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283. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre II. L’éloquence politique »

L’éloquence judiciaire est bien médiocre encore, bien verbeuse, bien prétentieuse, reflet tantôt pâle et tantôt criard des styles et des idées dont la littérature enivrait le public : et plutôt que de feuilleter les mémoires d’Élie de Beaumont, de Linguet, de Loyseau de Mauléon, des avocats de métier, on fera mieux de relire ce que Voltaire écrivit pour les Galas et ses autres protégés, ou les Mémoires de Beaumarchais, et les mémoires ou plaidoyers de Mirabeau dans le procès en séparation qu’il soutint contre sa femme : les écrits de ces avocats d’occasion sont les vrais chefs-d’œuvre de l’éloquence judiciaire. […] La véritable éloquence politique de ce temps doit se chercher dans les écrits : dans tous ces petits libelles par lesquels Voltaire, par exemple, excite l’opinion publique, dans toutes ces déclarations virulentes que, sous un titre ou sous un autre, Rousseau, Diderol, Raynal lancent contre les institutions de l’ancien régime. […] En second lieu, les discours de la période révolutionnaire n’apportent pas un bien grand nombre d’idées originales ou de théories neuves : qui connaît Montesquieu, Voltaire, Diderot, Rousseau, l’Encyclopédie, n’a pas grand chose à recueillir des orateurs ; ils répètent ce que les philosophes ont écrit. […] Mêlant Montesquieu, Voltaire et Rousseau, il rêvait une république aimable, qui donnât du bien-être et du plaisir, qui développât le luxe et les arts.

284. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Philarète Chasles » pp. 111-136

Il y avait vécu et il y avait écrit dans la langue du pays, comme Voltaire qui, jeune et fat comme un Français, s’était aussi permis d’y écrire, dans cette langue si opposée pourtant à son genre de génie. Mais Philarète Chasles y avait mieux écrit que Voltaire, et comme Voltaire, et plus profondément que ce serpent sur la peau duquel tout glissait, Philarète Chasles a gardé bien plus d’Angleterre sous la sienne. […] Voltaire et Montesquieu furent de ces esprits-là.

285. (1910) Variations sur la vie et les livres pp. 5-314

À son retour de Londres, Voltaire fut tout à coup enragé là-dessus. […] Voltaire s’emballe pour peu de chose. […] Voltaire ne faisait que se tourmenter avec les décors et tous ces jeux scéniques. […] Enfin, Voltaire impute les défauts de Shakespeare à l’ignorance de son siècle. C’était la marotte de Voltaire.

286. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires du marquis d’Argenson, ministre sous Louis XV »

Glaire en effet à cette simplicité bourgeoise, à ce phlegme incorruptible, qui mieux que la philosophie du grand monde le garantissait des illusions, qui lui faisait dire à Voltaire dont, à la lecture de Pellisson, les yeux se remplissaient de la splendeur de Louis XIV : « Mon cher, vous n’êtes qu’un enfant, qui aimez les babioles et rejetez l’essentiel ; vous faites plus de cas des pompons qui se font chez mesdemoiselles Duchappe que des étoffes de Lyon et des draps de Van-Robais. » ou bien encore qui lui faisait comparer un état épuisé qui donne des fêtes pour mettre l’argent en circulation à une vieille comtesse ruinée qui ouvre brelan et donne à souper avec l’argent des cartes ! […] Qu’il nous peigne Sully et ses Mémoires, Retz et les siens, MM. de Vendôme et la cour du Temple, qu’il compare entre eux, comme gens de lettres et du monde, Fontenelle, Hénault et Montesquieu, tous trois vivants et le dernier n’ayant pas produit l’Esprit des lois, qu’il juge Voltaire dès 1736, et Rousseau dès 1755, toujours sa façon est la même ; c’est le jugement qui le mène à l’esprit ; il ne s’y élève pas, mais y semble porté, et pour ainsi dire y descend.

287. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — III » pp. 455-479

Le grand historien du Nord, Suhm, vivait encore ; il le visita un jour d’automne, et le trouva à sa campagne, vieillard de 73 ans à côté de sa jeune épouse : « Son esprit brillant, sa conversation animée et toujours spirituelle me rappelait celle de Voltaire. Comme Voltaire, Suhm ne pouvait dire vulgairement des choses même vulgaires. […] En ces années où Bonstetten prend décidément son parti et où, faisant une bonne fois son deuil de tous les regrets, le rajeunissement pour lui commence, Genève offrait la réunion la plus complète d’esprits éclairés et distingués : Mme de Staël encore, qui allait trop tôt disparaître ; Dumont, l’interprète de Bentham, l’ancien ami de Mirabeau ; le médecin Butini ; l’illustre naturaliste de Candolle, « l’homme parfait, qui avait un aussi bon esprit pour les affaires du monde que pour les végétaux, et le cœur comme s’il n’avait que cela » ; les savants Pictet ; l’érudit Favre ; bientôt Rossi, dont l’esprit fin et l’habile carrière devaient aboutir à la grandeur ; Sismondi, droit, loyal, instruit, mais qui se trompait à coup sûr quand il croyait voir en Bonstetten « un débris de la secte de Voltaire » ; bien d’autres que j’omets, et jusqu’à cet aimable Diodati, qui m’a entretenu d’eux autrefois, et qui, le dernier de tous, vient tout récemment de mourir. […] Voltaire a été l’homme le plus éminemment spirituel de son siècle. Bonstetten parlait ainsi de Voltaire pour l’avoir entendu et après l’avoir pu comparer à tant d’autres intéressants causeurs de toute nation ; on croit sentir cependant qu’il songeait surtout à Mme de Staël en écrivant cela, et qu’il se souvenait de la brillante virtuose, de la grande harmoniste de Coppet.

288. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. VINET. » pp. 1-32

Dans le volume de Lettres recueillies en Suisse, par le comte Golowkin4, parmi des particularités piquantes qui ajoutent à l’histoire littéraire de Voltaire et de quelques autres noms célèbres, il se trouve, de femmes du pays, plusieurs lettres qui rappellent heureusement la vivacité de madame de Sévigné, dont la personne qui écrit se souvient elle-même quelquefois. […] Les séjours de Voltaire, de Rousseau, dans ces pays, en rajeunirent à temps la littérature, et la firent toute du xviiie  siècle au lieu du xviie , où elle était restée. […] Voltaire est merveilleusement apprécié ; je remarquerai seulement et signalerai à l’auteur, pour qu’il le revoie peut-être, un certain paragraphe de la page xlii 21, qui offre beaucoup d’embarras et de pesanteur dans la diction : je ne voudrais pas qu’on pût dire que le malin a porté malheur, sur un point, à qui l’examine avec tant de conscience et avec une profondeur si sérieuse, éclairée du goût. […] Vinet en apprécie l’inspiration et l’influence, lorsque, pour le réprouver plus à coup sûr, il s’arme d’une citation empruntée à Voltaire lui-même, il devient éloquent de toute l’éloquence dont la critique est capable, et cela par le choix que lui seul a su faire d’une citation telle. […] Commençant par ces mots : Le caractère de Voltaire, etc., etc.

289. (1890) L’avenir de la science « XXII » pp. 441-461

barbares, oubliez-vous que nous avons eu Voltaire et que nous pourrions encore vous jeter à la face le père Nicodème, Abraham Chaumeix, Sabathier et Nonnotte ? […] Voltaire se moque de la Bible, parce qu’il n’a pas le sens des œuvres primitives de l’esprit humain. […] Non ; c’est Voltaire, c’est Rousseau, c’est Montesquieu, c’est toute une grande école de penseurs qui tient puissamment le siècle, le façonne et crée l’avenir. […] Faites le tableau des hommes d’intelligence qui ont puissamment poussé à la roue, vous aurez des penseurs et des écrivains, comme Luther, Voltaire, Rousseau, Chateaubriand, Lamartine, mais très peu de savants ou de philosophes techniques. Les quatre mots que Voltaire savait de Locke ont fait plus pour la direction de l’esprit humain que le livre de Locke.

290. (1907) Jean-Jacques Rousseau pp. 1-357

Il remonte plus haut que Marivaux, que Fontenelle, que Voltaire, même que La Bruyère. […] N’y eût-il pas eu entre eux rivalité littéraire, Voltaire représente justement ce que Rousseau déteste le plus : la vie sociale dans ce qu’elle a de plus artificiel et de plus corrupteur, l’ironie et l’impiété ; Voltaire, aimable et méchant, Rousseau, désagréable et bon ; Voltaire, riche et aristocrate, Rousseau pauvre et plébéien ; Voltaire spirituel et léger, Rousseau grave et même solennel ; Voltaire réaliste en politique, Rousseau chimérique ; Voltaire despotiste et qui se contenterait de réformes prudentes, Rousseau républicain du pays d’Utopie ; Voltaire impie, Rousseau religieux ; Voltaire ami de l’ordre avant tout, — mais voulant ruiner, du moins dans les hautes classes, la religion qui soutient l’ordre ; Rousseau menaçant cet ordre, — mais défendant le sentiment religieux : si bien que, chacun d’eux ne réussissant que dans la partie négative de sa tâche, l’un portera à la religion, et l’autre à l’ordre social nécessaire, des coups que, pour ma part, je déplore avec simplicité. […] nous sommes loin, ici, de la jolie attitude si aisée de Voltaire avec les grands seigneurs.) […] Car, ne nous y trompons pas, Rousseau a été infiniment plus choyé par ces gens-là que Voltaire. […] Voltaire ne réclamait que cette égalité-là.

291. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre III. L’Âge moderne (1801-1875) » pp. 388-524

Joseph de Maistre, lui, s’est « chargé » de Bacon et de Voltaire, comme autrefois Voltaire s’était « chargé » de Pascal et de Bossuet ; et, là même est la raison de plus d’une analogie que l’on peut signaler entre sa manière et celle de Bossuet. […] On a seulement fait observer, sur ce mot, que, si le « romanticisme » n’était que le « modernisme », Racine, Boileau, Voltaire auraient donc été des romantiques à leur heure, ce qui est parfaitement insoutenable. […] — écrit Michelet, en 1866, — Voltaire, dans ses Lettres anglaises a dit la grande parole, le moderne Symbole ; le but de l’homme est l’action » [Cf.  […] Voltaire, dans ses Discours sur l’homme]. — Les Nouvelles Méditations [Cf. le chapitre de M.  […] Cette observation nous ramène à la comparaison du rôle de Victor Hugo avec celui de Voltaire ; — et, sans insister sur ce « déisme — dont ils ont cru l’un et l’autre assurer d’autant plus solidement la fortune, — qu’ils traitaient l’un et l’autre plus injurieusement les religions positives, — on voit apparaître trois grandes différences. — La première est tout à l’avantage d’Hugo, qui est comme poète le plus « extraordinaire » de nos lyriques ; — et, dans ses chefs-d’œuvre, le plus grand écrivain que nous ayons en vers ; — tandis que de nombreux prosateurs sont au-dessus de Voltaire. — Mais en revanche Voltaire a possédé deux choses qui ont manqué à Victor Hugo, c’est à savoir : — une culture étendue, variée, solide, voisine en quelques points de l’érudition même ; — et, d’autre part, il ne s’est désintéressé d’aucune des manifestations de l’esprit de son temps ; — tandis que la curiosité de Victor Hugo est demeurée entièrement étrangère au mouvement « scientifique » et philosophique de son temps. — Et que c’est peut-être en cela qu’il est poète ; — si tous les grands poètes ont eu en général leurs regards tournés vers le passé ; — mais c’est aussi pour cela qu’ayant joué en apparence le même rôle que Voltaire, — il n’est cependant pas au même degré que Voltaire la « représentation » de son temps.

292. (1902) Le critique mort jeune

Comprenons encore l’exemple de Voltaire que M.  […] « Les sectes, disait Voltaire, ne naissent que chez la canaille. » M.  […] Voltaire avait compris que la doctrine de Rousseau tendait à faire marcher les hommes « à quatre pattes ». […] Voltaire démontre Dieu et Rousseau croit en Dieu. […] Louÿs le ton de Voltaire le cède souvent à celui de Crébillon.

293. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIIe Entretien. Montesquieu »

Voltaire assure que Montesquieu parvint à faire lire au cardinal un exemplaire particulier des Lettres persanes soigneusement revu et purgé, ad usum Delphini, en quelque sorte ; Voltaire attribue à Montesquieu un tour qu’il eût été bien capable de jouer, lui, Voltaire, en pareil cas ; mais on pense généralement que Montesquieu le prit de plus haut ; qu’il menaça fièrement de s’exiler, et que l’amitié du maréchal d’Estrées adoucit les scrupules du cardinal Fleury. […] Il paraît que Voltaire ne s’était pas tout à fait aventuré en parlant de corrections faites aux Lettres persanes. […] J’avais, il est vrai, lu souvent dans l’inimitable Correspondance de Voltaire, quelques phrases très-succinctes et presque très-dédaigneuses sur ce prétendu Esprit des Lois, qu’il appelait avec raison, comme son amie madame du Deffant : De l’esprit sur les lois. Mais je pensais que la gravité du sujet avait peut-être rebuté l’esprit si charmant, quoique si solide, de Voltaire, et qu’il ne fallait pas demander à un homme universel, — réputé léger, — un jugement sur un magistrat — réputé érudit. — Je m’étais réservé de lire à fond Montesquieu quand j’en aurais le temps et de me faire une idée juste de l’Aristote de la France. […] Il ne faut pas oublier que, pendant que les philosophes modernes : Voltaire, Rousseau, Helvétius, d’Holbach et mille autres, et toute l’innombrable société lettrée ou érudite de l’Europe, niaient la vérité suprême, Dieu, ou s’efforçaient de noyer ce principe des principes dans des controverses plus ou moins ambiguës, Montesquieu commençait son examen des lois par la profession nette de la Divinité.

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