/ 3580
2227. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre premier. Nature et réducteurs de l’image » pp. 75-128

C’est pourquoi les personnes qui ont des images très vives emploient, pour les exprimer, les mêmes mots que pour désigner les sensations elles-mêmes, et, pendant quelques secondes, prennent leurs images pour des sensations. […] « Ma tête, s’affaissait à peine que mon hallucination était déjà revenue ; mais cette fois ce n’était plus mon nom que j’avais lu : c’étaient des caractères grecs, des mots mêmes, que j’épelais machinalement et presque par un remuement des lèvres. […] Cette lecture fugitive de quelques mots était toujours accompagnée d’un sentiment de fatigue dans les yeux… Une fois surtout, je vis des caractères sanscrits, disposés en colonnes suivant la classification des grammairiens, et ces lettres avaient un relief et un brillant qui me fatiguaient. […] Il faut laisser de côté les mots de raison, d’intelligence, de volonté, de pouvoir personnel, et même de moi, comme on laisse de côté les mots de force vitale, de force médicatrice, d’âme végétative ; ce sont des métaphores littéraires ; elles sont tout au plus commodes à titre d’expressions abréviatives et sommaires, pour exprimer des états généraux et des effets d’ensemble. […] Mot de M. 

2228. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCVIIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (2e partie) » pp. 1-80

Le pape s’en excusa, en me disant qu’il ne pouvait accepter la dédicace d’aucune œuvre dramatique de quelque genre qu’elle fût, et je n’ajoutai pas un mot sur ce sujet. […] En un mot, dans ma tragédie, telle que je la conçus tout d’abord, Myrrha ferait les mêmes choses qu’elle décrit dans Ovide ; mais elle les ferait sans les dire. […] ” Je n’en dis pas davantage, je n’en touchai même pas un mot dans ma réponse à mon amie, mais, sur-le-champ et avec la rapidité de l’éclair, je conçus à la fois les deux Brutus, tels que depuis je les ai exécutés. […] Le Salluste me sembla de nature à pouvoir passer, et je le laissai aussi ; mais non pas le Térence, lequel, n’ayant été fait qu’une seule fois, n’avait été ni revu ni corrigé, était tel, en un mot, qu’il est encore aujourd’hui. […] Le général me répondit directement deux mots pour me dire que mes ouvrages lui avaient inspiré le désir de me connaître ; mais que désormais, averti de mon humeur sauvage, il ne me chercherait plus.

2229. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VII, seconde guerre médique. »

Le mot « Impossible » n’était pas plus persan pour Xerxès qu’il n’était latin pour Héliogabale. […] Rapporter à Athènes ces affreux augures, c’était briser sa force, désespérer son courage : ils résolurent d’aborder l’Oracle une seconde fois, et de lui arracher, par la prière, des mots moins néfastes. […] Quand la réponse de La Pythie arriva, les sages l’interprétèrent mot à mot. — Que pouvaient signifier ces murs de bois inexpugnables, sinon les vieilles palissades dont l’Acropole était entourée, et derrière lesquelles le peuple devait se retrancher pour combattre ? […] Athènes répondit comme Pallas elle-même aurait répondu, d’aussi haut que si elle eût parlé du fronton d’un temple, avec un accent irrévocable et des mots pareils à ceux qu’on lit sur les marbres. […] Le mot d’Homère sur l’homme, disant que « quand les Dieux le réduisent en esclavage, ils lui enlèvent la moitié de son âme », se serait étendu sur une race entière.

2230. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXe entretien. Dante. Deuxième partie » pp. 81-160

« Et moi j’entendis fermer et sceller pour jamais, à l’étage inférieur de la tour, la seule porte par laquelle on y pénétrait, d’où je regardai au visage mes pauvres petits enfants sans révéler d’un mot mon angoisse. […] Ils sont dans ce plus jeune et plus aimé des enfants qui se jette et s’étend pour mourir aux pieds de son père, et qui lui adresse dans le délire de l’agonie ce mot plus cruel que mille morts, ce reproche déchirant du mourant au mourant : « Mon père, pourquoi ne me secours-tu pas ?  […] Beaucoup de commentateurs des dogmes chrétiens ont cherché par des définitions et par des distinctions atténuantes à réduire les enfers à une privation douloureuse de la présence et de la lumière de Dieu dans des climats éternels toujours chargés de nuages ; beaucoup d’autres écrivains ou prédicateurs religieux ont déclaré ne comprendre le mot éternel appliqué à ce supplice que comme expression d’une longue durée ; mais ils n’ont pas interdit au rayon de la miséricorde infinie de traverser une fois ces cachots des mondes surnaturels, et d’apporter aux crimes expiés le pardon divin. […] » Un griffon, un char où montent avec le griffon ces nymphes, un arbre qui mue ses feuilles, un aigle qui sème ses plumes sur le char, un dragon qui en sort et qui y replonge sa queue, sept têtes qui sortent ensuite du timon et des quatre coins du char, un géant qui embrasse une courtisane impudique dont je n’ose traduire ici le nom obscène, un vaisseau brisé par un serpent, des naïades qui trouvent le mot des énigmes, les sept nymphes à l’extrémité d’une ombre pâle, des dialogues prophétiques et inintelligibles entre Béatrice et son amant, une eau salutaire bue à grands flots par le Dante et par Virgile et Stace, ces guides, sont les dernières visions du poème. […] Un mot est un bloc taillé en statue, d’un seul geste, par ce sculpteur de paroles ; un coup de pinceau est un tableau vivant, où rien ne manque, parce que l’image frappe, vit et remue sur la toile de ce coloriste d’idées ; chaque pensée tombe proverbe de chaque vers en sortant de cet esprit ou de ce cœur dont le contrecoup, aussi puissant que le coup du balancier sur le métal, frappe en monnaie ou en médaille tout ce qui passe par sa pensée d’airain.

2231. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre I. Les idées et les œuvres. » pp. 234-333

ce grand mot renouvelle tout. […] Enfin la poésie est redevenue vivante ; ce ne sont plus des mots qu’on écoute, mais des émotions qu’on ressent ; ce n’est plus un auteur qui parle, c’est un homme. […] L’esprit, dépassant les règles connues de la rhétorique et de l’éloquence, pénètre dans la psychologie profonde, et n’emploie plus les mots que pour chiffrer les émotions. […] Laissons là les mots nobles, les épithètes d’école et de cour, et tout cet attirail de splendeur factice que les écrivains classiques se croient en devoir de revêtir et en droit d’imposer. […] C’est le sentiment vrai, et non la dignité des gens, qui fait la beauté du sujet ; c’est le sentiment vrai et non la dignité des mots, qui fait la beauté de la poésie.

2232. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre IV. La philosophie et l’histoire. Carlyle. »

Il fait allusion à un mot de Gœthe, de Shakspeare, à une anecdote qui en ce moment le frappe ; tant pis pour nous si nous ne le savons pas. […] Il y a un mot anglais intraduisible qui peint cet état et montre toute la constitution physique de la race : His blood is up. […] Il faut se dire et se répéter ce mot : l’histoire n’est que l’histoire du cœur ; nous avons à chercher les sentiments des générations passées, et nous n’avons à chercher rien autre chose. […] Est-ce que le mot devoir n’a pas de sens ? […] Loyalty, mot intraduisible, qui désigne le sentiment de subordination, quand il est noble.

2233. (1899) La parade littéraire (articles de La Plume, 1898-1899) pp. 300-117

Pendant un an, personne n’en souffla mot. […] Georges Rodenbach et Camille Lemonnier prononcent également et avec une égale anxiété ces mots : l’enfant futur, une nouvelle race. […] Il faudra qu’ils trouvent, ces jeunes apôtres, des mots sans sanglots et des paroles d’extase. […] On peut scruter des mots et des phrases, mais il est impossible de décomposer l’accent avec lequel ils sont proférés et la mélodie qui s’en dégage. […] C’est une tempête harmonieuse de mots.

2234. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — III. (Fin.) » pp. 371-393

En un mot, il est pour une raison trop continue, trop suivie ; il n’admet pas ces coups d’archet en toute chose qu’il faut de temps en temps en France. […] (Elles ont été publiées depuis dans les Œuvres de Roederer données par son fils ; on a dû y supprimer quelques mots un peu trop crus.) — Il est question de Roederer à la cour de Naples, en plusieurs endroits des Souvenirs de Stanislas Girardin, qui était alors attaché au roi Joseph comme premier écuyer, et toujours il est parlé de lui dans les meilleurs termes (t.  […] Le 20 décembre de la même année, deux jours après la mort de Roederer, Carrel écrivit sur lui quelques mots encore en même temps que sur M.  […] Ces quelques mots, tout pétris d’amertume, sont mêlés d’inexactitude.

2235. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Étienne de La Boétie. L’ami de Montaigne. » pp. 140-161

On a lieu de le craindre, en effet, si en présence de cet homme on parle inexactement et à la légère de ce qu’il possède à fond et qu’il a étudié de longue main : il n’a qu’un mot à dire pour dénoncer votre erreur et pour la révéler. […] Nul plus que lui n’aura contribué à vulgariser, dans le meilleur sens du mot, nos bons prosateurs du xvie  siècle. […] Mais à côté de ces remarques justes et si bien rendues, il y a de singulières erreurs de fait, comme lorsque l’auteur suppose qu’on jouit à Venise d’une liberté républicaine complète dans le sens vulgaire du mot, et qu’il méconnaît et ignore le caractère de cette aristocratie mystérieusement constituée. — Le petit traité de La Boétie a, du reste, été fort bien apprécié récemment dans le savant ouvrage que M.  […] La Bruyère, qui a dit ce beau mot : « Il y a un goût dans la pure amitié où ne peuvent atteindre ceux qui sont nés médiocres », ne paraît pas admettre cette formation prompte et soudaine du même sentiment : L’amour, dit-il, naît brusquement, sans autre réflexion, par tempérament ou par faiblesse : un trait de beauté nous fixe, nous détermine.

2236. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — I. » pp. 235-256

En un mot, M. de Saint-Martin mérite une étude ou du moins une première connaissance, même de la part des profanes comme nous qui n’aspirent point à pénétrer dans ce qu’il a d’obscur, d’occulte et de réservé, dit-on, aux seuls initiés. […] Comme il lui arriva plus tard de vendre cette maison d’Athée qui était du côté de Beauvais-sur-Cher, il lui semble voir là-dedans un rapport avec sa destinée qui a été de rompre avec les athées : un pur jeu de mots ! […] Il aurait pu y mettre en épigraphe cette pensée de lui : « J’ai vu, au sujet des vérités si importantes pour l’homme, qu’il n’y avait rien de si commun que les envies, et rien de si rare que le désir. » Quand on songe que ce dernier ouvrage, L’Homme de désir, paraissait en regard des Ruines de Volney, on sent que le siècle, à ce moment extrême, était en travail, et qu’en même temps qu’il donnait son dernier mot comme négateur et destructeur, il lui échappait une étincelle de vie qui, toute vague qu’elle était, disait que l’idée religieuse ne pouvait mourir. […] Le maréchal de Richelieu, la marquise de Coislin, le duc de Bouillon, la duchesse de Bourbon, le duc d’Orléans (Égalité), quantité de princes russes, tout ce monde aristocratique aimait à connaître, à rencontrer M. de Saint-Martin, homme de qualité, ancien militaire et, vers la fin, chevalier de Saint-Louis, très protégé des Montbarrey ; et Saint-Martin, doux, poli, curieux, naïf, toujours digne pourtant, s’y prêtait, sans s’exagérer auprès d’eux son genre d’action et d’influence : « J’abhorre l’esprit du monde, disait-il, et cependant j’aime le monde et la société ; voilà où les trois quarts et demi de mes juges se sont trompés. » Il y a un très joli mot de lui sur les gens du monde qu’il faut prendre au vol pour les convertir : Les gens des grandes villes et surtout des villes de plaisir et de frivolité comme Paris, sont des êtres qu’il faudrait en quelque sorte tirer à la volée, si l’on voulait les atteindre.

2237. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — III » pp. 132-153

Mon esprit a peu de curiosité d’autres esprits, mais mon imagination aime les images, et le bonheur coule de là chez moi par les sens, Je ne puis cependant ne pas dire un mot du livre des Considérations sur le gouvernement de la France, qui est ce qu’on cite d’abord quand on parle du marquis d’Argenson. […] D’Argenson aimait à faire ces sortes de plans ; il ne les faisait pas toujours aussi grandioses, et il les réalisait à moins de frais quelquefois (Voir, par exemple, dans ses Remarques en lisant, le no 2338, qui commence par ces mots : « Une vie parfaite avec sa maîtresse est celle-ci, etc. »). […] [NdA] D’Argenson nous a rapporté un mot odieux de Louis XV, mais sans trop le désapprouver. […] On lui faisait la description d’un de ses officiers qui n’avait pas le sens, qui était brutal, stupide, etc. : « Enfin, dit le roi, c’est un brave homme, c’est tout dire. » Il ne manquait à Louis XV que d’avoir dit ce mot-là pour achever de le peindre.

2238. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — II » pp. 454-475

Mais il y a un écrit de lui, le dernier imprimé de son vivant, et sa dernière production peut-être, que je regrettais de n’avoir pu me procurer, et qui me semblait devoir contenir le dernier mot de son esprit et de son expérience : L’Émigré, roman en quatre volumes, imprimé en 1797 à Brunswick, ne se trouve à Paris dans aucune bibliothèque publique ; je ne connaissais personne qui l’eût jamais lu ni vu, lorsqu’un ami a eu la bonne fortune de le rencontrer à Berlin et l’obligeance de me l’envoyer. […] On joue au trente et quarante, et tout en se promenant, en attendant le coup et surveillant sa carte, on dit quelques mots : « Comme c’est affreux !  […] Le temps fait perdre de leur prix non seulement aux pensées des hommes, mais à leurs actions, à mesure que des actions semblables se multiplient ; des exemples de valeur héroïque, des mots sublimes inspirés par l’héroïsme militaire ou patriotique, qu’on admirait chez les anciens, sont devenus des lieux communs ; dès qu’on entend commencer l’histoire, on en devine la fin et le trait, comme on devine souvent l’hémistiche d’un vers ; l’esprit se blase ainsi sur tout ; l’amour-propre même s’use ; les triomphes, les honneurs, les applaudissements multipliés n’offrent plus le même attrait, et l’homme, de jour en jour, doit être moins avide de succès qu’il voit prodiguer à un grand nombre de personnes, et souvent à des hommes méprisables. […] Certes, il était plus qu’un homme d’esprit dans le sens ordinaire et même dans le sens distingué où on emploie le mot.

2239. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Œuvres de Louise Labé, la Belle Cordière. »

Comme il a fait une pièce de vers intitulée Bon Temps, que ces mots reviennent assez souvent sous sa plume et qu’il avait pour prénom Roger, on a conjecturé que c’est de lui que vient le nom et le masque populaire de Roger Bon-Temps, ce qui reste très douteux ; car, dans le cas contraire, et en supposant que Roger Bon-Temps ait eu cours avait lui pour signifier un personnage de nul souci et de joyeuse humeur, il serait tout naturel que, s’appelant Roger, il eût fait des pièces de poésie sur le Bon Temps pour faire honneur à son prénom et pour le faire cadrer avec le terme courant que consacrait la locution vulgaire. […] Abel Jeandet sur le savant et trop savant Pontus de Tyard52, poète, philosophe, mathématicien, astronome, qui savait tout, de qui l’on avait pu dire, en parodiant le mot d’Ovide : Omnia Pontus erat, et qui, devenu dans sa vieillesse évêque de Châlon, s’honora par son courage en face de la Ligue. […] Et néanmoins il vaut mieux en dire un mot afin de connaître combien est mal plaisante et misérable la vie de ceux qui se sont exemptés d’Amour. […] quelqu’un de ses favoris à lui-même et des courtisans de Louise, quelque Olivier de Magny peut-être : « Celui qui ne tâche à complaire à personne, quelque perfection qu’il ait, n’en a non plus de plaisir que celui qui porte une fleur dedans sa manche ; mais celui qui désire plaire, incessamment pense à son fait, mire et remire la chose aimée, suit les vertus qu’il voit lui être agréables, et s’adonne aux complexions contraires à soi-même, comme celui qui porte le bouquet en main, donne certain jugement de quelle fleur vient l’odeur et senteur qui plus lui est agréable. » En un mot, qui aime, s’applique et s’évertue.

2240. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine »

Et pourtant les âmes tendres, élevées, croyant à l’exil de la vie et à la réalité de l’invisible, n’avaient pas disparu : la religion, sous ses formes rétrécies, en abritait encore beaucoup ; la philosophie dominante en détournait quelques-unes, sans les opprimer entièrement ; mais toutes manquaient d’organe général et harmonieux, d’interprète à leurs vœux et à leurs soupirs, de poëte selon le sens animé du mot. […] Il a peu d’idées, des systèmes importuns, une modestie fausse, une prétention à l’ignorance, qui revient toujours et impatiente un peu ; mais il sent la nature, il l’adore, il l’embrasse sous ses aspects magiques, par masses confuses, au sein des clairs de lune où elle est baignée ; il a des mots d’un effet musical et qu’il place dans son style comme des harpes éoliennes, pour nous ravir en rêverie. […] Dans les femmes qu’il a aimées, même dans Elvire, Lamartine a aimé un constant idéal, un être angélique qu’il rêvait, l’immortelle Beauté en un mot, l’Harmonie, la Muse. […] C’est à un souvenir de ce moment que se rapporte la pièce de vers suivante, dans laquelle on a tâché de rassembler quelques impressions déjà anciennes, et de reproduire, quoique bien faiblement, quelques mots échappés au poëte, en les entourant de traits qui peuvent le peindre. — À lui, au sein des mers brillantes où ils ne lui parviendront pas, nous les lui envoyons, ces vers, comme un vœu d’ami durant le voyage !

2241. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Le comte de Ségur »

Potemkin n’avait songé, en le combinant, qu’à ses intérêts de favori ; il voulait, à l’aide de cette marche triomphale, enlever sa souveraine à ses rivaux, la fasciner et l’enorgueillir par le spectacle d’une puissance imaginaire, l’enguirlander, c’est bien le mot, je crois. […] A quelques objections qu’il essaya, elle coupa court d’un mot qui indiquait sa volonté. — M. de Ségur s’inclina et obéit ; mais lorsqu’il revit ensuite l’impératrice, toute bouderie avait disparu : la souveraine et la personne supérieure avaient triomphé de la femme. […] A côté des exemples à la Plutarque dont il l’autorise, et qui feraient un peu trop lieu-commun en se prolongeant, arrive un souvenir d’hier, un mot de Catherine, une de ces anecdotes de xviiie  siècle que M. de Ségur conte si bien ; on passe avec lui d’Épaminondas à l’abbé de Breteuil, et le tout s’assaisonne, et l’on rentre en souriant dans le réel de la vie. […] Un jour qu’il dictait selon sa coutume, son secrétaire distrait peut-être, ou entendant mal la voix déjà altérée, lui fit répéter le même mot deux et trois fois ; à la troisième, un mouvement de vivacité et d’humeur échappa.

2242. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre I. Roman de Renart et Fabliaux »

Ici, au contraire, on maudit le traître du bout des lèvres, comme de faibles parents cachent mal sous des mots sévères le ravissement où les jette la précoce malignité d’un garnement d’enfant. […] Plus fréquentes sont les farces de provinciaux goguenards, toute espèce de bons tours et d’aventures comiques, toute sorte de bons mots, de calembours et de reparties qui ont paru drôles. À part quelques contes assez décents, comme le Vilain Mire, qui est purement comique, ou la Housse partie, qui donne à la faiblesse des parents une sage instruction, la même qu’on dégagerait du Roi Lear ou du Père Goriot, à part encore certain exemple de vertu féminine qui nous est offert dans la Bourse pleine de sens, la moralité ou, si ce mot paraît impropre ici, la conception de la vie qu’impliquent les fabliaux est ce qu’on peut imaginer de plus grossier de plus brutal, et de plus triste. […] Dans l’autre est détaillée la peinture que La Fontaine a ramassée dans l’admirable Fable qu’il a donnée sous le même titre : le désespoir de la veuve qui ne veut pas survivre à un époux chéri, l’indignation au premier mot qu’on lui dit d’un second mariage, l’insensible adoucissement du deuil, la renaissance du sourire, de la coquetterie, l’impatience enfin du veuvage, sont nettement, spirituellement indiqués par le conteur ; son récit, un peu prolixe et languissant dans la seconde partie, est dans tout le début d’une vivacité singulièrement expressive.

2243. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre II. Corneille »

Corneille a toujours cru que les sujets d’invention pure ne convenaient pas à la tragédie, et de là vient ce mot, qu’on a si souvent mal compris et incriminé : « Les grands sujets doivent toujours aller au-delà du vraisemblable. » Ce qui veut dire, non pas du tout que l’invraisemblance est de règle, mais que la vérité matérielle, historique des faits, est nécessaire. […] Tous les mots sublimes de Corneille — si nous recueillons nos souvenirs — sont des réalisations imprévues de l’absolu de la volonté. […] Mais il a la force, et un éclat intellectuel, qui résulte du ramassé de la pensée, de la justesse saisissante des mots, de la netteté logique du discours. […] Il ne crée pas, avec les mots, les images, les harmonies de son vers, une sorte d’atmosphère poétique où vivront ses héros ; au contraire, il dessine la courbe de leur effort sur un fond neutre, qui laisse la pensée libre, et ne dérobe aucune partie de l’attention.

2244. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre II. Boileau Despréaux »

Il ne vit jamais que des disputes de mots dans les querelles théologiques, même dans celle du jansénisme, auquel il ne tint que par une sympathie d’honnête homme et par certaines amitiés personnelles. […] Il a fait, sans se douter qu’il en faisait, des transpositions d’art étonnantes pour le temps : il a rendu par des mots, dans des vers, des effets qu’on demande d’ordinaire au burin ou au pinceau. […] En général, ces mots qui impliquent une intervention de la personne de l’artiste et une accommodation de la nature à l’esprit, se rapportent à l’idée, que l’art ne saurait se passer de plaire. […] Il faut en le lisant bien définir les mots dont il se sert, et l’on verra, par exemple, quand il trouve du sublime dans une phrase assez vulgaire d’Hérodote, ou quand Ménage en trouve dans la satire des Embarras de Paris, on verra que pour Boileau et pour Ménage, pour les gens de ce temps-là, le sublime répond à peu près à ce que nous appelons l’intensité expressive du langage.

2245. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre IV. Le patriarche de Ferney »

Un habitant du pays de Gex a procès contre son curé : Voltaire dit son mot. […] Ses petits mots perfides n’amoindrirent pas l’Histoire naturelle, et il ne parut pas à son avantage quand il entreprit une lutte ouverte : il essaya de contredire une des plus belles hypothèses de Buffon, qui voyait dans les coquillages et les poissons trouvés au haut des Alpes une preuve du séjour des eaux de la mer en des temps reculés ; Voltaire soutenait que les coquillages étaient tombés des chapeaux des pèlerins qui revenaient de la Terre Sainte, et que les arêtes de poissons étaient les restes de leur déjeuner. […] En un mot, il n’a pas l’imagination qui utilise les formes sensibles en vue du plaisir esthétique. […] S’il fallait résumer d’un mot, je dirais que la marque voltairienne, c’est l’irrespect.

2246. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre V. Le roman »

Puis, le romantisme a fait l’éducation artistique de Flaubert : du romantisme, il a retenu le sens de la couleur et de la forme, la science du maniement des mots comme sons et comme images ; de la seconde génération romantique, de Gautier et de l’école de l’art pour l’art, il a pris le souci de la perfection de l’exécution, la technique scrupuleuse et savante. […] Il suppléait à toutes les lacunes de l’érudition : il allait chercher à travers les siècles et les races de quoi compléter ses textes, cueillant ici un trait du Sémite biblique, et là faisant concourir sainte Thérèse à la détermination du type extatique de Salammbô. « Je me moque de l’archéologie, écrivait-il ; si la couleur n’est pas une, si les détails détonnent, si les mœurs ne dérivent pas de la religion et les faits des passions, si les caractères ne sont pas suivis, si les costumes ne sont pas appropriés aux usages, et les architectures au climat, s’il n’y a pas, en un mot, harmonie, je suis dans le faux. […] Ce n’est chez lui qu’agitation confuse, étalage incohérent de mots savants ou spéciaux, qui étourdissent sans éclairer. […] Ils ont créé vraiment le style impressionniste : un style très artistique, qui sacrifie la grammaire à l’impression, qui, par la suppression de tous les mots incolores, inexpressifs, que réclamait l’ancienne régularité de la construction grammaticale, par élimination de tout ce qui n’est qu’articulation de la phrase et signe de rapport, ne laisse subsister, juxtaposés dans une sorte de pointillé, que les termes producteurs de sensations.

2247. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XIII. Retour de Molière à Paris » pp. 225-264

Ricciardo répond qu’il attend Tebaldo, et que, dès que celui-ci sera venu, Fabio aura le mot de l’énigme. […] » À ces mots Turlupin se sentait vaincu et, abaissant son sabre : « — Ah ! […] « Il contrefaisait d’abord les marquis avec le masque de Mascarille, dit un des interlocuteurs de La Vengeance des Marquis 42 ; il n’osait les jouer autrement, mais à la fin il nous a fait voir qu’il avait le visage assez plaisant pour représenter sans masque un personnage ridicule. » Il faut entendre ces mots en ce sens que Molière, la première fois qu’il contrefit les marquis, dans Les Précieuses ridicules, eut recours au travestissement de Mascarille, le valet de L’Étourdi et du Dépit amoureux, rôles qu’il aurait joués avec le masque, suivant l’étymologie du nom (maschera, mascarilla). […] » La pièce de Cicognini finit brusquement sur ces mots.

2248. (1902) L’œuvre de M. Paul Bourget et la manière de M. Anatole France

Il nous semble utile d’observer tout d’abord que la phrase tente l’idée, quand elle ne la motive pas, et que l’association des mots provoque le débordement du réservoir mental, ou, plus proprement, favorise la diaprure du ciel représentatif, sans cependant que la pensée ainsi vivifiée emprunte à la phrase un élément indépendant ou étranger à son propre fonds. […] Elle est en butte à plusieurs catégories de séducteurs : le visionnaire d’abord, qui la peut déconcerter et conquérir par surprise ; l’imaginatif pur, dont le capricieux esprit indiscipliné en soupçonne plus long sur la réalité que n’en saurait la réalité elle-même, tant il a refait les mêmes voyages par tous les chemins praticables, tant il s’est rendu supérieur dans le jeu des rapprochements, des souvenirs et des rapports, et, en un mot, s’est ménagé de points de repère et d’entrecroisement ; l’intellectuel qui conçoit mathématiquement, par voie de déductions, et qui tisse un ouvrage de subtilité rare, à force de persévérance et de repliement sur soi ; enfin, le professionnel, que représentent d’ailleurs la généralité des hommes, — puisque être, c’est penser, — lequel voit et pense. […] Ainsi, lorsqu’aux élaborations du cerveau humain, nous demandons de la pondération et de la mesure, et à l’expression des sentiments, de la clarté, de la vérité et de l’harmonie, c’est au talent de se contraindre à n’être que peu naturel et nullement spontané, à faire de l’art, en un mot, pour nous plaire. […] France use avec le geste du milliardaire que sa richesse apparente au plus suggestif des contrastes, celui du faste simplifié, du grand accompli sans fatigue, — de tout ce prestige, en un mot, et de toute cette séduction qui place l’auteur de Thaïs au plus haut rang, dans la pléiade des stylistes de notre époque.

2249. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — II. (Suite.) » pp. 220-241

» « Qui dit auteur dit oseur », c’est un mot de Beaumarchais, et nul n’a plus justifié que lui cette définition. […] Recevoir, prendre et demander, voilà le secret en trois mots. […] Beaumarchais, présent, était dans l’ivresse : « Il courait de tous côtés, dit un témoin26, comme un homme hors de lui-même ; et, comme on se plaignait de la chaleur, il ne donna pas le temps d’ouvrir les fenêtres, et cassa tous les carreaux avec sa canne, ce qui fit dire, après la pièce, qu’il avait doublement cassé les vitres. » Fort de toutes ces approbations et presque de ces complicités, et sur un mot vague de M. de Breteuil, dont il s’était emparé comme d’une autorisation, Beaumarchais avait si bien fait qu’il avait persuadé aux comédiens de représenter sa pièce dans les derniers jours de février 1784 ; la répétition avait déjà eu lieu, et il fallut que le lieutenant de police (M.  […] Un homme d’esprit et de sens, que j’aime à consulter sur ces choses et ces personnages d’expérience humaine28, me fait remarquer qu’il y a de la prétention et du métier dans les mots et les reparties de Figaro.

2250. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « V. M. Amédée Thierry » pp. 111-139

Amédée Thierry, et voilà, en un seul mot, la critique la plus profonde que nous puissions faire de son ouvrage. […] Est-ce que les historiens que nous avons nommés plus haut, et dont il s’inspire, ne disent pas un mot de ces choses ? […] Probablement et d’après ce qui se pratiquait par une sorte d’échange entre la Barbarie et la Civilisation, tandis que Aétius faisait ses premières armes chez les Huns, Attila faisait les siennes chez les Romains, étudiant les vices de cette société comme le chasseur étudie les allures d’une proie : faiblesse de l’élément romain et force de l’élément barbare dans les armées, incapacité des empereurs, corruption des hommes d’État, absence de ressort moral sur les sujets, en un mot, tout ce qu’il sut si bien exploiter plus tard et qui servit de levier à son audace et à son génie. » La phraséologie moderne à part, il y a l’éclair du vrai dans ces paroles. […] les vrais artistes, ne fussent-ils pas chrétiens, ne connaissent pas ce mot de presque et ils le laissent aux habiles, aux subtils, aux nuancés, qui ont peur de l’affirmation, de l’enthousiasme et de la vérité !

2251. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Philarète Chasles » pp. 147-177

il y a du bas-bleu aussi dans ce Philarète, qui s’appellerait encore mieux Cydalise, et qui, depuis trente ans, — je n’ai pas peur d’un calembour de mots quand c’est un calembour d’idées, — nous danse la danse du châle au Journal des Débats ! […] … Les mots y sont, et les voici : « La bonne tournure de son affaire — dit Chasles de Galilée (p. 226) — fut d’aboutir à une suave condamnation, exécutée avec une affable rigueur. […] mais d’une grandeur sinistre, — quelque chose de chauffé et de recuit au feu de l’enfer de sa haine du p…, comme il disait, le mot prêtre lui paraissant trop effrayant pour qu’il voulût jamais l’écrire. […] Et telles sont, en quelques mots, les nouvelles idées de cet homme, qui passa toute sa vie pour un talent aristocratique et original et qui meurt dans les idées communes, pires, pour un esprit de sa trempe, que le choléra qui l’a tué !

2252. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — La rentrée dans l’ordre »

Il s’agit plus que jamais en effet d’établir nettement pour quels motifs il y a incompatibilité absolue entre la vie sacerdotale et la vie réelle, à quel titre la prétendue supériorité du prêtre sur l’homme n’est qu’une totale infériorité, pourquoi, en un mot, le prêtre n’a plus de raison d’être. […] La vérité du séminaire, c’est ce que nous appelons d’un simple mot : erreur. […] Pour toute question que l’esprit pose elle tient des mots tout prêts ; elle l’enveloppe dans un filet d’abstractions où s’endort bientôt toute capacité d’intuition personnelle, et qu’il ne saurait rompre sans une extraordinaire vigueur native. […] A moins que l’absurde ne soit le mot de l’énigme du monde, je ne vois aucune possibilité de concilier le besoin de vérité et le culte du mensonge.

2253. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Note »

Et pourtant, lorsque après les événements de juin 1832, à la suite de l’insurrection, Paris fut mis en état de siège, quand on put craindre à un moment une réaction sanglante et qu’il fut question d’insérer dans le National une protestation revêtue de signatures, Victor Hugo, que j’avais prévenu de la part de Carrel, me répondit par cette lettre, à laquelle je ne change pas un seul mot : « Je ne suis pas moins indigné que vous, mon cher ami, de ces misérables escamoteurs politiques qui font disparaître l’article 14 et qui se réservent la mise en état de siège dans le double fond de leur gobelet ! […] La conversation, dès les premiers mots, roula en plein sur la poésie ; Mme Hugo me demanda à brûle-pourpoint de qui donc était l’article un peu sévère qui avait paru dans le Globe sur le Cinq-Mars de De Vigny : je confessai qu’il était de moi.

2254. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Études sur Blaise Pascal par M. A. Vinet. »

Son livre, en un mot, s’il l’avait exécuté comme il l’avait conçu, n’aurait pas été seulement destiné aux moralistes et aux penseurs ; il aurait eu pour objet d’acheminer et d’entraîner tout un peuple moins relevé de lecteurs par l’attrait, par le mouvement graduel et l’émotion presque dramatique d’une marche savamment concertée. […] Bourdaloue était vif, il était prompt, impatient peut-être ; quelques mots de son biographe, qui paraît l’avoir bien connu, laissent entrevoir qu’il y avait de la fougue dans son tempérament, et que, dans l’art de maîtriser son cœur, il déploya plus de force encore que dans l’art de maîtriser sa pensée.

2255. (1874) Premiers lundis. Tome I « Tacite »

Peu s’en fallut même qu’on ne taxât le méfait de romantisme, et Dieu sait ce que ce mot renfermait d’infamant en 1812. […] La perfection du genre consiste donc à atteindre ce degré extrême de l’approximation, à ôter ainsi aux traducteurs à venir l’espoir raisonnable d’aller au-delà, et à donner dans une langue moderne le dernier mot sur un grand écrivain de l’antiquité.

2256. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Harmonies poétiques et religieuses — I »

Lui seul est au-dessus de tout mot qui l’exprime. […] Après l’amour, il n’y a plus rien dans la vie ; la terre semble ingrate et nue ; le ciel est voilé, parfois il s’entrouvre, et l’on espère y voir un signe de salut, y lire un mot mystérieux ; mais toujours quelque nuage obscurcit l’apparition, toujours quelque lettre manque au nom divin ; et voilà pourquoi l’âme du poète est triste, pourquoi son cœur change de place comme un malade dans son lit, pourquoi son inquiète pensée fuit et revient sans cesse, comme une colombe blessée, comme un oiseau de nuit, comme les hirondelles aux approches des tempêtes.

2257. (1874) Premiers lundis. Tome II « La Revue encyclopédique. Publiée par MM. H. Carnot et P. Leroux »

Mais dans leur recherche du positif, dans leur préoccupation exclusive d’un bien-être assurément fort désirable, les inventeurs et sectateurs des systèmes dont nous parlons se sont, dès l’abord, laissé emporter à un dédain peu motivé pour les droits politiques, les institutions et les garanties, objet de combat et de conquête depuis quarante ans : peu s’en faut qu’ils ne voient dans ces profitables luttes de simples querelles de mots. […] En un mot, bourgeois en masse d’un côté, Corps électoral uniquement composé des prolétaires de l’autre, ce serait ainsi que nous entreverrions sa classification nouvelle du Corps politique.

2258. (1874) Premiers lundis. Tome II « Adam Mickiewicz. Le Livre des pèlerins polonais. »

Tout cela est bien long pour dire qu’ayant parlé l’autre fois de quelque ouvrage assez peu grave, nous avons à donner aujourd’hui un mot sur une œuvre de patriotisme et de piété, et pour demander pardon d’être la même plume qui passe d’un Casanova au Livre des Pèlerins polonais. […] Ces mots d’étranger, d’ennemi, d’idolâtre, synonymes pour le poète, s’appliquent également à nous, qui avons manqué à notre belle mission de la guerre générale pour la cause des peuples.

2259. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IX. De l’esprit général de la littérature chez les modernes » pp. 215-227

L’impression de ce genre de style pourrait se comparer à l’effet que produit la révélation d’un grand secret ; il vous semble aussi que beaucoup de pensées ont précédé la pensée qu’on vous exprime, que chaque idée se rapporte à des méditations profondes, et qu’un mot vous permet tout à coup de porter vos regards dans les régions immenses que le génie a parcourues. […] Toutes les fois que le cours des idées ramène à réfléchir sur la destinée de l’homme, la révolution nous apparaît ; vainement on transporte son esprit sur les rives lointaines des temps qui sont écoulés, vainement on veut saisir les événements passés et les ouvrages durables sous l’éternel rapport des combinaisons abstraites ; si dans ces régions métaphysiques un mot répond à quelques souvenirs, les émotions de l’âme reprennent tout leur empire.

2260. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vielé-Griffin, Francis (1864-1937) »

Un mot caractériserait volontiers adjectivement l’œuvre du poète Yeldis et en marquerait davantage et plus étroitement le côté le plus général : la poésie de M.  […] Car il a toujours soumis ses libres dons d’image, de vie, de rythme et d’émotion, à une pensée souveraine, qui donne une raison à chaque création, chaque élan, chaque mot de sa belle inspiration momentanée.

2261. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Feuilles d’automne » (1831) »

Au-dedans, toutes les solutions sociales remises en question ; toutes les membrures du corps politique tordues, refondues ou reforgées dans la fournaise d’une révolution, sur l’enclume sonore des journaux ; le vieux mot pairie, jadis presque aussi reluisant que le mot royauté, qui se transforme et change de sens ; le retentissement perpétuel de la tribune sur la presse et de la presse sur la tribune ; l’émeute qui fait la morte.

2262. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Aristophane, et Socrate. » pp. 20-32

Il fut soldat, peintre, sculpteur, philosophe, orateur, poëte, grammairien, sçavant, homme sur tout à bons mots, à grandes maximes. […] Lorsque ce comique en donnoit, que le peuple y couroit en foule, & que Socrate disoit le moindre mot contre la pièce & l’auteur, les défenseurs de celui-ci l’accusoient d’avoir mis en jeu tous les ressorts imaginables pour arrêter l’enthousiasme des Athéniens, & nuire à l’illusion théâtrale.

2263. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Deuxième cours des études d’une Université » pp. 489-494

Que Sa Majesté Impériale ne s’effarouche pas du mot économique ; il ne s’agit point ici des visions politiques de cette classe d’honnêtes gens qui s’est élevée parmi nous, et qui nous fera beaucoup de bien ou beaucoup de mal. […] Je n’ai qu’un mot à dire sur le troisième.

2264. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Satire contre le luxe, à la manière de Perse » pp. 122-126

De ce jour, voici le mot, le mot funeste qui retentit d’un bout à l’autre de la société : soyons ou paraissons riches.

2265. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 1, idée generale de la musique des anciens et des arts musicaux subordonnez à cette science » pp. 6-19

Il y écrit que la musique donne des preceptes sur la contenance, sur le geste, en un mot, sur tous les mouvemens du corps dont il avoit été possible de reduire la theorie en science et la pratique en méthode. […] En un mot, tous les écrits des anciens font foi, que la musique passoit de leur temps pour un art necessaire aux personnes polies, et qu’on regardoit alors comme des gens sans éducation, et comme on regarde aujourd’hui ceux qui ne sçavent point lire, les personnes qui ne sçavoient pas la musique.

2266. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Jules Vallès » pp. 259-268

En dehors de Paris, en dehors de cette espèce de cuve qui a ses sorcières, comme la marmite de Macbeth, mais plus jolies, et où tous les champignons gâtés du fumier civilisé bouillonnent incessamment sous le feu des plus diaboliques vanités, on ne sait pas et on ne comprendrait pas un seul mot de l’histoire que Jules Vallès a écrite avec une verve poignante. […] On trouve chez lui de ces mots qui ressemblent à des sanglots qui crèvent, mais qu’il étouffe vite dans sa phrase crispée et rapide.

2267. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Leopardi »

Les grands poètes ne sont pas que dans les mots et les attitudes et les finesses d’un langage. […] Vernier nomme plusieurs, essaya de lui composer une petite gloire posthume ; mais cet élégiaque artificiel, au désespoir mollasse et terne, répugnait à ce peuple italien, amoureux de concetti et de mots sonores.

2268. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre premier. De la louange et de l’amour de la gloire. »

On connaît le mot de Philippe, à qui un courtisan féroce conseillait de détruire Athènes ; et par qui serons-nous loués ? […] À l’égard des jugements que, dans le cours de cet essai, nous porterons sur certains hommes, s’il y en a qui puissent déplaire, nous ne répondrons qu’un mot ; nous croyons avoir été justes ; la justice est le premier de nos sentiments, elle sera le dernier.

2269. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Jocelyn (1836) »

Le mot même, si illimité, d’épopée humanitaire, a été prononcé dans sa préface récente par le poëte. […] Les familles n’ont plus aujourd’hui de filles destinées au cloître, et elles n’ont guère de fils destinés à l’autel ; le mot d’amour n’est donc pas en lui-même nécessairement alarmant, et il n’a effarouché d’ailleurs ni dans Paul et Virginie ni dans Télémaque. […] Toute cette partie du poème de M. de Lamartine, depuis l’entrée de Laurence dans la vallée, est véritablement une grande idylle, à prendre le sens exact du mot. […] Wordsworth pense avec Akenside, dont il prend le mot pour devise, que « le poëte est sur terre pour revêtir par le langage et par le nombre tout ce que l’âme aime et admire ; » et Lamartine nous dit quelque part en son Voyage d’Orient :« Je ne veux voir que ce que Dieu et l’homme ont fait beau ; la beauté présente, réelle, palpable, parlant à l’œil et à l’âme, et non la beauté de lieu et d’époque. […] Jocelyn, parlant aux enfants du village ou à ses paysans, trouve de faciles et saisissables paraboles ; le poëte de Rydal-Mount a plutôt le don des symboles : voilà en deux mots la différence.

2270. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « George Farcy »

Viguier, qu’il avait eu pour maître à l’École normale, réclamant de lui un avis sincère, de bonnes et franches critiques, et, comme il disait, des critiques antiques avec le mot propre sans périphrase. […] Je ne sais, oui, c’est le seul mot que je puisse dire ; et, en vérité, je l’ai souvent cherché de bonne foi et de sang-froid ; d’où je conclus qu’il n’y a pas au fond tant de mal dans cette démarche que beaucoup le disent, puisqu’il n’est pas clair comme le jour qu’elle est criminelle, comme de tuer par trahison, de voler, de calomnier, et même d’être adultère (quoique la chose soit aussi quelque peu difficile à débrouiller en certains cas). […] … Je n’ai pour vous ni ressentiment ni pardon, et j’ai déjà oublié vos paroles. » « Ghérard s’approcha vivement d’elle : — « Hélène, lui dit-il en cherchant à s’emparer de sa main : pour un mot dont je me repens… » — « Laissez-moi, lui dit-elle en retirant sa main : faudra-t-il que je m’enfuie, et ne vous suffit-il pas d’une injure ?  […] — Disons seulement, en usant d’un mot du chœur antique : « Ah ! […] Ce mot est dur pour la monarchie de Juillet ; je ne l’aurais pas écrit plus tard ; et pourtant il exprime un sentiment que bien des hommes de ma génération partagèrent.

2271. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIe entretien. Poésie lyrique » pp. 161-223

Ne faisons pas comme eux ; disons franchement le premier et le dernier mot de l’homme : Mystère ! […] La Jumelle, à ces mots, se leva de table en s’essuyant les yeux avec un coin de son tablier. […] Ses camarades l’appelaient l’innocent, mot qui confine chez eux avec l’idiotisme. […] est-ce bien possible, se disaient tout bas les garçons en retenant leur rire, que ce pauvre Didier, qui n’a jamais dit un mot plus haut que l’autre, chante aujourd’hui comme un ménétrier qui s’en retourne de la fête ? […] mon pauvre Didier, rentre dans ton bon sens et ravale ta joie et ta chanson ; tu ne seras jamais que le jouet de tout le monde et de la Jumelle. » À ces mots, qui jetèrent tout à coup le froid de la moquerie sur le feu de l’enthousiasme, le petit Didier, concevant un humble doute, sentit son cœur lui manquer dans la poitrine.

2272. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIVe entretien. Littérature politique. Machiavel (3e partie) » pp. 415-477

deux grands mots, deux mots vrais, si la France et l’Italie en comprennent le seul sens réalisable ; deux mots décevants et funestes, si c’est le Piémont seul qu’on charge de les interpréter. […] XII Vous voyez donc que ressusciter l’Italie antique, à quelque date que vous la preniez de son histoire, est un mot qui n’a aucun sens : Ni sens historique, puisque l’histoire ne vous montre, depuis l’ancienne Rome, tyrannie sanguinaire du monde, aucune Italie une et agglomérée ; ni sens politique, puisqu’il y a eu depuis la chute de l’empire romain autant de politiques diverses et contraires qu’il y a eu de fragments de nationalités distinctes et opposées l’une à l’autre ; ni sens national, puisqu’il y a eu, depuis l’extinction de Rome, trente ou quarante nationalités vivant comme des polypes d’une vie propre et individuelle dans l’élément général italien. […] Secondement, le but de ces diètes européennes fut toujours d’assurer l’équilibre approximatif de l’Europe, car ce mot d’équilibre, dont les hommes à courte vue se sont tant joué, est une vérité politique des plus incontestables.

2273. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXIXe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin (2e partie) » pp. 321-384

Puis je leur parlerais du bon Dieu avec des mots d’amour ; je leur dirais qu’il les aime encore plus que moi, qu’il me donne tout ce que je leur donne, et, de plus, l’air, le soleil et les fleurs ; qu’il a fait le ciel et tant de belles étoiles. […] Un mot, un regard à chacun, une question sur leur famille, leur vie, leur contrée, nous mènerait à l’infini ; il vaut mieux faire ma prière ici devant ma fenêtre, devant l’infinité du ciel. » XXIX Le 22 août. […] À cette époque percent çà et là quelques mots qui font entrevoir un goût naissant, mais caché, pour un ami de son frère, M. d’Aurevilly, homme de même race, qui lui donne de temps en temps des nouvelles de son frère et qu’elle semble aimer par reconnaissance. […] le mot ! encore un mot de sainte Thérèse.

2274. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série «  Leconte de Lisle  »

Par-delà l’épaisseur de ce sépulcre (mot illisible) Sur qui gronde le bruit sinistre de ton pas, Je ferai bouillonner les mondes dans leur gloire ; Et qui t’y cherchera ne t’y trouvera pas ! […] Cela donne à réfléchir, d’autant plus que nous-mêmes, les derniers venus et les moins malheureux, nous nous sentons encore inclinés vers la métaphysique vague et dés (mot illisible, vraisemblablement désolée) où s’assoupissaient nos plus lointains ancêtres (mot illisible) même que souvent dans le cerveau d’un homme renaissent au déclin de l’âge les songes et les croyance de ses jeunes années, ainsi l’humanité vieillissante refait le songe de sa jeunesse. […] Mais il la voit si bien et la traduit par des assemblages de mots si merveilleux que cela suffit à le consoler ; et cette consolation est sans duperie. […] Presque pas de ces mots flottants et de sens incertain qui corrompent la clarté de la vision.

2275. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 février 1885. »

Tranchons le mot, ils sont les sacrifiés de leur propre drame. […] La fin de ses études sur la Nouvelle Allemagne musicale (Ménestrel) est belle pourtant : « Un mot rayonne au frontispice de tous les ouvrages de Richard Wagner ; ce mot est le verbe indéfectible, celui qui ramène les égarés, retrempe les faibles, recrée les sociétés, refait les civilisations, révolutionne l’art de fond en comble ; ce mot est : vérité. » Où fut l’admiration sans réserves, spontanée, enthousiaste ? […] C’est dans la Revue Populaire de Paris de 1867 qu’on peut lire les deux articles où Tissot épancha son admiration : « Le second acte, dit-il, dans l’article du 1er juin, est un sublime hosannah d’amour : on retient son souffle ; immobile comme une statue, on écoute dans une magnifique extase ces voix qui ne sont pas de la terre et qui parlent une langue inconnue… » Il y a pourtant dans cet article autre chose que des mots : « L’opéra, dit-il, resplendit de toutes les beautés du drame… Le but que Wagner a toujours poursuivi, c’est de faire monter l’opéra au drame.

2276. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 avril 1886. »

Habituons-nous à ne pas confondre ce mot avec le mot d’Allemagne ; l’Allemagne n’est qu’une partie du monde germain ; le monde germain comprend tout ce qui en Europe a conservé pur le sang Aryen. […] Mais la connaissance de Dieu n’est pas une branche de la science, qui ne conçoit que ce qui est terrestre : la connaissance de Dieu est affaire de foi, et la vraie foi est l’expression nécessaire du degré que l’on a atteint sur le chemin de l’humanité idéale ; la foi ne vit pas non plus dans la tête, mais dans un cœur ; elle appartient absolument à l’essence de l’homme ; c’est son âme conçue dans ce mot, le Christ. […] Faisons donc au moins ce dont nous sommes capables, puisqu’un maître de l’art nous a donné la grande parole ; et rappelons-nous ces mots de ses écrits posthumes : « S’il se confirme que l’attention et l’espérance des nations » étrangères se tourne vers le déploiement de l’art allemand sur le terrain de la poésie et de la musique, nous pouvons admettre qu’elles tiennent avant tout à l’originalité et à la spécialité non troublée de ce déploiement ; puisque sans cela elles ne recevraient pas de nous de nouvelles impulsions, je crois que, à ce point de vue, il ne serait pas moins profitable à nos voisins qu’à nous-mêmes de voir former fidèlement par nous un vrai style germain. » Ce style germain, c’est l’œuvre d’art Aryenne. […] Adolphe Jullien : le dernier mot sur la question : « … Pourquoi cette campagne d’abord menée à la sourdine et puis éclatant un beau jour en charivari patriotique ?

2277. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juillet 1886. »

Traduire l’émotion par des mots précis était évidemment impossible : c’était décomposer l’émotion, donc la détruire. […] Les sons n’ont pu davantage, à l’origine, signifier les douleurs ou les joies que les mots n’ont pu signifier leurs notions correspondantes. […] La musique des mots, qui est la poésie, avait d’abord le besoin, pour émouvoir, d’être dite : aujourd’hui nous la lisons : et ses sonorités nous procurent plus entièrement l’émotion, sans l’intermédiaire de la voix. […] C’est, dans la Passion suivant Saint-Mathieu, limitant des récitatifs qui recréent, comme des mots, l’émotion religieuse, c’est le chœur initial et le chœur final : l’emportement raisonnable et sincère d’un peuple, l’hymne de la foi nouvelle, nullement luxurieuse ou mystique : une ferveur discrète, infinie. […] Tristan s’est dressé convulsif, l’œil hagard, les narines dilatées, haletant, livré tout entier aux sensations suraiguisées de l’agonie ; il a prononcé un seul mot, — le nom de son idole. — et il a rendu le dernier soupir dans un dernier baiser.

2278. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 15 décembre 1886. »

Odin « Tu n’es pas Wola, tu n’es pas la savante femme, mais trois fois la mère des Thursars. » Le chant se termine par ces mots de Wola : « Les hommes ne viendront plus me trouver avant le jour où Loke (Loge) brisera ses liens, avant le moment de la fin ces dieux. » Il est probable que Wagner a connu ce texte par l’imitation en vers allemands qu’en fit Fr. […] Le nom d’erda, avec la synonymie qui l’accompagne (Wala, Urwala, Mütter, etc.), contient implicitement plusieurs de ces jeux de mots chers au musicien-poète. […] Le wagnérisme à l’étranger Lettre de Belgique86 bj Bruxelles, novembre 1886 Si par le mot « Wagnérisme » on veut désigner ce cas de subjectivité dont les effets se traduiraient en une mono manie déraisonnable. intolérante, en une sorte d’illuminisme étroit, voisin du fétichisme, il est clair qu’en Belgique le Wagnérisme n’a jamais existé que dans l’imagination de ceux qui cherchaient à s’en taire une arme contre les théories de Wagner et un moyen de justifier la façon méprisante de juger ses œuvres. […] C’est un chef-d’œuvre au sens absolu du mot, car la beauté de l’idée poétique s’unit à une perfection déformes et à une simplicité mélodique inusitées dans l’œuvre de Wagner. » Cet ouvrage, en résumé, est curieux comme l’expression, très fine et très sûre, de la façon dont l’œuvre de Wagner apparaît à l’élite de notre public musical français contemporain. […] Les mots de Brünuhilde à la fin de la Goetterdaemmerung s’adressent à cette humanité là, et dans Parsifal le maître nous a montré le chemin par où l’atteindre.

2279. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre deuxième. Le développement de la volonté »

La fin que veut tout d’abord l’être vivant lui est immédiatement présente, ne fait qu’un avec lui, est l’être même ; dès lors, comment serait-ce une « fin », au sens intellectuel du mot ? […] En un mot, l’objet conçu par l’entendement ne peut être pris par lui pour fin que s’il est conçu comme un bien, que s’il est primitivement discerné comme bon, senti bon, c’est-à-dire s’il plaît, et si, à ce titre, il est immédiatement voulu d’une volonté spontanée, antérieure à toute réflexion de l’entendement. […] Les autres l’expliquent par un pouvoir spécial différent de l’intelligence et des appétitions, différent même du caractère, capable, en un mot, de changer la direction finale qui résulterait naturellement des trois facteurs suivants : caractère, état et direction des inclinations, état et direction de l’intelligence. […] Il est donc inévitable, tant qu’il se considère par rapport à ce qu’il conditionne, qu’il s’attribue une activité causale, laquelle, étant consciente de soi et ne s’exerçant que par cette conscience même, mérite bien de s’appeler, au sens le plus complet du mot, volonté. […] Si on y parvenait et qu’on trouvât un reste absolument inexplicable, alors et alors seulement ou pourrait imaginer un libre arbitre, qui ne serait d’ailleurs qu’un mot de plus pour couvrir notre ignorance : libre arbitre = x.

2280. (1870) La science et la conscience « Chapitre II : La psychologie expérimentale »

La vérité est que l’homme parle parce qu’il pense, c’est-à-dire abstrait, généralise, juge, raisonne, tandis que l’animal ne pense pas, dans la véritable acception du mot, étant incapable de ces diverses opérations. […] 25 » Et c’est parce qu’il applique à l’observation de l’homme l’œil de la conscience, que Maine de Biran, sans renouveler l’hypothèse scolastique des forces occultes, parle constamment, dans ses belles analyses, de force, de cause, d’effort, de tendance, tous mots vides de sens dans la langue de la physique, mais dont sa psychologie peut d’autant moins se passer qu’ils sont les seuls qui puissent exprimer le principe même de sa philosophie de l’esprit humain. […] Aucune langue n’a de mot pour exprimer ce je ne sais quoi (effort, tendance) qui reste absolument caché, mais que tous les esprits conçoivent comme ajouté à la représentation phénoménale27. » La force qui tend au mouvement, voilà, en effet, ce que ni la physique, ni la physiologie, ni même la psychologie expérimentale ne veut et ne peut connaître. […] Pour arriver à comprendre ces mots dans leur réelle et significative acception, il faut avoir pénétré, avec Maine de Biran, Leibniz et leur école, dans les enseignements de cette expérience intime qu’on nomme la conscience. […] C’est donc à cette psychologie que nous pourrions appeler intime, par opposition à cette autre psychologie qu’on nomme expérimentale, qu’il appartient de définir l’homme, de définir la nature, de définir en tout et partout l’être des choses, en rendant aux mots de force et de cause, de spontanéité, de liberté, le sens qui leur est propre et qu’ignoreront toujours les partisans exclusifs de la méthode inductive, qu’ils s’appellent physiciens, physiologistes, ou même psychologues.

2281. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre II. Lord Byron. » pp. 334-423

À huit ans, comme Dante, il devint amoureux d’une enfant nommée Mary Duff. « N’est-ce pas étrange, écrivait-il dix-sept ans plus tard, que j’aie été si entièrement, si éperdument épris de cette enfant à un âge où je ne pouvais point ressentir l’amour, ni savoir le sens de ce mot ? […] Son journal, ses lettres familières, toute sa prose involontaire est comme frémissante d’esprit, de colère, d’enthousiasme ; le cri de la sensation y vibre aux moindres mots ; depuis Saint-Simon, on n’a pas vu de confidences plus vivantes. […] À chaque instant, un mot voulu, qui paraît involontaire, ouvre par-delà les voiles de la tradition les perspectives de la philosophie. […] C’est un homme ; il n’y a pas de mot plus beau, ni qui le peigne mieux. […] Dis un mot, —  n’importe lequel.

2282. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Conclusion. Le passé et le présent. » pp. 424-475

Se contraindre et se pourvoir, prendre l’empire de soi et l’empire de la nature, considérer la vie en moraliste et en économiste, comme un habit étroit dans lequel il faut marcher décemment, et comme un bon habit qu’il faut avoir le meilleur possible, être à la fois respectable et muni de bien-être, ces deux mots renferment tous les ressorts de l’action anglaise. […] En revanche, voyez les jeunes gens dans une partie de cricket ou de campagne ; sans doute l’esprit ne petille pas dans leurs yeux, mais la vie y abonde ; il y a dans tout leur être quelque chose de décidé, d’énergique ; sains et actifs, prompts au mouvement, à l’entreprise, voilà les mots qui à leur endroit reviennent involontairement aux lèvres. […] Les clerks, sans se presser, crient les numéros ; les hommes poussent ou tirent sans confusion, avec calme, épargnant leur peine, pendant que le maître flegmatique, en chapeau noir, commande gravement avec des gestes rares et sans prononcer un mot. […] À mesure que le wagon avance, vous apercevez, parmi les fermes et les cultures, le long mur d’un parc, la façade d’un château, plus souvent quelque vaste maison ornée, sorte d’hôtel campagnard, de médiocre architecture, avec des prétentions gothiques ou italiennes, mais entouré de belles pelouses, de grands arbres soigneusement conservés ; là vivent les bourgeois riches ; je me trompe, le mot est faux, c’est gentlemen qu’il faut dire ; bourgeois est un mot français et désigne ces enrichis oisifs qui s’occupent à se reposer et ne prennent point part à la vie publique ; ici, c’est tout le contraire ; les cent ou cent vingt mille familles qui dépensent par an mille livres sterling et davantage gouvernent effectivement le pays. […] J’en ai vu un, riche de trente millions, qui le dimanche, dans son école, enseignait à chanter aux petites filles ; lord Palmerston offre son parc pour les archery meetings ; le duc de Marlborough ouvre le sien journellement au public « en priant (le mot y est) les visiteurs de ne pas gâter les gazons. » Un ferme et fier sentiment du devoir, un véritable esprit public, une grande idée de ce qu’un gentleman se doit à lui-même, leur donne la supériorité morale qui autorise le commandement ; probablement, depuis les anciennes cités grecques, on n’a point vu d’éducation ni de condition où la noblesse native de l’homme ait reçu un développement plus sain et plus complet.

2283. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIe entretien. Molière et Shakespeare »

Holà, un mot : ces hommes attendent-ils nos ordres ? […] Avertissez le roi que je voudrais, si cela est possible, lui dire quelques mots. […] Mais un mot encore. […] — Tu viens pour faire usage de ta langue : vite, ton histoire en peu de mots. […] Ce mot était tellement sur toutes les lèvres qu’il est sorti à la fois et à l’unanimité du fond du pays ; de cette heure, il n’y a pas eu un moment de repos pour moi ; comme le bouc expiatoire d’Israël, j’ai été rejeté hors des murs et déclaré coupable du salut commun.

2284. (1831) Discours aux artistes. De la poésie de notre époque pp. 60-88

c’est un grand mot, que beaucoup célèbrent avec enthousiasme, sans en avoir toujours une idée bien nette. […] Voyons s’il ne s’offrirait pas naturellement une distinction plus large et plus nette, qui, en nous faisant pénétrer dans le sens profond de ces mots, art et industrie, dissiperait tout d’un coup les nuages et les controverses sur l’utile et le beau. […] Or l’homme ne crée rien, en prenant le mot de création dans un sens absolu. […] La poésie, qui prend pour instrument la parole, et qui rend par des mots le symbole et le rythme, est un accord, comme la musique, comme la peinture, comme tous les autres arts : en sorte que le principe fondamental de tout art est le même, et que tous les arts se confondent dans l’art, toutes les poésies dans la poésie1. […] Tant que l’homme ne fait que modifier la nature, imiter, tailler, déplacer des parties de l’Univers, gouverner en un mot la vie qui est en dehors de lui, il fait de l’industrie, il ne fait pas de l’art.

2285. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre II. Prière sur l’Acropole. — Saint-Renan. — Mon oncle Pierre. — Le Bonhomme Système et la Petite Noémi (1876) »

je l’aimais tout de même ; je l’ai vu parfois si charmant 1 Il y avait des moments où un mot de lui vous faisait pâmer de rire. […] Le mot système, qu’il prononça deux ou trois fois, parut drôle. […] En vrai sage, il se tut, ne dit plus mot à personne et eut le repos. […] Ses idées, je les reconstruisis sans peine en rapprochant quelques mots qui m’avaient paru autrefois inintelligibles, et dont je me souvenais. […] Il m’exposa en breton (il ne savait pas un mot de français) ses idées sur la fin de toute poésie et sur l’infériorité des nouvelles écoles.

2286. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre quatrième. Les émotions proprement dites. L’appétit comme origine des émotions et de leurs signes expressifs. »

Le mot même d’émotion indique un mouvement de l’âme, motus animi, comme disaient les anciens, et l’émotion peut se définir un changement soudain apporté dans l’intensité, dans la vitesse et dans la direction des faits de conscience. […] En un mot, la décharge nerveuse suit ou les nerfs cérébraux, ou les nerfs ganglionnaires, ou les nerfs moteurs, ou les trois canaux à la fois dans des proportions diverses. […] En un mot, l’expression de la joie est une expression générale de liberté et, par cela même, de libéralité. […] Quelles que soient les causes, quels que soient les objets, nous ne pouvons faire que désirer ce qui augmente notre activité et repousser ce qui la diminue : la langue des émotions, qu’elles soient physiques ou morales, n’a donc au fond que deux mots traduits de mille manières et avec mille nuances : oui et non. […] L’expression spontanée des sentiments dans nos organes est déjà un art spontané, identique à la nature même ; l’art supérieur, qui finit aussi par s’identifier à la nature, est expressif selon les mêmes lois que nos organes ; il fait rentrer dans des liens de sympathie non seulement tous les hommes, mais les animaux, les plantes, les objets même qu’on prétend être sans vie, en un mot l’univers.

2287. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre troisième. La volonté libre »

Le seul synonyme à peu près plausible est le mot de hasard, qui désigne l’apparition d’un phénomène sans cause, du « premier commencement » d’une série soumise pour le reste à la causalité. […] Par ce mot de moi, on désigne tout ensemble la partie inconsciente et la partie consciente de la personnalité ; on donne souvent le nom de moi au caractère, dont les profondeurs échappent à la conscience. […] En un mot, l’action est libre, selon cette doctrine, parce que « le rapport de l’action à l’état d’où elle sort ne saurait s’exprimer par une loi, cet état psychique étant unique en son genre et ne devant plus se reproduire jamais170 ». […] Si vous prétendez qu’il est librement, tandis que d’autres disent nécessairement, peu importe cette querelle de mots ; le fait est qu’il est donné réellement, et que lui seul est donné. […] En tout cas, c’est de cette définition, nous, que nous partons, et nous avons bien le droit de la poser telle, car l’histoire entière de la morale et même de la métaphysique est d’accord avec ce sens général du mot liberté.

2288. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Geoffroy de Villehardouin. — II. (Fin.) » pp. 398-412

Certes l’enthousiasme d’un tel homme, s’attachant à l’heure la plus brillante du souvenir, a tout son prix : Le temps fut beau et clair, dit-il en parlant de ce jour mémorable où l’on appareilla de Corfou, et le vent bon et clément ; aussi laissèrent-ils leurs voiles aller au vent ; et bien l’atteste le maréchal Geoffroi qui dicta cet ouvrage et qui n’y a dit mot, à son escient, qui ne soit de pure vérité, comme celui qui assista à tous les conseils ; bien atteste-t-il que jamais si grande chose navale ne fut vue, et bien semblait que ce fût expédition à devoir conquérir des royaumes ; car, aussi loin qu’on pouvait voir aux yeux, ne paraissaient que voiles de nefs et de vaisseaux, tellement que le cœur de chacun s’en réjouissait très fortement. […] On a pu juger, par quelques citations que j’ai données, du ton et (si ce mot est permis) du style de Villehardouin. […] [NdA] Dans des leçons que j’ai eu depuis lors à faire à l’École normale au sujet de ce même Villehardouin, je développais un peu plus ce point de vue, et j’ajoutais : Il est un mot sur lequel il faut insister encore, et pour le réfuter, et pour nous faire mieux pénétrer dans l’esprit de ces temps, de ce Moyen Âge occidental et français véritablement moderne : c’est que les chefs et capitaines des croisés, auraient été de purs barbares.

2289. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — I » pp. 56-70

Montluc, toutefois, sachant que le roi tenait fort à cette entreprise, et piqué par l’idée que tous les autres l’estimaient impraticable, résolut de la tenter : il suffisait, en général, qu’on dît devant lui qu’une chose était impossible pour qu’il se dît : « J’en fais mon affaire. » Impossible n’était pas pour lui un mot français, ou du moins un mot gascon. […] Il sied mal de dérober l’honneur d’autrui ; il n’y a rien qui décourage tant un bon cœur. » Dans les diverses guerres auxquelles il prend part et qu’il nous décrira, il est de certains faits qu’il aura ainsi trop de curiosité et de plaisir à raconter, à déduire au long et par le menu, pour qu’on n’y voie point se déceler et se déclarer le genre de talent militaire particulier et propre à Montluc : c’est ordinairement dans ce qu’il appelle une faction ou fait d’armes à part, dans un coup de main, un stratagème bien ourdi, une escarmouche bien menée, une attaque de place réputée imprenable, ou une défense déplacé réputée intenable, quelque entreprise soudaine et difficile, une expédition en un mot qui fasse un tout, à laquelle il commande, sans qu’il soit besoin d’avoir sous sa main autre chose qu’une élite, c’est là qu’il se complaît et où il excelle.

2290. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — I — Vauvenargues et Fauris de Saint-Vincens » pp. 1-16

Je n’ai jamais été contre ; mais il y a des incrédules dont l’erreur est plus profonde : c’est leur esprit trop curieux qui a gâté leurs sentiments… Je n’ai jamais été contre est, je crois, le mot le plus vrai pour Vauvenargues. C’est un neutre indulgent et parfois sympathique ; et quant à ces traités particuliers sur le libre arbitre et sur d’autres sujets où il a paru imiter le style et suivre les sentiments de Pascal, il nous en donne la clef un peu plus loin dans cette lettre même (10 octobre 1739) ; car, après un assez long développement et qui vise à l’éloquence, sur les combats du remords et de la foi au lit d’un mourant, il ajoute : J’aurais pu dire tout cela dans quatre lignes, et peut-être plus clairement ; mais j’aime quelquefois à joindre de grands mots, et à me perdre dans une période ; cela me paraît plaisant. […] Il aimait, dit-il, à joindre de grands mots, à se perdre dans une période ; il ne lisait jamais de poète ni d’orateur qui ne laissât quelques traces dans son cerveau, et ces traces se reproduisaient dans ce qu’il écrivait ensuite.

2291. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite et fin.) »

Gœthe, ne l’oublions jamais, n’était pas romantique dans le sens spécial du mot. […] Il y a eu, il est vrai, un temps en Allemagne où l’on se représentait un génie comme petit ; faible, voire même bossu ; pour moi, j’aime un génie bien constitué aussi de corps. — Quand on a dit de Napoléon que c’était un homme de granit, le mot était juste, surtout de son corps. […] Appelé à Erfurt en 1808, à l’époque de l’entrevue des souverains, et présenté à l’empereur le 2 octobre, l’empereur, après l’avoir regardé quelques instants avec attention, lui avait dit pour premier mot : « Vous êtes un homme. » Et lorsque, l’entretien fini, Gœthe se fut retiré, Napoléon répéta, en s’adressant à Berthier et à Daru, qui étaient présents Voilà : un « homme ! 

2292. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Clermont et sa cour, par M. Jules Cousin. (Suite et fin.) »

Ce descendant des Condé (ne marchandons pas les mots), en s’associant pour la vie une telle compagne, avait, donc mis la tête sous un joug avilissant. […] « En même temps, ajoute Frédéric, on régla avec lui les contributions ; et il n’est pas douteux que les sommes qui passèrent entre les mains du maréchal ne ralentirent dans la suite considérablement son ardeur militaire43. » Le mot est terrible. […] Son Altesse Sérénissime répondit tout en piss… : « Mortaigne, prenez garde de prendre votre c… pour vos chausses. » Sans doute, ajoute M. de Voyer, que ce prince sentit l’absurdité de tirer d’un point aussi éloigné que la droite le secours nécessaire à la gauche ; mais il eut la faiblesse de ne pas s’opposer à ce ridicule arrangement. » Supposez un moment en imagination que le prince de Condé, dans la gloire des journées de Rocroy et de Lens, et à la faveur d’un songe comme le figurent les poëtes épiques, aperçoive tout à coup, dans l’avenir, un de ses descendants perdant une bataille dans une telle posture et sur un tel mot, et demandez-vous ce qu’il en dira !

2293. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Léonard »

Fauriel, dans les ingénieuses Réflexions qui précèdent sa traduction de la Parthénéide de Baggesen, établit que ce n’est point la condition des personnages représentés dans la poésie idyllique qui en constitue l’essence, mais que c’est proprement l’accord de leurs actions avec leurs sentiments, la conformité de la situation avec les désirs humains, en un mot la rencontre harmonieuse d’un certain état de calme, d’innocence et de bonheur, que la nature comporte peut-être, bien qu’il soit surtout réservé au rêve. […] En un mot, dans cette carrière ouverte au commencement du siècle par Racine fils et par Voltaire, et suivie si activement en des sens divers par Le Tourneur et Ducis, par Suard et l’abbé Arnaud, Léonard à son tour fait un pas ; il est de ceux qui tendent à introduire une veine des littératures étrangères modernes dans la nôtre. […] Lui dont tout le code semblait se résumer d’un mot : Et moi aussi, je suis pasteur en Arcadie, il se trouve brusquement transformé en Minos, siégeant, glaive en main, sur un tribunal.

2294. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVII. De la littérature allemande » pp. 339-365

Beaucoup d’écrivains se croient alors le droit d’inventer sans cesse des mots nouveaux ; et ce qui semble de l’abondance, amène la confusion. […] Mais en lisant les tragédies allemandes qui ont acquis de la célébrité, l’on trouve souvent des mots, des expressions, des idées qui vous révèlent en vous-même des sentiments étouffés ou contenus par la régularité des rapports et des liens de la société. […] Il est trop aisé d’écrire l’allemand assez bien pour être imprimé ; trop d’obscurités sont permises, trop de licences tolérées, trop d’idées communes accueillies, trop de mots réunis ensemble ou nouvellement créés ; il faut que la difficulté du style soit de nature à décourager au moins les esprits tout à fait médiocres.

2295. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre IV. Poésie lyrique »

Il n’est pas difficile de supposer que, l’identité des mots aidant, l’amour chrétien, aspiration éperdue vers le Dieu infini et parfait, désir affiné et subtilisé parle sentiment du néant de l’âme amoureuse devant l’incompréhensible objet de l’amour, ce sentiment de tendresse mystique a fourni le type de la dévotion galante de l’amant à sa dame. […] Il est libre et ne peut être retenu… L’amour surtout n’a pas de mesure, et s’exalte dans une ardeur sans mesure… L’amour ne sent point le poids ni la peine, il veut plus que sa force, et n’allègue jamais l’impossibilité, et se croit tout possible et tout permis… L’amour veille ; en dormant même il veille… Celui qui aime, sait la force de ce mot — On ne vit point sans douleur dans l’amour. Celui qui n’est pas fait à tout souffrir, et à faire la volonté de l’objet aimé, n’est pas digne du nom d’amant. » Il n’y a pas un de ces mots par où l’imitation peint l’amour de Dieu, qui ne réponde à une des lois de l’amour courtois : tant les deux amours ne sont qu’une même essence !

2296. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre II. Le mouvement romantique »

En deux mots, le romantisme nous fait repasser de l’abstraction à la poésie, et, quoiqu’il ait pu sembler d’abord faciliter l’invention aux dépens de l’art, il ramène l’art à la place du mécanisme. […] Il fallait avoir vécu loin des salons, et n’avoir pas subi le joug du discours latin, pour faire des mots la sincère et simple image de l’émotion ou de la sensation. […]  » Voilà le mot essentiel.

2297. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre X. La commedia dell’arte en France pendant la jeunesse de Molière » pp. 160-190

En un mot, c’est ici où cet incomparable Scaramouche, qui a été l’ornement du théâtre et le modèle des plus illustres comédiens de son temps qui avaient appris de lui cet art si difficile et si nécessaire aux personnes de leur caractère, de remuer les passions, et de les savoir bien peindre sur le visage (c’est une allusion à Molière) ; c’est ici, dis-je, où il faisait pâmer de rire pendant un gros quart d’heure dans une scène d’épouvante où il ne proférait pas un seul mot. […] Et je m’assure que, si vous m’accordez votre protection, les arguments de tous ces vieux porteurs de calottes et de lunettes ne me feront jamais répondre un seul mot à propos.

2298. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XIV. La commedia dell’arte au temps de Molière (à partir de 1662) » pp. 265-292

Lorsqu’il a été manié par des acteurs de quelque génie, il a fait les délices des plus grands rois et des gens du meilleur goût ; c’est un caméléon qui prend toutes les couleurs. » Arlequin, s’il n’était jadis naïf qu’à demi, devient alors tout à fait scélérat : « Arrogant dans la bonne fortune, dit M Jules Guillemot48, traître et rusé dans la mauvaise ; criant et pleurant à l’heure de la menace et du péril, en un mot Scapin doublé de Panurge, c’est le type du fourbe impudent, qui se sauve par son exagération même, et dont le cynisme plein de verve nous amuse précisément parce qu’il passe la mesure du possible pour tomber dans le domaine de la fantaisie. » Arlequin, avec ses nouvelles mœurs, court fréquemment le risque d’être pendu ; il n’y échappe qu’à force de lazzi. […]   Dominique a laissé un manuscrit des scènes qui lui étaient personnelles dans les pièces représentées de son temps, manuscrit où il notait avec un soin égal ses bons mots et ses culbutes. […] Tout le monde a dans la mémoire la réflexion par laquelle Molière termine la préface du Tartuffe : « Huit jours après que ma comédie eut été défendue, on représenta devant la cour une pièce intitulée Scaramouche ermite, et le roi, en sortant, dit au grand prince que je veux dire (Condé) : “Je voudrais bien savoir pourquoi les gens qui se scandalisent si fort de la comédie de Molière ne disent mot de celle de Scaramouche” ; à quoi le prince répondit : “La raison de cela, c’est que la comédie de Scaramouche joue le ciel et la religion, dont ces messieurs-là ne se soucient point ; mais celle de Molière les joue eux-mêmes : c’est ce qu’ils ne peuvent souffrir.” » Les situations de Scaramouche ermite étaient d’une extrême indécence.

2299. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre VII. L’antinomie pédagogique » pp. 135-157

La thèse des partisans de l’unité morale soulève une question de fait dont nous devons dire un mot. […] — Celle de Kant : le fonctionnaire en tant que chose en soi, placé sur le fonctionnaire en tant qu’apparence66. » En un mot, le but de l’éducation est de prévenir l’originalité et de réduire l’exception. C’est pourquoi, le premier soin de toute individualité un peu originale, dès qu’elle reprend possession d’elle-même, est de faire table rase des pédagogies inculquées, de se remettre en présence de la vie, de recouvrer le sens de la réalité oblitéré par une vision conventionnelle des choses, en un mot, de refaire son âme.

2300. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Le symbolisme ésotérique » pp. 91-110

L’athéisme est un vain mot. […] Il ne me reste plus qu’à jeter mes vues ailleurs, si toutefois… mais saurons-nous jamais le dernier mot de cette affaire ? […] Le manque de charité chrétienne est le signe tellement distinctif des panégyristes de l’Église à cette époque que le Petit Bottin des Lettres et des Arts, paru chez Giraud en 1886, en traçait le schéma suivant au mot Catholiques : Charles Buet

2301. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXII » pp. 355-377

Peu de temps après, un mot tout à fait inattendu, que le roi prononça tout simplement et comme par habitude, marqua l’époque d’un changement heureux dans la condition de la gouvernante. […] « Il est très vrai », écrit-elle, le 6 février, à madame de Coulanges, « que le roi m’a nommée madame de Maintenon et que j’ai eu l’imbécillité d’en rougir, et tout aussi vrai que jamais de plus grandes complaisances pour lui que de porter le nom d’une terre qu’il m’a donnée. » Ce nom échappé au roi comme un mot dès longtemps usité, cette rougeur de celle qui le reçoit pour la première fois, cette expression d’étonnement et de reconnaissance, qu’aucun autre bienfait antérieur ne paraît avoir excité dans madame de Maintenon, montrent qu’elle sentit à l’instant tout ce que renfermait de bon pour elle cette substitution d’un nom nouveau à celui qu’elle portait. […] Il est au reste, inutile de faire remarquer ces mots : une terre que le roi m’a donnée ; ils prouvent, qu’outre les 200 000 francs dont nous avons vu le don, le roi avait ajouté le complément du prix de la terre, qui s’élevait à 50 000 francs.

2302. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Pensées de Pascal. Édition nouvelle avec notes et commentaires, par M. E. Havet. » pp. 523-539

Havet, vient de publier à son tour, en l’environnant de tous les secours nécessaires, explications, rapprochements, commentaires ; il a donné une édition savante, et vraiment classique dans le meilleur sens du mot. […] Mais ces hommes de doute et d’érudition, ou bien les libertins simplement gens d’esprit et du monde, comme Théophile ou Des Barreaux, prenaient les choses peu à cœur ; soit qu’ils persévérassent dans leur incrédulité ou qu’ils se convertissent à l’heure de la mort, on ne sent en aucun d’eux cette inquiétude profonde qui atteste une nature morale d’un ordre élevé et une nature intellectuelle marquée du sceau de l’archange ; ce ne sont pas, en un mot, des natures royales, pour parler comme Platon. […] Il va se heurter par moments, s’aheurter (c’est son mot) aux écueils qu’il est plus sage à la raison, et même à la foi, de tourner que de découvrir et de dénoncer à nu ; il dira, par exemple, des prophéties citées dans l’Évangile : « Vous croyez qu’elles sont rapportées pour vous faire croire.

2303. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Seconde Partie. De l’Éloquence. — Éloquence de la chaire. » pp. 205-232

On fait quelquefois les peintures les plus indécentes, jusqu’à représenter une femme frivolement occupée à sa toilette, avec toute la vivacité d’une passion, tous les termes de la plus fade coquetterie ; jusqu’à dire, mot pour mot, comme faisoit le P. de ***, un billet qu’il supposoit avoir été écrit par un amant à sa maîtresse. […] Il suppose toujours les principes, ou les établit en deux mots, & se jette sur la morale : il préfère le sentiment à tout : il remplit l’ame de cette émotion vive & salutaire, qui nous fait aimer la vertu.

2304. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre I : Rapports de cette science avec l’histoire »

Son principal objet est d’exposer et de faire connaître les différents systèmes philosophiques, de les interpréter avec toute l’exactitude désirable, d’en rechercher les origines, les conséquences, d’en découvrir les lois ; en un mot, il se propose, non pas de découvrir la vérité en soi, mais de chercher ce que les hommes, et les plus grands hommes, ont pensé de la vérité. […] En un mot, un ou deux philosophes me suffiront pour épuiser toute la philosophie, car tout est dans tout. […] En un mot, l’accidentel, qu’Aristote rejetait de la science, est bien près d’en devenir au contraire ici le principal objet ; mais pour quelle raison ?

2305. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Lawrence Sterne »

En deux mots, jugement très ferme et tête très saine, voilà ce qui me frappe en M.  […] … Pour ceux qui n’entendent pas l’arabe comme pour ceux qui le comprennent, ce mot de Koran a beau signifier, dans son sens primitif et grammatical, une collection de chapitres, il n’en fait pas moins, dès qu’on le prononce, passer devant nous le monde de l’Orient avec ses dogmes, ses coutumes, ses mœurs, ses tableaux. Et c’est de là, c’est de cette hauteur de mosquée, que l’Imagination, enlevée par un mot, culbute et retombe dans les vulgaires détails de la vie et de la pensée d’un petit ministre anglican « en culottes de soie noire », et qui a mal à la poitrine !

2306. (1913) Les livres du Temps. Première série pp. -406

Ce droit existe sans doute, et d’un mot plus décisif M.  […] Le mot peut paraître irrévérencieux, mais c’est le mot juste. […] C’est un bien grand mot, dont il sied d’user avec discrétion. […] Seulement, il n’a pas donné le mot de l’énigme. […] Ce sont des mots.

2307. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mademoiselle Aïssé »

Souvent il en devient plus affecté, à mesure qu’il parle ; souvent il est embarrassé au choix du mot le plus propre à rendre sa pensée, et l’effort qu’il fait alors donne plus de ressort et d’énergie à ses paroles. […] En un mot, le Chevalier paraît plus sensible que tendre. […] Un mot d’une lettre de Voltaire à d’Argental, qu’on range à la date du 2 février 1761, indique que sa mort n’eut lieu en effet que sur la fin de 1760. […] Rousseau qui a mis à la suite des mots ce jeudi ceux que l’on trouve ici entre parenthèses. […] Quoiqu’on écrive communément Nantia ouNanthia, on a adopté ici l’orthographe Nantiac, comme se rapprochant davantage du mot latin de Nantiaco.

2308. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre I. Le Roman. Dickens. »

Le lendemain de l’enterrement d’un homme célèbre, ses amis et ses ennemis se mettent à l’œuvre ; ses camarades de collége racontent dans les journaux ses espiègleries d’enfance ; un autre se rappelle exactement et mot pour mot les conversations qu’il eut avec lui il y a vingt-cinq ans. […] Mais au bout d’un instant l’artiste reprend la parole : il vous conduit au clocher, et dans le cliquetis des mots qu’il entasse, il donne à vos nerfs la sensation de la tourmente aérienne. […] Le premier mot qu’épela cet excellent jeune homme fut « gain. » Le second (quand il arriva aux dissyllabes) fut « argent. » Cette belle éducation avait produit par hasard deux inconvénients ; l’un, c’est qu’habitué par son père à tromper les autres, il avait pris insensiblement le goût d’attraper son père ; l’autre, c’est qu’instruit à considérer tout comme une question d’argent, il avait fini par regarder son père comme une sorte de propriété, qui serait très-bien placée dans le coffre-fort appelé bière. « Voilà mon père qui ronfle, dit M.  […] Miss Mercy rira à chaque parole ; Marc Tapley prononcera à chaque scène son mot : gaillardement ; mistress Gamp parlera incessamment de Mme Harris ; le docteur Chillip ne fera pas une seule action qui ne soit timide ; M.  […] C’est dans ces termes évidemment, en substituant le mot « jeunes élèves » au mot « monsieur », que Thomas Gradgrind présentait en ce moment Thomas Gradgrind aux petits vases rangés devant lui, lesquels devaient être si fort remplis de faits1344.

2309. (1874) Premiers lundis. Tome II « Doctrine de Saint-Simon »

Ce qui peut y être considéré comme le propre d’Eugène, c’est la forme qu’il leur a donnée et qui nous représente fidèlement la tournure particulière de son esprit ; quelque chose de complexe, d’un peu obscur à la surface, et qui rayonne par le fond ; une clarté profonde, sans beaucoup de transparence ; une pensée solidaire qui se manifeste sur plus d’un point à la fois, et se déroule avec une plénitude imposante dans sa qualité fondamentale ; un arbre d’une puissante végétation intérieure, qui n’a nul souci de l’écorce ; une allure simple, grave, un peu enveloppée, faisant beaucoup de chemin sans affecter beaucoup de mouvement ; souvent de ces mots brefs et compréhensifs, de ces formules d’apôtre qui gravent une pensée pour toute une religion. […] C’est aux derniers mots que nous avons reconnu cet article de M. 

2310. (1898) Le vers libre (préface de L’Archipel en fleurs) pp. 7-20

Rien de plus, car il n’existe pas d’Alexandrin idéal, passant dans les rêves des poètes, dieu suprême de l’Art, orchestre, mot synthétique, geste solennel résumant toutes les phrases et tous les poèmes, sorte de syllabe Om dont certains parlent, les yeux en extase, la voix tremblante, avec des airs de Bouddha contemplant son nombril. […] Ne t’arrête pas à leurs boniments mystérieux, ne t’effraye pas à cause des airs initiés avec lesquels ils répètent le mot Symbole ; malgré leurs cris, déchire tranquillement les voiles ; dessous, neuf fois sur dix, tu ne trouveras rien.

2311. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 23-38

En un mot, quand il seroit vrai que Lafontaine n’eût jamais eu qu’un style, il seroit toujours certain qu’il a eu celui du génie. […] Voyez encore le tome 13 de l’édition in-8°. en 41 volumes, où il dit en propres mots, pag. 334, qu’il demandoit l’aumône à M. le Duc de Vendôme, pour aller voir des filles.

2312. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre VII. Des ouvrages périodiques. » pp. 229-243

Il avoit l’art d’égayer toutes ses matieres, & de renfermer en peu de mots l’idée d’un livre. […] Son ouvrage comprend la belle littérature, les productions agréables, telles que les histoires, les romans, les brochures, les piéces d’éloquence & de poésie, les ouvrages dramatiques, particuliérement la musique, la peinture, la sculpture, l’architecture, en un mot, ce qu’on entend par belles-lettres & beaux arts.

2313. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVI. Mme de Saman »

Les grands mots de la préface de Mme Sand ne m’en imposent point. […] Une femme vantarde dans un pays où le mot de vantard est la plus sanglante des injures !!

2314. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Philippe II »

Il est plus à l’aise avec Henri IV, qu’il comprend intégralement, lui, et, qu’on me passe le mot ! […] Henri IV, dit Forneron, et il l’en loue, ne voulut pas qu’il y eût en France désormais quelqu’un de plus catholique que lui… Et ce simple mot dit à quel point nous étions vaincus.

2315. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Henri Rochefort » pp. 269-279

Et Beaumarchais, avec les deux chefs-d’œuvre de légèreté dont il orna le théâtre, et le troisième (ses Mémoires), dont il orna la littérature, eut tout son génie en gaîté, dans la plus vraie et la plus vive acception du mot, — et ni la satire politique qu’il aiguisait, de toutes les satires la plus cruelle, ni le craquement d’un monde qui s’en venait bas et dont il précipita, lui aussi ! […] elle en a peut-être d’autant plus qu’elle tranche davantage sur notre plaisanterie française, et qu’en France on aime l’accent, le ton, l’air étranger… Acéré d’ailleurs, et acéré avant tout, aiguisé sur les quatre côtés de sa lame, dès les premiers mots qu’écrivit le talent vibrant de Rochefort, quand il débuta dans la Chronique, on reconnut le petit sifflement de l’acier ou de la cravache dans la main qui les prend et qui sait s’en servir.

2316. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Alexandre Dumas fils » pp. 281-291

Est-il possible d’être moins homme que cet homme, qui a été chaste dans sa jeunesse, la force des forces pour qui connaît le cœur humain, et qui, après avoir été trompé, berné, humilié, trahi et raillé par sa femme, dont il se sépare, en redevient l’amant une dernière fois, et, pour s’achever, se cocufie lui-même ; car de telles bassesses, de telles abjections, rappellent les vieux mots bannis qui ne faisaient pas peur à nos ancêtres ! […] disent ses amis… Au xixe  siècle, en l’an de grâce 1866, Dumas fils, qui lave, brosse et vernit ses moindres petits mots avant de les risquer dans la circulation, tutoie le printemps et la nature et leur parle comme si c’étaient des personnes !

2317. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Les honnêtes gens du Journal des Débats » pp. 91-101

Il faut s’évader par le mot sur les choses, — comme on s’évaderait d’ailleurs, si on était pris. […] Nous savions qu’il en était ainsi, et c’est contre ces abjectes coutumes littéraires que nous avons fondé le Réveil… avec de gros mots, nous disent-ils.

2318. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Avellaneda »

Si Junius, ce masque de fer épistolaire de la littérature anglaise, cet impatientant inconnu, qui avait pour devise les mots latins : Nominis umbra, n’était pas un magnifique écrivain politique ; si, par le talent à la changeante physionomie, il n’avait pas désespéré l’hypothèse, et fait dire tour à tour : « Serait-ce Burke ? […] M. de Lavigne aura prouvé une fois de plus la justesse du mot de Montesquieu, qui disait que les gens d’esprit faisaient les livres qu’ils lisaient.

2319. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Dupont-White »

Nous avons ouï dire que Guizot, l’illustre maître (et qui l’est trop) de Dupont-White, avait autrefois des joies singulières, des pâmoisons d’Ixion qui presse sa nuée sur son cœur, quand il disait ce simple mot, qui fut du reste toute sa politique : « le gouvernement !  […] Toujours est-il que, ce génie manquant, tout manque à l’esprit qui cherche le mot de ce grand mystère : le pouvoir politique, soit dans l’action, soit dans la contemplation de l’histoire.

2320. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pierre Dupont. Poésies et Chansons, — Études littéraires. »

Et ce n’était même pas le mot bouche qui venait à la bouche en regardant celle-là… Or celle-là qui, disait-on, chantait, devait appartenir à M.  […] Burns en germe reste sous l’écorce de Béranger, et encore d’un Béranger sans finesse, sans esprit dans le sens français du mot, d’un Béranger au gros sel, — pas plus gai que son maître, car Béranger n’est pas franchement gai, — mais qui croit l’être — (voir le buste), — parce qu’il crie plus fort !

2321. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XIV. Panégyrique de Trajan, par Pline le jeune. »

Un prince peut-être peut inspirer la haine sans la mériter et la sentir ; mais à coup sûr il ne peut être aimé, s’il n’aime lui-même42. » On voit dans tous ces morceaux quelle est l’âme et le tour d’esprit de l’orateur ; ce sont des pensées toujours vraies, et quelquefois fortes, aiguisées en épigrammes, et relevées toujours par un contraste ou de mots, ou d’idées. […] Gardons-nous de pousser trop loin cette attention subalterne, qui pèse les phrases dans une balance, et fait plus d’attention aux mots qu’aux idées.

2322. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre V. Swift. » pp. 2-82

Lord Lansdowne, ministre de la guerre, s’étant trouvé blessé d’un mot dans l’Examiner, « je fus hautement irrité, dit Swift, qu’il se fût plaint de moi avant de m’avoir parlé. […] Un de ses derniers mots fut : « Je suis fou. » Son testament ouvert, on trouva qu’il léguait toute sa fortune pour bâtir un hôpital de fous. […] Vous serez attendri par les grands mots qu’ils répètent d’un ton sublime, et vous n’apercevrez jamais dans leur poche le manuel héréditaire où ils les ont pris. […] Le malheureux, ancien officier et demi-lettré, se servait maladroitement des mots constitutionnels […] Car d’abord il est généralement reconnu que la science enfle les hommes, et de plus ils prouvaient leur opinion par le syllogisme suivant : les mots ne sont que du vent, et la science n’est que des mots ; ergo la science n’est que du vent.

2323. (1868) Curiosités esthétiques « II. Salon de 1846 » pp. 77-198

» — Que vous entendiez ce mot de morale dans un sens plus ou moins libéral, on en peut dire autant de tous les arts. […] Elle était, pour me servir de mots empruntés à l’ordre moral, sanguinaire et mordante. […] La signification du mot poncif a beaucoup d’analogie avec celle du mot chic. […] Chacun d’eux a une enseigne à sa couronne, et les mots écrits sur l’enseigne sont lisibles pour tout le monde. […] Il est aussi difficile de faire comprendre avec des mots le talent de M. 

2324. (1900) La vie et les livres. Cinquième série pp. 1-352

Ses mots sont frottés de couleur. […] Elle a dit en parlant d’elle-même un mot délicieux, un mot de poète : « Je ne sais que jouer et rêver ». […] C’est ce mot qui fera de moi un vaillant homme si jamais je le suis. Ce mot me console en tous mes ennuis. […] Les mots féroces du terrible mulâtre : « Tue-la !

2325. (1927) Des romantiques à nous

Mais c’est là un sens détourné du mot. […] Le mot de « flottement » n’est pas de moi. […] J’écris, sans m’enfler, ce mot qui pourrait être trouvé présomptueux. […] Il n’y a pas de chansons populaires au sens propre du mot. […] Je me rappelle ce mot de lui.

2326. (1769) Les deux âges du goût et du génie français sous Louis XIV et sous Louis XV pp. -532

C’est moins un enchaînement des rimes que celui du sens & des mots. […] Au lieu du mot Géométrie, lisez Géographie. […] A ces mots je reconnus l’Abbé de Villiers. […] En un mot, le but de son ouvrage est moins d’éclairer l’art dans ses procédés, que de soutenir le génie dans son essor. […] En un mot, le sentiment le plus ordinaire, & presque le seul que nous inspire Corneille, c’est l’admiration.

2327. (1949) La vie littéraire. Cinquième série

En un mot comme en cent, “il n’y a pas amateur” ». […] Si je lui dis qu’il fonde sa doctrine sur un contresens volontaire et qu’il joue sur les mots, il me répondra sans doute qu’il le sait, que c’est bien fait à lui et qu’on avait déjà institué des dogmes sur des jeux de mots. […] Les hommes ne se sont jamais tourmentés si cruellement entre eux que pour de vains mots auxquels ils attachaient un sens profond. […] Le mystique est volontiers un artiste subtil et qui joue adroitement avec les mots. […] Au reste, gourmand, poltron et diseur de bons mots, il fait une singulière figure parmi les poètes mystiques de M. de Gourmont.

2328. (1846) Études de littérature ancienne et étrangère

Une de ses lettres au sénat commençait par ces mots : « Que vous écrirai-je, pères conscrits ? […] M’échappe-t-il aucun mot dont je doive rougir ? […] Les savants n’en disent mot. […] Chaque épithète, chaque mot est placé dans une intention fine et délicate. […] On le sait, rien ne se traduit, ne se fait entendre dans une autre langue, moins aisément qu’un bon mot.

2329. (1903) La vie et les livres. Sixième série pp. 1-297

L’affiche de la salle Montansier portait ces mots : Arlequin partout. […] Sur la caisse de ces véhicules, on lit ces mots : Waterloo Victoria. […] Cela rappelle un mot historique de votre roi Frédéric II, ami de notre Voltaire. […] « Ce mot, dit le savant linguiste Loti, signifie jeune fille ou très jeune femme. […] que Loti a vu de choses dans ce mot de « mousmé » !

2330. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1891 » pp. 197-291

Mme Crosnier qui ne laisse plus tomber les pénultièmes de ses mots a apporté dans son rôle, une énergie, une verdeur, une puissance qu’elle n’avait pas encore déployées. […] Puis cette salle autrefois si rétractile, si éplucheuse des mots elle applaudit, à tout rompre. […] il fait bon être Scandinave… Si la pièce était d’un Parisien… Oui, oui, c’est entendu, du dramatique bourgeois qui n’est pas mal… mais de l’esprit à l’instar de l’esprit français, fabriqué sous le pôle arctique… et un langage parlé, quand il s’élève un peu, toujours fait avec des mots livresques. […] Une tête, où court sur la tempe une mèche grise, semblable à une aile d’oiseau repliée, une conversation intelligente, substantielle, savante, aimant le mot abstrait, une conversation qu’on pourrait qualifier de mystico-philosophique, servie par une petite voix flûtée, qui a parfois les sons mystérieusement enroués d’une voix d’adolescent entrain de muer. […] Dubreuilh comptant les mille premiers mots de Manette Salomon, répartis en sept groupes : Êtres et Choses (substantifs et prénoms), Qualités (adjectifs qualificatifs), Déterminations, Actions, Modifications, Relations, Connexions, Interjections, et les rapprochant des premiers mille mots du Discours de la méthode, de Descartes, des premiers mille mots de l’Esprit des lois, de Montesquieu, des premiers mille mots de Télémaque, de Fénelon, etc., etc., me trouve beaucoup plus riche en Déterminations (adjectifs et articles) qu’en Connexions (les mots qui servent à lier les êtres et les choses) et déclarant que je suis l’écrivain qui s’éloigne le plus de Descartes, il me classe, en la haute et respectable compagnie de Bossuet et de Chateaubriand.

2331. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVe entretien. Alfred de Vigny (2e partie) » pp. 321-411

c’est être délibérant : entre ces deux mots qui expriment la France, il y a opposition organique. […] « Il fit vingt pas en me regardant de côté de temps à autre, comme s’attendant à une question ; et, comme il ne venait pas un mot, il poursuivit : « — Vous n’êtes pas curieux, par exemple ! […] Nous ne dirons qu’un mot de la dernière. […] « Voilà que la parole humaine cesse d’être l’expression des idées seulement, elle devient la parole par excellence, la parole sacrée entre toutes les paroles, comme si elle était née avec le premier mot qu’ait dit la langue de l’homme ; et comme si, après elle, il n’y avait plus un mot digne d’être prononcé, elle devient la promesse de l’homme à l’homme, bénie par tous les peuples ; elle devient le serment même, parce que vous y ajoutez le mot : Honneur. […] « La parole, qui trop souvent n’est qu’un mot pour l’homme de haute politique, devient un fait terrible pour l’homme d’armes ; ce que l’un dit légèrement ou avec perfidie, l’autre l’écrit sur la poussière avec son sang, et c’est pour cela qu’il est honoré de tous, par-dessus tous, et que beaucoup doivent baisser les yeux devant lui.

2332. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Herbert Spencer — Chapitre II : La psychologie »

De plus, comme l’indique le mot « principes », il ne s’agit point simplement d’une description des faits de conscience, d’une énumération complète des phénomènes, d’une revue où rien ne soit omis : ce serait là dresser une sorte de répertoire psychologique, dans lequel tous les faits seraient décrits, à peu près comme le sont les maladies ou les plantes dans les traités de pathologie ou de botanique. […] C’est ainsi que nous apprenons à entendre une langue étrangère ; c’est ainsi que l’enfant, hésitant d’abord sur les lettres et les syllabes, en vient à interpréter couramment les mots et les phrases. […] « En employant le mot instinct, non comme le fait le vulgaire pour désigner toutes les sortes d’intelligence autres que celle de l’homme, mais en le restreignant à sa signification propre, l’instinct peut être défini : une action réflexe composée. […] On peut résumer toute l’étude du raisonnement en le définissant une « classification de rapports. » Mais que signifie le mot classification ? […] Il est universel, parce qu’il est connaissable (en employant ce mot, non dans le sens humain, mais dans un plus large) pour tout animal qui possède quelque faculté de sentir ; parce que, en général, toutes les parties du corps de chaque animal peuvent le connaître ; parce qu’il est commun à tous les organismes sensibles ; et commun, dans la plupart des cas, à toute leur surface.

2333. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Bossuet et la France moderne »

À peine lui apprit-on à lire et à écrire, et il demeura tellement ignorant que les choses les plus connues d’histoire, d’événements, de fortune, de conduites, de naissance, de lois, il n’en sut jamais un mot. […] Les écoles protestantes fermées par autorité de justice, les temples démolis, les consciences pressurées, les enfants arrachés du foyer en vue d’un simulacre de conversion, les vexations, les insultes, les infamies, les persécutions en un mot, quoique non sanglantes jusque là, ne se comptèrent plus. […] En un mot, Bossuet, pour moi, encourt, devant l’histoire, la responsabilité principale dans les persécutions, les Dragonnades et la Révocation avec toutes ses conséquences. […] Bossuet et ses émules symbolisent à merveille l’éternelle rhétorique catholique et latine, se payant des mots et d’attitudes, l’erreur battue en brèche, qui appelle à son secours la violence et la mauvaise foi, le faux esprit de Rome s’efforçant d’étouffer le sentiment national. […] N’est-il pas profondément burlesque en un mot, d’entendre les admirateurs de l’homme néfaste parler, sans rire, de patrie et de nationalisme ?

/ 3580