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1531. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIIe Entretien. Montesquieu »

Il saura que, si son gouvernement n’est pas bon, il perdra l’empire et la vie. […] La conquête, dans certains cas, est légitime comme la vie… République comme Rome, ou monarchie de quatre cents millions d’hommes comme la Chine. […] C’est un trait de cette vie dont les historiens ne nous disent pas que quelque autre conquérant se puisse vanter. […] — L’industrie et le commerce par la navigation produisent mille fois plus de richesses et de luxe (qui est l’abus des richesses) que la vie pastorale et agricole. […] On passa toute sa jeunesse à les apprendre, toute sa vie à les pratiquer.

1532. (1856) Cours familier de littérature. I « Ve entretien. [Le poème et drame de Sacountala] » pp. 321-398

« “Honte à la vie ! […] … Maintenant c’est l’heure de ma mort qui approche, je mourrai ; je ne puis sauver une vie lâche et criminelle en laissant mourir un des miens à ma place ! […] Modère ta douleur, c’est à moi de m’offrir au meurtrier, c’est le sublime devoir de l’épouse ; elle doit jusqu’à sa vie au bonheur de l’époux. […] « …… J’ai goûté les félicités de la vie, j’ai accompli ma destinée, je t’ai donné une postérité. […] Ils s’entretiennent un moment des avantages de la vie religieuse pour le salut.

1533. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Gabriel Naudé »

Il fut servi à souhait durant sa vie. […] Naudé n’en eut qu’une, mais il l’eut toute sa vie, et avec les caractères de constance, d’enthousiasme et de dévouement qui conviennent aux généreuses entreprises. […] S’il méprise le public dans ses livres et ne daigne pas le distinguer d’avec la populace, voilà qu’il le devine et qu’il le sert par la tentative de toute sa vie. […] Dans l’habitude de la vie, il ne se confiait à personne,  — « à personne, hormis à M.  […] L’étoile de Naudé le voua toute sa vie aux Éminentissimes.

1534. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre I. Principe des mœurs sous l’Ancien Régime. »

Depuis les Césars, aucune vie humaine n’a tenu tant de place au soleil. […] Mais comment nous figurer aujourd’hui des gens pour qui la vie était un opéra ? […] Autres vies analogues. — Princes et princesses. — Seigneurs de la cour […] De tous côtés, dans les Mémoires, on aperçoit en raccourci quelqu’une de ces vies seigneuriales. […] Merlin de Thionville, Vie et correspondance  Récit de sa visite à la chartreuse de Val-Saint-Pierre en Thiérache.

1535. (1860) Cours familier de littérature. X « LIXe entretien. La littérature diplomatique. Le prince de Talleyrand. — État actuel de l’Europe » pp. 289-399

Nos successeurs, plus heureux que nous, auront pour cette étude des lumières non pas plus impartiales, mais plus éclatantes que les nôtres : car M. de Talleyrand a écrit, dans les dernières années de sa vie, ses Mémoires ; mais, avec cette souveraine sagacité qui ne lui fit jamais défaut ni dans sa vie ni dans sa mort, il a, par son testament, ajourné la publication de ces Mémoires à trente ans après son décès. […] Les secours déguisés, les incitations perfides, les subsides incendiaires, les armes et les volontaires français, prêtés sous main aux insurgés américains par Louis XVI, sont une page néfaste qu’on voudrait pouvoir arracher de sa vie. […] L’opulence, pour M. de Talleyrand, était donc une politique autant qu’une élégance de sa vie. […] Aussi ces premières années du consulat, fécondes en négociations, en congrès, en traités de paix, en alliances provisoires au moins avec toute l’Europe, furent-elles les plus laborieuses et les plus prospères de la vie du prince de Talleyrand. […] M. de Talleyrand, fidèle au principe de toute sa vie, démontra au roi, dans une longue conférence, la nécessité de la paix pour asseoir son gouvernement sur les sympathies de l’Europe.

1536. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Appendices » pp. 235-309

C’est contre ce dessèchement des sources mêmes de la vie morale et intellectuelle que M.  […] Les éléments sont constants, sans avoir de vie propre ; les combinaisons sont passagères, mais seules vivantes. […] Au théâtre, celui-là seul est créateur qui insuffle de la vie à ses personnages. […] Toutefois, on pouvait espérer que la vie le mûrirait, et rendrait sa vision individuelle plus riche et plus profonde. […] A-t-on assez proclamé la nécessité de « mêler le rire aux larmes », pour avoir la « vie totale » !

1537. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — I. » pp. 325-345

Dès sa sortie du collège, Roederer eut un caractère marqué ; il se forma, d’après l’ensemble de ses lectures et de ses réflexions, une idée (sans doute trop embellie) de la vie sociale et des moyens de la réaliser ; il comprit vite, dans son premier contact avec les gens réputés mûrs et sensés, que cette manière de voir était peu agréée ; il se contint et resta enthousiaste au-dedans. […] Alors se marqua l’époque, toujours mémorable pour moi, d’un moment de bonheur que je regretterai toute ma vie : j’étais ivre de l’amour du bien, l’image de la vertu s’était comme réalisée en moi ; je voyais d’un autre côté que la considération dont j’ose dire que je jouissais, était, au moins, en partie, le fruit de mon travail sur moi-même…48. […] Mais lorsque ces sentiments qui, à des degrés différents, sont plus ou moins ceux de toute jeunesse, continuent de s’exalter à des époques où il suffirait d’améliorer et de vivre sans avoir à régénérer, il importe qu’on les contienne et qu’on les détourne sans y trop abonder et sans y donner jour en tous sens : autrement la vie sociale ne serait qu’une révolution continuelle, et chaque génération, en y entrant, ferait explosion à son tour. […] Lorsque la Révolution de 89 éclata, Roederer avait trente-cinq ans ; sa vie antérieure était déjà pleine de services, et surtout d’études et de travaux en tout genre, il nous représente bien à sa date, et dans sa province, ce que pouvait être un homme éclairé de cette génération qui portait en elle l’idée et les principes d’un ordre nouveau. […] [NdA] Notice du baron Roederer sur sa famille et en particulier sur son père durant ces années de jeunesse, antérieures à la vie politique (1849).

1538. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Vie de Maupertuis, par La Beaumelle. Ouvrage posthume » pp. 86-106

Vie de Maupertuis, par La Beaumelle. […] Je n’ai pas à écrire la vie de La Beaumelle. […] La Vie proprement dite est agréablement traitée, et l’on y prend de Maupertuis une idée fort distincte. […] Notre vie se passe moitié en désirs, moitié en regrets. […] Notre vie se passe moitié en désirs, moitié en regrets.

1539. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. De Pontmartin. Causeries littéraires, causeries du samedi, les semaines littéraires, etc. »

Rien n’est neutre en ce monde, excepté vous ; le jour n’est pas neutre envers la nuit ; la vie n’est pas neutre envers la mort… » Et il continue sur ce ton déclamatoire. […] que M. de Pontmartin, si l’on en juge par le manifeste alarmiste que je viens de citer, a donc rencontré dans sa vie de ces sauterelles qui lui ont paru de formidables dragons ! […] Je crois que la vie y gagne et que la grandeur vraie n’y périt pas. […] Ce jour sera le dernier beau jour de la vie d’Aurélie. […] Avant de permettre à Jules de choisir pour compagne de sa vie Aurélie, que doit faire un homme sage, prudent, éclairé, comme on nous peint M. 

1540. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance »

L’esprit littéraire, dans sa vivacité et sa grâce, consiste à savoir s’intéresser à ce qui plaît dans une délicate lecture, à ce qui est d’ailleurs inutile en soi et qui ne sert à rien dans le sens vulgaire, à ce qui ne passionne pas pour un but prochain et positif, à ce qui n’est que l’ornement, la fleur, la superfluité immortelle et légère de la société et de la vie. […] S’il croit apercevoir chez nous, vers la fin de sa vie (1842), corruption et décadence, il s’en attriste ; il a beau être redevenu Genevois ou cosmopolite, la France, à ses yeux, est comme le cœur de l’humanité. […] Auparavant, Sismondi ne put s’empêcher toutefois de payer son tribut à cette première vie de colon et d’agriculteur, à laquelle il devait des impressions de bonheur ineffaçables. […] Je n’écris pas la vie du savant. […] Mme d’Albany, qui est un caractère ferme, tranquille, et une nature désabusée, s’étonne que Mme de Staël, forcément éloignée de Paris, ne se résigne pas mieux et n’accepte pas, une bonne fois, une vie indépendante et fermée dans sa noble retraite.

1541. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Lettres inédites de Michel de Montaigne, et de quelques autres personnages du XVIe siècle »

Je reprendrai à mon tour le chapitre de la vie de Montaigne auquel elles se rapportent, et qui est l’époque de sa mairie à Bordeaux. […] Treize années employées à une profession, même quand on ne s’y adonne pas de tout cœur, cela ne peut être indifférent dans la vie d’un homme comme lui, ni dans la vie d’aucun homme. […] Grün a établi les divers temps et les principaux chapitres de la vie publique de Montaigne. […] Ce ne sont que des rôles que nous jouons dans la vie ; ne les prenons que comme des rôles. […] La vie et les actions se ressentent toujours de la philosophie qu’on a embrassée.

1542. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de La Tour-Franqueville et Jean-Jacques Rousseau. » pp. 63-84

Rousseau, âgé de quarante-neuf ans, retiré à Montmorency, jouissait de ce dernier intervalle de repos (un repos bien troublé) avant la publication de l’Émile qui allait bouleverser sa vie. […] s’écrie-t-il, si vous êtes telles que mon cœur le suppose, puissiez-vous, pour l’honneur de votre sexe et pour le bonheur de votre vie, ne trouver jamais de Saint-Preux ! […] On a publié dernièrement à Édimbourg une Vie de Hume qui met en parfaite lumière cet épisode de la vie de Rousseau. […] Il a très peu lu durant le cours de sa vie, et il a maintenant renoncé tout à fait à la lecture. […] Il a seulement senti durant toute sa vie ; et, à cet égard, sa sensibilité est montée à un degré qui passe tout ce que j’ai vu jusqu’ici ; mais elle lui donne un sentiment plus aigu de peine que de plaisir.

1543. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de lord Chesterfield à son fils. Édition revue par M. Amédée Renée. (1842.) » pp. 226-246

Deux fois, dans les deux circonstances décisives de sa vie politique, il échoua. […] Il écrivait à ce fils en toute sincérité : « Du premier jour de votre vie, l’objet le plus cher de la mienne a été de vous rendre aussi parfait que la faiblesse de la nature humaine le comporte. » C’est vers l’éducation de ce fils que s’étaient tournés tous ses vœux, toutes ses prédilections affectueuses et mondaines, et, vice-roi d’Irlande ou secrétaire d’État à Londres, il trouvait le temps de lui écrire de longues lettres détaillées pour le diriger dans les moindres démarches, pour le perfectionner dans le sérieux et dans le poli. Le Chesterfield que nous aimons surtout à étudier est donc l’homme d’esprit et d’expérience qui n’a passé par les affaires et n’a essayé tous les rôles de la vie politique et publique que pour en savoir les moindres ressorts, et nous en dire le dernier mot ; c’est celui qui, dès sa jeunesse, fut l’ami de Pope et de Bolingbroke, l’introducteur en Angleterre de Montesquieu et de Voltaire, le correspondant de Fontenelle et de Mme de Tencin, celui que l’Académie des inscriptions adopta parmi ses membres, qui unissait l’esprit des deux nations, et qui, dans plus d’un essai spirituel, mais particulièrement dans ses Lettres à son fils, se montre à nous moraliste aimable autant que consommé, et l’un des maîtres de la vie. […] Il n’avait pas été long à sentir ce qui manquait à cet enfant qu’il voulait former, et dont il avait fait l’occupation et le but de sa vie : En scrutant à fond votre personne, lui disait-il, je n’ai, Dieu merci, découvert jusqu’ici aucun vice du cœur ni aucune faiblesse de la tête ; mais j’ai découvert de la paresse, de l’inattention et de l’indifférence, défauts qui ne sont pardonnables que dans les personnes âgées, qui, sur le déclin de leur vie, quand la santé et la vivacité tombent, ont une espèce de droit à cette sorte de tranquillité. […] Vous n’avez jamais été, dans aucun genre, ni charlatan, ni dupe de charlatans, et c’est ce que je compte pour un mérite très peu commun, qui contribue à l’ombre de félicité qu’on peut goûter dans cette courte vie.

1544. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Mémoires du cardinal de Retz. (Collection Michaud et Poujoulat, édition Champollion.) 1837 » pp. 40-61

Né en octobre 1614, d’une famille illustre, destiné malgré lui à l’Église avec « l’âme peut-être la moins ecclésiastique qui fût dans l’univers », il essaya de se tirer de sa profession par des duels, par des aventures galantes ; mais l’opiniâtreté de sa famille et son étoile empêchèrent ces premiers éclats de produire leur effet et de le rejeter dans la vie laïque. […] Il n’est pas de plus beau et de plus véridique tableau (je dis véridique, car cela se sent comme la vie même) que celui du début de la régence et de cet établissement presque insensible, et par voie d’insinuation, auquel on assista alors, de la puissance du cardinal Mazarin. […] On dirait d’un médecin curieux qui décrit avec amour la maladie, cette maladie qu’il a toujours le plus désiré voir de près ; évidemment il aime mieux la voir que la guérir : Il paraît un peu de sentiment, dit-il en parlant du corps abattu de l’État, une lueur ou plutôt une étincelle de vie ; et ce signe de vie, dans les commencements presque imperceptible, ne se donne point par Monsieur, il ne se donne point par M. le Prince, il ne se donne point par les grands du royaume, il ne se donne point par les provinces ; il se donne par le Parlement, qui, jusqu’à notre siècle, n’avait jamais commencé de révolution, et qui certainement aurait condamné par des arrêts sanglants celle qu’il faisait lui-même, si tout autre que lui l’eût commencée. […] Retz, qui, pour nous aujourd’hui, parce que nous savons sa vie et ses confessions, paraît un ecclésiastique des plus scandaleux, ne semblait pas tel de son vivant à ceux de son corps et à son troupeau. […] Ce titre de chef de parti était ce qu’il avait toujours honoré le plus dans les Vies de Plutarque, et quand il vit que les affaires s’embrouillaient, au point de lui en laisser venir naturellement le rôle, il en ressentit un chatouillement de sens et un mouvement de gloire qui semble indiquer qu’il ne concevait rien de plus beau ni de plus délicieux au-delà.

1545. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — II. (Fin.) » pp. 308-328

« J’aimerais mieux, dit-il quelque part, avoir dit une chose sublime dans ma vie que d’avoir imprimé douze volumes de petites choses. » Les choses dont a parlé Fontenelle ne sont point petites ; mais, malgré les qualités heureuses de clarté, de netteté et de précision qu’il y introduit, il y a mêlé aussi des petitesses. […] Le très léger et très étroit Helvétius qui, dans sa vie de plaisirs, est subitement saisi de l’amour de la réputation, et qui essaye, à trois reprises, de trois veines différentes, en manquant toujours l’occasion, est presque comique. […] Quant à d’Holbach, ce furieux incrédule, et qui voulait convertir tout l’univers à son athéisme, il était tel de caractère qu’il croyait sur les choses de la vie tous ceux qu’il voyait : « Il ne sait jamais ce qu’il veut, et le dernier qui lui parle a toujours raison. » Voilà quelques-uns de ceux qui se posaient emphatiquement alors comme les professeurs du genre humain. […] Mme d’Épinay, dans les derniers temps de sa vie, s’était vue atteinte dans sa fortune ; les réformes que M.  […] On a peu de détails sur cette fin de sa vie, et peut-être n’y en avait-il aucuns d’intéressants à recueillir.

1546. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre III. Buffon »

Indépendant, paisible, il s’est fait de l’exclusion des passions, de la vie intellectuelle et contemplative une philosophie, une morale, un bonheur : sa carrière nous offre l’unité d’une belle existence de savant, tout dévoué à la science et à son œuvre. […] Le premier, il a ramassé, interprété une multitude de faits, il les a complétés par ses hypothèses ; et le premier, il a offert une représentation précise, détaillée, scientifique de l’histoire de l’univers ; il nous a fait assister aux grandes perturbations géologiques, au développement de la vie, aux humbles commencements, aux étonnants progrès de l’homme. […] La science était à la mode déjà : mais Buffon fit aimer une science sérieuse, de première main et d’incontestable valeur ; nous sommes loin avec lui de la physique amusante et des expériences d’amateur, qui, depuis Fontenelle, faisaient partie des divertissements de la vie mondaine. […] Le châtelain de Montbard n’aimait pas la terre improductive, qui ne donne pas de revenu, ni la vie désordonnée, dont l’épanouissement n’est pas réglé par la géométrie de l’esprit humain : il avait, je l’ai dit, la passion de l’ordre.

1547. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « La Tolérance »

Faites effort pour comprendre et pour supporter que d’autres hommes tiennent de leur hérédité, de leur tempérament, de leur éducation, ou de leurs réflexions et de leur vie même, une conception métaphysique du monde différente de la vôtre. […] De croire que cette vie n’est qu’une épreuve et un prélude, ou de croire qu’elle n’aura aucun prolongement ultra-terrestre, il semble, à première vue, que deux morales opposées dussent s’ensuivre : mais, dans la pratique, tout s’arrange. Si le christianisme commande aux pauvres, au nom de la vie future, la résignation, il ne commande pas moins en vue de cette même vie future, aux riches comme aux pauvres, la charité.

1548. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 34-39

N’oublier ni les femmes, ni les enfans des Rois ; mais ne parler des Rois mêmes, qu’à propos des affaires, & ne relever aucune circonstance de leur vie, qu’autant que cette circonstance aura contribué aux grands changemens. […] Il n’est permis de suivre toutes les années d’un Prince, & toutes ses actions en détail, que quand on entreprend d’écrire sa Vie en particulier ; alors on peut ne parler des affaires, que pour le faire paroître tel qu’il a été : mais en écrivant l’Histoire d’une Nation, il ne faut parler des Princes, que pour faire paroître quels ont été les différens ressorts de l’Etat. […] Si la matiere principale de l’Histoire n’est pas la Vie des Princes, le but principal qu’on doit se proposer en l’écrivant, c’est de les instruire : & c’est une raison de rapporter tout aux affaires publiques, & de leur faire connoître qu’il n’y a rien de beau ou de bon à exécuter, que ce qui tend à détourner un mal ou à procurer un bien public. » Les Littérateurs cultivés reconnoîtront d’abord dans ces maximes, bien des principes qui nous ont été débités récemment comme des découvertes ; & si l’on jugeoit d’après elles certains Historiens qui s’en sont fait honneur, pourroient-ils seulement mériter ce titre ?

1549. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Préface »

Il ne s’agit que de frapper juste toute pierre, si roulée et même si salie qu’elle soit dans les ornières de la vie, pour en faire jaillir le feu sacré ; seulement, pour frapper ce coup juste, il faut la suprême adresse de l’instinct qui est le génie, ou l’adresse de seconde main de l’expérience, qui est du talent plus ou moins cultivé. […] Parmi les artistes qui, sous toute forme et dans toute œuvre, arrivent à ce degré de profondeur et d’intensité qui est plus que la vie et qui en constitue l’idéal, il y a ceux qui ont tiré à eux toute cette magnifique couverture du nom de poètes et qui l’ont gardé pour eux seuls. […] Ils ont confisqué à leur profit une appellation qui convient à tout homme doué, quel que soit son genre de talent et de langage, de la puissance d’exalter la vie et d’élargir les battements du cœur.

1550. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME GUIZOT (NEE PAULINE DE MEULAN) » pp. 214-248

Malgré le peu qu’on sait de la vie de La Bruyère, je ne crois pas qu’il ait eu besoin davantage de grandes épreuves personnelles pour lire, comme il l’a fait, dans les cœurs. […] Ses brillants débuts de moraliste se rattachent surtout à une partie de sa vie qui confine au dix-huitième siècle, et qu’on a moins relevée que ses derniers travaux. […] Comment l’initier par degrés à la vie, l’éclairer sans le troubler, le laisser heureux sans le tromper ? […] Son idée ingénieuse, et trop vraie peut-être, était même que la sensibilité ne passe si bien dans les œuvres de l’art qu’en se détournant un peu de la vie. […] En fait de bonheur et de malheur, ma vie a été si pleine, si vive, que je ne puis, sans que la main me tremble, toucher à quelqu’une de ses profondeurs.

1551. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE LONGUEVILLE » pp. 322-357

Sa vie, qui s’est partagée en deux moitiés contraires, l’une d’ambition et de galanterie, l’autre de dévotion et de pénitence, n’a trouvé le plus souvent que des témoins trop préoccupés d’un seul aspect. […] Sans prétendre retracer une vie si diverse et si fuyante, il y a eu devoir et plaisir pour nous à bien saisir du moins cette physionomie à laquelle s’attache un enchantement immortel, et qui, même sous ses voiles redoublés, nous venait sourire du fond de notre cadre austère. […] La vie de Mme de Longueville a de ces symétries harmonieuses, de ces accords et de ces retours qui la font aisément poétique, et auxquels l’imagination, malgré tout, se laisse ravir. […] Une vie vraiment nouvelle pourtant va commencer. […] J’emprunte beaucoup pour ces commencements à la véritable Vie de la duchesse de Longueville par Villefore (1739).

1552. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre quatrième. Éléments sensitifs et appétitifs des opérations intellectuelles — Chapitre premier. Sensation et pensée »

Le contenu sensible de notre conscience a été déterminé par l’action du monde extérieur et par la réaction motrice de l’être qui veut vivre : les divers modes de sentir sont le résultat de la lutte des volontés pour la vie. […] La spécialisation des sensations s’explique, comme la spécialisation et le développement des autres organes, par le rapport aux besoins de la vie. […] La différence des ténèbres à la lumière n’est assurément pas analogue aux ténèbres mêmes, ni à la lumière, la différence n’est pas une donnée des cinq sens ; mais ce n’est pas une raison pour croire qu’elle ne puisse se sentir, car on pourrait appliquer le même raisonnement au bien-être et au malaise, à la chaleur, au mal de tête ou, plus généralement, au sentiment d’une vie facile, d’une vie entravée, toutes choses qu’un peintre serait bien embarrassé de dessiner. […] Pourquoi ne conclurait-on pas aussi bien, avec Platon, que nous avons dû contempler l’égalité dans une vie antérieure et que nous apportons dans ce monde le souvenir d’un autre monde ? […] Nous éviterons donc à la fois le mysticisme des platoniciens, le formalisme des kantiens, la passivité du sensualisme, pour y substituer, avec les idées-forces, la réalité et la vie.

1553. (1920) Action, n° 3, avril 1920, Extraits

Vouloir retrouver l’instinct par principe c’est exactement comme si un homme âgé voulait par principe retrouver les premiers jours de sa vie. […] La série d’Inconséquences qui caractérisent notre vie moderne découle du manque des principes sur lesquels on pourrait se baser : de là la faillite de la satire. […] Il ressemble physiquement aux humains et peut se confondre avec eux, mais son âme pacifique, logique, humaine, se débat au milieu des absurdités qui sont la trame même de la vie guerrière. […] Louis de Gonzague Frick ou le phyllorhodomancien » (La Vie anecdotique, 16 septembre 1912), Œuvres en prose complètes, t.  […] Il a publié son premier recueil, L’Homme et la vie, en 1910.

1554. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Proudhon » pp. 29-79

Mais je déclare que j’ai lu avec beaucoup de soin ces quatre volumes qui racontent les quarante premières années de sa vie, et que je n’ai pas trouvé un seul fait qui appuie cette accusation de méchanceté. […] Les lâches moralistes de ce temps ont trop séparé le cœur de l’esprit, dans leur déchiquetage de la vie ; ils ont cru racheter l’un par l’autre. […] Ses idées, plus que ses sentiments (et ses meilleurs), étaient en somme la grande affaire de sa vie. […] Il les tient au courant de ses travaux et des développements de sa pensée, et s’il leur parle de ses misères, c’est qu’elles nuisent à sa vie de penseur. […] Il fut toute sa vie tranquille dans l’équilibré de ses organes.

1555. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gui Patin. — II. (Fin.) » pp. 110-133

Malherbe n’avait donné que quelques échantillons de lettres pour les grandes occasions, ne s’astreignant point à soigner son style dans l’ordinaire de la vie : Balzac s’y appliqua et en fit proprement son domaine ; il fut toute sa vie le grand épistolier de France. […] Il date sa vie par rapport à eux : il avait sept ans quand Scaliger est mort en 1609, à Leyde, tel jour de janvier, la veille d’une éclipse : « Ce démon d’homme-là savait tout, et plût à Dieu que je susse ce qu’il avait oublié !  […] Ces années de son décanat furent le moment le plus glorieux de la vie de Gui Patin. […] Il eut, dans les quatorze dernières années de sa vie, une relation illustre et qui est faite pour honorer encore aujourd’hui son nom. […] La sensibilité de Gui Patin a été contestée : il en avait pourtant comme en ont ces natures fortes et ces vies sobres : il ne s’agit que de toucher en elles les vraies cordes.

1556. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. EUGÈNE SUE (Jean Cavalier). » pp. 87-117

C’est toujours le cas de dire, même quand ce sont si peu des Ménandre : O vie ! […] Mais cette science amère, ce résidu et comme cette cendre de la vie, que ce père imprudent de sa main mourante sème au cœur de son fils, va petit à petit l’empoisonner. […] Ce n’est pas à dire peut-être que le bien plus que le mal fasse le fond de l’humaine vie ; tout n’est que confusion et mélange. […] Plus tard, en avançant dans la vie, on voit qu’on ne peut dire assez que le fond échappe toujours, que c’est inutile de trop presser. […] Sa puissance, sa prospérité, sa vie, tiennent essentiellement à cette forme de gouvernement.

1557. (1894) Propos de littérature « Chapitre V » pp. 111-140

D’ailleurs, on se le rappelle, la vie pour M.  […] Et, dans la Chevauchée, des banalités telles que celles-ci : Sa vie avait une ombre de tristesse. […] Griffin fait grandir ses riches tulipes sont ouverts à tous librement et vastes, vastes comme la vie ; et du milieu de leur étendue en fleurs lorsqu’il nous appelle, nous obéissons à cette voix entendue près de nous et qui peut toujours nous parler de nous. […] L’ombre scelle d’un doigt les lèvres du Silence : Je vois fleurir des fleurs de roses à ta main, Et par-delà ta vie autre et comme d’avance De grands soleils mourir derrière ton Destin. […] Il y a dans les œuvres de M. de Régnier, comme en sa vie elle-même, beaucoup de cet ancien précepte si complètement oublié aujourd’hui : qu’un homme bien élevé évite de se mettre en scène.

1558. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vi »

Son capitaine, dans la lettre où il annonce sa mort, déclare qu’il est « glorieusement tombé en vendant chèrement sa vie ». […] Ils viennent d’affirmer devant nous, tout en se battant, leur internationalisme et leur pacifisme ; mais tout de même les événements sont de grands maîtres, et, pour échapper au joug intolérable du kaiser, ces révolutionnaires soldats ont dû consentir de sérieuses retouches à leur conception de la vie. […] Nous avons dit comment le digne ouvrier français respecte en lui-même une qualité de bon travailleur, une aptitude à créer qui est le résultat d’une longue sélection le fruit de sa propre vie et des vies de ses aïeux. […] Partagé entre la vie de famille, dont il avait une idée forte et saine à la Proudhon, et ses études « sur l’enseignement » qu’il donnait aux feuilles syndicalistes, il s’est maintenu avec orgueil dans la classe ouvrière. […] Quand on évoque ces deux noms, il me semble revoir, au milieu d’une mer humaine tachée de milliers de bannières rouges, ces deux hommes aux gestes larges et aux paroles profondes, qui semblaient, comme des apôtres, montrer aux prolétaires la cité future, tout un monde de paix, et non cette vie si proche à laquelle aucun esprit sensé ne voulait croire : la vie où l’on ne parlerait pas d’autre chose que de canons, de tranchées, d’attaques, de meurtres et d’incendies… Où sommes-nous tombés maintenant !

1559. (1868) Curiosités esthétiques « IV. Exposition universelle 1855 — Beaux-arts » pp. 211-244

La variété, condition sine qua non de la vie, serait effacée de la vie. […] Je ne veux pas dire qu’il soit volontairement, froidement bizarre, car dans ce cas il serait un monstre sorti des rails de la vie. […] Delacroix, la première idée qui s’empare du spectateur est l’idée d’une vie bien remplie, d’un amour opiniâtre, incessant de l’art. […] Toujours la foule agissante, inquiète, le tumulte des armes, la pompe des vêtements, la vérité emphatique du geste dans les grandes circonstances de la vie ! […] Charles Baudelaire rappelle ici une des plus belles pièces des Fleurs du Mal, la VIe, les Phares.

1560. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre VI. De la politique poétique » pp. 186-220

Leur vie dépendait de leurs seigneurs, et par suite tout ce qu’ils pouvaient acquérir ; droit terrible que les héros exerçaient aussi sur leurs enfants69. […] Les serviteurs, au contraire, étaient obligés de passer leur vie dans le même état de dépendance. […] Retirés au sommet des monts, ils y trouvèrent, pour fixer leur vie errante, des lieux salubres, forts de situation, et pourvus d’eau, trois circonstances indispensables pour élever des cités. C’est encore la religion qui les détermina à former une union régulière et aussi durable que la vie, celle du mariage, d’où nous avons vu dériver le pouvoir paternel, et par suite tous les pouvoirs. […] Ils sont en outre dangereux : ce sont des joutes, des chasses, exercices capables de fortifier l’âme et le corps, et d’habituer à mépriser, à prodiguer la vie. — V.

1561. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XI. »

Un de ces drames représentait l’apothéose de la poésie elle-même, c’est-à-dire la vie d’Orphée, sa mort, ses restes dispersés par les Bacchantes, recueillis et ensevelis par les Muses. […] J’ai senti remonter à mon cœur cette effluve rougeâtre qui, dégouttant jusqu’à terre le long du fil de la lance, emporte avec elle le rayon de la vie qui s’éteint. […] Il n’est plus le prophète qui maudit, ou l’Euménide qui menace ; mais il est à la fois le chantre religieux dans le temple et le poëte de l’amour, de la pitié, de la douleur, dans la vie commune. […] Puissé-je, à mon déclin, terminer ma vie comme je la commence !  […] Quand la flotte d’Athènes, brisée devant Syracuse, laissa tant de captifs et de blessés en Sicile, le soutien de leur vie, leur droit à l’hospitalité fut d’aller par les villes, chantant les chœurs d’Euripide.

1562. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Bossuet. Œuvres complètes publiées d’après les imprimés et les manuscrits originaux, par M. Lachat »

Dans les trois volumes publiés jusqu’à ce jour sur la Vie de Bossuet, et qui ne comprennent cependant encore qu’un premier tiers de sa carrière publique jusqu’en 1670, il épuise les sources, les informations ; il ne laisse rien d’inexploré. […] Né en Bourgogne, d’une famille parlementaire (1627), il s’annonça de bonne heure par les plus brillantes dispositions ; son feu, sa vivacité étaient modérés par une douceur et une sagesse qui se retrouvent dans toute sa vie ; sa parole était de feu, mais son esprit, sa conduite furent toujours sages. […] Chacun a son idéal de vie heureuse, sa maison d’Horace en perspective : pour le profond et grand chrétien, jeune ou vieillissant, il n’y avait d’autre maison que celle de mon Père. […] Vie chaste, vie sobre, vie tour à tour de mouvement et d’un certain éclat à Paris, et de retraite à Metz ; — c’est à ce régime qu’il dut le perfectionnement, la forte et entière nourriture de son génie.

1563. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

Un tel genre de vie anéantit l’esprit faible, mais donne une singulière énergie à l’esprit capable de penser par lui-même. » Ses premiers doutes lui vinrent à Issy, et ils lui arrivèrent par les études naturelles, par les sciences, pour lesquelles il se sentait du goût, et qu’il commençait à cultiver. […] Sa tendre sœur, dans cette crise pénible, vint à son aide et lui épargna les soucis de la vie matérielle : il put être tout entier du moins à ses idées et aux nobles soins de progrès et d’avancement intérieur auxquels il s’était voué. […] Mais, cela dit, il n’avait eu d’autre effort à faire, dans sa vie de l’esprit, que de se laisser croître et mûrir ; il avait eu son évolution, non sa révolution. […] Je sais des gens qui, par esprit d’opposition, après avoir passé leur vie à combattre la philosophie de M.  […] Car que peut désirer de plus beau une grande âme, une haute intelligence, si par malheur la vie et la conscience individuelle ne persistent pas à tout jamais et s’évanouissent après cette vie mortelle ?

1564. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Quatre moments religieux au XIXe siècle. »

Les trois Lettres à un jeune homme sur la Vie chrétienne, données de son vivant et par lui-même81, ne diffèrent pas notablement d’une conférence en trois points. […] Il est raconté dans la vie d’un de nos Bienheureux qu’un jour il parcourait une ville à cheval avec ses amis : Dieu, qui le voulait avoir, le jeta par terre dans la boue, et ce fut l’occasion de son salut et de sa sainteté. […] La grande prétention et l’ambition, on le sait, du Père Lacordaire est de réconcilier pleinement le Christianisme, le Catholicisme, avec le siècle, de ne le retrancher d’aucun des actes, d’aucun des emplois légitimes de la vie et de l’esprit, de lui faire prendre pied partout pour y porter avec lui la consécration et le rajeunissement : aussi nie-t-il formellement que le dogme soit ni puisse être en rien opposé à la raison ; loin de là, il s’empare de la raison même au nom du dogme, pour la restaurer et la sanctifier. […] honneur à tous ceux que les préjugés d’hier n’ont pas arrêtés davantage et n’arrêtent pas chaque jour dans l’interprétation des fouilles terrestres profondes, dans la perscrutation intime et atomistique de la vie, ou dans l’exploration ascendante et le déchiffrement graduel des vieux âges ! […] Il est rapporté dans la Vie de saint Jérôme qu’il fut battu de verges par un Ange, qui lui reprochait, en le frappant, de lire avec plus d’ardeur Cicéron que l’Évangile : combien plus vos lectures mériteraient-elles ce châtiment, si Dieu nous témoignait toujours, dès cette vie, ce qu’il pense de nos actions ? 

1565. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre premier. De la première époque de la littérature des Grecs » pp. 71-94

Les usages communs de la vie étaient ennoblis par des pratiques religieuses ; notre luxe commode, nos machines combinées par les sciences, nos relations sociales simplifiées par le commerce, ne peuvent se peindre en vers d’un genre élevé. […] On faisait précéder les repas de libations aux dieux propices ; sur le seuil de la porte, on se prosternait devant Jupiter hospitalier ; la vie agricole, la chasse, les occupations champêtres des plus fameux héros de l’antiquité servaient encore à la poésie, en rapprochant les images naturelles des faits politiques les plus importants. […] J’aurai souvent l’occasion de faire remarquer les changements qui se sont opérés dans la littérature, à l’époque où les femmes ont commencé à faire partie de la vie morale de l’homme. […] La vie des hommes célèbres était plus glorieuse chez les anciens ; celle des hommes obscurs est plus heureuse chez les modernes. […] La réflexion, la mélancolie, ces jouissances solitaires, ne conviennent point à la foule ; le sang s’anime, la vie s’exalte parmi les hommes rassemblés.

1566. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « III. Quelques mots sur l’explication de textes »

Il ne s’agit pas seulement de reconnaître ce qui a été vraiment pensé, senti, exprimé par Montaigne et Pascal, par Racine et Victor Hugo ; mais dans ce qui va au-delà de ce qu’on peut raisonnablement appeler leur sens, au-delà des plus fines suggestions qu’on a droit de rapporter encore à leur volonté plus ou moins consciente, dans ce qui n’est plus vraiment que moi, lecteur, réagissant à une lecture comme je réagis à la vie, il ne faut tout de même pas confondre ce qui est le prolongement, l’effet direct, normal, et comme attendu de la vertu du livre, avec ce qui ne saurait s’y rattacher par aucun rapport et ne sert à en comprendre, à en éclairer aucun caractère. […] Et l’habitude prise au lycée ou à la Faculté se gardera toute la vie. […] Un esprit gagné à la fine psychologie de Marcel Proust, et à la métaphysique qui s’y implique, soutiendrait sans doute que le moi et le non-moi sont inséparablement mêlés dans nos perceptions et notre connaissance, que s’il y a une réalité extérieure, elle ne se révèle à nous que par des réactions qui ne sont jamais les mêmes au même instant chez deux hommes, ni chez le même homme à deux moments différents, que nous sommes dans l’impossibilité de choisir entre les vingt images d’une personne que la vie a mises en nous, qu’il n’y en a pas une qui soit la seule vraie ni la plus vraie, ou que toutes sont vraies également, sans que nous puissions y distinguer ce qui est de l’objet perçu et ce qui est du sujet sentant. […] Dans une étude récente sur la Vie morale selon les Essais de Montaigne (Revue des Deux Mondes, 1er-15 février 1924), j’ai essayé de distinguer nettement la pensée de Montaigne, telle qu’elle peut apparaître quand on l’étudie historiquement selon les règles d’une exacte critique, et l’interprétation qu’une conscience d’aujourd’hui, se plaçant dans une attitude analogue à celle de Montaigne, mais développant sans embarras ou dépassant selon les besoins et selon les lumières du temps présent les indications des Essais, pourrait en tirer pour l’usage présent de la vie. Si la culture des Universités ou des Collèges prépare l’homme à la vie dans son milieu et dans son temps, il ne suffit pas de connaître la valeur historique des textes ; il faut en rechercher la valeur présente.

1567. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Deux tragédies chrétiennes : Blandine, drame en cinq actes, en vers, de M. Jules Barbier ; l’Incendie de Rome, drame en cinq actes et huit tableaux, de M. Armand Éphraïm et Jean La Rode. » pp. 317-337

Du moins y faudrait-il, à défaut de génie, une longue méditation et plus de « vie intérieure » que n’en a le commun de nos dramaturges. […] La vie et la passion de Jésus, contées à sa façon par Blandine, — en un récit naïf, décousu et ardent, tout à fait convenable à la simplicité et à l’imagination passionnée d’une esclave ignorante, — décident instantanément le jeune Ponticus, ce pendant qu’Attale et Æmilia cèdent à la première exhortation de l’évêque Pothin. […] Quant à vous, femmes, répandez vos cheveux sur vos épaules, afin que les amis de Pedanius puissent, s’ils le désirent, essuyer leurs mains. » — Les auteurs ont voulu nous mettre sous les yeux la vie élégante sous Néron, et la vie néronienne elle-même. […] à nous deux nous imaginerons, nous vivrons une vie affinée, grandiose, non vécue jusqu’ici… Elle ne t’attire donc pas, cette existence surhumaine ? […] Les auteurs n’y eussent pas mis une idée de plus que dans leur prose ; mais de beaux vers (il les fallait beaux) nous eussent peut-être suggéré, par leur musique et par leur volupté propre, quelque chose des voluptés néroniennes et de ce que Cléopâtre avait appelé déjà « la vie inimitable »… La pièce elle-même est une broderie industrieuse sur le chapitre des Annales où Tacite conte l’assassinat de Pedanius Secundus et ce qui s’ensuivit. — Ce Secundus est un abominable homme.

1568. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Premiere partie. » pp. 12-34

le desir généreux de venger ses freres de l’attentat des méchans enflamme son courage(a), & si vous croyez que la vanité seule conduit sa plume, hommes ingrats, regardez les persécutions qu’il essuie, son exil, sa vie errante, ses malheurs. […] Hommes de Lettres, vous n’êtes pas toujours assez heureux pour avoir de tels sacrifices à faire à la vérité, mais dans tous les tems de votre vie, vous avez des nœuds chers à briser. […] A ce mot je vois frémir les ames foibles qui redoutent la vie ; ames infortunées qui n’existent plus dès que les molles voluptés les abandonnent ; tristes victimes de leur lâcheté, dévouées à la crainte & nées pour l’impuissance ; sans doute elle ne sont point faites pour connoître ce courage mâle qui émousse la pointe de l’infortune, résiste aux revers, triomphe des evénemens, & met au rang des plus précieux trésors l’indépendance & l’honneur. […] Je sçais que la Philosophie oblige les Rois de porter pendant toute leur vie le triste fardeau du Sceptre qu’un destin fatal leur a imposé ; je sçais qu’elle leur défend d’oser s’élever à un état plus heureux, mais elle est aussi trop severe. […] celles qui doivent adoucir les amertumes de notre vie, peuvent-elles se passer d’être instruites ?

1569. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Seconde partie. » pp. 35-56

Une premiere vérité l’enhardit à en connoître une seconde, & si sa vie n’étoit pas bornée, sans doute, tél homme de génié auroit embrassé le cercle des connoissances humaines. […] Alors dans les vastes pensées d’une sublime méditation, le livre antique lui tombe des mains, le soufle inspirateur se répand dans son ame, son cœur s’échauffe ; son imagination s’allume, un frémissement délicieux coule dans ses veines, l’enthousiasme le saisit ; sur des aîles de feu, son esprit s’élance, il franchit les limites du monde, il plane au haut des Cieux : là, il contemple, il embrasse la vertu dans sa perfection, il s’enflamme pour elle jusqu’au ravissement & à l’extase, je vois son front riant tourné vers le Ciel, des larmes de joie coulent de ses yeux, l’amour sacré du genre humain pénetre son cœur d’une vive tendresse, son sang bouillonne ; la rapidité de ses esprits entraîne celles de ses idées ; c’est alors qu’il peint avec sentiment, qu’il lance les foudres d’une mâle éloquence, qu’il crée ces chefs-d’œuvres l’admiration des siécles ; il donne l’ame, la vie, ou plutôt il embrâse tout ce qu’il touche. […] Vous n’avez pas moins de charmes pour moi que la vérité ; puissiez-vous me toucher & me plaire jusques dans les derniers instans de ma vie. […] Tandis que l’ennemi des beaux Arts sur le déclin de ses années, à charge à lui-même & aux autres, éprouvera un vuide affreux, n’envisageant que le spectre de l’ennui, & les ombres horribles de la mort : l’homme éclairé jouira du spectacle de sa vie passée ; il aura sçû apprécier, ce que vaut l’existence, & fort par sa pensée, il ne redoutera point l’instant inévitable qui doit terminer sa carrière : ainsi le généreux Fénélon, qui montra à l’Univers le caractère rare & sacré d’une ame remplie à la fois d’une extrême vertu & d’une extrême douceur, ne perdit point dans les Cours la simplicité de ses mœurs, & conserva dans son exil cette égalité d’ame que rien ne pût corrompre. Ainsi, Fontenelle, ce Nestor, qui illustra deux siécles, calme, tranquille, modéré jusqu’à sa derniere heure, vit fuir le songe de la vie comme un Sage du haut d’une colline élevée voit mourir les derniers rayons du Soleil.

1570. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre premier. La critique et la vie littéraire » pp. 1-18

La critique et la vie littéraire Ce n’est plus ce qu’on Appelle une vie. […] Ce qui fait la vie d’une critique, c’est qu’on sent que l’explication rationnelle, analytique, vient au secours de l’intuition, la traduit, l’amplifie, la justifie. […] Certes, le premier, n’ayant de sa vie rien senti, ne pouvait juger qu’à faux et ne s’en privait pas. Mais l’autre avait tort aussi bien, et ses propres articles le condamnaient : sans doute la vie littéraire n’était pour lui qu’un prétexte à causeries d’histoire et mœurs, mais tout de même lui advenait-il de parler des livres et, bon gré mal gré, de les juger, soit de leur assigner non leur valeur absolue (ce qui n’a pas de sens), mais celle qu’ils prenaient à ses yeux. […] Je me rappelle aussi une phrase très belle de Sainte-Beuve, qu’il est toujours flatteur de s’appliquer : « Il y a la race des hommes qui, lorsqu’ils découvrent autour d’eux un vice, une sottise ou littéraire ou morale, gardent le secret et ne songent qu’à s’en servir et à en profiter doucement dans la vie par des flatteries ou des alliances ; c’est le grand nombre, — et pourtant il y a la race de ceux qui, voyant ce faux et ce convenu hypocrite, n’ont pas de cesse que, sous une forme ou sous une autre, la vérité, comme ils la sentent, ne soit sortie et proférée : qu’il s’agisse de rimes ou même de choses un peu plus sérieuses, soyons de ceux-là. » 1.

1571. (1842) Essai sur Adolphe

Il a dévoré dans ses ambitions solitaires plusieurs destinées dont une seule suffirait à remplir sa vie ; il a vécu des siècles dans sa mémoire, et il n’est encore qu’au seuil de ses années. […] Elle avait joué hardiment sa vie entière sur un coup de dé ; elle avait gagné. […] Car ma vie se partage entre la prière et le dévouement ; et leur route est si bien frayée, qu’elles vous oublient, ô mon Dieu ! […] La vie entière est changée, et ne peut revenir à ses premières émotions sans d’horribles tortures. […] Mieux vaudrait cent fois la solitude avec ses découragements et ses défaillances ; car, dans l’intimité rassasiée, toute la vie se ternit et se désenchante, toutes les heures de la journée contiennent des supplices prévus et inévitables.

1572. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVII. Forme définitive des idées de Jésus sur le Royaume de Dieu. »

Sa chimère n’a pas eu le sort de tant d’autres qui ont traversé l’esprit humain, parce qu’elle recelait un germe de vie qui, introduit, grâce à une enveloppe fabuleuse, dans le sein de l’humanité, y a porté des fruits éternels. […] Renoncer à un monde près de crouler, se détacher peu à peu de la vie présente, aspirer au règne qui allait venir, tel eût été le dernier mot de sa prédication. […] En vieillissant, le monde s’était attaché à la vie. […] Le mot de « royaume de Dieu » exprime, d’un autre côté, avec un rare bonheur, le besoin qu’éprouve l’âme d’un supplément de destinée, d’une compensation à la vie actuelle. […] Nous suivons le système de Jean, d’après lequel la vie publique de Jésus dura trois ans.

1573. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXV » pp. 259-278

Le maréchal d’Albret, alors comte de Miossens, lui avait fait la cour et n’avait pas réussi ; mais il avait conçu pour elle une estime et une tendresse qui ne finirent qu’avec sa vie, plus de vingt ans après. […] Voilà ce qui donna du charme à sa beauté, de la grâce et de la vie à son esprit éminemment sage et éclairé, et une puissance infinie à sa conversation. […] C’est, dit-il, une singularité de plus dans la vie de madame de Maintenon, qu’elle a commencé par déplaire au monarque qu’elle a captivé. […] Mais une vie toujours chaste et réglée qui avait conservé la fraîcheur de la jeunesse. […] (Vie de Maintenon, p. 41).

1574. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXVI » pp. 279-297

C’étaient mêmes idées, mêmes principes, mêmes habitudes ; dans toutes une vie régulière et décente, des mœurs chastes, un esprit orné, une raison cultivée, également opposée aux mœurs de la cour, à la pédanterie des précieuses outrées, et à la dévotion feinte ou réelle qui était le refuge de la galanterie repentante ou répudiée. […] Elle en avait besoin dans l’exercice de son office de gouvernante, pour conserver la liberté de se retirer et en trouver un prétexte dans ses devoirs religieux, si la mère des enfants qu’elle allait élever lui rendait la vie désagréable, et que le roi ne la dédommageât point de ses disgrâces. […] La Beaumelle dit qu’il plaida, prêcha et rampa toute sa vie. […] De peur qu’on ne le pénétrât, je me faisais saigner pour m’empêcher de rougir. » On voit qu’une des précautions de cette vie mystérieuse consistait à lui ôter tout air de mystère, et voilà pourquoi jusqu’en 1672, la société de madame Scarron continuait à la voir habituellement. […] Auger, Vie de Maintenon.

1575. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XV, l’Orestie. — les Choéphores. »

En retour, l’aïeul, du fond de son repos, veillait paternellement sur ses descendants ; il inspirait leurs conseils et les protégeait dans les périls de la vie. […] Les transformations successives que l’idée de la vie future revêtit dans le monde antique n’atteignirent point au fond cette foi primordiale. Au déclin du polythéisme, Cicéron écrivait encore : « Nos ancêtres ont voulu que les hommes qui avaient quitté cette vie fussent comptés au nombre des dieux… Rendez aux dieux Mânes ce qui leur est dû ; ce sont des hommes qui ont quitté la vie, tenez-les pour des êtres divins. » Dans cette vie muette et voilée qu’il continuait sous la tombe, le mort gardait ses passions terrestres : des haines et des amours brûlaient sous sa cendre, une éruption pouvait toujours sortir de ce volcan mal éteint. […] Après la vie, leur courroux éclate.

1576. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — Se connaître »

Il faut remonter aux sources mêmes, c’est-à-dire aux écrits des philosophes, des penseurs religieux ou politiques, des historiens et des poètes, si l’on veut pénétrer la vie des peuples. […] Après la lecture des textes, l’étude directe de la vie étrangère est indispensable. […] Il est indispensable de consacrer à ce soin plusieurs années de notre vie, si nous la voulons consciente et digne d’être vécue.‌ Il nous faudrait un office permanent d’enquêtes sur toutes les branches de l’activité humaine, pour connaître à fond la vie politique et sociale des autres peuples, leurs expériences, leurs pratiques, leurs fautes, leurs succès, leurs innovations ; leurs découvertes et leurs applications scientifiques ; leur administration, leur industrie, leur production, leur commerce ; leur art et leurs traditions ; en un mot leur existence exacte. […] 57 Lorsque nous saurons, sans contestation possible, ce qui se pratique à l’étranger, il est impossible que notre vie nationale ne se transforme pas.

1577. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre premier. Table chronologique, ou préparation des matières. que doit mettre en œuvre la science nouvelle » pp. 5-23

Dès que les géants, quittant leur vie vagabonde, se mettent à cultiver les champs, nous voyons commencer l’âge d’or ou âge divin des Grecs, et quelques siècles après celui du Latium, l’âge de Saturne, dans lequel les dieux vivaient sur la terre avec les hommes. […] Les Égyptiens, dit Jamblique, rapportaient à cet Hermès toutes les inventions nécessaires ou utiles à la vie sociale. […] D’après la division des trois âges que reconnaissaient les Égyptiens, Hermès devait être un dieu, puisque sa vie embrassait tout ce qu’on appelait l’âge des dieux dans cette nomenclature19. […] Quant aux trépieds consacrés par ce dernier en mémoire de sa victoire sur Homère, ce sont des monuments tels qu’en fabriquent de nos jours les faiseurs de médailles, qui vivent de la simplicité des curieux. — Si nous considérons, d’un côté, que la vie d’Hippocrate est toute fabuleuse, et que, de l’autre, il est l’auteur incontestable d’ouvrages écrits en prose et en caractères vulgaires, nous rapporterons son existence au temps d’Hérodote qui écrivit de même en prose et dont l’histoire est pleine de fables. […] Ainsi, la vie d’un seul homme nous présente plus de faits qu’il ne s’en passerait en mille années !

1578. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VIII. »

Séparé de Pythagore à peine par un demi-siècle, Eschyle reçut cette doctrine de ses premiers disciples ; et sans doute il avait pratiqué comme eux cette vie pure, solitaire, rigoureuse, si favorable à la force d’âme et à l’imagination poétique. […] Le pieux orgueil d’un tel espoir s’entretenait, chez le philosophe, par l’idée d’une vie conforme à l’origine de Famé et qui la conservât pure au milieu des contagions de la terre. […] Si par égarement quelque génie a souillé de sang sa substance, parmi ceux-là même qui ont en partage la vie céleste, il est, pendant trois mille saisons, banni loin des bienheureux. […] Et toi, Muse aux mille souvenirs, vierge aux bras blancs, je sollicite de toi ce qu’il est permis d’apprendre dans cette vie passagère. […] ayant devant eux le petit lot d’une vie à peine vitale, emportés dans l’air comme la fumée, assurés seulement de la chose où chacun d’eux s’est heurté, et poussés çà et là vers toute a chose !

1579. (1874) Premiers lundis. Tome II « Le poète Fontaney »

Ajoutez à cette noble qualité de l’esprit toutes les délicatesses et les fiertés de l’honnête homme et du gentleman, pour parler son langage de lord Feeling ; on comprendra quelles difficultés et quelles amertumes une telle nature dut rencontrer dans la vie. […] Fontaney, un de ces hommes avec qui l’on sent, avec qui l’on est d’accord même sans se revoir, et qui font, en disparaissant successivement, que notre meilleur temps se voile, et que la vie devient comme étrangère29. […] Si c’est elle qui lui a fait quitter son modeste emploi pour les chances de la vie littéraire, elle l’a déçu, puisqu’il est mort à la peine, sans atteindre même à ce peu qu’on appelle la renommée.

1580. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre IV. — Molière. Chœur des Français » pp. 178-183

Représentation des mœurs sociales dans le cercle de la vie privée249, le drame comique a pour condition l’observation250. […] Shakespeare, plus grand dans la tragédie que dans la comédie, parce que la première comporte mieux les fantaisies de l’imagination, et que la seconde doit ressembler davantage à une peinture265, Shakespeare ne met presque jamais la vie réelle sur la scène comique266. […] Louis Moland, Molière, sa vie et ses ouvrages.

1581. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 115-120

C’étoit peu d’avoir su imiter le plan & la marche de ce Poëte ingénieux, élégant & délicat, il falloit, comme lui, avoir le talent de donner de la vie & de l’intérêt aux tableaux qu’on vouloit présenter. […] Détracteur de la vie, Young, Anglois farouche, Noctambule pressé que le soleil se couche, Pour méditer en paix tes funebres tableaux, Apôtre de la mort, prêchant sur des tombeaux, A travers quel nuage ou quel verre infidele Vois-tu donc les devoirs de la race mortelle ! […] Young, pourquoi semblable à l’orage en furie, Viens-tu coucher les fleurs dans le champ de la vie ?

1582. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre VII. Le Bovarysme essentiel de l’existence phénoménale »

Comme on s’écarte d’un point de vue pour le contempler, le moi s’écarte de soi-même, et, s’avançant sur la ligne du temps, il ne saisit dans le passé qu’une image dont la conscience a conservé le reflet, une image qu’une mémoire plus ou moins fidèle présente à sa vue, plus ou moins déformée, privée de vie toujours. […] Il ne se conçoit pas tel qu’il est, animé d’une vie complexe et qui se rue vers l’avenir. […] L’unprend conscience de soi-même dans le multipleet l’état de connaissance, mascarade prestigieuse où la vie se délasse, se fonde sur le mensonge d’un être qui, par manière de jeu, se conçoit autre qu’il n’est.

1583. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Lettre-préface à Henri Morf et Joseph Bédier » pp. -

Quelques personnes, qui s’intéressent à mes idées sur la littérature et sur la vie en général, ont supposé chez moi une forte influence de Hegel et de Bergson. […] Quant à Henri Bergson, s’il y a, sur certains points, quelque analogie entre ses idées et les miennes, c’est qu’un courant général nous entraîne vers une nouvelle conception de la vie. […] En effet, certains historiens de la poésie estiment qu’il suffit, pour en parler, de la science des dates et des sources, comme si, pour parler de peinture, il suffisait de connaître les lois de la perspective et celles des couleurs complémentaires ; ce n’est pas auprès de vous, chers amis, que je m’excuserai d’avoir aussi écouté les voix secrètes de la sympathie… Toute foi est faite de poésie ; et toute vie qui ne tend pas au seul pain quotidien est un acte de foi.

1584. (1855) Louis David, son école et son temps. Souvenirs pp. -447

après avoir gaspillé sa vie à Paris, a été fonder une école de dessin à la Havane, où il est mort malheureusement. […] Telle est la première grande période de la vie du peintre, de David. […] C’est donc particulièrement sous ce point de vue qu’il est bon d’étudier ici ce que l’on peut appeler la vie politique de David. […] La vie de David n’était plus en danger. […] Aussi, dans les actions ordinaires de la vie comme dans sa carrière d’artiste, ne put-il jamais supporter une contradiction.

1585. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre premier. Aperçu descriptif. — Histoire de la question »

On le voit, dans la plupart des événements de la vie humaine, la parole intérieure joue un rôle de première importance. […] Interprète de l’écriture, antécédent ordinaire de la parole audible, expression naturelle et immédiate de la pensée silencieuse, la parole intérieure est toujours au premier rang parmi les facteurs de la vie sociale et de la vie individuelle. […] Toujours préoccupé de vérités immuables, de principes sociaux éternels, Bonald n’a pas le sens du devenir ; il comprend mal la vie du langage ; de même, en psychologie, s’il observe parfois avec précision, il généralise trop vite, il néglige les nuances dès qu’il a trouvé l’antithèse où il se complaît à enfermer sa pensée ; la sécheresse, en psychologie, est toujours inexactitude ; il était difficile de reconnaître la vie de l’âme, cet être « ondoyant et divers », dans les formules concises où Bonald prétendait la résumer ; enfin et surtout, il avait à l’avance compromis son autorité comme psychologue par les conséquences démesurées qu’il avait cru pouvoir tirer d’une observation d’ailleurs bien faite. […] Disciple de Rousseau, qu’il n’a pas lu, Laurent L… vivait seul, en 1865, en pleine forêt, poursuivant l’idéal de la vie de nature, étrangère à toute industrie. […] La Vie du langage, Paris, Germer Baillière, 1875, est la traduction de son ouvrage contemporain The life and growth of language.

1586. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre II. Vérification de la loi par l’examen de la littérature française » pp. 34-154

Il se dégage, de cette richesse, une impression de vie, de spontanéité, bien plus grande que de la tragédie. […] Ce théâtre, assez médiocre en esthétique, a d’ailleurs une vie intense pour l’historien. […] Il semble qu’on se réveille d’un cauchemar de formules étroites devant l’immensité d’une vie rajeunie. […] Les problèmes de ce genre abondent ; c’est que la réalité morale, intimement liée à toute la vie d’un peuple, et facteur essentiel de cette vie, échappe à l’analyse des documents. […] Il s’aperçoit que tous les efforts de sa vie ont tendu à réaliser une destinée, logique sans doute mais imprévue.

1587. (1898) Introduction aux études historiques pp. 17-281

COUTUMES MATÉRIELLES (non obligatoires). — 1° Vie matérielle  : A. […] Habitation et mobilier. — 2° Vie privée  : A. […] Les épisodes de la vie d’un homme deviennent alors des faits importants. […] On devra se représenter des hommes avec les principales conditions de leur vie. […] A l’évolution des usages matériels, à l’histoire intellectuelle, à la vie sociale, à la vie politique ?

1588. (1890) L’avenir de la science « VI »

Il faudrait avoir l’imagination bien malheureuse pour ne pas trouver quelque fade plaisanterie contre un homme qui passe sa vie à déchiffrer de vieux marbres, à deviner des alphabets inconnus, à interpréter et commenter des textes qui, aux yeux de l’ignorance, ne sont que ridicules et absurdes. […] Mais tout autre qui y consacre sa vie se mêle de ce qui ne le regarde pas, à peu près comme un homme qui apprendrait les procédés d’un métier, sans vouloir jamais l’exercer. […] Ce ridicule préjugé est une des plus sensibles peines que rencontre celui qui consacre sa vie à la science pure. […] Le même ton devra se retrouver et pareillement s’excuser chez l’érudit exclusif et absorbé, qui creuse sa mine avec passion, surtout si un puissant esprit ne vient pas animer ses patientes recherches, et si la simplicité de sa vie extérieure le réduit à n’être jamais qu’érudit. […] Et à l’adventure encore sçay-je la prétention des sciences en général, au service de nostre vie : mais d’y enfoncer plus avant, de m’estre rongé les ongles à l’estude d’Aristote, monarque de la doctrine moderne, ou opiniastré après quelque science, je ne l’ay jamais faict : ny n’est art de quoy je puisse peindre seulement les premiers linéaments.

1589. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXV. Mort de Jésus. »

Il préféra quitter la vie dans la parfaite clarté de son esprit, et attendre avec une pleine conscience la mort qu’il avait voulue et appelée. […] À mesure que la vie du corps s’éteignait, son âme se rassérénait et revenait peu à peu à sa céleste origine. 11 retrouva le sentiment de sa mission ; il vit dans sa mort le salut du monde ; il perdit de vue le spectacle hideux qui se déroulait à ses pieds, et, profondément uni à son Père, il commença sur le gibet la vie divine qu’il allait mener dans le cœur de l’humanité pour des siècles infinis. […] Spartien, Vie d’Adrien, 10 ; Vulcatius Gallicanus, Vie d’Avidius Cassius, 5.

1590. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XIV. L’auteur de Robert Emmet »

a des prix de pitié pour elles, qui font concurrence à ses prix de vertu… Mais lorsque des femmes du monde, et du plus grand, investies de tous les avantages de la vie, de la naissance, de la richesse et quelquefois de la beauté, qui ont des salons pour y être charmantes, des familles pour y être vertueuses, se détournent assez d’elles-mêmes et de leur véritable destinée pour vouloir être littéraires comme des hommes et prétendent ajouter la gloriole de la ponte des livres à l’honneur d’avoir des enfants, la Critique n’est-elle pas en droit de les traiter comme les hommes qu’elles veulent être, sans crainte de passer pour brutale, ainsi que le fut un jour l’empereur Napoléon avec Mme de Staël ? […] Lord Byron, à lui seul, l’emporte, en intérêt littéraire et surtout en intérêt de nature humaine, sur tous ces Allemands sans passion ardente et profonde et qui n’ont de nature humaine que dans le cerveau… La vie de ce grand poëte, qui s’est élevé jusqu’au grand homme, est autre chose que celle de ces travailleurs en rêveries dont l’existence ressemble à une table des matières de leurs œuvres, dans laquelle elle tient… Pour tout homme, pour tout être si heureusement et si puissamment organisé qu’il soit, la vie de Byron est un sujet de critique et de biographie de la plus redoutable magnificence ; car Byron fut comme le plexus solaire du xixe  siècle, et tous les nerfs de la société moderne, cette terrible nerveuse, aboutissent à lui… Toucher à cet homme central, magnétique et vibrant, qui mit en vibration son époque, c’est toucher à l’époque entière… Jusqu’ici, ceux qui y ont touché s’y sont morfondus. […] Galt a essayé, mais il n’y a dans sa Vie de Byron que le sérieux d’une conscience, en face d’un pareil sujet. […] pour pénétrer ou seulement pour entrevoir un être aussi complexe, aussi désordonné, aussi mêlé de poussière et de lueurs d’étoiles que Byron, une autre femme aurait mieux valu que celle-là qui sait si bien toutes les orthographes de la vie.

1591. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Sixte-Quint et Henri IV »

qu’il n’y en ait pas mis une autre… Henri IV a donc commis là bien évidemment une des plus grandes fautes que souverain pût commettre, même la question religieuse écartée, que l’Histoire cependant n’écartera pas, car, je le dis, en regardant bien en face les révolutions futures, ou du moins le chemin par lequel elles peuvent venir, les gouvernements doivent toujours venir à bout, quand ils le voudront, eux qui sont la force organisée, de la force qui ne l’est pas… Segretain a par des exemples nombreux et frappants fait toucher du doigt dans son histoire la bévue des gouvernements du xvie  siècle qui précédèrent celui de Henri IV, lequel paracheva et fixa les conséquences de cette énorme faute, en la commettant à son tour ; et on se demande vraiment pourquoi, en lisant Segretain, qui nous met en lumière une chose qu’avant lui on n’avait pas assez vue, ce qui prouve son extrême bonne foi et son désir de justice : c’est qu’à toutes les époques de sa vie Henri IV, quelles qu’aient été ses apostasies, avait toujours été au fond de sa pensée plus catholique que protestant ! […] « Ce qui ressortira de tout ce travail avec une certitude historique, — écrit Segretain, — c’est que Henri n’a pas cessé un seul instant d’associer à l’idée de son couronnement (qui fut l’idée de toute sa vie) l’abjuration de ses erreurs protestantes. » Avec la nouvelle foi de sa mère, et cette grande et populaire figure de Henri de Guise, jetant sur le trône l’ombre de son éclat, Henri de Béarn, qui craignait que ses droits à la succession des Valois ne fussent ni assez puissants ni assez assurés, crut, dit spirituellement Segretain, « que le chemin de traverse de la Réforme était le seul qui pût le conduire au Louvre… et il fit ce crochet stratégique… ». Ce crochet est un mot heureux, car il contient un blâme, — le blâme que mérite toute tortuosité, — mais véritablement les plaisanteries d’un homme à sa maîtresse, avec qui on est toujours un peu fanfaron de vices, ne prouvent rien, et tout ce qu’on sait de la vie de Henri et de sa persistante ambition politique, appuie cette idée du crochet. […] Il y usa sa vie. […] Rien ne montre mieux ce qui mène la barque de saint Pierre sur les flots des tempêtes humaines que le récit fait par Segretain de cette vie inébranlable et inaltérable, la seule qui fut calme quand tout était agité autour d’elle, au temps effroyable où elle fut.

1592. (1880) Goethe et Diderot « Introduction »

— c’est l’image de la vie de Gœthe que cet éblouissant patinage. […] Au lieu d’écrire Faust, ce travail de Pénélope de toute sa vie, il aurait ciré des bottes, que l’opinion charmée aurait proclamé qu’il les cirait avec génie et se serait même mirée avec amour dans son cirage… Tout lui servit, les circonstances aussi bien que l’opinion. […] , qui égara l’esprit français — si clair même quand il est profond — dans la brume épaisse de ces systèmes où l’on voit tout ce qu’on veut y voir, comme dans la musique et les nuages… De son côté, le Romantisme, en train d’accomplir, vers ce temps, la révolution dont nous sommes sortis, accepta, dans l’ébriété de sa jeune vie, — car il était la vie alors ! […] Blaze de Bury n’avait pas été toute sa vie le traducteur de Gœthe, en prose et même en vers.

1593. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Gustave Rousselot  »

C’est la chimère de l’humanité victorieuse de toutes les résistances de la vie, et même de la mort qui les termine. […] Elle peut être toute dans leur manière de les exprimer… Sans doute, l’idéal de la poésie la plus puissante serait la réunion de la vérité la plus pure et de la plus pure beauté, dans un entrelacement sublime ; mais, en réalité, le plus souvent, elles se dédoublent, et la poésie a la vie assez dure, cette immortelle ! […] … Tout est bon ; tout est beau… La pauvre race humaine A force de pleurer son âme sur sa chaîne L’a dissoute au sel de ses pleurs… l’enivré d’espoir impossible qui s’écrie : C’est ainsi qu’écartant la vieillesse et l’enfance Nous referons la vie… et, grisé de jouvence, Le monde aura toujours vingt ans ! […] Elle lui apprend que la poésie se fait avec de la douleur comme la vie, et que les plus grands poètes furent les plus vieux, depuis Homère jusqu’à Milton, — et même Byron, qui mourut à trente-neuf ans, date menteuse ! […] Il fallait bien que l’optimisme de l’orgueil, à cet enivré de la vie, à ce grisé de jouvence, pour parler comme lui, ajoutât son insolence à tout ; et voilà comme, à la poésie même, il l’a ajoutée !

1594. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « La Fontaine »

Et plus nous avons grandi, plus il a grandi avec nous ; plus nous avons avancé dans la vie, plus nous avons trouvé de charme et de solidité dans ces Fables qui sont la vérité, dans ces drames dont les bêtes sont les personnages et qui racontent si délicieusement et si puissamment la vie humaine, tout en la métamorphosant. […] Il est devenu un érudit de volonté, mais quand il écrivait son livre intitulé : La Fontaine et ses Fables, qui fut, je crois, sa Thèse pour le Doctorat, et qu’il a reprise et parachevée (1875), il débutait dans les lettres et il avait alors la fraîcheur et la vie d’un esprit jeune qu’il a trop sacrifié depuis à toutes les disgrâces de l’érudition. […] Et je le répète : là, il fut comme partout ; car, chose particulière encore à La Fontaine, il ne fut pas « Le Bonhomme » que dans ses œuvres, il le fut à tous les moments de sa vie, de même que Louis XIV était « Le Roi », même en renouant ses aiguillettes. Comme jamais poète ne vécut plus que lui dans son rêve, au milieu du monde il était distrait et on se le montrait en souriant… Mais quand il tombait de son rêve, — et il avait plus l’habitude d’en tomber que d’en descendre, — il portait dans toutes les relations de la vie le charme de son génie bonhomme.

1595. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVe entretien » pp. 317-396

C’est une calomnie de bonne foi que ma vie au grand jour réfute pour tous ceux qui me connaissent. […] Je n’ai jamais mis dans toute ma vie qu’une pierre sur une pierre, et c’était pour marquer la place de deux tombeaux ! […] Il y a telle année de ma vie où j’en ai reçu jusqu’à dix mille, de ces lettres, et cela depuis que je suis rentré dans l’obscurité. […] On m’a reproché souvent, dans des jugements sur ma vie, de n’avoir pas été assez ambitieux ! […] Ce livre est le commentaire des premiers livres sacrés, écrit dans les dernières années de sa vie par Confucius.

1596. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (1re partie) » pp. 413-491

Écoutez-moi bien : je vais vous raconter ici la partie intéressante de sa vie, d’après lui-même, d’après ses amis, d’après sa maîtresse, d’après son successeur dans le cœur de cette femme. […] Cela fait que je n’aurai connu dans le cours de ma vie qu’un très petit nombre d’amis ; mais je me vante de n’en avoir eu que de bons, et qui tous valaient mieux que moi. […] Telle fut la flamme qui, à dater de cette époque, vint insensiblement se placer à la tête de toutes mes affections, de toutes mes pensées, et qui désormais ne peut s’éteindre qu’avec ma vie. […] Son père, son frère le cardinal, eussent essayé en vain de le rappeler au sentiment de lui-même ; il passait des années entières sans leur donner signe de vie. […] On ne lisait pas, mais on vantait à voix basse son double héroïsme, héroïsme d’opinion dans ses œuvres, héroïsme de boudoir dans sa vie.

1597. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre onzième »

Reléguée hors de leur vie, pour ainsi dire, elle parle encore par ce stérile amour pour une perfection qu’on ne leur demande pas. […] Les mêmes forces ne suffisant pas aux deux tâches, la même vie ne suffit pas aux deux devoirs, et il est trop juste que le plus grand dispense du plus petit. […] Le portrait lui-même est fait d’après lui ; tour d’esprit et méthode, caractère et conduite, chaque trait essentiel se reconnaît dans ses ouvrages et dans sa vie. […] Si c’est l’enfant, elle peut être pressante sans qu’il la voie, elle peut lui coûter la vie avant qu’il l’ait vue. […] « Mon occupation, écrit-il à mylord Maréchal, est d’écrire ma vie, non ma vie extérieure, comme les autres, mais ma vie réelle, celle de mon âme, l’histoire de mes sentiments les plus secrets.

1598. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — II. (Fin.) » pp. 62-79

Louis XIV se contenta de dire à Madame : « Il ne fait pas bon se jouer à vous sur le chapitre de votre maison ; la vie en dépend. » À quoi Madame répliqua : « Je n’aime pas les impostures. » Et elle n’eut pas le moindre regret à ce qu’elle avait fait. […] La vie que Madame menait à la cour de France varia nécessairement un peu durant les cinquante et un ans qu’elle y passa ; elle n’y vivait pas tout à fait à l’âge de vingt-cinq ans comme elle faisait à soixante. […] Ce fut le seul plaisir (avec celui d’écrire) qui lui resta jusqu’à la fin de sa vie. […] L’un de ces voyageurs, et qui était plus homme d’esprit qu’autre chose, nous l’a très bien peinte dans ces dernières années de sa vie ; on a par lui cet intérieur au naturel : Cette princesse, dit le baron de Poellnitz, était très affable, accordant cependant assez difficilement sa protection. […] Elle eut quelque peine à se faire à ce genre de vie nouveau, à cette résidence plus assidue à la ville et au Palais-Royal : « J’aime les Parisiens, disait-elle, mais je n’aime pas à résider dans leur ville. » Elle s’était accoutumée, durant ses longues saisons à Saint-Cloud, à cette mesure de retraite, de compagnie et de liberté qui allait à sa nature et, je dirai, à sa demi-philosophie.

1599. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — II. (Fin.) » pp. 198-216

Non qu’il n’y ait de grands traits, de belles et larges comparaisons, et aussi de ces plaintes toujours vraies et toujours émouvantes sur la vie humaine si traversée et si misérable en elle-même, et où il a fallu, dit-il, que Dieu mît de l’adresse et de l’artifice pour nous en cacher les misères : Et toutefois, ô aveuglement de l’esprit humain ! […] Par conséquent, homme sensuel qui ne renoncez à la vie future que parce que vous craignez les justes supplices, n’espérez plus au néant ; non, non, n’y espérez plus : voulez-le, ne le voulez pas, votre éternité vous est assurée. Quant au bonheur même dont il voudrait nous donner directement l’idée, bonheur tout spirituel et tout intérieur de l’âme dans l’autre vie, il le résume dans une expression qui termine tout un développement heureux, et il le définit : « la raison toujours attentive et toujours contente ». […] Ô justesse dans la vie, ô égalité dans les mœurs, ô mesure dans les passions, riches et véritables ornements de la nature raisonnable, quand est-ce que nous apprendrons à vous estimer ? […] Il lui fallait la chute et la restauration des trônes, la révolution des empires, toutes les fortunes diverses assemblées en une seule vie et pesant sur une même tête : il fallait à l’aigle la vaste profondeur des cieux, et en bas tous les abîmes et les orages de l’Océan.

1600. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — III. (Fin.) » pp. 479-496

Je parlerai peu de sa vie politique et de sa carrière législative, bien qu’elle ait été honorable et même, à certaines heures, assez brillante. […] On a remarqué qu’il en voulut toute sa vie aux Girondins qu’il avait eus pour adversaires directs ; je le crois bien : il leur en voulait pour leurs torts réels, pour leur esprit de sédition et d’anarchie, pour leurs manœuvres imprudentes et fatales, et aussi pour ses propres fautes dont ils avaient tiré parti et qu’ils avaient tournées plus d’une fois à leur avantage. […] Jeune encore, ou dans la force de la vie, ayant des élèves et des auxiliaires distingués, retrouvant partout des amis, il se livra avec enthousiasme à l’étude complète de ces nobles et gracieuses beautés pyrénéennes, et de tout ce qu’elles recèlent de trésors pour le géologue, le minéralogiste, le botaniste. […] En 1800, Ramond rentra dans la vie politique : nommé au Corps législatif pour y représenter le département des Hautes-Pyrénées, il y prit la place qui était due à son caractère et à ses talents, et fut vice-président de cette assemblée. […] Je ne suis occupé qu’à me défaire de ce que j’ai de trop ; je diminue ma bibliothèque et mes petites collections, ne garde que le nécessaire pour moi et mon fils, et lui garde surtout mon herbier, parce qu’il est l’histoire d’un demi-siècle de ma vie.

1601. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La Margrave de Bareith Sa correspondance avec Frédéric — II » pp. 414-431

J’ai cru qu’étant roi, disait Frédéric, il me convenait de penser en souverain, et j’ai pris pour principe que la réputation d’un prince devait lui être plus chère que la vie. » Elle épouse donc complètement ses intérêts et sa destinée. […] Nos mœurs et votre situation sont bien loin d’exiger un tel parti ; en un mot, votre vie est très nécessaire : vous sentez combien elle est chère à une nombreuse famille, et à tous ceux qui ont l’honneur de vous approcher. […] Il lui exprime dans chaque lettre, et de la manière la plus sentie, la part qu’il prend à ses souffrances et tout ce qu’elle est dans sa vie : Quoi ! […] Pensez plutôt, pensez-le et persuadez-vous-le bien, que sans vous il n’est plus de bonheur pour moi dans la vie, que de vos jours dépendent les miens, et qu’il dépend de vous d’abréger ou de prolonger ma carrière… Si vous m’aimez, donnez-moi quelques espérances de votre rétablissement. Non, la vie me serait insupportable sans vous.

1602. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Mémoires de Mme Elliot sur la Révolution française, traduits de l’anglais par M. le comte de Baillon » pp. 190-206

J’avais une véritable affection pour lui, et j’aurais donné ma vie pour lui épargner le déshonneur. […] Ce qui est certain, c’est que tous les honneurs de la contenance et du courage, dans ces scènes à la fois atroces et grotesques, sont pour la charmante et généreuse femme qui risque vingt fois sa vie en le cachant. […] Il rappelle, à bien des égards, ce Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII, cet autre prince si lâche de volonté, si misérable de conduite, avec cette différence que Gaston, poussé de même par ceux qui le gouvernaient, compromettait ses amis et ensuite les plantait là, au péril de leur tête, et que Philippe se laissa compromettre par eux au point d’y tout perdre, tête et cœur, honneur et vie. […] Le roi en a mal usé toute sa vie avec lui ; mais il est son cousin, et il feindra une maladie pour rester chez lui, samedi, jour de l’appel nominal qui doit décider du sort du roi. » — « Alors, monseigneur, dis-je, je suis sûre que vous n’irez pas à la Convention mercredi ; je vous en prie, n’y allez pas. » Il répondit qu’il n’irait certainement pas, qu’il n’en avait jamais eu le projet, et il me donna sa parole d’honneur qu’il ne s’y rendrait pas ce jour-là, ajoutant que, quoique, selon lui, le roi eût été coupable en manquant de parole à la nation, rien ne pourrait le contraindre, lui, son parent, à voter contre Louis XVI. […] Je jetai dehors tout ce qu’il m’avait donné, tout ce que j’avais dans mes poches et dans ma chambre, n’osant pas garder près de moi rien de ce qui lui avait appartenu. — Telle était en ce moment, la répulsion que j’éprouvais à l’égard d’un homme pour lequel quelque temps auparavant j’aurais donné ma vie.

1603. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Œuvres complètes d’Hyppolyte Rigault avec notice de M. Saint-Marc Girardin. »

Né en 1821, mort en 1858, dans sa trente-huitième année, nulle vie ne fut plus remplie que la sienne, et sans diversion aucune, par l’étude, par les lettres, par la culture continuelle de l’esprit, culture dans le cabinet, culture dans le monde et jusque dans les distractions apparentes, et aussi par les soins et les devoirs domestiques. […] Les condottieri d’Italie, au xve  siècle ; passaient leur vie à ferrailler les uns contre les autres sur maint petit champ de bataille et ne s’exterminaient pas ; peu de mal et beaucoup de bruit. […] Il proposait cela en exemple et comme idéal de roman dans la vie. […] Néant de la vie ! […] En politique, il était centre gauche, partisan de ces doctrines libérales honnêtes, qui sont le résultat assez naturel des études classiques : il ne les épousait pas systématiquement ni avec trop de passion ; il n’était pas homme non plus à les modifier, à les rétracter ou à les suspendre d’après l’expérience positive de la vie.

1604. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Une monarchie en décadence, déboires de la cour d’Espagne sous le règne de Charles II, Par le marquis de Villars »

» don Juan sentant que la partie était perdue et que tout lui échappait, fut pris de désespoir et d’une mélancolie profonde, qui devint une maladie pleine d’incidents inconnus : « Les médecins, qui traitaient son corps d’un mal qui était dans son esprit, lui firent souffrir durant trois semaines assez de tourments pour achever sa vie ; il mourut le 17 septembre 1679, âgé de cinquante ans. […] L’ennui du palais et de la vie qu’on y mène est affreux ; « et je dis quelquefois à cette princesse, quand j’entre dans sa chambre (c’est toujours Mme de Villars qui parle), qu’il me semble qu’on le sent, qu’on le voit, qu’on le touche, tant il est répandu épais ! […] La camarera-mayor en fit une si grande affaire auprès de la-reine, qu’elle l’obligea à faire commander de la part du roi à ce misérable, par l’ambassadeur de France, de sortir de Madrid sous peine de la vie. […] Jusqu’à ce moment le roi crut y aller, pendant que tout Madrid savait dix jours auparavant qu’il n’irait point, et que les ministres l’avaient dit à leurs amis. » Voilà où ce noble pays était tombé ; et cette dissolution graduelle du gouvernement et de la société ne dura pas moins de vingt ans encore, autant que la vie de ce morne et languissant monarque, jusqu’à ce qu’un sang dynastique nouveau vînt y apporter quelque remède et quelque rajeunissement. La jeune reine vécut peu d’années dans cette vie d’étouffement et de réclusion, à laquelle elle semblait pourtant s’être si tôt accoutumée.

1605. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. Suite et fin. » pp. 73-95

Si l’auteur a voulu montrer en action une de ces religions infâmes, infernales, écrasantes, qui ne tenaient nul compte de la vie des hommes, et dont le Christ a débarrassé le monde, il a réussi. […] Flaubert est d’avance un repoussoir tout trouvé à la Vie de Jésus de M.  […] Walter Scott, le maître et le vrai fondateur du roman historique, vivait dans son Écosse, à peu de siècles, à peu de générations de distance des événements et des personnages qu’il nous a retracés avec tant de vie et de vraisemblance. […] Lui, il préfère un livre qui est surtout un livre : moi, j’aime mieux un livre qui est surtout la vie. […] Revenons à la vie, à ce qui est du domaine et de la portée de tous, à ce que notre époque désire le plus et qui peut l’émouvoir sincèrement ou la charmer.

1606. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français, et de la question des anciens et des modernes, (suite et fin.) »

Cette Iliade, qui avait été le livre de chevet d’Alexandre durant ses conquêtes, et la veille ou le soir des victoires, servait encore, après deux mille ans, à redonner du ton comme dans un dernier breuvage, à remettre un éclair de vie et de flamme au cœur, déjà à demi glacé, du fier et patriotique insulaire. […] Plus tard, la place est occupée ; les affaires, les soucis, les soins de chaque jour la remplissent, et il n’y a plus guère moyen qu’avec un trop grand effort de repousser la vie présente qui nous envahit de tous côtés et qui nous déborde, pour aller se reporter en idée à trois mille ans en arrière19. […] Mais aussi, que le présent, que l’avenir le plus prochain, ne nous possèdent point tout entiers ; que l’orgueil et l’abondance de la vie ne nous enivrent pas ; que le passé, là où il a offert de parfaits modèles et exemplaires, ne cesse d’être considéré de nous et compris. […] Ô vous qu’un noble orgueil anime, qui avez pris à votre tour possession de la vie et des splendeurs du soleil, qui vous sentez hautement de la race et de l’étoffe de ceux qui ont droit de se dire : « Et nous aussi, soyons les premiers et excellons !  […] Le trait saillant me paraît saisi ; vous avez, par quelques mots, traduit pour des Français la situation respective des deux poètes dans la première phase de leur vie.

1607. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — III. (Suite et fin.) » pp. 128-145

Comme toute ma vie, j’obéis à mes passions et me livre du meilleur cœur du monde à tout ce qu’on en peut penser. […] Le National est une bonne situation et me permet une vie aussi large que celle que j’aurais pu me procurer en acceptant une fonction publique. […] vous n’êtes pas engagé. » Il dut souffrir beaucoup dans les trois dernières années de sa vie. […] Il était sobre, et il n’aimait de la vie large que ce qu’il faut pour donner à l’homme tout son ressort et toute son activité. […] Il y a eu là un travers qui a barré et finalement brisé sa forte vie ; qui a rendu inutile son noble caractère, et qui ne laisse aujourd’hui apparaître et survivre que son talent d’écrivain.

1608. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « De la retraite de MM. Villemain et Cousin. » pp. 146-164

Ils auraient montré à cette jeunesse, que de faux déclamateurs enivraient, ce que c’est que le vrai talent littéraire et historique quand il s’est encore aguerri dans la pratique, même incomplète, des affaires, et dans l’expérience de la vie. […] Cousin, un jour, traçait ainsi le plan idéal d’une vie d’homme de lettres : « Un monument et beaucoup d’épisodes. » Le monument, il considère sans doute qu’il l’a fait dans sa traduction de Platon, et il en est aux épisodes. […] je crains que La Rochefoucauld, bien compris, n’ait en définitive raison ; car, sans nier l’élan de l’amour-propre sous sa forme sublime et glorieuse, et en se bornant à l’expliquer, c’est précisément au solennel qu’il en veut dans l’habitude de la vie, c’est à toutes les comédies même sérieuses, à toutes les emphases et à tous les charlatanismes ; il les voit, il les perce à jour, il les remet à leur place d’un mot. […] Oui, j’ai toujours aimé à le croire, les lettres classiques, ce devrait être l’enseignement de l’âme, son baptême d’énergie, de désintéressement et d’indépendance à travers la vie. Mais, pourrait-on dire aujourd’hui à plusieurs de ceux qui ont le plus cultivé les lettres dès leur jeunesse, qu’y avez-vous gagné pour la morale même et pour la pratique libérale de la vie ?

1609. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — I. » pp. 201-219

C’est ici qu’il serait curieux de tracer en détail ce qu’il appelait « le roman philosophique de sa vie ». […] Laissons une bonne fois ce Beaumarchais-Grandisson qui fait fausse route, et arrivons, à travers les divers incidents de sa vie, au Beaumarchais véritable dont la veine comique jaillira à l’improviste et d’autant plus naturelle, même avant qu’il soit devenu le Beaumarchais-Figaro. Il eut de tout temps de cette gaieté dans sa vie, mais il ne s’avisa que tard, et sous le coup de la nécessité, de la mettre dans ses ouvrages. Sa vie, comme particulier, était alors des plus agréables et voisine de l’opulence. […] Voltaire disait encore : « Qu’on ne me dise pas que cet homme a empoisonné ses femmes, il est trop gai et trop drôle pour cela. » Et Beaumarchais disait de même en résumant sa vie : Et vous qui m’avez connu, vous qui m’avez suivi sans cesse !

1610. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE VIGNY (Servitude et Grandeur militaires.) » pp. 52-90

Comment l’affection, le mal sacré de l’art, la science successive de la vie et ses mécomptes, ont-ils par degrés amené en lui cette transformation ou du moins ce dédoublement du poëte en savant, de celui qui chante en celui qui analyse ? […] Trop préoccupé du Cénacle qu’il avait chanté autrefois, il lui a donné dans ma vie littéraire plus d’importance qu’il n’en eut, dans le temps de ces réunions rares et légères. […] C’est après de longs intervalles que j’écris, et je reste plusieurs mois de suite occupé de ma vie, sans lire ni écrire. « Sur les détails de ma vie, il s’est trompé en beaucoup de points. […] Toutes les tristesses de la vie, il les a senties ; il en a joui pleinement… Ce jeune homme, ce Joseph… Ah !

1611. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Paul Verlaine et les poètes « symbolistes » & « décadents ». »

Je veux le voir derrière les barreaux d’une geôle, comme François Villon, non pour s’être fait, par amour de la libre vie, complice des voleurs et des malandrins, mais plutôt pour une erreur de sensibilité, pour avoir mal gouverné son corps et, si vous voulez, pour avoir vengé, d’un coup de couteau involontaire et donné comme en songe, un amour réprouvé par les lois et coutumes de l’Occident moderne. […] Dans les vingt vers qui servent de préface, je lis que les hommes nés sous le signe de Saturne doivent être malheureux, Leur plan de vie étant dessiné ligne à ligne Par la logique d’une influence maligne. […] Je me souviens qu’il est doux et sonore Comme ceux des aimés que la vie exila. […] N’y regardez pas de trop près, « Les aimés que la vie exila », cela veut-il dire « ceux pour qui la vie fut un exil », ou « ceux qui ont été exilés de la vie, ceux qui sont morts »  « L’inflexion des voix chères qui se sont tues », qu’est-ce que cela ? […] C’est que notre vie intellectuelle est en grande partie inconsciente.

1612. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre cinquième »

L’extraordinaire ne manque pas dans sa vie. Nous voilà loin du poète du dix-septième siècle, qui savait être homme de génie au théâtre et homme de sens dans sa vie. […] Le spectacle déployé au théâtre avec discrétion est une ressemblance de plus avec la vie. […] Je m’explique par cette passion pour le grand, par cette vie de son esprit au sein du grand, ce qu’on raconte de sa candeur, de son ingénuité, de ses absences, de sa maladresse pour les choses de la vie réelle. […] A cet âge-là on sait trop peu la vie pour discerner la vérité dramatique de ses apparences.

1613. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Taine » pp. 305-350

L’analyse donne tous les éléments de la vie, mais ne donne pas la vie. […] Taine, qui, après avoir été philosophe, se pose en historien, a été, un jour de sa vie, un artiste. […] Le jeune homme sérieux, « l’espoir du siècle », comme disait son ami Stendhal, qui se moquait de tous les pédantismes, n’était pas encore né, ou il était en bien bas âge… Il écrivait dans un journal de petites dames, — La Vie parisienne, — et c’est là que le Graindorge, qui pouvait s’appeler Graindepoivre, fut publié. […] Il n’y en avait pas sur la Révolution d’indifférente à la Révolution… Il n’y avait pas d’histoire qui ne fût ou d’un tribun, — en herbe ou en fleur, — ou d’un prêtre, — ou d’un poète, — ou d’un homme classé, par son berceau, pour être monarchique ou révolutionnaire toute sa vie ! […] Toute leur vie, ils ont vanté M. 

1614. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Crétineau-Joly »

Cette vie devient si étendue et si facile, que s’en mettre dehors volontairement c’est donner un grand avantage à ses ennemis. […] En histoire, on est plus heureux que dans cette vie éphémère. […] Il devait empoisonner sa vie ; il devait la lui arracher ; mais il commençait par le faire Souverain Pontife. […] Quand il sortit de cet évanouissement terrible, ce fut pour entrer dans la vie intense des remords. […] Les plus intelligents parmi les hommes passent leur vie à les mépriser, à n’en pas écouter la voix !

1615. (1853) Portraits littéraires. Tome II (3e éd.) pp. 59-300

Ils continuent leur vie habituelle, mais ne tendent vers aucun but déterminé. […] Il a cru nécessaire de nous raconter les travaux et la vie de Van den Enden avant de l’introduire devant nous. […] N’est-ce pas l’ivresse de la douleur et le mépris de la vie réelle ? […] L’heure dont je parle est à coup sûr l’heure la plus heureuse de la vie du poète. […] Nous voici arrivés à l’époque décisive de la vie du poète.

1616. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le cardinal de Bernis. (Fin.) » pp. 44-66

Ne faut-il pas jouer avec la vie jusqu’au dernier moment ? […] N’en voilà-t-il pas assez pour bercer cet enfant que vous appelez la vie ? […] Il ne regrette point le ministère aux conditions où il l’a laissé, et il résume lui-même sa situation politique par un de ces mots décisifs qui sont à la fois un jugement très vrai, et un aveu honorable pour celui qui les prononce : « Je sens avec vous combien il est heureux pour moi de n’être plus en place ; je n’ai pas la capacité nécessaire pour tout rétablir, et je serais trop sensible aux malheurs de mon pays. » Et il essaye de se consoler de son mieux, de se recomposer, dans cette oisiveté, quoi qu’il en dise, un peu languissante, un idéal de vie philosophique et suffisamment heureuse : « La lecture, des réflexions sur le passé et sur l’avenir, un oubli volontaire du présent, des promenades, un peu de conversation, une vie frugale : voilà tout ce qui entre dans le plan de ma vie ; vos lettres en feront l’agrément. » Ce dernier point n’est pas de pure politesse : on ne peut mieux sentir que Bernis tout l’esprit et la supériorité de Voltaire là où il fait bien : « Écrivez-moi de temps en temps ; une lettre de vous embellit toute la journée, et je connais le prix d’un jour. » La manière dont Voltaire reçoit ses critiques littéraires et en tient compte enlève son applaudissement : « Vous avez tous les caractères d’un homme supérieur : vous faites bien, vous faites vite, et vous êtes docile. » Bernis n’a pas, en littérature, le goût si timide et si amolli qu’on le croirait d’après ses vers. […] J’ai lu avec soin les principaux ouvrages où il est question de lui comme cardinal membre du conclave de 1769, et depuis comme ambassadeur à Rome pendant plus de vingt ans ; ces ouvrages, qui contiennent des fragments ou même des séries de lettres et de dépêches de Bernis durant cette dernière moitié de sa vie, sont : l’Histoire de la chute des Jésuites, par notre regrettable confrère le comte Alexis de Saint-Priest ; Clément XIV et Les Jésuites, par M.  […] Tout le cercle de sa vie est accompli, et il a montré en finissant que ses qualités aimables, prudentes et fines, jointes à la délicatesse du cœur, pouvaient devenir des vertus.

1617. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — I. » pp. 235-256

En écrivant ce premier détail de famille, il attachait une certaine idée au chiffre de quatre ; il croit avoir eu plusieurs exemples de ce qu’il appelle les rapports quaternaires, qui ont eu de l’importance pour lui et qui ont marqué dans sa vie d’intelligence : il avait ainsi sa théorie particulière et sa religion des nombres. […] Ce ne fut que dans les dernières années de sa vie qu’il s’enhardit peu à peu et se dilata. […] Il fut six mois dans la magistrature, en qualité d’avocat du roi au siège présidial de Tours ; il en souffrait cruellement, et il nous a exprimé à nu ses angoisses : Dans le temps qu’il fut question de me faire entrer dans la magistrature, j’étais si affecté de l’opposition que cet état avait avec mon genre d’esprit, que de désespoir je fus deux fois tenté de m’ôter la vie. […] Il a dit ailleurs avec une grande pénétration morale, et en rectifiant pour ainsi dire les âges de la vie, en les rétablissant dans leur première intégrité et dans leur véritable direction : … L’enfance ne s’annonce-t-elle pas par la rectitude du jugement et le sentiment vif de la justice ? […] [NdA] Essai sur la vie et la doctrine de Saint-Martin le Philosophe inconnu, par E. 

1618. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — II » pp. 454-475

Le goût des lettres et l’amour d’une vie voluptueuse amortirent en peu de temps mon ambition, et, jusques à l’assemblée des notables, je ne fus occupé que des lettres, de mes plaisirs, et du bien que je pouvais faire aux hommes. Mais, en vivant de cette vie obscurément délicieuse et amollie, à la fois sentimentale et très sensuelle, il est arrivé au dégoût final, au néant ; en perdant les enchantements de la jeunesse, il a perdu ses illusions de tout genre qui, même dans l’ordre de l’esprit, avaient besoin d’elle pour se colorer. […] Ce Saint-Alban, dont la vie s’est passée dans un cercle de plaisirs et d’émotions agréables, est décidé à ne pas attendre que la Révolution vienne le prendre au collet, et l’atteignant dans sa personne le soumettre à une série d’épreuves cruelles et de tortures : il porte toujours sur lui un poison subtil pour s’y soustraire à temps. […] Il n’est personne à qui l’on doive confier des secrets dont la publication peut compromettre la vie et le bonheur : il faut donc séparer d’avance dans sa pensée tout ce qui doit être l’objet d’un profond silence avec le plus intime ami, et s’abandonner à lui pour tout le reste. […] » Qu’on réduise la chose autant qu’on le voudra, qu’on la déguise sous forme d’intellect, qu’on n’y voie qu’un besoin de causer, de trouver qui vous entende et vous réponde, il est certain que la connaissance de M. de Meilhan introduisit un mouvement et un attrait dans la vie de Mme de Créqui : elle s’occupe de lui, elle désire son avancement, elle le souhaite plus proche d’elle, elle épouse sa réputation, elle a besoin qu’il soit loué et approuvé.

1619. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre I. Roman de Renart et Fabliaux »

Et le charme de ces romans de Renart, comme celui des Fables de La Fontaine, consiste dans l’application aisée que l’esprit fait constamment à la vie humaine de ce qui se passe chez les bêtes. […] Les Fabliaux 76 sont des contes plaisants en vers dont les sujets sont en général tirés de la vie commune et physiquement, sinon moralement et psychologiquement, vraisemblables. […] Car, en passant des bords du Gange aux rives de la Marne ou de la Somme, ils perdaient leur sens religieux, leur haute et ascétique moralité ; les peintures vengeresses et salutaires des tours malicieux de l’éternelle ennemie, de la femme, piège attrayant de perdition, devinrent dans la bouche de nos très positifs bourgeois une licencieuse dérision de leurs joyeuses commères et de la vie conjugale. […] On a parfois trop insisté sur la vérité des fabliaux, on y a vu la vivante image de la réalité familière, le miroir de la vie du peuple au xiiie  siècle. […] La vérité des fabliaux est une vérité surtout idéale, comme celle des chansons de geste et des romans bretons : les unes nous montrent le rêve héroïque, les antres le rêve amoureux de nos aïeux, et dans les fabliaux c’est un autre rêve encore, un rêve de vie drolatique et libre, tel que peut le faire un joyeux esprit qui, par convention, élimine pour un moment toute notion de moralité, d’autorité et d’utilité sociale.

1620. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre II. Boileau Despréaux »

Au reste, ses origines, sa vie, son tempérament, sa conversation, tout en lui exclut l’idée d’une forte nature poétique. […] Sa poésie sera donc une peinture réaliste des choses extérieures qui sont situées dans le cercle de son expérience : les sensations qu’il rendra seront celles d’un bourgeois de Paris, à qui Paris est familier dès l’enfance, avec ses rues, son Palais, ses Eglises, ses bruits, son peuple, ses modes, toutes les particularités de sa physionomie et de sa vie. […] L’œuvre critique de Boileau se divise en trois parties, qui correspondent à trois périodes de sa vie littéraire : dans les Satires, il attaque la littérature à la mode ; dans l’Art poétique, il définit sa doctrine ; dans les Réflexions sur Longin, il la défend. […] Car, ici, Boileau a subi le joug fâcheux de ses idées d’homme bien élevé : il a voulu imposer à la comédie le ton des salons, par suite il ne lui a laissé à peindre que la vie des salons. […] À consulter : Desmaizeaux,Vie de Boileau, 1712 ; Bolaena, 1713 ; Chauffepié, Dictionnaire, art.

1621. (1900) Poètes d’aujourd’hui et poésie de demain (Mercure de France) pp. 321-350

Debout en pleine vie, elle se drapa de couleurs éclatantes. […] Elles sont précieuses pour l’étude de la vie artistique de cette époque. […] Le Mythe et la Légende n’offrent-ils pas des images transfigurées et grandies de l’Homme et de la Vie ? […] Or, le reproche général que l’on fait au symbolisme et qui les résume tous en un mot : c’est d’avoir négligé la Vie. […] C’est donc vers la Vie qu’ils ramèneront la Muse, non plus pour qu’elle la rêve, mais pour qu’elle la vive.

1622. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « La duchesse du Maine. » pp. 206-228

En ces cent années il s’est fait une assez grande révolution dans l’ordre et le gouvernement de la société, dans l’ensemble des mœurs publiques, pour que l’existence et la vie que menait cette petite reine fantasque nous semble presque comme un conte des Mille et Une Nuits, et pour qu’on se dise sérieusement : « Était-ce donc possible ?  […] La duchesse y fit ses débuts dans cette vie de féerie et de mythologie à laquelle elle prit tant de goût, qu’elle n’en voulut bientôt plus d’autre, et que l’idée lui vint de se mettre en possession de tout le vallon. […] Au point de vue littéraire qui, de près ou de loin, est toujours le nôtre, l’inconvénient de ce train de vie tumultueux était au fond d’être incompatible avec le vrai goût. […] On a dit de Mme du Maine « que, dans toute sa vie, elle n’était point sortie de chez elle, et qu’elle n’avait pas même mis la tête à la fenêtre ». […] On n’a jamais mieux compris qu’en lisant cette correspondance raffinée et quintessenciée, la fatigue de ceux qui, passant leur vie à Sceaux à faire de l’esprit soir et matin, ne pouvaient s’empêcher de crier grâce, et appelaient cette petite cour les galères du bel esprit 26.

1623. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Hégésippe Moreau. (Le Myosotis, nouvelle édition, 1 vol., Masgana.) — Pierre Dupont. (Chants et poésies, 1 vol., Garnier frères.) » pp. 51-75

Ceux qui nous ont connu et qui nous ont aimé sous cette forme première continuent de nous voir ainsi, et si l’on a le bonheur d’avoir une sœur qui ait continué elle-même de vivre d’une vie simple et uniforme, d’une vie fidèle aux souvenirs, elle nous conserve à jamais présent dans cette pureté adolescente, elle nous garde un culte dans son cœur, elle nous adore tel que nous étions alors sous ces premiers traits d’un développement aimable et pudique. […] Hégésippe Moreau, en entrant dans la vie, avait pourtant rencontré deux familles, on l’a vu, plus que disposées à l’accueillir et presque à l’adopter. […] Il s’accoutuma, durant cette période fatale et fiévreuse de deux ou trois années, à une vie irrégulière, désordonnée, errante, toute d’émotions et de convulsions. […] Or, ce fabliau, le voici : Un jour, Dieu permit, dans ses desseins, que l’élément de vie, le feu, se retirât tout à coup de l’air, et vînt à manquer à la nature. […] Dans tout ce que j’ai touché là du caractère et de la vie intime de Moreau, j’ai été guidé de la manière la plus sûre par des lettres, par des renseignements directs provenant des personnes qui l’ont le mieux connu.

1624. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck (1789-1791), recueillie, mise en ordre et publiée par M. Ad. de Bacourt, ancien ambassadeur. » pp. 97-120

Non pas que, dans sa vie besogneuse depuis sa sortie de Vincennes jusqu’à son entrée aux États généraux, Mirabeau, pour subvenir à ses besoins de tout genre, intellectuels et autres, n’ait eu souvent recours à des expédients dont on aimerait mieux que la fortune l’eût affranchi ; mais, en mainte circonstance notable, manquant de tout, lui homme de puissance et de travail, qui ne pouvait se passer à chaque instant de bien des instruments à son usage, lui qui était naturellement de grande et forte vie (comme disait son père), manquant même d’un écu, réduit à mettre jusqu’à ses habits habillés et ses dentelles en gage, il avait résisté à rien écrire qui ne fût dans sa ligne et dans sa visée politique, à prendre du moins les choses dans leur ensemble. […] Mais il n’est pas une action dans ma vie, et même parmi mes torts, que je ne puisse établir de manière à faire mourir de honte mes ennemis, s’ils savaient rougir. — Croyez-moi, monsieur le marquis, si ce n’est qu’ainsi qu’on veut m’arrêter, ma course n’est pas finie, car je suis ennuyé plutôt que las, et las plutôt que découragé ou blessé ; et si l’on continue à me nier le mouvement, pour toute réponse je marcherai. […] Elles consistent en cinquante notes écrites par Mirabeau pour la Cour, et particulièrement pour la reine, pendant les dix derniers mois de la vie de Mirabeau (juin 1790-avril 1791) ; plus, quantité de lettres et billets qui ont trait aux mêmes sujets, et qui furent échangés soit entre Mirabeau et le comte de La Marck, soit entre l’un des deux et quelque autre correspondant intime. […] La lutte en lui des deux hommes est piquante et parfois pénible à étudier, aujourd’hui qu’on a toute sa vie tant publique que secrète sur deux colonnes, pour ainsi dire, et en partie double. […] J’aime à croire qu’elle ne voudrait pas de la vie sans sa couronne ; mais ce dont je suis bien sûr, c’est qu’elle ne conservera pas sa vie si elle ne conserve pas sa couronne.

1625. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits du comte Joseph de Maistre. (1851, 2 vol. in-8º.) » pp. 192-216

Il avait, dans sa vie retirée, appris jusqu’à cinq langues ; il y ajouta un peu plus tard le grec et l’allemand. […] Mais il sait aussi que ces grandes opérations historiques sont d’une longueur énorme, et qu’elles excèdent la vie de bien des individus : « On peut voir soixante générations de roses ; quel homme peut assister au développement total d’un chêne ?  […] Son innocence de vie le soutient, sa gaieté naturelle ne l’abandonne pas. […] Quand on a passé le milieu de la vie, les pertes sont irréparables… Séparé sans retour de tout ce qui m’est cher, j’apprends la mort de mes vieux amis ; un jour les jeunes apprendront la mienne. […] « Le matin, je disais : Seigneur, vous terminerez ce soir ma vie.

1626. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre I. La quantité des unités sociales : nombre, densité, mobilité »

Tous les historiens ont noté l’étroitesse du cercle de la vie sociale pendant cette période62 : la féodalité « isole » en même temps qu’elle hiérarchise. […] Si nous mesurons les distances non plus aux espaces qu’elles recouvrent, mais (ce qui importe en effet à la vie sociale) aux temps qu’il faut pour les parcourir, nous voyons l’aire des nations modernes se contracter en quelque sorte et se resserrer sous nos yeux. […] Dès que le cercle des républiques s’élargit, il faudrait, pour que tous les membres du souverain continuassent à exercer leurs droits, que la vie sociale fût à chaque instant arrêtée, et toute affaire cessante : dans un État qui grandit, le gouvernement direct devient un leurre. […] Mais, par l’intermédiaire des formes nouvelles qu’elle donne à la vie sociale, elle contribue, à sa façon, à l’évolution des idées modernes. […] d’Avenel, Le Mécanisme de la vie moderne.

1627. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DAUNOU (Cours d’Études historiques.) » pp. 273-362

Nous nous garderons de trop insister sur cette époque essentiellement transitoire de la vie de M. […] Daunou, dans ce court prélude de sa vie publique, se dessine déjà pour nous tel qu’il sera dans toute sa carrière. […] Daunou inaugura, dès les premiers jours sa vie publique, par le plus bel acte qui l’honore, par son opinion et son vote dans le procès de Louis XVI. […] Daunou consigne dans ce dernier mot ce vœu le plus cher d’une vie philosophique heureuse et non périlleuse, qui lui échappait souvent : c’était son idéal à lui. […] Daunou, tel que je l’ai connu dans les vingt et une dernières années de sa vie, était ce qu’on peut appeler une nature timorée, un trembleur.

1628. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre V. Swift. » pp. 2-82

. —  Sa vie chez sir W. […] Toute sa vie fut semblable à ce moment, comblée et ravagée de douleurs et de haines. […] Voilà le puissant et douloureux génie que la nature livrait en proie à la société et à la vie ; la société et la vie lui ont versé tous leurs poisons. […] Il sait la vie comme un banquier sait ses comptes, et une fois son addition faite, il dédaigne ou assomme les bavards qui en disputent autour de lui. […] Toutefois, pour rendre justice à la grande clémence de ce prince et au soin qu’il prend de la vie de ses sujets (en quoi les monarques d’Europe devraient bien l’imiter), il faut remarquer, à son honneur, que des ordres sévères sont toujours donnés après de telles exécutions, pour faire bien laver la partie empoisonnée du parquet.

1629. (1874) Premiers lundis. Tome II « Charles de Bernard. Le nœud Gordien. — Gerfaut. »

M. de Bernard est un romancier ; il unit un rare et facile entrain dramatique à un précoce esprit d’observation ; à vingt-cinq ans il savait la vie, et il s’y joue en l’exprimant. […] S’il le veut, il y a en lui l’étoffe d’un romancier actuel, fécond et vrai ; son mauvais goût (car il en a) n’est que dans le détail ; ainsi, il reproduit trop par moments le jargon psychologique du maître ; il a des redoublements de bel esprit dans ses analyses, des drôleries et trivialités métaphoriques dans ses portraits, qui déplaisent au passage, mais sans avoir le temps de rebuter ; il a une multitude d’allusions dont un trop grand nombre, pour ceux qui ne vivent pas tout à fait de cette vie du jour, sont déjà subtiles et obscures. […] L’observation y est parfaite dans sa finesse et sa subtilité ; chacun a connu et connaît quelque madame de Flamareil, toujours belle, toujours sensible, toujours décente, qui a graduellement changé d’étoile du pôle au couchant, qui en peut compter jusqu’à trois dans sa vie, dont le cœur aimant enfin a suivi assez bien les révolutions inclinées et l’orbite élargi du talent de Lamartine, des premières Méditations jusqu’à Jocelyn. […] M. de Pomenars, le vieil oncle, si fringant, et qui est le malin génie de l’aventure, semble avoir soufflé son esprit au romancier et tenir la plume en ricanant ; ou plutôt personne ne tient la plume ; chaque personnage agit, se comporte, parle comme il doit ; et si l’auteur se montre, ce n’est que pour les aider encore à mieux ressortir, comme un maître de maison plein d’aisance, qui s’efface ou reparaît à propos, et sait la vie.

1630. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Jules Vallès » pp. 259-268

Le Sicambre de la misère bravée et de la vanité folle des premiers jours de la vie a baissé la tête parce qu’il l’avait intelligente. […] … En d’autres termes, si le peintre est dans ces Réfractaires, le peintre amer, âpre et féroce, qui nous les a faits si cruellement ressemblants, pourquoi le moraliste n’y est-il pas, le moraliste qui jugerait en dernier ressort tous ces Bohèmes de l’orgueil et de la paresse, tous ces Échappés de la Loi Sociale, et qui les internerait au bagne du Mépris, à perpétuité, pour leur peine d’avoir lâchement refusé de prendre leur part des travaux forcés de la vie ? […] Pour cela, il est nécessaire de connaître la vie de Paris, les bouges de Paris, et surtout la littérature de Paris ; car, ne vous y trompez pas ! […] où souffle le vent d’un principe, une ligne où l’on sente que l’auteur a en lui ce point fixe des notions premières qui sont comme les gonds de la vie et sur lesquels elle tourne, mais sans jamais s’en détacher… Eh bien, à part cette nécessité d’être moraliste pour être vraiment supérieur dans un livre comme Les Réfractaires, y a-t-il même dans le coup de pinceau de Vallès, qui est énergique, autre chose que de la force qui fait montre de ses biceps, comme messieurs ces Hercules qu’il aime ?

1631. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Hebel »

Ce fut son talent qui fit sa vie ; et cette vie toujours calme, aisée, honorée, et qui monta sans luttes et sans obstacles jusqu’à cette dignité de rang qui est la dernière caresse de la fortune à ceux qui pourraient s’en passer, puisqu’ils ne vivent que pour les jouissances de l’esprit, a plus d’un rapport avec l’existence d’un homme heureux aussi parmi les poètes, mais qui, à son déclin, sentit dans le fond de son cœur le souci cruel de la confiance trahie et sur son front la sueur de sang du travail forcé. […] Notre poète allemanique a du sentiment et de la vie pour tout. […] De l’un, il observe d’un œil joyeux et frais les objets de la nature qui manifestent leur vie d’une manière palpable par leur accroissement ou leur mouvement, et qu’ordinairement nous tenons pour inanimés.

1632. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Louandre »

C’était Chamfort, je crois, qui aurait voulu mettre la vie tout entière dans une cuiller à café pour l’avaler d’un seul trait et mieux en goûter la poignante sensation. […] Chamfort croyait n’en avoir jamais assez de toutes les accumulations de la vie. […] L’un des plus grands de ce siècle, et qu’on n’accusera pas, tout poète qu’il fut, de manquer du sens profond de la réalité, — car c’est précisément ce sentiment incomparable qui fit le plus pur de sa gloire, — Walter Scott avait pensé toute sa vie à traiter le sujet qui a tenté Louandre, et sur ses derniers jours il écrivit, trop à la hâte, hélas ! […] Plusieurs passages de son trop petit livre nous font regretter qu’il ne se soit pas laissé entraîner à la tentation de traiter son sujet en poète, sans parti pris, sans dogmatisme, évoquant la vie du passé qui nous fait tant rêver quand même elle ne nous instruit pas.

1633. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre premier. De la louange et de l’amour de la gloire. »

Souviens-toi, disait un philosophe à un prince, que chaque jour de ta vie est un feuillet de ton histoire. […] C’est là qu’occupé de grands travaux, on est frappé de la rapidité de la vie, et qu’on veut étendre sur l’avenir une existence si courte. […] Ignorés pendant la vie, oubliés après la mort, moins ils ont cherché l’éclat et plus ils ont été grands. […] Ceux qui ont été outragés pendant la vie, trouvent du moins la gloire à l’entrée du mausolée qui doit couvrir leurs cendres.

1634. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre neuvième »

C’est une surprise de l’âme enlevée à elle-même ; c’est comme une secousse involontaire qui fait tomber pour un moment de nos épaules le poids de la vie. […] Imaginez un travers plus sérieux, un vice, une peine proportionnée à la faute, voilà un caractère, voilà la vie. […] C’était peu de soutenir celui du Menteur, dont les meilleurs endroits se rapprochent du ton de la tragédie : le langage de la vie familière était tout entier à créer. […] La vérité de la vie remplaçait la vérité de convention. […] La comédie veut une fable ; je cherche une fable dans le Misanthrope ; je n’y vois que des incidents de la vie commune.

1635. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juillet 1885. »

Parsifal renonce à vouloir, mais ce n’est point au profit de l’anéantissement bouddhiste ; il renonce à l’égoïste plaisir, pour fondre sa vie, plus joyeusement, avec l’universelle vie. […] Ce qui l’avait poussé à fuir le monde, ce n’était certainement pas l’horreur de la réalité, l’horreur de la vie. Non ; c’était le dégoût d’une réalité faussée, d’une vie corrompue et artificielle. […] Mais ce n’est pas en un jour, ni même en un siècle, que s’établit une conception nouvelle de la vie. […] La véritable connaissance ne peut se faire, selon Wagner, que dans l’intuition qui saisit la vie dans sa globalité.

1636. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre premier. La sensation, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. La sensation »

Par suite, le degré de perfectionnement atteint par chaque organe des sens correspond exactement au besoin fonctionnel, c’est-à-dire à l’utilité et à la force qu’en retirait l’individu dans la lutte pour la vie, à l’augmentation de bien-être qui en dérivait pour lui et pour son espèce. […] En faisant le triage de ce qui, dans la lutte pour la vie, peut protéger l’être, chaque organe des sens prend pour son domaine une certaine forme de mouvements et ignore les autres formes aussi complètement que si elles n’existaient pas. […] Il y a donc toujours relation de différence au sein de la conscience, tant que la vie dure et, avec la vie, le changement interne corrélatif du mouvement externe. […] Le devenir est le devenir de quelque chose qui, dans ce devenir même, se sent subsister tout en changeant sans cesse, se sent être et vivre tout en se mouvant d’une relation à une autre relation dans l’universel commerce des êtres, dans l’universel échange de la vie. […] Il faut donc admettre que la sensation est un facteur efficace dans la lutte pour la vie, une des forces en action, au sens le plus général des forces, considérées comme causes de changement et de mouvement.

1637. (1778) De la littérature et des littérateurs suivi d’un Nouvel examen sur la tragédie françoise pp. -158

Il brille dans un court espace de la vie. […] Oui, de ceux qui usurpent ce nom ou qui ont fait une seule brochure dans leur vie pour prouver qu’ils ne sont pas absolument des sots. […] Vois-tu au-delà de la vie les jours purs de la vérité ? […] Entendez un Anglois qui parle de l’amour de la liberté, c’est un ton mâle qui annonce qu’il l’acheteroit aux dépens de sa vie. […] Pourquoi suis-je né sitôt, & que l’époque de ma vie n’a-t-elle été plutôt marquée dans quelques siècles d’ici !

1638. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vacquerie, Auguste (1819-1895) »

[La Vie littéraire (1891).] […] Bien que ne commençant son récit qu’à la Révolution de février, l’auteur remonte parfois, par la pensée, aux premiers jours de cette belle et forte amitié qui l’a lié à Paul Meurice et que ni les années ni les traverses de la vie n’ont jamais altérée un seul jour ; toute une pièce dédiée à M.  […] [La Vie à Paris (1895).]

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