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798. (1915) La philosophie française « II »

Bien rares, en France, sont les savants, les écrivains, les artistes et même les artisans qui s’absorbent dans la matérialité de ce qu’ils font, qui ne cherchent pas à extraire — fût-ce avec maladresse, fût-ce avec quelque naïveté — la philosophie de leur science, de leur art ou de leur métier.

799. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre II. Quelques traditions sur Pindare. »

Son nom demeura consacré dans l’admiration de la Grèce, comme celui d’un de ses génies les plus grands et les plus rares, d’autant plus qu’Athènes elle-même, cette Athènes si renommée pour la poésie et l’éloquence, n’avait produit, selon Plutarque34, aucun poëte lyrique, mais seulement un faiseur obscur de dithyrambes, Cinésias, dont il cite le nom avec ironie.

800. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « Essai, sur les règnes, de Claude et de Néron. Livre premier. » pp. 15-203

Il accorde sa confiance à deux jeunes infâmes d’une rare beauté (TACIT. […] C’est une étrange logique que de ranger au nombre des vicieux les hommes rares qui ont envié à l’admiration de leurs concitoyens les grandes actions qu’ils ont faites. […] Les prodiges sont rares sous les règnes heureux, et l’on en est moins effrayé. […] Comment avez-vous subitement perdu cette heureuse et rare disposition ? […] Que le petit nombre de ceux qui se tourmentent, qui même s’en imposent, pour trouver des excuses aux grands hommes, est rare, et qu’ils me sont chers !

801. (1895) Nos maîtres : études et portraits littéraires pp. -360

Les épithètes notant les sensations étaient rares, vagues, peu variées : mais les actes étaient liés par une implacable logique ; et sans cesse des discours rompaient la série des actes. […] En France, aussi, les poètes deviennent plus rares, de génération en génération. […] Il exprimera les douleurs et les joies par des agencements sonores et rythmiques de syllabes, insoucieux, — dans ces rares passages, — du sens notionnel des mots : puisque aussi bien nuls mots ne peuvent traduire l’émotion. […] Avec une rare intellection esthétique, en effet, M.  […] Mallarmé, un florilège ; mais les fleurs qu’on y a choisies suffisent à former un bouquet précieux et rare, et je ne me lasse pas d’en respirer le parfum.

802. (1882) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Deuxième série pp. 1-334

Le respect humain qui fait que nous servons Dieu pour mériter l’estime des hommes est bien plus rare que celui qui nous empêche de le servir de peur de la perdre. […] Il est vrai qu’ils peuvent compter tous les trois parmi les plus rares créations du génie de Molière. […] Ou bien est-ce donc que la modération lui était si rare ? […] Après cela, s’il ne voit pas juste, il voit clair, et, s’il ne sait pas reconnaître les aspects des choses, il sait bravement prendre parti, et ce sont encore en critique des qualités assez rares. […] Certainement cette peinture psychologique, ou, comme on l’a nommée, philosophique, suppose les plus rares qualités d’esprit et de réflexion, de composition et de science.

803. (1890) Les romanciers d’aujourd’hui pp. -357

Sauf les mots de patois, rares du reste et cachés dans la foule, et quelques locutions où perce un coin de terroir, les paysans de M.  […] Des phrases comme celle que j’ai citée sont rares et trouvent presque leur excuse dans le hâtif de la composition. […] Mais, pour être toute de tête, je n’en vois pas moins ce que cette littérature a de rare et de délicat. […] Ils ont gardé le souci du rare, de l’exception, des cas isolés et extraordinaires. […] Les chefs-d’œuvre sont rares partout.

804. (1902) Le chemin de velours. Nouvelles dissociations d’idées

Mais cet état semble rare. […] Ces femmes courageuses sont rares. […] Rare chez les hommes, la personnalité n’existe presque pas chez les femmes, et jamais chez la jeune fille. […] La curiosité sensuelle est très rare chez les vierges, et les émois de leur cœur superficiels et fugitifs. […] La vie commune survivant à la fécondation est extrêmement rare, hormis chez les primates et les oiseaux.

805. (1922) Le stupide XIXe siècle, exposé des insanités meurtrières qui se sont abattues sur la France depuis 130 ans, 1789-1919

Alors que, de ses décisions, les militaires seules étaient admirables, et les autres d’une rare et tragique infirmité. […] Mais ceux-ci sont rares et de courte durée. […] L’accord, chez un même individu, de la science et de l’humilité est infiniment rare. […] Quelques rares zélateurs du passé essaient encore de cacher la nouvelle, de présenter comme révisible l’arrêt fatal de Pierre Marie. […] Il ignore résolument l’humilité, cette vertu suprême et qui tend à ses rares adeptes la clé des deux univers, l’intime et l’extérieur.

806. (1888) La vie littéraire. Première série pp. 1-363

C’est un rare plaisir que d’entendre M.  […] Peintre, philosophe, mathématicien, tout ce qu’il dit est rare et profond. […] Paul Hervieu a montré avec un rare talent. […] Les perceptions des fous sont rares, exceptionnelles et distinguées. […] Les âmes ainsi trempées étaient rares de son temps ; peut-être sont-elles encore plus rares aujourd’hui.

807. (1890) Nouvelles questions de critique

Où sont donc, depuis tantôt quatre-vingts ou cent ans, les rares services que les publicateurs d’inédits aient rendus aux lettres françaises ? […] Munier-Jolain, que le sujet n’ait encore tenté personne, ou du moins qu’à peine en ait-on tracé quelques rares chapitres. […] Ce n’est pas non plus par ses idées, qui sont rares, de peu de portée, de peu de nouveauté, rarement siennes d’ailleurs. […] J’appréciais donc à leur valeur, qui n’est pas ce qu’on appelle grande, mais qui est rare et singulière, les Fêtes galantes et les Romances sans paroles de M.  […] Quelle est d’ailleurs, en poésie, l’importance de la question de forme et combien ceux-là sont rares, quoi que l’on en dise, qui « savent faire un vers », nous n’avons pas refusé, plus d’une fois, de le reconnaître.

808. (1886) Le naturalisme

Les histoires comme celle de Mme Bovary ne sont pas rares dans la vie, mais jusqu’à Flaubert nul ne les avait racontées. […] Je me hâte d’ajouter que les Goncourt n’ont pas seulement de la valeur comme maîtres puissants du coloris et comme interprètes rares de la sensation. […] Il se plaît surtout à étudier les types rares et originaux, les mœurs étranges et pittoresques qui se dessinent un moment comme des moues rapides sur la physionomie changeante et cosmopolite de Paris. […] Si Stendhal ne ressemble pas à Balzac, ni Balzac à Flaubert, si les frères de Goncourt ont de si rares et de si belles qualités artistiques, si Daudet est si personnel, Zola, à son tour, se distingue d’eux tous. […] Par toutes ses qualités rares, Alarcon est un puissant mainteneur de l’antique bannière romanesque et un redoutable adversaire de la nouvelle.

809. (1896) Les époques du théâtre français (1636-1850) (2e éd.)

Bref, un si rare objet m’est si doux et si cher Que ta main seulement me nuit de te toucher. […] — et j’aime à croire qu’il disait vrai ; — seulement, le difficile, et le rare, et l’art par conséquent, c’est de lui donner, à ce « cri du cœur », une inoubliable voix, et de l’éterniser. […] Non pas, après cela, que Turcaret n’ait de rares mérites, qui justifient sa réputation, et que je serais impardonnable de ne pas vous signaler. […] S’il s’en faut, — et nous l’avons vu nous-mêmes, — que l’observation de la nature et de la vie épuise ou remplisse la définition de l’art, elle en est cependant la base ; et, parce que les méprises ou les reconnaissances sont rares dans la réalité, c’est pour cela qu’elles doivent être rares aussi dans le roman ou au théâtre et l’emploi s’en proportionner, si je puis ainsi dire, à leur rareté dans la vie. […] Vous n’ignorez pas combien cela est rare !

810. (1911) Nos directions

Large éclat des décors ; fantaisie rare des costumes. […] Supprimez ce juste rapport, n’eussiez-vous formé votre ouvrage que d’or et de pierres rares, que de morceaux du Parthénon ; plus de beauté. […] Rostand, je crois plus important, avant de conclure, de jeter un coup d’œil rapide sur deux poèmes, deux poèmes-poèmes, — c’est chose rare n’est-ce pas ? […] Il portait une âme rêveuse, capable de délicatesse, et de propager son émotion en ondes sonores autour d’elle, par le moyen d’images rares et de phrases un peu contournées. […] Des textes de ce genre sont trop rares pour que nous laissions passer celui-ci sans l’examiner attentivement, d’autant qu’il est subtil et rédigé avec finesse.

811. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Gabriel Naudé »

Gabriel Naudé Il me semble difficile, lorsqu’on est arrivé en quelque endroit nouveau, en quelque coin du monde, pour s’y établir et y vivre quelque temps, de ne pas s’enquérir tout d’abord de l’histoire du lieu (et, si obscur, si isolé qu’il soit, c’est bien rare qu’il n’en ait point)  : quels hommes y ont passé, s’y sont assis à leur tour ; quels l’ont fondé, donjon ou clocher, maison d’étude ou de prière ; quels y ont gravé leur nom sur le mur, ou seulement y ont laissé un vague écho dans les bois. […] Dans un Advis imprimé (1651) à l’adresse de nos Seigneurs du Parlement, il exhale les sentiments dont il est plein : « … Et pour moi qui la chérissois comme l’œuvre de mes mains et le miracle de ma vie, je vous avoue ingénuement que, depuis ce coup de foudre lancé du ciel de votre justice sur une pièce si rare, si belle et si excellente, et que j’avois par mes veilles et mes labeurs réduite à une telle perfection que l’on ne pouvoit pas moralement en désirer une plus grande, j’ai été tellement interdit et étonné, que si la même cause qui fit parler autrefois le fils de Crésus, quoique muet de sa nature, ne me délioit maintenant la langue pour jeter ces derniers accents au trépas de cette mienne fille, comme celui-là faisoit au dangereux état où se trouvoit son père, je serois demeuré muet éternellement. […] Naudé qu’avec un attendrissement bien rare en cette caustique nature, et qui les honore tous deux : « Je pleure incessamment jour et nuit M.  […] Il réitère et développe cette pensée avec une rare énergie au chapitre IV de ses Coups d’État  : « … Ses plus belles parties (de la populace) sont d’être inconstante et variable, approuver et improuver quelque chose en même temps, courir toujours d’un contraire à l’autre, croire de léger, se mutiner promptement, toujours gronder et murmurer ; bref, tout ce qu’elle pense n’est que vanité, tout ce qu’elle dit est faux et absurde, ce qu’elle improuve est bon, ce qu’elle approuve mauvais, ce qu’elle loue infâme, et tout ce qu’elle fait et entreprend n’est que pure folie. » Ce sont de telles manières de voir, avec leur accompagnement politique et religieux, qui faisaient dire plaisamment à Guy Patin que son ami Naudé était un grand puritain  ; il entendait par là fort épuré des idées ordinaires.

812. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (2e partie) » pp. 97-191

Réserve bien rare dans le génie, qui croit en général immodérément à lui-même, et qui serait cependant bien plus puissant encore, s’il était plus modeste et s’il s’appuyait sur la tradition ! […] Mais ce sont là de bien rares fortunes ; et quoique Aristote en ait eu encore une autre presque aussi belle dans l’Histoire des animaux, il serait excessif d’attendre toujours, même de lui, des œuvres aussi achevées. […] Mais les ouvrages de Démocrite, dont le génie a tant de rapport avec celui d’Aristote, ne sont point parvenus jusqu’à nous ; et les rares fragments qui nous en restent ne permettent pas d’en porter un jugement bien précis. […] Si les Platons sont bien rares, les Socrates le sont davantage.

813. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre V : Lois de la variabilité »

— En général, j’ai considéré jusqu’ici les variations fréquentes et multiformes des êtres organisés à l’état domestique, et les variations moins profondes et plus rares qu’on observe à l’état de nature, comme purement dues au hasard. […] J’attribue ces caractères communs à l’hérédité, c’est-à-dire à la descendance d’un même progéniteur ; car il doit être extrêmement rare que la sélection naturelle modifie diverses espèces, adaptées à des habitudes de vie plus ou moins différentes, exactement de la même manière. […] Des raies transversales sur les jambes ne sont pas rares chez les Chevaux gris-brun et gris-souris, et on en cite un exemple chez un Cheval châtain. […] On conçoit aisément, en effet, que de rares individus de la Bathyscia aveugle des cavernes aient pu accidentellement en sortir par quelque fissure, et qu’ils se soient multipliés au dehors, dans des endroits sombres qui leur rappellent un peu les conditions de vie de leurs ancêtres, et où ils sont exposés à une concurrence moins vive de la part de rivaux ou d’ennemis clairvoyants.

814. (1910) Études littéraires : dix-huitième siècle

. — Évidemment, chose bien rare dans Bayle, notre auteur, ici, s’intéresse personnellement dans l’affaire. […] Ils n’ont pas une vie « intense », ce qui, je crois, est chose assez rare. […] Cela est rare. […] Aussi ce théâtre de Marivaux est-il d’une qualité rare et précieuse. […] C’est une conception d’ensemble qui est claire, c’est une idée générale qui est précise, chose si rare dans Voltaire.

815. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — III » pp. 178-197

Il n’est pas rare que les livres soient un talisman et comme un grimoire magique à l’aide desquels d’habiles esprits, subtils enchanteurs, tiennent asservie une foule sans pensée. […] Sauf quelques rares mouvements de misanthropie, il veut que sa demeure ne soit point trop à l’écart ni hors de portée des ressources et des bienfaits de la société.

816. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Une petite guerre sur la tombe de Voitture, (pour faire suite à l’article précédent) » pp. 210-230

Balzac avait précédé Voiture dans la réputation et aussi dans l’art d’écrire ; l’invention en tout est chose si rare, si peu à la volonté de chacun, que même lorsqu’elle ne porte que sur la forme, il faut en savoir un gré infini à ceux qu’elle a une fois visités. […] Les rivières, les campagnes et les villes ont beau s’opposer à mon contentement, elles ne sauraient m’empêcher de m’entretenir de vous avec ma mémoire… Voiture répondait sur le même ton, mais leur correspondance ne fut jamais très vivev ; ils se contentèrent d’être bien ensemble et de se complimenter par des tiers : « L’amitié que nous conservons ensemble sans nous en rien écrire, disait Voiture à un ami, et l’assurance que nous avons l’un de l’autre est une chose rare et singulière, mais surtout de très bon exemple dans le monde, et sur laquelle beaucoup d’honnêtes gens, qui se tuent d’écrire de mauvaises lettres, devraient apprendre à se tenir en repos et à y laisser les autres. » Ils sentaient tous deux que de s’écrire les aurait constitués en une trop grande dépense d’esprit et les aurait mis à sec pour plusieurs semaines.

817. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Journal et mémoires du marquis d’Argenson, publiés d’après les manuscrits de la Bibliothèque du Louvre pour la Société de l’histoire de France, par M. Rathery » pp. 238-259

Rathery qui, depuis bien des années, s’est appliqué à la littérature sérieuse et historique, et qui a fait preuve, dans maint travail critique, d’un rare esprit d’exactitude et de finesse, rend en ce moment un véritable service en publiant, au nom de la Société de l’histoire de France, les journaux et mémoires du marquis d’Argenson. […] Fier des dites vertus qui sont rares, il est grand travailleur, habile à se faire servir, et esprit systématique ; il ne lui faudrait proprement ni supérieurs, ni inférieurs ; dès qu’il a affaire avec des hommes, le voilà devenu insociable en affaires ; il ne se prête à aucune des misères du temps.

818. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers (suite et fin.) »

« Outre qu’elle parut infiniment aimable, nous dit un témoin, on s’empressait de la voir comme un objet rare et merveilleux ; on lui faisait un mérite de sa curiosité de voir l’Angleterre ; car on remarquait qu’elle était la seule dame française de qualité qui fût venue en voyageuse depuis deux cents ans. […] Le prince de Ligne, regrettant le passé, la comptait dans son souvenir parmi les rares ornements d’une société comme il ne s’en retrouvera plus : « Une Mme de Boufflers, s’écrie-t-il, un peu paradoxale, mais qui, dans un cadre de simplicité, faisait pardonner son sophisme et sa supériorité d’éloquence ; bonne, protégeante dans la société, facile à vivre !

819. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La comtesse d’Albany par M. Saint-René Taillandier (suite et fin.) »

Ils revinrent en Italie et s’établirent à Florence pour ne la plus quitter, sauf de rares excursions. […] Il y a quelquefois des étrangers qui passent et qui sortent du commun, mais c’est encore bien rare, et je puis vous assurer que les soirées que je passe seule avec le poète me paraissent bien plus courtes.

820. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Collé. »

J’ai entendu cet autre railleur d’une qualité si distinguée, si rare, l’inimitable Vivier, le lendemain d’une de ces soirées où l’étonnant artiste avait su, comme nulle lèvre humaine avant lui, attendrir les sons du cor et faire pleurer le cuivre ; je l’ai vu dans cette autre partie de lui-même, dans cette mimique délicate, dans ce jeu spirituel, ironique, d’un délicieux comique à huis clos, et je renonce à définir pour qui n’y a pas goûté cette moquerie en action, fine, pénétrante, légère. […] Il ne visait qu’à des succès de société, et il les eut à souhait chez ces princes et grands seigneurs libertins : le public, sauf quelques rares instants, lui a rendu de son indifférence.

821. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — M. de Sénancour, en 1832 »

Il existe une sorte de douceur sévère et très-profitable pour l’âme à être méconnu : ama nesciri ; c’est le contraire du digito monstrari, et dicier Hic est ; c’est quelque chose d’aussi réel et de plus profond, de moins poétique, de moins oratoire et de plus sage, un sentiment continu, une mesure intérieure et silencieusement présente du poids des circonstances, de la difficulté des choses, de l’aide infidèle des hommes, et de notre propre énergie au sein de tant d’infirmité, une appréciation déterminée, durable, réduite à elle-même, dégagée des échos imaginaires et des lueurs de l’ivresse, et qui nous inculque dans sa monotonie de rares et mémorables pensées. […] C’est une sorte de vestibule hospitalier, un peu nu, fort vaste, où aboutissent les diverses entrées du temple, et dans lequel sont assis ou prosternés les antiques Orientaux, les anachorètes du Gange, Thamyris et Confucius, Pythagore et Salomon, Marc-Aurèle et Nathan le Sage, et même l’auteur voilé de l’Imitation ; leur parole rare se distingue lentement sous l’orgue lointain des sanctuaires.

822. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET. » pp. 177-201

Lebrun et de Latouche, l’un dans ses poëmes, l’autre dans ses trop rares élégies, réfléchissent aussi, avec une fidélité diverse, l’émotion et la teinte poétique de ce moment d’initiation, auquel M. […] Il s’attachait aux faits, interrogeait les voyageurs, s’enquérait des coutumes sauvages comme des anecdotes les plus civilisées ; s’intéressait à la forme d’une dague ou d’une liane, à la couleur d’un fruit, aux ingrédients d’un breuvage ; il rétrogradait sans répugnance et avec une nerveuse souplesse d’imagination aux mœurs antérieures, se faisait à volonté Espagnol, Corse, Illyrien, Africain, et de nos jours choisissait de préférence les curiosités rares, les singularités de passions, les cas étranges, débris de ces mœurs premières et qui ressortent avec le plus de saillie du milieu de notre époque blasée et nivelée ; des adultères, des duels, des coups de poignard, de bons scandales à notre morale d’étiquette.

823. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN DERNIER MOT sur BENJAMIN CONSTANT. » pp. 275-299

il n’y a rien là-dedans de bien rare ni de bien alarmant. […] Il est doublement aimable au fond de l’Allemagne, où il est rare de rencontrer ce que nous sommes accoutumés à trouver à Paris en fait de gaieté et d’esprit, et Villiers, qui est distingué sous ce rapport à Paris même, l’est encore bien plus parmi les érudits de Gottingue.

824. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « DU ROMAN INTIME ou MADEMOISELLE DE LIRON » pp. 22-41

DU ROMAN INTIME ou MADEMOISELLE DE LIRON11 Quelque agités que soient les temps où l’on vit, quelque corrompus ou quelque arides qu’on les puisse juger, il est toujours certains livres exquis et rares qui trouvent moyen de naître ; il est toujours des cœurs de choix pour les produire délicieusement dans l’ombre, et d’autres cœurs épars çà et là pour les recueillir. […] Les Lettres de Lausanne, publiées en 1788 par Mme de Charrière15, et aujourd’hui fort rares, se composent de deux parties.

825. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Aloïsius Bertrand »

Doué de haut caprice plutôt qu’épanché en tendresse, au lieu d’ouvrir sa veine, il distillait de rares stances dont la couleur ensuite l’inquiétait. […] Content de peu et avide de l’infini, il avait une reconnaissance extrême pour ce qu’on lui faisait ou ce qu’on lui voulait de bien ; on aurait dit qu’il avait hâte d’en emporter le souvenir ou d’en respecter l’espérance, et au moindre prétexte commode, au moindre coin propice, saluant sans bruit et la joie dans le cœur, il fuyait : J’esquive doucement et m’en vais à grands pas, La queue en loup qui fuit, et les yeux contre-bas, Le cœur sautant de joie et triste d’apparence…170 A travers cela il avait trouvé, chose rare !

826. (1887) Discours et conférences « Réponse au discours de M. Louis Pasteur »

Les républicains étaient rares alors ; c’était, comme aux siècles de la primitive Église, le temps des convictions personnelles, passionnées. […] Révolutionnaire d’une espèce bien rare !

827. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VIII. La question de gout ce qui reste en dehors de la science » pp. 84-103

De plus, sans compter les œuvres dont la renommée n’a jamais franchi les frontières de leur pays natal, il n’est pas rare que certains auteurs soient peu goûtés à l’étranger, précisément parce qu’ils sont trop originaux, parce qu’ils contiennent comme une quintessence de l’esprit national. […] Pour prendre les deux extrêmes, une œuvre idéalement belle est plus rare, plus exquise, plus admirable qu’une œuvre dont la beauté serait presque uniquement sensorielle.

828. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVII. Rapports d’une littérature avec les littératures étrangères et avec son propre passé » pp. 444-461

Le premier cas n’est pas rare. […] Il n’est pas rare de constater de graves méprises d’un peuple à l’égard d’un autre, tantôt faute de moyens sérieux d’informations, tantôt parce que l’original a changé, tandis que son portrait, une fois tracé, restait immuable et continuait à passer pour fidèle.

829. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon. » pp. 270-292

En lisant les mémoires historiques qu’on avait depuis François Ier, il conçut presque dès l’adolescence, l’idée de consigner par écrit à son tour et de faire revivre après lui tout ce qu’il verrait, avec la résolution bien ferme d’en garder, sa vie durant, le secret à lui tout seul, et de laisser dormir son manuscrit sous les plus sûres serrures ; prudence rare dans un jeune homme, et qui est déjà un grand signe de vocation. […] Il n’est pas douteux qu’avec des passions aussi ardentes et aussi opiniâtres que celles que lui-même accuse, il a dû se tromper plus d’une fois, excéder la mesure, prêter du sien aux autres, user et abuser de ce don si rare de sagacité dont il était doué.

830. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Saint-Évremond et Ninon. » pp. 170-191

Saint-Évremond avait rencontré de ces femmes rares, et on devine bien à qui il pensait lorsqu’il écrivait : On en trouve, à la vérité, qui peuvent avoir de l’estime et de la tendresse, même sans amour ; on en trouve qui sont aussi capables de secret et de confiance que les plus fidèles de nos amis. […] Elle est dans Le Conservateur ou Collection de morceaux rares, avril 1758.

831. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame de Motteville. » pp. 168-188

Bien que Mme de Motteville aimât à se rappeler et à citer ces vers galants de son oncle : Et constamment aimer une rare beauté, C’est la plus douce erreur des vanités du monde, elle avait le cœur plus fait pour l’amitié que pour l’amour ; elle était faite en tout pour les sentiments réguliers et justes, et pour une égalité heureuse ; elle en a exprimé le vœu en plus d’un endroit. […] Cette personne rare, cette honnête femme de tant de jugement et d’esprit, mourut en décembre 1689, vers l’âge de soixante-huit ans.

832. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse esthétique »

Le vocabulaire d’abord de l’écrivain contiendra en prépondérance des termes d’une certaine sorte qui, selon les images directes ou associées qu’ils suscitent, la sensation même qu’ils donnent à la vue ou à l’oreille, leur caractère familier ou rare, seront colorés, fantasques, magnifiques, sonores, rustiques, bas, etc. […] Sur ce dernier point, les divergences sont rares.

833. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Ivan Tourguénef »

Tourguénef est parmi les très rares et éminents artistes qui aient su connaître « un homme en particulier et non pas l’homme en général ». […] Chacune de ses créatures éclairée de mille lueurs diverses, reprise de tous côtés en ces mêmes manifestations, reste par la complexité même et le minutieux de l’analyse qui la montre, une créature individuelle et rare, qui, mérite extrêmement peu fréquent, est un être particulier, non un type, une généralisation.

834. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Émile Zola » pp. 70-104

Zola, s’ils comptent un nombre considérable d’êtres bas, infimes, incomplets, malades ou rudimentaires, ne comprennent aucune des âmes supérieures et choisies, complexes, délicates et rares, que montrent les hauts romanciers. […] Nous possédons en lui un artiste composite chez lequel se mêlent en un rare assemblage, les dons du réaliste et certains de ceux de l’idéaliste, sans se nuire, sans que les uns annulent, refoulent ou subordonnent les autres.

835. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre II : La littérature du xviie  siècle »

Ce que je ne puis comprendre, c’est que l’on ne sente pas l’extrême originalité, la profondeur de ce système, les rares et merveilleuses beautés que Racine et Corneille en ont tirées. […] J’accorde que Bossuet est éminent par le bon sens, que le bon sens est une belle et excellente chose, assez rare, quoi qu’en dise Descartes13, surtout dans les vérités de cette hauteur.

836. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VII. Mme de Gasparin »

Nonobstant, le livre laissé là, qui est à peine une œuvre, se trouve être un chef-d’œuvre, de par une puissance bien plus rare encore que le talent. […] Ces Horizons prochains étaient, comme vous venez de le voir, un recueil de nouvelles d’un ton fort rare, dans la littérature contemporaine, car ce ton était celui d’une mysticité singulièrement émue, mêlée aux réalités extérieures d’une observation très bien faite.

837. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « X. Ernest Renan »

Anomalie singulière, mais non rare ! […] Renan, pour quelques pages agréablement tournées sur les matières où les écrivains sont très rares, ne nous impose pas.

838. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre X. »

C’est là que, spectacle majestueux, desservi par tous les talents à la fois, spectacle pathétique, répondant à toutes les passions du cœur et épuisant toutes les misères de la vie, et aussi spectacle rare, extraordinaire, elle appelait, à quelques grands jours seulement, un effort de génie toujours nouveau, et, dans le peuple, une ardeur d’admiration que la satiété n’émoussait pas. […] On sait comment d’ailleurs elles étaient, pour la langue et l’art, négligées de presque tous, hormis quelques rares érudits, jusqu’à la renaissance poétique tentée par André Chénier.

839. (1874) Premiers lundis. Tome I « [Préface] »

J’y ai donné d’assez rares articles littéraires, dont quelques-uns se trouvent recueillis dans les précédents volumes ; quelques autres que je pourrais regretter sont empreints d’une personnalité assez vive pour que je les y laisse… » Ce n’était plus son avis quand il est mort.

840. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Réception à l’Académie Française »

L’occasion d’entendre sur ce sujet l’opinion de nos poètes est rare ; pour ceux que leur réputation a portés jusqu’ici à l’Académie,  ç’a été presque toujours une affaire de tactique et de bon ton de ne pas se prononcer : leur discours de réception a ressemblé souvent à un discours du trône, vague et insignifiant à dessein.

841. (1874) Premiers lundis. Tome II « E. Lerminier. Lettres philosophiques adressées à un Berlinois »

Son style, au reste, la liberté de ses tours, sa nouveauté et son éclat d’expression, l’acception excellente et parfaitement française des mots qu’il emploie et qu’il découvre presque, au sein de la langue du xviie  siècle, ces qualités si rares, et que M. 

842. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre II. De la philosophie. »

Comme il est rare d’arriver à la philosophie sans avoir fait quelques efforts pour obtenir des biens plus semblables aux chimères de la jeunesse, l’âme qui pour jamais y renonce, compose son bonheur d’une sorte de mélancolie qui a plus de charme qu’on ne pense, et vers laquelle tout semble nous ramener.

843. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre VI. De l’emploi des figures et de la condition qui les rend légitimes : la nécessité »

Dans mainte pièce, éclatante et pittoresque, de Victor Hugo, de Leconte de Lisle, même de Lamartine, les figures sont rares, clairsemées, de loin en loin une métaphore perce sous un verbe ou un adjectif : toute la couleur est dans les termes propres.

844. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Prosper Mérimée. »

Mais ces sentiments divers sont tous comprimés et dominés chez lui par un autre sentiment, plus général, ou mieux par une manière d’être qui, jointe, à la qualité particulière de son style ; achève de donner sa marque à ce rare écrivain : car elle nous révèle, après la distinction incomparable de l’artiste, la suprême distinction de l’homme.

845. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « George Sand. »

Leur manie d’analyse, leur peur d’être dupes, et peut-être un appauvrissement du sang les ont rendus incapables d’aimer et réduits à la recherche maladive des sensations rares.

846. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre X. Zola embêté par les jeunes » pp. 136-144

Mais le goût du parfait et du rare ne doit pas rétrécir notre compréhension.

847. (1890) L’avenir de la science « VII »

Il est même bien rare qu’à l’exercice le plus élevé de la raison ne se mêle un peu de ce plaisir, qui, pour n’avoir aucune valeur idéale, n’en est pas moins utile.

848. (1890) L’avenir de la science « XIV »

On fournit ainsi au contribuable, souvent matérialiste endurci, l’occasion, rare en sa vie, de faire un acte idéaliste.

849. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Milton, et Saumaise. » pp. 253-264

Ce redoutable apologiste du parlement contre son roi, plia son génie altier à servir Cromwel ; &, par une fatalité qui n’est pas rare, voulant être libre, il devint l’esclave d’un tyran.

850. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Seconde Partie. De l’Éloquence. — Éloquence du barreau. » pp. 193-204

Il seroit aisé de la lui rendre, quelques rares que soient les talens supérieurs, si les avocats redoubloient de délicatesse sur l’honneur, sur les bienséances, sur l’attention à ne tourner en ridicule & à ne diffamer personne ; s’ils ne s’injurioient point, comme il est de règle, à haute voix, pendant que les juges sont aux opinions ; s’ils ne se chargeoient pas indifféremment de toutes sortes de procès*.

851. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre V. Que l’incrédulité est la principale cause de la décadence du goût et du génie. »

Et néanmoins rendons justice à ce grand peintre de la nature : son style est d’une perfection rare.

852. (1767) Salon de 1767 « De la manière » pp. 336-339

Il est rare qu’un être qui n’est pas tout entier à son action ne soit pas maniéré.

853. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 24, objection contre la solidité des jugemens du public, et réponse à cette objection » pp. 354-365

Il est rare que le bonheur seul amene trois succez heureux, mais lorsque ces succez sont parvenus à un certain nombre, il seroit insensé de prétendre qu’ils fussent le pur effet du hazard, et que l’habileté du géneral ou du ministre, n’y eussent point de part.

854. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XI »

Uzanne est obligé, pour me combattre, de me faire dire ce que je n’ai point dit, et cette intrépidité finit par donner à sa critique une rare saveur.

855. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Madame Sand ; Octave Feuillet »

… En ces douze mois qui viennent de s’écouler, non seulement les œuvres ont été rares, mais, dans ce petit nombre d’œuvres, aucun livre véritablement puissant et lumineux ne nous a splendidement vengés de la médiocrité des autres.

856. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — VII »

Les habitants de Vouziers, en allant à Paris, s’arrêtaient à Rethel : dans le bureau de la voiture publique, tenu par les tantes de Taine, ils admiraient les guéridons délicats, les vieilles poteries, certain gros vase de thériaque tout fleuri, et une foule d’arbustes rares que les dames soignaient tendrement. »‌ M. 

857. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre II. Attardés et égarés »

Il faut beaucoup d’illusion pour assimiler les coupes de D’Aubigné à celles de Victor Hugo : ce qui est science chez celui-ci, n’est chez l’autre qu’insouciance ; dans les Tragiques, les enjambements, les vers disloqués produisent des effets puissants, quand la pensée y donne lieu, mais ils sont aussi bien employés à ne rien produire du tout ; et du moment qu’ils ne sont pas expressifs, ils sont forcément prosaïques En revanche, que de morceaux sont d’un rare, d’un grand poète, et n’auraient eu besoin presque de rien, ici d’une relouche, là surtout d’un retranchement, pour atteindre à la perfection de leur caractère ! […] Le xviie  siècle, qu’on a tort souvent de prendre « en bloc » et de croire tout d’une pièce, nous offre plusieurs courants, plusieurs directions, et comme plusieurs étages de goût et d’idées : il y a communication, juxtaposition, entre-croisement ; à de rares moments et jamais pour longtemps fusion ou confusion. […] Il mourut en 1646, n’ayant fait que de rares séjours à Paris ou à la cour depuis 1615.

858. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Hugo, Victor (1802-1885) »

Victor Hugo une qualité, la plus grande, la plus rare de toutes dans les arts : la force ! […] Victor Hugo revient l’honneur d’avoir écrit le plus rare et le plus touchant de tous les drames de ce siècle, Marion de Lorme. […] Charles Baudelaire Quand on se figure ce qu’était la poésie française avant que Victor Hugo apparut, et quel rajeunissement elle a subi depuis qu’il est venu ; quand on s’imagine ce peu qu’elle eût été s’il n’était pas venu, combien de sentiments mystérieux et profonds, qui ont été exprimés, seraient restés muets ; combien d’intelligences il a accouchées, combien d’hommes qui ont rayonné par lui seraient restés obscurs, il est impossible de ne pas le considérer comme un de ces esprits rares et providentiels qui opèrent, dans l’ordre littéraire, le salut de tous, comme d’autres dans l’ordre politique.

859. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre III. Le Petit Séminaire Saint-Nicolas du Chardonnet (1880) »

J’entendais toujours mes camarades parler avec une rare estime de cette petite servante, qui était en effet un modèle de vertu et joignait à cela la figure la plus agréable et la plus douce. […] Non seulement je n’ai rien dit que ce que je pense ; chose bien plus rare et bien plus difficile, j’ai dit tout ce que je pense. […] » Le Sto ad ostium et Pulso dut être pratiqué avec une rare habileté.

860. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « IV »

Lamoureux, a consacré aux études des chœurs sa rare intelligence de l’œuvre wagnérienne et son inépuisable dévouement, il a rencontré autour de lui des bonnes volontés nombreuses : entre tous ces choristes, dont plusieurs sont des musiciens véritables, je dois signaler M.  […] Camille Benoît, livre très actuel, de haute compétence et de rare talent. […] Kufferath, et ceux, trop rares, de M. 

861. (1878) La poésie scientifique au XIXe siècle. Revue des deux mondes pp. 511-537

Ce n’était pas là d’ailleurs pour lui une vocation de hasard ; il y apportait une culture scientifique bien rare chez les poètes. […] De cette traduction de Lucrèce nous ne dirons qu’un mot : elle révèle une industrie, une patience rares ; mais le vers, trop substantiel et plein de choses, est souvent rude et obscur. […] Donc, pas de paradis dans ces étoiles dont la substance est en tout semblable à celle qui compose notre pauvre globe ; pas même de ciel idéal à conquérir sur cette terre par la perfection morale : cette perfection n’est qu’une autre illusion ; elle est impossible, car le fatalisme qui règne au plus profond des firmaments doit régner aussi dans mon cœur ; ainsi le veut l’universalité des lois qui régissent le monde. — Ici nous devons citer quelques vers d’une habileté rare, malgré quelques obscurités, dans lesquels l’ingénieux et subtil auteur a réussi à enfermer tout le problème du libre arbitre : Seul le plus fort motif peut enfin prévaloir ; Fatalement conçu pendant qu’on délibère, Fatalement vainqueur, c’est lui qui seul opère La fatale option qu’on appelle un vouloir.

862. (1888) Petit glossaire pour servir à l’intelligence des auteurs décadents et symbolistes « Petit glossaire »

Ils se complaisent dans le rare et poussent l’amour de l’unique jusqu’au culte du décadent. […] Cet austère livre, encore qu’il ne réalise pas mon rêve déforme étanche et de poésie rare[…] Mais d’autres, toutes on peut dire, nuées si précieusement, si précieusement charmantes en leur brume de rares musiques atténuées.

863. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « H. Forneron » pp. 149-199

L’homme avait jeté sa gourme professorale, chose rare ! […] Il a aimé avec le fanatisme d’une âme comme la sienne, véhémente et concentrée, et, sous des formes froides et coupantes (ce qui n’est pas rare), âprement et obstinément passionnée. […] Or l’amour est une chose si rare et si belle qu’il suffit à la gloire de la vie, et qu’il a suffi à la sienne… Ainsi, l’amour, le croirait-on ?

864. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Victor Hugo. Les Contemplations. — La Légende des siècles. »

Victor Hugo ne ferait plus, s’il avait à recommencer sa renommée, et quelques vers, trop rares, hélas ! […] À quelques rares exceptions près, où M.  […] Mais ces vers, rares d’abord — rari nantes in gurgite vasto, — matériels, d’ailleurs, comme des camées, des soucoupes, des vases ébréchés ; rompus souvent d’un hémistiche à l’autre, tous ces débris, où un reste d’art brille et s’exhale, ne peuvent arrêter le jugement définitif que la Critique est tenue, en honneur, de porter sur un talent qui n’a plus ni ensemble, ni articulations, ni vie régulière, ni chaleur vraie, ni lumière tranquille, ni rien enfin de ce qui constitue une créature, supérieure aux facultés sensibles et raisonnables de l’humanité, comme doit l’être un poète, et qui, au contraire, peut écrire des choses comme celles-ci :                               Tout est plein d’âmes !

865. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre II. Le comique de situation et le comique de mots »

Qui sait même si nous ne devenons pas, à partir d’un certain âge, imperméables à la joie fraîche et neuve, et si les plus douces satisfactions de l’homme mûr peuvent être autre chose que des sentiments d’enfance revivifiés, brise parfumée que nous envoie par bouffées de plus en plus rares un passé de plus en plus lointain ? […] Il n’est pas rare alors que le premier groupe comprenne les maîtres, et le second les domestiques. […] Il n’est pas rare qu’on se serve de ce moyen pour réfuter une idée en termes plus ou moins plaisants.

866. (1891) La bataille littéraire. Quatrième série (1887-1888) pp. 1-398

Il y a là de l’idylle, du drame, une saveur particulière et de l’émotion sincère, chose rare, dans les livres de sèches analyses qui se fabriquent aujourd’hui. […] Ses personnages sont vivants, leurs sentiments sont vrais et humains ; c’est le livre d’un homme, cette créature qui devient rare par ce temps de nerveux, de hantés ! […] Sous la légèreté de sa forme, avec un rare bon sens, M.  […] Pourtant la chère est exquise à l’hôtel Padovani, une des rares tables de Paris où il y ait encore du vin. […] Belle et rare tenue, mais qui exige une certaine force de volonté et de travail.

867. (1905) Promenades philosophiques. Première série

Le critique créateur de valeurs est plus rare même que le grand poète. […] Les rares critiques qui se soient occupés de sa philosophie n’ont pas été beaucoup plus heureux, à l’exception de M.  […] Mais il est bon qu’elle soit rare, car elle ne laisserait pas que d’être déprimante, si on finissait par s’y plaire uniquement. […] Prudent et avisé, et sachant que les fruits intacts sont rares, en certains pays, il enlève la bête et son nid, mange le reste. […] Il savait voir, ce qui est si rare.

868. (1912) Réflexions sur quelques poètes pp. 6-302

Même ses détracteurs s’accordent à lui reconnaître ces rares qualités. […] Car ce n’est point quelque ornement, une métaphore ou une invocation, mais bien la qualité rare de l’âme du poète qui font son originalité. […] D’ailleurs, les rencontres avec Shakespeare ne sont pas rares dans Rotrou. […] Il est entendu que nous ne nous y arrêterons pas longtemps : il n’y a que de rares fleurs à cueillir. […] Ce goût est rare, il est communément l’apanage du praticien.

869. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre premier. Aperçu descriptif. — Histoire de la question »

Ils ne sont ni rares ni étranges les hommes chez lesquels la parole est extérieure pour un cinquième seulement de sa durée totale. […] Quintilien, analysant avec une conscience scrupuleuse, et souvent avec une rare pénétration, tous les exercices qui forment un orateur, passe vingt fois à côté de la parole intérieure sans la remarquer11 ; il ne l’aperçoit ni dans la lecture, ni dans l’action d’écrire, ni dans la méditation, et, s’il y fait enfin une allusion quand il recommande de s’exercer en silence à l’improvisation, il semble croire que l’esprit peut à volonté se passer de la parole intérieure ou s’en servir ; car il conseille de la provoquer quand nous n’avons rien de mieux à faire12. […] Notons la restriction : ou presque jamais ; elle va être expliquée par la suite du passage : « On met en question s’il peut y avoir, en cette vie, un pur acte d’intelligence dégagé de toute image sensible ; et il n’est pas incroyable que cela puisse être durant de certains moments, dans les esprits élevés à une haute contemplation, et exercés par un long temps à tenir leurs sens dans la règle ; mais cet état est fort rare. » L’allusion à certaines prétentions du mysticisme religieux est évidente, et il paraît certain que l’attention de Bossuet avait été attirée sur la parole intérieure et sur sa nécessité dans l’état normal de l’âme par l’étude des écrivains mystiques et non par la lecture des philosophes. […] Si l’on y regarde de plus près, et si l’on éclaire son commentaire souvent répété de la phrase de Rousseau par une page où il décrit la première éducation de l’enfant civilisé33, on voit qu’il considérait les deux langages comme d’ordinaire simultanés : quand l’esprit s’attache à des objets qui ne tombent pas sous les sens, alors seulement « l’imagination s’arrête » comme dit Rousseau, et le mot intérieur reste seul pour accompagner l’idée ; or le cas contraire est très rare, sauf dans la première enfance, car les idées générales, alors même que leurs objets font partie de la nature visible, impliquent l’activité de l’entendement et supposent la conception de rapports purement intellectuels34 ; la parole intérieure, accompagnée ou non d’images, doit donc être presque constante, du moins à partir de l’adolescence. […] Rien plus : il dénature l’essence du phénomène ; dans un des rares passages qu’il lui consacre119, la parole intérieure devient une image musculaire-tactile.

870. (1896) Impressions de théâtre. Neuvième série

Or, il faut en prendre son parti, Magda est un drame où je ne pense pas qu’il y ait du génie, mais où il y a beaucoup de talent, et c’est un drame composé avec une rare adresse. […] Depuis, le jeune homme a régné, puis il est mort… (Toute cette histoire, contée en détail par Godler au premier acte, est d’une rare saveur.) […] Dumas le définit « un Antony millionnaire » ; c’est un composé assez rare, mais nullement impossible. […] Il est un des très rares écrivains de ce temps qui aient la notion du péché et qui sachent faire avec certitude la distinction du bien et du mal. […] Il y a trop d’air entre les répliques ; il est trop rare qu’elles semblent s’appeler nécessairement… Avec tout cela il est clair, n’est-ce pas ?

871. (1907) Propos de théâtre. Quatrième série

C’est un paysan qui est éloquent lorsqu’il est en colère ; et cela se voit, et cela n’est même pas du tout rare. […] C’est ce qu’il y a au théâtre de plus difficile, de plus rare et de plus beau. […] Il doit être rare que des femmes s’y introduisent… (Songez au père de Claire qui est là et qui écoute ! […] Pièce rare par conséquent par le temps qui court, oui, pièce rare. […] Quelques-uns ont fait murmurer, ce qui est diablement rare, le public de la première.

872. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le cardinal de Bernis. (Fin.) » pp. 44-66

Les écrivains se moquent quelquefois de cette bonne compagnie avant d’y être admis, mais il est bien rare qu’ils en saisissent le ton ; or, ce ton n’est autre chose que « l’art de ne blesser aucune bienséance ». […] Bernis, à part de rares instants où il eut à prendre l’initiative, dut se borner à assister l’Espagne, qui exigeait impérieusement du pape la suppression de cette société ; mais, en assistant l’ambassadeur d’Espagne, il s’efforça souvent de modérer l’âpreté de sommation de cette cour et d’écarter toute voie d’intimidation sur le pontife, au risque de se compromettre lui-même et de paraître tiède à ses alliés.

873. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Étienne de La Boétie. L’ami de Montaigne. » pp. 140-161

Comme amateur des vieux livres, on peut souffrir de cette divulgation des choses rares ; comme partie du public et comme lecteur du commun, on ne saurait s’en plaindre. […] Ses œuvres d’ailleurs n’étaient point tellement rares qu’on ne pût les trouver en les cherchant, et la peine qu’on prend en ce cas est déjà du plaisir.

874. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — II. (Fin.) » pp. 109-130

Je supplée, pour les objets qui m’intéressent, certaines incapacités par un discernement rare des diverses qualités des hommes, joint à la conscience bien exacte de ce qui me manque. […] [NdA] Comme pendant et contrepartie de cette idée qu’on doit faire peu de confidences à l’âge où l’on vieillit et où l’on perd, M. de Meilhan avait dit, une autre fois, avec beaucoup de justesse : « L’homme a besoin, quand il est jeune, de se répandre ; il se plaît à faire des confidences ; il ne se connaît pas et se croit un être curieux et rare ; il n’a pas enfin la force de garder son secret, et la présomption le porte à croire qu’il inspire un intérêt sincère qui le fera écouter avec plaisir. »

875. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — I. » pp. 235-256

Ce sont ses mémoires à bâtons rompus, ses confessions : Je ne me suis laissé aller, dit-il, à composer de pièces et d’idées détachées ce recueil historique, moral et philosophique, que pour ne pas perdre les petits traits épars de mon existence ; ils n’auraient pas mérité la peine d’en faire un ouvrage en règle, et je ne donne à ce petit travail que des minutes très rares et très passagères, croyant devoir mon temps à des occupations plus importantes. […] Il aurait pu y mettre en épigraphe cette pensée de lui : « J’ai vu, au sujet des vérités si importantes pour l’homme, qu’il n’y avait rien de si commun que les envies, et rien de si rare que le désir. » Quand on songe que ce dernier ouvrage, L’Homme de désir, paraissait en regard des Ruines de Volney, on sent que le siècle, à ce moment extrême, était en travail, et qu’en même temps qu’il donnait son dernier mot comme négateur et destructeur, il lui échappait une étincelle de vie qui, toute vague qu’elle était, disait que l’idée religieuse ne pouvait mourir.

876. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — II » pp. 454-475

C’est une chose remarquable dans la Révolution que le courage passif et la résignation, tandis que rien n’est plus rare qu’un courage actif et entreprenant… Et comme il y a cependant, au milieu de cette apathie publique, d’admirables exemples de ce premier genre de courage, comme on voit des vieillards, des femmes, des jeunes gens à peine sortis de l’enfance, qui marchent à la mort de sang-froid : Beaucoup de gens ressemblent, pour le courage, à ces avares qui gémissent à chaque petite somme qu’ils sont forcés de dépenser, et qui sont capables d’en donner une très grosse sans en être affectés. […] [NdA] En voici la dernière, qui résume le système avec une rare énergie : « À mesure que l’on vieillit, il faut se concentrer davantage dans soi-même, se réduire au bonheur sensuel, et restreindre ses rapports avec les autres, parce qu’on n’en peut attendre que des marques du mépris inné dans le cœur de l’homme pour tout ce qui décèle l’impuissance, et que la vieillesse est la plus grande des impuissances. » al.

877. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — III » pp. 81-102

Il faut des hommes dans les guerres importantes ; et je vous assure que ce qui s’appelle des hommes sont très rares. […] Ce qu’il y a de bien certain, c’est que la vertu ferme, solide, constante, est bien rare.

878. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « François Villon, sa vie et ses œuvres, par M. Antoine Campaux » pp. 279-302

Qu’ils sont rares les auteurs comme Horace et Montaigne, qui gagnent à être sans cesse relus, compris, entourés d’une pleine et pénétrante lumière, et pour qui semble fait le mot excellent de Vauvenargues : « La netteté est le vernis des maîtres !  […] Nous savons, pour l’avoir mainte fois observé, combien l’invention est rare en poésie, combien la gent versifiante est moutonnière, et qu’une forme, une veine, une seule note, une fois trouvée, se copie et se répète ensuite à satiété jusqu’à ce qu’une autre ait succédé, qu’on épuise à son tour.

879. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. (suite et fin) »

Il marqua, dès les premières discussions, par un genre de talent alors fort rare, celui d’une improvisation réelle, d’une faculté de réplique immédiate, abondante et juste. […] Enfin, si l’on avait demandé vers 1846, et sur des points très-différents de la sphère politique, quel était l’homme de France qui jouissait de plus de considération, on aurait de toutes parts répondu : « C’est le Chancelier. » Un doctrinaire éminent, et des plus réconciliés avec lui49, disait alors en très-bonne part : « Le Chancelier, c’est l’homme aux expédients, — non pas celui qui en cherche, mais celui qui en trouve. » Je n’aime pourtant pas ce mot d’expédients qui n’en dit pas assez pour caractériser cette capacité diverse et fertile, et l’ensemble d’une faculté judicieuse si remarquable et si rare à ce degré.

880. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [II] »

Jomini est un officier extrêmement distingué sous tous les rapports militaires ; il a surtout un talent rare comme officier d’état-major. » Autre apostille de Ney (janvier 1805) : « M.  […] L’aide de camp du jour n’entrait dans sa chambre que pour affaire de service, ou bien quand il était appelé, et c’était la chose la plus rare que de voir le maréchal causer avec aucun d’entre nous.

881. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [I] »

Achille Genty, semblait s’être attaché de prédilection à Vauquelin de La Fresnaye dont il nous a rendu l’Art poétique (1862), mais qu’il n’a pu cependant faire réimprimer en entier, au grand regret de tous ceux pour qui le volume original, tout à fait rare et hors de prix, est inabordable. […] Sainte-Beuve sur une jolie, fine et rare plaquette en vers de M. 

882. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [II] »

Admirateur et adorateur pieux des vieux maîtres, dans un beau désespoir de les égaler et de les atteindre, on se serait dit volontiers avec ce docte allemand (Creutzer) : « Il ne nous reste, à nous autres modernes, qu’à les aimer. » On pouvait se dire encore avec Goethe : « Négliger ces vieux modèles, Eschyle, Homère, c’est mourir. » J’ai surtout en vue nos Français attiques du bon temps, non ceux que le xviiie  siècle nous a livrés sur la fin, un peu gâtés ou fort affaiblis, mais ceux-ci mêmes, dont était Fontanes, et quand ils se maintenaient dans cette noble mesure de goût, avaient leur manière d’être et de sentir heureuse et rare. […] Aux Anciens l’invention, soit : ç’a été leur lot et leur gloire ; aux Modernes l’imitation, puisqu’il ne leur reste que cela, mais du moins une imitation fine et rare.

883. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. EUGÈNE SCRIBE (Le Verre d’eau.) » pp. 118-145

Nous venons trop tard pour une analyse ; nous voulons surtout constater le fait accompli, très-amusant, ce qui est si rare parmi les faits accomplis. […] Profitons du moins de ce que nous avons, sans trop regretter ce qui aurait pu être, et sans chicaner notre rire, qui est si rare.

884. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LOYSON. — POLONIUS. — DE LOY. » pp. 276-306

abusé. « Ce n’est plus un violon qu’a votre Apollon, me disait quelqu’un, c’est un rebec. » Charles Loyson salua la venue de Lamartine d’un applaudissement sympathique où se mêlèrent tout d’abord les conseils prudents142 : « Edera crescentem ornate poetam, s’écrie-t-il en commençant ; voici quelque chose d’assez rare à annoncer aujourd’hui : ce sont des vers d’un poëte. » Et il insiste sur cette haute qualification si souvent usurpée, puis il ajoute : « C’est là ce qui distingue proprement l’auteur de cet ouvrage : il est poëte, voilà le principe de toutes ses qualités, et une excuse qui manque rarement à ses défauts. […] La province, certes, possède mille dons d’étude, de sensibilité, de vertu ; mais le goût, il faut le dire, y est chose plus rare et plus cachée qu’à Paris, où, du reste, on le paye si cher.

885. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. J. J. AMPÈRE. » pp. 358-386

N’est-ce pas un rare mérite d’exécution aussi, que, chez lui, le fait se présente sous une prise mince, nette, détachée, par le coupant plutôt que par le plat de la lame, si aisément sonore et brillant ? […] Mais, de dom Rivet à dom Brial, ne cherchez que des matériaux ; ne demandez ni une vue rare ni un éclair.

886. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. CHARLES MAGNIN (Causeries et Méditations historiques et littéraires.) » pp. 387-414

Il en possède toutes les qualités primitives, fines et saines, menues et solides, l’intégrité qu’il faut bien louer, tant elle devient chose rare ! […] Magnin, bien que très-bibliothécaire aussi, n’est pas de cette classe, et son lièvre plus rare a, si j’ose dire, la patte plus blanche.

887. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Madame de Krüdner et ce qu’en aurait dit Saint-Évremond. Vie de madame de Krüdner, par M. Charles Eynard »

La voilà sortie au milieu de la nuit, allant à la découverte, interrogeant les rares passants, puis raccourant au logis pour faire lever sa femme de chambre, et se mettant en route à l’aventure. […] Je conviendrai sans peine qu’il est de plus belles morts que celle du prince de Ligne ; mais, à moins de se placer au point de vue de l’éternité (chose toujours rare), on devra convenir aussi qu’il est peu de morts plus aisées et plus douces.

888. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre II. Clément Marot »

Rares étaient encore les ressources : Érasme, Budé furent eux-mêmes leurs propres maîtres : αὐτομαθἡς τε χαὶ ὀψιμαθήϛ, dit celui-ci, « j’ai appris tout seul, et tard ». […] Car ce poète de cour — chose si rare dans notre littérature — est, sous sa politesse, essentiellement populaire.

889. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre II. Boileau Despréaux »

Mais surtout il a une rare délicatesse d’oreille : il a le sens et la science des rythmes, des sonorités, de leurs rapports subtils et efficaces au caractère de l’objet, aux émotions du lecteur. La matière de sa poésie est petite, le champ de son talent est étroit : mais la perfection de sa forme le fait grand, et donne une rare valeur à son œuvre.

890. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Octave Feuillet »

Feuillet n’est pas toujours d’une qualité très rare : il n’est ni d’un grand philosophe ni d’un grand poète. […] Il y a des croyants qui agissent mal en dépit de leurs croyances, et des incroyants qui agissent bien malgré leur incrédulité ; et cette remarque assurément n’a rien de rare.

891. (1887) Discours et conférences « Rapport sur les prix de vertu lu dans la séance publique annuelle de l’Académie française »

Elle n’a pas, comme les autres jeunes filles de la campagne, suivi le changement des modes ; elle a gardé son costume et sa coiffure de villageoise ; elle le porte avec une rare distinction ; car voici la silhouette exquise que M. le curé de Château-l’Évêque nous a envoyée d’elle : « Un trait vous fera comprendre l’impression profonde que l’on ressent en voyant Emmeline Nadaud. […] Non, grâce à la vertu, la Providence se justifie ; le pessimisme ne peut citer que quelques cas bien rares d’êtres pour lesquels l’existence n’ait pas été un bien.

892. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IX. La littérature et le droit » pp. 231-249

Mais heureusement les faits de ce genre sont de plus en plus rares. […] Mais ces amabilités sont assez rares.

893. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « V »

Sarcey se met le doigt dans l’œil avec une sérénité rare. […] Un soir, à la tombée du crépuscule, assis dans le salon déjà sombre, devant le jardin, — comme de rares paroles, entre de longs silences, venaient d’être échangées, sans avoir troublé le recueillement où nous nous plaisions, — je demandai, sans vains préambules, à Wagner, si c’était pour ainsi dire, artificiellement — (à force de science et de puissance intellectuelle, en un mot) — qu’il était parvenu à pénétrer son œuvre, Rienzi, Tannhæuser, Lohengrin, le Vaisseau Fantôme, les Maîtres Chanteurs même — et le Parsifal auquel il songeait déjà — de cette si haute impression de mysticité qui en émanait, — bref, si, en dehors de toute croyance personnelle, il s’était trouvé assez libre-penseur, assez indépendant de conscience, pour n’être chrétien qu’autant que les sujets de ses drames-lyriques le nécessitaient ; s’il regardait, enfin, le Christianisme, du même regard que ces mythes scandinaves dont il avait si magnifiquement fait revivre le symbolisme en ses Niebelungen.

894. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Huet, évêque d’Avranches, par M. Christian Bartholmèss. (1850.) » pp. 163-186

Au xvie  siècle, au xve , bien des livres n’étaient que manuscrits, et par conséquent rares, chers, à la portée seulement du petit nombre. On avait peu de secours à attendre autour de soi ; il fallait de grands efforts et une rare vigueur d’esprit pour surmonter les obstacles, pour conquérir la science ; il fallait jusqu’à un certain point être inventeur, avoir le zèle et le génie de la découverte, pour devenir savant : Dans ces premiers temps d’obscurité et de ténèbres, ces grandes âmes (comme Huet appelle les savants de cette date primitive) n’étaient aidées que de la force de leur esprit et de l’assiduité de leur travail… Je trouve, disait-il spirituellement, la même différence entre un savant d’alors et un savant d’aujourd’hui, qu’entre Christophe Colomb découvrant le Nouveau Monde et le maître d’un paquebot qui passe journellement de Calais à Douvres.

895. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chansons de Béranger. (Édition nouvelle.) » pp. 286-308

Ceux qui ont eu le mieux occasion de le juger pensent que son rare bon sens est quelquefois gâté par un esprit de contradiction et par un grain de caprice, et aussi par une habitude de calcul trop continuel et trop raffiné. […] Comparé aux poètes d’autrefois, il est du groupe second et encore si rare des Burns, des Horace, des La Fontaine.

896. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Goethe et de Bettina, traduites de l’allemand par Sébastien Albin. (2 vol. in-8º — 1843.) » pp. 330-352

Bref, au milieu de tant de qualités rares qui décoraient la petite Bettina et qui en faisaient une merveille, il ne lui manquait que ce qu’on appellerait tout net le bon sens français, lequel n’est peut-être pas compatible avec tous ces autres dons. […] C’est un don rare et une preuve de génie aussi, il faut le reconnaître, que de savoir, à ce degré, apprivoiser les génies.

897. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Gil Blas, par Lesage. (Collection Lefèvre.) » pp. 353-375

Toutes les formes de la vie et de l’humaine nature se rencontrent dans Gil Blas, — toutes, excepté une certaine élévation idéale et morale, qui est rare sans doute, qui est jouée souvent, mais qui se trouve assez réelle en quelques rencontres pour ne pas devoir être tout à fait omise dans un tableau complet de l’humanité. […] Il ne représente rien de singulier et d’unique, ni même de rare.

898. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « L’abbé Galiani. » pp. 421-442

Il s’applique aussi à des ouvrages nouveaux ; il pousse plus loin son étude sur Horace, qu’il avait déjà commenté avec un goût rare, aiguisé de paradoxe ; il pense à tirer de son poète favori toute une philosophie morale. […] » Par une contradiction qui n’est pas rare, cet épicurien, qui ne veut d’aucun des ressorts généreux en eux-mêmes et qui les décompose, a pour son propre compte l’âme noble, élevée, et toute la fierté de l’honnête homme.

899. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — II. (Lettres écrites du donjon de Vincennes.) » pp. 29-50

 » Le souffle poétique, ce qui est rare chez Mirabeau, semble avoir passé en cet endroit, et en cet autre encore : « Si vous me redonnez la liberté, même restreinte, que je vous demande, la prison m’aura rendu sage ; car le Temps, qui court sur ma tête d’un pied bien moins léger que sur celle des autres hommes, m’a éveillé de mes rêves. » Ailleurs, parlant non plus à son père, mais de son père, il dira par un genre d’image qui rappelle les précédentes : « Il a commencé par vouloir m’asservir, et, ne pouvant y réussir, il a mieux aimé me briser que de me laisser croître auprès de lui, de peur que je n’élevasse ma tête tandis que les années baissent la sienne. » On a refusé l’imagination proprement dite à Mirabeau ; il a certainement l’imagination oratoire, celle qui consiste à évoquer les grands noms historiques, les figures et les groupes célèbres, et à les mettre en scène dans la perspective du moment : mais, dans les passages que je viens de citer, il montre qu’il n’était pas dénué de cette autre imagination plus légère, et qui se sent de la poésie. […] Il serait curieux, et je le ferai peut-être un autre jour, de suivre les variations, les luttes, les contradictions violentes de ce père à la fois irrité, humilié, et, à de rares instants, enorgueilli de son fils, durant ces années d’une célébrité si mélangée et encore douteuse, par où celui-ci préludait à la gloire.

900. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mademoiselle de Scudéry. » pp. 121-143

Et ce qu’il y a de rare est qu’une femme qui ne peut danser avec bienséance que cinq ou six ans de sa vie, en emploie dix ou douze à apprendre, continuellement ce qu’elle ne doit faire que cinq ou six ; et, à cette même personne qui est obligée d’avoir du jugement jusques à la mort, et de parler jusques à son dernier soupir, on ne lui apprend rien du tout qui puisse ni la faire parler plus agréablement, ni la faire agir avec plus de conduite. […] Il n’est pas rare d’entendre dire que les romans de Mlle de Scudéry sont détestables et illisibles, mais qu’il n’en est pas ainsi de ses Conversations.

901. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits du comte Joseph de Maistre. (1851, 2 vol. in-8º.) » pp. 192-216

Rien n’est plus ordinaire que de rencontrer des hommes qui croient en Dieu et en la Providence, ou qui le disent, et rien n’est plus rare que d’en trouver qui, dans toutes leurs actions ou dans tous leurs jugements, se comportent comme s’ils y croyaient en réalité. […] Il ne lui reconnaît pas la marque royale dans le sens où il la conçoit ; il le trouve un homme rare, extraordinaire, épuisant volontiers à son sujet toutes les épithètes et ne lui refusant que celle de grand, « laquelle, dit-il, suppose une moralité qui lui manque ».

902. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. Anecdotes. » pp. 123-144

Il n’a pu à aucun moment, ou du moins ce n’est qu’à de rares moments qu’il a pu saisir toute l’autorité du rôle de critique, même en ce que ce rôle a de passager et de viager. […] … Mais, je vous en conjure, seulement un doigt de liqueur (vous en avez des Îles)… Je prie Dieu de leur donner tous les jours la même patience qu’à moi : elle est devenue bien rare pour supporter tant de tribulations… De la crème des Barbades, si vous voulez bien… J’en connais de bien respectables… — Au reste, la vie du chrétien n’est que tribulation, et je ne dois pas murmurer contre la volonté du ciel : je vous suis. » La scène est bonne ; elle est chargée : mais qu’importe ?

903. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — II. (Fin.) » pp. 411-433

Mais le xviiie  siècle, dans son ambition, ne se contente point de si peu ; Sieyès, dans un de ses rares moments d’épanchement, disait : « La politique est une science que je crois avoir achevée. » Et quant à la morale, plus d’un philosophe du temps eût été plus loin et eût dit : « Je crois l’avoir à la fois achevée et inventée. » Piqué par les reproches du Génie et enhardi par sa présence, le voyageur s’ouvre donc à lui ; il veut savoir « par quels mobiles s’élèvent et s’abaissent les empires ; de quelles causes naissent la prospérité et les malheurs des nations ; sur quels principes enfin doivent s’établir la paix des sociétés et le bonheur des hommes. » Ici les ruines de Palmyre s’oublient : le Génie enlève le voyageur dans les airs, lui montre la terre sous ses pieds, lui déroule l’immensité des lieux et des temps, et commence à sa manière toute une histoire de l’humanité et du principe des choses, de l’origine des sociétés, le tout sous forme abstraite et en style analytique, avec un mélange de versets dans le genre du Coran. […] Son premier Voyage en Égypte a commencé sa réputation ; il a eu un succès brillant et soutenu ; ce qui est bien plus rare, ce succès a augmenté depuis l’expédition d’Égypte : tous ceux qui en firent partie ont reconnu que l’auteur avait constamment dit la vérité.

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