Tarde20 une généralisation plus haute encore ; on pourra remarquer que tous ces principes de ressemblance, de l’hérédité à l’adhésion, sont des ressemblances actives, des ressemblances de force, des ressemblances de vibration ; le type de tout le développement animal, humain et social, sera donc la vibration et la consonance qui, l’une, naît, l’autre, répète et perpétue. C’est, en dernière analyse, séparer une force de sa direction, une volonté de son image-but, une variété animale de son premier type, que de distinguer une armée de son général, une masse d’adhérents h une entreprise de celui qui la conçut, un peuple de ses chefs, une classe de ses membres énergiques. […] Une direction, un type, un entreprenant, un but, peuvent apparaître seuls et sans suite : une force, une variété animale, une masse d’hommes actifs, une volonté ne peuvent être conçus indéterminés ; le rapport qui unit ces deux facteurs est le même que celui qui relie la forme et la substance d’Aristote ; c’est un rapport de plasticité, de formation, d’assimilation, d’imitation enfin ; des facteurs que cette relation unit en un ensemble, c’est le premier en fonction de temps qui est le générateur et qui participe le plus largement à l’existence ; comme un nombre produit ceux qui le suivent et se multiplie en eux, un grand homme s’agrège la foule et grandit par sa masse. […] Si l’on conçoit la suite des sciences qui, prenant la matière organique à ses débuts, dans les cornues des chimistes ou l’abîme des mers, en conduisent l’étude à travers la série ascendante des plantes et des animaux, jusqu’à l’homme, le décrivent et l’analysent dans son corps, ses os, ses muscles, ses humeurs, le dissèquent dans ses nerfs, sa moelle, son cerveau, son âme enfin et son esprit ; si, abandonnant ici l’homme individu, on passe à la série des sciences qui étudient l’être social, de l’ethnographie à l’histoire, on verra que ces deux ordres de connaissances, les plus importantes sans aucun doute, et celles auxquelles s’attache l’intérêt le plus prochain, se terminent en un point où ils se joignent : dans la notion de l’homme individu social, dans la connaissance intégrale, biologique, physiologique, psychologique de l’individu digne de marquer dans la société, constituant lui-même par ses adhérents et ses similaires un groupe notable, propageant dans son ensemble particulier ou dans l’ensemble total, ces grandes ondes d’admirations, d’entreprises, d’institutions communes qui forment les États et agrègent l’humanité.
L’usage des plus simples actions lui cause une perpétuelle horreur, qui se manifeste tantôt par un trouble éperdu et sans cesse croissant, tantôt par de stupéfiantes maladresses, qui provoqueraient l’hilarité du plus petit portefaix dans la rue ; soit par des accidents bizarres que le manque d’audace de la victime empêche seul d’être funestes ; soit encore par un balbutiement qui appelle à son secours les plus précieuses et les plus subtiles finesses du dialogue esthétique, mais qui ne parvient pas à trouver les plus simples mots du langage de tous ; soit enfin par une ignorance, aristocratique mais absolue, des diverses et primaires méthodes par lesquelles un animal des premiers degrés de la création ose instinctivement jouir de la vie. […] 22 Pour nous, les facultés intellectuelles plongent leurs racines profondes dans la vie sexuelle, dans la vie végétative et animale ; et dès lors, les actes de la vie naturelle, loin d’affaiblir ou de ruiner celles-ci, contribuent sans cesse à les enrichir et à les féconder. […] Malgré la distance considérable qui sépare la nutrition de la copulation, il n’est pas impossible de comparer un instant ces deux fonctions de l’animal humain dans leur rapport avec la pensée. […] L’histoire nous présente, et nous distinguons même dans notre entourage, de ces grands spéculatifs, dont l’étonnante vigueur mentale semble impunément braver les plus fondamentales nécessités de l’animal humain.
Enlevez à un animal ses hémisphères cérébraux, l’excitabilité réflexe de la moelle épinière sera augmentée ; la moindre excitation produira des convulsions énergiques. […] Le sommeil hypnotique peut être produit par des causes physiques, telles que la fixation d’un objet ou une stimulation monotone : on peut ainsi endormir un enfant ou un animal, qui n’a point d’avarice l’« idée » de ce qui va se passer. […] Lehmann lui-même raconte que, venant de voir un chien qui jouait, il essaya vainement d’en reproduire la forme sur le papier, bien qu’il eût fait grande attention à l’animal. […] Jusque dans le plus rudimentaire des réflexes ou des mouvements instinctifs, les deux directions différentes du mouvement reçu et du mouvement restitué sont discernées par l’animal, d’un discernement sensitif et non intellectuel. […] Ces animaux sentent donc déjà un monde intérieur et un monde extérieur, même en l’absence d’idées innées de causalité et probablement sans aucune conscience claire de l’espace.
Les livres d’Aristote sur les animaux sont contemporains de l’expédition d’Alexandre, son élève. […] Les crocodiles et les boas sont maîtres du fleuve ; le jaguar, le pécari, l’anta et les singes à queue prenante parcourent la forêt sans crainte et sans danger : c’est leur domaine, leur patrimoine. » En un mot, ce que la géologie nous enseigne, que la terre, à l’époque où les fougères arborescentes croissaient dans nos climats tempérés, où le règne animal se réduisait à une classe d’amphibies monstrueux, où prédominait sans doute une atmosphère chaude et humide, saturée d’acide carbonique, n’était point encore prête à recevoir l’homme, cela est vrai aujourd’hui, dans une certaine mesure, des vastes forêts primitives de l’Amérique tropicale. […] Ce qui n’est pas moins remarquable, c’est la docilité des plantes à devenir grimpantes, des animaux à devenir grimpeurs. […] Dans cette vaste région uniformément couverte de bois, les animaux n’abondent que dans certaines localités propices qui les attirent. […] On ne connaît point d’animaux mieux organisés pour vivre sur les arbres que les singes de l’Amérique méridionale des genres alouate, atèle, lagotriche, sapajou, saki, sagoin et nocthore, dont la plupart ont, comme en guise de cinquième main, une queue musculeuse, nue en dessous et prenante.
Jeudi 31 mai Chez les Sichel, quelqu’un ayant habité longtemps le Japon, disait que le baiser n’existait pas, pour ainsi dire, dans l’amour japonais, et que l’amour était tout animal, sans la tendresse de la caresse humaine. […] Puis l’on se demande, dans mon coin de table : Est-ce qu’il y aurait des animaux, créés pour toujours vivre, et qui, sans la mort accidentelle, seraient éternels ; et en des endroits cachés, en des fonds de mer, n’existerait-il pas des animaux, aussi vieux que le monde ? […] Ils soutiennent qu’il y a des animaux, comme les serpents, les tortues, les langoustes, dans les tissus desquels, les microscopes ne perçoivent aucune fatigue, aucune dégénérescence, aucuns signes de vieillesse enfin, — signes si perceptibles dans les tissus des humains et des animaux d’un ordre supérieur.
En effet, il faut s’y conformer pour y vivre ; au bout de huit jours on sent qu’on doit renoncer ici à la jouissance délicate et savourée, au bonheur de se laisser vivre, à l’oisiveté abandonnée, au contentement des yeux, à l’épanouissement facile et harmonieux de la nature artistique et animale, qu’il faut se marier, élever un troupeau d’enfants, prendre les soucis et l’importance du chef de famille, s’enrichir, se pourvoir contre la mauvaise saison, se munir de bien-être, devenir protestant, industriel, politique, bref, capable d’activité et de résistance, et, dans toutes les voies ouvertes à l’homme, endurer et faire effort. […] Beaucoup d’herbe, beaucoup de bétail, beaucoup de viande ; la grande mangeaille et la grosse mangeaille ; ainsi se soutient le tempérament absorbant et flegmatique ; la pousse humaine, comme toute la pousse végétale et animale, est puissante, mais lourde ; l’homme est amplement charpente, mais à gros coups ; la machine est solide, mais elle roule lentement sur ses gonds, et le plus souvent les gonds grincent et sont rouilles. […] Ici l’énorme soldat des gardes, au teint rose, majestueux, cambré, qui se prélasse une petite canne à la main, étalant son torse et montrant sa raie claire entre ses cheveux pommadés ; là, le gros homme sur-nourri, courtaud, rougeaud, semblable à un animal de boucherie, à l’air inquiétant, ahuri, et pourtant inerte ; un peu plus loin, le gentilhomme de campagne, haut de six pieds, gros et grand corps de Germain qui sort de sa forêt, avec un mufle et un nez de dogue, des favoris disproportionnés et sauvages, des yeux roulants, la face apoplectique ; ce sont là les excès de la séve et de l’alimentation brutales ; ajoutez-y, même chez les femmes, la devanture blanche de dents carnivores, et les grands pieds d’échassiers, solidement chaussés, excellents pour marcher dans la boue. […] La vie gymnastique et hasardeuse est en honneur ici ; ils ont besoin de remuer leur corps, de nager, de lancer la balle, de courir dans la prairie mouillée, de ramer, de respirer en canot la vapeur salée de la mer, de sentir sur leur front les gouttes de pluie des grands chênes, de sauter à cheval les fossés et les barrières ; les instincts animaux sont intacts. […] Si l’homme est Germain de race, de tempérament et d’esprit, il a dû à la longue fortifier, altérer, tourner tout d’un côté sa nature originelle ; ce n’est plus un animal primitif, c’est un animal entraîné : son corps et son esprit ont été transformés par la forte nourriture, par l’exercice corporel, par la religion austère, par la morale publique, par la lutte politique, par la perpétuité de l’effort ; il est devenu de tous les hommes le plus capable d’agir utilement et puissamment dans toutes les voies, le travailleur le plus productif et le plus efficace, comme son bœuf est devenu la meilleure bête à viande, son mouton la meilleure bête à laine, et son cheval le meilleur coureur.
Ainsi l’organisation spontanée, qui à l’origine fit apparaître tout ce qui vit, se conserve encore sur une échelle imperceptible aux derniers degrés de l’échelle animale ; ainsi les facultés spontanées de l’esprit humain vivent dans les faits de l’instinct, mais amoindries et presque étouffées par la raison réfléchie ; ainsi l’esprit créateur du langage se retrouve dans celui qui préside à ses révolutions ; car la force qui fait vivre est au fond celle qui fait naître, et développer est en un sens créer. […] Ainsi l’entendait surtout la vieille philosophie, qui poussait le grotesque jusqu’à constituer une science appelée pneumatologie, ou science des êtres spirituels (Dieu, l’homme, l’ange et peut-être les animaux, disaient-ils), à peu près comme si, en histoire naturelle, on constituait une science qui s’occupât du cheval, de la licorne, de la baleine et du papillon. […] L’anatomie comparée tire bien plus de résultats de l’observation des animaux inférieurs que de l’observation des espèces supérieures. Cuvier aurait pu disséquer durant toute sa vie des animaux domestiques sans soupçonner les hauts problèmes que lui a révélés l’étude des mollusques et des annélides. Ainsi ceux qui ne s’occupent que des littératures régulières, qui sont dans l’ordre des productions de l’esprit ce que les grands animaux classiques sont dans l’échelle animale, ne sauraient arriver à concevoir largement la science de l’esprit humain 107.
J’aime les animaux, je sympathise peut-être plus avec leurs yeux qu’avec les yeux humains ; ils sont plus limpides, plus doux et quelquefois plus intelligents. […] Mais si j’ai de la sensibilité, je me crois doué d’assez de raison et je rougirais vraiment de m’indigner de ce que le docteur Carrel a sacrifié quelques animaux à ses expériences de greffe animale. […] Tout ce que l’on doit demander aux opérateurs, c’est de ne pas faire souffrir inutilement, bêtement les animaux qu’ils soumettent à leurs expériences, et je déteste, autant que les rédacteurs même de la revue, les amateurs imbéciles qui ouvrent un animal vivant pour voir ce qu’il y a dedans. […] On voit que je ne touche même pas à la grande question : les animaux ont-ils conscience de leur douleur ? […] Son premier élément est toujours le lait, mais le lait, qui est un produit animal, contient évidemment des traces de sel.
Si, dans le système du monde, les diverses natures des êtres, des espèces, des choses, des sensations, se tiennent par des intermédiaires, il est certain que la passion du crime est le chaînon entre l’homme et les animaux ; elle est à quelques égards aussi involontaire que leur instinct, mais elle est plus dépravée ; car c’est la nature qui a créé le tigre, et c’est l’homme qui s’est fait criminel : l’animal sanguinaire a sa place marquée dans le monde, et il faut que le criminel le bouleverse, pour y dominer.
salués d’applaudissements de triomphe, des milliers de savants s’emploieront à des investigations physiques presque infinitésimales ; à rechercher la composition atomique et la structure microscopique du corps ; à explorer les formes innombrables de la vie animale et végétale, invisibles à l’œil tout seul ; à découvrir des planètes qui ont parcouru, inconnues pendant des siècles, leurs orbites obscurs ; à condenser, par la puissance du télescope, en soleils et systèmes, ce qui était regardé récemment encore comme la vapeur élémentaire des étoiles ; à traduire en formules numériques l’inconcevable rapidité des vibrations qui constituent ces rayons, si fermes en apparence que les plus forts vents ne les ébranlent pas ; à mettre ainsi en vue les parties les plus mystérieuses de l’univers matériel, depuis l’infiniment loin jusqu’à l’infiniment petit ; mais l’analyse exacte des phénomènes de conscience, la distinction entre les différences, si fines pourtant et si petites, des sentiments et des opérations ; l’investigation attentive des enchaînements les plus subtils de la pensée, la vue ferme mais délicate de ces analogies mentales qui se dérobent au maniement grossier et négligent de l’observation vulgaire, l’appréciation exacte du langage et de tous ses changements de nuances et de tous ses expédients cachés, la décomposition des procédés du raisonnement, la mise à nu des fondements de l’évidence : tout cela serait stigmatisé comme un exercice superflu de pénétration, comme une perte de puissance analytique, comme une vaine dissection de cheveux, comme un tissage inutile de toiles d’araignées ? […] Il soutient avec plus de vraisemblance, que les jeunes animaux voient aussitôt qu’ils sont nés.
On prétend que Léonard de Vinci recommandait à ses élèves, lorsqu’ils cherchaient un sujet de tableau, d’étudier avec soin l’aspect des surfaces de bois ; on finit par voir se dessiner, au milieu des lignes confuses, certaines formes d’animaux, des têtes humaines, des groupes pittoresques. […] Richet compare ingénieusement l’animal « à un mécanisme explosif, mécanisme d’autant plus parfait que l’intervention d’une force de plus en plus faible pourra déterminer une explosion de plus en plus forte » ; cette explosion n’en est pas moins toujours déterminée par des lois inflexibles.