2° Le jeune prix de Rome et le vieux Wagnériste, entretien familier, par Catulle Mendès.
Car tout va aujourd’hui à Paris : les cerveaux comme les fruits ; et Paris est en train de devenir une ville colossale et absorbante, une cité — polype, une Rome au temps d’Aurélien.
Si nous en jugeons par les sublimes fragments que la Chine, l’Inde primitive, la Grèce, Rome, nous permettent de déchiffrer, nous ne voyons rien d’inférieur, dans ces monuments écrits, aux pages de notre moyen âge obscurci de ténèbres, et de nos deux ou trois derniers siècles, crépuscule d’une renaissance de la pensée.
C’est le peuple qui semble s’être élevé à lui-même, de siècle en siècle, ces prodigieux monuments, comme ces temples d’Athènes ou de Rome auxquels chaque génération ajoutait une assise de plus.
En feuilletant les histoires antiques, je me suis bien souvent demandé pourquoi la biographie, c’est-à-dire l’élément individuel, le portrait et l’analyse de l’âme humaine aux prises avec les mille obstacles de la vie familière et quotidienne, y tenait si peu de place ; pourquoi Xénophon et Thucydide, Tite-Live et Tacite lui-même accordent tant aux choses et si peu à l’humanité ; pourquoi, malgré les lueurs éclatantes qui se projettent sur les caractères mystérieux de Néron et de Tibère, le plus hardi penseur de la Rome impériale répugne si obstinément aux peintures d’intérieur. […] Qu’on ne s’y trompe pas ; bien que les chroniques de Shakespeare ne soient pas, pour la plupart, la meilleure partie de son héritage, bien que je préfère de beaucoup Othello à Richard III, cependant le génie, je dirais volontiers l’instinct dramatique, qui ne l’abandonnait jamais, ne lui permettait pas de mettre en scène l’histoire de son pays, ou l’histoire de Rome, sans qu’une pensée une et grande présidât, presque malgré lui, à toutes ces compositions. […] Le 6 mai 1527, le connétable de Bourbon assiège Rome et meurt sur la brèche. […] Au quatrième acte, la rentrée du roi en France, le sac de Rome, la mort de Bourbon, de Lautrec, les fêtes de la cour, et le mariage de Henri avec Catherine de Médicis. […] Chez les peuples d’Asie, instituteurs de la Grèce ; dans la Grèce, institutrice de Rome ; dans la ville éternelle dont l’Europe a recueilli l’héritage, la femme n’était qu’un plaisir.
Une brise, passant et se retirant à travers les saules, s’accordait avec l’aller et le venir de la vague. » Se promenant à Rome, il « écoute le silence et regarde passer son ombre de poétique en portique, le long des aqueducs éclairés par la lune ». […] Les de Goncourt, par des procédés plastiques différents, ont peint l’intoxication dévote d’une honnête femme par la Rome catholique et chrétienne. […] Quand madame de Beaumont, presque agonisante, se décide, malgré les alarmes de Joubert, à aller rejoindre Chateaubriand à Rome, Lucile semble avoir trouvé un peu de repos à force d’isolement ; ses lettres à madame de Beaumont sont plus calmes. […] Pourtant, lorsqu’elle vit que tout était fini et que sa dernière heure allait venir, elle voulut du moins rendre son dernier soupir dans les bras de son cher René ; elle se mit en route presque agonisante, elle le rejoignit à Rome, et là, sans une plainte, sans un reproche, elle eut la consolation de mourir sous ses yeux, « désespérée et ravie ». […] A son retour de Rome, où il laissait Pauline de Beaumont dans sa tombe, il vécut étroitement à Paris avec madame de Custine, il connut de près celle qu’il avait tant désirée, et ce rapprochement tarit tout à coup une passion qu’il souhaitait peut-être éternelle.
Mais c’est dans Rome et dans la Grèce païenne que la cour et les gens du monde vont chercher leurs précepteurs et leurs héros. […] Avant 1600, tous les grands poëtes, de 1550 à 1616, tous les grands historiens de la Grèce et de Rome, sont traduits en anglais. […] Charles the great (as Platina writes) had three fair silver tables, in one of which superficies was a large map of Constantinople, in the second Rome neatly engraved, in the third an exquisite description of the whole world ; and much delight he took in them.
A la vérité, on ne songe pas à le comparer aux grands orateurs d’Athènes et de Rome, ni aux illustres du siècle dernier, Mirabeau, les deux Pitt, Fox, Shéridan, ni à ceux de notre temps, un Robert Peel, un Berryer, un Guizot, un Thiers, un Montalembert, un Rouher. […] Son faible était, à ce que dit Horace, de se croire un sage parce que le public lui en donnait le nom, et un homme heureux, parce que tout Rome (Omnis Roma) vantait son bonheur. […] A Rome, on mangeait avec les doigts, témoin ce conseil d’Ovide aux dames : « Prenez les mots du bout des doigts, il est un maintien à garder quand on mange ».
Qu’est-ce que le Dive-oiseau des cloches, qu’on va voir à Rome dans sa cage, comme Phénix, et qu’on n’a pas plutôt vu qu’on en paraît agrandi ? […] Accompagnez les mêmes personnages dans les contrées des Papegauds, des Papelards, des Papes-Figues, des Prêtregauds, des Cardingaux, des Evesgaux, des Moinegauds, des Capucingaux, vous ne pourrez méconnaître en eux le peuple mitré, enfroqué, tonsuré, et vous admirerez comment Rabelais en son temps osait se moquer des divines décrétales, des bulles fulminantes, des mouches d’inquisition, des indulgences sixtines, toutes choses saintes et déifiques, par lui qualifiées de belles extravagances, qui faisaient le siège apostolique de Rome tant redoutable à l’univers, qu’il fallait ribon-ribaine que tous rois, empereurs, potentats, et seigneurs, pendissent de lui, tinssent de lui, par lui fussent couronnés, confirmés, autorisés, et vinssent là bouquer et se prosterner à la mirifique pantoufle ! […] Aussi les interlocutrices des pièces latines ne sont elles que des étrangères ou des filles de plaisir : car, selon que je le constatai dans la préface de ma comédie, affichée sous le nom de Plaute, à Rome on ne produisait pas en spectacle les dames romaines, mais des courtisanes vendues ; et cela, non par licence, comme on le croit, mais par une pudeur qui respectait les mœurs publiques en couvrant les mœurs domestiques d’un mystère prudent.
Non, ce n’est pas au cadavre que s’attachera ce jeune homme d’Athènes ou de Rome, c’est à la beauté de sa maîtresse ; cette idée de ver et de pourriture n’aura pas le temps de lui venir ; car, plus la jeune fille sera loin de la tombe, plus son beau corps, déposé sur le gazon, sera couvert de fleurs, ou tout au moins plus la flamme du bûcher sera brûlante, plus l’urne d’or sera parée, et plus le Roméo athénien comprendra la beauté qu’il a perdue, plus il sentira revenir ses larmes, son désespoir, son amour. […] Et, pendant qu’à travers ces chemins remplis de la foule romaine, à l’ombre de ces autels où le prêtre immole ses plus belles victimes, dans ces places publiques où l’on dresse deux mille tables, où l’on boit à longs traits le vin de Falerne ; quand défile au loin cette armée amenant avec elle un monde de captifs et de trésors ; quand l’encens fume sous les pas de César, mêlé à la louange universelle, aux acclamations du peuple et du sénat, dans cette voie Appienne ouverte à la domination de la Rome éternelle ; alors que chaque temple est ouvert et que chaque citoyen porte une toge blanche et tient en main le laurier d’Apollon ou le chêne de Jupiter ; quand l’Imperator, à travers cette longue suite d’arcs triomphaux, du champ de Mars au Velabre, et du grand cirque au forum, et sur ce long chemin du Capitole, où il arrive au bruit des fanfares solennelles, et ce tumulte de trophées où l’on voit, captifs, mais attachés par des chaînes d’or, le Rhin, le Rhône et l’Océan ; quand c’est à peine si l’on a trouvé dans Rome assez de chevaux pour transporter jusqu’aux autels de Jupiter les dépouilles des peuples conquis, dans ce pêle-mêle de sacrificateurs empressés, de magistrats dans la pourpre, de vestales voilées, de rois vaincus dont les mains sont chargées de chaînes et dont la tête porte encore la couronne, au bruit enivrant des poésies et des cantiques à la louange de César, et quand c’est un cri unanime, du ciel à l’abîme ; « Écoutez ! […] » Et l’esclave, étonné et charmé qu’il y eût encore à Rome un jeune homme assez amoureux de la vraie gloire et de la libre éloquence pour songer, au milieu du grand triomphe, à celui que son siècle appelait déjà l’Orateur, racontait au jeune disciple des maîtres athéniens les palpitations de ce noble cœur. Il racontait abondamment la vie et les travaux de ce grand homme ; il rappelait ses luttes généreuses, ses combats, ses grands services, Rome par lui sauvée, et comment il avait obéi au conseil d’Apollon lui-même : « Obéis à ton inspiration ! […] Sa voix, son geste, son regard, son sourire, sa passion et les trésors infinis de cette mémoire abondante et féconde comme l’eau des claires fontaines qui murmurent autour des ruines de l’ancienne Rome, tout en lui raconte et racontait des merveilles supérieures aux étonnements modernes, des miracles que l’éternité consacre, des chefs-d’œuvre auxquels le génie et le hasard ne peuvent rien ajouter, ne peuvent rien retrancher ; des œuvres si parfaites et si complètes, qu’on ne sait pas si ce sont vraiment des hommes à notre image qui les ont accomplies.
Que Mars, faisant de Rome une seconde Troie, Donne aux Carthaginois tes richesses en proie ; Et que dans peu de temps le dernier des Romains En finisse sa rage avec ses propres mains ! […] que l’avenir même de Rome est engagé dans les résolutions que va prendre Titus à l’égard de sa Bérénice ? […] Par exemple, vous ne voulez pas croire qu’un jour deux villes, Albe et Rome, aient remis le soin de vider en champ clos leur querelle à trois frères chacune, liés entre eux six d’une ancienne amitié ? […] Il s’est convaincu que son imagination échauffée ne saurait rien inventer de si difficile à croire que l’histoire de la Grèce ou de Rome, celle du Bas-Empire, celle des Lombards ou des Huns au besoin, n’offre à notre étonnement quelque chose de plus incroyable encore, et pourtant d’arrivé. […] Que me font à moi, paisible sujet d’un État monarchique du xviiie siècle, les révolutions d’Athènes et de Rome ?