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335. (1892) Boileau « Chapitre III. La critique de Boileau. La polémique des « Satires » » pp. 73-88

Et la marque infaillible de sa vocation, la voici : tandis que les poètes, qui sont essentiellement et éminemment poètes, ne font guère que la théorie de leur talent, érigeant en bornes de l’art leurs impuissances et leurs procédés en lois, celui-ci échappe à la tyrannie du tempérament : il explique ce qu’il ne sait faire ; il conçoit un art supérieur au sien ; sa théorie est infiniment plus vaste et plus haute que sa pratique. […] Il n’est point, lui fait-on dire, Il n’est point aujourd’hui de courtaud de boutique Qui n’ait lu mon Longin et mon Art poétique. […] La littérature était mûre pour l’art classique, quand Boileau parut ; mais ceux même qui retardaient le mouvement étaient ceux par qui ce mouvement s’était transmis jusqu’à lui. […] Quand Boileau débuta, celui qui couvrait de son autorité toute la méchante littérature, précieuse, romanesque, où la nature et l’art étaient offensés également, c’était Chapelain. […] Quoi qu’il eût de commun avec Boileau, et quoi qu’il eût au fond plus aidé que nui à l’éclosion de l’art classique, il était devenu en 1660 un obstacle à son progrès : son rôle était fini ; il fallait en débarrasser la littérature.

336. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Léon Gozlan » pp. 213-230

C’est un Benvenuto Cellini littéraire ; mais qui dit littéraire dit un Benvenuto bien autrement compliqué et profond qu’un simple Benvenuto plastique… Par la précision, la torsion, le mordant du mot, Léon Gozlan a des consanguinités avec Théophile Gautier, qui a cru faire une belle chose de dédoubler l’art intellectuel d’écrire et de le descendre presque au niveau d’un art plastique. […] Et c’est pourquoi, malgré l’art du détail qu’il avait autant que Balzac, et certainement bien plus que Stendhal, il est, dans l’opinion des hommes qui s’y connaissent, et il y doit rester, bien inférieur à tous les deux. […] V Car Gozlan, cet artiste raffiné, a plus d’esprit que d’art encore, et c’est par l’esprit qu’il vivra encore plus que par l’art du détail, dans lequel il est passé maître. L’art de la grande composition n’équivalut jamais chez lui, en effet, à l’art du détail. […] La durée ou l’immortalité, pour les œuvres, n’est pas une question de forme, mais d’essence, et c’est pour cela que tant d’œuvres meurent et disparaissent qui n’existaient que par un certain agencement de parties, un certain style, un certain art d’ensemble, mais qui, sans manquer de talent, manquaient de génie ou d’esprit.

337. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre X. Des Romains ; de leurs éloges, du temps de la république ; de Cicéron. »

Les Romains, pendant cinq cents ans, plus brigands disciplinés qu’hommes de génie, n’eurent pendant tout ce temps ni arts, ni goût, ni sensibilité, ni imagination, ni éloquence ; ils empruntèrent tout, et leurs erreurs même. […] À mesure qu’ils étendirent leurs conquêtes, ils ne surent que piller les monuments des arts, sans savoir jamais les imiter. Déjà ils avaient enlevé une foule de statues des villes d’Étrurie, de la grande Grèce et de la Macédoine ; ils avaient pillé Corinthe et Athènes ; ils avaient ravi et transporté à Rome tous les trésors des arts que la religion, le génie et l’avarice avaient entassés à Delphes pendant six cents ans, et cependant il n’était né aucun artiste romain. […] Les arts du génie, ils ne les durent qu’à ces mêmes Grecs dont ils furent en tout les disciples, les admirateurs et les tyrans. […] Il ne faut donc pas s’étonner si l’éloquence, qui tient tant à la perfection des langues, et qui chez les Grecs même est née après tous les autres arts, naquit si tard dans Rome.

338. (1905) Études et portraits. Portraits d’écrivains‌ et notes d’esthétique‌. Tome I.

Cela se comprend aisément : le fond de cette théorie de l’art pour l’art, c’est la crainte et le mépris de la vie. […] Sa théorie de l’art pour l’art l’y avait conduit par un jeu de logique dont lui-même s’étonna toute sa vie. […] Oui, un art de haschisch et d’opium et pourquoi pas ? […] Il n’y a pas d’art, il n’y a que de l’humanité. […] Taine s’est formée de l’art d’écrire l’histoire.

339. (1926) La poésie pure. Éclaircissements pp. 9-166

Impure, en un mot, l’éloquence, entendant par là non pas l’art de beaucoup parler pour ne rien dire, mais bien l’art de parler pour dire quelque chose. […] Des renforts nouveaux m’arrivent du côté des arts, et c’est un champ immense dont on n’aperçoit pas les bornes. […] Car les arts sont inséparables de la poésie comme la poésie des arts. […] Les arts et la poésie (suite) la mystique du chef-d’œuvre. — le sentiment des simples.  […] Ainsi, à mon avis, de tous les arts et de la musique même.

340. (1923) Paul Valéry

Ce grand art exige de nous un langage admirablement exact. […] Elles figurent, dans le grand arbre de l’art, plus près des racines. […] L’art absolument en repos, et l’art absolument en mouvement s’équilibrent comme les deux figures de l’art absolu : entre eux, du relatif et du mixte. […] Et en prenant contact avec son art, il rencontre ce métaphysicien, peut-être inattendu. […] Ainsi l’absence de l’art classique, l’échec et l’artificiel de tout art néo-classique, entretiennent, à la place même où l’art classique a disparu, une pensée lucide, agile, combinatoire, faite de nostalgie et d’ingéniosité, et qui, depuis Sainte-Beuve, a donné naissance à une bonne partie de la critique.

341. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre IV. Poésie lyrique »

À la fin du xie  siècle se forma l’art des troubadours70 : art subtil et savant, plus charmant que fort, plus personnel et plus passionné au début, plus large aussi et embrassant dans la variété de ses genres la diversité des objets de l’activité et des passions humaines, puis de plus en plus restreint au culte de la femme, à l’expression de l’amour, et dans l’amour de plus en plus affranchi des particularités du tempérament individuel, soustrait aux violences de la passion, aux inégalités du cœur, de plus en plus soumis à l’intelligence fine et raisonneuse, et encadrant dans des rythmes toujours divers des lieux communs toujours les mêmes. […] Avec Aliénor d’Aquitaine, qui fut mariée successivement aux rois de France et d’Angleterre, les troubadours et leur art envahirent les provinces de langue française : quand les deux filles d’Aliénor et de Louis VII eurent épousé les comtes de Champagne et de Blois, Reims et Blois, avec Paris, devinrent des centres de poésie courtoise. […] Ils ont beaucoup d’art, et n’ont même que de l’art : on n’oserait dire que ce sont vraiment, des artistes. Ils ont une notion insuffisante, erronée même, de l’art et de la beauté. Ils font consister l’art et la beauté dans la difficulté et dans la rareté : ils font de la poésie un exercice intellectuel.

342. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVIII et dernier. Du genre actuel des éloges parmi nous ; si l’éloquence leur convient, et quel genre d’éloquence. »

Enfin, en voulant faire un art de l’éloquence, on a nui à l’éloquence même. […] Faites agir ou penser les grands hommes ; vous verrez naître vos idées en foule ; vous les verrez s’arranger, se combiner, se réfléchir les unes sur les autres ; vous verrez les principes marcher devant les actions, les actions éclairer les principes, les idées se fondre avec les faits, les réflexions générales sortir ou des succès, ou des obstacles, ou des moyens ; vous verrez l’histoire, la politique, la morale, les arts et les sciences, tout ce système de connaissances liées dans votre tête, féconder à chaque pas votre imagination, et joindre partout, aux idées principales, une foule d’idées accessoires. Croit-on, en effet, que, dans toutes les beautés ou de la nature ou de l’art, ce soit l’idée d’un seul et même objet, ou une sensation simple qui nous attache ? […] Consultez les hommes de génie en tout genre, voyez les grandes compositions dans les arts. […] Les quatre siècles des arts, monuments de génie, sont aussi des monuments de bassesse.

343. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XVI. »

. — Son art imitateur et original. […] Jamais l’idolâtrie de l’art ne parut plus vive que dans cet hommage au poëte thébain. […] C’est assez d’avoir pu rallier à ce nom, par un art délicat et charmant, les images de la poésie grecque et jusqu’au souvenir de l’antique vertu romaine. […] « La vierge nubile apprend avec joie les danses a ioniennes ; elle assouplit son corps avec art ; déjà, dans un âge tendre, elle médite d’incestueuses amours. […] Cet art ingénieux est tout entier, ce semble, dans une ode à la plèbe de Rome, à cette multitude dont César était aimé et que nourrissaient ses successeurs.

344. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre II. Les génies »

La première s’appelle la Nature, la deuxième s’appelle l’Art. […] L’Art est la branche seconde de la Nature. L’Art est aussi naturel que la Nature. […] Dieu crée l’art par l’homme. […] Il est entendu que nous ne parlons ici qu’au point de vue de l’Art, et, dans l’Art, au point de vue littéraire.

345. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre I. Des poëtes anciens. » pp. 2-93

Son art, comme on le sent bien, étoit alors extrêmement grossier. […] Quoi qu’il en soit, ils porterent leur art à un si haut point de perfection, qu’il ne fit plus que décliner depuis. […] L’Art de la Peinture, Poëme latin par Charles du Fresnoy, parisien, peut entrer en comparaison avec celui d’Horace sur l’Art poétique. […] Il n’y a ni moins d’art dans l’invention, ni moins d’agrémens dans la conduite. […] Des vérités sublimes y sont développées avec art, avec méthode, avec élégance.

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