’ai ce qui suffit à mes besoins, et ne désire point ces richesses. » Mais le poète avait une sœur qui se rappela le désir que celui-ci avait nourri dès l’enfance de bâtir un jour, en pierre, la digue de la rivière de Thous, pour laisser dans un bienfait public le souvenir de sa vie. […] La véritable poésie épique, pour être vivante, a besoin de reposer sur des racines populaires et d’y puiser sa sève, sans quoi elle ne produit que des œuvres de cabinet, belles peut-être, mais toujours un peu froides.

529. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « M. de Féletz, et de la critique littéraire sous l’Empire. » pp. 371-391

Le critique peut être un brave, mais en général ce n’est pas un héros, et, comme bien des braves, pour avoir toute sa bravoure, il a besoin de se sentir appuyé. En 1800, il y avait encore assez de lutte pour qu’il fallut du courage au critique qui voulait combattre les doctrines et les déclamations en vogue ou détrônées à peine ; il y avait déjà assez d’appui pour que le critique n’eut pas besoin d’héroïsme. Il aurait eu besoin plutôt de se modérer parfois et de se contenir ; car, au milieu d’un retour général louable et d’un désabusement salutaire, le vent poussait à la réaction, et le danger était, comme toujours, qu’on ne sortît d’un faux courant que pour se jeter aussitôt dans un autre. […] À mesure qu’ils s’éloignèrent de leur point de départ de 1800, ils perdirent de leur utilité d’action et de leur netteté de vue ; ils avaient eu besoin d’une crise décisive qui les éclairât, et ils tâtonnèrent un peu quand survinrent des complications nouvelles.

530. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Nouveaux documents sur Montaigne, recueillis et publiés par M. le docteur Payen. (1850.) » pp. 76-96

Ce soi-disant paresseux avait, au besoin, beaucoup plus de ces qualités actives qu’il n’en promettait. […] Je ne prétends point atténuer la gravité des circonstances où se trouve engagé notre pays, et je crois qu’on a besoin en effet de mettre en commun toute son énergie, toute sa prudence et tout son courage pour s’aider et pour l’aider lui-même à en sortir avec honneur. […] Au reste, il fera tout pour pressentir à l’avance les événements : « Je ferai ce que je pourrai pour sentir nouvelles de toutes parts, et, pour cet effet, visiterai et verrai le goût de toute sorte d’hommes. » Enfin, après avoir tenu le maréchal au courant de tout et des moindres bruits de ville, il le presse de revenir, l’assurant « que nous n’épargnerons cependant ni notre soin ni, s’il est besoin, notre vie pour conserver toutes choses en l’obéissance du roi ». […] Montaigne, ainsi que ferait Horace, leur conseille, tout en s’attendant de longue main à tout, de ne pas tant se préoccuper à l’avance, de profiter jusqu’au bout, dans un esprit libre et sain, des bons moments et des intervalles lucides ; il fait là-dessus de piquantes et justes comparaisons coup sur coup, et termine par celle-ci, qui me paraît la plus jolie, et qui d’ailleurs est tout à fait de circonstance et de saison : c’est folie et fièvre, dit-il, de « prendre votre robe fourrée dès la Saint-Jean, parce que vous en aurez besoin à Noël ».

531. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — I. » pp. 322-340

Mais je vous trouve trop circonspect ; fiez-vous à votre propre sens ; ne feignez point de dire en un besoin que tel bon écrivain a dit une sottise : surtout gardez-vous bien de croire que quelqu’un ait écrit en français depuis le règne de Louis XIV : la moindre femmelette de ce temps-là vaut mieux pour le langage que les Jean-Jacques, Diderot, d’Alembert, contemporains et postérieurs ; ceux-ci sont tous ânes bâtés sous le rapport de la langue, pour user d’une de leurs phrases ; vous ne devez pas seulement savoir qu’ils aient existé. […] Est-il besoin de dire qu’il ne faisait aucun cas de la littérature de son temps, ni de celle de l’Empire, ni, je le crains bien, de celle qui vint depuis ? […] Dans la Conversation chez la comtesse d’Albany, à Naples (2 mars 1812), il agite cette question de savoir s’il y a un art de la guerre, s’il y a besoin de l’apprendre pour y réussir, s’il ne suffit pas qu’il y ait une bataille pour qu’il y ait toujours un grand général, puisqu’il faut bien qu’il y ait un vainqueur ; et il met dans la bouche du peintre Fabre sa propre opinion toute défavorable aux guerriers, tout à l’avantage des artistes, gens de lettres et poètes. […] Ma philosophie là-dessus est toute d’expérience, il y a peu de gens, mais bien peu, dont je recherche le suffrage : encore m’en passerais-je au besoin. — Je passe ici mon temps assez bien, écrivait-il encore de Rome à Clavier (octobre 1810), avec quelques amis et quelques livres.

532. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — II. (Suite et fin.) » pp. 436-455

À propos d’un changement de lune et d’un redoublement de pluie au mois de mai, il lui écrit : « Cette abondance d’eau accélère la pousse des végétaux ; elle est nécessaire à leurs progrès et à leurs besoins : le mois de mai est un enfant qui veut toujours téter. — Je t’embrasse, mes amours, mes délices, mon mois de mai. » Ce mois de mai, qui est un enfant qui veut toujours téter, n’est-il pas la plus gracieuse et la plus parlante image, surtout adressée à une jeune femme, à une jeune mère ? […] Villemain avait besoin, dans son rapport, d’un morceau à applaudissement, d’un air de bravoure qui fît épigramme contre l’état de choses présent, et il crut l’avoir trouvé dans cette ancienne séance où Bernardin célébrait l’aigle impériale, alors au plus haut de son vol et au zénith de sa gloire. […] Bernardin de Saint-Pierre, à cette époque, avait soixante-dix ans ; il n’avait jamais été orateur, et, quand il fut nommé directeur de l’Académie, on lui avait fait l’objection sur la faiblesse de sa voix, qui l’empêcherait au besoin, lui disait-on, de féliciter l’Empereur. […] Villemain, de notre éloquent secrétaire perpétuel, si j’avais besoin de m’excuser, je dirais hautement : Membre de l’Académie française, j’ai le droit de relever, de la seule manière qui puisse le toucher, l’organe de la compagnie là où il abuse publiquement de son rôle de rapporteur pour y glisser contrairement aux convenances, contrairement aux intentions de beaucoup de membres, ses passions personnelles : biographe littéraire, je souffre toutes les fois que je vois des critiques éminents à tant d’égards et en possession d’un art merveilleux, mais des esprits plus nés évidemment pour la louange ou la fine satire que pour l’histoire, ne songer à tirer parti des faits que pour les fausser dans le sens de l’effet passager et de l’applaudissement.

533. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le président de Brosses. Sa vie, par M. Th. Foisset, 1842 ; ses Lettres sur l’Italie, publiées par M. Colomb, 1836. » pp. 85-104

De Brosses le sentait bien, et, dans son voyage d’Italie, voyant à quels détails sa recherche le conduisait, il se disait qu’il tournait le dos au goût du siècle, et peut-être à celui de l’avenir : Tout ce qui est du ressort de la littérature, disait-il (prenant ici la littérature comme on l’entendait du temps de Casaubon), n’est plus guère du goût de notre siècle, où l’on semble vouloir mettre à la mode les seules sciences philosophiques, de sorte que l’on a quasi besoin d’excuses quand on s’avise de faire quelque chose dans un genre qui était si fort en vogue il y a deux cents ans. À la vérité, nous n’en avons plus aujourd’hui le même besoin ; mais, en négligeant autant qu’on le fait les connaissances littéraires, n’est-il pas à craindre que nous ne retournions peu à peu vers la barbarie, dont elles seules nous ont retirés ? […] L’intérêt qui se porte à tel ou tel ordre de la connaissance humaine, voyage et se déplace, en quelque sorte, avec la société même et avec les besoins nouveaux ; mais on n’est point, pour cela, barbare. […] Consolez-moi dans mon affliction, j’en ai grand besoin ; mon pauvre favori vient de mourir de la poitrine, à l’âge de trente-trois ans.

534. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre deuxième. Rapports du plaisir et de la douleur à la représentation et à l’appétition »

Je n’ai pas besoin de rien me rappeler ni retenir pour sentir immédiatement une brûlure ou un coup. […] Un être entièrement automatique, dont toute l’existence consisterait, par exemple, en contractions et expansions rythmiques, régulières, n’aurait besoin que des sentiments généraux d’aise ou de malaise ; le reste se ferait par les simples lois de la propagation du choc. […] Tant qu’il bat, il fait bien son œuvre ; mais, quand il commence à être malade ou désintégré, l’animal ne peut, par aucun mouvement volontaire, rien faire pour le réparer. » Le cœur et les portions automatiques du corps, considérées en général, requièrent donc un système presque exclusivement moteur ; les muscles et les organes des sens, au contraire, ont encore besoin d’un système sensitif plus ou moins centralisé, de manière à produire le plaisir et la peine. […] Nous commençons par peiner, dans tous les sens du mot, avant de tendre vers un plaisir déterminé ; le besoin nous pousse par derrière, avant que le désir nous attire en avant.

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