Si sa derniere maladie ne lui laissa pas le temps de recevoir les Sacremens, la vie qu’il avoit menée, son exactitude à remplir les devoirs d’un vrai Catholique, doivent placer cet événement au rang de ceux que la prudence ne sauroit prévoir, & il n’en peut résulter aucun soupçon au préjudice de l’intégrité de sa foi.
Ainsi en jugeait le duc de Rohan quand il écrivait : « Philippe II poussa ses affaires si avant, que le royaume de France n’est échappé de ses mains que par miracle. » De loin, quand les événements ont tourné d’une certaine façon, on ne se représente pas aisément à combien peu il a tenu qu’ils ne tournassent dans un sens tout autre ; on voit des nécessités et des dénoûments tout simples là où il y a eu des bonheurs et de merveilleux secours. […] Henri III, lui-même, n’avait pas profité de la première impression de terreur qui suivit la nouvelle des événements de Blois pour monter à cheval et se montrer par tout le royaume en disant : Je suis roi, et en le prouvant par ses actes. […] Toutefois, en pourvoyant ainsi au plus pressé, il demeurait dans une position fausse et féconde en périls : il ne pouvait abjurer immédiatement sans s’avilir aux yeux de ses nouveaux sujets, sans se perdre aux yeux de son ancien parti ; et retarder cette conversion comme il le devait faire, c’était tenir incertaine et pendante la chance des événements et laisser la carrière ouverte à toutes les ambitions.
Personnellement il n’était pas ennemi de la Révolution, mais il en sentait les horreurs ou les ridicules, il en répudiait les crimes, et à propos de l’attentat du 21 janvier, il s’attache à constater les sentiments de réprobation générale que cet événement fit éclater dans tout le Midi, au sein des familles honnêtes, qui ne demandaient à la Révolution que l’égalité politique et la réforme de graves abus : Si cette réflexion, dit-il, passe un jour ou l’autre sous les yeux de quelques ardents, ils ne voudront peut-être pas croire que tel était l’état des esprits à cette époque. […] La conversation roulait sur les événements politiques ; s’interrompant au milieu d’une de ces périodes à effet comme il savait les faire, le général lui dit : « Rappelez-vous, Pelleport, et vous êtes trop jeune pour que vous ne puissiez un jour ou l’autre mettre à profit mon avertissement, rappelez-vous qu’en révolution il ne faut jamais se mettre du côté des honnêtes gens : ils sont toujours balayés. » — « Après ce court dialogue, ajoute Pelleport, la conversation reprit son cours ordinaire, et je me promis bien de désobéir à mon général. » De retour en France, Pelleport continue sa marche d’un pas égal. […] En novembre 1806, Pelleport, sur la présentation du maréchal Soult, est nommé chef de bataillon dans le même régiment : « J’avais dix ans d’exercice dans l’emploi pénible d’adjudant-major ; néanmoins, cette promotion fut une grâce et non un droit, car on comptait dans le régiment dix capitaines plus anciens de grade que moi. » À la veille d’Eylau, il lui arrive un événement fort extraordinaire dont on pensera ce qu’on voudra, et qui serait de nature à justifier l’apparition du fantôme à Brutus, à la veille de Philippes : L’on va rire de moi, n’importe… La veille de la bataille d’Eylau, je dormais profondément, lorsque je fus réveillé par un bruit léger : une femme belle et richement habillée était devant moi : « Tu seras blessé, me dit-elle, et grièvement.
… Voilà, chère amie, de ces événements de voyages qui leur donnent tant de charme. […] Ce n’est pas impunément qu’on se trouve sur le théâtre de si grands événements ; ce qui doit élever l’âme ne perd pas à être vu de près, et ce petit village en ruines parle bien plus au cœur que ces grandes Pyramides, qui n’étonnent que les yeux. ». […] C’est un événement qui arrive, dit-on, à chaque manœuvre de ce genre.
Lorsque M. de Ségur rentra dans sa patrie après cinq années d’absence, la Révolution de 89 venait d’éclater : un autre ordre d’événements et de conjonctures s’ouvrait au milieu de bien des espérances déjà compromises et de bien des craintes déjà justifiées. […] Les événements se précipitaient ; M. de Ségur et les siens demeurèrent attachés au sol de la la France lorsqu’il n’était déjà plus qu’une arène embrasée. […] Chaque événement, chaque anniversaire de cette vie intérieure était célébré par de petites comédies, par des vaudevilles qu’on jouait entre soi, par de gais ou tendres couplets qui parfois circulaient au-delà : quelques personnes de cette société renaissante se rappellent encore la chanson qui a pour titre : les Amours de Laure.
Paul Bourget entreprit la réédition de son œuvre complète1, la critique manifesta de se soucier de l’événement avec une précipitation qui n’était pas exempte de trouble. […] Qui ne voit d’ailleurs que les grandes lignes du roman, c’est-à-dire le sujet dans sa floraison mouvante, ne sauraient constituer à elles seules le roman, ni surtout le roman d’analyse ; que, par suite, le sujet ne saurait être entièrement séparé de sa portée psychologique, et nous entendons par l’auteur, — dont le dogmatisme n’est une charge d’état que parce qu’il y a des significations multiples derrière les événements les plus futiles en apparence, derrière les moindres affirmations de la réalité où tout s’enchaîne, tout le passé à tout le présent, dans une constante, rigoureuse et subtile logique. — On ne peut nier non plus que, si les faits présentés, si peu alourdis qu’ils soient de complications matérielles, se distinguent des ordinaires accidents ressassés, par une idée, — il en résulte souvent un ensemble capable d’offrir des ressources d’émotion et d’intérêt, mille fois plus puissantes sur le cœur que ne l’ont jamais été sur l’imagination les ficelles du roman à physionomie unilatérale, comme le roman d’aventures, par exemple. […] Il est manifeste que, pour avoir été replacés en face de la même impossibilité de contrôler, dans la pratique, la métrique des impressions, et d’en fixer la modalité, en deçà comme au-delà des événements, nous nous rendons mieux compte que l’esprit humain transforme tout en idées ; que c’est là le plus sûr résultat de notre supériorité spécifique ; que ce résultat même indique combien nous voyons les choses d’une certaine manière, qui n’est pas la vraie, tant s’en faut ; qu’enfin nous devons uniquement à notre besoin de connaître, de nous être attribué un droit de savoir, dont l’expression est aussi caractéristique de notre humanité qu’elle restera accablante pour notre enfantine insoumission.
Écoutons Condorcet rendant compte de ces mouvements précurseurs, dans la Chronique de Paris du 18 juin : Plusieurs sections de Paris se sont présentées à la barre ; leurs pétitions avaient toutes le même objet en vue, celui d’écarter les dangers qui menacent la chose publique… Ce sont les mêmes hommes qui en 89, et à peu près à cette époque, délibéraient avec autant de calme que de fermeté sur les moyens de réprimer l’insolence de la tyrannie… Mais, familiarisés aux principes politiques par trois années de révolution, ce n’est plus par le sentiment seul que produisent les événements qu’ils se laissent entraîner. Ils remontent aux causes par les effets… À la manière dont le peuple rend compte des événements que certaines gens voudraient bien présenter encore comme des phénomènes inexplicables, on serait presque tenté de croire qu’il consacre chaque jour quelques heures à l’étude de l’analyse. […] Nous tirons le rideau, écrit-il, sur les événements dont il serait trop difficile, en ce moment, d’apprécier le nombre et de calculer les suites.
Ce qui nous frappe chez elle à première vue, c’est qu’elle prend tous les personnages de sa connaissance et de sa société, les travestit en Romains, en Grecs, en Persans, en Carthaginois, et leur fait jouer quant aux principaux événements le même rôle à peu près qui leur est assigné dans l’histoire, tout en les faisant causer et penser comme elle les voyait au Marais. […] Or, il y est dit : « Quant aux romans, Cassandre fut estimé pour la délicatesse de la conversation ; Cyrus et Clélie, pour la magnificence de l’expression et la grandeur des événements. » Ce qui nous avertit qu’il ne faut pas, après deux siècles, venir tout d’un coup magnifier l’importance et célébrer la grandeur des événements, tels qu’on les trouve rapportés dans ces romans de société et de ruelle : l’Ombre de Chapelle en sourirait.
Ainsi lancée après une telle résistance, la pièce alla au-delà de cent représentations et fut un des grands événements politiques et moraux de ce temps-là. […] Après que les événements sont accomplis, quand les révolutions ont eu leur cours et se sont chargées de tirer toutes les conséquences, ces choses d’un jour, dont la portée ne se sentait pas, prennent une signification presque prophétique, et nous pouvons dire aujourd’hui : L’ancienne société n’aurait pas mérité, à ce degré, de périr, si elle n’avait pas assisté ce soir-là, et cent fois de suite, avec transport, à cette gaie, folle, indécente et insolente moquerie d’elle-même, et si elle n’avait pas pris une si magnifique part à sa propre mystification27. […] Ce n’est plus un Gil Blas tout simple et naturel, se laissant aller au cours des événements et au fil de la vie pour en tirer ensuite une expérience non amère.
Il y a, dans tout événement psychique, un ou plusieurs éléments inanalysables ou irréductibles, qui ne peuvent eux-mêmes s’expliquer en termes d’événements psychiques, puisqu’il n’est aucun de ceux-ci qui ne les contienne et ne les présuppose : ils peuvent encore moins s’expliquer en termes d’événements physiques, car de ces derniers, en tant que tels, on ne saurait tirer le psychique.
Le poète domine de haut l’époque où il vit, et l’inonde de lumière : l’avenir est aussi dans sa pensée ; il embrasse, dans un seul point de vue, toutes les générations humaines, et la cause intime des événements dans les secrets de la Providence. […] L’homme de génie qui, voyant que tout est lié dans les destinées humaines, exprimerait d’avance les idées vulgaires d’un autre âge ; celui-là, comblant l’espace qui le tiendrait séparé des temps postérieurs, créerait dans l’avenir des événements et des chefs d’empire, et prédirait ainsi une épopée. […] « L’absence du merveilleux, dit Thucydide, sera cause peut-être que les événements que je décris plairont moins à la lecture. » Le même écrivain dit encore : « Les anciens historiens ont plus songé à plaire à la lecture, qu’ils n’ont songé à dire la vérité. » Ces deux phrases sont remarquables en ce qu’elles indiquent bien les deux genres d’altérations que les premiers historiens ont apportées dans leurs rédactions en prose, altérations dont on leur a su gré, et qui ont cependant conduit à l’arbitraire.