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1854. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — La rentrée dans l’ordre »

S’il prend un jour conscience de son état, de sa misère physique et mentale, et s’il possède encore, au tréfonds de son être, l’étincelle d’énergie suffisante pour l’en faire sortir, c’est à un véritable retour à la santé que nous assistons, a une lente ascension vers l’humanité, dont l’être misérable était déchu. […] L’enfant destiné au sacerdoce est pris, dès le début, comme dans l’engrenage d’une machine savamment conçue, qui le déshumanise fibre par fibre, cellule par cellule, qui travaille sourdement, jour par jour, à épuiser en lui les sources de la vie. […] Qu’il se persuade de cette vérité qu’il est notre inférieur, à nous simples humains, et que s’il veut prendre sa part de travail à la barre de l’Argo-Humanité, il lui faut auparavant réintégrer sa place parmi les vivants.‌ […] Et ce qui est terrible, c’est que tu en arriveras toi-même à prendre ces mensonges pour des vérités, auxquelles ton esprit faussé s’attachera comme la plante à l’arbre. […] Et j’attends l’heure prochaine où il prononcera à son tour non plus la vieille prière de mendicité : « Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien », mais l’invocation superbe de l’homme à sa propre énergie : « Je veux prendre chaque jour, sans souci des maîtres ni des dieux, le pain de la chair et le pain de la pensée dans la lumière, dans la force et dans la joie %100 ».‌

1855. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre IV. Le rêve »

Prenons celles qui figurent au premier plan, les taches colorées qui évoluent devant nous quand nous avons les paupières closes. […] Ainsi, à l’état de veille, la connaissance que nous prenons d’un objet implique une opération analogue à celle qui s’accomplit en rêve. […] Le moi de la veille, qui vient de paraître, va se retourner vers le moi du rêve, qui est encore là, et lui dire : « Je te prends en flagrant délit. […] Tu me prends — moi, le moi des rêves, moi, la totalité de ton passé — et tu m’amènes, de contraction en contraction, à m’enfermer dans le très petit cercle que tu traces autour de ton action présente. […] Si tu insistes, si tu exiges qu’on t’explique quelque chose, demande comment ta volonté s’y prend, à tout moment de la veille, pour obtenir instantanément et presque inconsciemment la concentration de tout ce que tu portes en toi sur le point qui t’intéresse.

1856. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXIV. »

L’Espagne, avec son ciel, ses monuments, sa langue sonore, était comme une seconde patrie où il se reconnaissait : son esprit s’en colorait ; sa voix harmonieuse et forte en prenait tous les accents. […] Des hommes éloquents, des chefs par la parole, sortirent d’un monastère pris d’assaut, d’une cathédrale ruinée, d’un barreau dispersé devant une commission militaire. […] Déjà, dans le siècle dernier, ces lointains climats nous avaient envoyé plus d’un témoignage de l’influence qu’y prenait l’esprit français. […] Le poëte mexicain ramène ici sa jeunesse aux prises avec les angoisses du cœur, sa flamme éteinte et la souffrance interne qui obscurcit son front. […] Pedro Sabater, que dona Gomez acceptait pour époux, consumé dans les luttes de tribune et les rudes fatigues d’une ambition aux prises avec l’anarchie, touchait au dernier terme d’un mal de poitrine.

1857. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Note »

Aujourd’hui que cette vaste et gigantesque carrière s’est tout entière déroulée sans parvenir encore à s’accomplir, je suis le premier à reconnaître qu’avec Victor Hugo, si admirateur que j’aie été et que je sois toujours de toute une partie de sa prodigieuse production, je n’ai jamais réussi ou consenti à prendre son talent pour ce qu’il était, à l’accepter et à l’embrasser dans toute la vigueur et la portée de son développement, tel qu’il était donné par sa nature première et qu’il devait successivement se manifester et jaillir au choc des circonstances. […] Que si ma pensée se reporte, non plus sur le poëte, mais sur l’homme auquel tant de liens de ma jeunesse m’avaient si étroitement uni et en qui j’avais mis mon orgueil, ressongeant à celui qui était à notre tête dans nos premières et brillantes campagnes romantiques et pour qui je conserve les sentiments de respect d’un lieutenant vieilli pour son ancien général, je me prends aussi à rêver, à chercher l’unité de sa vie et de son caractère à travers les brisures apparentes ; je m’interroge à son sujet dans les circonstances intimes et décisives dont il me fut donné d’être témoin ; je remue tout le passé, je fouille dans de vieilles lettres qui ravivent mes plus émouvants, mes plus poignants souvenirs, et tout à coup je rencontre une page jaunie qui me paraît aujourd’hui d’un à-propos, d’une signification presque prophétique ; je n’en avais été que peu frappé dans le moment même. […] Hugo, au milieu de ses remercîments et de ses éloges pour la façon dont j’avais apprécié son recueil, en prit occasion de m’exposer ses vues et son procédé d’art poétique, quelques-uns de ses secrets de rhythme et de couleur.

1858. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « VICTORIN FABRE (Œuvres mises en ordre par M. J. Sabbatier. (Tome II, 1844.) » pp. 144-153

C’est, après tout, au talent, à l’esprit qu’il faut s’en prendre ; c’est là qu’est le point défectueux. […] Prenons bien garde nous-même de trop tourner sur 1829. […] Auguste Fabre, frère cadet de Victorin, formé par lui aux lettres et deux fois sauvé de la mort par son dévouement, avait pour cet aîné, nous l’avons dit, un véritable culte qui prenait des formes touchantes et d’autres fois bizarres.

1859. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Études sur Blaise Pascal par M. A. Vinet. »

Faugère par son Édition nouvelle, d’autres encore, ont ouvert une controverse à laquelle ont pris part les critiques étrangers les plus compétents : Néander à Berlin, la Revue d’Édimbourg par un remarquable article de janvier 1847277, sont entrés dans la lice : il n’a pas fallu moins que la Révolution de Février pour mettre fin au tournoi. […] Vinet et à ses amis, et que les théologiens protestants ont volontiers accueillie, c’est que les Pensées de Pascal, dans l’état où les a mises la controverse récente, et ramenées plus que jamais à l’état de purs fragments grandioses et nus, sont par là même plus propres à un genre de démonstration chrétienne qui prend l’individu au vif, et peuvent devenir la base d’une apologétique véritable, tout entière fondée sur la nature humaine. […] Il faudrait un bien grand fonds d’humilité pour en prendre facilement et vite mon parti.

1860. (1874) Premiers lundis. Tome I « Victor Hugo : Odes et ballades — I »

La Muse française a donc fini d’exister à titre d’école, et l’Académie, comme si elle avait peur des revenants, a pris soin de la décimer. […] A chaque instant, ses affections mélancoliques et chrétiennes nous la montrent en harmonie avec ces modestes poètes qui ont pris pour devise le mot d’André Chénier : Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques. […] Hugo dans ses premières odes politiques : et, s’il n’y avait pas là de quoi faire un chantre populaire, si le siècle ne se pouvait prendre d’amour pour qui lui lançait des anathèmes, et si, en un mot, le Lamennais de la poésie ne devait pas prétendre à devenir le Béranger de la France, peut-être au moins il avait dans sa franchise et son talent des titres à l’impartialité et à la justice.

1861. (1874) Premiers lundis. Tome II « Charles de Bernard. Le nœud Gordien. — Gerfaut. »

Quand Christophe Colomb (M. de Balzac me pardonnera la comparaison) découvrit l’Amérique, il ne savait qu’à demi ce qu’il faisait ; il croyait rejoindre la Chine et prendre par le revers le grand kan de Tartarie ; la tour de porcelaine, ou je ne sais quoi de pareil, lui semblait à chaque pas miroiter à l’horizon : il mourut sans comprendre, sans apprécier tout ce qu’il avait trouvé. […] Gerfaut, pourtant, aspire à des dimensions plus imposantes : la description, la dissertation, y ont plus de part ; mais tout cela si varié, si vif, si bien pris sur le fait, que d’ordinaire on y a peu de regret, nulle impatience. […] En un mot, que M. de Bernard, bien qu’il paraisse si bien savoir la vanité de la gloire elle-même, le néant et la raillerie de toutes choses, prenne plus au sérieux (sans en avoir l’air) son grand talent.

1862. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre VII. Éducation de la sensibilité »

On tâchera de se surveiller soi-même à tout moment, de se prendre sur le fait dans les accès de passion et de vive sensibilité, de voir où l’on est, où l’on va dans ses emportements : en un mot de se dédoubler, et d’être le spectateur infatigable et impartial de soi-même. […] Essayez de démêler les principaux traits de votre caractère et de votre esprit, et ne prenez que ce qui en vient directement. […] Surtout ne prenez pas à tâche de vous épancher, ne poursuivez pas les effusions.

1863. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Paul Bourget, Études et portraits. »

J’étais persuadé que je prenais le mauvais chemin. Je le suivis tout de même, convaincu que, si je prenais l’autre, ce serait celui-là le mauvais. […] Paul Bourget est pris à la fois par ce qu’il y a de plus noble en lui — et, si j’ose dire, d’un peu frivole.

1864. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XVII. Conclusion » pp. 339-351

vraiment, tu prends beaucoup de peine De tout mon cœur, bonjour. […] Flaminia l’admirait ; Scapin le prenait afin qu’elle pût le voir mieux, le lui montrait de près, puis l’assurait que Pantalon la suppliait de l’accepter. […] Ainsi, lorsque les personnages se cherchent à tâtons dans la nuit noire, se prennent les uns pour les autres, et que Lubin, croyant avoir affaire à Claudine, révèle à George Dandin la trahison d’Angélique, nous sommes en plein sur le terrain de la comédie italienne ; ces jeux nocturnes, ces échanges, ces méprises abondent dans les canevas des Gelosi.

1865. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre V : Rapports du physique et du moral. »

Si nous prenons un homme de constitution moyenne, chez qui le travail de la pensée et l’excitation mentale ne demandent qu’une petite quantité de force, nous trouvons un meilleur état physique, une force et une résistance musculaire plus grandes, une digestion plus vigoureuse, bref une plus grande aptitude à supporter les fatigues physiques. — Au contraire, si le travail mental demande une grande quantité de force, alors il doit se faire, chez cet homme, une dépense disproportionnée d’oxydation dans le cerveau : il en revient d’autant moins aux muscles, à l’estomac, aux poumons, aux organes de sécrétion. […] Si on prend pour base la division de l’esprit généralement reçue en sensibilité, intelligence et volonté, on peut se demander si ce qui est gagné par l’une de ces grandes subdivisions n’est pas perdu par les deux autres ou l’une des deux autres. […] Bain dans l’examen des variétés fort nombreuses de ce type et des précédents ; vu, qu’à tout prendre, son ouvrage est plutôt une esquisse d’éthologie qu’un travail définitif.

1866. (1897) Manifeste naturiste (Le Figaro) pp. 4-5

L’équipage qui le monte a pris pour Capitaine M.  […] En effet, nul doute que les jeunes écrivains eussent tout à fait pris goût à ces jeux de rythme et de sentiment où se complaisaient nos aînés, si les aventures de la mort, de la déroute et de l’émeute n’avaient communiqué une tragique véhémence à nos âmes, élevées dans ces souvenirs. […] * *   * Dans cette situation d’esprit, la jeunesse contemporaine que brûlent les plus violentes ardeurs, n’était guère préparée aux légendes, germaniques, et aux délicates chevaleries à l’aide desquelles les poètes précédents (Henri de Régnier, Maurice Maeterlinck) ont pris l’habitude de se célébrer et d’éclaircir leur position morale.

1867. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Feuilles d’automne » (1831) »

qui bégayent des formules, mauvaises d’un côté, bonnes de l’autre ; les vieilles religions qui font peau neuve ; Rome, la cité de la foi, qui va se redresser peut-être à la hauteur de Paris, la cité de l’intelligence ; les théories, les imaginations et les systèmes aux prises de toutes parts avec le vrai ; la question de l’avenir déjà explorée et sondée comme celle du passé. […] À l’adolescent, elle parle de l’amour ; au père, de la famille ; au vieillard, du passé ; et, quoi qu’on fasse, quelles que soient les révolutions futures, soit qu’elles prennent les sociétés caduques aux entrailles, soit qu’elles leur écorchent seulement l’épiderme, à travers tous les changements politiques possibles, il y aura toujours des enfants, des mères, des jeunes filles, des vieillards, des hommes enfin, qui aimeront, qui se réjouiront, qui souffriront. […] D’ailleurs, parce que le vent, comme on dit, n’est pas à la poésie, ce n’est pas un motif pour que la poésie ne prenne pas son vol. 

1868. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Bayle, et Jurieu. » pp. 349-361

Cette femme, de beaucoup d’esprit & de mérite, se prit, dit-on, de passion pour l’homme qui avoit le plus de génie. […] Quelqu’un, au contraire, qui ne prendroit dans Bayle que ce qu’il y a de judicieux, seroit sûr de réussir & de donner un extrait utile. […] Lorsqu’il se convertit à l’église Romaine, il prit la tonsure & porta le petit collet à Toulouse, où il étudioit alors en philosophie chez les jésuites.

1869. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre premier. »

La voici : Le juge, appelé Cadi, prend une connaissance succincte de l’affaire, fait donner la bastonnade à celui qui lui paraît avoir tort, et ce tort se réduit souvent à n’avoir pas donné de l’argent au juge comme a fait son adversaire : puis il renvoie les deux parties. […] Et puis tout d’un coup l’amour-propre lui fait prendre le style le plus pompeux et le plus poétique. […] Si l’on considère qu’il n’y a pas un mot de trop, pas un terme impropre, pas une négligence ; que dans l’espace de trente vers, La Fontaine, en ne faisant que se livrer au courant de sa narration, a pris tous les tons, celui de la poésie la plus gracieuse, la plus élevée : on ne craindra pas d’affirmer qu’à l’époque où cette fable parut, il n’y avait rien de ce qu’on a dans notre langue.

1870. (1879) Balzac, sa méthode de travail

On commence à reconnaître quelques symptômes d’excellent français ; on signale même quelques liaisons dans les phrases. » Qu’on ne prenne pas cet article pour une fantaisie. […] Ancien imprimeur et connaissant le prix auquel entraînent les corrections — cinquante centimes l’heure, — Balzac semble avoir été absolument indifférent à ces dépenses qui prennent d’assez fortes proportions quand le démon de la rature s’empare d’un écrivain. […] Quand il s’adresse au public, il prend des tons de général Bonaparte à la bataille des Pyramides ; en particulier, l’homme se montrait parfois aussi inquiet sur la durée de son œuvre qu’un grand artiste qui constate que les couleurs qu’il emploie détruiront sa toile et ne laisseront guère plus de traces du tableau que si un liquide corrosif y avait été jeté.

1871. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Tout ce que j’ai compris de ma vie du clair-obscur » pp. 26-33

Combien de licences prises ! […] Éloignez-la davantage encore, et vous verrez la couleur d’un corps prendre un ton monotone, et son ombre s’amincir, pour ainsi dire, au point que vous n’en discernerez plus les limites. […] L’ombre d’un corps bleu prend une nuance de bleu.

1872. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 21, du choix des sujets des comedies, où il en faut mettre la scene, des comedies romaines » pp. 157-170

Des raisons opposées me font croire qu’il faut mettre la scene des comedies dans les lieux et dans les tems où elle est répresentée : que son sujet doit être pris entre les évenemens ordinaires, et que ses personnages doivent ressembler par toutes sortes d’endroits au peuple pour qui l’on la compose. […] Presque tous nos poëtes comiques les ont imitées jusques à Moliere qui, après s’être égaré quelquefois, prit enfin pour toujours la route qu’Horace a jugé être la seule qui fût bonne. […] Thesée est le dernier opera où Monsieur Quinault ait introduit des bouffons, et le soin qu’il a pris d’annoblir leur caractere, montre qu’il avoit déja senti que ces rolles étoient hors de leur place dans des tragedies faites pour être chantées, autant que dans des tragedies faites pour être déclamées.

1873. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 23, que la voïe de discussion n’est pas aussi bonne pour connoître le mérite des poëmes et des tableaux, que celle du sentiment » pp. 341-353

On donna la conduite du siege au célebre Ambroise Spinola qui n’avoit que du génie et de la pratique, mais qui prit la place. Ce grand capitaine n’avoit étudié aucune des sciences capables d’aider un ingénieur à se former, quand le dépit qu’il conçut, parce qu’un autre noble genois lui avoit été préferé dans l’achat du palais Turfi de Genes, lui fit prendre le parti de venir se faire homme de guerre dans les païs-bas espagnols en un âge fort avancé, par rapport à l’âge où l’on fait communément l’apprentissage de ce métier. […] Roberval ne proposa rien qui fut praticable, et on l’envoïa attendre dans Metz que d’autres eussent pris la place.

1874. (1912) L’art de lire « Chapitre X. Relire »

Mais encore le plus souvent, presque toujours, quelques précautions prises, on comprend beaucoup mieux un auteur quand on le relit que quand on le lit pour la première fois. […] Pour les lieux et les livres, ce ne peut pas être cela, et il faut bien que nous nous en prenions à nous-même. « J’admirais cela ! […] Chose curieuse, l’émotion sentimentale fut, ce m’a semblé, tout aussi forte, et de plus je m’aperçus d’un mérite incroyable de composition, d’un art, assurément tout instinctif, des préparations des dispositions prises en vue d’amener un effet final, ou en vue d’éclairer d’avance certaines particularités de caractère par où s’expliquent les incidents et les péripéties ; je m’aperçus, en un mot, que le roman, s’il n’était pas aussi bien écrit que je l’eusse désiré, était aussi bien construit qu’une nouvelle de Maupassant.

1875. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Μ. Jules Levallois » pp. 191-201

Jules Levallois se met à travailler — comme une fourmi — dans ses fourmis, et je prendrai l’ermite et ses idées sur les ermites ; car c’est tout un traité d’érémitisme que le livre de Μ.  […] La liberté morale, comme il dit, et à laquelle il tient comme un monsieur de ces derniers temps, sa liberté morale prend la force des chênes au pied des chênes, et le rend plus apte à servir les hommes et à se dévouer à leur bien-être et à leur grandeur. […] … Mais l’éducation morale ne se prend pas comme de la moelle de lion, et pour faire une âme, quand on avalerait la sève de toute une forêt de chênes, franchement, cela ne suffirait pas !

1876. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Louandre »

Nous avions entendu là-dessus le petit sifflet de Voltaire et la parole de cet autre grand génie qui se croyait positif et qui disait : « Cela pourrait être, mais cela n’est pas. » Et voilà qu’à ce moment même, au moment où le rationalisme prenait compendieusement ses conclusions souveraines, la pensée moderne retournait sous d’autres formes à des questions qui paraissaient épuisées, qui paraissaient n’en être plus ! […] Un rare esprit qu’on n’accusera point de mysticité, un des critiques de ce temps qui prend le mieux l’aire de vent de l’esprit humain dans une époque, Philarète Chasles, signalait hier encore ce mouvement singulier de la pensée moderne vers le surnaturel et vers l’infini, et nous prouvait par toute une littérature spéciale, en Angleterre et en Amérique, à quel point ce mouvement actuel est entraînant et accéléré. […] Louandre n’a été ni assez philosophe ni assez poète ; il a été de l’entre-deux, et c’est dommage… Car, s’il avait pris les choses seulement par le côté poétique, il aurait pu nous donner un livre où la science du chroniqueur et de l’antiquaire se serait mêlée à ce qui fait vivre les livres plus que la science elle-même : le style, la couleur, l’émotion !

1877. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Belmontet »

Prenez Byron, prenez Manzoni, prenez Lamartine, Victor Hugo, Béranger, et voyez s’il en est un qui ait su se défendre de la grande obsession de la pensée contemporaine : l’Empereur et l’Empire !

1878. (1912) Chateaubriand pp. 1-344

Subitement, il prend la résolution de retourner en France. […] Toi seule, ô mon Amélie, tu as pris le parti que tu devais prendre ! […] Elle le prend pour le chasseur Endymion, ou pour un Dieu. […] On prit pourtant le parti de gouverner sans lui. […] L’intérêt se maintient parce que, au fond, l’intérêt qu’il prend aux choses, c’est toujours l’intérêt qu’il prend à lui-même.

1879. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « François Ier, poëte. Poésies et correspondance recueillies et publiées par M. Aimé Champollion-Figeac, 1 vol. in-4°, Paris, 1847. »

Tant que François Ier fut prisonnier en Espagne, il composa incontestablement sans secours et sans aide de longues épîtres non moins ennuyeuses qu’ennuyées ; à sa rentrée en France, ses vers prirent plus de vivacité, et la joie du retour, sans doute aussi le voisinage des bons poëtes, l’inspira mieux. […] Quand, au lieu de copier, on en vint à traduire, on se sentit encore plus autorisé, et l’on prit de toutes mains, en disant les noms des auteurs ou en les taisant, indifféremment. […] Je prends le petit recueil des Poésies de Bonaventure dès Periers, le poëte valet de chambre de Marguerite de Navarre ; j’y cherche et j’y glane à grand’peine quelques bons vers ou du moins quelques vers passables ; mais tout d’un coup une jolie pièce m’arrête et me réjouit : les Roses, dédiées à Jeanne, princesse de Navarre, qui sera la mère d’Henri IV. […] Le talent de l’illustre sœur est incomparablement d’un autre ordre que celui du roi, et, chaque fois que c’est elle qui prend la plume, le lecteur le sent à la fermeté du ton et à une certaine élévation de pensée. […] Il en conclut que Henri IV avait pris ce refrain à quelque chanson déjà en vogue (voir le tome XI, no 6, des Bulletins de l’Académie royale de Bruxelles).

1880. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVe entretien. Chateaubriand, (suite) »

Pour moi, qui n’ai point pris racine sur la terre, Je m’en vais, sans effort, comme l’herbe légère Qu’enlève le souffle du soir. […] Les traits paternels avaient pris au cercueil quelque chose de sublime. […] Il prit le premier rang parmi les ingrats ; il le prit aussi parmi les calomniateurs de l’infortune méritée, en calomniant même Bonaparte dans le récit mensonger de ses violences manuelles de Fontainebleau vis-à-vis du pape Pie VII. […] Quand il voulut se venger ou se faire craindre, il prit lui-même les vices de la démocratie. […] Il fut à lui-même sa première pensée : toutes les fois qu’il y eut à choisir entre sa patrie et lui, il ne songea qu’à lui-même ; il prit le décorum pour l’honneur, et l’honneur pour la vertu.

1881. (1911) Enquête sur la question du latin (Les Marges)

Si elle prenait corps, nous verrions se confirmer solidement cette vérité (dont, pour ma part, je suis déjà convaincu), que les études les plus élevées sont en même temps les plus pratiques. […] Donc, n’espérons rien, mais protestons, sans distinction de partis, réunis dans le même souci qui est celui de l’avenir littéraire de notre pays… D’ailleurs si tant de lecteurs bénévoles prennent, hélas ! […] Prenons, par exemple : au-tobus. […] Quel intérêt voulez-vous qu’ils y prennent et que voulez-vous qu’ils vous répondent ? […] Ils prennent l’impression pour la beauté définitive, préfèrent l’abondance au choix, la vivacité des sensations à la sûreté du goût.

1882. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre deuxième »

Rabelais ne profita que de la permission de quitter l’habit franciscain ; mais il ne paraît pas qu’il ait pris celui de bénédictin, ni qu’il soit entré au couvent de Maillezais. […] A-t-il même pris soin de conserver à ses personnages les traits et les proportions qu’il leur a donnés d’abord ? […] Or, c’est proprement la part de la Renaissance dans l’ouvrage de Rabelais ; ce sont toutes ces vérités générales sur l’homme, sur la société, et, comme dit Rabelais, sur l’état politique et sur la vie économique ; ce sont mille traits de lumière sur notre nature, qui jaillissent du milieu de cette ivresse, comme ce bon sens de hasard qui échappe aux gens pris de vin ; ce sont mille perles semées dans ce fumier, et dont trois siècles n’ont pas encore terni l’éclat. […] Ronsard le prit au mot dans cette épitaphe que j’ai rapportée : Puis ivre, chantoit la louange De son ami le bon Bacchus. […] Il félicite l’évêque de Maillezais d’avoir pris Rabelais à son service.

1883. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre septième. »

« Si je puys prendre Noyon, dit-il, je feray la moue à ceux de Compiègne. » En effet, ceux de Compiègne lui firent faire la moue, en le pendant164. […] Entre les deux penchants les plus marqués de notre esprit, le désir de connaître et le besoin de se fixer, le premier est si excité par la nouveauté et la richesse des objets à connaître, qu’il parvient à tromper le second, et qu’il prend possession de l’esprit tout entier. […] Ces vaines caresses qu’on fait à ma liberté me séduisent d’abord ; c’est par mil vanité que Montaigne veut me gagner à son doute, et je suis près de m’y laisser prendre. […] Qui sait même si nous ne pousserons pas l’amour de nous jusqu’à nous prendre pour la vérité elle-même ? […] A peine est-il sévère pour ceux qui s’égarent ; pour les autres, il les laisse marcher de leur pas, trouvant bon qu’ils prennent quelques plaisirs honnêtes dans ce monde où Dieu les place pour quelques moments, à titre d’hôtes et de passagers.

1884. (1899) Esthétique de la langue française « La métaphore  »

Le bâton a été considéré tantôt comme le bât, tantôt comme la bête de somme tout entière ; c’est ce dernier sens qu’il prend lorsqu’on se sert du mot bourdon (latin burdonem), qui est proprement le bardot, variété du mulet. […] L’idée plaisante que le fourmi-lion est le « lion des fourmis » égaie quelques dictionnaires : que de mal ont pris les grammairiens pour expliquer logiquement les mœurs d’un insecte par une déformation linguistique ! […] En effet, pris d’un doute, je cherche et je trouve dans un dictionnaire technique : « Singe, machine composée d’un treuil horizontal qui sert à élever ou à descendre des fardeaux. » On a également appelé singe, et cela rentre dans la série singe-singer, le pantographe, appareil à copier les dessins. […] L’anglais nous a pris jadis et a conservé oriole et oriel. […] Le verbe grailler, sonner du cor, est resté comme terme de vénerie, mais il a pris d’autre part le sens second et contradictoire de « parler d’une voix enrouée ».

1885. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre III : Règles relatives à la distinction du normal et du pathologique »

Ceux qui l’ont pratiquée, en effet, étaient trop rationalistes pour admettre que la conduite humaine n’eût pas besoin d’être dirigée par la réflexion ; et pourtant, ils ne voyaient dans les phénomènes, pris en eux-mêmes et indépendamment de toute donnée subjective, rien qui permit de les classer suivant leur valeur pratique. […] Si, par exemple, un millier de rhumatisants, pris au hasard, présente une mortalité sensiblement supérieure à la moyenne, on a de bonnes raisons pour attribuer ce résultat à la diathèse rhumatismale. […] Il est, en effet, bien rare que les espèces animales soient nécessitées à prendre des formes imprévues. […] On se demandera peut-être, pour épuiser toutes les hypothèses logiquement possibles, pourquoi cette unanimité ne s’étendrait pas à tous les sentiments collectifs sans exception ; pourquoi même les plus faibles ne prendraient pas assez d’énergie pour prévenir toute dissidence. […] Non seulement, là où il existe, les sentiments collectifs sont dans l’état de malléabilité nécessaire pour prendre une forme nouvelle, mais encore il contribue parfois à prédéterminer la forme qu’ils prendront.

1886. (1897) Un peintre écrivain : Fromentin pp. 1-37

Pour un homme qui n’a pas eu des voisinages par trop différents dans sa jeunesse, ce sont là des choses de milieu, sous-entendues et devinées ; c’est un peu comme l’air respirable, dont il n’est pas besoin de raconter que chacun des personnages prend sa part. […] L’amitié avec la nature peut vivre autant que nous, mais elle n’a qu’une saison pour commencer : celle de la première jeunesse, l’heure matinale, où le cœur, doué d’une puissance de désir et d’émotion qui ne sera jamais plus grande, n’est encore pris à rien et peut se prendre à tout, parce que les tendresses qui l’occuperont ne sont pas encore nées. […] Madame Sand a sans doute pris le mot passion dans un sens moins psychologique que Fromentin ; elle a trouvé sage une passion qui ne crie pas, en effet, et qui ne se traduit pas en épisodes tragiques. […] Vous souvenez-vous de ce passage où Dominique, sans volonté, n’a plus que des caprices, et prend la résolution soudaine de fuir Madeleine et de voyager ? […] Prenez les Maîtres d’autrefois.

1887. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXI. »

je prie que la pitié, qui t’a conduit sur la terre, te fasse prendre en gré cette fertile contrée. […] Que maintenant, parmi les fêtes et les chefs-d’œuvre des galeries de Florence, Médicis, nourri des pensées de Platon, les ait redites parfois en strophes élégantes ; que Politien ait retrouvé, dans ses deux langues natales, quelque chose de l’harmonie d’Horace et de sa curieuse hardiesse d’expression, ce sont des plaisirs délicats pour le goût, des sujets pour l’étude, mais non de grandes influences qui aient agi sur la pensée et pris place dans l’histoire des lettres. […] De ce génie des arts, déjà levé sur l’Occident, la Turquie n’empruntait encore que des instruments de force matérielle, l’artillerie, la construction des forts et quelques notions de marine appliquées par des renégats ; mais, loin que la confiance des Turcs fut diminuée par ce besoin de secours étrangers, elle devenait plus ambitieuse et plus hautaine, comme se sentant prédestinée à prendre captive la chrétienté tout entière, avec ses richesses et ses arts. […] Le long règne de Soliman II accrut ce danger, prit Rhodes, ravagea la Hongrie, humilia l’Autriche, et pesa sur l’Europe comme sur l’Orient. […] Ils ont osé promettre d’incendier nos frontières, de mettre à mort par l’épée notre jeunesse, de prendre nos jeunes enfants et nos vierges, et de souiller la gloire, la pureté de celles-ci.

1888. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » pp. 179-182

Corneille n’ignoroit pas combien les discussions analytiques sont propres à faire évanouir les plus grandes beautés : on peut les comparer à des sucs corrosifs qui détruisent les substances, sous prétexte de les épurer : c’est pourquoi il prit le parti de se taire, & de se venger en faisant mieux. […] C’est quitter le sceptre du Génie, pour prendre les armes du Gladiateur.

1889. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 100-103

On s’est persuadé qu’il n’y avoit d’autre parti à prendre, à l’égard des Auteurs Grecs & Latins, que de traduire, & l’on n’a pas fait attention que la diversité du génie des Peuples, celle des Langues, étoient des obstacles insurmontables pour une bonne Traduction. […] Virgile a imité Homere ; Horace s’est formé sur Pindare & sur Anacréon ; Boileau avoit pris Horace pour modele, avant de tirer des chef-d’œuvres de son propre fonds.

1890. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (1re partie). Littérature scientifique » pp. 221-288

Guillaume prit le château et la terre de Tégel, où il continua de vivre avec sa charmante femme. […] La mer leur offrit là d’intéressants végétaux marins, et, de plus, l’erreur de leur capitaine qui prit un rocher basaltique pour un fort, et y envoya un officier, leur fournit l’occasion de visiter la petite île la Gracieuse. […] Les passagers que le fléau n’avait pas atteints, effrayés de la contagion, avaient pris la résolution de s’arrêter au plus prochain lieu de relâche favorable, pour attendre un autre navire qui les porterait au terme de leur voyage, Cuba ou Mexico. […] Mais il prit auprès du roi de Prusse la place de favori savant, presque ministre des sciences naturelles. […] Dans les derniers temps, il éprouva de nombreuses indispositions, surtout des refroidissements, qui prirent chez lui le caractère de la grippe, et, toutes les fois que la nouvelle de sa maladie se répandait, tout le monde savant y prenait la part la plus affectueuse, les journaux en donnaient des bulletins, et les princes et les princesses s’informaient, ou par le télégraphe ou en personne, de l’état de sa santé.

1891. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre IV. Shakespeare l’ancien »

Quels personnages prend Eschyle ? […] Huée à l’archonte éponyme qui a dernièrement fait élire et couronner un poëte par dix généraux au lieu de prendre dix hommes du peuple. […] Évergète et Omar vous ont pris tout cela. […] Il fait prendre Iphigénie par le sacrificateur « comme une chèvre ». […] Voici que l’art, le grand art, est pris, d’un accès de gaieté.

1892. (1913) La Fontaine « I. sa vie. »

Veut-il louer un roi, l’honneur des rois, Il ne le prend que pour sujet de thème. […] Je donne ici de bons conseils, sans doute, Les ai-je pris pour moi-même ? […] Son discours n’a rien de très remarquable, si ce n’est qu’il y prenait déjà formellement l’engagement de ne plus tomber dans ses erreurs littéraires. […] Songez que ces mêmes paroles que vous venez de prononcer et que nous insérerons dans nos registres, plus vous aurez pris de peine à les peser et à les choisir, plus elles vous condamneraient un jour si vos actions s’y trouvaient contraires, si vous ne preniez à tâche de joindre la pureté des mœurs et de la doctrine, la pureté du cœur et de l’esprit, à la pureté de style et du langage, qui ne sont rien, à bien prendre, sans l’autre. » Voilà le ton de M. de La Chambre parlant à La Fontaine. […] Ceci est absolument nécessaire, même pour l’éducation morale, je veux dire même pour les précautions qu’il faut prendre dans l’éducation morale.

1893. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Crétineau-Joly »

Telle est la pensée qui prend l’esprit d’abord à la lecture du livre intitulé : Clément XIV et les Jésuites. […] La vérité longtemps cachée est si claire et si démontrée à présent, que les hommes intéressés à la nier ou à ne pas la reconnaître vont prendre, soyez-en sûrs ! un parti qui leur est familier et qu’ils ont pris déjà avec elle dans un autre livre du même auteur : ils ne nieront rien, ils ne discuteront rien, ils se tairont et passeront outre. […] La vie de la publicité prend des proportions si colossales, que la moralité de l’écrivain en est toute modifiée ; qu’elle lui constitue de nouveaux devoirs. […] On le conçoit : avec les forts instincts d’administration qui étaient en lui et qu’il prenait pour des instincts politiques, il avait dû admirer sur la terre du schisme cette religion nationale, chère à l’esprit de tous les despotes, et il en avait remporté l’idée dans sa patrie pour la réaliser un jour.

1894. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre II. Axiomes » pp. 24-74

Par un effet de la nature infime de l’intelligence de l’homme, lorsqu’il se trouve arrêté par l’ignorance, il se prend lui-même pour règle de tout. […] Varron a pris la peine de recueillir trente mille noms de divinités reconnues par les Grecs. […] Les sciences doivent prendre pour point de départ l’époque où commence le sujet dont elles traitent34. […] Les hommes à courtes vues prennent pour la justice ce qu’on leur montre rentrer dans les termes de la loi. […] Ce mot est pris dans le sens anglais, to press.

1895. (1874) Premiers lundis. Tome II « Hippolyte Fortoul. Grandeur de la vie privée. »

Ce qui est bon à rappeler, c’est qu’on n’en sort jamais, après tout, qu’avec le fond d’enjeu qu’on y a apporté, je veux dire avec le talent propre et personnel : le reste était déclamation, appareil d’école, attirail facile, à prendre, et que le dernier venu, eût-il moins de talent, portera plus haut en renchérissant sur tous les autres. […] Aussi, le soir, quand il prit congé de ses hôtes, il leur laissa l’idée qu’il était né pour être heureux, et qu’il mourrait ignoré et content au bord du lac, seul témoin destiné à recevoir l’entière confidence de ses pensées. » Rousseau ne donne plus de ses nouvelles, et ses amis croient qu’il les a oubliés. […] L’auteur, on le conçoit, prend occasion du récit de Simiane pour juger la première moitié du xviiie  siècle et en retracer les principales figures ; aussi, dans le récit de Simiane, sent-on par trop fauteur de nos jours. […] Le talent de romancier, qui se manifeste dans Steven, est très vif, et, à ne prendre les choses que par le dehors, on peut regretter, pour le succès de lecture, que ce roman n’ait pas précédé l’autre.

1896. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Baudelaire, Charles (1821-1867) »

Ferdinand Brunetière Les vers de Baudelaire suent l’effort ; ce qu’il voudrait dire, il est rare, très rare qu’il le dise ; et sous ses affectations de force et de violence, il a le génie même de la faiblesse et de l’impropriété de l’expression… Prenez, une à une, dans ces Fleurs du mal, les pièces les plus vantées, à peine y trouverez-vous une douzaine de vers à la suite qui soutiennent l’examen ; et un examen où il en faut venir, parce que Baudelaire est un pédant… Le pauvre diable n’avait rien ou presque rien du poète que la rage de le devenir. […] Après les Fleurs du mal, il n’y a plus que deux partis à prendre pour le poète qui les fit éclore : ou se brûler la cervelle… ou se faire chrétien ! […] Mais comme ouvrier du « devoir présent », quelle sera donc cette « littérature infâme » qu’il avait pris l’engagement de combattre, si ce n’est celle à laquelle appartiennent une Martyre ou les Femmes damnées ? […] … toute la Gloire eût-elle pris ton deuil, La Muse eût-elle dit ton haut panégyrique.

1897. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Une soirée chez Paul Verlaine » pp. 18-33

Il détruira ses manuscrits4, sera pris d’une rage de dépouiller sa personnalité, de se rayer du nombre des vivants, d’abolir jusqu’à la mémoire de son nom. […] Un tub en occupait le centre et les regards étaient pris, en entrant, par l’éblouissement d’une triple rangée de bottes vernies, impeccablement alignées, comme une armée de parade, un jour de revue. […] Il y prenait sujet d’économiser sur le combustible et la chandelle. […] On avait, par un dernier scrupule et pour ménager les susceptibilités maladives du poète, pris la précaution de déguiser son nom sous le pseudonyme d’Humilis.

1898. (1890) L’avenir de la science « Préface »

Cela me prit les deux derniers mois de 1848 et les quatre ou cinq premiers mois de 1849. […] Un gros embarras résultait du parti que j’avais pris d’imprimer mon vieux pourana tel qu’il est ; c’étaient les ressemblances qui ne pouvaient manquer de se remarquer entre certaines pages du présent volume et plusieurs endroits de mes écrits publiés antérieurement. […] Le principe national a pris depuis 1848 un développement extraordinaire. […] J’eus donc raison, au début de ma carrière intellectuelle, de croire fermement à la science et de la prendre comme but de ma vie.

1899. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IV. La littérature et le milieu psycho-physiologique » pp. 126-137

On a raisonné à perte de vue sur l’influence de la race, pour prendre le mot consacré. […] C’est une de ces vérités banales qu’on ne prend plus la peine de démontrer. […] Et ne prendrait-on pas pour des Allemands pur sang tels descendants des réformés que Louis XIV chassa de son royaume et qui se réfugièrent à Berlin ou à Francfort ? […] Soit par hazard ou par despit, La nature injuste me fit Court, entassé, l’espaule grosse ; Au milieu de mon dos je hausse Certain amas d’os et de chair Faict en pointe comme un clocher ; Mes bras d’une longueur extrême, Et mes jambes presque de même, Me font prendre le plus souvent Pour un petit moulin à vent.

1900. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre IV. Littérature dramatique » pp. 202-220

Bravée, menacée, elle prend sa revanche, mettant son plaisir âpre à torturer ceux qui s’approche d’elle. […]Prends-moi devant les hommes, prends-moi devant Dieu ! […] D’ailleurs le music-hall n’empiétera pas sur le théâtre ; il a une place importante à prendre dans le domaine de la beauté, mais elle est surtout artistique et non littéraire.

1901. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 4, de l’art ou de la musique poëtique, de la mélopée. Qu’il y avoit une mélopée qui n’étoit pas un chant musical, quoiqu’elle s’écrivît en notes » pp. 54-83

" Diodore De Sicile écrit que Philippe, après avoir pris trop de vin la journée dont nous venons de parler, fit plusieurs choses indecentes sur le champ de bataille, mais que les representations de Démadés, athenien, et l’un des prisonniers de guerre, le firent rentrer en lui-même, et que le repentir qu’il eut de s’être oublié, le rendit plus facile, lorsqu’il fut question de traiter avec l’ennemi vaincu. Certainement Athénes et les autres villes de la Grece qui pouvoient avoir un usage semblable à celui des atheniens, ne faisoient point chanter leurs loix, à prendre le terme de chanter dans la signification qu’on lui donne communement dans notre langue, lorsqu’elles les faisoient publier. […] Martianus Capella dit : " le son de la voix se peut diviser en deux genres de sons… etc. " or, comme nous le dirons plus bas, carmen signifioit proprement la déclamation mesurée des vers qui ne se chantoient pas, à prendre le mot de chanter dans la signification qu’il a parmi nous. […] Nos dix-huit lettres initiales, bien que quelques-unes fussent les mêmes, étoient dessinées de maniere qu’elles formoient des monogrammes, qu’on ne pouvoit pas prendre l’un pour l’autre.

1902. (1860) Ceci n’est pas un livre « Décentralisation et décentralisateurs » pp. 77-106

C’est à Paris que s’impriment tous les journaux qu’on lit ; c’est à Paris que s’éditent tous les livres qu’on achète ; c’est le train de Paris que prennent obstinément tous les talents robustes et hardis ; Paris est la ville sainte, où toute royauté intellectuelle a besoin de se faire sacrer pour être reconnue et acclamée ; rien de beau, rien de grand, qui ne se fasse et ne se défasse à Paris… Tout pour Paris et par Paris ! […] Tous les impuissants qui ont usé infructueusement leur belle jeunesse à casser des cordons de sonnettes à la porte des journaux et des théâtres de la capitale — l’académie de province les reçoit, les prend et les fait sauter maternellement sur ses genoux, en leur recommandant bien de ne plus aller vers ces méchants, qui n’ont eu garde de les écouter — craignant d’être obligés de les admirer. […] On prend des renseignements sur l’aspect et la couleur du mouchoir où le grand homme enferme, la nuit, sa tête dantesque ; on apprend qu’il nourrit un goût dépravé pour les escargots cuits sur le gril ; — l’habitude malpropre qu’il a contractée de combattre ses irritations de nez avec du suif de chandelle n’est plus un mystère ; on sait que le pingre a refusé hier un manchon aux sollicitations de sa femme… On le guette, on le suit, on le traque — on le connaît de sa salle à manger à son alcôve. […] Le siècle n’est pas aux poésies de M. de Laprade : notre génération prend le livre, le livre lui glisse forcément et fatalement des mains.

1903. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’empire russe depuis le congrès de vienne »

Beaumont-Vassy est un de ces esprits qui peuvent toucher impunément à beaucoup de sujets et les laisser exactement à la place où ils les ont pris. […] Caméléons qui prennent toutes les teintes, ayant dans l’esprit ces mouvements charmants du singe que Joubert discerne si bien dans l’esprit de Voltaire, ils sont, en raison de tout cela, de redoutables diplomates, mais, sans caractère comme tous ceux qui font beaucoup de personnages, ils n’ont à eux ni leur élégance, ni leurs mœurs, ni leur littérature, ni leurs vices. […] Ils peuvent être des chevaliers de Grammont dans la vie ; c’est un air à prendre, un habit à porter, un propos à tenir, une manière de saluer, de monter à cheval, de mettre ses bottes, ou de se les faire ôter par des princesses, — comme faisait Lauzun. […] Pour l’écrivain français, dont la plume pouvait universaliser le blâme ou l’éloge, la fine Russie avait pris son plus beau sourire grec et revêtu toutes ses grâces de Cléopâtre asiatique.

1904. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le capitaine d’Arpentigny »

Après un long silence d’une résignation presque dédaigneuse, le capitaine d’Arpentigny réimprime son livre oublié et le présente de nouveau au public, avec le calme d’un homme qui sait ce qu’on lui a refusé une première fois et qui a le droit d’insister pour qu’enfin on le prenne ! […] D’Arpentigny, qui ne répète point les observations des autres s’il en répète les procédés, a pris la main comme l’expression résumante de l’homme tout entier ; mais avec les ressources variées de son esprit, avec le sentiment des analogies, qui est en lui à une haute puissance, il aurait pu tout aussi bien prendre le pied, et pas de doute qu’il ne nous eût dit, à propos du pied comme à propos de la main, une foule de choses vraies et charmantes. […] Prouvons que la forme de son livre mérite qu’on s’y arrête, et prenons sur elle la mesure d’un esprit que le fond de son ouvrage ne donne pas.

1905. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Le père Augustin Theiner »

Qui a le cœur d’absoudre un homme coupable ou de vanter un homme funeste, prend sur soi la moitié du mal qu’il a commis et l’applique à froid sur sa conscience. […] On a de moins, enfin, tout ce qui a causé le malheur ou la faute, et si, nonobstant, on les prend à son compte tous les deux par l’approbation qu’on leur donne, c’est, sans doute, pour prouver qu’il peut y avoir plus coupable que le coupable : c’est-à-dire le juge, qui n’ose pas ou ne sait pas juger. […] Theiner n’a pas ignoré qu’il prenait, de gaîté de cœur, comme historien et comme juge, sa part volontaire dans cette abolition effrayante, car les derniers mots n’en sont peut-être pas dits. […] Après cela, que Clément XIV ait souffert ou non de cette abolition qu’il a signée ; qu’il y ait répugné longtemps ou bien qu’il y ait promptement consenti ; qu’il l’ait promise aux cabinets qui la demandaient avant ou après son élection ; qu’il ait pleuré en la signant, qu’il soit tombé par terre après l’avoir signée, ou qu’il soit resté calme et fort comme un homme qui vient de soulager sa conscience en accomplissant un devoir ; qu’il en soit mort fou ou repentant ou qu’il ait gardé la pleine possession de son intelligence et se soit éteint dans cette impénitence finale des pouvoirs qui, comme Œdipe, se sont crevé les yeux, et que d’autres Œdipes aux yeux crevés prennent, comme le P. 

1906. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Le Comte de Gobineau »

Cette belle place littéraire à prendre aurait pu le tenter cependant, car Gobineau est un esprit sérieux, de philosophie stoïque, et le stoïcisme est pour lui — il le dit en termes formels dans une thèse qui a de la fierté — un des plus nobles buts de la vie. […] plutôt quelque chose comme une chèvre capricieuse, fantasque, entêtée, enragée, endiablée, quoique du Nord, comme cinquante chèvres de Calabre, et qu’on aurait pu prendre, à certains moments, pour une tigresse, — une tigresse qui n’était pas marquée de la petite vérole comme Mirabeau, mais qui savait encore mieux que lui, ce grand comédien, jouer aux autres et se jouer à soi la comédie ! […] À peine une de leurs bandes se déclare-t-elle repue, que des essaims affamés et pareils viennent, en courant, prendre la suite de son commerce. […] A le bien prendre, un misanthrope n’est qu’un optimiste renversé, un optimiste désespéré, qui jette les hauts cris.

1907. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Conclusion »

Car à supposer que les formes dont on parle, et auxquelles nous adaptons la matière, viennent entièrement de l’esprit, il semble difficile d’en faire une application constante aux objets sans que ceux-ci déteignent bientôt sur elles : en utilisant alors ces formes pour la connaissance de notre propre personne, nous risquons de prendre pour la coloration même du moi un reflet du cadre où nous le plaçons, c’est-à-dire, en définitive, du monde extérieur. […] D’ailleurs ce changement n’implique pas succession, à moins qu’on ne prenne le mot dans une acception nouvelle ; sur ce point, nous avons constaté l’accord de la science et du sens commun. […] L’erreur de Kant a été de prendre le temps pour un milieu homogène. […] Mais il y aurait, selon nous, un troisième parti à prendre : ce serait de nous reporter par la pensée à ces moments de notre existence où nous avons opté pour quelque décision grave, moments uniques dans leur genre, et qui ne se reproduiront pas plus que ne reviennent, pour un peuple, les phases disparues de son histoire.

1908. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VII. »

Entouré d’amis qui lui conseillaient de prendre le pouvoir, il avait refusé en disant : « C’est un beau pays que la royauté ; mais ce pays n’a pas d’issue. » Et plus tard, amusant son repos avec ce charme de la poésie dont il avait appuyé ses lois, il répétait : « Si j’ai épargné ma patrie, et n’ai pas voulu m’en rendre maître, ni m’élever par la force, en déshonorant la gloire que j’avais obtenue d’ailleurs, je n’ai honte ni repentir de cette modération : au contraire, c’est le côté par où j’ai surpassé les autres hommes. » Le législateur d’Athènes, celui dont les lois, dans quelques maximes éparses, offrent encore de mémorables leçons, résista jusqu’à la fin à la lente usurpation de Pisistrate, dénonça ses menées populaires, protesta contre sa garde, et, enhardi par la vieillesse, vécut libre, même sous un maître qu’il avait pressenti et bravé. […] Mais que chacun, ayant pris le pas, se tienne affermi sur ses deux jarrets, serrant sa lèvre de ses dents !  […] « Vous êtes, dit le poëte79, la race invincible d’Hercule ; prenez cœur. […] que, par de vigoureux exploits, il s’exerce à la guerre, et ne se tienne pas, sous le bouclier, à distance des traits-ennemis ; mais qu’abordant de près et frappant avec la javeline ou l’épée, il prenne le guerrier captif !

1909. (1889) Les artistes littéraires : études sur le XIXe siècle

Mais où la chercher si l’on prend au pied de la lettre chacune de ses déclarations ? […] Subitement, sans savoir pourquoi, il se sent pris à son égard d’une « haine aussi soudaine que despotique ». […] MM. de Goncourt prennent un aspect infiniment plus curieux et plus digne d’être observé. […] Puis, pris de nostalgie peut-être, deux ou trois fois il traverse les mers pour regagner son île natale. […] pleurs, tourments, je prendrais l’essor.

1910. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon » pp. 423-461

Il les reconnaît, il les devine à distance, il les dénonce et les démasque ; il semble, à la manière dont il les tire au jour et les dévisage, y prendre un plaisir amer et s’y acharner. […] J’indique la précaution à prendre en lisant Saint-Simon ; il peut bien souvent y avoir quelque réduction à faire dans le relief et dans les couleurs. […] Le duc de Bourgogne n’a pas régné, et la monarchie française, lancée à travers les révolutions, a suivi un tout autre cours que celui qu’il méditait de lui faire prendre. […] A-t-il envie de le prier de prendre un de ses fils pour page ? […] À partir de 1784, la publicité commença à se prendre aux Mémoires de Saint-Simon, mais timidement, à la dérobée, par anecdotes décousues et par morceaux.

1911. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIe entretien. Littérature politique. Machiavel » pp. 241-320

Rien n’est plus pathétique qu’un grand homme tel que Scipion accusé, Marius proscrit, Napoléon vaincu à Sainte-Hélène, aux prises avec la mauvaise fortune, et résumant sa vie soit en une résignation muette, soit en un satanique gémissement. […] « Je commençais sur cela à faire le diable et à m’en prendre au charretier qui s’en était allé emportant mes bûches sans les payer, comme un voleur, lorsque Machiavel, mon parent, entra et nous remit d’accord. […] Malheur aux partis qui prennent pour patrons dans l’histoire ces hommes de délire, de hache et de bûchers, tels que le moine Savonarola ! […] Mais il y a quelque chose de plus étrange encore, et qui montre dans cette vigoureuse imagination aux prises avec l’indigence et l’abandon de sa patrie l’énergie légère et vicieuse des nations de ce pays et de ce temps. […] Machiavel, voulant donner à Laurent de Médicis, prince nouveau, des leçons de la politique du succès (fausse mais séduisante politique), prit son texte dans la vie de César Borgia, auprès de qui il avait résidé si intimement comme ambassadeur de Florence.

1912. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (2e partie). Littérature de l’Allemagne. » pp. 289-364

Souvent ce vieillard, autrefois énergique, brillant et laborieux, se laissa aller à de sérieuses contemplations qui prirent chez lui la douceur d’émouvantes sensations. […] « Humboldt avait sans doute regardé les rechutes fréquentes qu’il éprouvait dans les derniers temps comme un avertissement de prendre quelques dispositions de sûreté concernant son héritage littéraire. […] J’avais été mandé par la reine à Potsdam pour prendre congé du roi. […] L’homme qui prend ce titre et qui ose dire à ses lecteurs : « Je vais écrire ma pensée cosmique », dit par là même : « Je vais vous donner le livre universel, l’Évangile de l’univers. […] Toutefois prenons ce Cosmos matérialiste pour ce qu’il est, nous le raisonnerons ensuite.

1913. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 14 mars 1885. »

On dirait d’un tableau inconnu d’Holbein ou d’Albert Dürer qui aurait subitement pris corps. […] Trois d’entre eux sont dessinés de main de maître : placés au premier plan, Beckmesser, Pogner et Kothner ont pris une physionomie inoubliable. […] Cette estrade qui prend le nom de Gemerck est-enveloppée de tous côtés par des tentures. […] » Nous ne sommes plus au temps des artistes qui le sont quelquefois, lorsque la fantaisie leur en prend ou que l’inspiration les y contraint. […] Mendès prend l’exemple du dernier mouvement de la 9e symphonie de Beethoven qui mêle texte et musique dans l’« Ode à la joie », alors que Wagner en parle plus tôt dans son texte.

1914. (1856) Cours familier de littérature. II « XIe entretien. Job lu dans le désert » pp. 329-408

Quelle élégie que ce rugissement de lion blessé, aux prises avec les angoisses de la vie, de la mort et du doute, et interrogeant Dieu lui-même pour le forcer à justifier sa justice devant sa créature ! […] À peine avez-vous respiré quelques vagues d’air respirable qu’on appelle vie, à peine avez-vous pris l’habitude de cet inexplicable mystère appelé l’existence, à peine vous êtes-vous attaché, par l’habitude, à cette existence, comme le malade finit par s’attacher même à son lit de douleur en s’y retournant, qu’il faut penser à en sortir. […] Je prends ici le mot grand dans son acception la plus matérielle comme dans son acception la plus métaphysique à la fois. […] Ce petit mot de métaphysique, jeté en passant et dont je demande pardon au lecteur, suffit à établir que le grand philosophe poète ou le grand poète philosophe prend nécessairement son caractère, ses idées, ses images, dans la scène de la nature qu’il habite ou qu’il a le plus habituellement sous les yeux. […] Non ; le tonnerre et toi, quand ton simoun y vole, Vous avez seuls le droit d’y prendre la parole, Et le lion, peut-être, aux narines de feu, Et Job, lion humain, quand il rugit à Dieu !

1915. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — A — Ackermann, Louise (1813-1890) »

Elle appartient à cette école des grands désespérés, Chateaubriand, lord Byron, Shelley, Leopardi, à ces génies éternellement tristes et souffrant du mal de vivre qui ont pris pour inspiratrice la mélancolie. […] Ses cris sont tout virils ; le soupir élégiaque, si fréquent dans la poésie féminine, ne l’est point dans la sienne… Madame Ackermann a trouvé, en poésie, des accents qui lui sont propres pour exprimer le dernier état de l’âme humaine aux prises avec l’inconnu : c’est là le caractère éminent de son œuvre.

1916. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Hugues, Clovis (1851-1907) »

Hugues l’a compris et l’a pris ainsi tout bonnement, sans se marteler la cervelle ; et il n’a pas eu tort. […] Aussi n’est-ce point à la forme qu’il faut s’en prendre, mais parfois au fond même de l’idée.

1917. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lebrun, Pierre (1785-1873) »

Théophile Gautier Un poète qui, dès sa jeunesse avait pris un rôle élevé, un rôle de précurseur, et qui a su introduire du naturel et de la fraîcheur dans une poésie qui jusque-là semblait trop craindre ces mêmes qualités, l’auteur du Cid d’Andalousie et du Poème de la Grèce, M.  […] Édouard Fournier Il échapperait à notre temps, s’il était resté ce que son âge, — il naquit en 1785, — voulait qu’il fût d’abord : un arrière-classique, un poète de l’Empire, rimant des Odes sur la Guerre de Prusse, sur la Campagne de 1807 et des tragédies telles qu’Ulysse et Pallas, fils d’Évandre ; mais il lui appartient, par la part qu’il prit au mouvement rénovateur, avec sa pièce de Marie Stuart assez fièrement imitée de celle de Schiller et surtout avec son brillant Voyage en Grèce, l’œuvre la plus sincère, la plus vraie de couleur et la plus éclatante qui ait été inspirée chez nous par la guerre des Hellènes.

1918. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — XVI. Le dévouement de yamadou havé »

Le village peu à peu prit de l’importance et ne tarda pas à compter 333 flèches ou guerriers. […] Il s’est battu vaillamment et n’est tombé qu’au moment où les Malinké prenaient la fuite.

1919. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

Plusieurs ont eu l’audace de se faire photographier dans l’accomplissement simulé du meurtre, ce qui était le meilleur moyen de se faire prendre. […] Nous allons retrouver les traits généraux de la littérature des détraqués dans ces littératures de décadence qui semblent avoir pris pour modèles et pour maîtres les fous ou les délinquants. […] Considérons pourtant la poésie française, pour prendre un exemple restreint. […] Il est même des littératures, nous l’avons vu plus haut, qui prennent pour objectif de nous faire sympathiser avec les insociables, avec les déséquilibrés, les névropathes, les fous, les délinquants. […] Comme ces accès d’érotisme qui prennent certains individus enclins au viol et d’habitude à peu près impuissants.

1920. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIIe entretien. I. — Une page de mémoires. Comment je suis devenu poète » pp. 365-444

J’étais comme un musicien inné à qui l’on ferait entendre pour la première fois un instrument à vent ou à cordes, où ses mélodies intérieures prennent tout à coup une voix réelle. […] Tantôt cette rivière s’épand en circulant gracieusement dans les larges bassins du Dauphiné, tantôt elle se resserre et se contracte entre les rochers gris du Jura où elle prend sa source. […] Là, tout prend un caractère sauvage, âpre et presque sinistre. […] J’y avais pris l’horreur de ces bercails d’enfants. […] Ce nourrisson prend des plumes ; sa mère lui apprend à se soulever sur sa couche.

1921. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

On sortait de l’Empire, de cette époque de silence sous les armes où le canon parlait seul et disait si tristement le mot imputé aux pères de la Trappe : « Frères, il faut mourir. » La vieille alouette des Franks, échappée à son terrible rétiaire, se prit à babiller et à chanter, comme un seau délivré. […] À prendre la tête du mouvement populaire, le gouvernement ne descendait pas. […] Alors il prendra son rang, qu’il ne perdra plus, comme un des premiers historiens du xixe  siècle et comme son premier biographe. […] Si le talent et la science, dans leurs superbes certitudes, sont de véritables prises de possession, on peut dire que la Réforme appartient à Audin, et jamais personne n’en parlera désormais sans être obligé de le citer. […] Les choses (comme disent les philosophes) importent assez peu à la marionnette humaine, laquelle a pris au sérieux le mot d’Épicure et ne fait estime que de ce qui est coulé dans le moule et les proportions de sa petitesse.

1922. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — II. (Fin.) » pp. 62-79

a-t-il envie de le prier de prendre un de ses fils pour page ?  […] La première Dauphine, qui était Allemande et née princesse de Bavière, le dit à Madame en pleurant, mais sans rien oser pour empêcher un tel affront qui les atteignait toutes deux : « Laissez-moi faire, répondit Madame, j’arrangerai cela ; car, lorsque j’ai raison, rien ne m’intimide. » Et le lendemain elle s’arrangea si bien qu’elle rencontra dans le parc une des deux demoiselles soi-disant comtesses palatines : elle l’aborda et la traita de telle sorte (les termes étonnants en ont été conservés) que la pauvre fille en prit une maladie dont elle mourut. […] J’ai vu prendre plus de mille cerfs, et j’ai fait aussi des chutes graves ; mais sur vingt-six fois que je suis tombée de cheval, je ne me suis fait mal qu’une seule. » Elle s’était démis le coude ce jour-là. […] Quelquefois, dès le matin, il lui arrivait des demi-douzaines de duchesses qui lui prenaient son temps et lui coupaient sa correspondance. […] Jamais l’effronterie et la gloutonnerie des femmes de tout rang, jamais la cupidité de tous, le jeu et le trafic éhonté, la soif cynique de l’or, n’ont trouvé une main plus ferme et plus vigoureuse à les prendre sur le fait et à les flétrir.

1923. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — III. (Suite et fin.) » pp. 454-472

C’est alors qu’il écrivait à l’un de ses amis : « On ne nous prendra peut-être pas tout, on nous laissera peut-être bien quelque chose. […] En ce dernier acte qui trancha la destinée de la république, Villetard, secrétaire de la légation française, joua un rôle102 ; dans l’absence de son supérieur, le ministre de France Lallement, homme modéré, et tandis que les commissaires du grand conseil s’étaient rendus pour traiter auprès du général en chef avec un dernier espoir, cet agent secondaire prit sur lui de révolutionner Venise, et, en excitant les hommes exaltés, il renversa le fantôme de gouvernement aristocratique qui restait encore debout : Dans ce temps d’effervescence, dit à ce sujet M.  […] Daru prit depuis lors une part active aux travaux de ses collègues et suivit la ligne de l’opposition modérée qui, dans plus d’un cas, et sans déroger aux idées de gouvernement, eut à défendre les principes constitutifs de la société moderne, les bases mêmes du Code civil qu’on osait remettre en cause. […] Rien ne m’autorisait, en 1788, à penser que je pusse être jamais appelé à prendre quelque part aux affaires de mon pays. […] Sachez, au lieu d’obtenir par des sollicitations un rang dans la société, y prendre votre place de plein droit et honorer ceux qui sont honorables, quoiqu’ils ne possèdent ni titres ni richesses.

1924. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — II. (Fin.) » pp. 495-513

La Motte, qui croyait que l’esprit supplée au talent et qui s’était mis à faire des vers, avant tout raisonnables, dans tous les genres et sur tous les sujets, se dit que l’Iliade d’Homère était une matière qui s’offrait d’elle-même, et il eut l’idée de prendre pour canevas la traduction de Mme Dacier, en y changeant, corrigeant, retranchant tout ce qui lui paraîtrait convenable ; il voulait faire d’Homère quelque chose de bien. […] Elle se moque d’une de ces critiques qui porte à la fois sur la conduite d’Hélénus, d’Hector et de Diomède, qu’Homère donne pour sages et qui, au moment même, se seraient emportés comme des imprudents : « Voilà un beau coup de filet pour M. de La Motte, dit-elle assez gaiement, d’avoir pris en faute trois héros d’Homère tout à la fois. » Quand elle en vient au travestissement en vers qu’il a donné de l’Iliade, elle en fait ressortir tout le chétif et l’indignité ; elle montre très bien, par exemple, que les obsèques d’Hector, exposé sur un lit dans la cour du palais, avec l’entourage lugubre des chanteurs et les gémissements de tout un peuple de femmes qui y répondent, sont devenues chez M. de La Motte quelque chose de sec et de convenu : « On croit voir, dit-elle, un enterrement à sa paroisse. » Mais ces traits d’esprit, que Mme Dacier oppose à ceux de l’adversaire, se mêlent trop d’images, de comparaisons et de citations qui juraient avec le goût moderne. […] À cette date de 1715, il célébrait déjà dans les Français une nation philosophe, une nation chez qui l’illusion pouvait prendre, mais durait moins que chez tout autre peuple : « La philosophie fait, pour ainsi dire, l’esprit général répandu dans l’air, auquel tout le monde participe sans même s’en apercevoir. » S’il avait écrit cinquante ans plus tard, l’abbé Terrasson n’eût pas dit autrement. […] — Mais imaginez cependant la gaieté des espiègles modernes et des irrévérents mondains lorsqu’ils virent les partisans de l’Antiquité aux prises entre eux et ne pouvant s’accorder sur le sujet même du poème qu’ils offraient comme modèle à l’admiration et à l’imitation de tous. […] Rousseau (avril 1715), me mande que toute la jeunesse est déclarée contre le divin poète, et que si l’Académie française prenait quelque parti, la pluralité serait certainement pour M. de La Motte contre Mme Dacier. » Le xviiie  siècle fut puni de cette partialité ; en perdant tout sentiment homérique, il perdit aussi celui de la grande et généreuse poésie ; il crut, en fait de vers, posséder deux chefs-d’œuvre, La Henriade et La Pucelle ; il faudra désormais attendre jusqu’à Bernardin de Saint-Pierre, André Chénier et Chateaubriand pour retrouver quelque chose de cette religion antique que Mme Dacier avait défendue jusqu’à l’extrémité, et la dernière du siècle de Racine, de Bossuet et de Fénelon.

1925. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres complètes de Buffon, revues et annotées par M. Flourens. » pp. 55-73

Venu au monde la même année que Buffon (1707), d’une famille de paysans et de ministres ou vicaires de campagne, il prit goût aux plantes tout en se jouant dans le jardin du presbytère paternel ; son père occupait ses loisirs à cette culture, et l’on raconte que la mère de Linné, pendant sa grossesse, ne cessait de suivre avec intérêt les travaux de son mari. […] Réaumur tenait en France le sceptre de l’histoire naturelle quand Buffon parut, et, pour le lui mieux enlever, celui-ci prit plaisir à le combattre, à le harceler même et à le diminuer peu à peu dans l’opinion. […] Il s’étonnait du soin, selon lui excessif, qu’on prenait à décrire si longuement leurs mœurs, et surtout à faire admirer leur industrie : « Car enfin, disait-il, une mouche ne doit pas tenir dans la tête d’un naturaliste plus de place qu’elle n’en tient dans la nature. » Il semble que Buffon, se tenant au point de vue de l’homme et placé entre les deux infinis, celui de l’infinie grandeur et celui de l’infinie petitesse, n’ait été sensible qu’au premier. Il aimait assez, dans son premier ordre, à prendre les choses et les êtres par rang de taille, si l’on peut dire, et de grandeur physique ; c’est ainsi qu’il croit convenable de commencer l’histoire des oiseaux par celle de l’autruche qui est comme l’éléphant du genre. […] C’est encore là un point délicat, et je craindrais qu’un annotateur et un commentateur qui ne serait pas net et sobre ne prît occasion de ces endroits pour en tirer des idées et des inductions un peu autres que celles auxquelles Buffon a réellement songé.

1926. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Préface pour les Maximes de La Rochefoucauld, (Édition elzévirienne de P. Jannet) 1853. » pp. 404-421

N’approchez jamais de saint Vincent de Paul ravissant dans les bras de la charité l’enfant que sa mère abandonne, ou prenant pour lui la chaîne et la rame de l’esclave ; ne le tirez point par son manteau, comme pour lui dire : « Je t’y prends à faire ton bonheur du salut d’autrui, au prix de ta gêne et de ton propre sacrifice, ô égoïste sublime !  […] Quelqu’un qui l’avait écouté pendant tout un semestre, et qui était plus attentif à l’homme qu’à ce qu’il débitait, fit de lui le portrait suivant, pris sur nature : Pancirole professe, il est heureux ; sa joue s’enfle plus qu’à l’ordinaire ; sa poitrine s’arrondit, la couleur noir-cerise de sa joue est plus foncée et plus dense ; il jouit. […] Il se renverse sur sa chaise, il tourne la cuiller dans le verre d’eau sucrée et le prend dix fois par quarts d’heure, avec lenteur, aisance, dégustation. […] Parlant d’une beauté qui, dans l’habitude de la vie, avait « un certain air d’indolence et de nonchalance aristocratique, qu’on aurait pris quelquefois pour de l’ennui, quelquefois pour du dédain », M. de La Rochefoucauld n’aurait jamais ajouté, en se dessinant, et en se caressant le menton : « Je n’ai connu cet air-là qu’à une seule personne en France… » Comme si celui qui écrit cela avait connu vraiment toute la fleur des beautés de la France. […] Tout cela me charmait, c’était ce qu’un Dieu m’avait mis dans le cœur : car chaque homme prend diversement plaisir à des œuvres diverses. » (Odyssée, XIV, 228.) — Ce que Virgile a traduit moins gravement par ces mots : « Trahit sua quemque voluptas. » — Et Homère a dit encore par la bouche du même Ulysse parlant à un jeune et beau Phéacien, qui l’avait offensé par ses paroles : « Ainsi donc les dieux ne donnent pas toutes les grâces à tous les hommes, ni la beauté, ni les qualités de l’esprit, ni l’éloquence.

1927. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — II » pp. 39-56

Je vous demande donc, mon très cher père, si l’on conserve dans Saint-Victor la même mortification intérieure et extérieure, telle qu’elle était dans son origine… Je vous demande encore si les frères de Saint-Victor, c’est ainsi qu’on les appelait, allaient à la campagne chez leurs amis, chez leurs parents, passer des trois semaines entières et des mois entiers ; s’ils allaient par la ville rendre des visites ; s’il en recevaient de toutes personnes et de tout sexe ; s’ils changeaient d’habits, s’ils en prenaient de plus propres et de plus mondains quand ils sortaient pour se montrer en public ; s’ils affectaient de ces airs libres et dégagés, pour ne pas dire licencieux, qui sont si contraires à la tristesse sainte de la modestie religieuse ; s’ils parlaient indifféremment et sans scrupule dans les lieux réguliers ; s’ils s’entretenaient de contes, d’affaires, d’histoires du monde, de plaisanteries, de nouvelles, qui sont choses qui doivent être entièrement bannies des cloîtres. […] Ce jour-là Santeul fut près de se fâcher, et sa belle humeur hésita un peu ; mais Mme la Duchesse ayant pris un verre d’eau le lui jeta incontinent au visage en disant : « C’est la pluie après le tonnerre. » Le second outrage raccommoda le premier, et le tout finit par des rires et des chansons. — Il fut convenu que ce soufflet de Santeul, faisait pendant au baiser autrefois donné par une grande princesse à maître Alain endormi. La duchesse du Maine, qui, dans les premières années de son mariage, s’essayait dès Chantilly à ce long enfantillage de Sceaux, et qui avait pris pour nom de guerre un nom de nymphe de son invention, Salpetria, lutinait tout le jour. […] Au bruit de cette épitaphe, les jésuites firent les furieux contre Santeul ; le père Jouvency lui écrivit une lettre qu’on ne peut croire qu’à demi sérieuse, mais que Santeul prit au plus grave : On m’a dit, lui écrivait ce père, que vous aviez fait une épigramme à la louange de M.  […] Il ne fut pas longtemps à en être éclairci, ajoute Saint-Simon, qui a rendu l’anecdote célèbre ; les vomissements et la fièvre le prirent, et en deux fois vingt-quatre heures le malheureux mourut dans des douleurs de damné, mais dans les sentiments d’une grande pénitence.

1928. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — I » pp. 356-374

Les paroles de Frédéric sont d’une grande autorité, et nous arrivent en accents qui vibrent encore : Vous avez mis, par votre mauvaise conduite, mes affaires dans une situation désespérée ; ce n’est point mes ennemis qui me perdent, mais les mauvaises mesures que vous avez prises. Mes généraux sont inexcusables, ou de vous avoir mal conseillé, ou d’avoir souffert que vous preniez d’aussi mauvais partis. […] Pour moi, il ne me reste, dans cette triste situation, qu’à prendre les partis les plus désespérés. […] Je n’accuse point votre cœur, mais votre inhabileté et votre peu de jugement pour prendre le meilleur parti. […] Dès la bataille de Prague (6 mai 1757), il a pris rang parmi les lieutenants de son frère et ses meilleurs généraux53.

1929. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Journal d’Olivier Lefèvre d’Ormesson, publié par M. Chéruel » pp. 35-52

Aussi, lorsqu’il prit possession de sa bonne ville, reçut-il très bien le président de la Chambre des comptes qui alla, le jour même, lui faire sa révérence avec ses collègues. […] André d’Ormesson, qui écrit la vie de son père d’un style si sain et dans cet esprit de bon sens, dans un sentiment si vrai d’onction domestique, était assez lettré ; il avait étudié au collège du Cardinal-Lemoine et au collège de Navarre ; il a pris soin de donner la liste des auteurs classiques qu’il avait expliqués dans sa jeunesse ; il les revoyait de temps en temps pour s’en rafraîchir la mémoire, et aimait à en citer des passages jusqu’à la fin de sa vie. […] Chéruel a-t-il cru nécessaire de bien définir ces termes, et il a pris occasion de là pour tracer, dans son excellente introduction, une histoire abrégée de ce qu’on appelait en général Conseil d’État, et des divers démembrements ou divisions auxquels il donna lieu dans la suite des temps. […] Le seul avantage du journal sur les mémoires, est d’être plus complet et plus sûr, plus véridique ; je parle des mémoires qu’on écrit tard, sans notes prises dans le temps même et de pur souvenir. […] On est un peu soulagé de tout le dégoût qu’elle inspire, lorsqu’on rencontre la lettre suivante du cardidal Mazarin, adressée au maréchal de Brezé, l’un des neveux de Richelieu (28 mai 1643) : Monsieur, bien que je ne pusse recevoir de douleur plus sensible que d’ouïr déchirer la réputation de M. le cardinal, si est-ce que je considère qu’il faut laisser prendre cours, sans s’en émouvoir, à cette intempérance d’esprit, dont plusieurs Français sont travaillés.

1930. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Les Caractères de La Bruyère. Par M. Adrien Destailleur. »

Dans une autre maison princière, Chaulieu, tout poète qu’il était, prenait en main les affaires des Vendôme, et il n’y oubliait pas les siennes. […] Non, ce ne saurait être dans un tel recueil de société qui n’est bon qu’à donner la nausée aux gens de goût, que La Bruyère aurait été prendre l’idée d’un genre littéraire qu’il voulait rendre surtout jeune et neuf. […] À prendre l’ouvrage dans sa forme définitive, tel qu’il était déjà à partir de la cinquième édition, c’est, je l’ai dit, un des livres les plus substantiels, les plus consommés que l’on ait, et qu’on peut toujours relire sans jamais l’épuiser, un de ceux qui honorent le plus le génie de la nation qui les a produits. […] Le talent de La Bruyère aurait pu prendre plus d’une forme littéraire, différente même de celle qu’il a préférée. […] Il y prend à partie un certain Thèobalde, en qui il personnifie la tourbe de ses ennemis.

1931. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Des prochaines élections de l’Académie. »

Je suis donc tenté, puisque j’ai si fréquemment la parole, de la prendre cette fois pour répondre de mon mieux à ces nombreuses questions et pour discourir devant le public, avec une liberté décente, sur ce sujet et sur d’autres qui y touchent de près. […] Tout membre de l’Académie française passa dans l’opinion pour un gentilhomme littéraire qui en prend à son aise. […] Les mœurs publiques ont changé ; les luttes parlementaires ont montré aux prises, et parfois bien rudement, des athlètes politiques, qui se rencontraient l’instant d’après, et sans apparence de ressentiment, sur le terrain neutre de l’Académie. […] Poujoulat, mais je ne sais non plus s’il a pris un parti. […] Baudelaire a trouvé moyen de se bâtir, à l’extrémité d’une langue de terre réputée inhabitable et par-delà les confins du romantisme connu, un kiosque bizarre, fort orné, fort tourmenté, mais coquet et mystérieux, où on lit de l’Edgar Poe, où l’on récite des sonnets exquis, ou l’on s’enivre avec le haschich pour en raisonner après, où l’on prend de l’opium et mille drogues abominables dans des tasses d’une porcelaine achevée.

1932. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite.) »

Brizeux aima mieux toute sa vie se soumettre à bien des gênes que de prendre sur son cours d’eau poétique un filet suffisant pour faire tourner quotidiennement le moulin. […] On regimbe d’abord, puis l’on s’y fait ; on prend sur soi. […] Il y a plus : la muse de la maison, la brillante Delphine fait elle-même des rôles pour Rachel, et le critique, ces soirs-là, se voit pris et serré comme dans un étau. […] Le génie est inculte, violent, orageux ; il ne cherche qu’à se contenter lui-même et se soucie plus de l’avenir que du présent. — L’homme de talent est propre, bien rasé, charmant, accessible à tous ; il prend chaque jour la mesure du public et lui fait des habits à sa taille, tandis que le poète forge de gigantesques armures que les Titans seuls peuvent revêtir. — Sous Delacroix, vous avez Delaroche ; sous Rossini, Donizetti ; sous Victor Hugo, M.  […] » Théophile Gautier, pour cela, s’y prit d’une manière bien simple : ayant vu l’Espagne pour son compte, il la fit voir telle et toute pareille à tous.

1933. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée, par M. le chevalier Alfred d’Arneth et à ce propos de la guerre de 1778 »

C’est alors que Frédéric avertissant à temps le duc des Deux-Ponts, héritier présomptif après l’Électeur palatin, et qui lui-même était près de céder, saisit le beau rôle, l’occasion propice qui s’offrait à lui, de prendre en main la cause des princes lésés, de soutenir les stipulations formelles, les articles du traité de Westphalie, qui réglaient ou confirmaient cette succession de Bavière, et de faire respecter les immunités, les libertés et les droits du Corps germanique. […] Une note avait été envoyée de Versailles, dès le 5 février, à tous les Cabinets de l’Europe, par laquelle le roi déclarait n’avoir eu aucune connaissance de la convention particulière conclue entre la Cour de Vienne et l’Électeur palatin, et n’y avoir pris aucune part. […] Toute ma constance m’abandonne à ce souvenir… » Elle semble avoir eu vent de la note désapprobative, et des effets qu’elle a produits, lorsqu’elle écrit le 6 avril : « Je vous suis tendrement obligée de l’intérêt que vous prenez à ma situation. […] On sait que Marie-Thérèse, plus émue que personne (et elle en avait le droit), prit sur elle alors d’ouvrir une négociation particulière avec le roi de Prusse (juillet 1778) ; la négociation manqua : Joseph II fut très irrité quand il sut la tentative de sa mère. […] Nos intérêts (si on veut exterminer, je me sers de ce mot, car il faut le vouloir et ne pas négliger, d’écraser les anciens préjugés entre nos États et nations) — sont les mêmes, tant par rapport à notre sainte religion qui a bien besoin qu’on se tienne unis, que par rapport à nos intérêts. (23 août 1778.) » C’est dans cette lettre qu’elle confesse qu’il y a « un peu d’humeur » entre elle et son fils, à cause de cette négociation pacifique qu’elle avait pris sur elle d’entamer.

1934. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DIX ANS APRÈS EN LITTÉRATURE. » pp. 472-494

Cependant un petit nombre de nouveaux venus prirent rang avec éclat ; mais, depuis dix ans, ces nouveaux venus eux-mêmes ont eu le temps d’en venir à leurs phases secondes. […] C’est l’âge ou jamais, on en conviendra, pour l’ensemble des générations suffisamment contemporaines qui se sont longtemps laissé intituler le jeune Siècle, de prendre un dernier parti. […] Ne sera-t-on en masse, et à le prendre au mieux, qu’une belle déroute, un sauve qui peut de talents enfin ? […] Ce n’est que dans une collaboration un peu étroite et continue qu’un beau jour ce programme, s’il prenait envie de le déduire, se pourrait à toute force préciser : et qu’aurait-il besoin de se tant préciser jamais, puisqu’il se pratiquerait avant tout et qu’il vivrait ? […] Les générations prennent, à mesure qu’elles avancent, des teintes plus uniformes, de certaines couches générales de lumière qui les différencient en masse d’avec celles qui suivent, et en font ressembler davantage entre eux les individus.

1935. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VI. De la philosophie » pp. 513-542

Quand l’esprit a pris une fois cette marche, soit que momentanément il avance ou rétrograde, ses progrès futurs sont assurés ; il se sert de l’analyse ; il ne saurait longtemps défendre l’erreur. […] Il faut que ces calculs aient pour base l’uniformité constante de la masse, et non pas la diversité de chaque exemple : un à un, tout diffère dans l’ordre moral ; mais si vous admettez cent mille chances, si vous calculez d’après cent mille hommes pris au hasard, vous saurez, par une approximation juste, quelle est dans ce nombre la proportion des hommes éclairés, des hommes faibles, des scélérats et des esprits distingués. […] L’on a dit que, dans la révolution de France, des spéculateurs barbares avaient pris pour bases de leurs sanglantes lois, des calculs mathématiques, dans lesquels ils avaient froidement sacrifié la vie de plusieurs milliers d’individus, à ce qu’ils regardaient comme le bonheur du plus grand nombre. […] C’est qu’au lieu de prendre la morale pour base inébranlable et pour législateur suprême, on l’a considérée, tout au plus, comme l’un des éléments du calcul, et non comme sa règle éternelle. […] On peut arriver, par un raisonnement subtil, à représenter le dévouement le plus généreux comme un égoïsme bien entendu ; mais c’est prendre l’acception grammaticale d’un mot plutôt que le sentiment qu’il réveille dans le cœur de ceux qui l’écoutent.

1936. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre I. François Rabelais »

Ajoutons à cela la parodie des expéditions lointaines et des folies chevaleresques, à laquelle pourtant il ne faut se laisser prendre qu’à demi : il les conte pour s’en moquer, et il pense bien en les contant allécher les lecteurs. […] Ils seront pris entre les deux dogmes. […] Il prend partout et de toutes mains. […] Car il invente en semblant prendre. […] Non pas ce méticuleux réalisme, cette petite doctrine d’art qui prend les mesures de toutes choses, et croirait tout perdu si elle avait allongé ou raccourci d’une ligne les dimensions des choses.

1937. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « La génération symboliste » pp. 34-56

La génération symboliste Le gros des poètes qui, sous les auspices de Paul Verlaine et de Stéphane Mallarmé, ont édifié l’église symboliste, ont pris naissance aux environs de 18645. […] C’est en 1864 que le traité de Vienne consacre sa maîtrise, bientôt suivi par la victoire de Sadowa (1866), premier coup de tonnerre de l’orage qui s’amasse à nos frontières et dont les esprits clairvoyants prennent un juste sujet d’alarmes. […] D’ailleurs il avait su prendre sur nous un entier crédit par sa parole vive et imagée, sa franche et loyale nature, son obligeante assiduité. […] Ils semblaient prendre plaisir à vouloir vaincre par eux-mêmes et à s’imposer, contre vents et marées, par la seule force de leur génie. […] Mal lui en prit.

1938. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre V. La littérature et le milieu terrestre et cosmique » pp. 139-154

Oui, certes, il est très clair que, sous la pression constante du monde extérieur, les esprits ne peuvent manquer de contracter des habitudes, de prendre des plis ineffaçables. […] A certains moments, c’est telle ou telle province qui prend le premier rôle ; qui exerce une sorte de suprématie intellectuelle ; qui marche en tête de la France ; qui est en possession de lui fournir ses plus grands hommes. […] Bayle a pris prétexte d’un fait semblable pour émettre ses idées sur la tolérance religieuse. […] Partout où l’homme domine la nature, la raison prend le pas sur l’imagination, la science sur la fantaisie exaltée. […] Combien de grands voyageurs ont pris en des livres, dévorés par eux dans leur enfance, leur vocation d’explorateurs !

1939. (1886) De la littérature comparée

Les écrivains se laissent prendre à toutes les idées qui flottent dans l’air, sans, hélas ! toujours, distinguer entre celles qui valent la peine d’être arrêtées et serties et celles qu’il faut laisser passer comme un vol d’oiseaux passagers ; l’Université les repousse toutes, tant elle craint de prendre des bulles de savon pour des étoiles. […] S’il est vrai que l’art ait pour but de manifester les caractères saillants de ses objets, et que la qualité de l’art dépende de l’importance du caractère et de la convergence des effets, il faut s’incliner devant ces arts et cette littérature qui — les cathédrales aux fines ciselures comme les drames monstrueux, comme la peinture souffreteuse, comme la scolastique subtile et angoissée et comme les élans passionnés de la poésie mystique — traduisent si bien les aspirations de l’âme vers le monde surnaturel, les tortures de la raison aux prises avec les insolubles problèmes de la foi, le mépris du corps transitoire et la passion de l’infini. […] Comparez ensemble les grands artistes du nord et ceux du midi, par exemple, pour prendre peu de noms et les plus frappants, d’un côté Shakespeare et Goethe, de l’autre, Le Tasse et Racine, vous trouverez que, tandis que chez les seconds l’assimilation des qualités antiques est complète, elle n’est jamais que très partielle chez les autres. […] Prenez n’importe quelle branche de composition en prose ou en vers, et vous verrez bientôt que, directement ou indirectement, son existence implique certaines conditions de vie sociale. » — M. 

1940. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Pline le Naturaliste. Histoire naturelle, traduite par M. E. Littré. » pp. 44-62

Les hommes pris en masse ne s’intéressent qu’à ce qui les touche, aux choses d’hier, à celles qui retentissent encore, aux grands noms qu’une gloire favorable n’a pas cessé de rendre présents. […] C’est sous Néron qu’il s’amusa à ces menues questions grammaticales et littéraires ; il n’était pas sûr alors à la pensée de prendre son vol plus haut. […] Il lisait ou se faisait lire à tous les instants, prenait des notes et faisait des extraits de tout. […] Les après-midi d’été à la campagne, si vous voulez vous redonner un léger goût, une saveur d’Antiquité, si vous n’êtes trop tourmenté ni par les passions, ni par les souvenirs, ni par la verve car je vous suppose un peu auteur vous-même, tout le monde l’est aujourd’hui), prenez Pline, ouvrez au hasard et lisez. […] [NdA] On me fait remarquer que le papier dit Grand-Aigle était connu avant l’époque de l’Empire ; c’est pourtant bien alors qu’il prit son cachet impérial.

1941. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — II. » pp. 494-514

Ce sont des valets qui ont pris le sceptre de leurs maîtres après les avoir assassinés ». […] celui-là a su mettre à profit l’adversité… Je ne me suis donc pas trop avancé quand j’ai dit que Mallet du Pan, s’il avait vécu jusqu’en 1830, n’eût pas manqué d’adhérer à la tentative de monarchie constitutionnelle de Louis-Philippe ; et avec son rare pronostic, dès le 20 février 1796, dans une lettre où il est question de ce même duc d’Orléans, il écrivait : Si, par une conduite compatible avec les personnes, avec les préjugés et les intérêts du temps, avec la force impérieuse des circonstances, le roi (Louis XVIII) ne retourne et ne fixe vers lui ou vers sa branche cette multitude de révolutionnaires anciens et nouveaux, Royalisés à demi ou en chemin de se royaliser, vous les verrez prendre le premier roi qui s’arrangera avec eux. […] M. de Hardenberg, ministre de Prusse, ayant persisté à le consulter, tandis qu’il participait dans le même temps aux négociations de la paix de Bâle à laquelle Mallet était directement opposé, ce dernier le prit fort mal ; il interrompit un travail devenu dérisoire dans cette nouvelle conjoncture : « Dans cet état de choses, écrivait-il à M. de Hardenberg, toute lettre de ma part devenait un acte d’importunité, une indécence et un contresens. » Ayant été mêlé en 1794 dans un projet de conciliation qu’offraient aux princes émigrés les constitutionnels de la nuance de MM. de Lameth, et ne s’y étant prêté qu’avec une extrême réserve, Mallet du Pan apprit qu’on en jasait pourtant dans l’armée de Condé, et il reçut de l’envoyé anglais en Suisse, M.  […] Rien qu’à l’accent, il est évident qu’avec ce fonds d’humeur républicaine et cette conscience d’homme libre qui se retrouve à nu dès qu’on le presse trop au vif, Mallet du Pan en prend son parti ; il est à bout à la vue de tant de fautes, de sottises, et d’une partie d’échecs si mal jouée : « C’est un bonheur insigne, s’écrie-t-il ; de n’être rien qu’indépendant dans des conjonctures si désespérées, au milieu d’hommes qui ruineraient, par leur façon de faire, les conjonctures les plus favorables. » On voit à présent, sans qu’il y ait doute, quelle franche et particulière nature d’avocat consultant et de conseiller royaliste c’était que Mallet du Pan, ce paysan du Danube de l’émigration. […] Tout ce que dit Mallet sur ces hommes qu’il traite en ennemis, les Sieyès, les Carnot, est à prendre en considération.

1942. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Patru. Éloge d’Olivier Patru, par M. P. Péronne, avocat. (1851.) » pp. 275-293

Il écrit à son ami d’Ablancourt, et va lui raconter la visite que la reine Christine a faite à l’Académie dans un autre voyage, dix-huit mois après (11 mars 1658) ; mais tout d’abord il annonce à ce tendre ami, avec lequel il a autrefois été dans les plaisirs, une plus grave nouvelle : Il est vrai, mon cher, que, depuis un mois ou environ, j’ai pris la perruque, ou, pour parler plus exactement, une calotte de cheveux ; tellement que j’ai des cheveux plus que toi, et tu as des lunettes plus que moi. […] Puis, cela dit, il arrive à la grande nouvelle du jour, à la visite que la reine Christine est venue faire à l’Académie, visite improvisée et qui prit l’illustre compagnie un peu au dépourvu : on n’avait été prévenu que le matin même. […] Il paraît que Christine, malgré la beauté de la harangue de Patru, avait peu songé à lui depuis lors ; il en prend son parti en philosophe, et nous le retrouvons dans sa nature véritable. […] La reine, pourtant, prit bien la rencontre et se mit à rire. […] [NdA] Chapelain, remerciant Patru, qui lui avait envoyé le recueil de ses Plaidoyers tardivement imprimés, lui écrivait le 22 février 1670 : « Combien ai-je pris de plaisir à y repasser quelques-uns de ces fameux plaidoyers dont feu M. 

1943. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « La reine Marguerite. Ses mémoires et ses lettres. » pp. 182-200

Le duc d’Anjou, depuis Henri III, âgé de dix-huit ans, beau, brave, et annonçant, à cet âge, une vertu et une prudence qu’il ne justifia jamais, avant de repartir pour l’armée prend sa sœur à part dans une des allées du parc du Plessis-lez-Tours, et lui témoigne désirer de l’avoir pour confidente et pour appui, durant son absence, auprès de Catherine de Médicis leur mère. […] Quoi qu’il en soit, le duc d’Anjou prit ce prétexte du duc de Guise pour rompre avec sa sœur dont il devint insensiblement l’ennemi, et il réussit à aliéner d’elle leur mère. […] Un jour de fête où elle devait communier, comme elle était au lever de sa mère, celle-ci la prend à serment de lui dire si véritablement le roi, son mari, s’était conduit jusque-là avec elle en mari, en homme, et s’il n’était pas temps encore de rompre cette union. […] Dans ses dernières années, pendant ses dîners et ses soupers, elle avait ordinairement quatre savants hommes près d’elle, auxquels elle proposait, au commencement du repas, quelque thèse plus ou moins sublime ou subtile, et, quand chacun avait parlé pour ou contre et avait épuisé ses raisons, elle intervenait et les remettait aux prises, provoquant et s’attirant à plaisir leur contradiction même. […] Une des parties les plus agréables des Mémoires est le voyage de Flandre, du Hainaut et du pays de Liège, que fit Marguerite en 1577, voyage entrepris sous couleur de prendre les eaux de Spa, dont elle n’avait pas besoin, et en réalité pour gagner des partisans à son frère d’Alençon dans le projet d’enlever les Pays-Bas à l’Espagne.

1944. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « La Fontaine. » pp. 518-536

Quand on prend le volume des Fables à ce VIIe livre et qu’on se met à le relire de suite, on est ravi ; « c’est proprement un charme », comme le dit le poète dans la dédicace ; ce ne sont presque que petits chefs-d’œuvre qui se succèdent, Le Coche et la Mouche, La Laitière et le Pot au lait, Le Curé et le Mort, et toutes celles qui suivent ; à peine s’il s’en glisse, parmi, quelqu’une de médiocre, telle que La Tête et la Queue du Serpent. […] C’est quand on a lu ainsi dans une journée cette quantité choisie des meilleures fables de La Fontaine, qu’on sent son admiration pour lui renouvelée et afraîchie, et qu’on se prend à dire avec un critique éminent : « Il y a dans La Fontaine une plénitude de poésie qu’on ne trouve nulle part dans les autres auteurs français66. » De sa vie nonchalante et trop déréglée, de ses dernières années trop rabaissées par des habitudes vulgaires, de sa fin ennoblie du moins et relevée par une vive et sincère pénitence, qu’ai-je à dire que tout le monde ne sache ? […] Il est tout simple que le grand représentant de cette poésie qui avait toujours manqué à la France, s’en prenne à La Fontaine qui est l’Homère de la vieille race gauloise. […] Je ne le crois pas, et l’on peut déjà s’en apercevoir : la poésie des Méditations est noble, volontiers sublime, éthérée et harmonieuse, mais vague ; quand les sentiments généraux et flottants auxquels elle s’adressait dans les générations auront fait place à un autre souffle et à d’autres courants, quand la maladie morale qu’elle exprimait à la fois et qu’elle charmait, qu’elle caressait avec complaisance, aura complètement cessé, cette poésie sera moins sentie et moins comprise, car elle n’a pas pris soin de s’encadrer et de se personnifier sous des images réelles et visibles, telles que les aime la race française, peu idéale et peu mystique de sa nature. […] Elle porta chez lui ses pénates, un jour Qu’il était allé faire à l’Aurore sa cour         Parmi le thym et la rosée… Et le début de Perrette au pot au lait, et celui des Deux Chèvres, et celui de La Perdrix :                 Quand la Perdrix                 Voit ses petits En danger, et n’ayant qu’une plume nouvelle… et cent autres débuts brillants de vie et de fraîcheur, comme ils nous prennent aujourd’hui aussi vivement qu’au premier jour !

1945. (1912) Le vers libre pp. 5-41

On se prêtait la revue parmi les jeunes, on la prenait en mains sous les galeries de l’Odéon. […] Prenons un exemple d’un historien de la poésie et de la rythmique. […] Tandis que le vers classique ou romantique n’existe qu’à la condition d’être suivi d’un second vers, ou d’y correspondre à brève distance, ce vers pris comme exemple possède son existence propre et intérieure. […] Cet aspect de zinc d’art qu’on prend ou qu’on veut faire prendre souvent pour du marbre (« marbre, airain, pureté, montrez voir ? 

1946. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XIV : De la méthode (Suite) »

Il se tait volontiers et laisse parler les gens qui sont avec lui ; il est extrêmement tolérant, patient même, ne cherchant point à prendre le premier rôle ni à imposer ses idées. […] Lorsqu’il parle, il bégaye d’abord et répète plusieurs fois les mêmes mots ; ses phrases sont embarrassées ; il ne regarde pas son interlocuteur en face ; il ressemble à ces oiseaux aux grandes ailes qui ont peine à prendre leur vol.  […] Si la vérification me dément, je prendrai tour à tour les faits généraux qui se rencontreront alentour, jusqu’à ce qu’en tâtonnant je tombe sur ceux qui sont des causes. […] La forme de la dent entraîne celle du condyle, celle de l’omoplate, celle des ongles, tout comme l’équation d’une courbe entraîne toutes ses propriétés ; et de même qu’en prenant séparément chaque propriété pour base d’une équation particulière, on retrouverait et l’équation ordinaire et toutes ses autres propriétés quelconques, de même l’ongle, l’omoplate, le condyle, le fémur et tous les autres os pris séparément, donnent la dent et se donnent réciproquement101. […] De ce groupe de dispositions morales, on peut déduire tous les détails importants de la constitution romaine ; et il se déduit lui-même de la faculté égoïste et politique que vous avez d’abord détachée. — Portez-la dans la vie privée : vous verrez naître l’esprit intéressé et légiste, l’économie, la frugalité, l’avarice, l’avidité, toutes les coutumes calculatrices qui peuvent conserver et acquérir, les formes minutieuses de transmission juridique, les habitudes de chicane, toutes les dispositions qui sont une garantie ou une arme publique et légale. — Portez-la dans les affections privées : la famille, transformée en institution politique et despotique, fondée, non sur les sentiments naturels, mais sur une communauté d’obéissance et de rites, n’est plus que la chose et la propriété du père, sorte de province léguée chaque fois par une loi en présence de l’État, employée à fournir des soldats au public. — Portez-la dans la région : la région, fondée par l’esprit positif et pratique, dépourvue de philosophie et de poésie, prend pour dieux de sèches abstractions, des fléaux vénérés par crainte, des dieux étrangers importés par intérêt, la patrie adorée par orgueil ; pour culte une terreur sourde et superstitieuse, des cérémonies minutieuses, prosaïques et sanglantes ; pour prêtres des corps organisés de laïques, simples administrateurs, nommés dans l’intérêt de l’État et soumis aux pouvoirs civils. — Portez-la dans l’art : l’art, méprisé, composé d’importations ou de dépouilles, réduit à l’utile, ne produit rien par lui-même que des œuvres politiques et pratiques, documents d’administration, pamphlets, maximes de conduite ; aidé plus tard par la culture étrangère, il n’aboutit qu’à l’éloquence, arme de forum, à la satire, arme de morale, à l’histoire, recueil oratoire de souvenirs politiques ; il ne se développe que par l’imitation, et quand le génie de Rome périt sous un esprit nouveau. — Portez-la dans la science : la science, privée de l’esprit scientifique et philosophique, réduite à des imitations, à des traductions, à des applications, n’est populaire que par la morale, corps de règles pratiques, étudiées pour un but pratique, avec les Grecs pour guides ; et sa seule invention originale est la jurisprudence, compilation de lois, qui reste un manuel de juges, tant que la philosophie grecque n’est pas venue l’organiser et le rapprocher du droit naturel.

1947. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (2e partie) » pp. 97-191

Nous pouvons même le prédire sans vanité : notre siècle compte en ce genre des maîtres que la postérité prendra pour modèles. […] Que si l’on prend plusieurs fables au lieu d’une, c’est-à-dire si l’on combine dans son œuvre plusieurs actions, il n’y a plus dès lors d’unité. […] Les modifications de l’âme, qu’on prend pour des mouvements, ne sont donc pas proprement à elle. […] Le philosophe n’a donc qu’à recueillir ces infaillibles oracles ; et mieux il les aura écoutés, plus son langage prendra de grandeur et d’autorité. […] Les Sophistes n’ont pu rien faire pour la science, parce qu’ils ne la prenaient point au sérieux.

1948. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quatorzième. »

Il est vrai que, ne pouvant s’en cacher les conséquences, il avait pris soin d’en déterminer et d’en borner l’usage dans la pratique. […] Je prends pour exemple la lettre adressée à Louis XIV161. […] A quelle influence le duc de Bourgogne dut-il de prendre enfin possession de son véritable naturel ? […] Cet idéal du vrai, du simple, du naturel, de l’aimable, qu’il a pris plaisir à y tracer, est l’image même de son génie. […] Fénelon avait pris ses observations au couvent des Nouvelles-Catholiques, dont il était directeur.

1949. (1875) Premiers lundis. Tome III « Armand Carrel. Son duel avec Laborie »

Pour ceux qui connaissent son caractère de droiture, d’énergie et de franchise, ou qui ont apprécié la haute portée de son talent, c’était un besoin de manifester les sentiments d’estime et d’affection qu’ils lui portent : ceux qui partagent ses principes politiques ont dû lui savoir gré de cette généreuse ardeur toujours prompte à relever les provocations ou à venger les injures qui s’adressent à la cause de Juillet ; les hommes de cœur, enfin, qui, sans être attirés vers lui par une communauté d’opinion aussi étroite, ont pris en dégoût les honteuses palinodies qui font le scandale de notre temps, n’ont pu refuser quelque marque de sympathie à un écrivain dont la foi politique, éclairée et persévérante, va jusqu’au sacrifice de la vie. […] Voilà ce qu’on s’est rappelé quand on l’a vu de nouveau personnellement aux prises avec les légitimistes.

1950. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 343-347

Cette attention est sur-tout nécessaire dans son Examen des Apologistes de la Religion Chrétienne, Ouvrage où il empoisonne & altere tous les faits qui contredisent ses idées, à peu près comme certains tempéramens convertissent en humeurs malignes tous les alimens qu’ils prennent, Sa Lettre de Trasibule à Leucipe est encore plus dangereuse. […] & l’on étoit surpris d’entendre raconter les anecdotes littéraires & politiques du temps par un homme que les Grecs, les Romains, les Celtes, les Chinois, les Péruviens, auroient pris pour leur Compatriote & leur Contemporain ».

1951. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 104-107

Nous prendrons seulement la liberté d’avertir M. […] C’est le nom qu’a pris M.

1952. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre II. De l’Allégorie. »

Je peux faire prendre la parole à une pierre, mais que gagnerai-je à appeler cette pierre d’un nom allégorique ? […] Cette passion, active comme sa mère, peut à son tour croître, se développer, prendre des traits, devenir un être distinct.

1953. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XVIII »

Encore n’ai-je pris la plume que pour me défendre. […] Les meilleurs ouvrages de critique qui aient été publiés, ces dernières années, ont pris pour méthode l’étude des manuscrits et des ratures.

1954. (1920) Action, n° 2, mars 1920

— Dis, doux amour, ne veux-tu rien manger, rien prendre ? […] Ils prennent le vent chaque jour. […] Il a déployé une adresse et un soin de métier extrêmes pour sauvegarder la possession et l’expression complètes de ses initiatives, prises sur le vif et sur le fait. […] On dirait le forçat évadé qui redoute en même temps la chaîne quittée et l’aventure angoissante qui le prend. […] L’expérience prend fin au bout d’un an, faute d’argent.

1955. (1874) Premiers lundis. Tome I « Diderot : Mémoires, correspondance et ouvrages inédits — II »

En avançant dans cette intéressante lecture, nous trouvons Diderot qui prend de l’âge ; et, il faut l’avouer, l’influence de l’âge se fait sentir plus d’une fois dans toute la portion amoureuse et galante du second volume ; Diderot, vers la fin, a déjà cinquante-cinq ans, et mademoiselle Voland en a un peu plus de quarante-cinq. […] Que Diderot engraisse, que sa panse s’arrondisse, qu’il ait des indigestions et prenne médecine ; que mademoiselle Voland elle-même paie de quinze mauvais jours un petit verre de vin et une cuisse de perdrix de trop, cela nous choque en eux pour longtemps et gâte à nos yeux bien des effusions encore vives et de fraîches réminiscences d’amour. […] — Laissez-moi en repos ; vous m’embarrassez. — Mais savez-vous qu’avant cela, peut-être me prendra-t-il pour confident ?

1956. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre IV. La fin de l’âge classique — Chapitre I. Querelle des Anciens et des Modernes »

Perrault et Boileau aux prises Il faut d’abord rappeler les faits sommairement. […] Il grognait, lâchait des épigrammes contre l’Académie des Topinamboux, contre Perrault et ses admirateurs, prenait encore Perrault à partie dans un discours sur l’Ode dont il taisait précéder sa misérable Ode sur la prise de Namur, entreprise pour justifier Pindare et en faire sentir la manière. […] Charles, premier commis de la surintendance des bâtiments du roi, de l’Académie française depuis 1670, de l’Académie des belles-lettres depuis la fondation, eut une grande part dans les mesures de protection et d’encouragement que prit Colbert en faveur des sciences et des savants.

1957. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XI » pp. 89-99

Dirai-je que la mort de Voiture, arrivée dans la même année 1648, cette mort pour laquelle l’Académie française avait pris le deuil, fit aussi un vide dans l’hôtel de Rambouillet ? […] Pour signaler la décence de son langage, on prit des précautions si grandes contre l’indécence, et elles désignaient si bien l’écueil, qu’elles étaient l’indécence même. […] La guerre finie, leur régné devait commencer, leurs sociétés fleurir et se faire remarquer, prendre un nom et s’attirer tout à la fois deux réprobations, de deux côtés opposés, celle des mœurs dominantes ou des mauvaises mœurs, et celle du goût qui s’épurait malgré la corruption des mœurs, le goût et l’incontinence publique marchant ensemble sous la bannière du goût.

1958. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 239-252

Clément est-il mieux fondé à avancer que « le style de du Fresnoyest à lui ; qu’il s’est formé sur Lucrèce & sur Horace, mais qu’il ne les a point mis à contribution ; que l’Abbé de Marsy a le style de tous les Poëtes Latins de Collége ; que ce sont des membres de Vers, pris çà & là dans Virgile, dans Ovide ; qu’il n’a rien qui lui appartienne, rien qui lui soit propre, & c. » ? […] Tous les célebres Ecrivains ont eu, pour ainsi dire, un Génie tutélaire qui a présidé à la composition de leurs Ouvrages, Il est cependant des précautions à prendre. […] Racine, après avoir pris dans Euripide les principaux traits du caractere de sa Phédre, va puiser dans Séneque d’autres traits, propres à le rendre plus intéressant.

1959. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — V »

Mais ce geste arbitraire sitôt qu’il apparaît sous la conscience prend une signification morale et rationnelle. […] Sous le jour de ces considérations, il conclut au rétablissement d’un culte auquel se montre attachée la majorité de la nation. — Il faut tenir pour un geste de pure passion intellectuelle ce coup de pied impérial par lequel prit fin une discussion où s’obstinaient l’idéologisme religieux du philosophe et son défaut de scepticisme. […] Constatons encore que la réalité nouvelle, que l’on voit se développer à Rome et en Grèce après l’affaiblissement de la première croyance, continue de prendre son point d’appui sur la réalité ancienne : les fictions romaines sont un admirable exemple de la façon dont se comporte une réalité qui conserve le pouvoir d’évoluer jusque dans sa maturité ; elle se meut et progresse, mais parmi, toutes les modifications scion lesquelles elle se métamorphose, elle ne manque pas de conserver avec son passé le plus ancien des communications secrètes et d’intimes analogies.

1960. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Racine, et Pradon. » pp. 334-348

Un mousquetaire, qui ne le connoissoit point, & dont il s’obstinoit à ne vouloir pas être connu, prit sa perruque & son chapeau qu’il jetta sur le théâtre, le battit, & voulut, pour venger Pradon, percer de son épée Pradon lui-même. […] L’abbé Tallemant sur-tout s’empresse de venir les lui lire à sa toilette, & d’en faire l’éloge ; elle les trouve admirables, & ne manque pas d’en prendre une copie pour les montrer à tous ceux qu’elle verroit. […] Cette affaire eut pu réellement en avoir, sans le prince de Condé, fils du grand Condé, qui prit Racine & Despréaux sous sa protection, leur offrit un logement à son hôtel, & fit dire au duc de Nevers, & même en termes assez durs, qu’il regarderoit comme faites à lui-même les insultes qu’on s’aviseroit de leur faire.

1961. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Casanove » pp. 192-197

Ossian, chef, guerrier, poëte et musicien, entend frémir pendant la nuit les arbres qui environnent sa demeure, il se lève, il s’écrie : " âmes de mes amis, je vous entends ; vous me reprochez mon silence. " il prend sa lyre, il chante, et lorsqu’il a chanté, il dit : " âmes de mes amis, vous voilà immortelles, soyez donc satisfaites, et laissez-moi reposer. " dans sa vieillesse, un barde aveugle se fait conduire entre les tombeaux de ses enfans ; il s’assied, il pose ses deux mains sur la pierre froide qui couvre leurs cendres, il les chante. […] Le ciel est si léger qu’ayant pris ce morceau pour un ouvrage de Loutherbourg, cette qualité qui manque à celui-ci me fit suspecter mon erreur. […] Il me semble qu’un littérateur serait assez content de lui-même, s’il avait composé une page qu’on prît pour une citation d’Horace, de Virgile, d’Homère, de Cicéron ou de Démosthène, une vingtaine de vers qu’on fût tenté de restituer à Racine ou à Voltaire.

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