Auguste Vacquerie Je comprends que M. de Lamartine préfère la tragédie au drame.
Sans doute il eût été facile à une imagination plus active et plus exercée d’encadrer le sujet de ce roman dans une fable plus savante et plus vive, de multiplier les incidents, de nouer plus étroitement la tragédie.
Mais la tragédie grecque n’avait ni les dédains, ni les dégoûts de la nôtre ; des accidents intimes, des traits de nature familiarisaient sa sublimité.
Voici Beaucoup de bruit pour rien, une tragédie qui aboutit à un éclat de rire.
Quoique l’intuition suraiguë de la Visionnaire ne défaille nulle part, non plus que l’expression, sous la plume qui écrit pour elle, cependant, à cause probablement du pathétique de la passion du Sauveur, qui écrase tous les pathétiques de toutes les tragédies humaines, le Récit de la Passion paraît supérieur à la Vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ et à celle de sa Mère.
Ils ont négligé la tragédie, destinée à peindre les passions et les hommes, et se sont livrés tout entiers à l’opéra, qui d’un bout à l’autre est le spectacle des sens.
Sa tragédie est mauvaise, le rhétoricien en lui est pitoyable. […] Puis, les salles se bâtissent, la tragédie et la comédie naissent, sous l’influence de la renaissance classique. […] Le drame romantique acheva la tragédie agonisante. […] Aussi le drame romantique ne devait-il pas avoir le long règne de la tragédie. […] On leur doit la belle ordonnance et l’ampleur solennelle de la tragédie de Racine, les périodes magnifiques des oraisons de Bossuet, la logique et le bon sens génial de Boileau.
Mason, dans son Elfrida et dans son Caractacus, a essayé, mais sans succès, de donner la tragédie grecque à l’Angleterre. […] Il est vrai que le prélat Trissino, dans sa Sophonisbe, avait déjà fait renaître en Italie la tragédie régulière. […] Je ne remarque, comme pièces dramatiques, dans le catalogue, qu’une Jocaste, tirée des Phéniciennes d’Euripide, l’Andria et L’Eunuque de Térence, Les Ménechmes de Plaute et les tragédies de Sénèque. […] Les drames de Shakspeare ne sont point (dans le sens d’une critique rigoureuse) des comédies ou des tragédies, mais des compositions particulières, qui peignent l’état réel de ce monde sublunaire. […] Les anciens les employaient souvent, même dans la tragédie.
Quand Racine avait composé le sien, il disait : « Ma tragédie est faite ». […] Elle demande à la tragédie l’équilibre et la structure d’un bon raisonnement. […] J’ose même aller plus loin, et je me transporte parmi les habitudes du dix-septième siècle ; j’accepte des conventions dans la tragédie comme dans l’opéra. […] Bientôt la tragédie en déclin n’en conserva que les bienséances extérieures ; l’imitation répéta ce que le goût avait inventé, et les convenances devinrent des conventions. […] Qui ne voit naître au milieu d’une pareille vie le noble opéra lyrique qu’on appelle la tragédie de Sophocle, dithyrambe religieux et patriotique, composé pour des âmes neuves de sculpteurs et de citoyens ?
Celui-ci se serait senti vidé et aurait voulu éviter d’écrire de mauvaises tragédies de vieillesse comme Corneille. […] Nous y avons perdu peut-être une douzaine de tragédies, comme l’invention du calcul intégral, où Pascal était à deux doigts de devancer Leibnitz et Newton. Le calcul intégral a été inventé quand même, plus tard et par des étrangers, mais nul ne pouvait suppléer aux tragédies qu’eût écrites Racine : c’est une perte sèche. […] Quelqu’un a osé répondre que Corneille, Racine et La Fontaine n’ont pas inventé non plus leurs tragédies ou leurs fables. […] La tragédie et l’alexandrin existaient avant lui, comme le style dorique avant le Parthénon.
« Désireux de la vie et ne pouvant pas vivre35 », poussés vers l’amour par l’implacable nature et impuissants à aimer, hantés par les passions, et desséchés par un esprit d’analyse qui refrène perpétuellement ces élans du cœur sans pourtant les tuer tout à fait, ils sont un composé de deux principes hostiles, se meurtrissant sans repos dans leur lutte l’un contre l’autre ; et leur âme est le théâtre où se joue cette lamentable tragédie intérieure dont chaque personnage est une partie d’eux-mêmes. […] Des douleurs et des passions, même vraies et sincères, si elles ne revêtent la splendeur poétique et décorative de la tragédie grecque ou du grand drame héroïque, le trouveront indifférent, à moitié hostile : Des médecins et des notaires en cravate blanche qui viennent pleurer dans le trou du souffleur parce que leurs femmes les ont en cornifistibulés, c’est bête et assommant ! […] Il en refoula l’expression jusqu’aux plus secrètes profondeurs de son être : jamais un mot ne lui échappa sur les terribles tragédies domestiques dont il fut témoin dans la maison familiale, et qui, il y a plusieurs mille ans, n’eussent pas été déplacées dans le palais d’Atrée. […] La différence des époques est tranchée d’une manière encore plus sensible, si l’on rapproche un tableau de la Renaissance, les Noces de Cana par exemple, de telle autre toile d’un maître contemporain, ou les tragédies de Corneille des drames de Victor Hugo ; chez les artistes d’aujourd’hui on découvre perpétuellement un souci des objets ambiants, de la nature et des circonstances extérieures, du décor et de l’entourage matériels qui n’était certes pas connu jadis et qui se répète avec trop de fréquence pour qu’on ne soit pas obligé d’y voir la marque d’une transformation psychologique générale. […] Ceux qui les suivirent s’appliquèrent à une observance plus stricte encore des préceptes indiscutés ; comme il est toujours relativement facile de s’assimiler un mécanisme, on enfanta des tragédies avec la même abondance que l’on publie maintenant des volumes de vers, et, jusqu’au jour où la mesure fut comble, ces élucubrations dont il n’a rien survécu, servirent à conserver dans l’opinion le culte du dogme et la foi dans son efficacité.
Pour la foule, et je joins à la foule la plupart des amateurs, dont le jugement a eu les musées pour serre chaude, la réalité est fausse, le conventionnel est vrai ; en effet, les peintures renfermées dans les musées, et qu’on lui montre toujours comme types, sont des peintures rousses, noires, vertes, grises, des peintures idéalisées, arrangées, plus propres à détraquer une tête de peintre qu’à l’assainir, car la vérité en est presque généralement absente ; le beau devrait donc se faire roux, noir et vert comme les maîtres ; et Dieu sait que chez ces maîtres il y a des arrangements de lumière, du théâtre, de la tragédie enfin. […] Depuis sa glorification du théâtre jusqu’à sa théorie de la métempsycose, et, du reste, c’est à peu près tout ce que le livre contient, c’est une série de couplets sur tous les airs connus, finissant tous par des traits adorables, mais peu compréhensibles : « Le théâtre, c’est le Golgotha de l’idée. » « Le poète dramatique est le grand invisible de la poésie. » « La tragédie est le nez du théâtre, le drame en est la figure. » « Lovelace, c’est l’envers de l’orgueil, c’est la modestie de Satan. » « Le poète souverain est celui qui frappe à son effigie la plus grande somme d’humanité. » « Socrate n’est pas Socrate ! […] vous supportez patiemment ces injures dans les Champs-Élysées où vous faites d’éternelles tragédies, de sacrés poèmes épiques et une si magnifique consommation d’adjectifs. […] Et ces grandes allures poétiques les mènent à ne sentir ni le présent, ni le passé, ni la foi, ni la vie qu’ils dénaturent et troublent dans leurs poèmes antiques ou chrétiens, dans leurs tragédies et dans leurs comédies d’aujourd’hui, Quelle foule ont-ils encore remuée jusque dans les entrailles ? […] J’ai sorti la tragédie des vieilles armoires où on la conservait pour les jours de fête et j’en ait fait un habit pour les jours de la semaine ; j’ai pris la comédie et y ai mis mon pouce, éternel cachet avec lequel elle arrivera devant l’avenir.
Elle ajoûte qu’on ne laisse pas d’avoir encore du plaisir à la répresentation d’une tragédie qu’on a déja vûë, et qu’ainsi ces surprises que je demande ne sont pas nécessaires. […] On peut avoir deux sortes de plaisir à la répresentation d’une tragédie. […] Hardy a fait lui seul presque autant de tragédies que tous les autres poëtes ensemble. […] Le poëme épique, la tragédie et la comedie sont de la prémiere. […] Et s’il avoit donné comme traduction la tragédie dont il est l’inventeur, nous aviserions-nous de penser qu’il eût rien fait perdre à son original ?
En six siècles, ils ont fait à peine un pas hors des mœurs et des sentiments de leur inculte Germanie ; le christianisme qui a trouvé prise sur eux par la grandeur de ses tragédies bibliques et la tristesse anxieuse de ses aspirations, ne leur apporte point la civilisation latine ; elle demeure à la porte, à peine accueillie par quelques grands hommes, déformée, si elle entre, par la disproportion du génie romain et du génie saxon, toujours altérée et réduite, si bien que pour les hommes du continent, les hommes de l’île ne sont que des lourdauds illettrés, ivrognes et gloutons, en tout cas sauvages et lents par tempérament et par nature, rebelles à la culture et tardifs dans leur développement. […] La fine élégance est devenue débauche ignoble ; le doute délicat s’est tourné en athéisme brutal ; la tragédie avorte, et n’est qu’une déclamation ; la comédie est effrontée et n’est qu’une école de vices ; de cette littérature, il ne subsiste que des études de raisonnement serré et de bon style ; elle-même est chassée de la scène publique presque en même temps que les Stuarts au commencement du dix-huitième siècle, et les maximes libérales et morales reprennent l’ascendant qu’elles ne perdront plus.
Nous admirons une méditation de M. de Lamartine, une tragédie de Schiller, un chant de Gœthe, parce que nous y retrouvons notre idéal. […] Qui est-ce qui lit la Henriade ou les tragédies en dehors du collège !
Sa famille habitait la province de l’Inde que nous appelons aujourd’hui le Décan, à l’occident des hautes montagnes et des vastes forêts qui versèrent leur ombre et leurs terreurs sacrées sur l’âme du jeune poète. » XII Un autre drame de l’Eschyle indien, Bavahbouti est une tragédie historique et mythologique sur le héros demi-dieu Rama. […] Ses lamentations sur le sort de sa fille ont autant de douleur et plus de piété que celles de Priam ou d’Hécube dans les tragédies grecques : « Le chagrin, comme une scie aux dents aiguës, déchire sans cesse mon cœur.
On continua d’y jouer quelquefois les belles tragédies faites pour la maison, mais on les joua entre soi, sans témoin du dehors et sans qu’aucun homme (fût-il un saint) y assistât.
Bossuet voulut, à cet âge, faire aussi des vers, et cela va sans dire, des vers religieux ; il s’appliqua à traduire en vers français quelques-uns des psaumes ; il s’en remettait pour la révision à l’abbé Genest, un des abbés de la Cour naissante de Sceaux, auteur d’une tragédie sacrée, un assez pauvre poète et, je pense, un mince critique ; mais Bossuet, qui traduisait ces psaumes par esprit de pénitence, les lui soumettait avec une égale humilité.
Non, il n’est pas jaloux de Byron, quoiqu’il ait dit de lui un jour, faisant remarquer que ce grand révolté n’observait de règle que celle des unités dans ses tragédies : « Cette limite qu’il se posait en observant les trois unités convenait d’ailleurs à son naturel, qui tendait toujours à franchir toutes limites.
C’est ainsi que le roman, le drame sont essentiellement plus modernes que le poëme épique et que la tragédie.
Quant à la tragédie,… il n’en est qu’une ; Romains, montons au Capitole ; retournons à Polyeucte, et allons demain applaudir Chimène.
… C’est d’une telle supposition que les anciens ont tiré les plus terribles effets de leurs tragédies : ils attribuent à la fatalité les actions coupables d’une âme vertueuse ; cette invention poétique, qui fait du rôle d’Oreste le plus déchirant de tous les spectacles, l’esprit de parti peut la réaliser ; la main de fer du destin n’est pas plus puissante que cet asservissement à l’empire d’une seule idée, que le délire que toute pensée unique fait naître dans la tête de celui qui s’y abandonne ; c’est la fatalité, pour ces temps-ci, que l’esprit de parti, et peu d’hommes sont assez forts pour lui échapper.
A travers les romans chevaleresques et pastoraux, les élégies et les tragédies, la conception des troubadours s’étalera, s’épanouira, jusqu’à ce qu’elle rencontre ses formules définitives, philosophique dans Descartes et poétique dans Corneille, qui en feront saillir un élément de vérité.
Il n’a point les ardeurs naïves, les admirations intolérantes de tel romanisant qui, parce qu’il a consacré sa vie à cette littérature, ne voit rien au monde de plus beau et, pour peu qu’on le pousse, vous met la Chanson de Roland au-dessus de l’Iliade et le Mystère de la Passion au-dessus des tragédies de Racine.
Il n’est pas mauvais de s’être essayé à la tragédie dans les conservatoires ou la peinture d’histoire dans les athénées, même si l’on doit fleurir comme « artiste de genre ».
J’avais moi-même entrepris d’écrire une tragédie sur ce sujet.
» — Et il déclare qu’il entend faire des tragédies tragiques, qui arrachent le cœur au lieu de l’effleurer.
» Mme Récamier était au supplice ; Mme Bacciochi voulait rester jusqu’à la fin de la tragédie, peut-être à cause de sa sœur Pauline.
Parlant, il y a quelque temps, d’Horace Walpole dans la Revue des deux mondes, et jugeant le roman et la tragédie que s’avisait de composer à un certain jour cet esprit distingué, M. de Rémusat y reconnaît bien quelques mérites d’idée et d’intention, mais il n’y trouve pas le vrai cachet original, et il ajoute avec je ne sais quel retour sur lui-même : « Le mot du prédicateur : Faites ce que je vous dis, ne faites pas ce que je fais, est l’éternelle devise des esprits critiques qui se sont mêlés d’inventer. » Si M. de Rémusat a, en effet, pensé à lui-même et à ses essais de drames en écrivant ce jugement, il a été trop sévère ; je suis persuadé que, pour être artiste, c’est-à-dire producteur d’ouvrages d’imagination, pleins d’intérêt, il ne lui a manqué que d’être un peu moins nourri dès son enfance dans le luxe fin de l’esprit, et d’être aiguillonné par la nécessité, cette mère des talents.
Les Anglais ont assez bien traduit quelques tragédies de Racine ; je doute qu’ils traduisissent avec le même succès les fables de La Fontaine, l’ouvrage peut-être le plus original que la langue française ait produit ; l’Aminte, pastorale pleine de ces détails de galanterie, et de ces riens agréables que la langue italienne est si propre à rendre, et qu’il faut lui laisser ; enfin les Lettres de madame de Sévigné, si frivoles pour le fond, et si séduisantes par la négligence même du style.
De même, chez nous au xviie siècle, Corneille et Racine indiquent tout de suite de la sorte quel est le personnage saillant de la tragédie.
L’amour individuel, « l’amour éprouvé se complaisant en soi et se bâtissant lui-même toute sa tragédie », cet amour-passion que Stendhal goûtait chez les autres avec un plaisir un peu artificiel, est, pour M.
Racine le loua indirectement dans ses tragédies et dans quelques pièces détachées ; Molière dans ses comédies aujourd’hui peu connues, qu’il fit pour les fêtes de Versailles.
Eschyle d’ailleurs n’en faisait pas d’autres, et son Prométhée enchaîné n’ouvre pas la bouche pendant toutes les premières scènes de la tragédie. […] Les tragédies et les épopées de Soumet ne donnent pas l’idée d’un poète tragique et d’un poète épique, mais seulement d’un poète. […] Il s’agissait de rajeunir la tragédie, de lui infuser un peu de sang rouge dans les veines, et d’assouplir ses draperies de marbre. […] À la rigueur, leur tragédie eût pu s’appeler drame, mais cela eût été bien vif pour un sujet romain traité en vers. […] Et les deux partis avaient raison : le drame lui doit autant que la tragédie.
L’art sacré et réel — le Naturisme — ne s’occupera jamais des âmes. » Et n’est-ce pas dans ce même esprit que le jeune écrivain, au cours d’une méditation sur l’émotion, promulguait : « Peu importent, en effet, les anonymes acteurs de la tragédie humaine, seuls leurs rôles surent nous toucher ! […] Mais c’est surtout dans la tragédie et dans le roman, qu’il faut en attendre d’immédiates réalisations. […] Pétris de la poussière, du sang et de la chair de toute une race, ils en gardent la mémoire auguste, et ils y sont consubstantiels. » Ainsi dans les tragédies qu’il rêve, M. de Bouhélier ne placera point des personnages légendaires ou allégoriques.
C’était l’époque où madame Récamier, cherchant à amuser l’inamusable M. de Chateaubriand avec les hochets de sa propre gloire, faisait lire chez elle devant lui, et devant un auditoire trié avec soin, la tragédie de Moïse, essai dramatique du grand écrivain ; c’était l’époque aussi où M. de Chateaubriand faisait confidence de quelques pages de ses Mémoires secrets à quelques-uns de ses contemporains d’élite dans le salon ouvert à un seul battant de son amie ; on invitait à ces solennités un aussi grand nombre de privilégiés que l’exiguïté de l’appartement en pouvait contenir. […] Les vers étaient beaux, raciniens, bibliques, dignes d’une main qui avait façonné tant de prose en rythmes aussi sonores que les plus beaux vers ; l’originalité seule manquait : c’était un écho de Racine et de David, ce n’était ni David ni Racine : c’était leur ombre, un pastiche d’homme de génie, mais pastiche ; cela ressemblait aux tragédies en monologues du Piémontais Alfieri, ce faux Sénèque d’une fausse Rome.
Il fit imprimer en même temps, chez Didot, les quatorze tragédies mort-nées qu’il s’était imposé la tâche d’écrire comme des exercices d’écolier classique, plus que comme des effusions de sa nature, et il alla se confiner, avec sa gloire inédite en poche, dans sa retraite de Florence. […] Cette tragédie de parade ressemble à Shakspeare comme l’éloquence de club à l’éloquence de Cicéron ou de Mirabeau.
Port-Royal fulminait contre les auteurs dramatiques qui, par la plume de Nicole, furent qualifiés d’empoisonneurs d’âmes ; et en même temps il faisait lire aux écoliers les tragédies de Sophocle et d’Euripide qui allaient éveiller le génie de Racine et le pousser du côté du théâtre. […] surtout latinistes, fait une sorte de cours d’histoire romaine en sept ou huit tragédies.
Mais il ne s’en tient pas là, il va jusqu’à dire que Lohengrin a une signification comparable pour nous, à celle qu’avait pour les Grecs Antigone, au moment où le génie de Sophocle conçut cette tragédie. Ceci revient à dire que Lohengrin n’est pas seulement la tragédie de l’artiste, mais qu’elle est aussi celle de l’homme moderne en général.
XVI Nous savons bien, nous le répétons encore, qu’en dehors de cette supériorité ou de cette infériorité relative des genres dans la poésie, il y a la supériorité ou l’infériorité des poètes, qui dément souvent cette classification par la souveraine exception du talent ; que tel poète épique, comme Homère, par exemple, est égal ou supérieur à tel poète lyrique, comme Orphée ; que tel poète dramatique, comme Shakespeare, par exemple, dépasse tous les poètes épiques des temps modernes, et contient, dans son océan personnel de facultés poétiques, l’hymne, l’ode, le récit, le drame, la tragédie, la comédie, l’élégie, tout ce qui vibre, tout ce qui pense, tout ce qui chante, tout ce qui agit, tout ce qui pleure, tout ce qui rit dans le cœur de l’homme aux prises avec la nature. […] La Juliette de Shakespeare, dans la tragédie de Roméo, n’a ni plus de passion, ni plus de langueur, ni plus d’innocence que Damayanti.
Rien ne ressemble à une Chanson de geste comme une autre Chanson de geste, si ce n’est un Roman de la Table-Ronde à un autre Roman de la Table-Ronde, un Conte à un autre Conte, ou enfin un Mystère à un autre Mystère ; et deux gouttes d’eau ne sont pas plus semblables, ou, pour mieux dire, deux tragédies classiques, ni deux romans naturalistes. […] Nous en avons beau connaître les auteurs, les œuvres ne laissent pas pour cela d’être toujours anonymes, à la manière, disions-nous, de ces tragédies de La Harpe, — qui pourraient être de Marmontel, et réciproquement.
C’est pour elle qu’il commença de traduire quelques comédies de Plaute, quelques tragédies de Sénèque, telles que la Médée, l’Hercule furieux.
C’est ainsi qu’un jour Népomucène Lemercier, dans son Cours de littérature dramatique, traduisit le nitique cothurno qu’Horace applique à la tragédie d’Eschyle, par briller de l’éclat du cothurne.
Quand on est lettré soi-même, on sourit involontairement d’abord de voir la critique de Napoléon s’appliquer à l’examen de chacune de ces campagnes fameuses dans l’histoire comme on procéderait au jugement d’une œuvre d’esprit, d’une épopée, d’une tragédie : mais n’est-ce pas une œuvre de génie également ?
Pourquoi, chez les Grecs en peu d’années, Eschyle, Sophocle et Euripide, comme animés d’un même souffle divin, donnent-ils coup sur coup l’éclat et la perfection à la tragédie ?
Autrefois, durant la période littéraire régulière, dite classique, on estimait le meilleur poëte celui qui avait composé l’œuvre la plus parfaite, le plus beau poëme, le plus clair, le plus agréable à lire, le plus accompli de tout point, l’Énéide, la Jérusalem, une belle tragédie.
C’eût été une tentative moins facile et plus belle d’aborder l’âme du grand homme, de la retracer, non point par des expressions générales qui conviendraient aussi bien au métromane durant la représentation de sa tragédie, mais par une analyse rapide et forte qui ne convînt qu’au seul Colomb entre tous ; de nous le reproduire tel qu’il dut être, doutant par moments de lui-même, de ses inductions, de ses calculs, et se laissant aller à de mortelles défaillances, puis recommençant avec anxiété et les calculs et les inductions, s’enhardissant à mesure qu’il les recommence, et, certain encore une fois de sa conclusion, se relevant avec un geste sublime, comme plus tard Galilée quand il s’écriait : Et pourtant elle tourne !
présentement (1716), qui sache faire des vers marqués au bon coin. » Au même moment, il traite l’auteur du Diable boiteux comme un faquin du plus bas étage : « L’auteur, écrit-il, ne pouvoit mieux faire que s’associer avec des danseurs de corde : son génie est dans sa véritable sphère. » Réfugié à Bruxelles en 1724, il prie son ami l’abbé d’Olivet de lui envoyer un paquet de tragédies ; en voici la liste : elle serait plus complète et plus piquante, si Rotrou ne s’y trouvait pas : Venceslas, de Rotrou ; Cléopâtre, de La Chapelle ; Géta, de Péchantré ; Andronic, Tiridate, de Campistron ; Polyxène, Manlius, Thésée, de La Fosse ; Absalon, de Duché.
Les Discours en vers de Millevoye, ses Dialogues rimés d’après Lucien, ses tragédies, ses traductions de l’Iliade ou des Églogues selon la manière de l’abbé Delille, nous semblent, chez lui, des thèmes plus ou moins étrangers, que la circonstance académique ou le goût du temps lui imposa, et dont il s’occupait sans ennui, se laissant dire peut-être que la gloire sérieuse était de ce côté.
Cependant le même Chapelain avait eu l’idée du Dictionnaire de l’Académie, ce monument de la langue classique : et il avait de toutes ses forces travaillé à réduire la tragédie aux imités, c’est-à-dire au type idéal du drame classique.
Faguet (né en 1847) : Seizième siècle ; Dix-septième siècle ; Dix-huitième siècle ; Dix-neuvième siècle ; Politiqus et Moralistes du xixe siècle ; Notes sur le théâtre contemporain, 3 séries ; Lecène et Oudin, 8 vol. in-18 de 1885 à 1894 ; La tragédie du xvie siècle, 1 vol. in-8, Hachette, 1883 960.
Ses Maximes ne quittent guère les hauteurs de la vie publique, et sa morale ressemble à celle de la tragédie, dont les héros sont des rois, et les événements des catastrophes.
Elle fut assaillie d’orages dès le berceau, Comme si, dès ce temps, la Fortune inhumaine Eût voulu m’allaiter de tristesse et de peine, ainsi que lui fait dire un vieux poète dans je ne sais quelle tragédie.
Madame aimait l’esprit, le distinguait en lui-même, l’allait chercher, le réveillait chez les vieux poètes, comme Corneille, le favorisait et l’enhardissait chez les jeunes, comme Racine ; elle avait pleuré à Andromaque, dès la première lecture que le jeune auteur lui en fit : « Pardonnez-moi, madame, disait Racine en tête de sa tragédie, si j’ose me vanter de cet heureux commencement de sa destinée. » Dans toutes les cours qui avaient précédé de peu celle de Madame, à Chantilly, à l’hôtel Rambouillet et à l’entour, il y avait un mélange d’un goût déjà ancien, et qui allait devenir suranné : avec Madame, commence proprement le goût moderne de Louis XIV ; elle contribua à le fixer dans sa pureté.
Il trouva partout de l’écho, et il n’y eut qu’une voix opposante : ce fut celle d’un auteur autrefois très protégé de la Cour, Laignelot, qui avait fait une tragédie d’Agis quelques années avant la publication et le succès d’Anacharsis, et qui en avait conçu de la jalousie de métier.
III Il n’y a pas à insister sur les cas où le Bovarysme est chez l’individu cause de tragédie.
Mais, ne craignons pas d’en faire la remarque, puisque l’occasion s’en présente, Voltaire a bien méconnu l’esprit des traditions lorsqu’il a composé sa tragédie de Mahomet.
Quand il dit ses vers ou qu’il les chante, avec cette voix stridente qui semble ne plus sortir d’entrailles humaines, il a ce que Voltaire exigeait qu’on eût quand on jouait la tragédie : il a, positivement, le diable au corps.
Avant de l’avoir lue, on croyait que cette phrase : sur un trône ou dans les fers, ne pouvait être employée qu’en style de tragédie ; et l’on s’aperçoit en la lisant que le mouvement des idées l’amène, que l’esprit ne se guinde pas pour y atteindre, que la noblesse du ton l’y conduit.
Le fond de ses idées sur cette matière, c’était que l’opéra devait être la conspiration de tous les arts, et qu’il en était, jusqu’à ce que Wagner vînt, la dissociation : c’était que le modèle de l’art théâtral et dramatique est la tragédie grecque, et que l’opéra, après avoir été, consciemment ou non, un effort pour revenir à la tragédie grecque, en était devenu une manière de caricature, c’était qu’il fallait revenir nettement à ce concours de tous les arts en vue d’un effet d’ensemble que la tragédie grecque avait réalisé. — Le « poème musical », c’est purement et simplement la tragédie grecque avec tous les moyens nouveaux que l’art de la versification, l’art du chant, l’art orchestrique, l’art de la décoration et l’art de la mise en scène ont pu trouver. […] Les Grecs, comme art, faisaient de la tragédie le concours et la conspiration amicale de toutes les formes d’art qu’ils connaissaient. […] La tragédie grecque, synthèse de musique, poésie, danse, évolutions rythmiques, sculpture et architecture, était œuvre d’art intégrale ; c’est précisément pour cela qu’il faut que l’œuvre moderne ne le soit pas. » J’ai trouvé cette objection devant moi, il y a quelque vingt ans, alors que, wagnérien sans le savoir, je soutenais que la tragédie grecque était un opéra et qu’elle avait bien raison de l’être et que tout effort pour réintégrer ainsi l’œuvre dramatique était un très louable effort. […] D’abord elle tendrait à représenter la tragédie grecque comme une œuvre barbare, et j’ai beau « me mettre au point de vue », il m’est très difficile d’accorder ici mon goût avec la doctrine évolutionniste, quelque respect que j’aie pour elle. — Ensuite, tout en reconnaissant très bien que la division et subdivision successive des genres est une loi de l’histoire littéraire (voir, si l’on veut, tout ce que j’en dis dans mon Drame ancien, drame moderne) et tout en rattachant, si l’on y tient, cette loi littéraire aux lois générales de l’évolution universelle, je ferai remarquer qu’elle est funeste, et que c’est le plus noble effort de l’humanité que de tenter d’y échapper, et que c’est précisément le rôle du génie de s’y soustraire. […] Stapfer, peut-être par un peu de coquetterie, peut-être par un peu de pessimisme et de découragement, s’excuse, en finissant, d’avoir écrit cinq cents pages d’archéologie, l’éloquence sacrée étant morte, absolument morte, ce qui s’appelle morte, comme la jument de Roland, pis que cela, « comme la tragédie ».
Sous ce rapport, aux romans de Balzac, les romans de Feuillet sont à peu près ce que sont les tragédies de Corneille aux comédies de Molière : ils sont aux romans de George Sand, — qui finissent presque toujours trop bien, par quelque bon mariage ou par quelque adultère confortable, — ce que la tragédie de Racine est aux comédies de Marivaux. […] De telle sorte que, dans le roman comme dans la tragédie, la qualité des personnages a cet effet singulier, mais certain de modifier à la fois la qualité de la psychologie, celle du drame, et, conséquemment, celle de l’émotion. […] Mais il suffira que l’on voie qu’en se limitant à la peinture du monde, il a eu ses raisons ; que ces raisons sont esthétiques ; et qu’à travers les siècles écoulés, elles rattachent ses romans à la lignée de la Princesse de Clèves, si l’on ne veut pas que ce soit plutôt encore à celle de la tragédie de Racine. […] La différence est justement celle de la tragédie à la comédie de la vie. Feuillet ne s’est guère intéressé qu’à la tragédie de la vie ; et le plus « romanesque » de nos romanciers se trouve être, à cet égard, celui dont l’œuvre enferme le plus de sens et le plus de moralité.
… » On sait le rôle qu’il choisit dans la tragédie de son époque. […] Dans notre période classique, cette dernière a pour représentant le Voltaire des tragédies. […] Rien de plus contraire au procédé voltairien, à ces tragédies froides et déclamatoires, où les héros ne sont que des porte-parole de l’auteur. […] Vous avez eu le secret d’en faire une idylle dont la grâce émue est baignée de rêve, et qui devient, à une minute, celle des adieux de vos Amants, une tragédie à la Bérénice. […] Je me rappelle si bien le hochement de tête qu’il eut pour me dire, à propos d’un article enthousiaste que je venais d’écrire sur ces lettres : « Vous avez bien vu la tragédie de ce mariage.
M. d’Annunzio est bien un dionysiaque, et Nietzsche l’aurait loué d’avoir reconnu en Dionysos le dieu non pas seulement du vin, mais de la tragédie. […] Sur Racine notamment, il est d’une criante iniquité : La vêture antique de sa tragédie a paru étrange, après que fut abandonnée l’habitude de transposer l’art en des formes du passé… La tragédie classique ressemble moins à son modèle hellénique qu’une fleur artificielle à une fleur de la nature. […] Le désaccord entre leurs façons et les noms lointains qu’ils portent fait de laides taches au drame racinien et, par endroits, le gâtent de ridicule… La tragédie de Racine porte la marque trop visible d’un certain temps où régnait une certaine mode. […] Les héros de tragédie, composés d’éléments divers et animés par le don créateur du poète, ne représentent à vrai dire ni l’antiquité, ni les temps modernes, mais l’humanité éternelle. […] Élémir Bourges, que cette tragédie philosophique ne soit point écrite en vers.
La ville prise, elle et sa mère se hâtaient sur la route de Lyon, quand elles rencontrèrent quelqu’un de leur connaissance qui leur annonça que Johannot était mort dans les prisons : cette nouvelle leur perce le cœur ; la mère refuse de faire un pas de plus, la fille veut aller chercher le corps de son père ; elle chemine pleurant ; puis au loin, sur la route, elle aperçoit… son père lui-même vivant et délivré ; qu’on juge des émotions de ces tragédies ! Mais ou n’était pas à bout de tragédies.
Nous n’échappons pas nous-même à la toute-puissance sensuelle de ce spectacle où le poète compose et versifie, où le peintre décore, où l’architecte construit, où la danseuse enivre l’œil par la beauté, le mouvement, l’attitude ; où le déclamateur récite, où le personnage tragique ou comique rit et pleure, se passionne, tue ou meurt en chantant ; où l’orchestre enfin, semblable au chœur de la tragédie antique, accompagne et centuple toutes ces impressions du drame par ces soupirs ou par ces tonnerres d’instrumentation savants qui caressent ou qui brisent chaque fibre sonore du faisceau de nos nerfs en nous. […] Nous concevons que la foule s’y trompe et que la musique ne dise rien à ses oreilles sourdes, à moins qu’un orchestre immense ne lui fasse du bruit, que des paroles ne lui interprètent des notes, et qu’une tragédie ne lui traduise ces paroles et ces notes par ses gestes, par son accent et par sa physionomie.
Or, Voltaire, au même moment, se flattait de faire des tragédies plus tragiques, plus pathétiques que celles de ses devanciers, ou, comme il disait, d’armer Melpomène d’un poignard plus acéré. […] Songe-t-on que les odes de Pindare et les tragédies d’Eschyle naquirent ainsi presque sur commande et osera-t-on affirmer que ce miracle ne pourra jamais se répéter ?
Les classiques ont produit des chefs-d’œuvre que nous avons tous encore dans la mémoire, mais le temps des tragédies était passé lorsque Chateaubriand et tous ceux qui l’ont suivi sont venus apporter au siècle nouveau une poésie nouvelle, — la vraie poésie de notre siècle. […] Le même phénomène se produit dans les sociétés en décadence et chez leurs écrivains ; ceux-ci sont des automates répétant indéfiniment sans se lasser des formules toutes faites, fabriquant des poèmes et des tragédies avec de la mémoire, des sonnets selon la formule, et ne pensant que par centons.
Cette colère va jusqu’à la tragédie dans un de ces journaux qui m’a envoyé récemment à son tour son invective circulaire. « Pourquoi ma plume », s’écrie le rédacteur en finissant, « n’est-elle pas une épée, et pourquoi ne peut-elle te percer le cœur du même fer dont notre compatriote, le colonel Pepe, te perça autrefois le bras ? […] Ozanam cite ici l’interprétation philosophique et symbolique de la Divine Comédie par le fils du Dante lui-même, si peu de temps après la mort de son père, et à un moment où la tragédie paternelle devait retentir encore dans l’oreille du fils.
La romance est une tragédie, et pis qu’une tragédie, une dérision.
C’est un homme unique : ses pièces touchent à la tragédie, elles saisissent, et personne en cela n’ose l’imiter.
Relisons la belle page de Guillaume Schlegel dans laquelle il compare les chefs-d’œuvre de la tragédie antique aux groupes du Laocoon et de la Niobé : voilà les images qui conviennent à cet ordre de beautés nobles, sublimes ou tendres.
En lisant cette histoire de Louvois, en la voyant ainsi montrée à nu et comme par le revers de la tapisserie, je crois entendre continuellement ce mot de la tragédie grecque, qui résonne et se murmure de lui-même à mon oreille ; « S’il faut violer le droit, c’est pour l’empire et la domination, c’est en haute matière d’État qu’il est beau de le faire : dans tout le reste, observe la bonne foi et la justice. » Je paraphrase un peu là parole d’Euripide, cette parole si détestée de Cicéron.
Et dans la tragédie dégénérée, Voltaire lui-même est un éloquent pousseur de tirades plus qu’un poète.
Il avait fait sa tragédie à dix-huit ans, — une Mort d’Achille, — plus deux comédies.
Qu’est-ce que le tracas de notre fourmilière à côté de cette tragédie minérale à laquelle nous n’avons pas assisté, combats de l’eau et du feu, épaississement de la croûte, formation de l’océan universel, construction et séparation des continents ?
Il employa son existence à rééditer dix sonnets, six poèmes en vers un peu plus étendus, quinze poèmes en prose, une scène de tragédie et quelques fragments théoriques.
Il avait composé une tragédie imitée de Sophocle, une Électre, sur laquelle il fondait toutes sortes d’espérances comme la Perrette du pot au lait.
Dès l’âge de sept ans, ayant avisé, d’une terrasse voisine de sa chambre, de petits paysans qui venaient couper des joncs près d’un étang, elle imagina de leur donner des leçons et de leur enseigner ce qu’elle savait, le catéchisme, quelques vers des mauvaises tragédies d’une Mlle Barbier, et de la musique.
Le jeune Droz se distingua au collège de Besançon ; il avait de l’ambition littéraire, dit-il, et, comme tout rhétoricien qui promet, il avait, en finissant sa rhétorique, achevé sous main sa tragédie.
Avec la fin de l’une on a fait mainte tragédie pleine de larmes ; avec celle de l’autre on ne ferait qu’un fabliau.
Voyez, après les luttes des arminiens et des gomaristes, de quel air superbe Sparanus Buyter, la poche pleine des florins de Maurice de Nassau, dénonce Josse Vondel, et prouve, de par Aristote, que le Palamède de la tragédie de Vondel n’est autre que Barneveldt ; rhétorique utile, d’où Buyter extrait contre Vondel trois cents écus d’amende et pour lui une bonne prébende à Dordrecht.
Un dénouement de tragédie est moins profondément triste. « Levez-vous, vents de ma pensée, qui dissiperez cette cendre ! […] Étienne de Beaumont une bien curieuse tragédie en quinze actes, qui dure une demi-heure en tout, « chaque vocable-îlot doit, dans la page, présenter des contours abrupts. […] Un drame de Shakespeare, une tragédie de Corneille ou de Racine, ressemble à tout ce qui se faisait à l’époque, et le Panthéon à tous les temples grecs.
On dira peut-être que sa prose exprime sa nature, et que dans ses tragédies il rédige un devoir scolaire, on le dira à tort. […] Il est même inutile de supposer un calcul là où il n’y a, en réalité, que l’association ingénue d’un mot et d’un sentiment… Tout mot, toute locution, les proverbes mêmes, les clichés, vont devenir pour l’écrivain émotif des noyaux de cristallisation sentimentale. » Voilà exactement ce qui se passe chez Voltaire poète tragique, précisément parce qu’il est un émotif, quand il fait des tragédies, alors qu’il est le contraire quand il écrit l’Essai sur les Mœurs ou Candide. […] Louis XIV n’est pas seulement un grand roi, il est le grand roi, parce qu’il a réalisé le style de la royauté, de la même manière que Racine a réalisé le style de la tragédie, La Fontaine le style de la poésie, La Bruyère le style de l’analyse psychologique et sociale. […] Racine a fait tenir dans Athalie toute la lutte de l’Église et de l’État : le schème moteur qu’il a monté dans sa tragédie, et qui en dépasse l’aventure particulière, prend corps pour nous aussi bien dans la querelle des Investitures que dans la politique de M.
Son frère aîné (Marcellin de Fontanes), mort, je l’ai dit, en 1772, à l’âge de vingt ans, et doué lui-même de grandes dispositions poétiques, avait composé une tragédie qu’il avait adressée à Voltaire, aussi bien qu’une épître déjeune homme, et il avait reçu une de ces lettres datées de Ferney, qui équivalaient alors à un brevet ou à une accolade. […] Des ébauches de tragédies qu’il conçut alors, Thrasybule, Thamar, Mazaniel, n’eurent pas de suite et n’aboutirent qu’à quelques scènes. […] Souvenons-nous de ces vers d’une belle tragédie : Ces lions, que leur maître avait rendus plus doux, Vont reprendre leur rage et s’élancer sur nous ; ……………………………………….. […] M. de Fontanes, qui s’en tenait aux anciens, s’irritait surtout qu’on en vînt à causer comme de la prose le beau vers racinien un peu chanté. — Souvent, dans ces conversations du soir, l’Empereur indiquait à Fontanes et développait à plaisir d’étonnants canevas de tragédies historiques ; le poëte en sortait tout rempli.
et nous faisons des tragédies sur Ulysse… tout cela est insensé ! […] Toujours le système de la vieille tragédie renaîtra de ses cendres. […] Toujours le système de la vieille tragédie renaîtra de ses cendres. » Cette vieille plaisanterie, on la répète, M. […] Je ne sais trop ce qu’il entend par ce système de la vieille tragédie qui renaîtra toujours de ses cendres.
La tragédie, la comédie, les chœurs de danse, les jeux gymniques, sont une partie du culte. […] Pour eux, cet « enthousiasme » est la piété, et, après avoir débordé par la tragédie du côté des émotions grandioses et solennelles, il s’épanche encore dans la comédie du côté des bouffonneries folles et de la licence voluptueuse. […] De Thalès à Proclus, leur philosophie s’est déroulée comme leur tragédie, autour de trente ou quarante thèmes principaux, à travers une infinité de variations, d’amplifications et de mélanges. […] Un de ces ballets sacrés, le dithyrambe, devint plus tard la tragédie grecque.
Les grandes compositions des muses modernes leur manquent : point de tragédies, point de drames, malgré les contes qu’avait fait le moine des îles d’Or, qui rapporte qu’un poëte provençal avait mis en vers toute l’histoire de Jeanne de Naples, à mesure, pour ainsi dire, que Jeanne exécutait elle-même son histoire. […] Un poëte provençal, si l’on en croit le moine des îles d’Or, mit en tragédie les principaux événements de cette vie aventureuse et passionnée, sous le règne même de Jeanne de Naples ; mais cette tradition paraît fausse.
Et, par exemple, en voyant Voltaire jouer de sa personne la tragédie à Lausanne où il était en ces années, et tout en convenant que sa déclamation était plus emphatique que naturelle, Gibbon sentit se fortifier son goût pour le théâtre français : « et ce goût, confesse-t-il, a peut-être affaibli mon idolâtrie pour le génie gigantesque de Shakespeare, laquelle nous est inculquée dès l’enfance comme le premier devoir d’un Anglais ».
Il est comme un homme délivré et qui respire librement ; il se remet à rire, à jouer la comédie et la tragédie en société ; il est heureux de cette bienveillance intelligente qu’il inspire, et de cette culture mêlée de simplicité qu’il rencontre au pied des Alpes.
Et il lui cite l’exemple de Voltaire ; ne croyez pas que ce soit comme une preuve éclatante et rare de la gloire littéraire ; il le lui cite pour lui montrer le néant de cette gloire contestée et troublée des grands écrivains : « Je songe quelquefois à Voltaire, dont le goût est si vif, si brillant, si étendu, et que je vois méprisé tous les jours par des hommes qui ne sont pas dignes de lire, je ne dis pas sa Henriade, mais les préfaces de ses tragédies. » Racine, Molière, « qui sont pourtant des hommes excellents », n’ont pas été plus heureux pendant leur vie ; ils n’ont pas joui plus paisiblement de la renommée due à leurs œuvres : « Et croyez-vous que la plupart des gens de lettres n’en eussent pas cherché une autre, si leur condition l’eût permis ?
L’auteur ne perd aucune occasion ni aucun prétexte d’insérer une historiette, une tragédie domestique, une jolie nouvelle.
La littérature classique bien conçue n’a pas seulement à s’occuper des chefs-d’œuvre de la langue, tragédies, épopées, odes, harangues et discours, elle ne néglige pas les victoires : je veux dire les victoires illustres, celles qui font époque dans la vie des nations.
Ceci me rappelle qu’un soir que Dugas-Montbel lisait, chez Mme Récamier, une tragédie traduite d’Eschyle ou de Sophocle, le marquis de Vérac qui s’était endormi se réveilla quand la lecture était déjà finie depuis quelques instants, et il dit tout haut : « L’intérêt se soutient. » On rit beaucoup.
Racine a pu faire de jolies épigrammes contre le Fontenelle poëte et auteur de tragédies ; mais convenons que Fontenelle prend bien sa revanche par la philosophie et la pensée.
Oui, j’en conviens, on ne peut méconnaître que, malgré ses taches et ses nuages, le soleil luit… On ne saurait méconnaître que, malgré quantité de tragédies détestables et ennuyeuses, Corneille ne soit sublime quelquefois… On ne saurait méconnaître que, malgré des fadeurs, des concessions au goût du jour, Racine ne soit souverainement pathétique et touchant…, que Molière… Je m’arrête.
Cette tragédie, si je ne me trompe, est au cinquième acte : le dénouement va paraître. » Il ne se serait point ouvert à lui, comme à un confident, sur le misérable caractère de cette royale famille espagnole, de ce brave homme ou benêt de roi, du prince des Asturies, de la reine, de ce méprisable et inséparable prince de la Paix qui, disait-il, avait l’air d’un taureau : « Le prince des Asturies est très-bête, très-méchant, très-ennemi de la France… La reine a son cœur et son histoire sur sa physionomie, c’est vous en dire assez. » Il ne lui eût pas confié ces princes en personne et ne les lui eût pas donnés tout d’abord pour hôtes à Valençay pour « les bien traiter et leur faire passer agréablement le temps », tout en lui recommandant de les isoler et « de faire surveiller autour d’eux. » Notez bien que cette année 1808, celle de la fourberie de Bayonne, ne fut point du tout une année de disgrâce pour Talleyrand.
Sa tête, mutilée et attachée à une pique par les vivandiers et les valets d’armée devant le tombeau de Patrobius, affranchi de Néron, puni par Galba, fut recueillie le jour suivant et réunie aux cendres de son corps déjà brûlé. » Quelle tragédie !
On aime mieux dire la tragédie que Melpomène, et la justice que Thémis, un homme qu’un mortel, l’épée que le fer, la cloche que l’airain.
Il vaut mieux qu’il soit comme il est ; car, s’il pensait comme nous, il ne serait, tout au plus, qu’un stérile dilettante, et cela nous est tout à fait égal qu’il méprise les bons et utiles Astiers-Réhus, et qu’il n’aime pas la tragédie, puisqu’il écrit le Nabab et Sapho.
C’est vraiment une tragédie à trois personnages, celui qui s’étale sur la toile vivant d’une vie aussi réelle que les deux autres.
Un jour, au quartier général d’Austerlitz, on causait de la tragédie des Templiers, alors dans sa nouveauté.
Seulement, sans se donner trop de peine, il remportait tous les prix à la fin de l’année ; il avait sa tragédie sur le chantier, comme tout bon rhétoricien ; il jouait des scènes d’Iphigénie avec un de ses camarades, aujourd’hui professeur de droit à Dijon, tous deux (l’Achille et l’Agamemnon) habillés en fantassins de ligne, et y allant bon jeu, bon argent.
Elle avait autrefois fait une parodie de la tragédie d’Inès de Castro sur l’air de Mirliton.
Il prit d’abord un parti plus sage, qui était de venir à Paris causer de Mme du Châtelet avec d’Argental et le duc de Richelieu, et de se distraire en faisant jouer devant lui ses tragédies dans sa propre maison.
Le grand cardinal de Richelieu était de même : faire une belle tragédie eût été une chose presque aussi douce à son cœur et lui eût paru une œuvre presque aussi glorieuse que de triompher des Espagnols et de maintenir les alliés de la France en Allemagne : les lauriers du Cid l’empêchaient de dormir.
M. le chancelier s’en contriste : tous les autres y prennent plaisir (1561). » Il gémit de ce vertige presque universel ; il sent que le peuple et la classe moyenne n’ont rien à gagner à ces querelles d’ambitieux qui se servent des passions et des croyances de tous pour arriver à leurs propres fins et se supplanter l’un l’autre : « S’il m’étoit permis de juger des coups, écrit-il, je vous dirois que c’est le commencement d’une tragédie qui se jouera au milieu de nous, à nos dépens ; et Dieu veuille qu’il n’y aille que de nos bourses !