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1555. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Feuilles d’automne » (1831) »

qui bégayent des formules, mauvaises d’un côté, bonnes de l’autre ; les vieilles religions qui font peau neuve ; Rome, la cité de la foi, qui va se redresser peut-être à la hauteur de Paris, la cité de l’intelligence ; les théories, les imaginations et les systèmes aux prises de toutes parts avec le vrai ; la question de l’avenir déjà explorée et sondée comme celle du passé. […] À l’adolescent, elle parle de l’amour ; au père, de la famille ; au vieillard, du passé ; et, quoi qu’on fasse, quelles que soient les révolutions futures, soit qu’elles prennent les sociétés caduques aux entrailles, soit qu’elles leur écorchent seulement l’épiderme, à travers tous les changements politiques possibles, il y aura toujours des enfants, des mères, des jeunes filles, des vieillards, des hommes enfin, qui aimeront, qui se réjouiront, qui souffriront. […] Qu’on lui passe une image un peu ambitieuse, le volcan d’une révolution était ouvert devant ses yeux.

1556. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Tout ce que j’ai compris de ma vie du clair-obscur » pp. 26-33

Si je ne le vois pas, et que j’entende au loin son fracas, C’est ainsi, me dirai-je, que ces fléaux si fameux dans l’histoire ont passé. […] Le nuage a passé, tout a repris son éclat, et les oiseaux ont recommencé leur ramage. […] Quel homme, s’il sait se passer du grand agent, et produire sans son secours un grand effet !

1557. (1860) Ceci n’est pas un livre « Les arrière-petits-fils. Sotie parisienne — Premier tableau » pp. 180-195

Passez-moi donc votre note. […] De toutes mes splendeurs et de tous mes bibelots passés, il ne me reste plus que cette malle. […] Cette plaisanterie passe les bornes de l’indécence, monsieur.

1558. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Jules Vallès » pp. 259-268

… Est-ce donc que l’ancien réfractaire aurait encore l’involontaire émotion du passé, la larme à l’œil qui empêche de bien voir et le tremblement de la main, quand il tire sur ses camarades d’indiscipline et de débandade ? […] les petits, — et encore les petits de Paris, visibles seulement à Paris, connus uniquement entre le Gros-Caillou et les Buttes-Montmartre, et dont l’espèce est perdue — entièrement perdue — et n’existe plus passé la banlieue et ses derniers cabarets. […] mais, au bout du compte, toujours leur mère : « Je ne suis pas fait pour entrer dans tes catégories ; je suis trop grand pour passer, même en courbant la tête, sous tes misérables portes Saint-Denis ! 

1559. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — II »

A l’École Normale, où je m’occupais de choisir les principes qui ont déterminé ma vie, une phrase de Stendhal m’a frappé : « Tant qu’on n’a pas six mille francs de rentes, ne penser qu’à cela ; quand on les a, n’y plus penser. » Il faudrait ajouter : « Se choisir un milieu social, un ordre où passer sa vie avec régularité, et, cette élection faite, n’y plus penser. » Un ordre dans lequel on puisse d’ailleurs travailler en toute indépendance.‌ […] Elle leur passe les hardiesses essentielles et ne leur demande que des concessions d’attitude, dont s’agace peut-être un Parisien vif, irrespectueux, provocant, mais qui ne coûtent rien ni aux races du Nord, ni à moi.‌ […] C’est un mot sous lequel il n’y a plus un fait, et j’ai passé ma vie à combattre ce genre de vague.

1560. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VII. D’Isocrate et de ses éloges. »

Au siècle de César et d’Auguste, plusieurs Romains célèbres ne goûtaient point du tout les ouvrages d’Isocrate, et sûrement Brutus était de ce nombre ; au siècle de Trajan, Plutarque le peignait comme un orateur faible et un citoyen inutile, qui passait sa vie à arranger des mots et compasser froidement des périodes ; au siècle de Louis XIV, Fénelon le traitait encore plus mal ; Isocrate, selon lui, n’est qu’un déclamateur oisif qui se tourmente pour des sons, avide de petites grâces et de faux ornements, plein de mollesse dans son style, sans philosophie et sans force dans ses idées. […] Cet éloge en vingt pages ne vaut pas les trois vers d’Homère, ou deux vieillards qui s’affligeaient ensemble des maux de la guerre, en voyant passer Hélène auprès d’eux, cessent tout à coup de s’étonner que l’Europe et l’Asie combattent depuis dix ans. […] Il en est d’un peuple qui entend parfaitement une langue, et de l’orateur qui lui parle, comme de deux amis qui ont passé leur vie ensemble, et qui conversent ; les lieux, les temps, les souvenirs attachent pour eux, à chaque mot, une foule d’idées dont une seule est exprimée, et dont les autres se développent rapidement dans l’âme sensible.

1561. (1891) Enquête sur l’évolution littéraire

Mais passons. […] Le train de Paris passe à huit heures cinq. […] Cinq minutes passent. […] La vie passée sur la page. […] ce n’est pas tout de couper les queues aux chiens qui passent !

1562. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Appendice. »

Quels travestissements n’ont-ils pas fait subir à tout ce qui leur a passé par les mains, d’étranger ! […] Faut-il vous rappeler Mme de Lamballe, les Mobiles en 48, et ce qui se passe actuellement aux États-Unis ? […] Il y a plus de vingt-cinq ans déjà que, considérant que les soirées sont longues, que la plus grande difficulté pour l’homme qui vit seul est de savoir passer ses soirées, je me suis dit qu’il n’y avait pas de manière plus douce et plus sûre pour cela que l’habitude et la compagnie d’un bon livre. […] Être sous-chef et avoir la chance de devenir chef de bureau un jour, eût semblé à cet homme scrupuleux, délicat et timide, une usurpation plus grande et plus terrible que celle qui a fait passer à des héros le Rubicon. […] Toutes les traductions d’anglais que j’ai insérées dans mes articles ont passé sous ses yeux et aussi sous les yeux de notre ami commun M. 

1563. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre septième. »

Le présent, le passé, l’avenir, occupaient à la fois les intelligences, le présent raconté dans les Mémoires, le passé retrouvé par l’érudition dans les deux antiquités, l’avenir pressenti et comme préparé par les libres spéculations des moralistes, par les vœux, de tolérance, par l’esprit de réforme civile et politique qui pénétrait dans la société française. […] Au xvie  siècle, le passé et l’avenir tiennent plus de place dans les pensées que le présent, et le présent lui-même n’est plus considéré comme le temps tout entier, mais comme le passage de ce qui a été à ce qui sera. […] Dans l’histoire, nous faisons passer les particularités avant la moralité ; nous cherchons l’individu sous le héros, et nous sommes plus curieux de ce qui diminue l’autorité des grands exemples que de ce qui peut y ajouter. […] Qui pouvait se flatter seulement de passer en revue toutes ces richesses de l’esprit humain, et ces deux antiquités, répandant à la fois tous leurs trésors ? […] Où toutes les idées pèsent le même poids, où toutes les vérités ne sont que des idées, pourquoi une pointe n’aurait-elle point passé pour une vue de l’esprit ?

1564. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre premier »

Elles forment, à l’avantage de Balzac, contraste avec la sécheresse des lettres écrites de Rome et d’Italie par Montaigne, resté froid parmi ces grandeurs passées, qui remplissent l’imagination de Balzac. […] On les attendait, on se les passait de main en main ; c’était une mode. […] Un jeune feuillant, frère André, avait publié un petit écrit « De la Conformité de l’éloquence de M. de Balzac avec celle des plus grands personnages du temps passé et du présent.  » Cet écrit était injuste. […] Il y procédait comme en toute espèce de changement, par le mépris et la destruction du passé, s’en remettant à la fortune du soin de remplacer ce qu’il détruisait. […] Il aima mieux le plaisir que les affaires, et la vogue d’un bel esprit que la considération d’un moraliste ; et il passa de mode comme ces galands de ruban d’Angleterre, qu’il offrait à Mlle de Rambouillet, avec ces billets d’envoi si musqués et si peu dignes d’un homme.

1565. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre dixième. »

Le petit théâtre de La Fontaine a été plus heureux que celui de ses deux amis ; rien n’en a passé de mode, rien n’en a péri. […] Il nous remet notre vie sous nos yeux, laissant la peine dans le passé, et nous réchauffant par les images du plaisir. […] Que ne lui passerait-on pas ? […] Toutes les générations qui ont passé sur le sol de la France ont parlé quelque chose de cette langue. […] La lecture en est facile, et la gaze y est toujours transparente, quand le poète ne s’en passe pas tout à fait.

1566. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quinzième. »

Mais on a passé toutes les bornes en doutant du cœur de Mme de Sévigné. […] Au reste, avec Mme de Sévigné il faut s’accoutumer à voir tout passer par l’esprit. […] On y voit même l’opposition ; mais ce qui en perce dans les confidences de Mme de Sévigné ressemble un peu à l’opposition qu’on faisait à Racine par amour pour Corneille : c’est le regret du passé, mêlé de je ne sais quel dépit d’avoir à admirer et à aimer ce qui le remplace. […] Tous deux se ressemblent encore par leurs regrets pour le passé. […] Ils regrettaient le passé, parce qu’ils s’y voyaient en idée plus considérés et plus puissants.

1567. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre VI. Premiers pas hors de Saint-Sulpice  (1882) »

Je m’ingéniais alors à inventer des moyens pour lui prouver que j’étais toujours le même « fils affable » que par le passé. […] Ce pauvre Flaubert ne put jamais comprendre ce que Sainte-Beuve raconte, dans son Port-Royal, de ces solitaires qui passaient leur vie dans la même maison en s’appelant monsieur jusqu’à la mort. […] J’ai passé un an à éteindre le style de la Vie de Jésus, pensant qu’un tel sujet ne pouvait être traité que de la manière la plus sobre et la plus simple. […] Dès qu’on se sent poussé par des gens qui veulent prendre les devants, le devoir est de se reculer, d’un air qui signifie : « Passez, monsieur. » Mais il est clair que celui qui tiendrait à cette prescription en omnibus, par exemple, serait victime de sa déférence ; je crois même qu’il manquerait aux règlements. […] J’ai de même fait passer ce que la médiocrité humaine regarde comme des hardiesses grâce à un style modéré et à des mœurs graves.

1568. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre III. Le théâtre est l’Église du diable » pp. 113-135

— Avant lui, Sénèque avait dit : « Point de milieu, il faut haïr ce qui se passe dans la comédie ou il faut l’imiter !  […] Pour le passer, ce Rubicon formidable, la jeune débutante supplie mademoiselle Mars, qui est sur l’autre côté de la rive, de lui tendre sa main puissante ; mademoiselle Mars a pitié de l’enfant, elle ne veut pas qu’elle soit noyée dans ce trajet difficile, et l’enfant passe. […] Voyez donc, mon ami, ce qui se passe dès le premier jour du début de cette enfant ! […] Voilà donc que, pour augmenter l’embarras de cette pauvre enfant, le même jour et pour ainsi dire à la même heure, et sans transition, vous la faites passer de L’École des femmes à L’Épreuve nouvelle, de l’Agnès qui se défend à l’Agnès qui attaque, des sentiments bourgeois aux sentiments raffinés, — de la chaise de paille à la chaise longue, du gros mot au mot à double sens, de l’ail au musc, de la bure à la soie ! […] Le roi avait dans cette pièce la comédie de la coulisse, cette comédie qui se passe derrière le rideau, et que Molière a découverte, comme il les a toutes découvertes.

1569. (1897) Un peintre écrivain : Fromentin pp. 1-37

S’il entre dans un salon, à peine a-t-il passé la porte, que déjà la couleur des objets, leur harmonie ou leurs contrastes, leur arrangement et la subtile personnalité qui s’en dégage se sont révélés à lui, il peut les redire et n’aura besoin, pour cela, d’aucun effort. […] Pour l’écrire, il est nécessaire qu’ils aient ce don de l’œil dont beaucoup d’écrivains anciens, et des plus grands, se sont passés, et il est vrai de dire que jamais, au cours de l’histoire, la littérature et la peinture n’ont été si voisines. […] Il eut cet autre bonheur encore, et celui-ci inestimable, de passer son enfance à la campagne. […] Quelques fantômes d’Arabes, dressés au coin des murailles, nous regardaient passer, sans un mot, sans un geste, comme s’ils étaient sculptés dans la pierre effritée. […] Dominique est une sorte d’autobiographie de Fromentin, et les scènes principales se passent dans les environs de La Rochelle.

1570. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XX » pp. 84-86

Le vertige de ces temps ne me gagna pas, leur fantasmagorie ne m’éblouit point, l’orageuse et brillante fée ne put me changer comme elle en a changé tant d’autres ; elle fit en vain passer devant mes yeux son iris aux cent couleurs… D'autres voyaient tout cela comme costumes et blasons, drapeaux, armes curieuses, coffres, armoires, faïences, que sais-je ?… et moi je ne vis que l’âme… » Je n’eus jamais un sentiment plus religieux de ma mission que dans ce cours de deux années ; jamais je ne compris mieux le sacerdoce, le pontificat de l’histoire ; je portais tout ce passé, comme j’aurais porté les cendres de mon père ou de mon fils… » Et tout cela pour dire qu’il ne méritait pas l’outrage ; non, mais il méritait le sourire.

1571. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre premier. De la stérilité d’esprit et de ses causes »

Car enfin on a passé par tant d’examens et de concours, on a étudié de si vastes programmes, qu’on doit savoir bien des choses ; et l’on ne se croit pas sot. […] Passer des heures les yeux collés sur le papier, comme pour en faire surgir des idées par une magique évocation, cela n’avance à rien, et c’est léthargie plutôt qu’activité d’esprit.

1572. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre premier. La question de fait et la question de goût » pp. 30-31

La question de fait et la question de goût Supposons que nous ayons dressé comme il convient, la liste des différentes périodes, qui sont comme les étapes de notre itinéraire à travers le passé. […] Bref, on peut énoncer un jugement, qui variera d’une époque, d’une contrée, d’une personne à une autre, qui ne pourra jamais être fixé, témoin les hauts et les bas par lesquels a passé toute réputation.

1573. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » pp. 163-165

d’Arnaud, des teintes un peu lugubres, & une abondance d’accessoires dont le génie sut toujours se passer. […] Nous sommes fâchés que cet Auteur ait eu recours, dans ses Romans, à un faste typographique dont ils peuvent assurément se passer.

1574. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Amédée Van Loo  » pp. 139-140

Les années passées, le Salon avait, s’il m’en souvient, un air sombre, terne et grisâtre. […] La couleur d’un morceau de peinture passe, et la réputation d’un grand peintre ne se transmet à la postérité que par les qualités que la gravure peut conserver ; et quelquefois la gravure ôte des défauts à un tableau et quelquefois aussi elle lui en donne.

1575. (1905) Propos de théâtre. Deuxième série

» Passons-lui le casque. […] Le Misanthrope ne peut pas se passer en 1630 ; Le Menteur ne peut pas se passer en 1670. […] Il se passe en 1626 (naturellement). […] Une génération a passé depuis. […] Cela passait sur le compte du vent.

1576. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome I

Il passe tout entier dans les phrases de son auteur préféré. […] Au même titre que les modernistes les plus dédaigneux du passé, ce chercheur de textes est un enfant du siècle. […] Il passera des examens. […] Les convenances ont passé par là. […] J’en suis saoul, qu’on me passe l’expression.

1577. (1866) Nouveaux essais de critique et d’histoire (2e éd.)

Ces laideurs et ces misères indiquent qu’ils ont vécu avant leur naissance et expient des fautes passées ». […] Ainsi à toutes les misères et à toutes les souillures présentes vous ajoutez la masse des misères et des souillures passées. […] Ont-ils passé pour de bons ministres ? […] « M*** est moins affaibli par l’âge que par la maladie ; car il ne passe pas soixante-huit ans. […] » J’en passe et de plus belles.

1578. (1884) Les problèmes de l’esthétique contemporaine pp. -257

Passons, avec les partisans de l’évolution, à l’analyse du plaisir esthétique proprement dit. […] Passons maintenant des objets au sujet sentant. […] Toute sensation, croyons-nous, passe ou peut passer par trois moments : dans le premier, l’être sentant constate en lui-même ce que nous appellerons avec M.  […] La science même ne peut se passer du génie. […] Renan, ont pu s’en passer.

1579. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « L’abbé Fléchier » pp. 383-416

L’invention m’en semble même selon l’art, et je n’y ai rien trouvé qui me donne scrupule, sinon que vous y introduisez la Renommée comme une divinité qui pénètre dans les choses futures, quoique sa fonction ne soit que de parler des événements présents ou passés. […] Dongois, rédigea à son retour à Paris, et par curiosité, un récit de ce qui s’était passé à Clermont. […] M. de Caumarlin s’était accoutumé à ce joyeux sel que répandait Marigny, et ne s’en passait pas volontiers. […] Notre vie s’écoule insensiblement, et il ne nous reste, de ce temps qui passe, que les moments qui nous seront comptés pour l’éternité. […] Cela lui en avait donné le goût et le ton, et, de l’un à l’autre, il passa sa vie avec tout ce qu’il y avait de meilleur en ce genre, il était lui-même d’excellente compagnie….

1580. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre II. Les bêtes »

On ne regarde pas de tels êtres, on se détourne quand ils passent ; tout au plus on en rit, et on en vit, comme des paysans leurs compagnons d’attelage ; mais on passe vite ; ce serait encanailler la pensée que de l’arrêter sur de pareils objets. — Au défaut des instincts nobiliaires les répugnances physiques suffisaient à l’en détourner. […] Cependant les canards passent devant la porte en dandinant leur gros ventre, l’air curieux et content ; ils vont le long des murs, comme innocemment, et tout d’un coup, retournant la tête, ramassent d’un coup de bec les mouches malencontreuses qui sont à portée. […] Nous passons, et nous emportons sans le savoir un sentiment délicat et triste. […] Quand on lui présente la tiare, il l’essaye en riant ; il fait autour « des grimaceries, tours de souplesse, singeries, passe dedans ainsi qu’en un cerceau. »120 Il n’est fait ni pour s’asseoir ni pour marcher, mais pour sauter et grimper. […] — Tu la troubles, reprit cette bête cruelle, Et je sais que de moi tu médis l’an passé.

1581. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXVe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 321-384

Et voilà comme nous abrégions les dimanches à nous réjouir dans nos deux enfants, et tous les pèlerins qui passaient en montant aux Camaldules s’arrêtaient pour respirer sous le châtaignier de la montagne et disaient : « Le ciel vous a bien bénis ! […] Elle ne savait pas lire ; elle pria l’étranger de mettre le papier timbré sur la huche, en lui disant que nous le ferions lire le lendemain par le frère camaldule qui passait deux fois par semaine pour porter les vivres au couvent. […] Est-ce que la farine de châtaignes, quand je l’ai bien passée au tamis, bien séchée, bien pétrie avec de la crème de chèvre et bien cuite en galettes dans la cendre entre deux feuilles de châtaignier, n’est pas aussi bonne que le pain ou la polenta (galette de maïs dont se nourrissent les paysans d’Italie) ? […] dit-il, la vigne est malade ; les passereaux eux-mêmes ne becquètent plus les grappes, tant elles sont âpres ; une lune a passé par là. […] que j’y ai passé de bons soirs à causer à l’ombre, avec vos braves pères, en buvant une goutte du bon jus de vos ceps et en bénissant san Francisco des dons de Dieu pour les cœurs simples ; mais à présent, continua-t-il, je ne repasserai jamais là sans maudire la perversité des méchants !

1582. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE IX »

ce n’est pas assez qu’elle oublie son passé, il faut qu’elle le liquide ; il faut qu’elle paye les dettes du déshonneur, et c’est au déshonneur seul qu’elle peut demander l’argent qui lui manque : cercle vicieux du vice, sans issue et sans évasion. […] Quelques mois se sont passés. […] On passe dans la bohème, on n’y demeure pas ; on y dresse une tente d’un jour ou d’une heure, on n’y bâtit pas sa maison. […] Aujourd’hui, l’ivresse a passé ; nous sommes charmés encore, mais nous sommes un peu dégrisés. […] Maximilien n’a qu’à venir maintenant, il sera bien reçu et, en effet, il est impossible de décourager, du premier mot et à tout jamais, un amoureux dont l’heure est passée, avec une plus altière et plus décisive insolence.

1583. (1830) Cours de philosophie positive : première et deuxième leçons « Première leçon »

Cette loi consiste en ce que chacune de nos conceptions principales, chaque branche de nos connaissances, passe successivement par trois états théoriques différents : l’état théologique, ou fictif ; l’état métaphysique, ou abstrait ; l’état scientifique, ou positif. […] Il est maintenant très facile de sentir que, pour passer de cette philosophie provisoire à la philosophie définitive, l’esprit humain a dû naturellement adopter, comme philosophie transitoire, les méthodes et les doctrines métaphysiques. […] On conçoit sans peine, en effet, que notre entendement, contraint à ne marcher que par degrés presque insensibles, ne pouvait passer brusquement, et sans intermédiaires, de la philosophie théologique à la philosophie positive. […] Il est impossible d’imaginer par quel autre procédé notre entendement aurait pu passer des considérations franchement surnaturelles aux considérations purement naturelles, du régime théologique au régime positif. […] J’en pourrais citer, dans le passé, un exemple éminemment mémorable, en considérant l’admirable conception de Descartes relative à la géométrie analytique.

1584. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Agrippa d’Aubigné. — II. (Fin.) » pp. 330-342

Un des plus beaux et des plus incontestables endroits de l’Histoire de d’Aubigné en sa dernière partie est la scène de Saint-Cloud et ce qui s’y passe aussitôt après la mort de Henri III (1589). […] Il a eu ces jours passés une bourrasque à cause du livre de F… (Le Baron de Fœneste), augmenté de nouveau, qui n’a pas été bien pris en ce lieu-ci, où les personnes pensent trois fois une chose avant que de la mettre en effet une. […] Elle lui sait gré avant tout d’être un peintre, et de ce don énergique et coloré de la parole par lequel elle est mise en vive communication avec le passé. […] Le duc de Mayenne, interrogé un jour par des amis de d’Aubigné sur la manière dont s’était passé le combat d’Arques et sur ce qui avait précipité la victoire ; après quelques essais d’explication, et se sentant trop pressé, finit par répondre : « Qu’il dise que c’est la vertu de la vieille phalange huguenote et de gens qui de père en fils sont apprivoisés à la mort. » D’Aubigné, qui prend au pied de la lettre la réponse du duc de Mayenne, s’est donné pour tâche dans son Histoire de raconter les exploits et de produire les preuves de cette vertu guerrière, d’en retracer l’âge héroïque dans ses diverses phases : c’est sa page à lui, c’est son coin dans le tableau de son siècle ; et il l’a traité avec assez d’impartialité en général, avec assez de justice rendue au parti contraire, pour qu’on lui accorde à lui-même tous les honneurs dus finalement à un champion de la minorité et à un courageux vaincu.

1585. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. »

Et pourtant je passe et ne parlerai pas de lui28. […] J’aimerais à les citer, et pourtant je passe. Je ne ferai que passer aussi devant vous, couple conjugal qui unissez vos deux voix31 ; qui, après avoir perdu un enfant, votre unique amour, l’avez pleuré dans un long sanglot, et qui, cette fois, inconsolés encore, mais dans un deuil apaisé, avez songé à lui en composant des chants gradués pour les divers âges, continuant ainsi en idée, d’une manière touchante, à vous occuper, dans la personne des autres, de celui qui n’a pas assez vécu pour vous. […] Mais le public, le grand public, même celui qui lit, ne s’en inquiète nullement, et les générations passent, se succèdent et s’effeuillent, sans presque qu’on s’en souvienne.

1586. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  premier article .  » pp. 326-341

D’honorables érudits protestaient sans doute çà et là par leur persévérance ; mais les plus brillants d’entre les littérateurs du jour se passaient aisément d’un fonds que deux siècles déjà d’une gloire toute moderne semblaient recouvrir et suppléer. […] On ne passait guère la Sicile, on ne doublait pas le Péloponèse. […] On trouverait à ce fait incontestable bien des causes ; mais une des principales est assurément dans la manière dont on s’est accoutumé, durant la marche rapide, à se passer presque absolument des horizons de l’antiquité et de ces temples harmonieux qui en couronnent à jamais le fond. […] Avec ce procédé pourtant de poésie populaire et d’imagination nationale, passe-t-on jamais de beaucoup en étendue et en portée la romance ou la chansonnette ?

1587. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre III. Retour à l’art antique »

Cela est sensible, quand on passe de Rousseau à Bernardin de Saint-Pierre : Julie et Saint-Preux n’ont que la grâce française, l’expression des physionomies ; Paul et Virginie ont la noblesse antique, la pureté des lignes ; les premiers font un couple qui intéresse nos âmes, les autres un groupe qui séduit nos yeux. Que s’est-il donc passé ? […] Le succès fut considérable, mais l’heure était passée où Chénier pouvait exercer une influence par ses propres et réelles qualités. […] L’homme, en effet, ne change pas quand on passe des Elégies aux Églogues : mais ici l’épicurien mondain du xviiie  siècle enveloppe sa conception matérialiste de la vie des sensations fines d’un artiste grec : il traduit en païen son amour de la nature, de la jeunesse, de la vie riante et facile, des beaux corps gracieux et fermes.

1588. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VII. Maurice Barrès et Paul Adam » pp. 72-89

Cela, c’est passé, parce que c’est acquis. […] Il se pourrait qu’on soit suspect d’ironie dès qu’on parle sur un ton simple de choses subversives, encore dès qu’on exprime sans circonlocution un sentiment inaccoutumé, ou qu’on assigne des épithètes imprévues mais sincères à des substantifs familiers. — Soit cette phrase de Barrès : « Je passe sur diverses insolences des magistrats au prévenu. […] On est beaucoup à s’éveiller chaque matin avec une admirable idée de roman, mais la journée se passe avant qu’une ligne en soit écrite, et le lendemain on s’aperçoit que le sujet a été traité, pour ne pas s’humilier on dit : gâché, par Maizeroy, par Théophile Gautier ou par Homère, et on a tort de s’en apercevoir et raison tout ensemble, parce que l’idée s’est fanée du jour au lendemain, faute qu’on ait songé à la planter au papier, à l’arroser d’encre vivifiante : la veille, oui, c’était original, le lendemain, oui, c’est banal. […] La sociologie est une science de passé, en tant que revue historique des formes sociales, une science de présent, en tant qu’examen des états sociaux actuels.

1589. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « De la question des théâtres et du Théâtre-Français en particulier. » pp. 35-48

« Voilà mon histoire de la Révolution qui passe », disait un historien, en voyant de sa fenêtre défiler une de ces parodies révolutionnaires. Un autre aurait pu dire également : « Voilà mon drame qui passe. » Une chose entre autres qui m’a frappé dans ces événements si étonnants, et dont je ne prétends point d’ailleurs diminuer la portée, c’est, à travers tout, un caractère d’imitation, et d’imitation littéraire. […] Au xviiie  siècle, il se fit un grand changement et une révolution dans la manière de voir et de juger ; on se passa volontiers de la Cour en matière d’esprit. […] Ce qui se passerait dans un bureau du ministère de l’Intérieur serait de nature si nette et si franche qu’à toute heure, à la première interpellation, il en pourrait être rendu bon compte au public du haut de la tribune, aux applaudissements des honnêtes gens.

1590. (1901) La poésie et l’empirisme (L’Ermitage) pp. 245-260

À quoi, passé l’époque racinienne, correspondait la pureté dépouillée de l’alexandrin ? […] Groupement si l’on veut, mais groupement d’individualités conscientes qui s’élevèrent non point au nom d’une esthétique spéciale, d’un art à eux, sans passé et sans lendemain, mais au nom de l’art créateur et de l’art humain, au nom de l’art total, et contre le formisme et contre l’empirisme. […] Si le poète se peut passer de tout, tout cependant appartient au poète. […] Les années passent, la crise s’accentue.

1591. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre V. Les esprits et les masses »

La vie des peuples, comme la vie des individus, a ses minutes d’abaissement ; ces minutes passent, certes, mais il ne faut point que la trace en reste. […] Les chefs-d’œuvre recommandés par le manuel au baccalauréat, les compliments en vers et en prose, les tragédies plafonnant au-dessus de la tête d’un roi quelconque, l’inspiration en habit de cérémonie, les perruques-soleils faisant loi en poésie, les Arts poétiques qui oublient La Fontaine et pour qui Molière est un peut-être, les Planât châtrant les Corneille, les langues bégueules, la pensée entre quatre murs, bornée par Quintilien, Longin, Boileau et La Harpe ; tout cela, quoique l’enseignement officiel et public en soit saturé et rempli, tout cela est du passé. […] Tout à coup le sublime passe, et la sombre électricité de l’abîme soulève subitement tout ce tas de cœurs et d’entrailles, la transfiguration de l’enthousiasme opère, et maintenant, l’ennemi est-il aux portes, la patrie est-elle en danger ? […] Remuement de feuilles, une haleine mystérieuse passe, la foule tressaille sous l’insufflation sacrée des profondeurs.

1592. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre cinquième. La Bible et Homère. — Chapitre IV. Suite du parallèle de la Bible et d’Homère. — Exemples. »

» Un esprit passa devant ma face, et le poil de ma chair se hérissa d’horreur. […] On croit voir cette ville, jadis si commerçante et si peuplée, debout encore avec ses tours et ses édifices, tandis qu’aucun être vivant ne se promène dans ses rues solitaires, ou ne passe sous ses portes désertes. […] Supposez que tout se passe dans l’histoire de Joseph comme il est marqué dans la Genèse ; admettez que le fils de Jacob soit aussi bon, aussi sensible qu’il l’est, mais qu’il soit philosophe ; et qu’ainsi, au lieu de dire, je suis ici par la volonté du Seigneur, il dise, la fortune m’a été favorable, les objets diminuent, le cercle se rétrécit, et le pathétique s’en va avec les larmes. […] Semblable à un fleuve dont les eaux sont si basses en certains endroits, qu’un agneau pourrait y passer, et en d’autres, si profondes, qu’un éléphant y nagerait. » 100.

1593. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Police générale d’une Université et police, particulière d’un collège. » pp. 521-532

Au sortir des études, les élèves passeront sous un nouvel ordre de maîtres que nous appelons ici maîtres de quartier ou répétiteurs. […] Passé quinze ans, chaque étudiant a sa petite cellule particulière. […] A quatre heures et demie, ils passeront tous au troisième cours d’études, à la classe de dessin, où ils resteront jusqu’à cinq heures et un quart. […] Les élèves passeront d’une classe à une autre, mais chaque maître restera dans la sienne.

1594. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Beaufort » pp. 308-316

Le Christ est assez bien dessiné, le tableau pas mal composé ; mais la couleur en est sale et grise ; mais cela est monotone, vieux, passé, sans effet ; mais cela ressemble à une croûte qui s’est enfumée dans l’arrière-boutique du brocanteur ; mais cela est à demi-effacé, et le peintre a eu tort de s’arrêter à moitié chemin. […] La scène se passe sur le devant d’un grand paysage. […] Au loin, à gauche sur le fond, par derrière le faune qui écoute Apollon, un voyageur qui passe et qui se soucie apparemment peu de musique. […] Il est difficile, pour ne pas dire impossible, de se passer de masses ; sans masses point d’effet.

1595. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre IV : Règles relatives à la constitution des types sociaux »

Il est inexact, en effet, que la science ne puisse instituer de lois qu’après avoir passé en revue tous les faits qu’elles expriment, ni former de genres qu’après avoir décrit, dans leur intégralité, les individus qu’ils comprennent, La vraie méthode expérimentale tend plutôt à substituer aux faits vulgaires, qui ne sont démonstratifs qu’à condition d’être très nombreux et qui, par suite, ne permettent que des conclusions toujours suspectes, des faits décisifs ou cruciaux, comme disait Bacon50, qui, par eux-mêmes et indépendamment de leur nombre, ont une valeur et un intérêt scientifiques. […] Mais elle perd cet avantage si ces types n’ont été constitués qu’après que tous les individus ont été passés en revue et analysés tout entiers. […] La France, depuis ses origines, a passé par des formes de civilisation très différentes ; elle a commencé par être agricole, pour passer ensuite à l’industrie des métiers et au petit commerce, puis à la manufacture et enfin à la grande industrie.

1596. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VI. M. Roselly de Lorgues. Histoire de Christophe Colomb » pp. 140-156

Roselly de Lorgues a passé gratuitement condamnation sur les jugements qu’on a fait subir à son héros. […] Sans la rédemption, le Saint-Sépulcre, le prosélytisme de la foi et de l’amour qui brûlait dans ce vieux pilote, ayant passé déjà quarante ans de vie à la mer, et qui n’en portait pas moins le cordon de saint François autour des reins et vivait, à bord, de la contemplation séraphique autant que de la contemplation de la nature, sans le catholicisme enfin et sa grâce divine, Christophe Colomb n’aurait été qu’un rêveur de plus, parmi les marins qui rêvaient, car à son époque le vent des découvertes soufflait sur tous les fronts et agitait tous les esprits. […] Avec une sagacité singulière et une puissance de rapprochement qui n’oublie rien et centralise tout, il est allé chercher jusque dans le nom de Christophe Colomb (Christum ferens) et la légende du géant saint Christophe, qui passe le Christ sur ses épaules, à travers les eaux, des analogies prophétiques, comme la tradition catholique a toujours permis à l’écrivain d’en dégager… Par-là, il a complété le profond mysticisme de son œuvre. […] Roselly de Lorgues nous raconte que dans son premier voyage Colomb trouva devant lui une vaste mer d’herbes, mais il passa, et quand il revint, il ne la retrouva plus.

1597. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VIII. M. de Chalambert. Histoire de la Ligue sous le règne de Henri III et de Henri IV, ou Quinze ans de l’histoire de France » pp. 195-211

Voltaire seul, venu beaucoup plus tard, a eu l’effroyable privilège de fixer l’erreur là où, sans lui, elle aurait passé. […] Dès lors, toute attaque dirigée contre la religion catholique apportait dans les conditions d’existence de la société française une perturbation que le gouvernement ou la société si le gouvernement passait à l’ennemi, comme, par exemple, dans le cas de la royauté protestante d’Henri IV, avait le droit et le devoir de réprimer comme un attentat… » Très certainement, rien n’est plus vrai et d’une vérité plus élémentaire, mais rien aussi n’est d’une vérité plus impuissante sur la masse des esprits, qu’une telle affirmation, et cela en raison de sa clarté et de sa simplicité même. […] Ainsi, par exemple, Henri IV passe encore, malgré tous les faits, dans la chronique de M. de Chalambert, avec cette magie que l’histoire, quand elle sera impartiale, saura bien lui ôter. […] Même son amour des femmes, qu’il a transmis, comme sa politique, à sa descendance si riche en bâtardises, son amour des femmes, cette gracieuse faiblesse que les femmes, qui travaillent à la gloire en France, ont la bonté de pardonner, a quelque chose d’égoïste, de superficiel et de grossier, qui devrait choquer davantage leurs instincts délicats et fiers ; mais on passe tout à ce gendarme !

1598. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Fustel de Coulanges » pp. 15-32

Et elle y alla d’une sympathie si naturelle, que ceux-là mêmes qui, les premiers, dans la Gaule encore gauloise, s’allièrent aux Romains, ne furent jamais dans le sentiment gaulois des traîtres à la patrie, des hommes qui passaient à l’ennemi. Et ils n’y passaient point, en effet. Ils passaient de l’anarchie, qui tue les peuples, à l’organisation, qui les fait vivre. […] La Démocratie de ces derniers temps, plus anarchique encore que les tribus germaines, nous menace de ses invasions, et il ne s’agit plus pour elle de nous passer sur le ventre, mais de nous arracher du ventre tout ce qui nous reste de romain.

1599. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VIII. Du mysticisme et de Saint-Martin »

Caro passe rapidement auprès de ce fait qu’il mentionne, mais qu’il ne creuse pas. […] L’auteur, dont nous pressentons les opinions à certains accents qui passent à travers les surveillances de sa pensée, l’auteur nie à Saint-Martin et au mysticisme la vérité philosophique et religieuse, — ces deux vérités qui pour nous n’en font qu’une, mais que les rationalistes croient très habiles de séparer ; — et il a raison, s’il ne s’agit ici que de Saint-Martin, « le philosophe inconnu du xviiie  siècle », et du mysticisme hors l’orthodoxie, du mysticisme de l’hérésie ou de l’erreur. […] Il n’a point laissé de trace et de ciment parmi eux, comme Swedenborg, cet autre mystique qui passa aussi sa vie dans la contemplation et dans l’obscurité, mais dont le système plus hardi et plus exprimé a jeté un éclat qui rappelle les aurores boréales de son pays. […] Caro nous montre Saint-Martin, abrité contre la révolution française dans le désert intérieur de sa spiritualité, et, quand la tempête est passée, plus tard, en 1795, il suit avec un intérêt mêlé d’éloge le solitaire devenu homme public, répondant sur la question de l’enseignement, agitée alors officiellement par le Pouvoir, aux attaques cauteleuses de Garat, le rhétoricien de la sensation.

1600. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Léon Gozlan » pp. 213-230

V Car Gozlan, cet artiste raffiné, a plus d’esprit que d’art encore, et c’est par l’esprit qu’il vivra encore plus que par l’art du détail, dans lequel il est passé maître. […] C’est par là que madame Sand, par exemple, cette fille naturelle de Rousseau, passera comme Rousseau, — le Rousseau de La Nouvelle Héloïse ; car le Rousseau du Contrat social subsiste, hélas ! […] C’est pour cela qu’Alexandre Dumas, le divertisseur des gens superficiels, est déjà à moitié passé, pendant que Léon Gozlan, l’artiste solitaire apprécié seulement durant sa vie des connaisseurs, qui sont des solitaires aussi, vivra plus longtemps que ces deux gloires bouffies, qui s’aplatiront demain comme des éléphants de baudruche sur lesquels on aura marché, par la seule raison que Gozlan mit dans ses livres cette toute petite chose qu’avait Voltaire, qu’avait Beaumarchais, qu’avait le prince de Ligne, et qui nous fait trouver une volupté si particulière jusque dans une anecdote de trois lignes contée par Chamfort ou un mot lancé par Rivarol ! […] Esprit individuel toujours, et, je le veux bien, de la plus distinguée et de la plus nerveuse individualité, mais qui ne suffisait pas dans l’espèce, et qui n’a pas non plus suffi absolument, puisque Balzac et même Stendhal, qui furent, eux, plus qu’individuels, doivent, dans le défilé du xixe  siècle, marcher et passer avant lui !

1601. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « L’Abbé Prévost et Alexandre Dumas fils » pp. 287-303

Manon Lescaut est tout simplement l’expression du matérialisme du xviiie  siècle rejoignant et embrassant au bout d’un quart de siècle, le matérialisme du xixe , qui avale le livre et le trouve bon… Trop près de la Révolution française et venant d’un homme trop médiocre pour qu’on fît beaucoup d’attention à son roman, il fut publié quand le sang allait tout à l’heure passer par flots sur cette société, fondue en boue, et qui avait été les chiffons du xviiie  siècle. […] qu’on passe par-dessus les détails les plus incroyables et toutes les impossibilités. […] Quand Desgrieux tire sa maîtresse de l’hôpital, il la déguise et lui donne sa propre culotte, et il s’en passe, lui ! Il s’en passe sans inconvénient.

1602. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Marie Desylles » pp. 323-339

J’ai vu passer dans la pénombre ce spectre du bas-bleu qui me fait tant d’horreur. […] D’organisation et d’habitude, elle a peut-être gardé d’un passé qu’on ignore je ne sais quelle pente vers les choses qui préoccupent et dominent la pensée et l’imagination de son temps ; peut-être même que sans l’amour, avec toutes les notions fausses qui circulent présentement autour de nos têtes, dans ce misérable siècle égaré, elle aurait incliné, elle aussi, vers le bas-bleuisme universel. […] Elles ne se ressemblent que par l’accent du même sentiment, que par ce qui n’est pas dans les mots, mais dans le souffle, et, qu’on me passe cette expression ! […] Ce ne fut plus que l’intimité, — l’intimité plus forte que tout encore, l’intimité fatale, déchirée, déchirante, dont on ne peut plus se passer quand on a goûté à son philtre… Les lettres de Réa, de brûlantes, deviennent touchantes, tristement amères, courageusement maternelles, et le recueil finit avant que la généreuse créature blessée ait cessé d’admirer l’homme qui ne la méritait pas, et jusqu’à la fin elle s’obstine à la fidélité de l’enthousiasme dans l’amour !

1603. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre X. Des Romains ; de leurs éloges, du temps de la république ; de Cicéron. »

Pauvres et austères, leur genre de vie leur interdisait cette foule de sensations variées et délicates, qui, en frappant légèrement les sens, passent dans l’âme, et de là dans les langues qu’elles enrichissent. […] Sur deux ou trois cents orateurs qui en divers temps parlèrent à Rome, à peine y en eut-il un ou deux par siècle qui pût passer pour éloquent ; peu même eurent le mérite de parler avec pureté leur langue. […] Ce paysan d’Arpinum, qui parvint sept fois à la première place du monde, n’était pas sans doute un modèle de vertus pour Cicéron ; mais un Romain devait louer en lui les talents et les victoires, et un républicain pouvait louer ce caractère altier qui osa braver tous les grands de Rome, qui leur reprochait avec audace leur corruption et leur mollesse, qui se vantait de son obscurité, comme les grands se vantaient de leurs aïeux ; qui, dans un siècle poli, consentait à passer pour ignorant, et avouait qu’il n’avait appris qu’à combattre et à vaincre ; qui opposait ses triomphes en Afrique, et les quatre cent mille Teutons ou Cimbres qu’il avait exterminés en Italie ou dans les Gaules, aux tables, aux cuisiniers et au faste des patriciens dans Rome ; il faut observer d’ailleurs que cet éloge fut composé avant les guerres civiles de Marius, et Cicéron était alors dans l’âge où l’énergie du caractère est ce qui frappe le plus, et où l’on mesure les hommes plus par les grands effets, que par les grands motifs. […] Il avait composé des mémoires grecs sur son consulat, qui peuvent passer pour un éloge historique ; et de plus, il s’était célébré lui-même dans un poème latin en trois chants, et qui n’est pas non plus parvenu jusqu’à nous.

1604. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. RODOLPHE TÖPFFER » pp. 211-255

Tout au travers passe et repasse plus d’une fois, avec complaisance et non-chaloir, un certain âne qui sert à l’auteur de démonstration familière à ses théories, et cela le mène à venger finalement l’honnête animal, son ami, calomnié par cet autre ami La Fontaine. […] Dans la Suisse allemande, cela s’est passé un peu autrement, je pense. […] Il oublie l’heure ; les portes de la ville se ferment, et il est obligé de passer la nuit entière en proie aux terreurs. […] Presque surpris une seconde fois par le chantre soupçonneux qui rôde, il n’a que le temps de se réfugier dans l’église ; il s’y laisse enfermer, y passe la nuit, et, accablé de fatigue et d’émotions, s’y endort profondément. […] Cela, me disais-je, ne peut se passer se maintenir de la sorte que dans un ordre de société où cette rapidité dévorante ou futile, cette banalité qu’on appelle la mode ou la gloire, n’a pas flétri et usé les vertus.

1605. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre VI. Bossuet et Bourdaloue »

Ce n’est pas qu’il n’y ait encore parfois de la boursouflure et du pédantisme dans les plaidoyers de Patru : mais, en général, il sait se passer d’éloquence ; on lit encore avec intérêt certains de ses discours qui nous mettent bien au courant des affaires. […] Bossuet avait préparé une condamnation de la morale relâchée des Casuistes, que la brusque séparation de l’assemblée de 1682 ne laissa pas le temps de voter, mais qu’il reprit et fit passer dans l’assemblée de 1700. […] La meilleure substance de l’antiquité gréco-romaine a passé dans son esprit ; il découvre dans la Bible ou l’Évangile les pensées d’Aristote ou de Platon ; il emploie Lucrèce à commenter la Genèse. […] Dans les controverses, dans les expositions de faits, dans les discussions critiques, il a une brièveté, une rapidité, une négligence même, qui répondent bien peu à la définition banale de son style, qui passe pour uniformément sublime et pompeux. […] Tout Bossuet passe dans son style, et de là vient, comme nous le verrons, que l’orateur se double sans cesse d’un poète.

1606. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre III. La poésie romantique »

Un incurable optimisme emplit ce poème : tout passe, et nous passons ; nous souffrons, nous saignons ; et la nature est impassible. […] La nature n’a pas besoin d’amour ; elle est insensible : ce qui passe et ce qui pleure a besoin d’amour. […] L’homme appartient à la douleur : toute poursuite du bonheur se termine en douleur ; et le remède à la douleur, c’est l’anéantissement, celui tout au moins de notre être passé par l’oubli. Mieux vaut le souvenir, qui seul est à nous et dure avec nous : le bonheur fuit, et le souvenir du bonheur reste ; le malheur passe, et le souvenir du malheur persiste, intimement doux, et plus doux que le souvenir même du bonheur. […] Hugo, Pensar, dudar ; Sagesse ; Ce qui se passait aux Feuillantines.

1607. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Edmond et Jules de Goncourt »

Cette prédilection paraîtra même une originalité suffisante, si l’on considère que l’Art vit plus volontiers de choses éternelles ou de choses déjà passées, qu’il a souvent ignoré ce qui, à travers les âges, a successivement été « le moderne », ou que, s’il l’a connu quelquefois, il ne l’a jamais aimé avec cette passion jalouse. […] Madame Bovary offrait déjà quelques tableaux qui semblaient peints un peu pour eux-mêmes et qui pouvaient presque passer pour des digressions ; mais leur lien avec l’action restait toujours visible. […] voilà ce que je trouve (et j’en passe), rien que dans la première moitié de Manette Salomon. […] Encore y a-t-il plusieurs de ces fenêtres où l’homme que nous attendions ne passe point. […] Une légèreté vaporeuse, le sommeil sacré de la paix nocturne des arbres, ce qui dort de blanc, ce qui semble passer de la robe d’une ombre sous la lune, entre les branches, un peu de cette âme antique qu’a un bois de Corot, faisaient songer devant cela à des Champs Élysées d’âmes d’enfants.

1608. (1890) L’avenir de la science « X » pp. 225-238

Comment l’homme aurait-il légué le souvenir d’un âge où il se possédait à peine lui-même et où, n’ayant pas de passé, il ne pouvait songer à l’avenir ? […] À n’envisager que le passé de l’humanité, la religion, par exemple, semblerait essentielle à la nature humaine ; et, pourtant, la religion dans les formes anciennes est destinée à disparaître. […] Parmi les œuvres de Voltaire, celles-là sont bien oubliées où il a copié les formes du passé. […] C’est comme une scène de théâtre, qui se passe sur une place publique, et où l’on ne voit que deux ou trois personnes. […] Il ne faut pas chercher d’autre sens à tant d’études dont le passé est l’objet.

1609. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Introduction. Le problème des idées-forces comme fondamental en psychologie. »

Le mouvement est déjà là quand la sensation et la pensée se produisent, et ce mouvement ne peut cesser ; il passe donc nécessairement d’une cellule à l’autre. […] — nous devons passer à un autre aspect du même problème : — Par quel mode d’action se manifeste le sujet conscient ? […] L’être n’est plus seulement absorbé dans le présent et poussé par le passé : il fait l’avenir même sans le concevoir, par le besoin qu’il a de tel état qui n’est pas encore, par un certain nisus a fronte, non plus a tergo. […] Pourquoi d’ailleurs la perception d’un trouble, qui est, objectivement, un phénomène régulier et normal de la nature, nous causerait-elle de la peine en nous instruisant de ce qui se passe dans la réalité objective ? […] De là nous passerons à l’étude de la volonté proprement dite, comme constituant ce sujet qui s’érige à la fois en fin et en cause au sein du déterminisme universel.

1610. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre quatrième. Les émotions proprement dites. L’appétit comme origine des émotions et de leurs signes expressifs. »

Passons donc à ce second ordre d’explications, pour en marquer l’étendue et les limites. […] Maintenant, passons à l’expression immédiate de la peine. […] Si nous pouvions voir ce qui se passe dans l’organisme quand s’éteint la lumière cérébrale, nous y retrouverions sans doute des foyers inférieurs de sensibilité qui jettent encore leur lueur dans ces ténèbres. […] Quand votre voix est tremblante d’émotion, votre corps tout entier tremble en ses moindres cellules, comme le vent qui passe sur la forêt fait frissonner toutes les feuilles des arbres. […] Le même fait se passe dans votre organisme : la crainte, par exemple, s’y communique par un tressaillement qui, parti du cerveau, agite bientôt la masse entière et lui imprime un mouvement général de concentration : la terreur est la panique interne des cellules vivantes.

1611. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XIV : Récapitulation et conclusion »

Conséquemment, quelque éloignées et isolées les unes des autres que soient les parties du monde où on les trouve aujourd’hui, il faut que, dans le cours des générations successives, elles aient passé de l’un de ces points à tous les autres. […] Mais, d’après cette doctrine de l’extermination d’un nombre infini de chaînons généalogiques entre les habitants actuels et passés du monde, extermination renouvelée à chaque période successive entre des espèces aujourd’hui éteintes et des formes encore plus anciennes, pourquoi chaque formation géologique ne présente-t-elle pas la série complète de ces formes de passage ? […] J’ai déjà récapitulé, aussi clairement que je l’ai pu, les difficultés et les objections qu’on m’oppose ; maintenant passons aux faits et aux arguments qui me sont favorables. […] À mon avis, ce que nous connaissons des lois imposées à la matière par le Créateur s’accorde mieux avec la formation et l’extinction des êtres présents et passés par des causes secondes, semblables à celles qui déterminent la naissance et la mort des individus. […] IV), du moins jamais le vertébré ne passe par les formes des autres types zoologiques.

1612. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre III. Le comique de caractère »

S’il est permis de comparer aux petites choses les grandes, nous rappellerons ici ce qui se passe à l’entrée de nos Écoles. […] Ces routes sont celles où l’humanité entière a passé avant moi. […] On pourra l’imiter, mais on passera alors, consciemment ou non, du tragique au comique. […] Est-ce à dire que le poète ait éprouvé ce qu’il décrit, qu’il ait passé par les situations de ses personnages et vécu leur vie intérieure ? […] cela fait toujours passer une heure ou deux.

1613. (1930) Les livres du Temps. Troisième série pp. 1-288

Bremond croit-il qu’il y passe un fluide mystique. […] Nous passons à Louise Colet. […] Je dois avouer que pour moi cette qualité-là passe avant tout. […] Passons au roman. […] Mais le bétail y passe la nuit pêle-mêle avec les gens.

1614. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXXIV » pp. 141-143

Il passe d’un épisode à l’autre. […] La scène se passe aux États-Unis et au Canada, au commencement de la guerre de l’Indépendance.

1615. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 69-73

COUTEL, [Antoine] né à Paris en 1622, mort à Blois, où il avoit passé la plus grande partie de sa vie ; Poëte oublié, dont le Recueil de Poésies a pour titre : Promenades de Messire Antoine Coutel. […] Ils nous livrent sans cesse à des soins criminels ; Par eux, plus d’un remords nous afflige & nous ronge ; Nous voulons les garder & les rendre éternels, Sans penser qu’eux & nous passeront comme un songe.

1616. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre IX. Du vague des passions. »

Elles ont dans leur existence un certain abandon qu’elles font passer dans la nôtre ; elles rendent notre caractère d’homme moins décidé ; et nos passions, amollies par le mélange des leurs, prennent à la fois quelque chose d’incertain et de tendre. […] Le chrétien se regarde toujours comme un voyageur qui passe ici-bas dans une vallée de larmes, et qui ne se repose qu’au tombeau.

1617. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XIII. Des Livres de Médecine, de Botanique, de Chymie, d’Anatomie, de Chirurgie, &c. » pp. 325-328

Tissot mérite le premier rang parmi les auteurs, qui ont écrit non pour les Médecins de profession, mais pour ceux qui sont éloignés d’eux, ou qui cherchent à s’en passer. […] Avec un tel livre corrigé d’un très-grand nombre de fautes dont il est chargé, on pourroit se passer de tous les autres.

1618. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — II. Le fils des bâri »

Elle, le caporal, Nâna et trois autres vieilles ayant passé l’âge d’avoir des enfants sont partis vers 6 heures du soir au moment où la nuit tombe. […] Quand à Ali Bangoura, il s’était éloigné de dix pas, attendant pour voir ce qui allait se passer… La vieille se dirigea vers le fromager pour s’y cacher avec les autres femmes.

1619. (1894) Dégénérescence. Fin de siècle, le mysticisme. L’égotisme, le réalisme, le vingtième siècle

Il ne peut simplement passer devant une pacotille, sans ressentir le besoin de l’acquérir. […] Elles n’indiquent pas du geste l’avenir, mais étendent la main vers le passé. […] Il se passe donc ici exactement le contraire de ce que l’on observe chez le mystique ordinaire. […] Elle dit un mot de la mère de Dieu, tandis que les peignes passaient dans ses cheveux. […] Du bleu turquoise au bleu indigo, l’on passe des pudiques influences aux ravages finals ».

1620. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Madame de Verdelin  »

Passons vite. […] On était passé déjà du domaine de l’intelligence pure à celui de la mode. […] Quiret de Margency, ainsi appelé parce qu’il possédait le château de ce nom, ayant titre et qualité gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, était un ami de Rousseau ; il avait été du monde de d’Holbach et des philosophes, et en était sorti ; on voit que, vers la fin, il avait même passé à une dévotion extrême. […] À partir de ce voyage de Jean-Jacques en Angleterre et depuis son retour en France, la Correspondance que Mme de Verdelin essaye de soutenir décline et perd en intérêt : la confiance entière n’existe plus ; cette aimable et douce amie est enveloppée par lui dans le sombre voile qui lui dérobe une partie du présent et presque tout le passé. […] Ce serait même un problème assez délicat dans une Étude sur Rousseau, et malgré tout ce qu’on sait de ses méfiances, que de s’expliquer comment d’une liaison si douce, si éprouvée et si soutenue, à n’en juger que par ses lettres, il a pu passer et aboutir, sur le compte de cette aimable dame, à la page légèrement dénigrante et tout à fait désobligeante des Confessions.

1621. (1929) Dialogues critiques

L’homme de lettres est celui pour qui la littérature passe avant tout. […] Les indépendants ne passeraient plus que pour de bizarres hérétiques à éviter. […] Car pour lui, tout ne se passera pas en paroles. […] Sans Flaubert, Louise Colet aurait-elle eu la chance de passer à la postérité ? […] Paul Les chiens aboient, la caravane passe.

1622. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre » pp. 393-472

Je vous disais donc que je l’avais connu homme, et que je l’avais vu avec le temps passer prophète. […] Il avait passé sa jeunesse dans les camps ; il passait son âge mûr dans sa douce retraite, qui servait de halte et d’asile à tous les parents, et là il savourait l’amour d’une cousine adorée et adorable qu’il avait épousée tard et qu’il possédait avec délices, comme les bonheurs longtemps suspendus. […] L’homme délicat et sensible qui a écrit ce livre du Lépreux passe pour le second dans sa famille ! […] La Révolution avait une mission qu’elle ignorait elle-même ; mais cette mission n’était pas tant de renverser le passé que de courir vers un avenir nouveau de la pensée et des choses. […] Il signa et chercha à passer la plume à la main du comte de Maistre.

1623. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (3e partie) et Adolphe Dumas » pp. 65-144

— Oui, sans doute, répondit Christopoulos, et une fois par hasard, à la vue du présent, je suis disposé à regretter notre rustique passé. […] Si mon petit chien voit passer un régiment dans la rue, il me suit sans y faire attention ; mais s’il aperçoit de loin un groupe d’enfants sur le trottoir, il se jette à toute course de l’autre côté de la rue, il se range et il évite les ennemis naturels de tout ce qui est bon et faible, et il va m’attendre bien loin au-delà du danger. […] On redevient enfant, dit-on, quand on est père, On passerait sa vie à faire sa prière         À genoux devant un berceau. […] L’an passé encore, en allant de son lit à sa table de travail, il était tombé et s’était brisé l’autre jambe. […] Singulier jeu de la Providence, qui ramène à la fin de sa vie le poète, ami de la nature, dans l’humble chaumière où il a passé ses premières années, et devant ce grand spectacle de l’Océan, pour chanter ou gémir sous sa fenêtre les grands adieux à la terre de l’homme !

1624. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VIII »

Deux tiers de la seconde année ont été passés à Venise, le troisième à Lucerne. […] Il quitta les Nibelungen pour se jeter dans Tristan et Yseult (Schuré II, 143). » Il est important, et pour la connaissance de l’œuvre, et pour la connaissance de son auteur, de savoir que les choses ne se passèrent point ainsi. […] On relira avec intérêt les pages (IX, 92 et 93) dans lesquelles Wagner nous parle des nuits passées sur son balcon à Venise. […] C’est un exemple d’un autre genre de précision ; la musique se tait, et la phrase, réduite strictement à des mots qui chacun exprime une idée précise, nous donne en quatre lignes le drame entier qui se passe dans le cœur d’Isolde. […] Wagner a dit lui-même, à propos du second acte : « Il ne se passe ici presque rien que de la musique » (IX, 365).

1625. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIe entretien. Boileau » pp. 241-326

Mais le vent finit par passer, malgré les hommes, et par porter la fécondité dans les deux partis. […] Chez ton neveu Dongois je passai mon enfance, Bon bourgeois, qui se crut un homme d’importance. […] — Mais j’ai des biens en foule et je puis m’en passer ! […] Guarda e passa  ! Regarde et passe, est le seul mot à dire en passant ainsi en revue toutes les médiocrités et tous les engouements d’un siècle.

1626. (1767) Salon de 1767 « Peintures — La Grenée » pp. 90-121

La scène se passe au devant d’un paisage. […] Le bras gauche de Jupiter est passé sur les reins de sa femme, et son bras droit est porté sur des nuées vraiment assez solides pour le soutenir. […] La scène se passe sur deux barques, aux environs du phare d’Alexandrie. […] Le Dauphin a passé toute sa vie derrière un rideau, et un rideau bien épais ; c’est Thomas qui l’a dit en prose. […] L’imagination passe rapidement d’image en image ; son œil embrasse tout à la fois.

1627. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — I. » pp. 195-212

Les siècles passés donnèrent le nom de Sage au roi Charles cinquième pour ce qu’il combattait heureusement les Anglais dans son cabinet : de quel titre donc devons-nous vous honorer, vous qui avez si généreusement vaincu l’Espagnol dans votre lit ? […] Avoir vu un grand homme régnant ou administrant, rien n’est tel pour l’historien que ce genre de démonstration vivante, même lorsque ensuite on passerait aux idées d’indépendance et de liberté. […] À ce sujet, il parle de ses devanciers, et, sans les trop écraser, il les relègue assez légèrement dans le passé ; il s’empresse pourtant de proclamer que, quoi qu’on puisse tenter de nouveau et quel que soit le nombre et l’émulation des historiens présents et futurs, il y a fort à faire pour atteindre la grandeur et l’immensité d’un tel sujet : Mais qu’il en naisse tous les ans de nouveaux, dit-il ; ils ne mettront jamais ce sujet en sa perfection. […] Au commencement de la seconde race, il lui semble, dit-il, passer d’une nuit obscure à un trop grand jour ; il en est trop ébloui pour en jouir ; il sent en même temps que son sujet s’agrandit, et qu’il lui faut sortir avec les descendants de Charles Martel des limites de la France. […] De ce même roi Henri III, rentrant en France et débutant par une faiblesse et une perfidie : « Voilà la première faute que fit le roi, chopant, comme dit le proverbe, à l’entrée de la porte. » Il a habituellement de ces mots, grabuges, empêtrer dans des filets, etc., qu’on voudrait effacer ; il fait, en tout, passer le naturel avant la noblesse.

1628. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gabrielle d’Estrées. Portraits des personnages français les plus illustres du XVIe siècle, recueil publié avec notices par M. Niel. » pp. 394-412

En attendant, ce sont des faits et des témoins qui prennent leur rang, des personnages qui passent sous nos yeux et s’animent. […] La passion de Henri IV pour Gabrielle passa par différentes phases, et, au début, elle semble n’avoir rien eu que d’assez vulgaire. […] À l’entrée solennelle qui se fit le 15 septembre aux flambeaux, il était huit heures du soir quand le roi à cheval passa sur le pont Notre-Dame, accompagné d’un gros de cavalerie et entouré d’une magnifique noblesse : Lui avec un visage fort riant, et content de voir tout ce peuple crier si allègrement Vive le roi ! […] C’est sans doute ce que voulait dire Sully lorsque, quittant Paris pour passer à Rosny la Semaine sainte de 1599, il disait à sa femme que la corde était bien tendue, et que le jeu serait beau si elle ne rompait, mais que le succès, selon lui, ne serait pas tel que se l’imaginaient certaines personnes. […] Passer le mois d’avril absent de sa maîtresse, c’est ne vivre pas.

1629. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Chateaubriand. Anniversaire du Génie du christianisme. » pp. 74-90

Un soir nous passâmes cinq heures ensemble, et il me parla d’Éléonore, etc. » Sur Le Brun, il y a un commencement de portrait qui, en trois coups de crayon, est admirable : « Le Brun a toutes les qualités du lyrique. […] Dans un singulier chapitre expressément dédié « Aux infortunés », et qui est placé, on ne sait trop comment, entre celui de « Denys à Corinthe » et celui d’« Agis à Sparte », il s’adresse à ses compatriotes émigrés et pauvres, à tous ceux qui souffrent comme lui du désaccord entre leurs besoins, leurs habitudes passées et leur condition présente ; il leur rappelle la consolation des Livres saints, vraiment utiles au misérable, parce qu’on y trouve la pitié, la tolérance, la douce indulgence, l’espérance plus douce encore, qui composent le seul baume des blessures de l’âme. […] Une âme telle que la vôtre, dont les amitiés doivent être aussi durables que sublimes, se persuadera malaisément que tout se réduit à quelques jours d’attachement dans un monde dont les figures passent si vite et où tout consiste à acheter si chèrement un tombeau. […] C’est dans la 7e partie où, après avoir passé en revue les tombeaux chez tous les peuples anciens et modernes, j’arrive aux tombeaux chrétiens ; je parle de cette fausse sagesse qui fit transporter les cendres de nos pères hors de l’enceinte des villes, sous je ne sais quel prétexte de santé. […] non, je ne doute point de ton existence ; et soit que tu m’aies destiné une carrière immortelle, soit que je doive seulement passer et mourir, j’adore tes décrets en silence, et ton insecte confesse ta divinité » ; c’est à côté de ces mots que Chateaubriand écrit en marge : Quelquefois je suis tenté de croire à l’immortalité de l’âme, mais ensuite la raison m’empêche de l’admettre.

1630. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Madame Bovary par M. Gustave Flaubert. » pp. 346-363

On se donne souvent bien de la peine pour réveiller des choses passées, pour ressusciter d’anciens auteurs, des ouvrages que personne ne lit plus guère et auxquels on rend un éclair d’intérêt et un semblant de vie : mais quand des œuvres vraies et vives passent devant nous, à notre portée, à pleines voiles et pavillon flottant, d’un air de dire : Qu’en dites-vous ? […] L’auteur de Madame Bovary a donc vécu en province, dans la campagne, dans le bourg et la petite ville ; il n’y a point passé en un jour de printemps comme le voyageur dont parle La Bruyère et qui, du haut d’une côte, se peint son rêvé en manière de tableau au penchant de la colline, il y a vécu tout de bon. […] Ses visites à la ferme, sans qu’il s’en aperçoive, sont devenues peu à peu un besoin, et au milieu de ses occupations pénibles une exception charmante : Ces jours-là, il se levait de bonne heure, partait au galop, poussait sa bête, puis il descendait pour s’essuyer les pieds sur l’herbe, et passait ses gants noirs avant d’entrer. […] Les choses ne se passeront pas comme vous êtes portés à l’imaginer : ce petit M. 

1631. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Mémoires de Mme Elliot sur la Révolution française, traduits de l’anglais par M. le comte de Baillon » pp. 190-206

Quant à Mme Elliott, la maîtresse passée (quoique n’ayant que vingt-quatre ans et si belle), elle apparaît par éclairs, et représente le rappel aux devoirs du sang, la fidélité monarchique : « La politique de Mme de Buffon, nous dit-elle, était différente de la mienne. » Je le crois bien, la rivalité s’en mêlait ; mais il y avait pis auprès du duc d’Orléans que Mme de Buffon. […] Je ne vis personne le mardi… Le mercredi, je reçus un mot du duc de Biron qui me priait de venir passer la soirée avec lui, Mme Laurent et Dumouriez, à l’hôtel Saint-Marc, rue Saint-Marc, près de la rue de Richelieu ; que là j’apprendrais des nouvelles et qu’il espérait beaucoup que les choses pourraient s’arranger. […] Retirée les jours suivants à sa maison de Meudon, et devenue peu après assez sérieusement malade, elle reçut un matin, par les mains d’un vieux valet de chambre, une lettre du duc d’Orléans, très affectueuse, dans laquelle il regrettait de ne pas oser venir lui-même, et la priait de passer chez lui dès qu’elle serait mieux, « ajoutant que tout le monde l’avait abandonné et qu’il espérait que sa malheureuse situation lui vaudrait un pardon, si elle le croyait coupable ». […] ils furent aussi traînés à cet horrible échafaud, et nous donnâmes à leur mort des larmes sincères. » — Là, Mme Elliott connut Mme de Beauharnais, la future impératrice, avec qui elle se lia tendrement et passa, dit-elle, des moments délicieux : « C’est une des femmes les plus accomplies et les plus aimables que j’aie jamais rencontrées. […] [1re éd.] pour le peu de temps qu’il devait passer à Paris dans cet hôtel garni.

1632. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres publiées par M. de Falloux. »

Tantôt c’est la femme politique toute pure, sans la galanterie ou sans rien du moins qui y ressemble par la grâce, la femme politique âpre, active, ardente, desséchée comme la joueuse qui a passé des nuits autour du tapis vert, ayant besoin de tenir les cartes à tout prix et de jouer la partie de l’Europe pour ne pas mourir comme d’inanition, pour ne pas hurler d’ennui. […] Dans ses méditations sur la vieillesse, Mme Swetchine pense surtout aux femmes, si négligées d’ordinaire dès qu’elles ont passé la moitié de la vie. […] Le vieillard, à ses yeux, a toutes les faveurs célestes, et il réunit sur sa tête tous les privilèges ; il est « le pontife du passé, ce qui ne l’empêche pas d’être le voyant de l’avenir. » Il est « le vrai pauvre de Jésus-Christ ; ses rides sont ses haillons. » Il a des insomnies cruelles ; tant mieux ! […] Elle se fait, croyez-le bien, les objections ; elle se rend bien compte que, pour lui donner raison, il faut commencer par tourner le dos à la nature et se placer « dans la partie la plus providentielle des desseins de Dieu. » Aussi tous ceux qui feront ce chemin sous sa conduite et en fils dociles passeront-ils légèrement sur ses défauts pour se récrier à tout moment sur la beauté des points de vue. […] Si la vie du vieillard a été vertueuse, le long regard jeté par lui sur le passé est plein de douceur ; il contemple tous les éléments, tous les gages d’un immortel et heureux avenir.

1633. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français »

Dans l’Église chrétienne, au moyen âge, les choses se passèrent d’une façon analogue. […] Cette prose dialogue et rimée était quelquefois mise en scène, comme on voit par un ancien manuscrit que cela se passait dans la cathédrale de Sens au xiie  siècle. […] Enfin, outre cette apparition aux saintes femmes et aux disciples, il y en avait une tout exprès pour saint Thomas l’incrédule, et qui se passait également sous les yeux des fidèles. […] L’Église, en autorisant ces variantes et ce luxe de la liturgie, recommençait, ai-je dit, le théâtre : il est donc tout naturel que de savants religieux de notre temps, tels que le Père Cahour et aussi l’un des Bénédictins de Solesmes, Dom Piolin, se soient occupés presque en critiques littéraires, et avec prédilection, de cette branche dramatique sacrée : quand tout se passe et se joue devant l’autel et que rien ne dépasse le jubé, les La Harpe, les Duviquet peuvent être très convenablement des clercs et des religieux ayant stalle au chœur. — Un autre écrivain très-versé en ces matières du moyen âge, et qui a même porté dans ses travaux sur les chants d’Église une sagacité originale et une investigation de première main, M.  […] Édélestand du Méril est un savant qui passe tant et de si longues heures solitaires dans son cabinet, et qui a tellement fui la popularité et le bruit, qu’on l’a pris au mot en France : il est plus apprécié en Europe que dans son pays.

1634. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. Suite et fin. » pp. 73-95

J’ai parlé des Martyrs, dont la comparaison ici revient sans cesse, et qui ne sont eux-mêmes qu’à demi réussis ; mais, dans Chateaubriand, il y a de temps en temps l’enchanteur qui passe avec sa baguette et son talisman : ici l’enchanteur ne paraît nulle part. […] Le paysage du livre est vrai, car l’auteur l’a vu de ses yeux et il est peintre ; les monuments et les édifices sont plus que douteux et incertains, car ils sont refaits en entier d’imagination, les vestiges insignifiants qu’on a cru récemment retrouver n’v pouvant aider en rien : mais ce qu’on peut affirmer plus à coup sûr encore et de toute la force de son bon sens, c’est que ce n’est pas ainsi qu’en aucun temps et en aucun lieu, les hommes se sont comportés et que les choses se sont passées. […] On aurait décrit tout à son aise le pays et le paysage ; on aurait montré les habitants, les races confondues ou persistantes, et discuté jusqu’à quel point il est légitime de conclure du présent au passé, et des autres peuples sémitiques de par-delà l’Égypte à ceux d’Afrique, si traversés et si mélangés. […] j’en passe volontiers par là ; je ne vous dis même pas de choisir. […] Dans la revue que passe de ses esclaves le terrible Hamilcar rentré chez lui après une longue absence, tous se rangent sur une ligne, tous retiennent leur haleine : « Un silence énorme emplissait Mégara. » Pourquoi ce silence énorme, et comment y est-on venu ?

1635. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français, et de la question des anciens et des modernes, (suite et fin.) »

Ce n’est pas que, quelque disposition qu’on y apporte, toute lecture d’Homère ne soit bonne, comme l’est une journée ou une heure de retraite passée au sein de la grande et saine nature. […] Elle s’applique aux Anciens et à tous ceux des grands poètes qui sont déjà, à quelques égards, ou qui seront un jour eux-mêmes des Anciens, à tous ceux qui ne sont plus nos contemporains et vers lesquels on ne revient qu’en remontant à force de rames le courant du passé : « Les œuvres des grands poètes, dit-il, demandent qu’on les approche au début avec une foi entière en leur excellence ; le lecteur doit être convaincu que, s’il ne les admire point pleinement, c’est sa faute et non la leur. […] Mais aussi, que le présent, que l’avenir le plus prochain, ne nous possèdent point tout entiers ; que l’orgueil et l’abondance de la vie ne nous enivrent pas ; que le passé, là où il a offert de parfaits modèles et exemplaires, ne cesse d’être considéré de nous et compris. […] » vous qu’un sang généreux pousse aux nouvelles et incessantes conquêtes de l’art et du génie, et qu’impatiente, qu’ennuie à la fin cet éternel passé qu’on déclare inimitable, veuillez y songer un peu : les Anciens, si vantés qu’ils soient, ne doivent pas nous inspirer de jalousie ; trop de choses nous séparent ; la société moderne obéit à des conditions trop différentes ; nous sommes trop loin les uns des autres pour nous considérer comme des rivaux et des concurrents. […] Un moraliste à la façon de Nicole les a très-bien définis en ces mots : « Ce sont des esprits trop remplis d’eux-mêmes et des images présentes qui les occupent, pour pouvoir s’ouvrir et faire place en eux à d’autres idées que les leurs, et surtout quand il s’agit d’admettre et de comprendre les choses du passé. » De ces esprits exclusivement voués au monde moderne, aux impressions actives de chaque jour, et qui ne sauraient s’en déprendre, il en est, d’ailleurs, je le sais, de bien fermes et, à tous autres égards, d’excellents.

1636. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

Aussi ce groupe ou ce petit noyau, dont M. de Girardin était le principal moteur, avait titre et nom « les conservateurs progressistes. » Combattu, raillé par toutes les nuances de l’opposition, par toutes les fractions de la gauche et par les journaux qui la représentaient, négligé et passé dédaigneusement sous silence par le gros des conservateurs et par l’organe important du centre ministériel, le Journal des Débats, M. de Girardin sentit le besoin de se défendre lui-même, de dessiner sa situation, son idée, de la définir sans cesse, et c’est à ce moment qu’il devint décidément journaliste et rédacteur de premiers-Paris ; jusqu’alors il avait plutôt dirigé. […] Chacun, dans les résumés et les récapitulations qu’il donne de sa vie passée, s’arrange sans doute pour faire le moins de mea culpa possible et pour se rendre justice par les meilleurs côtés ; mais, quand on y regarde avec lui, on ne peut s’empêcher d’être en cela de l’avis de M. de Girardin sur lui-même : parmi les députés de la Chambre de 1846, il fut l’un de ceux qui se laissèrent le moins abuser par le spectacle des luttes oratoires, et qui, ne se réglant en rien sur le thermomètre intérieur de la Chambre, restèrent le plus exactement en rapport avec l’air extérieur : il fut, de tous les conservateurs de la veille, celui qui, avec M.  […] Ce qu’il proposait lui-même de spécifique et d’original, ce qu’il aurait voulu voir adopter, la mesure du désarmement, l’idée de faire passer l’État du rang de percepteur à celui d’assureur, la suppression des octrois, le rachat par l’État de tous les monopoles…, ces fragments d’un plan général qu’il avait conçu, je n’en dirai rien, parce que de tels projets radicaux se perdaient alors dans tous ceux que chacun proposait à l’envi et qui couvraient les murailles comme une éruption universelle. […] Mais le 31 mars, cette espèce d’émeute prit un caractère plus sombre, et voici exactement ce qui se passa, — j’ajoute que ce n’est pas de lui que je le tiens. […] C’est l’histoire que j’oppose à M. de Girardin, non la logique : c’est l’expérience du passé, non la chance de l’avenir.

1637. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Méditations sur l’essence de la religion chrétienne, par M. Guizot. »

Guizot est simple : elle ne heurte aucune des communions chrétiennes, elle s’accommode de toutes ; elle s’en passe aussi jusqu’à un certain point. […] sa vénérable mère dans cette mise antique et simple, avec cette physionomie forte et profonde, tendrement austère, qui me rappelait celle des mères de Port-Royal, et telle qu’à défaut d’un Philippe de Champagne, un peintre des plus délicats nous l’a rendue ; cette mère du temps des Cévennes, à laquelle il resta jusqu’à la fin le fils le plus déférent et le plus soumis, celle à laquelle, adolescent, il avait adressé une admirable lettre à l’époque de sa première communion dans la Suisse française20 ; je la crois voir encore en ce salon du ministre où elle ne faisait que passer, et où elle représentait la foi, la simplicité, les vertus subsistantes de la persécution et du désert : M.  […] Il est enclin à penser qu’il en est de l’humanité en masse comme de bien des hommes en particulier : elle voudrait bien se faire passer pour ce qu’elle n’est pas. […] Nous avons affaire à l’un de ces esprits qui dorment peu et qui, dans leurs veilles comme dans leurs songes, se passent d’être amusés et consolés. […] Mais je me souviens trop bien des phases morales par lesquelles j’ai passé dans ma jeunesse, de mes sensibilités et de mes inconstances poétiques, de l’âge où j’ai rêvé les Consolations de celui où j’ai écrit Volupté et nombre de pages de Port-Royal , pour avoir jamais la prétention de m’offrir à l’état d’un type quelconque.

1638. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

La grâce, le goût, l’art de l’insinuation, il faut qu’il les ait eus au plus haut degré pour que, dans ses Mémoires sobres et sévères, Napoléon, racontant ce qui se passa à son retour de l’Italie et de Rastadt, et la manière dont il fut accueilli par le Directoire, les fêtes qu’on lui donna, ait songé à distinguer celle du ministre des affaires étrangères. […] M. de Chateaubriand, dans son antipathie d’humeur et de nature pour le personnage, lui qui avait autant le ressort de l’honneur et le goût du dépouillement que l’autre les avait peu et savait aisément s’en passer, a dit, à propos de la manière dont M. de Talleyrand négociait les traités : « Quand M. de Talleyrand ne conspire pas, il trafique. » Ce mot sanglant, au moins dans sa seconde partie, n’est que la vérité même. […] Tout cela n’était que le dehors, la décoration, le spectacle : franchement il y avait trop de reptiles par derrière, au fond de la caverne, — de cette caverne dont le vestibule passait pour le plus distingué et le plus recherché des salons. […] Mais un nouvel intérêt commun fait passer aisément l’éponge sur d’anciens griefs et rapproche vite les politiques ; on ferma les yeux des deux côtés : « Talleyrand craignait d’être mal reçu de Napoléon. […] Passe encore si c’eût été Fouché ; mais Talleyrand !

1639. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre dixième »

On les apprend avec une secrète joie, on a plaisir à les savoir ; mais il n’en passe rien de la tête au cœur, et elles n’ont aucun effet appréciable sur la vie morale. […] Exceptons pourtant quelques coups de pinceau de Descartes dans ce petit Traité des passions (1649), où il fait voir ce qui se passe au fond de l’homme, considéré comme corps, quand il est sous l’empire des passions. […] De là ses descriptions passionnées, et parmi des erreurs que la science a redressées avec son aide, un sentiment de la vie, de la beauté, de la force dans les animaux, de la convenance de leur organisation à leurs besoins, de leurs mœurs à leurs destinées, qui rachète le tort du grand naturaliste en nous rendant plus sensible le Dieu dont il s’est passé. […] Passons à Buffon un moyen innocent qui a réussi. […] Buffon avait passé l’âge de Bossuet prononçant en cheveux blancs l’oraison funèbre du prince de Condé, quand il écrivit les Époques de la nature, son chef-d’œuvre.

1640. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Stéphane Mallarmé » pp. 146-168

Actif et remuant, Catulle Mendès, du même âge que Mallarmé, jouissait déjà d’une certaine notoriété et pouvait se glorifier d’un passé littéraire puisqu’à dix-huit ans il avait créé la Revue fantaisiste qui comptait pour collaborateurs à côté des aînés : Gautier, Baudelaire, Banville, Arsène Houssaye, Champfleury, Gozlan, des jeunes pleins d’avenir comme Villiers de l’Isle-Adam et Alphonse Daudet. […] Il avouait un jour à Paul Adam : « Je ne suis jamais passé sur le viaduc des Batignolles (il y passait tous les jours) sans me sentir l’envie de me précipiter dans le vide30. » Il cherche un refuge dans l’Art. […] Tout ce qui se passe autour de lui « n’intervient que pour être un prétexte à ses chants ». […] Stéphane Mallarmé montre enfin à quelles tendances s’arrête sa pensée : On ne peut se passer d’Eden.

1641. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre V. La littérature et le milieu terrestre et cosmique » pp. 139-154

Quelques années se passent. […] Elle est pour Victor Hugo, tantôt une grande oublieuse au front serein52 qui efface l’homme éphémère sous la continuité de sa vie exubérante, tantôt une auxiliaire du progrès53, qui révèle à l’humanité ses mystères, lui soumet ses forces, l’émancipé, la rend plus puissante, la mène par la science à la liberté, l’aide à briser les vieux moules du passé, à faire germer le bien et la joie pour les générations futures. […] Partout, au contraire, où la nature écrase l’homme, dans le voisinage de l’océan ou dans la haute montagne, quand il se sent petit et faible en présence de la tempête ou de l’avalanche, il y a persistance en lui des paniques de l’humanité primitive ; il trahit un penchant à la tristesse rêveuse, il croit au merveilleux, il se voit entouré d’êtres surnaturels  ; dans sa foi, dans ses coutumes, dans ses fêtes, dans ses légendes, il garde au passé un pieux attachement, qui est une entrave au progrès des mœurs et des idées, mais qui a aussi quelque chose de touchant et de pittoresque. […] Tournée vers le couchant, elle semble suivre des yeux et du cœur le soleil qui plonge dans les abîmes de la mer et les vieilles choses qui s’enfoncent dans la nuit du passé. […] Si j’ai pu ouvrir des échappées par où passent quelques rais de lumière, que d’autres y plongent plus avant et y découvrent des vérités que j’ai réussi seulement à faire entrevoir.

1642. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Des lectures publiques du soir, de ce qu’elles sont et de ce qu’elles pourraient être. » pp. 275-293

Elles ont eu à passer jusqu’ici par plusieurs régimes de ministères, qui peut-être ne leur étaient pas tous également favorables. […] J’ai donc passé mes soirées de cette semaine à entendre quelques-unes de ces lectures qui ont recommencé à l’entrée de l’hiver. […] On passerait en revue tous les grands noms d’écrivains dans leur succession et leur génération naturelle. […] Parmi les ouvriers (qu’on me passe ces détails), ce sont les bijoutiers, les dessinateurs pour étoffes, les mécaniciens, les charpentiers et les menuisiers qui fournissent le plus grand nombre. […] » Le règne de ces théories délicieuses, de ces jouissances raffinées de l’esprit et de l’amour-propre, est passé.

1643. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — II. » pp. 494-514

Robespierre mort et la Convention délivrée d’une terreur inouïe ainsi que toute la France, le caractère de la Révolution change à l’instant ; Mallet n’hésite pas à marquer les signes nouveaux qui indiquent qu’elle vient de passer à une tout autre phase. […] La lassitude est à son comble, chacun ne pense qu’à passer en repos le reste de ses jours. […] Mirabeau, par exemple, avait auprès de lui un homme d’un vrai mérite, Pellenc, dont il tirait grand parti, et qui, après sa mort, passa au comte de Mercy-Argenteau, puis à M.  […] Ces grandes épidémies morales par lesquelles passent les sociétés, et qui les transforment, qui ne les laissent pas après ce qu’elles étaient devant, usent bien des générations et constituent les véritables époques de l’histoire68. […] Il y passe une grande variété de personnages qui causent familièrement et se peignent eux-mêmes sans y songer.

1644. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — II. » pp. 460-478

Portalis, accompagné de son fils, qui, dans toutes ses traverses, ne le quitta jamais, était près de passer en Italie et de se rendre à Venise, quand une lettre de Mathieu Dumas l’appela dans le Holstein, où l’attendait une hospitalité cordiale et sérieuse. […] Toute superstition, toute routine a disparu : « Il faut changer, dit Portalis, quand la plus funeste de toutes les innovations serait de ne point innover. » Mais en même temps quel souci du passé et du présent ! […] Un législateur isolerait ses institutions de tout ce qui peut les naturaliser sur la terre, s’il n’observait avec soin les rapports naturels qui lient toujours plus ou moins le présent au passé et l’avenir au présent, et qui font qu’un peuple, à moins qu’il ne soit exterminé, ou qu’il ne tombe dans une dégradation pire que l’anéantissement, ne cesse jamais, jusqu’à un certain point, de se ressembler à lui-même. […] Les indifférents, qui sont toujours le plus grand nombre, demeurent étrangers à tout ce qui se passe. C’est un inconvénient grave, si des écrivains aigris ou mécontents se montrent ; leurs idées passent, filtrent à travers leurs passions et s’y teignent.

1645. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « L’abbé Gerbet. » pp. 378-396

C’est là qu’un jour il vit arriver un jeune élève de l’École normale, Jouffroy, de deux ans plus âgé que lui, et qui, en revenant passer les vacances au hameau des Pontets, s’arrêta un moment au passage. […] Écoutez-le : En les parcourant, dit-il, vous passez en revue les phases de la destruction, comme on observe dans un jardin botanique les développements de la végétation, depuis la fleur imperceptible jusqu’aux grands arbres pleins de sève et couronnés de larges fleurs. […] J’ai sous les yeux une jolie petite scène en vers, qu’il destinait, il y a peu de jours, aux jeunes pensionnaires du Sacré-Cœur d’Amiens, et dans laquelle il a passé comme un souffle d’Esther, mais d’une Esther égayée du voisinage de Gresset. […] Si Dieu préside à vos heures légères, Ce jeu du soir est un temps bien passé, Et, du matin rejoignant les prières, Finit le jour comme il a commencé. Je vous surprends par mon langage austère ; Vous voulez rire, et je vous ai prêché : Au jeu mondain un sermon ne va guère, Mais on le passe au jeu de l’Évêché.

1646. (1912) L’art de lire « Chapitre III. Les livres de sentiment »

En posant le beau roman, nous nous réveillons au sens propre du mot, nous nous frottons les yeux, nous nous étirons, nous nous ébrouons ; nous sentons très nettement que nous passons d’une vie dans une autre et que nous nous diminuons, ou que nous tombons de haut. […] Il est un peu comme le Fantasio de Musset disant : « Je voudrais être ce monsieur qui passe ; il doit avoir une foule d’idées qui me sont complètement étrangères ; son essence lui est particulière ». Et encore non, point tout à fait ; le chercheur d’exceptions voudrait être le monsieur qui ne passe pas, le monsieur qui n’est jamais passé devant lui et qui n’y passera jamais.

1647. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre premier. Le problème des genres littéraires et la loi de leur évolution » pp. 1-33

Ce poème, cette ode des temps primitifs c’est la Genèse… Peu à peu cependant la famille devient tribu, la tribu devient nation… L’instinct social succède à l’instinct nomade… Les nations se gênent et se froissent ; de là les chocs d’empires, la guerre… La poésie reflète ces grands événements ; des idées elle passe aux choses. […] Croce en passera aussi par là. […] Il faut recommencer sans cesse, briser les vieux moules, sans tout renier du passé. […] La postérité met les choses au point ; oubliant inexorablement ce qui ne fut que passager, elle abandonne ces choses aux historiens et ne conserve du passé que les œuvres de valeur absolue. […] Une dernière remarque : je donne ici, non pas une histoire de la littérature, mais une esquisse en traits sommaires ; avec pourtant la discussion de quelques cas particuliers qu’il était impossible de passer sous silence.

1648. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IX : M. Jouffroy écrivain »

Bien que mon intelligence ne considérât pas sans quelque orgueil son ouvrage, mon âme ne pouvait s’accommoder à un état si peu fait pour la faiblesse humaine ; par des retours violents elle cherchait à regagner les rivages qu’elle avait perdus ; elle retrouvait dans la cendre de ses croyances passées des étincelles qui semblaient par intervalles rallumer sa foi. […] « C’étaient des journées, des nuits entières de méditations dans ma chambre ; c’était une concentration d’attention si exclusive et si prolongée sur les faits intérieurs, où je cherchais, la solution des questions, que je perdais tout sentiment des choses du dehors, et que, quand j’y rentrais pour boire et manger, il me semblait que je sortais du monde des réalités et passais dans celui des illusions et des fantômes. » Personne n’est plus capable de passion que les hommes intérieurs ; on l’a bien vu chez les puritains d’Angleterre. […] Nous croyons le scepticisme à jamais invincible, parce que nous regardons le scepticisme comme le dernier mot de la raison sur elle-même. » Ses amis m’ont raconté qu’une fois, ayant entrepris de prouver la spiritualité de l’âme, il passa involontairement trois mois à décrire les nerfs, le cerveau, les effets moraux des blessures et des contusions cérébrales, à décomposer les actions de l’esprit, à comparer les deux ordres de faits, et qu’enfin, obligé de conclure, il déclara que la science n’était pas assez avancée et qu’on ne pouvait rien dire. […] « Il y a ce rapport entre ce qui est nous et ce qui se passe en nous, que ce qui se passe en nous ne subsiste que par nous, tandis que nous pourrions subsister sans lui.

1649. (1911) Nos directions

Si le poète peut se passer de tout, tout cependant appartient au poète. […] Il plie sous le fardeau de son passé. […] Quand l’oiseau passe, c’est la musique qui le porte. […] passé celui de l’excommunication romantique ! […] reviviscence du passé ?

1650. (1813) Réflexions sur le suicide

Toutes nos peines avaient passé dans son divin être. […] Saint Paul dit : —  Celui qui passe sa vie dans les délices est mort en vivant. […] Les actes de réflexion ne sont pas dans leur nature ; ils paraissent être enchaînés au présent, ignorer l’avenir et n’avoir recueilli du passé que des habitudes. […] Enfermée dans cette tour je vis de ce que je sens, et ma conduite morale et religieuse ne consiste que dans les combats qui se passent en moi-même. […] L’on ne connaît d’ordinaire que l’extérieur du caractère de l’homme, ce qui se passe en lui-même peut offrir encore des aperçus nouveaux pendant des milliers de siècles.

1651. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins » pp. 185-304

Si le passé n’enseignait pas l’avenir, à quoi bon la mémoire ? […] Ces cajoleries et ces sourires d’intelligence aux ennemis de la Restauration, quand on était restauré soi-même et comblé de richesses, de faveurs, d’honneurs, par cette Restauration si clémente au passé, si généreusement imprudente pour l’avenir, tout cela, comme dit Tacite, mal odorait si près du trône . […] Le public, inintelligent de mes vrais mobiles, crut bêtement que j’étais passé de mon isolement dans les rangs du parti conservateur orléaniste. […] Si elle cède, elle passera sous le joug des ministres ligueurs qui lui seront imposés par la nouvelle chambre, et alors ces maires du palais lui imposeront leur politique de guerre à l’étranger et d’agitation au dedans ; la royauté restera humiliée et responsable par son trône des actes de son ministère. […] Enfin le ministre favori, mais honnête homme, qui passait pour avoir l’influence d’un dévouement éprouvé sur le roi, M. de Montalivet, prit la parole, avec le geste et le ton d’un homme sincère qui revient sans fausse pudeur sur l’avis qu’il a imprudemment adopté, et qui ne rougit pas de se démentir, pour sauver sa cause aux dépens de son amour-propre.

1652. (1904) Essai sur le symbolisme pp. -

Et ce qu’il y a derrière la charmille qui tremble, l’eau qui chante, le nuage qui passe ? […] Sollicité par ce qui passe, le phénomène, il oublie l’essence, ce qui demeure. […] En second lieu, si nous essayons de passer d’un sens à un autre, un abîme de discontinuité nous arrête. De la série des couleurs passez à un son, un intervalle se dresse. […] Citons encore la vision qui fut donnée au prophète Élie : « Une voix lui dit : “Sors et tiens-toi devant l’Éternel” ; et en effet l’Éternel passa.

1653. (1905) Promenades philosophiques. Première série

Il était trop engagé et trop passé à l’état d’oracle de Delphes. […] On est surpris que tant de choses aient pu se passer si vite. […] Le présent sait tout, ou presque tout ; le passé ne sait rien. […] Velasquez ne pourrait s’en passer. […] Passons.

1654. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre I. Les personnages »

Ils viennent en mante complimenter le prince ; la longue file des figures officiellement tristes et des révérences monotones passe devant l’illustre veuf qui les subit et se compose une physionomie. […] Il lui fait voir la belle chose blanche qui reluit dans le trou sombre : « c’est un fromage exquis ; le dieu Faune l’a fait, la vache Io donna le lait ; Jupiter, s’il était malade, reprendrait l’appétit en tâtant d’un tel mets. » On voit que l’Olympe entier y passe. […] Pour lui, aujourd’hui surtout, vide de curiosités et de désirs, incapable d’invention et d’entreprise, confiné dans un petit gain ou dans un étroit revenu, il économise, s’amuse platement, ramasse des idées de rebut et des meubles de pacotille, et pour toute ambition songe à passer de l’acajou au palissandre. […] Compère loup, le gosier altéré, Passe par là. […] Tous les enfants Qui vous sont passés par les dents N’avaient-ils ni père ni mère ?

1655. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vernet » pp. 130-167

L’abbé ne s’y méprit pas, il devina quelque chose de ce qui s’était passé au fond de la mienne. […] Qui sait le temps que je passai dans cet état d’enchantement ? […] Le règne des images passe, à mesure que celui des choses s’étend. […] Est-ce ce vaisseau qui passe au devant de l’astre de la nuit et qui le renvoie et l’attache à son immense éloignement ? […] J’ai passé la nuit la plus agitée.

1656. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Pioch, Georges (1874-1953) »

J’ai ressenti une joie d’âme, une beauté de cœur, une sincérité de gestes, d’actes, de grâce devant ce petit livre qu’est Toi, de beauté et de bonté si pure, douce et grave… Si nous passons à la Légende blasphémée, le chant du poète se change en un cri d’orgueil et de gloire, en une force et une vaillance de son être rebelle aux codes, aux lois, aux disciplines. […] C’est le Génie qui se fait Verbe, et dans son vers l’on sent une force d’airain, l’on sent le glaive qu’accompagne une lyre d’or, son flamboiement qui s’écarlate, qui devient rouge de sang, rouge de Vie, et le poète passe, la tête altière, la gloire dans les yeux, splendide, à la conquête des Paradis futurs où viendront se rafraîchir de pureté et se baigner de beauté les souffrants, les esclaves, ceux qui demain seront les Hommes !

1657. (1887) Discours et conférences « Préface »

Une nation, c’est pour nous une âme, un esprit, une famille spirituelle, résultant, dans le passé, de souvenirs, de sacrifices, de gloires, souvent de deuils et de regrets communs ; dans le présent, du désir de continuer à vivre ensemble. Ce qui constitue une nation, ce n’est pas de parler la même langue ou d’appartenir au même groupe ethnographique, c’est d’avoir fait ensemble de grandes choses dans le passé et de vouloir en faire encore dans l’avenir.

1658. (1887) Discours et conférences « Discours prononcé au nom de l’Académie des inscriptions et belles-lettres aux funérailles de M. .Villemain »

Qu’il soit permis à notre compagnie, gardienne des souvenirs et des œuvres du passé, de montrer les sources où M.  […] Ainsi soutenu par tous les enseignements du passé, en communion littéraire et philosophique avec ce que l’humanité a produit de bon et de beau, il tenait tête aux défaillances du présent ; il en dominait les tristesses, et, sans dissimuler ses craintes, il accueillait toute pensée d’avenir.

1659. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 121-125

Il n’a pas fait attention que chaque Langue a son génie particulier, ses tours, ses licences, & que prétendre les faire passer littéralement dans une autre Langue, c’est dénaturer également & l’Original & la Langue dans laquelle on traduit. […] Ceux qui se sont fait un nom dans la Traduction, ne l’ont dû qu’à leur attention à se pénétrer de l’esprit de leur original, à en saisir les beautés, & à les faire passer dans une Langue étrangere, sans s’attacher à l’exactitude des mots.

1660. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre III. Des Ruines en général. — Qu’il y en a de deux espèces. »

De l’examen des sites des monuments chrétiens, nous passons aux effets des ruines de ces monuments. […] Et pourquoi les ouvrages des hommes ne passeraient-ils pas, quand le soleil qui les éclaire doit lui-même tomber de sa voûte ?

1661. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « La poésie »

Michelet, l’homme qui sait, qui voit, qui sent si admirablement les choses d’autrefois, a dit en quelques lignes ce qui se passa alors dans les âmes : « Cette trompette libératrice de l’archange, qu’on avait cru entendre en l’an mil, elle sonna un siècle plus tard dans la prédication de la croisade. […] Pour elles, la page blanche de l’esprit n’aura reçu tout d’abord que des notions justes, et l’introduction à la connaissance du beau se passera de ratures. […] Esprit grave et convaincu, il entre mieux, par certains côtés, dans l’inspiration sérieuse des modernes, dans celle même de Lamartine et de Victor Hugo ; il a cité d’eux d’éclatants exemples, et ces rapprochements, qu’aucune complaisance n’énerve, et qui seront ceux de l’avenir, jettent par réflexion une vive lumière sur les grands poètes du passé.

1662. (1874) Premiers lundis. Tome I « Ferdinand Denis »

En même temps que des chroniques et des mémoires sans nombre jettent chaque jour des clartés nouvelles sur notre histoire passée ou contemporaine, notre curiosité, dont les besoins s’accroissent, se transporte au-delà des mers vers des nations encore mal connues, et s’enquiert aux voyageurs de ces grandes contrées du monde, réclamant d’eux du vrai et du nouveau, et accueillant avidement leurs récits. […] Elles semblaient ignorer les événements qui se sont passés si près d’elles. […] Denis et de la littérature portugaise, et des ouvrages du poète, il devait oser se passer des combinaisons du roman, et ne chercher l’intérêt que dans la simple réalité.

1663. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VIII. Du crime. »

Il y a beaucoup d’exemples de braver la première en respectant la seconde ; alors le caractère prend une sorte d’amertume et de misanthropie, qui exclut beaucoup des bonnes actions que l’on fait pour être regardé, sans anéantir toutefois les sentiments honnêtes qui décident de l’accomplissement des principaux devoirs : mais dès qu’on a rompu tout ce qui mettait de la conséquence dans sa conduite, dès qu’on ne peut plus rattacher sa vie à aucun principe, quelque facile qu’il soit, la réflexion, le raisonnement étant alors impossible à supporter, il passe dans le sang une sorte de fièvre qui donne le besoin du crime. […] Le sentiment dominant de la plupart de ces hommes est sans doute la crainte d’être punis de leurs forfaits ; cependant il y a en eux une certaine fureur qui ne leur permettrait pas d’adopter les moyens les plus sûrs, s’ils étaient en même-temps les plus doux ; ce n’est que dans les crimes présents qu’ils cherchent la garantie des crimes passés ; car toute résolution qui tendrait à la paix, à la réconciliation, fut-elle réellement utile à leurs intérêts, ne serait jamais adoptée par eux ; il y aurait dans de telles mesures une sorte de relâchement, de calme incompatible avec l’agitation intérieure, avec l’âpreté convulsive de tels hommes. […] Cet acte irréparable, cet acte qui seul donne à l’homme un pouvoir sur l’éternité, et lui fait exercer une faculté qui n’est sans bornes que dans l’empire du malheur ; cet acte, quand on a pu, dans la réflexion, le concevoir et l’ordonner, jette l’homme dans un monde nouveau, le sang est traversé ; de ce jour, il sent que le repentir est impossible, comme le mal est ineffaçable ; il ne se croit plus de la même espèce que tout ce qui traite du passé avec l’avenir.

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