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1410. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre cinquième. La Bible et Homère. — Chapitre II. Qu’il y a trois styles principaux dans l’Écriture. »

Quand on songe que Moïse est le plus ancien historien du monde ; quand on remarque qu’il n’a mêlé aucune fable à ses récits ; quand on le considère comme le libérateur d’un grand peuple, comme l’auteur d’une des plus belles législations connues, et comme l’écrivain le plus sublime qui ait jamais existé ; lorsqu’on le voit flotter dans son berceau sur le Nil, se cacher ensuite dans les déserts pendant plusieurs années, puis revenir pour entrouvrir la mer, faire couler les sources du rocher, s’entretenir avec Dieu dans la nue, et disparaître enfin sur le sommet d’une montagne, on entre dans un grand étonnement. […] le Seigneur est avec vous. » Marie s’en va dans les montagnes de Judée  ; elle rencontre Élisabeth, et l’enfant que celle-ci portait dans son sein tressaille à la voix de la vierge qui devait mettre au jour le Sauveur du monde. […] Saint Luc, par exemple, en donnant la généalogie du Christ, remonte jusqu’à la naissance du monde.

1411. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XI. Mme Marie-Alexandre Dumas. Les Dauphines littéraires »

soufflet que se donne de ses propres mains le vieux monde renouvelé qui se croit rajeuni ! […] … Les familles littéraires vont continuer, dans le monde mouvementé du progrès, ce qu’ont fait, dans le monde stationnaire, les familles militaires et sacerdotales, et ce que nous avons trouvé si mauvais !

1412. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’insurrection normande en 1793 »

Il n’y a que deux tempéraments intellectuels, deux sortes d’esprits dans le monde. […] Il n’échappa au lieu commun de la mort du temps qu’en s’engageant dans la marine, et l’ironie qui gouverne le monde fit du professeur de beau langage, du doux Ionien de la rhétorique que nous avons connu, un matelot à bord du Brûle-Gueule… Je n’oserai jamais dire un rude matelot ! […] Elle ne nous offre, quand elle n’est pas une hideuse tragédie, que le curieux et lamentable spectacle d’une nation qui se piquait d’être à la tête du monde, et que Dieu livrait aux principes du Contrat social.

1413. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Napoléon »

Histoire de Napoléon, de sa famille et de son époque, au point de vue de l’influence des idées napoléoniennes sur le monde. — Edmond de Beauverger. […] Après plus de mille ans de pensées ; de jugements, d’admiration, auxquels il a forcé le monde, Charlemagne n’a pas encore d’historien qui l’ait pris tout entier, de détail et d’ensemble, et nous l’ait véritablement montré ce qu’il fut ; Cromwell non plus, en Angleterre, — Cromwell, dont le profond génie tenta le génie pénétrant de Montesquieu. […] Puisqu’il voulait se mesurer avec un sujet qui doit casser les reins à de plus robustes que lui, pourquoi Émile Bégin n’intitulait-il pas simplement son livre : Histoire de Napoléon et de sa famille, ce qui était déjà bien assez pour intéresser, et pourquoi ajoutait-il si pompeusement : au point de vue de l’influence des idées napoléoniennes sur le monde 16 ?

1414. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XVIII. Siècle de Constantin. Panégyrique de ce prince. »

Le monde réparé, la terre réconciliée avec le ciel, un pacificateur entre Dieu et l’homme, un nouvel ordre de justice, une vie à venir et de grandes espérances, ou de grandes craintes au-delà des temps, tel était le tableau que cette éloquence présentait aux hommes. […] Ensuite il adresse une prière à l’auteur de l’univers, il le conjure de conserver Constantin pour tous les siècles, et l’on espère qu’il voudra bien accorder cette faveur au monde, parce qu’étant Dieu, il doit vouloir tout ce qui est juste ; et tout-puissant, il ne peut avoir aucune raison pour refuser ; ainsi et l’orateur et l’univers comptent sur l’éternité de Constantin : on peut juger à peu près de tous les panégyriques latins de ce prince, par celui-là. […] On compare l’empire qu’il a sur la terre avec l’empire éternel que Dieu a sur le monde ; on le peint comme ayant un commerce immédiat avec la divinité, et on l’invite à faire part aux fidèles (quand il en aura le temps) de cette foule infinie d’apparitions, de visions, de songes célestes où Jésus-Christ s’est manifesté à ses regards, et de beaucoup d’autres mystères inconnus à tout le monde, excepté à lui, et qui restent déposés dans sa mémoire impériale comme dans un trésor ; enfin, on le loue, on le trompe, on l’instruit ; et le zèle adroit, mêlant le style de la chaire et celui de la cour, lui prodigue à la fois les flatteries et les leçons.

1415. (1824) Épître aux muses sur les romantiques

     C’est une vérité qui n’est point la nature ; Un art qui n’est point l’art, de grands mots sans enflure ; C’est la mélancolie et la mysticité ; C’est l’affectation de la naïveté, C’est un monde idéal qu’on voit dans les nuages : Tout, jusqu’au sentiment, n’y parle qu’en images. […] Rien n’est plus amusant que l’Eschyle breton ; Il nous porte à son gré du Tibre à la Tamise, Du Nil au Capitole et de Chypre à Venise, Mêle aux discours des rois les lazis des manans ; Confond les savetiers avec les conquérans ; Et des trois unités méprisant l’hérésie, Mettrait le monde entier dans une tragédie. […] En vain de ses écrits Walter Scott nous inonde ; Nous divaguions en prose avant qu’il fût au monde.

1416. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre V. Swift. » pp. 2-82

Un soir ce curé aperçoit un gentilhomme nouveau débarqué, va droit à lui, et, sans saluer, lui demande : « Dites-moi, monsieur, vous rappelez-vous un jour de beau temps dans ce monde ?  […] Mais d’autre part vous tolérerez et même vous aimerez le monde, si, pénétrant dans sa nature, vous vous occupez à expliquer ou à imiter son mécanisme. […] C’est que j’ai cru utile pour diverses raisons que le monde fût informé aussitôt que possible des mérites de Son Excellence. […] En un instant, par besoin d’action, il frappe, caresse, change cent fois de ton, de visage, avec de brusques mouvements, d’impétueuses saillies, quelquefois enfant, toujours homme du monde, de goût et de conversation. […] Il ne peut rencontrer ni le sublime ni l’agréable ; il n’a ni les entraînements de l’artiste, ni les divertissements de l’homme du monde.

1417. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre III. La Révolution. »

Écoutez les instructions que Peachum donne à sa fille ; ne sont-ce pas les propres maximes du monde ? […] Le monde corporel et ses lois ne leur semblent qu’un fantôme et une figure ; ils ne voient plus rien de réel que la justice, elle est le tout de l’homme comme de la nature. […] Le déisme et l’athéisme ne sont ici qu’une éruption passagère que le mauvais air du grand monde et le trop-plein des forces natives développent à la surface du corps social. […] Rarement, je crois, dans ce monde la spéculation est tombée plus bas. […] C’est le sens moral qui de la conscience publique le fait passer dans le monde littéraire, et de populaire le rend officiel.

1418. (1891) Enquête sur l’évolution littéraire

Le sublime Idéalisme de Platon est cruel pour notre Monde qu’il appelle monde d’apparence et d’ombres. […] Le monde physique est un vase empli de métaphysique. […] Chacun de nous conçoit un monde, d’accord. Néanmoins convenons que notre monde particulier n’est que l’élixir du monde initial, si prestement réintégré aux heures corporelles. […] Celui-ci naquit avec le monde, avec le monde il mourra.

1419. (1896) Le IIe livre des masques. Portraits symbolistes, gloses et documents sur les écrivains d’hier et d’aujourd’hui, les masques…

Au pauvre monde que de stupides sermons ont incliné vers les satisfactions de la vanité et du civisme, il enseignerait volontiers la joie toute simple d’être un brave animal. […] En cela un peu féminin, il se donne sincèrement à des passions successives dont le sourire lui dérobe le reste du monde et il se couche aux pieds de l’idole qu’il renversera demain. […] Le monde est une forêt de différences ; connaître le monde, c’est savoir qu’il n’y a pas d’identités formelles, principe évident et qui se réalise parfaitement dans l’homme puisque la conscience d’être n’est que la conscience d’être différent. […] Sa philosophie est une sorte de positivisme panthéiste et optimiste ; le monde évolue, du germe à la plénitude, de l’inconscience à l’intelligence, de l’instinct à la loi, du droit au devoir, ― vers le mieux. […] Il était venu pour sauver le monde ; mais la méchanceté du monde a été plus forte que sa parole, plus forte que sa mort, plus forte que sa résurrection.

1420. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Riposte à Taxile Delord » pp. 401-403

Jeune homme, qui vous destinez aux lettres et qui en attendez douceur et honneur, écoutez de la bouche de quelqu’un qui les connaît bien et qui les a pratiquées et aimées depuis près de cinquante ans, — écoutez et retenez en votre cœur ces conseils et cette moralité : Soyez appliqué dès votre tendre enfance aux livres et aux études ; passez votre tendre jeunesse dans l’etude encore et dans la mélancolie de rêves à demi-étouffés ; adonnez-vous dans la solitude à exprimer naïvement et hardiment ce que vous ressentez, et ambitionnez, au prix de votre douleur, de doter, s’il se peut, la poésie de votre pays de quelque veine intime, encore inexplorée ; — recherchez les plus nobles amitiés, et portez-y la bienveillance et la sincérité d’une âme ouverte et désireuse avant tout d’admirer ; versez dans la critique, émule et sœur de votre poésie, vos effusions, votre sympathie et le plus pur de votre substance ; louez, servez de votre parole, déjà écoutée, les talents nouveaux, d’abord si combattus, et ne commencez à vous retirer d’eux que du jour où eux-mêmes se retirent de la droite voie et manquent à leurs promesses ; restez alors modéré et réservé envers eux ; mettez une distance convenable, respectueuse, des années entières de réflexion et d’intervalle entre vos jeunes espérances et vos derniers regrets ; — variez sans cesse vos études, cultivez en tous sens votre intelligence, ne la cantonnez ni dans un parti, ni dans une école, ni dans une seule idée ; ouvrez-lui des jours sur tous les horizons ; portez-vous avec une sorte d’inquiétude amicale et généreuse vers tout ce qui est moins connu, vers tout ce qui mérite de l’être, et consacrez-y une curiosité exacte et en même temps émue ; — ayez de la conscience et du sérieux en tout ; évitez la vanterie et jusqu’à l’ombre du charlatanisme ; — devant les grands amours-propres tyranniques et dévorants qui croient que tout leur est dû, gardez constamment la seconde ligne : maintenez votre indépendance et votre humble dignité ; prêtez-vous pour un temps, s’il le faut, mais ne vous aliénez pas ; — n’approchez des personnages le plus en renom et le plus en crédit de votre temps, de ceux qui ont en main le pouvoir, qu’avec une modestie décente et digne ; acceptez peu, ne demandez rien ; tenez-vous à votre place, content d’observer ; mais payez quelquefois par les bonnes grâces de l’esprit ce que la fortune injuste vous a refusé de rendre sous une autre forme plus commode et moins délicate ; — voyez la société et ce qu’on appelle le monde pour en faire profiter les lettres ; cultivez les lettres en vue du monde, et en tâchant de leur donner le tour et l’agrément sans lequel elles ne vivent pas ; cédez parfois, si le cœur vous en dit, si une douce violence vous y oblige, à une complaisance aimable et de bon goût, jamais à l’intérêt ni au grossier trafic des amours-propres ; restez judicieux et clairvoyant jusque dans vos faiblesses, et si vous ne dites pas tout le vrai, n’écrivez jamais le faux ; — que la fatigue n’aille à aucun moment vous saisir ; ne vous croyez jamais arrivé ; à l’âge où d’autres se reposent, redoublez de courage et d’ardeur ; recommencez comme un débutant, courez une seconde et une troisième carrière, renouvelez-vous ; donnez au public, jour par jour, le résultat clair et manifeste de vos lectures, de vos comparaisons amassées, de vos jugements plus mûris et plus vrais ; faites que la vérité elle-même profite de la perte de vos illusions ; ne craignez pas de vous prodiguer ainsi et de livrer la mesure de votre force aux confrères du même métier qui savent le poids continu d’une œuvre fréquente, en apparence si légère… Et tout cela pour qu’approchant du terme, du but final où l’estime publique est la seule couronne, les jours où l’on parlera de vous avec le moins de passion et de haine, et où l’on se croira très clément et indulgent, dans une feuille tirée à des milliers d’exemplaires et qui s’adresse à tout un peuple de lecteurs qui ne vous ont pas lu, qui ne vous liront jamais, qui ne vous connaissent que de nom, vous serviez à défrayer les gaietés et, pour dire le mot, les gamineries d’un loustic libéral appelé Taxile Delord.

1421. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « [« Pages extraites d’un cahier de notes et anecdotes »] » pp. 439-440

Je veux noter ici, chemin faisant, mille petits détails que ma mémoire perdrait et qui me plairont un jour comme souvenirs. » Ces premières notes sont presque toutes relatives au monde de Mme Récamier et aux personnages que j’y voyais ou qu’elle avait connus. Elle aimait à parler des années anciennes et à initier ceux qu’elle appelait ses jeunes amis aux confidences d’autrefois : « C’est une manière, disait-elle, de mettre du passé dans l’amitié. » C’est donc elle qui parle autant et plus que moi dans ce que je vais dire : « La première passion de Mme de Staël, à son entrée dans le monde, a été pour M. de Narbonne qui s’est très mal conduit avec elle, comme font trop souvent les hommes après le succès.

1422. (1893) Thème à variations. Notes sur un art futur (L’Académie française) pp. 10-13

Car ils prennent garde que toutes choses vivent une vie métaphysique ; qu’il n’y a pas de si médiocre molécule qui ne soit le signe d’une existence abstraite ; que le visible demeure le symbole de l’invisible1 ; que la beauté extérieure dénonce la beauté intime2 ; que comme l’âme humaine est le miroir où reluit le monde, le monde est le miroir où reluit Dieu ; que tout s’exalte et tourbillonne dans un ouragan d’amour ; que tout halète et s’agenouille et prie pour l’offrande universelle au Seigneur.

1423. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre premier, premières origines du théâtre grec »

C’est de son génie qu’est sorti ce monde qui double la vie humaine en la reflétant. […] Dionysos — que nous appellerons Bacchus de son surnom le plus populaire — fit ce miracle, et créa ce monde.

1424. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre II. Causes générales qui ont empêché les écrivains modernes de réussir dans l’histoire. — Première cause : beautés des sujets antiques. »

Quand ces nations viennent à se rasseoir sur les débris du monde antique, un autre phénomène arrête l’historien : tout paraît subitement réglé, tout prend une face uniforme ; des monarchies partout ; à peine de petites républiques qui se changent elles-mêmes en principautés, ou qui sont absorbées par les royaumes voisins. […] Ces vertus générales, telles que l’humanité, la pudeur, la charité, qu’il a substituées aux douteuses vertus politiques ; ces vertus, disons-nous, ont aussi un jeu moins grand sur le théâtre du monde.

1425. (1910) Variations sur la vie et les livres pp. 5-314

Il lui écrivit force lettres, et le plus délicatement du monde. […] Le paralytique parlait vivement, l’œil luisant, et il riait avec la meilleure franchise du monde. […] C’était une amitié entière et parfaite, fort rare dans les affaires de ce monde. […] Mlle Yvette Guilbert peut se flatter d’avoir le plus beau cou du monde. […] tu parles du monde : tu ne sais guère ce que c’est.

1426. (1924) Souvenirs de la vie littéraire. Nouvelle édition augmentée d’une préface-réponse

L’anecdote et le fait dominent le monde. […] La face du monde se renouvelle avec une vitesse vertigineuse. […] Mendès a beaucoup de relations dans le monde des Théâtres. […] C’est un monde ! […] Pour rien au monde il n’eût manqué de faire ce geste.

1427. (1896) Impressions de théâtre. Neuvième série

— Et voilà comment je vins au monde ! […] — L’autre monde […] — Qu’est-ce que cela veut dire, l’autre monde ? […] C’est qu’il a oublié, et que le monde est neuf pour lui. […] … Et consentiriez-vous à partir avec elle, à l’emmener au bout du monde ?

1428. (1906) Propos de théâtre. Troisième série

Il n’y a rien de plus beau au monde. […] En ce point, il ne peut non plus réformer le monde. […] Il n’a plus qu’à se séparer de ce monde pour lequel il n’est pas fait. […] — Il a choisi son monde. — Il le congédiera. […] Son succès, qui a été très souligné, était le plus mérité du monde.

1429. (1880) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Première série pp. 1-336

C’est aussi la femme qu’on insulte, la femme qui, dans ce monde fermé de la bourgeoisie du moyen âge, semble avoir courbé la tête aussi bas qu’en aucun temps et qu’en aucun lieu du monde. […] Il n’est pas vrai que la nuit se soit étendue subitement sur le monde quand s’effondra l’énorme édifice de l’empire romain. […] « Je doute, lui écrivait-il, s’il y a un Voltaire dans le monde : j’ai fait un système pour nier son existence. […] Ainsi jadis les spectateurs de la Révolution croyaient voir commencer sous leurs yeux une époque nouvelle de l’histoire du monde. […] Boucherie sur la Littérature française au moyen âge et la Revue des Deux Mondes.

1430. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XIII » pp. 53-57

Ces querelles au reste déplaisent au monde : mais M. […] Ces querelles d’Université et de sacristie sont tellement du réchauffé qu’après quinze jours on est à bout, et que le monde qui devient dégoûté n’y a jamais mordu.

1431. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXVIII » pp. 113-116

A travers cela un filet courant de voyageurs et de beau monde. […] Dans la politique générale du monde, Rome me fait l’effet d’avoir désormais le rôle qu’a eu en France le ministère du cardinal Fleury : Et le garda jusqu’à nonante !

1432. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Odes et Ballades » (1822-1853) — Préface de 1828 »

Tous les principes que cette époque a posés, pour le monde des intelligences comme pour le monde des affaires, amènent déjà rapidement leurs conséquences.

1433. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre III. Des Philosophes chrétiens. — Métaphysiciens. »

Quand Newton et Bossuet découvraient avec simplicité leurs têtes augustes, en prononçant le nom de Dieu, ils étaient peut-être plus admirables dans ce moment, que lorsque le premier pesait ces mondes, dont l’autre enseignait à mépriser la poussière. […] Condillac s’écrie : « Les métaphysiciens mes devanciers se sont perdus dans les mondes chimériques, moi seul j’ai trouvé le vrai ; ma science est de la plus grande utilité.

1434. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre I. De l’action »

Au contraire, un loup seul peut faire celle de La Fontaine, « un loup rempli d’humanité », philosophe, et qui médite le plus sérieusement du monde. […] La mort six jours après le rencontrant sans coignée, avec son dail l’eût fauché et cerclé de ce monde. […] C’est un trésor d’être dans la solitude quand on y est avec son ami, et l’on ne perd pas à quitter pour lui toutes les autres compagnies du monde. Mais il semble que le destin n’ait autre chose à faire en ce monde qu’à séparer les amis. […] Pour moi, j’ai résolu d’aller quelque jour par le monde.

1435. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VIII. La littérature et la vie politique » pp. 191-229

C’est en vain que Néron prospère ; Tacite est déjà né dans l’Empire ; il croît inconnu auprès des cendres de Germanicus et déjà l’intègre Providence a livré à un enfant obscur la gloire du monde. » Dès lors c’est un ennemi qu’il faut frapper. […] N’y eut-il pas un professeur pour appliquer vers par vers au roi de Rome la quatrième églogue de Virgile et pour annoncer au monde le retour de l’âge d’or ramené par cet enfant miraculeux ? […] Nous en reparlerons, quand nous rencontrerons sur notre chemin le monde et les salons, par l’intermédiaire desquels s’exerce la puissante influence de la classe privilégiée. […] En 1830 et en 1848, cette large sympathie embrassant tous les peuples du monde a jailli de nouveau de son cœur, comme un pacifique jet de flamme, et dans ces dernières années, après avoir couvé sous la cendre de nos désastres de 1870, elle reparaît en flambées puissantes et vainement comprimées. […] Le monde était, pour ainsi dire, divisé en castes que séparaient des abîmes.

1436. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1886 » pp. 101-162

On sent chez lui un respect trop révérencieux pour les sentiments, les préjugés, les religions des mâles et des petites femelles du monde, au milieu desquels il vit. […] » Et ce pochard qui n’était soutenu, ni par la religion, ni par la lecture des moralistes, a eu la mort la plus stoïque du monde. […] Enfin, voici Meyer, et tout ce monde se jetant au-devant de lui pour le féliciter : « Ne me complimentez pas, Messieurs, aurait-il dit, cet homme est un lion !  […] Prêtre distingué, flatté de ce baptême littéraire, en ce temps d’anticatholicisme, mais mettant la réserve d’un homme du monde, dans les compliments adressés au père, au parrain. […] C’est là un caractéristique symptôme d’une fin de société, et ça ferait bien, comme terminaison d’un roman sur le grand monde.

1437. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXIXe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe (2e partie) » pp. 161-232

D’une main il portait le monde antique, de l’autre le monde chrétien. […] Le monde est muet comme la tombe. […] La révolution française secouait déjà le monde de ses pressentiments ; Goethe, au fond plus philosophe et aussi incrédule aux théories populaires du christianisme que Voltaire, dominait du haut d’une indifférence superbe les querelles religieuses et politiques du temps. […] , le monde physique comme le monde moral avait commencé par un état plus parfait, plus pur et plus lumineux, par un Éden dans lequel l’homme naissant avait entendu les confidences de Dieu par des révélateurs divins. Ces confidences et ces révélations de la science suprême avaient longtemps éclairé et régi le monde oriental ; puis elles s’étaient égarées, troublées, taries dans les sables, et, pour leur rendre leur pureté, il fallait, par des révélations purement humaines, les passer de siècle en siècle au filtre de la science et de la raison.

1438. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Lettres de m. l’Abbé Sabatier de Castres ; relatives aux trois siecles de la littérature françoise.ABCD » pp. -641

La premiere chute des Arts se fût perpétuée jusqu'à la fin du monde, si de petites craintes eussent arrêté ceux qui étoient faits pour s'engager dans la carriere des Lettres, & prétendre, comme vous, à ses distinctions. […] Tantôt il croit la matiere coéternelle avec Dieu, & tantôt il affirme la création du monde & de la matiere. […] Nos Descendans s'imagineront qu'il y a eu plusieurs Hommes de ce nom ; &, graces à lui, le Monde Intellectuel aura son Hercule, comme le Monde Fabuleux. […] Si vous êtes curieux d’apprendre comment, au milieu de cet ébranlement général, les Divinités majeures du Monde Philosophique ont vu les atteintes portées à leur culte & à leurs Adorateurs, vous saurez qu’elles sont restées muettes pendant quelque temps. […] Ce n’est pas tout, j’ai été travesti dans le monde en Méchant, en Hipocrite, en Monstre, en Démon.

1439. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Edmond et Jules de Goncourt »

Elle passe dans ce roman, qui est son histoire, comme ces natures supérieures qui ne savent pas aimer au-dessous d’elles, et qui s’en vont de ce monde sans donner leur main à un de ces êtres misérables que les femmes qui n’ont dégoût de rien, même de ce qu’elles méprisent, se résignent souvent à épouser. […] C’est une jeune fille comme il peut y en avoir dans tous les mondes, mal élevée comme on peut l’être dans tous les mondes, et dont on oublie, et qui oublie elle-même, son mauvais ton, à mesure que la vie la prend, la vie telle qu’elle est faite, sérieuse et quelquefois tragique… Il n’y a pas, à proprement parler, de bourgeois et de bourgeoisie là-dedans. […] Moi, j’appelle cela du matérialisme, et du plus borné et du plus stupide, du matérialisme vieux et incorrigible comme le monde, et qui, exilé des littératures fortes, ne manque jamais de reparaître dans les littératures décadentes, quand le souffle divin de la spiritualité n’anime plus les peuples que les littératures expriment. […] J’en ai connu, des réalistes, qui, ne pouvant aller dans un monde distingué, où en général les réalistes n’entrent pas, payaient à boire à des domestiques et prenaient des notes sur ce que les domestiques leur racontaient. […] C’est « des épanchements sur les sensations d’une jeune fille, les premières fois qu’elle va dans le monde ».

1440. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Victor Hugo »

Et il n’y a probablement au monde que Victor Hugo qui puisse se permettre la haute impertinence de jeter au nez du public le premier tome d’un ouvrage qui doit en avoir encore trois ! […] Nous avons cru à quelque philosophe ou à quelque bouffon de génie fouaillant le monde avec son rire, et nous nous disions : Comment s’y prendra-t-il pour être gai, cet homme le moins gai de France ? […] — pour qu’on crût à la culpabilité du Nabuchodonosor qui devait précéder dans la haine du monde sa Babylone écarlate, a été enveloppé dans des calomnies égales à celles dans lesquelles on a enveloppé le pontife, et ces calomnies, il fallait les détruire aussi bien que les autres. […] Hors cette légèreté d’un instant, cet oubli de la sévérité de son état, expliqué peut-être par les anciennes habitudes militaires et d’homme du monde, le cardinal Rodrigue Borgia reste, dans l’histoire du R. […] ce crime incomparable dans les annales du monde, parce qu’il tua à travers un homme le principe qui fait vivre les nations, — le principe d’autorité !

1441. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « George Farcy »

Il avait beaucoup désiré connaître le monde, le voir de près dans son éclat, dans les séductions de son opulence, respirer les parfums des robes de femmes, ouïr les musiques des concerts, s’ébattre sous l’ombrage des parcs ; il vit, il eut tout cela, mais non en spectateur libre et oisif, non sur ce pied complet d’égalité qu’il aurait voulu, et il en souffrait amèrement. […] « Il n’a pas encore de position ni d’engagements dans le monde ; ses actions et ses paroles sont sans conséquence. […] Le sentiment de la vie, de l’effort contraire, de l’action et de la réaction, remplace la conception de l’idée abstraite et subtile, et morte pour ainsi dire, puisqu’elle n’est pas incarnée dans le monde… On va, on sent avec la foule ; on a failli parce qu’on a vécu, et l’on se prend d’indulgence pour les fautes des autres. Toutes nos erreurs nous sont connues ; l’âpreté de nos jugements d’autrefois nous revient à l’esprit avec honte ; on laisse désormais pour le monde le temps faire ce qu’il a fait pour nous, c’est-à-dire éclairer les esprits, modérer les passions. » Il n’était pas temps encore pour Farcy de rentrer dans l’Université ; le ministère de M. […] Le monde politique et littéraire était alors divisé en partis, en écoles, en salons, en coteries.

1442. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Jouffroy »

On accomplirait la dernière moitié de la tâche, on appliquerait la vérité et la justice, on rajeunirait le monde. […] Il y a ainsi à dire que l’intelligence exclusivement étalée décolore le monde, en refroidit le tableau et est trop sujette à le réfléchir par les aspects analogues à elle-même, par les pures abstractions et idées qui s’en détachent comme des ombres. […] Il est trop question avec lui, au point de vue où il se place, de se croiser les bras et de regarder, — avec lui qui, à l’heure la plus ardente de sa jeunesse, peignant la noble élite dont il faisait partie, écrivait : « L’espérance des nouveaux jours est en eux ; ils en sont les apôtres prédestinés, et c’est dans leurs mains qu’est le salut du monde… Ils ont foi à la vérité et à la vertu, ou plutôt, par une providence conservatrice qu’on appelle aussi la force des choses, ces deux images impérissables de la Divinité, sans lesquelles le monde ne saurait aller longtemps, se sont emparées de leurs cœurs pour revivre par eux et pour rajeunir l’humanité. » Et c’est ici, peut-être, que s’explique un coin de l’énigme que nous nous posions plus haut, au sujet de ces intelligences si supérieures à leur action et à leur œuvre. […] Nul ne le sait que nous ; et ce que le monde admire ensuite de nos œuvres, n’est guère que le reflet affaibli et l’ombre d’un sublime moment envolé. […] Dans les larges cadres de la destinée que la Providence a faite au monde, il y a place pour la vertu et la folie des hommes, pour le dévouement des héros et l’égoïsme des lâches. » C’était dans sa chambre de la rue du Four-Saint-Honoré, à l’ouverture d’un des cours particuliers auxquels le confinait l’interdiction universitaire, que M. 

1443. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIVe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 257-320

comprendre enfin, dans une exécration universelle, le climat, le génie, la langue, le caractère de dix nations des plus heureusement douées par le ciel, et chez lesquelles tant de grands écrivains, tant de nobles caractères semblent renouvelés de siècle en siècle pour protester contre la décadence même de cet empire du monde qu’aucun peuple n’a pu conserver ? […] L’inspiration même, qui manquait quelquefois à la figure au repos, reparaissait en elle aussitôt qu’elle oubliait le monde pour s’abandonner à son génie plastique. […] Son mari est mort, et elle vit maintenant retirée du monde dans quelque asile religieux d’Allemagne. […] Les mondes que tu répares Devant toi vont rajeunir, Et jamais tu ne sépares Le passé de l’avenir. […] Ce monde, monsieur, n’est qu’un grand oubli pour la plupart ; je ne dis pas cela pour toi, notre Fior d’Aliza, qui ne nous as jamais oubliés dans notre misère et qui as préféré la veste brune et le bonnet de laine de ton cousin aux plus riches habits et aux chapeaux galonnés des villes.

1444. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxive Entretien. Réminiscence littéraire. Œuvres de Clotilde de Surville »

L’enthousiasme ne sait pas choisir, il va où l’engouement de son temps le pousse, et le monde des idées est plus mobile encore que celui des réalités. […] Le monde passe et change en passant, à chaque petit hasard industriel qui apprend à coudre sans dé et sans main ou à faire un nœud servant de tête à un clou ou de tête à une épingle. […] Tout commence et tout finit dans ce bas monde. […] L’Éternel d’un regard brize enfin mille obstacles, Des cieulx ouverts veille encore sur nos lys : Eust-il au monde engtier desnyé des miracles, Il en debvroit au trosne de Clovis. […] faut que ne sois au monde, Ou que tes feulx n’approschent pas des miens !

1445. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 février 1885. »

La Revue Wagnérienne tâchera à donner par des statistiques une idée du mouvement wagnérien dans le monde artistique : il est considérable ; l’œuvre de Wagner accapare toute l’attention ; ainsi, à Paris, chacun s’occupe de ses drames que nul théâtre ne peut jouer. […] Véron fit savoir au monde qu’il était à ce point ennemi du révolver qu’il ne tuerait même pas quelqu’un lui jouant du Wagner. […] Paul Scudo (1806-1864) était un critique de la Revue des deux mondes. […] La rubrique Le Mois wagnérien, recensait les concerts et représentations wagnériennes dans le monde entier. […] La Revue de Bayreuth (Bayreuther Blätter) est une publication importante pour le monde wagnérien d’alors.

1446. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 15 décembre 1886. »

Lamoureux dirige le plus admirablement du monde les œuvres complètes de Mendelsohn ; il nous a rendu cependant le divin joyau de Siegfried-Idyll, et, dimanche, le prélude de Parsifal. […] Lorsque le soleil glissait entre les branches, criblant de flèches d’or l’herbe drue des clairières, le trille étincelant de l’oiseau disait au rêveur les féeries des palais enchantés, les fiancées blondes, parées de gemmes éblouissantes, tout un monde enfin de fidèle et glorieux amour. […] Mais il fallait compter avec les lecteurs de la Revue des deux Mondes et ne pas s’exposer à compromettre le résultat des concerts en affichant des prédilections trop wagnéristes. […] Dans le monde antique une harmonie existait, inconsciente, entre l’homme et la nature environnante ; l’humanité, de l’avenir devra rétablir, consciemment, cette harmonie. […] Scudo (1806-1864) était un critique de la Revue des deux mondes.

1447. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre VI. L’espace-temps à quatre dimensions »

Lors donc que, dans ce qui va suivre, nous nous servirons de notre Espace à trois dimensions, réellement perçu, pour donner un corps aux représentations d’un mathématicien assujetti à un univers plat, — représentations pour lui concevables mais non pas imaginables, — cela ne voudra pas dire qu’il existe ou puisse exister un Espace à quatre dimensions capable à son tour de réaliser en forme concrète nos propres conceptions mathématiques quand elles transcendent notre monde à trois dimensions. […] Nous qui habitons un monde à trois dimensions, nous pourrons nous représenter le mobile M entraînant avec lui une ligne MN perpendiculaire au plan et dont la longueur variable mesurerait à chaque instant le temps écoulé depuis l’origine. […] Mais ces parties, constitutives de ce qu’on appelle le monde physique, sont encadrées dans d’autres, sur lesquelles votre calcul n’a pas eu de prise jusqu’à présent, et que vous déclarez calculables par suite d’une assimilation entièrement hypothétique : il y a de l’organique, il y a du conscient. Moi qui suis inséré dans le monde organisé par mon corps, dans le monde conscient par l’esprit, je perçois la marche en avant comme un enrichissement graduel, comme une continuité d’invention et de création. […] Mais la pensée, qui déborde le pur entendement, sait bien que, si l’intelligence a pour essence de dégager des lois, c’est afin que notre action sache sur quoi compter, c’est afin que notre volonté ait plus de prise sur les choses : l’entendement traite la durée comme un déficit, comme une pure négation, afin que nous puissions travailler avec le plus d’efficacité possible dans cette durée qui est pourtant ce qu’il y a de plus positif au monde.

1448. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre III. De la logique poétique » pp. 125-167

En tête de ce que nous ayons à dire sur ce sujet, nous plaçons la tradition égyptienne selon laquelle trois langues se sont parlées, correspondant, pour l’ordre comme pour le nombre, aux trois âges écoulés depuis le commencement du monde, âges des dieux, des héros et des hommes. […] Cette phrase proverbiale, vivre les années de Nestor, signifiait, vivre autant que le monde. […] De l’ancien nom de ce dieu Jous, dérivèrent les génitifs Jovis et juris. — Les Latins appelaient les terres prædia, parce que, ainsi que nous le ferons voir, les premières terres cultivées furent les premières prædæ du monde. […] Ces caractères n’étaient autre chose que les caractères mathématiques et les figures géométriques, que les Phéniciens avaient eux-mêmes reçus des Chaldéens, les premiers mathématiciens du monde. […] Ainsi, les premiers peuples qui nous représentent l’enfance du genre humain, fondèrent d’abord le monde des arts ; les philosophes, qui vinrent longtemps après, et qui nous en représentent la vieillesse, fondèrent le monde des sciences, qui compléta le système de la civilisation humaine.

1449. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « UNE RUELLE POÉTIQUE SOUS LOUIS XIV » pp. 358-381

son esprit, en ce cas, justifia le proverbe en redoublant de gentillesse : c’était du plus coquet et du plus fin dans le monde même de Mme de Sévigné, sa voisine de campagne à Livry. […] Un vieil ami que j’ai dans le canton de Vaud, vrai connaisseur en poésie, un homme qui a vu André Chénier en 89, et qui faisait alors lui-même, à Paris, un journal très en vogue ; qui depuis s’est enfermé dans les vieux livres, et qui sait son La Fontaine mieux qu’éditeur au monde, M. […] On aime à retrouver tout un monde dans un fraisier ; mais il ne faut pas que le fraisier soit trop desséché ni mort. […] Vivant dans ses diocèses, à Lavaur, à Nîmes, c’est-à-dire en province, il regrettait quelque peu le monde de Paris et les belles compagnies lettrées ; il était d’autant mieux resté sur le premier goût de sa jeunesse. […] Le pauvre homme n’y a pas trouvé son compte, et il m’avoua toute votre confidence sur cela : c’est être bien malicieux, et si j’avois loisir de vous quereller, je le ferois avec la plus grande joie du monde.

1450. (1868) Alexandre Pouchkine pp. 1-34

Il plut aux adeptes de la philosophie sensuelle que la cour de Catherine II avait introduite dans le grand monde. […] Il abandonne les héros de l’antiquité et cherche ses sujets dans le monde où nous vivons. […] Un homme qui a vécu dans le monde et qui en a été chassé trouve un asile parmi les Bohémiens. […] Après avoir été quelque temps le roi de la mode, il prend en pitié ses faciles succès ; le monde l’ennuie, et, blasé avant trente ans, il va vivre à la campagne, fort mal vu de ses voisins, qu’offense sa supériorité. […] Le général n’est pas jaloux, il est plein de confiance dans sa femme ; mais celle-ci est prudente, et sa science du monde, nouvellement acquise, elle s’en sert pour éviter le danger, sans paraître le craindre ou même le soupçonner.

1451. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Appendice »

Seul maintenant dans ce monde, pour qui je suis un étranger. […] Et ce monde nouveau voudra-t-il de moi ? […] Il fallait pourtant chercher à me créer une nouvelle existence dans ce monde pour lequel j’étais si peu fait. […] Ce n’est pas de voir des hommes qui constitue la société, c’est d’avoir avec eux quelques-uns de ces rapports qui rappellent qu’on n’est pas seul au monde. […] Mais je fais pour vous ce que je ne fais pas pour ce que j’ai de plus cher au monde, ma sœur, par exemple, à qui hier j’ai expédié une lettre d’un quart de page, tant je suis accablé de travail.

1452. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Études sur Saint-Just, par M. Édouard Fleury. (2 vol. — Didier, 1851.) » pp. 334-358

Et tout d’abord je dirai la pensée qui, pour moi, résulte de toute cette étude que je viens de faire sur Saint-Just, c’est qu’il est déplorable que des hommes encore si jeunes, si peu faits, et qui périssent avant vingt-cinq ans, viennent ainsi s’imposer violemment au monde et condamner l’attention de l’histoire à les suivre dans leurs égarements d’écolier et de libertin. […] Des portions sérieuses, des complications de systèmes sur le monde physique et moral s’y mêlaient. […] Et un écrivain aussi a très bien défini Saint-Just : « C’est un monstre bien peigné et qui débite des apophtegmes. » Dans sa parole brève, concise et coupante, et assez habilement relevée de rares images, il ne doutait de rien : Travaillons enfin pour le bonheur du peuple, disait-il magistralement, et que les législateurs qui doivent éclairer le monde prennent leur course d’un pied hardi, comme le soleil. […] … Il disait encore, à propos de la vigilance perpétuelle et de l’infatigable activité qu’il s’imposait à lui et aux autres : Ceux qui font les révolutions dans le monde, ceux qui veulent faire le bien, ne doivent dormir que dans le tombeau. […] C’est que les révolutions, à tant d’égards fatales, le sont particulièrement en ce qu’elles soumettent à la plus redoutable épreuve des âmes qui, dans un ordre plus régulier, parviendraient à franchir d’une manière moins funeste pour le monde et pour elles-mêmes les détroits orageux de la jeunesse.

1453. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — I. » pp. 431-451

Jugeant trop des autres d’après lui, et aussi d’après le milieu parisien de son temps, Gibbon crut le monde arrivé à un état complet d’indifférence et de scepticisme. […] Ses idées favorites de gouvernement concordent avec celles d’Horace Walpole ; il a placé volontiers, comme ce dernier, son âge d’or historique dans cette merveilleuse période et cette ère élyséenne du siècle des Antonins, « dans laquelle le monde vit cinq bons monarques se succéder sans interruption77 ». […] Dans son premier écrit (l’Essai sur l’étude de la littérature), et quinze ans avant de publier sa grande composition historique, il décelait déjà sa préférence pour ce grand tout continu et pacifique de l’Empire romain ; il le place presque au niveau de ce que l’Europe est devenue depuis ; il fait remarquer de plus, à l’avantage de cet ancien état du monde, que des pays, aujourd’hui barbares, étaient éclairés alors et jouissaient des bienfaits de la civilisation : Du temps des Pline, des Ptolémée et des Galien, dit-il, l’Europe, à présent le siège des sciences, l’était également ; mais la Grèce, l’Asie, la Syrie, l’Égypte, l’Afrique, pays féconds en miracles, étaient remplis d’yeux dignes de les voir. […] Il alla dans le monde, s’accoutuma à la société des femmes et se débarrassa de sa gaucherie primitive. […] Gibbon eut besoin de sa réputation d’auteur pour se faire dans son pays toute sa place ; il était peu préparé à être homme du monde par son enfance maladive, son éducation étrangère et son caractère réservé.

1454. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le baron de Besenval » pp. 492-510

C’est l’oubli qui est le plus cruel des jugements pour ces morts qui, du temps qu’ils vivaient, n’avaient que ce monde en vue. […] Comme on n’entrait pas dans celle-ci, il y avait un monde infini dans la rue. […] Je ne sais rien qui peigne mieux le genre de rouerie cher à ce monde oisif et raffiné, que le chapitre de Besenval intitulé Aventures de la société, et qui se rapporte à des intrigues galantes tramées vers 1753. Le roman de Clarisse venait de paraître, et comme il arrive pour tous les romans qui ont du succès, le monde, afin de le rendre plus ressemblant, s’appliqua aussitôt à l’imiter, à le copier de point en point. […] C’est l’homme du monde que j’envie davantage : il a un caractère unique. » À merveille pour un homme de société et qu’on appelle aimable !

1455. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — III — Toujours Vauvenargues et Mirabeau — De l’ambition. — De la rigidité » pp. 38-55

Je ne vois point ce pays-là des mêmes yeux ; j’y crois démêler des agréments qui peuvent toucher l’esprit ; je n’y vois point ce qui vous choque : j’y vois, au contraire, le centre du goût, du monde, de la politesse, le cœur, la tête de l’État, où tout aboutit et fermente, d’où le bien et le mal se répandent partout ; j’y vois le séjour des passions, où tout respire, où tout est animé, où tout est dans le mouvement, et, au bout de tout cela, le spectacle le plus orné, le plus varié, le plus vif que l’on trouve sur la terre. […] Ce jeune homme, et très jeune homme au temps où il servait avec Vauvenargues, avait le trait caractéristique de sa famille : « Je lui trouve dans l’humeur quelque chose des Riquetti, qui n’est point conciliant. » Vauvenargues, qui jugeait ainsi le petit chevalier, essayait de lui insinuer un peu de douceur, de politesse de ton et de mœurs, de l’assouplir. « Quant au genre de persuasion que vous soufflez au chevalier, lui disait Mirabeau, vous ne réussirez pas, s’il est du même sang que nous ; votre système est d’arriver aux bonnes fins par la souplesse ; le mien est d’arriver au bien, droit devant moi, ou par la violence ; de fondre sur le mal décidé, de l’épouvanter, et enfin de m’éloigner de ce qui n’a la force d’être ni l’un ni l’autre. » Ce système à outrance et que Vauvenargues a décrit dans un de ses caractères intitulé Masis (évidemment d’après Mirabeau), est le contraire de sa science à lui, de sa tactique dans le maniement des esprits, qui va à les gagner par où ils y prêtent, et à en tirer le parti le meilleur : Où Masis a vu de mauvaises qualités, jamais il ne veut en reconnaître d’estimables ; ce mélange de faiblesse et de force, de grandeur et de petitesse, si naturel aux hommes, ne l’arrête pas ; il ne sait rien concilier, et l’humanité, cette belle vertu, qui pardonne tout parce qu’elle voit tout en grand, n’est pas la sienne… Je veux une humeur plus commode et plus traitable, un homme humain, qui ne prétendant point à être meilleur que les autres hommes, s’étonne et s’afflige de les trouver plus fous encore ou plus faibles que lui ; qui connaît leur malice, mais qui la souffre ; qui sait encore aimer un ami ingrat ou une maîtresse infidèle ; à qui, enfin, il en coûte moins de supporter les vices que de craindre ou de haïr ses semblables, et de troubler le repos du monde par d’injustes et inutiles sévérités. […] C’est là ce qui m’a donné cet air de philosophie, qu’on dit que je conserve encore, car je devins stoïcien de la meilleure foi du monde, mais stoïcien à lier ; j’aurais voulu qu’il m’arrivât quelque infortune remarquable, pour déchirer mes entrailles, comme ce fou de Caton, qui fut si fidèle à sa secte. […] Vauvenargues va même jusqu’à vouloir, quand on rencontre dans le monde de ces demi-sots et de ces ignorants dont il est rempli, qu’on ne rompe pas en visière, et qu’on tâche d’écrémer ces esprits légers, « de leur prendre ce qu’ils ont de spécieux pour leur ôter leurs avantages ; qu’on se familiarise avec leurs vices ou leur folie, afin de savoir s’en servir, s’en prévaloir ou s’en défendre, au lieu de fuir, de gronder ou de se laisser éblouir ». […] Sur le Régent toutefois, sur son immoralité en tant que gouvernant, et sur quelques points de fait, Mirabeau, qui sait mieux son monde et la corruption présente que ne la pouvait deviner le solitaire bienveillant, le réfute et le bat sans peine : « Il (le Régent) a introduit ce monstrueux oubli des bienséances qui sera, je crois, l’époque de la décadence de cet État ; car l’on ne revient jamais aux mœurs, quand une fois on les a perdues.

1456. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette (suite et fin.) »

« Elle assista, contre tous les usages, aux séances du Conseil où furent délibérés les principes et les formalités des élections et de la convocation des États-Généraux64. » Elle ne se montra point contraire à ce qui fut résolu ; en cela elle se séparait dès lors de son monde intime et du comte d’Artois, aveuglément voué aux intérêts de la Noblesse. […] Le mercredi il s’assembla beaucoup de monde sous mes fenêtres qui demandèrent le roi et la reine. […] À présent il y a moins de monde : la garde nationale y a mis ordre. […] On voit du monde tous les jours. […] On était mis directement en contact avec la mer montante et avec les flots, et on ne pouvait ni céder toujours sans se perdre, ni résister le moins du monde sans émouvoir et irriter l’élément mobile.

1457. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Saint-Simon considéré comme historien de Louis XIV, par M. A. Chéruel »

Mais cette substitution n’était pas du fait de Saint-Simon ni le moins du monde, de sa part, un acte de subtilité et un dol. […] Saint-Simon aime à dire la vérité ; il croit la dire, il la cherche et se donne toutes les peines du monde pour la trouver ; mais ses informations peuvent l’abuser, sa passion l’emporte, son feu de coloriste s’en mêle : de là des excès de pinceau et des erreurs matérielles comme en contiennent nécessairement tous les Mémoires qui ne sont pas faits sur pièces et qui s’écrivent d’après des impressions ou sur des on dit. […] Et cependant rien qu’avec sa galerie de la Fronde, et les dix-sept portraits qui la composent, et n’eût-il que ces pages à opposer à ses détracteurs, Retz écrase à jamais tous les Bazin du monde par la largeur et l’éclat de la vérité morale, par la ressemblance expressive des caractères et des figures ; il rejoint les Vénitiens. […] Il a parfaitement distingué chez Saint-Simon ce qu’il y faut distinguer, la différence des moments et des époques : lorsque Saint-Simon parle des événements et des hommes d’avant sa naissance, d’avant son entrée dans le monde, il est nécessairement moins bien informé ; il est sujet aux traditions et préventions qui lui ont été transmises : il a pu et dû se tromper plus fréquemment. […] Il a véritablement arraché des milliers d’êtres à l’oubli et à la nuit des temps ; à la place d’une sèche nomenclature, il a fait éclore et fourmiller tout un monde.

1458. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Idées et sensations : par MM. Edmond et Jules de Goncourt. »

— Les genres dits nobles et élevés ne leur imposent pas le moins du monde. La religion de l’histoire, le numen historiæ de Pline le Jeune et de Tacite, ils n’en ont pas une bien haute idée, ils ne l’admettent pas : « L’histoire, disent-ils, est un roman qui a été ; le roman est de l’histoire qui aurait pu être. » — La tragédie, ils n’en pensent pas mieux que de l’histoire, mais ils la redoutent davantage, et ils lui en veulent comme au fantôme ennemi qu’on évoque de temps en temps et qu’on fait semblant de ressusciter contre les genres vivants et modernes ; ils disent : « Il est permis en France de scandaliser en histoire : on peut écrire que Néron était un philanthrope, ou que Dubois était un saint homme ; mais en art et en littérature les opinions consacrées sont sacrées : et peut-être, au xixe  siècle, est-il moins dangereux, pour un homme de marcher sur un crucifix que sur les beautés de la tragédie. » Artistes jusqu’à la moelle, ils voient le monde par ce côté unique de l’art ; c’est par là qu’ils sont offensés, c’est par là qu’ils jouissent ; c’est à être un artiste indépendant, sincère, absolu et sans concession, qu’ils mettent le courage civil : « Il faut plus que du goût, il faut un caractère pour apprécier une chose d’art. […] Le monde de l’art, au contraire, contient les nobles âmes, les aines mélancoliques, les âmes désespérées, les âmes fières et gouailleuses, — comme Watteau, qui échappe aux amitiés des grands et parle de l’hôpital ainsi que d’un refuge ; comme Lemoyne, qui se suicide ; comme Gabriel de Saint-Aubin, qui boude l’officiel, les Académies, et suit son génie dans la rue… Aujourd’hui nous avons changé cela : ce sont les lettres qui ont pris cette libre misanthropie de l’art. » Je le répète, cette page n’est pas juste. […] Mais je préfère à toute autre page du recueil le morceau final où MM. de Goncourt se montrent bien tels qu’ils sont dans l’habitude, plus amis de l’intimité que du grand monde, et plus amis surtout de la société que de la nature. […] « Il semble que, dans la création du monde et des choses, le Créateur n’ait, été ni libre ni tout-puissant.

1459. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

je m’aperçois, à ma manière de penser, que je deviens de jour en jour plus manant et plus trouble-fête. » — C’est le résumé de ce que j’ai eu à répondre depuis une quinzaine à plus d’un contradicteur, homme du monde et de bon ton. […] Mais autour de lui, et sous son influence, se formait peu à peu une opinion qui gagnait et qui avait ses courants de toutes parts dans ce haut monde officiel, où chacun commençait à penser à soi. […] mais ce n’est rien pour débarrasser le monde d’un tel fléau. » Ces paroles ont été dites, entendues et répétées. […] « À ce moment, l’abbé de Pradt, archevêque de Malines, qui aimait passionnément jouer au moins le rôle de marmiton dans toutes les cuisines politiques, eut vent de l’affaire, et il me conta (c’est Berryer qui parle) l’anecdote en ces termes : « Je voulais savoir (disait donc l’abbé de Pradt) de quoi il était question, et il était impossible de faire parler le prince de Talleyrand entouré de monde et sur ses gardes. […] Il disait de lui : « C’est encore l’homme qui connaît le mieux ce siècle et le monde, les cabinets et les peuples.

1460. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DISCOURS DE RÉCEPTION A L’ACADÉMIE FRANÇAISE, Prononcé le 27 février 1845, en venant prendre séance à la place de M. Casimir Delavigne. » pp. 169-192

Le monde, qui eût été empressé de l’attirer, ne le tentait pas : on peut dire de lui, selon une expression heureuse, que le monde ne l’a pas vu et ne l’a pas connu, il ne l’a qu’entendu. Casimir Delavigne semblait comprendre de loin que ce monde si aimable, si flatteur et tout à fait engageant, s’il aguerrit l’homme, intimide parfois le talent. […] On ne le voyait plus du tout dans le monde, où il n’était jamais allé qu’à son corps défendant. […] (Il m’était arrivé rarement, trop rarement, avant ce Discours, d’écrire sur Casimir Delavigne ; je l’avais pourtant fait en deux circonstances, l’une déjà bien ancienne, dans le Globe, à l’occasion des Sept Messéniennes de 1827, et une autre fois assez récemment dans la Revue des Deux Mondes, à l’occasion de la Popularité (1838) ; je ne crains pas de donner ci-après, en appendice, ces deux morceaux dans lesquels, avec la différence du ton, on retrouvera exprimées plusieurs idées qui chez moi ne sont pas si nouvelles ; de tout temps, par exemple, j’ai pensé que la vocation de Casimir Delavigne était d’être classique.

1461. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 193-236

Les frères pénitents vinrent plusieurs fois dans la soirée réciter les prières des agonisants pour lui dans la cour ; la dernière fois, ils ouvrirent la porte et lui dirent que la religion avait des pardons pour tout le monde, et que, s’il voulait se repentir et mourir en bon chrétien, il n’avait qu’à emprunter le lendemain l’habit de la confrérie pour marcher au supplice, où tous les pénitents noirs l’accompagneraient en priant pour son âme. […] Mais nous sommes dans un monde où rien n’est perdu, n’est-ce pas, ma tante ? […] Elle était pleine de monde en deuil que les cloches, annonçant le supplice, et la prière des morts, avaient réveillé et rassemblé dès le matin ; un cordon de sbires les tenait à distance ; les pénitents, en longues files, m’entouraient et me suivaient : un petit enfant, à côté du père Hilario, marchait devant moi et tendait une bourse aux spectateurs pour les parents du meurtrier. […] Depuis ce moment, je ne vis plus rien, j’étais dans un autre monde. […] Nous ne pouvons vous recevoir dans une sainte maison comme la nôtre ; le monde est si méchant !

1462. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre III. La poésie : V. Hugo et le Parnasse »

L’homme869, moralement, est assez médiocre : immensément vaniteux, toujours quêtant l’admiration du monde, toujours occupé de l’effet, et capable de toutes les petitesses pour se grandir, n’ayant ni crainte ni sens du ridicule, rancunier impitoyablement contre tous ceux qui ont une fois piqué son moi superbe et bouffi, point homme du monde, malgré cette politesse méticuleuse qui fut une de ses affectations, grand artiste avec une âme très bourgeoise, laborieux, rangé, serré, peuple surtout par une certaine grossièreté de tempérament, par l’épaisse jovialité et par la colère brutale, charmé du calembour et débordant en injures : nature, somme toute, vulgaire et forte, où l’égoïsme intempérant domine. […] Il se fait de la nature un vaste magasin d’images, où sa pensée se fournit tantôt de thèmes à variations verbales pour l’exercice de sa prodigieuse invention, tantôt de formes à vêtir les idées ; et c’est parce que nulle affection permanente de son âme n’est engagée dans sa perception du monde extérieur qu’il dispose si librement de toutes ses sensations pour les transformer en métaphores ou en symboles au service de ses conceptions intellectuelles. […] Dieu, l’inconnaissable, l’humanité, le mal dans le monde, la misère et le vice, le devoir, le progrès, l’instruction et la pitié comme moyens du progrès, voilà quelques idées centrales que V. […] Bourget, Essais de psychologie contemporaine, Brunelière, la Statue de Baudelaire, Rev. des Deux Mondes, 1er sept. 1892.

1463. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Le père Monsabré »

Une fois les lourds battants feutrés retombés derrière vous, tout est fini, rien de tout cela n’existe plus : vous entrez dans un monde nouveau, dans un lieu de mystère où vous pouvez croire que la vie est un vague et mauvais rêve allégé par des trêves bienfaisantes qui font pressentir le réveil ailleurs ; et vous sortirez avec une douceur dans l’âme et une résignation un peu moins inutile que la révolte. « Venez, vous qui peinez et qui êtes chargés, et je vous soulagerai. » Mais, au lieu de gueux et de claque-patins, des messieurs, qui ont toutes sortes de raisons pour se consoler de vivre, viennent occuper les places d’abonnés, les stalles de velours en face de la chaire. Ce sont des « hommes du monde », cela se voit à leur mise et à leur façon de se saluer, de sourire, de se serrer la main. […] On m’assure que le conférencier de Notre-Dame est le plus brave homme du monde et qu’il est très gai, d’une gaieté facile, joviale, bruyante, presque gamine. […] Il pourra bien sans doute démontrer par les preuves traditionnelles chaque article de la doctrine, mais pour les fidèles seulement, avec cette pensée que ces arguments ne peuvent convaincre que ceux qui sont persuadés d’avance, sans prétendre foudroyer les incrédules par des raisonnements irréfragables et sans supposer non plus que ces malheureux soient toujours de mauvaise foi ni qu’ils se donnent tous pour des esprits forts : car il y en a qui se donnent de la meilleure grâce du monde pour des esprits faibles, incertains, gouvernés par des forces obscures, incapables d’atteindre l’absolue vérité.      […] Supposons que la confession n’ait pas été instituée par Jésus-Christ : ou bien elle aurait été inventée et imposée, à un moment donné, par un seul homme ; ou bien elle se serait répandue peu à peu dans le monde chrétien.

1464. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « M. de Féletz, et de la critique littéraire sous l’Empire. » pp. 371-391

Pendant toute sa vie, il n’a vu le monde qu’à travers le nuage de ses préjugés ; à vingt ans, il ne goûtait pas les romans à grands sentiments ; à cinquante, il n’a composé que des romans à grands sentiments… Et si Geoffroy ne le dit pas, il nous aide à conclure que la politique de Rousseau n’était elle-même qu’un roman de ce genre. On n’est jamais entré dans le monde littéraire avec moins de respect pour les grands noms de la veille que Geoffroy. […] Homme du monde, du commerce le plus aimable et le plus sûr, il ne considéra jamais la société comme un obstacle à son genre d’esprit et de travail : il y aurait vu plutôt une inspiration. […] Il vivait dans le meilleur monde, qui le recherchait extrêmement. […] Presque aveugle depuis des années, il n’allait plus dans le monde, mais on venait à lui.

1465. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits de Fénelon. (1850.) » pp. 1-21

Il a rempli cet autre vœu de Fénelon : « Il ne faut prendre, si je ne me trompe, que la fleur de chaque objet, et ne toucher jamais que ce qu’on peut embellir. » Et, enfin, il semble avoir été mis au monde exprès pour prouver qu’en poésie française il n’était pas tout à fait impossible de trouver ce que Fénelon désirait encore : « Je voudrais un je ne sais quoi, qui est une facilité à laquelle il est très difficile d’atteindre. » Prenez nos auteurs célèbres, vous y trouverez la noblesse, l’énergie, l’éloquence, l’élégance, des portions de sublime ; mais ce je ne sais quoi de facile qui se communique à tous les sentiments, à toutes les pensées, et qui gagne jusqu’aux lecteurs, ce facile mêlé de persuasif, vous ne le trouverez guère que chez Fénelon et La Fontaine. […] Saint-Simon, dans ses mémoires, a tellement rendu au vif cette entrée de Fénelon à la Cour, cette initiation dans le petit monde particulier de Mme de Maintenon, des ducs de Beauvilliers et de Chevreuse, cette rapide fortune de l’heureux prélat, sitôt suivie de tant de vicissitudes et de disgrâces, tout ce naufrage d’espérances qui est aujourd’hui une touchante partie de sa gloire, qu’on ne saurait que renvoyer à un tel peintre, et que ce serait profanation de venir toucher à de pareils tableaux, même lorsqu’on peut croire qu’il y a quelques traits hasardés. […] Chacun fait l’entendu, comme s’il était immortel ; le monde n’est qu’une cohue de gens vivants, faibles, faux et prêts à pourrir ; la plus éclatante fortune n’est qu’un songe flatteur. […] La veille, il était l’homme du règne futur et des prochaines espérances ; aujourd’hui il n’est plus rien, son rêve a croulé, et s’il pouvait l’oublier un seul instant, le monde est là aussitôt pour le lui dire. […] Fénelon connaît à fond le monde et les hommes, il n’a pas une illusion sur leur compte.

1466. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Confessions de J.-J. Rousseau. (Bibliothèque Charpentier.) » pp. 78-97

Songe-t-elle le moins du monde à nous le dire ? […] Rousseau est le premier qui ait forcé tout ce beau monde d’en sortir, et de quitter la grande allée du parc pour la vraie promenade aux champs. […] De telles pages étaient en littérature française la découverte d’un monde nouveau, d’un monde de soleil et de fraîcheur qu’on avait près de soi sans l’avoir aperçu encore ; elles offraient un mélange de sensibilité et de naturel, et où la pointe de sensualité ne paraissait qu’autant qu’il était permis et nécessaire pour nous affranchir enfin de la fausse métaphysique du cœur et du spiritualisme convenu. […] Il y pensera continuellement au monde de Paris, à la coterie de d’Holbach ; il jouira de sa retraite en dépit d’eux, mais cette pensée empoisonnera ses plus pures jouissances.

1467. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Florian. (Fables illustrées.) » pp. 229-248

La duchesse d’Orléans, fille du duc de Penthièvre, était un de ces types d’Estelle ; mais Florian avait pensé encore à une autre personne, à une jeune femme du monde, à laquelle il voulait dédier le roman sans la nommer. […] Avez-vous oublié cette ivresse avec laquelle nous parcourions ce monde pastoral ? […] Pourquoi le monde n’est-il pas fait ainsi ! […] Florian, pour réussir dans le monde et saisir la veine du moment, avait eu à choisir dans ses propres goûts ; il y avait en lui un coin de pastoureau et de troubadour langoureux, qu’il s’était plu à développer exclusivement, plume en main : sa réalité, plus mêlée et plus vive, valait mieux que cet idéal-là. […] C’est là la véritable épitaphe de Florian, de cet homme heureux, de ce talent facile et riant, que tout favorisa à souhait dès son entrée dans le monde et dans la vie, mais qui ne put empêcher un jour l’inévitable douleur, l’antique douleur de Job, qui se renouvelle sans cesse sur la terre, de se faire sentir à lui, et de lui noyer tout le cœur dans une seule goutte d’amertume.

1468. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « De la poésie et des poètes en 1852. » pp. 380-400

En tenant dans mes mains ces volumes de forme et d’inspirations différentes, mais auxquels un vœu égal a présidé, et dont pourtant un si petit nombre surnage, même un seul instant, j’éprouve un sentiment douloureux de voir tant de peines, tant de soins et de temps perdus autour de chaque œuvre si couvée et si caressée, et qui est déjà tombée du sein paternel dans un monde d’indifférence. […] Vous qui vivez dans le monde des faits, dans celui de l’histoire et de la politique, vous croyez peut-être qu’on ne tourne plus depuis longtemps de rondeaux ni de triolets ; vous n’êtes pas au courant de la civilisation poétique du jour. […] Je n’ai pas de ces larges ailes Qui planent sur un monde entier ; Mon domaine est un frais sentier, Mes astres sont des étincelles, dit M.  […] Mais si, désabusé des larmes et du rire, Altéré de l’oubli de ce monde agité, Tu veux, ne sachant plus pardonner ou maudire, Goûter une suprême et morne volupté, Viens ! […] [NdA] Dans la Revue des deux mondes du 1er mars 1852, je lis, comme en réponse à mon vœu et à mon désir, une belle et large idylle de M. de Laprade, intitulée Les Deux Muses : l’amour y a sa part, bien que le culte de la nature y garde le dessus : selon moi, c’est son chef-d’œuvre, sa pièce la plus accessible et la plus sentie. — Il n’a guère persisté dans cette voie, il a continué de platoniser, d’évangéliser vaguement en vers, en même temps qu’il est quelque peu devenu (depuis surtout son entrée à l’Académie) un homme de coterie religieuse et politique. — Un critique de beaucoup de finesse, mais dont il faut détacher les mots piquants du milieu de bien des fatuités et des extravagances, Barbey d’Aurevilly, comparant un jour les dernières poésies de M. de Laprade avec celles d’un autre poète également moral et froid, concluait en disant : « Au moins, avec M. de Laprade, l’ennui tombe de plus haut. » C’est plus satirique que juste, mais le mot est lâché : l’écueil est là ; gare aux beaux vers qui sont ennuyeux !

1469. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — III. (Suite et fin.) » pp. 242-260

Les représentations de Figaro reprirent leur cours ; la soixante-douzième n’attira pas moins de monde que la première. […] Énonçant les motifs, réels ou non, qu’il avait eus pour entrer dans la discussion, il alla droit, avant tout, à l’adversaire, et le frappant de l’épée au visage, selon le conseil de César, il le raillait sur cette prétention au patriotisme, au désintéressement et au bien public, de laquelle Beaumarchais aimait (et assez sincèrement, je le crois) à recouvrir ses propres affaires et ses spéculations d’intérêt : Tels furent mes motifs, s’écriait-il déjà en orateur, en maître puissant dans la réplique et dans l’invective ; et peut-être ne sont-ils pas dignes du siècle où tout se fait pour l’honneur, pour la gloire, et rien pour l’argent ; où les chevaliers d’industrie, les charlatans, les baladins, les proxénètes n’eurent jamais d’autre ambition que la gloire sans la moindre considération de profit ; où le trafic à la ville, l’agiotage à la Cour, l’intrigue qui vit d’exactions et de prodigalités, n’ont d’autre but que l’honneur sans aucune vue d’intérêt ; où l’on arme pour l’Amérique trente vaisseaux chargés de fournitures avariées, de munitions éventées, de vieux fusils que l’on revend pour neufs, le tout pour la gloire de contribuer à rendre libre un des mondes, et nullement pour les retours de cette expédition désintéressée… ; où l’on profane les chefs-d’œuvre d’un grand homme (allusion à l’édition de Voltaire par Beaumarchais), en leur associant tous les juvenilia, tous les senilia, toutes les rêveries qui, dans sa longue carrière, lui sont échappées ; le tout pour la gloire et nullement pour le profit d’être l’éditeur de cette collection monstrueuse ; où pour faire un peu de bruit, et, par conséquent, par amour de la gloire et haine du profit, on change le Théâtre-Français en tréteaux, et la scène comique en école de mauvaises mœurs ; on déchire, on insulte, on outrage tous les ordres de l’État, toutes les classes de citoyens, toutes les lois, toutes les règles, toutes les bienséances… Voilà donc Mirabeau devenu le vengeur des bienséances et des bonnes mœurs contre Beaumarchais, et Figaro passant mal son temps entre les mains du puissant athlète, qui le retourne et l’enlève de terre au premier choc. […] Cette fois, ce n’était plus le conseiller Goëzman ; il y avait par le monde un M.  […] On voit qu’il arrive à Beaumarchais comme à nous tous : nous devenons prudents et sages, du moment que nos passions s’apaisent, que nos intérêts (y compris les intérêts de nos talents et de nos facultés les plus chères) sont hors de cause ; celui qui a mis au monde Figaro, qui l’a poussé envers et contre tous, et qui n’a plus grand-chose de nouveau à ajouter, voudrait dire holà ! […] Tout homme qui a fait du bruit dans le monde a deux réputations : il faut consulter ceux qui ont vécu avec lui, pour savoir quelle est la bonne et la véritable.

1470. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Boileau. » pp. 494-513

Gilles Boileau, avocat et rimeur, qui fut de l’Académie française vingt-cinq ans avant Despréaux, était de ces beaux esprits bourgeois et malins, visant au beau monde à la suite de Boisrobert, race frelone éclose de la Fronde et qui s’égayait librement pendant le ministère de Mazarin. […] À la Cour et dans le monde, qu’était Boileau dans son bon temps, avant les infirmités croissantes et la vieillesse chagrine ? […] « On devrait, disait Boileau, ordonner le vin de Champagne à ceux qui n’ont pas d’esprit, comme on ordonne le lait d’ânesse à ceux qui n’ont point de santé : le premier de ces remèdes serait plus sûr que l’autre. » Boileau dans son bon temps ne haïssait pas lui-même le vin de Champagne, la bonne chère, le train du monde ; il se ménageait moins à cet égard que son ami Racine, qui soignait sa santé à l’excès et craignait toujours de tomber malade. Boileau avait plus de verve devant le monde, plus d’entrain social que Racine ; il payait de sa personne. […] Supposez Boileau revenant au monde au milieu ou vers la fin du xviiie  siècle, et demandez-vous ce qu’il penserait de la poésie de ce temps-là ?

1471. (1889) Émile Augier (dossier nécrologique du Gaulois) pp. 1-2

Elle eut le sentiment que ce qu’elle avait pris pour un établissement définitif n’était qu’une halte, un campement ; que la lutte allait recommencer, non plus, cette fois, avec les survivants héroïques, mais débiles, d’un monde qui finissait, mais contre l’invasion d’un peuple, formidablement endenté, armé de tous les appétits, dégagé de toutes les mythologies, de toutes les conventions, de tous les préjugés, de toutes les faiblesses. […] Il a loyalement porté à la scène les fautes, les erreurs, les défaillances, les lâchetés, les infamies même du monde restreint dont il était à la fois le Juvénal et le Tyrtée. […] » Et lorsque l’on construisit l’église de Croissy, qui coûta deux cent mille francs, Augier tint à apporter son obole et m’envoya cinq cents francs… Il n’allait pas à la messe, il est vrai ; mais que de fois, il a donné le pain bénit… Un jour même, je m’en souviens, il blâma Victor Hugo de n’avoir pas voulu recevoir de prêtre à son lit de mort… » Aussi je suis persuadé que, s’il eût gardé sa connaissance, il eût été heureux de recevoir mes encouragements et mes exhortations au moment où il était rappelé vers un monde meilleur… » Les funérailles aux frais de l’État Les paroles si conciliantes et si prudentes du vénérable curé de Croissy, le souci que montra naguère l’illustre mort de s’opposer à la reprise du Fils de Giboyer, pour ne pas paraître s’allier au gouvernement républicain dans sa lutte contre le sentiment chrétien, cette vie de travail, de gloire et de probité, doivent, dans un journal catholique, épargner un blâme, si discret soit-il, à l’homme de génie qui meurt sans que les siens lui aient permis, dans un but que nous n’avons pas à juger, de mettre son âme en règle vis-à-vis de Celui dont émane tout génie. […] Augier a beaucoup fréquenté le monde officiel sous l’Empire : c’était un des aimés du prince Napoléon et de la princesse Mathilde. […] Koning, qui nous a donné de très intéressants détails sur la courtoisie et l’indulgence dont faisait preuve Augier dans ses rapports avec le monde des théâtres.

1472. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VI. Daniel Stern »

Mme Stern a beau s’embourgeoiser dans la raison de Roland, cette femme pot-au-feu de la liberté, elle reste femme comme il faut, du moins dans le sens que le monde donne à ce mot-là. […] Elle l’a signée encore Daniel Stern, tout court, tenant à garder les culottes que le monde et le temps commencent à lui ôter… Madame la comtesse d’Agoult doit être, si je ne me trompe, la petite-fille, par mariage, ou la petite-nièce, de ce capitaine des gardes-françaises qui mit si prestement à la porte les premiers polissons parlementaires de la Révolution, féconde depuis en polissons du même genre, et qui, s’il revenait au monde, ce capitaine Haut-la-Main ! […] Daniel Stern, qui, pour tout au monde, voudrait être Monsieur, a des visées à la Philosophie, comme à la Politique, comme à l’Histoire, comme à toutes les études viriles…, Un jour pourtant, on l’a vu, elle s’est oubliée jusqu’à écrire un roman bien froid ! […] Il y a toujours du monde à côté, disait Balzac, en parlant des cabinets particuliers.

1473. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Mélanges de critique religieuse, par M. Edmond Scherer » pp. 53-66

Il faut bien s’y résigner ; il y a des noms qu’on ne connaissait pas hier et qu’il faut se mettre à apprendre aujourd’hui ; il y a, en dehors de ceux qu’on cite tous les jours, des mérites et des talents réels qui font tôt ou tard leur entrée et leur avènement dans notre monde. […] Edmond Scherer, hors du monde protestant qu’il a étonné pourtant et peut-être scandalisé dans ces dernières années, presque autant que M. Ernest Renan a pu faire pour notre monde orthodoxe ? […] Scherer est à lire (pages 368-370 et page 343), et si dans cette conclusion l’impression morale qui surnage semble un peu en contradiction avec la conséquence intellectuelle, si on s’étonne de trouver l’une beaucoup plus favorable que l’autre, je me l’explique très bien par la situation personnelle du critique lui-même, qui fait un retour sur son propre passé, et qui, lui aussi, a osé se modifier, varier (toute proportion gardée) dans le degré de sa foi, et l’avouer sincèrement à son monde. — Et je me rappelle à ce sujet un dernier entretien que j’eus avec Lamennais.

1474. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « La Réforme sociale en France déduite de l’observation comparée des peuples européens, par M. Le Play, Conseiller d’État. »

Le Play provoquait également, dans les conclusions de son premier ouvrage, la formation d’une Société internationale, ayant pour objet d’observer et de décrire à son exemple dans tous les pays du monde les faits sociaux, et particulièrement ceux qui intéressent les diverses classes et familles d’ouvriers, cette observation positive et dégagée de tout système devant suggérer à sa suite des mesures spéciales et pratiques de conservation et de réforme que la théorie toute seule ne découvrirait pas. […] La politique, il est vrai, est au-dessus et peut avoir l’œil sur toute chose ; mais se soucie-t-elle de ce monde léger dont chaque plume n’est rien, dont toutes les plumes toutefois finissent par peser et comptent ? […] Le Play le problème pour une des futures livraisons des Ouvriers des Deux Mondes , et je continuerai d’examiner les savants et méritoires écrits qu’on lui doit. […] Les Ouvriers des Deux Mondes, Études sur les travaux, la vie domestique et la condition morale des populations ouvrières des diverses contrées et sur les rapports qui les unissent aux autres classes , publiées par la Société internationale des Études pratiques d’économie sociale.

1475. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « L’abbé Prevost et les bénédictins. »

Cependant j’avoue que le respect humain auroit été capable de me retenir dans mes chaînes, si je n’eusse fait réflexion, que la moitié du monde vaut bien l’autre, et que la même démarche qui me feroit peut-être perdre quelque estime en France m’en attireroit beaucoup en Angleterre et en Hollande. […] Ce qui paraîtra plus digne d’un homme, c’est cette réflexion si juste, que la moitié du monde vaut bien l’autre , et que ce qu’on perd dans l’opinion sur une rive de l’Escaut, on le regagne en estime sur l’autre rive. […] » Prévost a du malheur ; voilà cette terrible accusation de Lenglet-Dufresnoy, cette accusation au criminel, qui reparaît chez un honnête étranger, chez un homme de cette autre moitié du monde, auprès de laquelle il comptait si bien trouver grâce. […] Chaque canton du monde tour à tour met la gloire dans ce qui l’intéresse et ce qui le sert.

1476. (1875) Premiers lundis. Tome III « Sur le sénatus-consulte »

Je ne suis pas jurisconsulte ; je suis un peu étonné, tout le premier, d’avoir à discuter un texte de loi ; je suis prêt à déférer à toutes les lumières des personnages plus compétents ; mais quand j’ai lu le texte du sénatus-consulte, seul, livré à mon seul bon sens et sans le commentaire de personne, j’ai bondi à voir en tête et en vedette d’un acte libéral ces mots désobligeants pour tout le monde, y compris les ministres eux-mêmes (car il n’est pas agréable de s’entendre dire en face qu’on dépend) : « Les ministres ne dépendent que de l’empereur. » Eh ! […] Nous avons pu constater avec satisfaction, en touchant au terme de notre travail, que la nouvelle Table de la Revue des deux mondes, publiée cette année et plus complète que celle de 1857, ne mentionnait, au nom du critique des Lundis, qu’un seul article oublié par nous70. […] « La lettre d’un vieux ami de province, citée dans l’article de George Sand sur Maurice de Guérin, (Revue des deux mondes, 15 mai 1840), est de moi. […] « A la Revue des deux mondes pendant les quinze années que j’y ai travaillé activement, j’ai eu mainte fois à faire de ces articles collectifs et impersonnels.

1477. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre I. Origine des privilèges. »

D’une part, dans un monde fondé sur la conquête, dur et froid comme une machine d’airain, condamné par sa structure même à détruire chez ses sujets le courage d’agir et l’envie de vivre, il avait annoncé « la bonne nouvelle », promis « le royaume de Dieu », prêché la résignation tendre aux mains du père céleste, inspiré la patience, la douceur, l’humilité, l’abnégation, la charité, ouvert les seules issues par lesquelles l’homme étouffé dans l’ergastule romain pouvait encore respirer et apercevoir le jour : voilà la religion. […] Par ses innombrables légendes de saints, par ses cathédrales et leur structure, par ses statues et leur expression, par ses offices et leur sens encore transparent, il a rendu sensible « le royaume de Dieu », et dressé le monde idéal au bout du monde réel, comme un magnifique pavillon d’or au bout d’un enclos fangeux7. C’est dans ce monde doux et divin que se réfugie le cœur attristé, affamé de mansuétude et de tendresse.

1478. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre VIII. Jésus à Capharnahum. »

Dans le Livre de Daniel, au milieu de la vision des empires représentés par des animaux, au moment où la séance du grand jugement commence et où les livres sont ouverts, un être « semblable à un fils de l’homme » s’avance vers l’Ancien des jours, qui lui confère le pouvoir de juger le monde, et de le gouverner pour l’éternité 370. […] Mais ce passage capital de Daniel frappa les esprits ; le mot de fils de l’homme devint, au moins dans certaines écoles 371, un des titres du Messie envisagé comme juge du monde et comme roi de l’ère nouvelle qui allait s’ouvrir 372. […] C’étaient comme autant de petits mondes à part, où l’esprit national se conservait, et qui offraient aux luttes intestines des champs tout préparés. […] Quatre ou cinq gros villages, situés à une demi-heure l’un de l’autre, voilà donc le petit monde de Jésus à l’époque où nous sommes.

1479. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre I : Des sens, des appétits et des instincts. »

On voit d’ordinaire, dans notre activité traduite par nos mouvements et nos désirs, le résultat de quelque sensation ou connaissance antérieure ; mais avant celle-là il y a une activité spontanée, venant de nous-même, du dedans et non du dehors, qui agit d’elle-même et non par une réaction contre le monde extérieur. […] Sans chercher à le suivre, bornons-nous à choisir dans cette étude deux points essentiels, traites avec originalité et profondeur : la nature du sens organique, la perception du monde extérieur par le toucher et la vue. […] Ce que nous avons à chercher maintenant, c’est jusqu’à quel point le sens du toucher contribue à notre notion fondamentale du monde extérieur, l’étendue, dont la distance, la direction, la position et la forme ne sont que des modifications. […] Ici, de même que pour le toucher, la combinaison des perceptions visuelles et des mouvements est le fondement de notre perception du monde extérieur.

1480. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre II : Partie critique du spiritualisme »

Elles forment des mondes distincts, des moi séparés. […] Pour bien faire comprendre cette philosophie, il faudrait pouvoir exposer avec détail et précision toutes ces belles théories, qui resteront dans la science : la théorie de l’effort volontaire, par laquelle Biran établit contre Kant et contre Hume la vraie origine de l’idée de cause ; la théorie de l’obstacle, par laquelle il démontre, d’accord avec Ampère, l’objectivité du monde extérieur ; la théorie de l’habitude, dont il a le premier démontré les lois ; ses vues, si neuves alors, sur le sommeil, le somnambulisme, l’aliénation mentale, et en général sur les rapports du physique et du moral ; la classification des opérations de l’âme en quatre systèmes : affectif, sensitif, perceptif et réflexif ; enfin sa théorie de l’origine du langage. […] Le faible du déisme philosophique, c’est de concevoir Dieu comme une chose séparée, en dehors du moi, en dehors du monde. Le fort du panthéisme est de concevoir Dieu comme en dedans du monde.

1481. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « De Stendhal »

Pour beaucoup de raisons, dont nous dirons quelques-unes, la correspondance de Stendhal, quand elle parut, dut exciter un vif intérêt de curiosité, s’il y a encore un sentiment de ce nom au service des choses de la pensée, dans ce monde matérialisé. […] Il a pris un morceau de la lave de ce volcan du xviiie  siècle, qui a couvert le monde de ses scories, et il a mis malheureusement dans cette lave impure la mordante empreinte d’un talent profond. […] Fait pour le monde comme tous les ambitieux, qui finissent par se venger, en le jugeant, de ne pouvoir le gouverner, Stendhal, misanthrope vrai au fond, mais qui cachait sa misanthropie comme on cache une blessure à chaque instant près de saigner, Stendhal fut… j’oserai le dire : un Tartuffe en beaucoup de choses, quoiqu’il pût être franc comme la Force, car il l’avait ! […] On s’imagine que dans cette vie journalière, facile, dénouée, dont cette correspondance est l’histoire, il avait mis son masque sur la table et dit bravement à ses amis, pendant que le monde avait le dos tourné : « Tenez !

1482. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame Récamier »

Ici, Madame Récamier n’est pas remplacée, parce qu’elle n’est pas peinte, parce que la personne qui tient le dé pour elle dans ce livre de Souvenirs n’a pas plus pénétré cette femme et ne l’a pas plus reproduite que ne l’aurait fait la première venue qui sait écrire quatre lignes de narration française, dans cette société myope de regard et effacée de langage qu’on appelle la bonne compagnie ; parce qu’enfin sur cette femme, dont la supériorité fait l’originalité la plus rare et la plus exquise, on n’a eu à dire que des banalités élégantes, qui roulent sur tous les parquets depuis qu’il y a au monde des parquets ! […] Eh bien, excepté quelques lettres de cet enragé de vieillir et de mourir qu’on appelle Chateaubriand, et qui est le saule pleureur d’avant sa tombe, excepté plusieurs de ces lettres, dont les meilleures furent publiées dans le Congrès de Vérone, et une ou deux venant d’autres mains, il n’y a rien qu’on puisse citer comme dépassant le niveau épistolaire de tout le monde, et c’est à se demander si c’est vraiment là la plus grande société du monde dans son intimité. […] Cette forme légère que nous avions dans l’esprit comme une peinture d’Herculanum, vient d’y tomber en poussière au souffle de ces lettres, papotage de toutes les femmes du monde qui disent : « C’est charmant !  […] Elle est nièce, et elle n’est qu’une nièce en littérature : c’est sa position dans le monde, et dans la littérature, sa spécialité.

1483. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Stendhal » pp. 43-59

Pour beaucoup de raisons, dont nous dirons quelques-unes, la Correspondance de Stendhal, quand elle parut, dut exciter un vif intérêt de curiosité, s’il y a encore un sentiment de ce nom au service des choses de la pensée, dans ce monde matérialisé. […] Il a pris un morceau de la lave de ce volcan du xviiie  siècle, qui a couvert le monde de ses scories, et il a mis malheureusement dans cette lave impure la mordante empreinte d’un talent profond. […] Fait pour le monde, comme tous les ambitieux, qui finissent par se venger, en le jugeant, de ne pouvoir le gouverner, Stendhal, misanthrope vrai au fond, mais qui cachait sa misanthropie comme on cache une blessure à chaque instant près de saigner, Stendhal fut… j’oserai le dire, un Tartuffe en beaucoup de choses, quoiqu’il pût être franc comme la force, car il l’avait ! […] On s’imagina que, dans cette vie journalière, facile, dénouée, dont cette Correspondance est l’histoire, il avait mis son masque sur la table et dit bravement à ses amis, pendant que le monde avait le dos tourné : « Tenez, Maintenant, regardez-moi ! 

1484. (1936) Réflexions sur la littérature « 1. Une thèse sur le symbolisme » pp. 7-17

René Doumic dans la Revue des deux mondes à l’occasion des portraits du prochain siècle. […] Rémy De Gourmont, entrée dans l’art avec le symbolisme, est celle de l’idéalité du monde », idéalité étant pris ici au sens philosophique. […] Et quant à Moréas, le Vigny du XXe siècle… bien au contraire, il faudrait chercher l’originalité du symbolisme dans la voie opposée : elle fut de creuser, à la pointe d’une poésie raffinée, davantage vers le monde intérieur, de révéler le poète, l’homme, plus simples, plus nus, avec moins d’apprêt qu’on ne l’avait fait dans la grandiloquence romantique ou dans le décor parnassien. […] Swift vit un jour sur une baraque de foire, qu’elle contenait l’éléphant le plus grand du monde, à l’exception toutefois de lui-même.

1485. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VI. »

La plus grande merveille du génie grec, c’est que ce feu, longtemps unique sur un seul point du monde, étincelait de plusieurs foyers, épars à courte distance et variés dans leur éclat. […] Que de maux seront soufferts, que de ruines entassées, que de monuments et d’idées s’écrouleront dans le monde, pour que ces souvenirs soient expiés aux mêmes lieux qui les consacrent, que la pénitence épure cette terre de volupté, qu’une église de martyrs s’élève à la place d’un bocage sacré, et que la prière d’une humble vierge au pied de la croix ou le dévouement de quelque religieux dans un lazaret remplace, aux mêmes lieux, les hymnes chantés à Vénus ! Le monde a vu cette révolution morale, cette dignité croissante de l’être humain ; et il hésite encore à la reconnaître et à la protéger ! […] Mais, avant ce changement du monde, lorsque le paganisme régnait dans la paix de l’empire romain, lorsqu’il n’y avait plus ni liberté, ni gloire patriotique, ni grande éloquence, et que la culture de l’esprit n’était plus qu’un amusement de la servitude, un savant critique, Denys d’Halicarnasse, celui qui a tant raisonné sur Thucydide et sur Démosthène, sans comprendre leurs âmes, sauvait au moins pour l’avenir, dans un traité de rhétorique, une ode entière de Sapho à sa déesse favorite.

1486. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VIII. »

Né à Samos, voyageur en Orient et législateur de villes grecques en Italie, sa science des nombres, sa théorie morale de la musique, et la part qu’il lui donnait dans l’ordre même du monde céleste, attestent dès l’origine quelle influence l’imagination devait prendre sur la civilisation des Grecs. […] Très grande de son vivant, sa célébrité s’accrut avec le temps dans l’imagination des Grecs ; et, après le grand siècle des arts et de la science, lorsque le monde polythéiste fut troublé et divisé par une lumière nouvelle, le nom d’Empédocle, les légendes sur sa vie, les prodiges attribués à sa science magique, furent un des secours dont s’étayait l’ancienne croyance. […] Il est malaisé d’ailleurs de découvrir si le premier homme levé du sol fut Alcomène, chez les Béotiens, au-dessus des eaux du Céphise, ou si ce furent les Curètes d’Ida, race divine, ou les Corybantes de Phrygie, que le soleil vit alors éclore les premiers, enfantés par la tige des arbres, ou si l’Arcadie donna naissance à Pélasge, plus ancien que la Lune, ou Éleusis à son premier habitant Diaulos, ou si Lemnos, féconde en beaux enfants, mit au monde le Cabire des mystères ineffables, ou si Pallène fit naître Alcione de Phlégra, l’aîné des superbes géants. […] Ce n’est pas encore la loi de justice et d’amour qui devait enflammer le monde, et y répandre une nouvelle poésie.

1487. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « PENSÉES » pp. 456-468

Elle vous empêche d’être politique, homme d’État, homme du monde, homme de famille, joyeux compagnon. […] Nous sommes tous, comme madame de La Vallière, dans ce monde pour être contents, et non pour être bien aises, au large et sans limites : et le contentement, terme relatif, est le vrai nom du bonheur. » XXVIII. […] Dans la jeunesse un monde habite en nous.

1488. (1874) Premiers lundis. Tome I « Diderot : Mémoires, correspondance et ouvrages inédits — I »

Il a déjà atteint l’âge de quarante-six ans ; sa vie, ses opinions sur toutes choses et ses relations du monde sont fixées autant qu’elles le seront jamais. […] La vie, le sentiment de la réalité, y respirent ; de frais paysages, l’intelligence poétique symbolique de la nature, une conversation animée et sur tous les tons, l’existence sociale du xviiie  siècle dans toute sa délicatesse et sa liberté, des figures déjà connues et d’autres qui le sont du moment qu’il les peint, d’Holbach et le père Hoop, Grimm et Leroy, Galiani le cynique ; puis ces femmes qui entendent le mot pour rire et qui toutefois savent aimer plus et mieux qu’on ne prétend ; la tendre et voluptueuse madame d’Épinay, la poitrine à demi nue, des boucles éparses sur la gorge et sur ses épaules, les autres retenues avec un cordon bleu qui lui serre le front, la bouche entr’ouverte aux paroles de Grimm, et les yeux chargés de langueurs ; madame d’Houdetot, si charmante après boire, et qui s’enivrait si spirituellement à table avec le vin blanc que buvait son voisin ; madame d’Aine, gaie, grasse et rieuse, toujours aux prises avec le père Hoop, et madame d’Holbach, si fine et si belle, au teint vermeil, coiffée en cheveux, avec une espèce d’habit de marmotte, d’un taffetas rouge couvert partout d’une gaze à travers la blancheur de laquelle on voyait percer çà et là la couleur de rose ; et au milieu de tout ce monde une causerie si mélangée, parfois frivole, souvent souillée d’agréables ordures, et tout d’un coup redevenant si sublime ; des entretiens d’art, de poésie, de philosophie et d’amour ; la grandeur et la vanité de la gloire, le cœur humain et ses abîmes, les nations diverses et leurs mœurs, la nature et ce que peut être Dieu, l’espace et le temps, la mort et la vie ; puis, plus au fond encore et plus avant dans l’âme de notre philosophe, l’amitié de Grimm et l’amour de Sophie ; cet amour chez Diderot, aussi vrai, aussi pur, aussi idéal par moments que l’amour dans le sens éthéré de Dante, de Pétrarque ou de notre Lamartine ; cet amour dominant et effaçant tout le reste, se complaisant en lui-même et en ses fraîches images ; laissant là plus d’une fois la philosophie, les salons et tous ces raffinements de la pensée et du bien-être, pour des souvenirs bourgeois de la maison paternelle, de la famille, du coin du feu de province ou du toit champêtre d’un bon curé, à peu près comme fera plus tard Werther amoureux de Charlotte : voilà, et avec mille autres accidents encore, ce qu’on rencontre à chaque ligne dans ces lettres délicieuses, véritable trésor retrouvé ; voilà ce qui émeut, pénètre et attendrit ; ce qui nous initie à l’intérieur le plus secret de Diderot, et nous le fait comprendre, aimer, à la façon qu’il aurait voulu, comme s’il était vivant, comme si nous l’avions pratiqué. […] Il y a quatre ans que vous me parûtes belle ; aujourd’hui je vous trouve plus belle encore ; c’est la magie de la constance, la plus difficile et la plus rare de nos vertus… Mon amie, tout peut s’altérer au monde ; tout, sans vous excepter ; tout, excepté la passion que j’ai pour vous. » « Oh !

1489. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Verhaeren, Émile (1855-1916) »

C’est qu’Émile Verhaeren a le don d’incruster sa pensée, il crée dans l’âme un monde d’impressions étranges dont l’esprit se ressouvient avec une netteté jamais atténuée ; elles s’imposent, revivent ainsi que des flammes soudaines ou bien encore font dévier vos sensations originales. […] Après le monde moral, le monde, en tant que représentation de vie, sera — pour « l’halluciné de la forêt des Ombres » errant aux dédales de la ville toute de palais noirs, de tours d’effroi, errant par les brouillards, errant à travers les fumées — l’ombre d’une ombre.

1490. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le marquis de Grignan »

Il a tiré son marquis de Grignan de sa poussière de marquis, et il nous a montré le rien historique de cet homme, qui ne fut rien par lui-même, quoique par sa naissance, son éducation, tout son être, et par la plénitude de son dévouement au roi du monde d’alors, il fût parfaitement apte à être tout, et qui vécut si peu, a dit éloquemment Frédéric Masson dans les admirables pages qui commencent son livre, qu’on ne peut pas dire qu’il mourut, mais qu’il décéda : une manière silencieuse de s’en aller et de disparaître ! […] Il était de l’an mil, et de plus loin que l’an mil, cette année de la fin du monde ! […] IV Il y a dans cette histoire du marquis de Grignan tout un livre consacré à ce crime de la mésalliance qui fut le crime des plus grandes maisons du temps ; car même ce crime-là ne fut pas personnel plus que tout le reste à cet homme, qui n’est que le Tout le Monde de sa caste et qui n’est personne en son privé nom.

1491. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Le Conte de l’Isle. Poëmes antiques. »

I Dans une époque sans convictions profondes et sans vérité, doit-on beaucoup s’étonner que la chose du monde la plus intime, — la poésie, — ne soit pas sincère ? […] Quand on n’a pas d’idées à soi et qu’on a le cœur vide, des hommes faits pour rester d’honnêtes lettrés toute leur vie ramassent dans la poussière de toutes les civilisations des détritus d’idées sur lesquelles le monde entier a passé, et ils se bâtissent avec cela, qui des poésies, qui des systèmes d’histoire, en se croyant très candidement des inventeurs. […] Les Allemands, ces Indiens de l’Europe, épanchent parfois de ces vastes nappes d’ennui dans leurs œuvres, belles, comme les vers de M. de l’Isle, par beaucoup de côtés d’exécution, mais de la beauté qui ennuie ; terrible variété de la beauté, telle que la créent les hommes dans ce monde imparfait et borné !

1492. (1902) La poésie nouvelle

Du moins tâchent-ils tous d’être des observateurs « pour qui le monde extérieur existe ».‌ […] Ils se sont installés et mis à leur aise dans le monde miraculeux, sans plus s’en étonner. […] L’aimée. — L’air et le monde point cherchés. […] Il s’écrie : « Je voudrais parcourir le monde entier, qui, en somme, n’est pas si grand. […] Ce monde haletant et grouillant est soumis à des lois qu’il ignore et qui le conduisent vers de sûres destinées.‌

1493. (1905) Propos de théâtre. Deuxième série

Bergerat nous demande, et ce qui est à quoi rien au monde ne me pourrait résoudre. […] Le monde devient ainsi très intelligible. […] Le monde est plein de ces hommes-là, nº 1 et nº 2. […] Mais j’ai la vie la plus plate du monde. […] Il suffit pour le monde.

1494. (1887) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Troisième série pp. 1-326

Ils se trompent du tout au tout ; et l’on dit uniquement que la vie de ce monde n’a pas son but en elle-même, ce qui mène uniquement à placer la fin de l’homme en dehors et au-delà de la vie de ce monde. […] Mais la véritable école de la jeunesse commençait avec son entrée dans le monde. […] voit-on d’autres gens dans le monde ! […] Il n’y a point de ces mines-là dans le monde. » Voilà le portrait. […] Jamais personne au monde n’a menti comme Voltaire.

1495. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Hervilly, Ernest d’ (1839-1911) »

. — Au bout du monde ! […] Tout en fréquentant les sombres bureaux de rédaction et en vivant de la vie enfumée, poussiéreuse et énervante de Paris, il laissait son imagination s’envoler vers les pays lointains : amour boréal, amour africain, idylles chinoises et coloniales, tout le captivait, et son Harem n’est autre chose qu’un Tour du Monde en vingt-cinq parties.

1496. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre III. Partie historique de la Peinture chez les Modernes. »

Donc, pour nous, le premier trait du dessin a existé dans l’idée éternelle de Dieu, et la première statue que vit le monde, fut cette fameuse argile animée du souffle du Créateur. […] Les prêtres avaient rassemblé au collège de l’orthodoxie, à Constantinople, la plus belle bibliothèque du monde, et les chefs-d’œuvre des arts : on y voyait en particulier la Vénus de Praxitèle127, ce qui prouve au moins que les fondateurs du culte catholique n’étaient pas des barbares sans goût, des moines bigots, livrés à une absurde superstition.

1497. (1889) La bataille littéraire. Première série (1875-1878) pp. -312

Le monde lui paraissait fini. […] Est-ce que le blé ne pousse pas pour tout le monde ? […] que d’monde ! […] Homme du monde ! […] Francisque Sarcey dans un monde qui a été le sien.

1498. (1878) Nos gens de lettres : leur caractère et leurs œuvres pp. -316

À franchement parler, je comprends qu’avec la meilleure volonté du monde M.  […] Bien qu’il voie beaucoup de monde, Champfleury cause peu. […] — Voltaire à la Revue des deux mondes […] Le monde a des trésors de malveillance pour les hommes de lettres. […] Duruy s’est adressé pour faire connaître au monde les romanciers français.

1499. (1778) De la littérature et des littérateurs suivi d’un Nouvel examen sur la tragédie françoise pp. -158

Cet enchaînement est de fait chez toutes les Nations, & la vraie raison n’en est pas clairement démontrée, sinon que l’homme commence par sentir, & que, dès qu’il sent, il ne tarde pas à raisonner ses sensations ; le monde moral ressemble peut-être au monde physique, où les fleurs précèdent constamment les fruits ; & voilà de quoi réconcilier les farouches ennemis des grâces, avec les légers sectateurs de la brillante Littérature. […] Si c’est un homme du monde, on déguise sa faute, on la pallie, on l’excuse ; dès que c’est un homme de lettres, on crie sur les toîts. […] Tel a été miraculeux au monde, auquel sa femme & son valet n’ont rien vu seulement de remarquable, dit encore le bon Montaigue. […] On ne rit plus dans le monde. […] Qu’y a-t-il de plus vil au monde ?

1500. (1874) Histoire du romantisme pp. -399

La tête nous en tournait ; il semblait qu’on entrait dans des mondes inconnus. […] Cependant le lustre descendait lentement du plafond avec sa triple couronne de gaz et son scintillement prismatique ; la rampe montait, traçant entre le monde idéal et le monde réel sa démarcation lumineuse. […] Que ferait d’un lit, d’une table, d’un fauteuil le poète qui n’a plus que le monde pour patrie ? […] Les succès refusés au peintre, l’homme du monde (Delacroix le fut toujours) les obtenait sans conteste. […] C’est le train du monde, et l’on aurait tort de s’en plaindre.

1501. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre II. Les Normands. » pp. 72-164

. —  Quel genre de beauté et quelle sorte d’idées les Français ont apportés dans le monde. […] Qu’est-ce donc que cette race française qui, par les armes et les lettres, fait, dans le monde une entrée si éclatante, et va dominer si visiblement qu’en Orient, par exemple, on donnera son nom de Francs à tous les peuples de l’Occident ? […] Y a-t-il au monde quelque chose de plus délicatement gracieux que les vers de Guillaume de Lorris ? […] Déjà paraît la conception du monde propre aux peuples du Nord, toute triste et morale. […] Tout ce monde visible est vain ; il n’y a de vrai que la vertu de l’homme, l’énergie courageuse par laquelle il prend le commandement de lui-même, et l’énergie généreuse par laquelle il s’emploie au service d’autrui.

1502. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Troisième partie. — L’école historique » pp. 253-354

Il ne suffit pas que je dise : Ce jambon est fort bon ; je le trouve fort bon ; n’est-il pas en effet le meilleur du monde ? […] Nous fait-il pénétrer le moins du monde dans la nature particulière de son génie comique ? […] Ici il ne faut point rire ou se récrier, et dire qu’il nous importe peu, à nous humains et humains civilisés, que pour les crapauds les plus beaux objets du monde soient leurs crapaudes. […] Il doit voyager et faire son tour du monde, non pas en rêve, comme un poète, ni même dans sa bibliothèque, comme un savant, mais en réalité, par le bateau à vapeur et par le chemin de fer. […] Scherer, Revue des deux mondes, article du 15 février 1861.

1503. (1908) Jean Racine pp. 1-325

-C.), il reçoit à Babylone des ambassades de toutes les parties du monde connu. […] Il s’agit de choisir entre une femme et l’empire du monde. […] À deux reprises, il se dit prêt à lâcher l’empire et à fuir au bout du monde avec sa maîtresse. […] Il avait suivi Corneille dans le monde romain. […] Que le monde finisse ?

1504. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1888 » pp. 231-328

Il est question de l’amusant « Dialogue des Vivants » entre Sarah Bernhardt et Renan, du distingué morceau sur le monde, par Hervieu, du philosophique morceau de Geffroy, intitulé : Les Deux Calendriers, etc., etc. […] C’était drôle, ce memento mori qu’on heurtait, à tout moment, dans cette petite fête, autour du monde. […] Cham ce caricaturiste, aux caricatures qui semblent ramassées sur un cahier de collégien, devient un artiste immense, et l’on n’ose plus mettre le nom de Gavarni parmi les noms des dessinateurs, qui peuvent amener du monde à l’Exposition de la caricature. […] Oui, tout ce monde, devant ces lithographies avant la lettre, devant cette merveilleuse « Comédie humaine » au crayon, réalisée avec un procédé, à l’heure actuelle complètement perdu, tout ce monde semble avoir une taie sur l’œil. […] Il a fait vivant, ce rôle de la grande Adèle, par un tas d’attitudes de fille à soldat, par un monde de détails caractéristiques, que donne la fréquentation des pioupious.

1505. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre II. Vérification de la loi par l’examen de la littérature française » pp. 34-154

À côté d’elle, un autre monde épique : le roman chevaleresque, le roman antique. […] Vers 1520 l’ère féodale et théocratique est achevée ; depuis quelques années la Renaissance italienne apporte à la France, dans un flot de lumière, une vision du monde toute différente ; la Réforme se prépare ; et François Ier inaugure une royauté nouvelle. […] Cette période troublée, où une civilisation meurt en enfantant un monde nouveau, est nécessairement dramatique. […] Eux, ils s’acharnaient au présent, sans sortir de la formule usée ; ils démolissaient, faisant œuvre nécessaire mais en soi inféconde ; lui, il regardait à l’avenir ; ils avaient le savoir ; il avait la foi ; eux demandaient des réformes ; Rousseau portait en lui la Révolution, un monde nouveau. […] De cette angoisse même naîtra quelque part la foi nouvelle, dont elle refera un monde.

1506. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXVI » pp. 301-305

c’est très-grave ; tout est perdu, tout est fini dans un pays où les renégats sont protégés par les femmes ; car il n’y a au monde que les femmes qui puissent encore maintenir dans le cœur des hommes, éprouvé par toutes les tentations de l’égoïsme, cette sublime démence qu’on appelle le courage, cette divine niaiserie qu’on nomme la loyauté. […] Le morceau sur Port-Royal a réussi, quoique un peu fastueux, mais il fallait bien traduire cette fois Port-Royal à l’usage de l’Académie et du monde : ad usum sœculi.

1507. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Madeleine, Jacques (1859-1941) »

Certes, il lui doit préférer, de beaucoup, la note émue et tendre de l’idylle éternelle, mais de là à en faire fi et à ne point la faire figurer dans ses productions (voir le Conte de la Rose, page 2), il y a un monde. […] Aristophane, mais la simplicité, la bonhomie presque, la sensualité délicate, l’amour de la lumière, la clémence d’un monde heureux, la divine eurythmie des gestes et des attitudes naturelles et nobles.

1508. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre XII. Suite du Guerrier. »

Le chevalier s’en allait à travers le monde, secourant la veuve et l’orphelin. — Voilà la charité de Jésus-Christ. […] Ce n’est pas de cet air que le capitaine chrétien repousse les adresses d’Armide : il résiste, car il connaît les fragiles appas du monde ; il continue son vol vers le ciel, comme l’oiseau rassasié qui ne s’abat point où une nourriture trompeuse l’appelle .

1509. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre premier. Que le Christianisme a changé les rapports des passions en changeant les bases du vice et de la vertu. »

30 « Mère, voilà ton fils ; disciple, voilà ta mère. » Le christianisme, qui a révélé notre double nature et montré les contradictions de notre être, qui a fait voir le haut et le bas de notre cœur, qui lui-même est plein de contrastes comme nous, puisqu’il nous présente un Homme-Dieu, un Enfant maître des mondes, le créateur de l’univers sortant du sein d’une créature ; le christianisme, disons-nous, vu sous ce jour des contrastes, est encore, par excellence, la religion de l’amitié. […] Le principe de nos amitiés n’est point dans ce monde : deux êtres qui s’aiment ici-bas sont seulement dans la route du Ciel, où ils arriveront ensemble, si la vertu les dirige ; de manière que cette forte expression des poètes, exhaler son âme dans celle de son ami, est littéralement vraie pour deux chrétiens.

1510. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre IV. Si les divinités du paganisme ont poétiquement la supériorité sur les divinités chrétiennes. »

Le poète trouve dans notre ciel des êtres parfaits, mais sensibles, et disposés dans une brillante hiérarchie d’amour et de pouvoir ; l’abîme garde ses dieux passionnés et puissants dans le mal comme les dieux mythologiques ; les hommes occupent le milieu, touchant au ciel par leurs vertus, aux enfers par leurs vices ; aimés des anges, haïs des démons ; objet infortuné d’une guerre qui ne doit finir qu’avec le monde. […] Le Dieu qui régit les mondes, qui crée l’univers et la lumière, qui embrasse et comprend tous les temps, qui lit dans les plus secrets replis du cœur humain : ce Dieu peut-il être comparé à un dieu qui se promène sur un char, qui habite un palais d’or sur une montagne, et qui ne prévoit pas même clairement l’avenir ?

1511. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre IX. Application des principes établis dans les chapitres précédents. Caractère de Satan. »

je vous salue, monde infernal ! […] Par toi, du moins, avec le roi du ciel je partagerai l’empire ; peut-être même régnerai-je sur plus d’une moitié de l’univers, comme l’homme et ce monde nouveau l’apprendront en peu de temps78. » Quelle que soit notre admiration pour Homère, nous sommes obligé de convenir qu’il n’a rien de comparable à ce passage de Milton.

1512. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 49, qu’il est inutile de disputer si la partie du dessein et de l’expression, est préferable à celle du coloris » pp. 486-491

Leur tort est de vouloir juger pour tout le monde. […] L’homme dont je parle aimera mieux à soixante ans les comédies de Moliere, qui lui remettront si bien devant les yeux le monde qu’il a vû, et qui lui fourniront des occasions si fréquentes de faire des refléxions sur ce qu’il aura observé dans le cours de sa vie, qu’il n’aimera les tragédies de Racine, pour lesquelles il avoit tant de goût, lorsqu’il étoit occupé des passions que ces pieces nous dépeignent.

1513. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Alcide Dusolier »

Renvoyons le moraliste à la maturité d’Alcide Dusolier, qui est très jeune, et qui, comme tout ce qui est distingué dans ce triste monde, accomplira la loi d’être un misanthrope à trente ans ; mais le romancier, je ne veux pas l’attendre ! […] mais des originalités d’un homme ayant son indépendance et sa manière de voir, — très lisible, au fond, à travers son ironie rieuse, — ce qu’il est présentement et ce qui ne changera pas, c’est un esprit qui a horreur de la vulgarité, du bourgeois, du mesquin, de toutes les choses qui règnent en ce monde.

1514. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre X. De la chronologie poétique » pp. 235-238

Nous voyons d’abord les hommes, en exceptant quelques-uns des enfants de Sem, dispersés à travers la vaste forêt qui couvrait la terre un siècle dans l’Asie orientale, et deux siècles dans le reste du monde. […] D’après cela, les Chaldéens durent régner dans l’Orient autant de siècles qu’il s’en écoula depuis Zoroastre jusqu’à Ninus, qui fonda la monarchie assyrienne, la plus ancienne du monde ; autant qu’on dut en compter depuis Hermès Trismégiste jusqu’à Sésostris, qui fonda aussi en Égypte une puissante monarchie.

1515. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Alexis Piron »

D… allait passer en l’autre monde sur les ailes de mon esprit conteur, à force de rire et de pleurer. […] En ce monde des Anciens, un honnête homme tel que Pline le Jeune prétendait bien ne pas mourir sans avoir scandé et tourné en hendécasyllabes une bagatelle dans ce goût-là. […] Mais ma défaite n’était pas possible ; Voltaire est le plus grand pygmée du monde. […] Le poëme du Cheval de bronze a donné lieu à la scène du monde la plus comique entre Binbin et ce héros. […] Le monde appartenait à d’autres, à ceux-là mêmes dont il s’était tant gaussé.

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