J’entendais déjà derrière moi la foule des pénitents noirs et blancs et les frères de la Sainte-Mort qui se pressaient derrière la grille de la chapelle, et qui murmuraient à demi-voix les prières des agonisants. […] Je promenais, du fond de mon capuchon, mes yeux sur cette foule, ne craignant qu’une chose, d’y rencontrer mon père aveugle et ma tante, et de me trahir en tombant d’émotion devant eux, avant d’être arrivée à la place de l’exécution. Mais je ne vis rien que les visages irrités des sbires et les visages attendris et pieux de la foule. […] Les soldats me mirent en joue ; à ce moment, le bourreau, qui était derrière moi, un peu à l’abri par un angle du mur, se jeta tout à coup sur moi, et, m’arrachant d’une main rapide et violente le capuchon et la robe de pénitent jusqu’à la ceinture, me découvrit presque nue aux yeux des soldats et de la foule. […] Un silence de stupeur empêchait de respirer toute la foule.
Et, en sa bonne époque, il agita souvent d’un geste robuste la vie élémentaire et formidable d’une foule. […] Il a raison, quand il s’agit de ces unités extérieures qui emprisonnent l’individu dans la foule et le forcent à marcher au pas des autres, dans la direction des autres. […] Vous avez la haine de la foule et de tout ce qui est vulgaire, mais votre haine est mêlée de terreur : « Quand je suis dans la foule, j’en fais partie, et c’est parce que je sais ce que j’y deviens que je dis que je hais la foule. » Votre morale, M. […] Et quand la foule veut chasser quelqu’un d’une place publique, elle crie : « À la porte !
La cloche y sonnait à minuit et l’église s’y ouvrait à cette heure où l’on dort partout, et le confesseur infatigable, ce veilleur des âmes, entrait à l’église, où des foules l’attendaient déjà sous le porche ; car il avait donné le goût et presque la faim de la confession, ce grand Confesseur ! […] Et il commençait ainsi sa journée, sa moisson de cœurs repentants, bien avant l’aurore î Et ces foules qui venaient à lui, sans qu’il eût besoin d’aller à elles, se sont tellement renouvelées, pendant toute sa vie, qu’en prenant la moyenne de ses confessions on a trouvé plus d’un million d’âmes converties puisqu’il les avait confessées. […] En effet, il n’y a que cela qui explique sa vie ; il n’y a que la notion de Notre Seigneur Jésus-Christ telle que nous la portons dans nos âmes, qui puisse expliquer cette espèce de règne (car c’en fut un) d’un prêtre caché au bout du monde, dans sa pauvre petite Bethléem de quelques feux et de quelques âmes, et que les foules, à défaut de mages, sont de partout venues visiter ! […] Ce qui m’étonne dans cette vie d’hier, qui probablement sera une légende demain, ce n’est pas ce qui se trouve dans la vie des autres Saints de tous les âges et qui leur est commun à tous : les vertus, les grandeurs, les miracles, les communications directes avec Dieu, les adorations des foules prosternées ; mais c’est ce qui est particulier au Saint que fut le Curé d’Ars.
Les gladiateurs saluaient la foule avant de mourir ; aujourd’hui César s’appelle la foule, c’est devant la foule que l’auteur s’incline avant de commencer le récit de ses souffrances. […] L’espérance de la foule est-elle justifiée ? […] La foule n’est personne, parce que la foule est tout le monde. […] L’ingratitude n’est pas du côté de la foule, elle est tout entière du côté du poète. […] Les femmes veulent des passions, les penseurs des caractères, la foule de l’action.
La Messiade de Klopstock, à travers une foule innombrable de défauts, de longueurs, de mysticités, d’obscurités inexplicables, contient des beautés du premier ordre. […] Le vrai talent a peine à se reconnaître au milieu de cette foule innombrable de livres : il parvient à la fin, sans doute, à se distinguer ; mais le goût général se gâte de plus en plus par tant de lectures insipides, et les occupations littéraires elles-mêmes doivent finir par perdre de leur considération. […] Il en est une foule, parmi nous, qui ont échoué dans leurs essais au milieu des meilleurs modèles. […] Voyez ce que fait le crime au milieu d’une nation ; des persécuteurs toujours agités, des persécutés toujours implacables ; aucune opinion qui paraisse innocente, aucun raisonnement qui puisse être écouté ; une foule de faits, de calomnies, de mensonges tellement accumulés sur toutes les têtes, que, dans la carrière civile, il reste à peine une considération pure, un homme auquel un autre homme veuille marquer de la condescendance ; aucun parti fidèle aux mêmes principes ; quelques hommes réunis par le lien d’une terreur commune, lien que rompt aisément l’espérance de pouvoir se sauver seul ; enfin une confusion si terrible entre les opinions généreuses et les actions coupables, entre les opinions serviles et les sentiments généreux, que l’estime errante ne sait où se fixer, et que la conscience se repose à peine avec sécurité sur elle-même. […] Il existe une foule de bons ouvrages en allemand, que je n’ai point indiqués, parce que ceux que j’ai nommés suffisaient pour prouver ce que je disais du caractère de la littérature allemande en général.
On a vu dans toutes les républiques l’honneur des éloges réservé pour les morts, dans les monarchies cet honneur prodigué aux vivants ; le délire de la louange à Rome, sous Auguste et sous Constantin ; à Byzance, sous une foule d’empereurs oubliés ; en France, sous Richelieu et sous Louis XIV. […] Faites agir ou penser les grands hommes ; vous verrez naître vos idées en foule ; vous les verrez s’arranger, se combiner, se réfléchir les unes sur les autres ; vous verrez les principes marcher devant les actions, les actions éclairer les principes, les idées se fondre avec les faits, les réflexions générales sortir ou des succès, ou des obstacles, ou des moyens ; vous verrez l’histoire, la politique, la morale, les arts et les sciences, tout ce système de connaissances liées dans votre tête, féconder à chaque pas votre imagination, et joindre partout, aux idées principales, une foule d’idées accessoires. […] Nos plaisirs, comme nos peines, sont composés ; l’idée principale en attire à elle une foule d’autres qui s’y mêlent, et en augmentent l’impression. […] Qu’une foule d’idées se joigne à l’idée principale, et l’embellisse : indiquez souvent plus que vous n’exprimerez.
Le patient hurle, la foule aussi. […] La foule, pleine de pitié, était sur le point de forcer les gendarmes et de venir à l’aide du malheureux qui avait subi cinq fois son arrêt de mort. […] On a pris dernièrement à Bicêtre un homme, un condamné à mort, un nommé Désandrieux, je crois ; on l’a mis dans une espèce de panier traîné sur deux roues, clos de toutes parts, cadenassé et verrouillé ; puis, un gendarme en tête, un gendarme en queue, à petit bruit et sans foule, on a été déposer le paquet à la barrière déserte de Saint-Jacques. […] Vous quittez la Grève pour la barrière Saint-Jacques, la foule pour la solitude, le jour pour le crépuscule. […] Mais quelle espérance mettez-vous sur l’échafaud maintenant que la grosse foule ne croit plus ?
Il faut la voir ; comment rendre le mouvement, la mêlée, le tumulte d’une foule d’hommes jetés confusément les uns à travers les autres ; comment peindre cet homme renversé qui a la tête fracassée et dont le sang s’échappe entre les doigts de la main qu’il porte à sa blessure ; et ce cavalier qui, monté sur un cheval blanc, foule les morts et les mourants.
L’enfant crée de la sorte une foule d’idées ; il a du génie ; chaque mère en est sûre, et elle a raison. […] Non point, car nous ne considérons pas le public comme une foule étrangère à amuser ; comme un but, principal ou accessoire. […] La sensation de l’artiste n’est réalisée ni dans la mélopée des comédiens qui débitent son texte, ni dans la satisfaction des fauteuils d’orchestre connaisseurs ; mais bien dans la vibration à l’unisson, dans l’étincelle qui éclaire la salle et la scène. — De quel milieu spécial de vie put surgir la sensation du dramaturge, pour que son expression adéquate soit l’émotion d’une foule devant un spectacle ? […] Encore, lorsque dans ses Chevaliers, Aristophane marquait les démagogues au rouge de sa satire, la foule tremblait comme une houle, de colère et d’émotion. […] Toute la différence digne d’être marquée entre la foule et les mandarins est que celle-là veut l’assouvissement de son appétit, ceux-ci la satisfaction de leur curiosité.
L’enfant crée de la sorte une foule d’idées ; il a du génie ; chaque mère en est sûre, et elle a raison. […] Non point, car nous ne considérons pas le public comme une foule étrangère à amuser ; comme un but, principal ou accessoire. […] La sensation de l’artiste n’est réalisée ni dans la mélopée des comédiens qui débitent son texte, ni dans la satisfaction des fauteuils d’orchestre connaisseurs ; mais bien dans la vibration à l’unisson, dans l’étincelle qui éclaire la salle et la scène. — De quel milieu spécial de vie put surgir la sensation du dramaturge, pour que son expression adéquate soit l’émotion d’une foule devant un spectacle ? […] Encore, lorsque dans ses Chevaliers Aristophane marquait les démagogues au rouge de sa satire, la foule tremblait comme une houle, de colère et d’émotion. […] Toute la différence digne d’être marquée entre la foule et les mandarins est que celle-là veut l’assouvissement de son appétit, ceux-ci la satisfaction de leur curiosité.
En vérité, plus les choses vont, plus elles se mêlent et se généralisent, et plus aussi il doit y avoir orgueil et satisfaction virile pour l’individu de se sentir en faire partie, d’en être ; — d’être un membre, même obscur, inconnu, même lassé et brisé, de cette foule humaine qui partout, sur tous les points, s’avance à son but dans un tumulte puissant. […] La masse, à la fin, s’est irritée d’être en spectacle et en jeu ; elle s’est ruée ; elle a crié à son tour aux rois et aux puissants, tout pâles devant elle, de l’amuser du balcon ; ç’a été dans le premier moment une parade sanglante ; depuis lors il n’y a plus, à vrai dire, que de la foule et du peuple. […] Le lendemain, aux bureaux du National, la foule qui circula et s’inscrivit fut immense ; on y remarqua nombre d’ouvriers, Il y avait, sans doute, dans cette démonstration profonde, intérêt amical pour l’homme même, pour l’individu atteint ; il y avait hommage à un talent énergique, infatigable ; quelque chose de ce respect qu’on porte en France à toute belle intelligence que la valeur accompagne, à tout noble front où l’éclair de la pensée s’est rencontré volontiers avec l’éclair d’une épée ; mais il y avait aussi un sentiment dominant de solidarité, d’adhésion à des principes communs, de reconnaissance pour des services rendus, de confiance placée sur une tête forte et rare. […] Carrel circulait dans Paris, une foule considérable, une société brillante, et la majorité de la jeunesse, remplissaient le théâtre de la porte Saint-Martin où l’on allait représenter la Lucrèce Borgia de M.
« Mais aussi, dans cette foule attentive et studieuse du Théâtre-Français venue, chaque soir pour l’entendre, quand elle paraît, cette femme illustre entre toutes les femmes qui appartiennent aux beaux-arts, l’émotion est générale, le silence est profond, l’attention est unanime. […] « Seulement, dans cette foule brodée de l’Œil-de-Bœuf qui bourdonne incessamment à son oreille, parmi ces jeunes et galants oisifs qui font l’amour pour s’en vanter, et qui se parent d’une maîtresse nouvelle, comme d’un justaucorps à brevet, Célimène finit par découvrir le plus honnête des gentilshommes, le plus vrai des amoureux. […] ce fut justement à ce moment-là de son triomphe (derniers moments du bonheur poétique, moments sacrés de cette pure joie des beaux-arts ; pour ces moments-là le dernier bandit des Abruzzes aurait de l’enthousiasme et du respect), qu’un homme caché, perdu dans la foule, attendait mademoiselle Mars, le poignard à la main. […] Alors Baron s’avançant tout au bord du théâtre, et regardant dans cette foule, comme s’il eût pu découvrir les insulteurs : — Ingrat public que j’ai formel dit-il en les montrant du doigt ; et depuis ce jour-là, on eut beau le prier et le supplier de reparaître, il ne reparut plus.
Le génie tout seul, quand il se manifeste » sous quelque forme et sous quelque influence que ce soit, a toujours contre lui, de cela seul qu’il est le génie, toute la foule des médiocres et des imbéciles, qui n’en comprennent pas la beauté. […] Ce grand mystique, qui est un grand écrivain, ignoré et déplacé dans un temps où l’esprit humain brutalisé n’est plus fier que de son sens pratique et descend chaque jour plus bas dans sa poussière., reste donc dans le désert de l’inconnu, comme Saint Siméon Stylite sur sa colonne, mais avec cette différence que des populations tout entières allaient se grouper d’admiration et de respect aux pieds du Solitaire miraculeux, comme autour d’un Prophète, pour entendre tomber ses oracles, tandis que le Saint Siméon Stylite du xixe siècle reste sur la colonne de ses écrits, sans que la foule qui passe y prenne garde et s’aperçoive que cette colonne est rayonnante ! […] Dans les chapitres de son livre, qui n’a que des chapitres et dont l’unité n’existe que dans la personnalité très particulière de l’auteur, ceux-là qui sont intitulés : La Lumière et la Foule, Les Ténèbres et la Foule, Les Sables mouvants, Les Préjugés, Les Caractères, Les Passions et les Âmes, La Charité intellectuelle, sont de ces choses qu’il est difficile dénommer, parce qu’elles n’ont pas d’analogue en littérature… Le côté que j’oserai appeler le côté divin de cette critique, échappera sans nul doute à ceux qui ont le mépris insolent et bestial du mysticisme de l’auteur.
Félix Faure joue au souverain, restaure, à son profit, le cérémonial des cours, fait marquer à son chiffre les serrures de l’Élysée et passe le temps qu’il dérobe aux réjouissances, à imaginer un costume d’apparat aux vives chamarrures dont il puisse se prévaloir aux yeux des foules éblouies. […] La visite du tsar et de l’impératrice de Russie a fait délirer les foules, rugir les orchestres et les cuivres. […] il a déjeuné avec le duc, ce matin, riposta Léonide Leblanc, à pleine voix, au milieu de la foule attentive, eh !
Nos poètes eux-mêmes, « ces contempteurs superbes de la foule, qui planaient dans les hauteurs », voilà qu’ils redescendent aux exigences mesquines de la foule — et que « les aigles » se font une raison, comme on dit. — Savez-vous quel volume de poésies a, dans ces dernières années, remporté le prix de la faveur publique ?
Avec des phrases apostoliques, grâce aussi à des paraboles passionnées, il sut captiver l’imagination des foules et subjuguer l’attention rebelle des artisans et des bergers. […] C’est donc aux poètes de marcher vers les foules. […] Par ce que nous prêterons à nos concepts des apparences de chair et de fleurs, il sera possible aux foules de ressentir la pathétique beauté immanente à la fois panthéiste.
Après l’admirable révolution de 1830, le théâtre ayant conquis sa liberté dans la liberté générale, les pièces que la censure de la restauration avait inhumées toutes vives brisèrent du crâne, comme dit Job, la pierre de leur tombeau, et s’éparpillèrent en foule et à grand bruit sur les théâtres de Paris, où le public vint les applaudir, encore toutes haletantes de joie et de colère. […] C’est un beau spectacle de voir ce public, harcelé par tant d’intérêts matériels qui le pressent et le tiraillent sans relâche, accourir en foule aux premières transformations de l’art qui se renouvelle, lors même qu’elles sont aussi incomplètes et aussi défectueuses que celle-ci. […] Tout solitaire qu’il est, il s’associe du fond du coeur à la foule qui aime et salue ces beaux talents, honneur de la reprise actuelle de Marion de Lorme, MM.
De là cette foule de mésalliances que je ne blâme pas. […] Il nous revient par une foule de mains occupées. […] Astuce, mauvaise foi, nulle grande vertu, nul héroïsme, une foule de petits vices, enfans de l’esprit économique et de la vie contentieuse.
« … Hier, une foule innombrable se pressait aux portes de l’Odéon pour assister à la reprise du Légataire universel… » Dire qu’il y a des morts qui font de l’argent, quand les vivants crèvent de faim… Intrigants, allez ! […] (accentuant chaque mot) : « Hier, une foule innombrable se pressait aux portes de l’Odéon pour assister à la reprise du Légataire universel… » (Allant par la chambre avec agitation.) […] Regarde. « On vient de découvrir… Droits à percevoir… » Et plus bas : « Hier, une foule innombrable… Légataire universel… Au théâtre de l’Odéon… »
En arrivant à Brest, son premier mot, en voyant la foule sur le port, a été : Que de blancs ! — Il paraît qu’à Rio la foule est presque toute composée de noirs.
Une foule de superbes tombeaux, d’un goût original, s’élevaient vers le même temps aux environs de Jérusalem 597. […] Les cours et les portiques environnants servaient journellement de rendez-vous à une foule considérable, si bien que ce grand espace était à la fois le temple, le forum, le tribunal, l’université. […] Jésus se perdait dans la foule, et ses pauvres Galiléens groupés autour de lui faisaient peu d’effet. […] Le service du culte entraînait une foule de détails assez repoussants, surtout des opérations mercantiles, par suite desquelles de vraies boutiques s’étaient établies dans l’enceinte sacrée.
Ainsi se dessinent dans votre esprit les idées les plus générales de votre penseur, celles qu’il a eues avant toutes les autres et dont toutes les autres ont découlé ; — ou celles qu’il a eues tout à la fin, comme conséquences et comme synthèse d’une foule d’idées particulières ; — ou (plus souvent) celles qu’il a eues au milieu de sa carrière intellectuelle et qui étaient le résumé d’un grand nombre d’idées particulières et qui à leur tour ont produit, ont créé des idées particulières en très grand nombre. […] Il serait donc une sorte de républicain aristocrate, républicain c’est-à-dire ne voulant être que sujet de la loi et voulant que la loi soit plus puissante que tous les hommes, aristocrate c’est-à-dire ne voulant pas du commandement de la foule. Mais n’y a-t-il pas contradiction et n’est-ce point la foule qui fait la loi ? Non, dans une république aristocratique ; non, surtout si vous observez que Platon parle surtout du respect aux lois anciennes, qui ne sont, au moment présent, l’œuvre ni de la foule, ni d’une élite, mais l’œuvre du passé, l’oeuvre lente des siècles ; et vous arrivez à cette conclusion que peut-être Platon est un homme qui veut qu’un peuple soit surtout gouverné par son passé, ce qui est l’essence même de l’aristocratisme. — Vous vous trompez peut-être ; mais vous avez comparé, rapproché, contrôlé une idée par l’autre, limité ou rectifié une idée par l’autre, et vous avez goûté le plaisir qui est celui que l’on doit aller chercher chez un penseur, qui est le plaisir de penser.
Nous en avons indiqué plus d’une au cours de cet ouvrage ; mais il en reste une foule d’autres à découvrir. Les questions se posent en foule : Quelles sont les conditions favorables au développement du lyrisme, de l’humour, de la poésie épique ?
Je ne parle pas de vingt autres causes qui la préparèrent ; mais je remarque que dès le premier siècle, la grandeur de l’empire, une puissance qui n’était limitée par rien, des fantaisies qui n’avaient de bornes que la puissance, des trésors qu’on ne pouvait parvenir à épuiser, même en abusant de tout, firent naître dans les princes je ne sais quel désir de l’extraordinaire qui fut une maladie de l’esprit autant que de l’âme, et qui voulait franchir en tout les bornes de la nature ; de là cette foule de figures colossales consacrées aux empereurs, la manie de Caligula de faire enlever de toutes les statues des dieux leur tête, pour y placer la sienne ; le palais d’or de Néron, où il avait englouti un quart de Rome, une partie des richesses du monde, et des campagnes, des forêts et des lacs ; la statue d’Adrien élevée sur un char attelé de quatre chevaux, et qui faite pour être placée au sommet d’un édifice, était d’une grandeur que nous avons peine à concevoir ; sa maison de campagne, dont les ruines seules aujourd’hui occupent dans leur circonférence plus de dix milles d’Italie, et où il avait fait imiter les situations, les bâtiments et les lieux les plus célèbres de l’univers ; enfin le palais de Dioclétien à Spalatro en Illyrie, édifice immense partagé par quatre rues, et dont chaque côté avait sept cents pieds de long. […] Les Gaules étaient d’ailleurs remplies d’une foule de Romains. Leur commerce y porta cette culture, et ce goût qui naît d’abord dans les capitales, parce que le goût n’est que le résultat d’une multitude d’idées comparées, et d’une foule d’idées qu’on ne peut avoir que dans l’oisiveté, l’opulence et le luxe.
Dans sa Lettre à Voltaire, La Harpe se plaignait d’avoir des ennemis : « Il est également triste et inconcevable, disait-il, d’être haï par une foule de personnes qu’on n’a jamais vues. » À quoi Voltaire répliquait : « Il y a eu de tout temps des Frérons dans la littérature ; mais on dit qu’il faut qu’il y ait des chenilles, pour que les rossignols les mangent afin de mieux chanter. » La recette était singulière. […] Sur cette prétention que témoignait La Harpe d’être haï d’une foule de personnes, on faisait, dans l’une de ces deux lettres, cette remarque assez spirituelle : Un jeune petit maître se vante par air d’être aimé de beaucoup de femmes ; les jeunes poètes ont la même vanité, ils se supposent beaucoup d’ennemis. […] Il engagea une guerre ou plutôt mille petites guerres avec la foule des amours propres des auteurs du temps, se posant comme leur juge et comme leur fléau ; et à la fois il aspira à l’honneur d’un restaurateur du goût et d’un modèle dans ses œuvres et ses productions de poète. […] Voltaire venait de mourir à Paris (30 mai), et la foule des petits auteurs, ennemis de La Harpe, n’attendait qu’une occasion pour tomber sur le disciple que la protection du maître ne couvrait plus. […] Nous aujourd’hui, même quand nous voyons Phèdre, nous ne sommes guère sensibles qu’aux trois ou quatre grandes scènes et à l’admirable style ; mais l’ordre de la pièce, la suite des scènes intermédiaires, leur arrangement et une foule de détails ne nous arrivent plus ; nous n’y entrons plus complètement.
Attaquez une psychologie par une psychologie ; vous convaincrez quatre ou cinq esprits solitaires, mais la foule vous échappera. […] Il entrechoque devant ses auditeurs cette foule d’abstractions, d’explications et d’argumentations ; et quand il les voit bien assourdis par le bruit du combat et par le choc sonore de pompeux adjectifs philosophiques, il les amène doucement hors de la mêlée, éclaircit leurs idées par des exemples familiers, les engage adroitement dans la bonne route, leur fait découvrir d’eux-mêmes et près d’eux ce qu’ils cherchaient si loin et dans les autres, et les laisse satisfaits d’eux, contents du maître, enrichis d’une idée claire, et munis d’une leçon de patience et de discrétion. […] Le mouvement n’est pas rapide ; l’auteur n’entraîne point l’esprit par l’élan d’une logique impétueuse ; il le promène doucement autour d’une foule d’idées familières. […] Au lieu de commencer les mathématiques par une définition de la quantité et de la mesure, ils font naître et rendent distinctes par une foule d’exemples les idées de quantité et de mesure.
Virgile, au troisième livre des Géorgiques, accuse aussi la même difficulté de se faire jour : Omnia jam vulgata…, et Tite-Live, dans la préface de son histoire, semble comme accablé d’avance sous le nombre de je ne sais quels illustres devanciers : « … Et, si in tanta scriptorum turba mea fama in obscuro sit, nobilitate ac magnitudine eorum, meo qui nomini officient, me consoler. » Les érudits seuls savent peut-être aujourd’hui quelques noms de cette foule de poëtes et d’historiens célèbres, d’où se sont dégagés à grand’peine Tite-Live et Virgile. […] Je n’aurais qu’à supposer que le soir ayant lu, avant de m’endormir, quelques pages des Analecta alexandrina, les auteurs eux-mêmes m’apparurent en songe, accompagnés de toute la foule des ombres poétiques dont le temps a dispersé les restes et nivelé les tombeaux. […] Et pourtant de tels motifs de garantie future que j’embrassais de grand cœur, et auxquels je ne cessais de croire dans mon songe (car vous n’oubliez pas que c’en est un), ne le rendaient pas moins mélancolique et moins sombre ; mon pauvre Euphorion, avec la foule innombrable et confusément plaintive de ces poëtes déshérités, déchus, ensevelis, ne se laissait pas oublier, et ils faisaient tous la ronde autour de moi, tellement que mes idées commençaient à vaciller un peu.
Ce n’est pas mal, évidemment, mais cela n’a rien à voir avec la lyre et la prose même de Courteline paraît encore trop sérieuse à la foule qui s’en détourne pour les outrances du café-concert et les déshabillés galants du music-hall. […] Et partout s’ouvrant des tournois de boxe et de lutte où la foule s’empresse. […] Ils savent d’ailleurs que la foule s’en désintéresse.
« Je ne ferai point un lutteur, dit-il ; la Grèce compte assez d’athlètes, et je préfère la vertu à la force ; je ne ferai point un guerrier ; ce mérite est commun : des milliers d’hommes tous les ans meurent pour leur patrie ; je ne ferai aucun de vos anciens tyrans, je briserais plutôt leurs images ; je pourrais représenter quelqu’un de vos dieux : mais vous en avez en foule dans vos temples ; et pour contempler la divinité, au défaut des statues, n’avez-vous pas les cieux ? […] Je voudrais que sur la pierre noire et brute on eût gravé : « Ici il prit la coupe ; là, il bénit l’esclave qui la lui portait ; voici le lieu où il expira. » On irait en foule visiter ce monument sacré ; on n’y entrerait pas sans une sorte de respect religieux, et toute âme courageuse et forte, à ce spectacle se sentirait encore plus élevée. […] D’ailleurs, dans le cours de cet essai, parmi la foule innombrable de ceux qui ont été loués, où trouverons-nous des hommes comme Socrate et des panégyristes comme Platon ?
Et quand descend sur lui la grande ombre, une sorte de remords le prend pour les heures dépensées inutilement ; la foule des hommes haletait de souffrance et il s’est tu : Et des peuples, maudits par des mères en larmes, Sans nombre, résignés, marchaient dans un bruit d’armes, De clameurs, de chevaux, de foudres, de remparts S’écroulant d’un seul bloc sur les gazons épars. […] Pégase dompté sera maintenu dans l’abîme de la géhenne, jusqu’à ce que toute douleur ait cessé ; de son poitrail éblouissant, il écartera les bourreaux et les monstres, et alors seulement, libre enfin, il bondira vers le ciel, salué dans son assomption par le cri des foules délivrées.
Il y a foule et foule. Celle que le romantisme, le libéralisme ont déifiée, parallèlement à l’homme de génie, c’est la foule politique, notamment la foule irritée, quel que soit le motif de son irritation, et la foule enthousiaste, quelque soit le motif de son enthousiasme. Pour la foule comme pour l’homme de génie, après la période de latrie, est venue celle de critique et d’analyse et on a décrit surabondamment la psychologie et la pathologie des foules. […] Exception faite pour les foules religieuses, à Lourdes ou ailleurs foules miraculées, d’un caractère spécial, unique, et qui ne rentrent point dans les catégories dont je m’occupe présentement ce qui caractérise la foule politique, c’est son flottement. […] Je ne parle que de la foule française, ignorant celle des autres pays.
La même foule qu’avant dîner. […] Il y a une foule énorme. […] On dit, dans la foule, que ce sont les fusils des morts et des blessés. […] Toute l’avenue est remplie d’une foule confuse, entre deux lignes de cavaliers. […] Soudain, je vois la foule se mettre à courir, comme une foule chargée, un jour d’émeute.
Il a pensé qu’il serait bon d’attirer vers des spectacles simples, sains, moralisateurs, la foule des travailleurs des champs, des paysans, des pauvres, qui n’ont trop souvent rien de beau à se mettre sous les yeux. […] La foule assiste, pour ainsi dire, au grand spectacle de la bataille de ses instincts bons et mauvais.
Paralysez un groupe d’hommes dans la foule sur un point important, ils n’opposeront plus de résistance aux mouvements du reste de la foule, et la résultante générale sera modifiée en faveur de ceux qui auront conservé l’usage de leurs membres. […] Delbœuf, ni par Morselli, ni par Lehmann et Wundt, ni par une foule d’autres. […] Les hypnotisés accomplissent une foule d’actions et prononcent une foule de paroles qui dénotent une intelligence très éveillée : s’ils ne se souviennent pas de ces actions au réveil, ils s’en souviennent dans un sommeil ultérieur. […] Une foule de sensations organiques et de réactions du cerveau sur les organes internes peuvent alors acquérir un relief inaccoutumé. […] On découvrira que la conscience prend une foule de formes et de directions, comme le mouvement revêt une foule de figures dans l’espace : elle est tantôt sensation de lumière, tantôt sensation de chaleur, tantôt faim ou soif, tantôt volition.
En relisant ses couplets, on est amené insensiblement à leur restituer la vie de l’heure, l’atmosphère du Soleil d’or chargée de bière et d’alcool, le grouillement et l’entrain de la foule, l’éclat des lumières, le ronflement et les cris de la rue voisine. […] Tout à coup, un remous violent sépare la foule. […] Et ma pensée évoque ce dernier banquet de la Plume en l’honneur de Paul Adam (7 décembre 1899) où, dans la joie et les lumières, Deschamps sentait monter vers lui la sympathie de trois cents convives, exaltés jusqu’à l’ivresse par l’éloquence de l’auteur du Mystère des foules et la vibrante et chaude parole de Moréas.
Il y a un moyen immanquable d’attirer la foule autour de soi, c’est de crier fort, lorsqu’on est dans la rue ; c’est de grossir, d’outrer les notes de violence, quand on noircit du papier à l’usage des masses. […] Ils ont gardé la conviction que la foule ne prise en art que ce qui lui ressemble, qu’elle est trop affamée pour être friande et que toujours elle préférera la quantité à la qualité. […] Élever toute la masse à la hauteur de l’élite, faire de la foule l’auditoire des génies, voilà la mission simple qui s’impose aux écrivains et aux hommes d’action d’aujourd’hui. […] On vulgarise la science, on vulgarise l’histoire, on doit également vulgariser la littérature, c’est-à-dire répandre dans les foules les idées maîtresses dont s’éclairent quelques livres d’élite peu accessibles au peuple. […] Notez, pourtant, qu’il se trouve parmi eux des conteurs aussi soucieux que vous-même de l’âme des foules.
Il y a un peu de tout dans cette foule : des envieux de votre prospérité, des ratés de l’art que vous dirigez si bien, des vaniteux jaloux de se mettre en avant. Soit : ce n’est là qu’une infime minorité, une quantité négligeable si vous voulez ; mais derrière elle est la foule, non seulement la masse d’oisifs et de pratiques, mais une foule respectable jusque dans ses injustices, en laquelle on a allumé des sentiments élevés et qui, de bonne foi, se figure faire œuvre de patriotisme en étouffant une question d’art sous ses clameurs. […] Les soixante-dix mille braves gens dont j’ai parlé plus haut seront là ; mettons-en seulement cinquante mille, car il y aura dans la foule un minimum de vingt mille désœuvrés et de braillards toujours prêts à faire ce qu’ils appellent du boucan, à tout propos et sans que la cause repose autrement sur leur conviction. […] Puis les meneurs se fatigueront, et si le Lohengrin est, ce que j’ignore, un véritable chef-d’œuvre, il s’imposera à la foule. […] Si on joue Lohengrin et si des scènes scandaleuses s’ensuivent, je ne veux pas qu’on puisse m’accuser de les avoir provoquées. » Ainsi, personne ne reconnaît avoir voulu organiser la résistance à Lohengrin ; tout le monde avoue que Lohengrin est un chef-d’œuvre et chacun rejette sur la foule — la mystérieuse foule — la responsabilité des désordres prévus.
Le 4 Septembre porte au pouvoir ce marquis démocrate, cet homme de trop de nerfs qui, parmi les acclamations de la rue, soulevé sur les flots de la foule, pâlit et se trouve mal comme sur les flots d’une mer. […] Les pires instincts de la foule, je veux dire ceux qui lui font le plus de mal à elle-même, l’envie, la défiance, la haine, l’appétit de jouir à son tour, il n’a jamais manqué une occasion de les exciter, de les exaspérer, de les pousser à la curée. […] Le mensonge comme la sincérité comporte une foule de nuances. […] C’est parce qu’il a bon cœur chez lui qu’il souffle la haine dans l’âme obscure des foules.
La compétition étant énorme en regard de l’exiguïté de ces articulets, la faveur d’être nommé est vite mise aux enchères ; les directeurs ont compris, devant la foule des livres bâclés par vanité, qu’ils pouvaient affermer aussi cette colonne de leurs gazettes en prélevant un impôt sur la soif de vedette des gens qui écrivent. […] Mais il est vrai, en principe, que si la critique dramatique demeure puissante, parce qu’elle est financièrement indispensable aux directeurs de théâtres, et contente une foule d’intérêts matériels, dans le même sens que la publicité de bourse ou de négoce, — la critique littéraire se meurt parce qu’elle s’occupe de questions de pensée qui n’intéressent qu’une minorité, ou alors de livres à succès facile que la réclame payée lance sans avoir besoin de critique sérieuse. […] De même que la foule des jeunes peintres suit Claude Monet, Besnard, Carrière ou Whistler sans plus s’occuper de l’École et de MM. […] Il est illogique de les employer à bâcler des jugements au jour le jour sur une foule de livres ; mais il serait coupable de les laisser inutiles.
La foule exige de plus en plus le chatouillement direct, devient incapable de tout plaisir qui n’est pas celui-là, et celui-là tout cru… Les divertissements qui veulent un effort de réflexion sont trop relevés et trop laborieux pour elle. […] La foule est plus paresseuse, plus envieuse, plus prête aux inutiles révoltes après ces brèves godailles et ces grossières féeries.
La foule, incapable de distinguer entre les mérites de ses flagorneurs, se livre surtout aux plus inclinés, aux plus assidus et aux plus anciennement inscrits. […] Mais nous saurions vivre sans eux et nous ne désirons ni ne craignons que la foule envahisse notre fier séjour.
Le respect de la foule pour M. […] Faut-il s’étonner s’il est demi-dieu pour la foule ? […] Irai-je mendier la fortune et les applaudissements de cette foule insolente ? […] Hugo, Il faut plus de trois ans vraiment, pour effacer les préjugés littéraires de la foule. […] J’écoute les poètes, je suis d’un œil vigilant leur trace glorieuse, je compte leurs pas ; et quand la foule plus rare commence à les abandonner, je leur dis simplement pourquoi la foule les abandonne.
« Sa vie était un dialogue furieux et continu avec la foule. […] ” Le comédien Grammont, aide de camp de Ronsin, donnait l’exemple et le signal de ces cris au peuple, en brandissant son sabre nu, et en fendant la foule du poitrail de son cheval. […] Les détenus de la Conciergerie, presque tous ennemis du rôle et du nom du duc d’Orléans dans la Révolution, se pressaient en foule dans les préaux, dans les corridors, dans les guichets, pour le voir passer. […] L’aspect de la foule qui couvrait la place et le roulement des tambours à son approche lui firent relever la tête, de peur qu’on ne prît sa tristesse pour de la faiblesse. […] le puis-je au milieu de cette foule et de ce bruit ?
Grand amoureux de la foule et de l’incognito, M. […] Sa passion et sa profession, c’est d’épouser la foule. […] Ainsi l’amoureux de la vie universelle entre dans la foule comme dans un immense réservoir d’électricité. […] On oublie à chaque instant qu’injurier une foule, c’est s’encanailler soi-même. […] Mais ces documents divers, tombant à de lointains intervalles, avaient glissé sur l’esprit de la foule.
De là résultait pour Schiller la possibilité d’une foule d’allusions rapides que ses compatriotes comprenaient sans peine, mais qu’en France personne n’aurait saisies. […] Nul doute que, dans une tragédie grecque, le chœur n’eût alors pris la parole, pour réduire en maximes les sentiments qui se pressent en foule dans l’âme du spectateur. […] Elle introduisait d’ailleurs une foule d’acteurs qui ne contribuaient point à la marche de l’action, et ne reparaissaient plus dans le cours de la pièce. […] Les retranchements dont je viens de parler, une foule d’autres dont l’indication serait trop longue, plusieurs additions qui m’ont semblé nécessaires, font que l’ouvrage que je présente au public n’est nullement une traduction. […] C’est un être pour ainsi dire aérien, qui plane sur cette foule d’ambitieux, de traîtres, de guerriers farouches, que des intérêts ardents et positifs poussent les uns contre les autres.
Bien que dans ses Souvenirs de Jeunesse, et dans cette foule d’anecdotes et de nouvelles publiées, il n’ait cessé de puiser à la source secrète et d’y introduire le lecteur, on peut assurer que, si on ne l’a pas entendu causer, on ne le connaît, on ne l’apprécie comme conteur qu’à demi. […] Il laisse la foule, si elle lui déplaît, et s’en va égarer ses belles années dans les sentiers. […] Je glisse au bas de la page ce mot humble, ce mot touchant, que je préfère à d’autres mots plus glorieux, parce qu’il sent l’homme cette heure de vérité, ce mot toutefois qu’il faudrait être lui pour prononcer comme il convient, avec sensibilité et ironie, avec un sourire dans une larme ; il s’agissait de ces marques d’affection et d’honneur qui lui arrivaient en foule et ne cessèrent plus, dès qu’on le sut en danger : « Qui est-ce qui dirait, à voir tout cela, que je n’ai toujours été qu’un pauvre diable ?
Jusqu’à la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ exclusivement, tout se passe, en réalité, dans cette partie du Livre Sacré, en prédications et en miracles, et, groupes individuels ou foules immenses, c’est toujours l’attention — l’attention, avec la gamme de toutes ses nuances, — qui fait le fond de ces tableaux, et un tel fond est vite épuisé. […] Les qualités de sa manière y brillent autant que jamais, et les défauts aussi, disent les connaisseurs, c’est-à-dire l’incorrection dans le dessin à force de vouloir sortir du convenu et conquérir l’effet à tout prix, le sacrifice de la personne ou du groupe à la masse ; car Doré est bien plus le dessinateur de la masse et le peintre des foules que le peintre de la personnalité. […] Ainsi la Jézabel jetée aux chiens et culbutée par la fenêtre, la Chute d’Antiochus, les Machabées, etc., etc. ; et surtout, ce qui est plus que tout cela dans le propre génie de Doré, les grandes mêlées, les foules écrasées ou défaites : le Passage de la mer Rouge, par exemple ; l’armée des Amorrhêens détruite par une grêle de pierres, quoique (grand défaut !)
La Grèce, qui dans ce siècle produisit une foule de grands hommes, n’en a point eu qui ait été plus souvent, ni mieux loué que Socrate ; il est même à remarquer qu’un simple citoyen d’Athènes est devenu plus célèbre que beaucoup de princes qui, les armes à la main, ont changé une partie du monde. […] Ces beaux siècles de la Grèce qui produisirent les héros, firent naître aussi une foule d’écrivains pour relever leurs actions. […] Parmi la foule de ses ouvrages, on a de lui un éloge de Démosthène, qui mérite d’être distingué ; Lucien y est original et piquant comme partout ailleurs ; il ne s’astreint pas à la forme des éloges ; sa devise, comme il le dit lui-même, est de n’imiter personne.
Son caractère, comme son règne, offrent une foule de contradictions ; il eut un enchaînement de victoires, et leur éclat lui fut, pour ainsi dire, étranger ; il eut des talents militaires, et à peine aujourd’hui ces talents sont connus ; il eut de l’agrément dans l’esprit et montra la plus grande indifférence pour les lettres ; la nature lui avait donné du courage, et même celui qui affronte la mort, et il n’eut jamais celui de commander. […] Loué par une foule d’orateurs, chanté par Malherbe, célébré à sa mort par Lingendes, placé par la nature entre Richelieu et Corneille, il prouva que le caractère seul peut donner du prix aux actions, aux vertus, aux succès même, et que les panégyristes, malgré leurs talents, ne donnent pas toujours le ton à la renommée. […] Quelque jugement qu’on porte sur le caractère moral de ce ministre, le premier de son siècle, et fort supérieur aux Bukingham et aux Olivarès qu’il eut à combattre, son nom, dans tous les temps, sera mis bien loin hors de la foule des noms ordinaires, parce qu’il donna une grande impulsion au-dehors ; qu’il changea la direction des choses au-dedans ; qu’il abattit ce qui paraissait ne pouvoir l’être ; qu’il prépara, par son influence et son génie, un siècle célèbre ; enfin, parce qu’un grand caractère en impose même à la postérité, et que la plupart des hommes ayant une imagination vive et une âme faible, ont besoin d’être étonnés, et veulent, dans la société comme dans une tragédie, du mouvement et des secousses.
Or, pour cela, quoi de mieux, en présence d’un tableau vivant, intéressant, animé, où tout parle, se comprend, où là foule s’arrête, et qui est signé d’un nom célèbre, que de hocher la tête, de pousser un profond soupir ou de hausser les épaulés de pitié ? […] Planche, en louant Horace Vernet, eût adhéré à la foule, ce qu’il évitait le plus soigneusement ; en louant Charlet au-delà de la mesure ordinaire, il commandait à la foule, il se mettait au-dessus d’elle ; et c’est ce qui lui plaisait avant tout. […] Alfred de Musset part de ce principe qu’une œuvre d’art doit autant que possible réunir deux conditions : plaire à la foule et satisfaire les connaisseurs. […] Rien n’est plus admirable que cette foule d’Arabes, de Turcs, tous drapés si pittoresquement.
Si parfois de mon sein s’envolent mes pensées, Mes chansons par le monde en lambeaux dispersées ; S’il me plaît de cacher l’amour et la douleur Dans le coin d’un roman ironique et railleur ; Si j’ébranle la scène avec ma fantaisie, Si j’entre-choque aux yeux d’une foule choisie D’autres hommes comme eux, vivant tous à la fois De mon souffle, et parlant au peuple avec ma voix ; Si ma tête, fournaise où mon esprit s’allume, Jette le vers d’airain, qui bouillonne et qui fume, Dans le rhythme profond, moule mystérieux, D’où sort la Strophe, ouvrant ses ailes dans les cieux ; C’est que l’amour, la tombe, et la gloire, et la vie, L’onde qui fuit, par l’onde incessamment suivie, Tout souffle, tout rayon, ou propice ou fatal, Fait reluire et vibrer mon âme de cristal, Mon âme aux mille voix, que le Dieu que j’adore Mit au centre de tout comme un écho sonore ! […] Il y écrivit une foule de vers politiques et d’articles critiques qui n’ont jamais été reproduits et qu’il est difficile aujourd’hui de reconnaître sous les initiales diverses et les noms empruntés dont les signait l’auteur. […] Le public, la foule n’y avait que faire, comme bien l’on pense ; en proie aux irritations de parti, aux engouements grossiers, aux fureurs stupides, on laissait cet éléphant blessé bondir dans l’arène, et l’on était là tout entre soi dans la loge grillée. […] Cependant Hugo, par son humeur active et militante, par son peu de penchant à la rêverie sentimentale, par son amour presque sensuel de la matière, et des formes, et des couleurs, par ses violents instincts dramatiques et son besoin de la foule, par son intelligence complète du Moyen-Âge, même laid et grotesque, et les conquêtes infatigables qu’il méditait sur le présent, par tous les bords enfin et dans tous les sens, dépassait et devait bientôt briser le cadre étroit, l’étouffant huis clos, où les autres jouaient à l’aise, et dans lequel, sous forme de sylphe ou de gnome, il s’était fait tenir un moment. […] Face à face désormais avec la foule, il est de taille à l’ébranler, à l’enlever dans la lutte ; et nous avons, comme lui, confiance en l’issue.
La foule y répondait par des insultes. […] En passant sous les fenêtres de la maison qu’habitait Robespierre, la foule redoubla ses invectives, comme pour faire hommage à son idole du supplice de son rival. […] La foule battit des mains. […] Il ne fut que le Séjan de la foule ; il ne montra de pitié que pour lui-même, et il ne plaida pour les victimes que quand la multitude rassasiée de supplices commença à se retourner contre les bourreaux. Sarcastique et hideuse figure qu’on retrouve toujours dans toutes les révolutions, flaireurs du vent, baladins de la foule qui montent indifféremment sur les tréteaux ou sur l’échafaud pour y provoquer le rire atroce des égorgeurs, ou pour y mourir eux-mêmes sans conviction, sans dignité et sans courage.
Nous autres, nous continuons une foule anonyme, et c’est une foule anonyme qui nous continuera. […] Heureux ceux qui ne sont d’abord qu’une tête dans la foule, quand il est donné à cette tête de circuler librement dans cette foule, d’en visiter les replis et de la refléter tout entière ! […] Il revient à Paris, entre à l’Académie royale, qui était une sorte d’École militaire, et commence à aller dans le monde, à l’hôtel de Condé et à l’hôtel de Rambouillet, où il rencontre une foule de jolies personnes et notamment cette touchante Marthe du Vigean dont il devient quelque peu amoureux.
La foule admire du côté où est cela. […] Si vous vous obstinez, on vous mène à un endroit nommé Westminster où il y a des rois, une foule de rois ; il y a aussi un coin qu’on appelle coin des poètes. […] Admiration universelle, un grand peuple entre en frénésie, une grande ville tombe en pâmoison, on loue un balcon sur le passage du jeune homme cinq cents guinées, on s’entasse, on se presse, on se foule aux roues de sa voiture, sept femmes sont écrasées par l’enthousiasme, leurs petits enfants sont ramassés morts sous les pieds, cent personnes, un peu étouffées, sont portées à l’hôpital, la joie est inexprimable. […] Remarquez que, dans une foule d’occasions, la Bible aussi est improper, et l’Écriture sainte est shocking. […] Les foules comme les vagues ont besoin de phares au-dessus d’elles.
Il est inutile de nous attacher à développer les différens caracteres de son génie : une foule d’Ecrivains se sont empressés de les faire connoître, & nous ne pourrions que répéter ce qu’ils en ont dit. […] Il ne pouvoit ignorer que parmi ceux qui assistoient à ses Pieces, le plus grand nombre étoit Peuple, &, pour attirer la foule, il étoit forcé de se prêter aux différentes inclinations.
Elle se tient à l’écart, et ne cherche point la foule. […] Les vérités morales sortent en foule de leurs narrations et de leurs tableaux. […] Ici les tableaux se succèdent en foule, et le choix serait difficile. […] Il eut une foule d’imitateurs. […] « De combien de héros Louis foule la cendre !
Le peuple répète des paroles antiques, et jamais on ne soupçonne d’impiété ces foules qui s’écrient : Nous louons le Père, le Fils et le Saint-Esprit de Dieu. […] Quand le culte même était si poétique, quand la prière publique était un hymne et l’auditoire une assemblée de néophytes enthousiastes, aisément devait renaître et se détacher de la foule une poésie plus haute et vraiment inspirée. […] L’expression en est grave et noble, et rachète un moment les doutes du poëte épicurien et les puériles crédulités de la foule. […] Dans sa fidélité à la rigueur du dogme, la parole du poëte n’en était que plus puissante sur ces foules chrétiennes qui peuplaient la Grèce orientale, les îles de la mer Égée et toute l’Asie Mineure. […] Et toi, ayant délivré de leurs chaînes des foules d’âmes pieuses, avec ce saint cortège, tu élevais tes hymnes vers Dieu.
Jamais homme n’avait à ce point méconnu l’idéal des hommes. » Si Zola a tant déplu aux délicats et à ce qu’on appelait, au xviie siècle, « les honnêtes gens », pourquoi, ce qu’on ne peut nier, a-t-il eu tant de succès auprès de la foule ? […] Il peignait les foules en mouvement d’une manière qui le met au tout premier rang. Rien ne vaut la descente des ouvriers, à la fin de la journée, par la rue Oberkampf, la lente coulée des voitures à travers les Champs-Élysées au retour des courses, la galopade furieuse des ouvriers révoltés dans Germinal, l’éternel va-et-vient des chevaux démontés, nuit tombante, dans le champ de bataille de Sedan, le « train blanc » de Lourdes et, à Lourdes aussi, le vent de folie extatique qui couche, relève et prosterne à nouveau la foule, avec ce cri monotone qui s’élève, s’enfle et roule dans l’air enfiévré : « Seigneur ! […] Elle dira sans doute : « Il ne fut pas intelligent ; il écrivait mal toutes les fois qu’il ne décrivait pas ; il ne connaissait rien de l’homme qu’il prétendait peindre, qu’il prétendait connaître et que, seulement, il méprisait ; il avait des parties de poète septentrional et un art de composition qui sentait le Latin ; et il savait faire remuer et gesticuler des foules. » Et il est possible aussi qu’elle n’en dise rien.
Fouiller des bibliothèques, déchiffrer d’horribles manuscrits, restaurer les textes mutilés, choisir entre les leçons, discuter l’authenticité du document, conjecturer son âge, chanceler partout sur le sol mouvant des probabilités, se plonger dans la foule querelleuse des commentateurs, user sa vue et sa pensée sur les sottises innombrables et sur les platitudes incroyables dont la populace littéraire et philosophique obstrue les œuvres des grands hommes, c’est là une étude si minutieuse, si stérile en conclusions générales et en vérités certaines, qu’il fallait pour l’entreprendre les instincts et les habitudes d’un érudit. […] Faute de pouvoir la rétablir ou la remplacer, il s’est contenté d’exposer les diverses philosophies ; il a publié une foule de documents sur Descartes et son école ; il a retrouvé la dialectique d’Abailard, et raconté les commencements de la scolastique. […] « Le catalogue imprimé des manuscrits de la bibliothèque de Leyde m’avait donné des espérances qui, grâce à Dieu, n’ont pas été vaines… Là j’ai vu de mes yeux, touché de mes mains une foule de lettres de Leibnitz, de cette écriture ferme et serrée qui est de son pays plus que de son siècle… Cependant je ne pouvais me persuader qu’il n’y eût pas à Leyde quelques lettres inédites de Descartes lui-même. » Là-dessus il fouille plusieurs gros paquets de lettres non cataloguées, et y découvre un billet de Descartes à son horloger, avec deux autres. […] Le cardinal de Retz, dom Robert des Gabets, Roberval, M. de La Clausure, l’abbé Gautier, tous les personnages d’une académie cartésienne, une foule de pièces de Leibnitz, Malebranche et Descartes, des lettres de Spinoza, quantité de morceaux sur Mme de Longueville, Mme de Sablé, Pascal, sa famille : il a fourni des mémoires et des documents sur tous les personnages illustres de ce temps.
La maladie du roi et sa convalescence achevèrent d’enflammer le zèle : on vit renaître les éloges en foule. […] Dans cette foule, il y eut pourtant des ouvrages qui furent distingués et qui le méritèrent. […] On citerait les grandes actions ; on citerait cette foule de traits qui, dans le cours d’une campagne ou d’une guerre, échappent à des héros que souvent on ne connaissait point ; car il est des hommes qui, simples et peu remarqués dans l’usage ordinaire de la vie, déploient dans les grands dangers un grand caractère, et révèlent tout à coup le secret de leur âme.
Comment se refuserait-il la douceur de répéter avec la foule, avec les meilleurs, le long des siècles, ce que son cœur lui suggère ce soir : Adveniat regnum tuum, Fiat voluntas tua. […] Les privilégiés de la veille se voyaient dépouillés, devenus chacun unus multorum, un dans la foule, mais en même temps débarrassés, purifiés, guéris de la sécheresse de cœur.
Avec la foule des instruments qu’il a créés, l’homme sépare et façonne sans peine les bois, les métaux et les pierres ; avec les cabestans, les leviers et les roues, il soulève et transporte des fardeaux immenses ; avec le secours de l’eau, il communique un mouvement perpétuel et rapide à de vastes machines ; avec le secours de l’air, il fait moudre ses grains et mouvoir ses vaisseaux ; avec le secours du feu, il fait monter l’eau dans ses pompes, sépare les rochers, creuse les mines. […] Il n’était pas préparé ; mais traversant en silence la foule du peuple, il se rendit au lieu où était la statue d’Homère ; là, posant les deux mains sur la base, il rêva quelque temps profondément, puis, comme inspiré par la statue du poète, il parla tout à coup avec la plus grande éloquence.
On est effrayé, en lisant l’histoire, de la foule énorme de panégyriques dont les Romains accablèrent leurs empereurs : ce débordement ne fut pas subit, il ne vint que par degrés. […] Outre les orateurs qui, dans toutes ces fêtes, parlaient devant le prince, et mentaient, pour ainsi dire, au nom de l’univers, il y avait encore dans toutes les parties de l’empire une foule de sophistes ou d’orateurs subalternes, flattant et mentant pour leur compte, louant des empereurs qu’ils n’avaient jamais vus et qu’ils ne devaient jamais voir ; ceux-là, on ne les payait pas même de leurs mensonges.
Dans la vie littéraire il ne peut qu’en être de même ; voilà le secret de l’indifférence ou de l’attention de la foule. […] Horace Vernet est le peintre de la foule, que M. […] vingt salles de spectacle s’ouvrent tous les soirs pour recevoir la foule avide d’entendre des acteurs aimés. […] Il est tourmenté par une foule de rêves personnels qu’il est obligé d’écrire pour se soulager. […] Silvestre sur Horace Vernet, il y a à peu près cette phrase : « Je méprise les jugements de la foule, et je ne veux pas aimer ce qu’elle aime.
quel front allait-il montrer à cette foule, bien tiède, bien étiolée, bien de loisir sans doute, mais enfin un peu curieuse et maligne, comme toutes les foules, même les plus choisies ?
Ce n’est pas autrement que Manet, dont certes le génie n’admettait nulle complaisance, nulle flagornerie pour la foule, allait chaque jour au Salon se faire une pinte de mauvais sang à écouter les drôleries débitées devant ses cadres. […] Vainement il tentait de se confirmer par des succès de théâtre son illusoire puissance sur les foules : toutes ses pièces firent bâiller.
Des soldats écartent la foule. […] La scène se passe sous la tribune du préteur et de ses assistants ; à droite de celui qui regarde, le préteur dans sa tribune avec ses assistants ; au-dessous un bourreau et le chevalet ; vers le milieu de l’autre côté du chevalet, le saint debout appuyé d’un genou sur le chevalet, derrière le saint, un bourreau qui le frappe de verges ; aux pieds de celui-ci, un autre bourreau qui lie un faisceau de verges ; derrière ces deux licteurs, un soldat qui repousse la foule.
L’instinct du peuple le portait à se presser en foule autour de la maison de son tribun, comme pour demander encore des inspirations à son cercueil ; mais Mirabeau vivant lui-même n’en aurait plus eu à donner. […] Nul ne personnifiait mieux en lui la foule que Camille Desmoulins. C’était la foule avec ses mouvements inattendus et tumultueux, sa mobilité, son inconséquence, ses fureurs interrompues par le rire ou soudainement changées en attendrissement et en pitié pour les victimes mêmes qu’elle immolait. […] Le peuple devient foule, et se porte sans ordre au danger. […] C’est la foule au gouvernail. » Lamartine.
Et en effet, ils n’avaient pas besoin de la dire puisqu’à cette époque d’enfance heureuse les génies et les foules ôtaient en communion. Mais une loi fatale comporte le divorce des foules et des génies au terme des civilisations. […] C’est qu’il restait, en effet, à étudier, à analyser le « corps social », à mettre en mouvement dans les œuvres littéraires les foules, qui sont toutes physiques, aussi bien dans l’unité de leur ensemble que dans leurs individus.
L’histoire le prouve, la physique ne nous a pas seulement forcés de choisir entre les problèmes qui se présentaient en foule ; elle nous en a imposé auxquels nous n’aurions jamais songé sans elle. […] Mais il y en a une foule d’autres qu’ils auraient ignorés. […] J’ai parlé plus haut de l’équation de Laplace que l’on rencontre dans une foule de théories physiques fort éloignées les unes des autres.
Paulus et Bruant régnaient sur les foules et suffisaient à leur besoin d’esthétique. […] Grâce à lui, la foule apprit avec stupeur que le vicomte de Bornier n’incarnait pas à lui tout seul la Poésie française et qu’il y avait une autre esthétique que celle de Francisque Sarcey. […] La moustache énergique sous le monocle étincelant, il dresse sur la foule un geste d’autorité qui le proclame dieu.
De ce nouveau principe, il tire cette conséquence : « que l’homme de génie ne doit être que l’organe de tous et non une personne privilégiée ayant des pensées particulières », que « c’estcelui qui dit ce que tout le monde sait », qu’il n’est que « l’écho intelligent de la foule ». […] L’homme de génie, dites-vous, n’est que l’écho de la foule ; mais cette foule elle-même, je le demande, où a-t-elle pris cette somme générale de vérité et de raison que l’écrivain supérieur viendrait à son tour exprimer ?
précisément parce qu’ils ne jouaient pas en aveugles obstinés à cette stupide et éternelle martingale des mêmes noms et des mêmes œuvres, aimés de la foule, et qu’on use, sous le nombre des éditions, comme on crève les meilleurs chevaux de poste sous les aiguillons et sous le fouet, ils gagnaient davantage, — disons le mot, puisque c’est gagner qui est l’important ! […] Prodigieuses contradictions, du reste, dans un esprit qui comprenait si bien la peinture, cet art exclusivement chrétien, et qui était devenu si féroce d’aristocratie, quand il s’agissait du talent, qu’il demandait des décorations et des crachats pour les artistes afin de les isoler de la foule et de préserver leurs célestes rêveries de l’importunité des sots. […] Il en a été puni par l’indifférence de la foule, qui s’est détournée de son œuvre exquise et nouvelle, et est allée buter et ruminer ailleurs.
On était en rivalité de tragédies, et dans ces luttes pacifiques on apportait la même passion que dans ces rixes terribles où, vingt ans auparavant, des villages entiers venaient offrir la bataille aux villages ennemis. » Or, à cette tragédie jouée à Montalric, il y avait, au milieu de la foule compacte, un homme qui assistait pour la première fois a cette solennité, et c’est de la rencontre et de la combinaison de la tête singulière de cet homme, simple potier-terrailler de son état, et de cette tragédie, dont l’impression le bouleversait, que va sortir tout le roman de M. de La Madelène. […] Il fait mouvoir les foules que Shakespeare, plus heureux, pouvait mettre à la scène, et qu’il ne peut, lui, faire mouvoir que dans des romans. […] Dans ce roman, — qu’on pourrait appeler une immense tragi-comédie à tiroirs, et à tiroirs pleins de choses, — il y a un amour jeté là, en passant, cet amour exigé dans toutes les pièces françaises par l’imagination du public, mais cet amour n’est qu’une visée secondaire dans la préoccupation de l’auteur, sous la main duquel le vaste cœur compliqué des foules palpite mieux que les cœurs grêles de moineau de ses amoureux !
J’apperçus dans la foule un homme qui s’efforçait d’en sortir. […] Il s’appuyait sur une foule d’exemples, autant que des exemples peuvent servir de point d’appui. […] La foule des Historiens voulait s’approcher : la foule de nos Romanciers la dévança. […] Une foule prodigieuse de volumes était le fruit de cette émulation. […] Une foule d’autres Ecrivains ont cultivé ce genre avec toute la délicatesse qu’il exige.
Chaque époque — la nôtre comme les autres — produit, à côté d’une foule d’œuvres qui dépendent de la mode du moment et disparaissent avec elle, quelques œuvres d’une portée plus, sérieuse, destinées à survivre un temps plus ou moins long, dignes en tout cas d’être examinées et reconnues : les écrivains sont trop disposés à consacrer par des admirations exagérées les productions éphémères dont ils subissent l’attrait ; l’Université englobe trop souvent dans le même mépris les écrits insignifiants et les œuvres durables. […] Le chevalier normand allant conquérir l’Angleterre, écoutait avec autant de plaisir le trouvère Taillefer chanter les interminables exploits de Roland que les Grecs leurs aèdes ; une foule frémissait au spectacle des mystères de la Passion, comme une autre foule avait frémi jadis à celui des malheurs d’Œdipe ou de Prométhée ; le dévot s’extasiait devant la douloureuse figure d’un Christ en croix, comme jadis les Athéniens admiraient les chefs-d’œuvre du Parthénon. […] « Mais ce n’est là, continue le critique anglais, qu’un exemple choisi parmi une foule d’autres exemples analogues.
C’est la perpétuelle revanche des grands idéalistes, ignorés de la foule — et de plus d’un de leurs amis — qu’en réalité ils habitent un autre monde, un monde créé par eux-mêmes, simplement évoqué par de simples paroles, car « tout verbe, dans le cercle de son action, crée ce qu’il exprime ». […] De grandioses symboles comme Vox populi, l’Impatience de la foule, s’y dressent tout à coup à côté de profondes visions d’au-delà de Véra, de l’Intersigne, des railleries aiguës, sinistres ou gravement lyriques des Demoiselles de Bienfilâtre, de la Machine à gloire, du fantaisiste humour qui distingue le Plus Beau Dîner du monde, l’Affichage céleste, etc… Les Contes cruels signalent avec une admirable netteté les deux courants que suit la pensée de Villiers : l’un positif, affirmant les croyances mystiques, les aspirations idéales ; l’autre négatif, dissolvant, aux acides d’une raillerie puissante, la dureté du temps présent abhorré du rêveur… Par sa fidélité, jamais démentie, aux formules de l’idéal romantique, Villiers de l’Isle-Adam s’est condamné à rester étranger aux courants novateurs de la littérature.
Certains historiens, frappés de voir ces êtres d’exception dépasser du front la foule environnante, ont cru qu’on pouvait les isoler et que, pour dérouler l’évolution littéraire d’un peuple, on pouvait se borner à courir de l’une à l’autre de ces têtes lumineuses. […] Mais, au lieu de les laisser isolés, il faut les replacer dans le groupe social où ils se sont développés ; il faut, sans les rapetisser, rehausser la foule anonyme et les écrivains moins connus qui les environnent.
Il fait voir d’abord, au lendemain d’une révolution et d’un changement si universel, la politique s’emparant de tous les esprits, chacun prétendant concourir à la chose publique autrement que par une « docilité raisonnée », chacun voulant à son tour « porter le drapeau », et une foule de nouveaux venus taxant de tiédeur ceux qui, depuis de longues années, imbus et nourris d’idées de liberté, se sont trouvés prêts d’avance à ce qui arrive, et qui demeurent modérés et fermes. Il montre une foule de gens irréfléchis, passionnés, obéissant à leur fougue, à leurs intérêts de parti, au mot d’ordre des habiles ; semant des rumeurs vagues ou des imputations atroces ; inquiétant l’opinion, la fatiguant dans une « stagnante anarchie », et troublant les législateurs eux-mêmes dans l’œuvre des « nouveaux établissements » politiques. […] Dans tous les cas, si l’on a des ennemis au-dehors, si l’on en a aussi au-dedans, il faut de l’union pour les combattre et en triompher, et ce qui s’oppose le plus à cette union, c’est ce malheureux penchant aux soupçons, au tumulte, aux insurrections, qui est fomenté en France, et qui l’est surtout par une foule d’orateurs et d’écrivains : « Tout ce qui s’est fait de bien et de mal dans cette révolution est dû à des écrits », dit André Chénier ; et il s’en prend hardiment à ceux qui sont les auteurs du mal, à « ces hommes qui fatiguent sans cesse l’esprit public, qui le font flotter d’opinions vagues en opinions vagues, d’excès en excès, sans lui donner le temps de s’affermir ; qui usent et épuisent l’enthousiasme national contre des fantômes, au point qu’il n’aura peut-être plus de force s’il se présente un véritable combat ». […] Quand des brouillons tout-puissants, ivres d’avarice et d’orgueil, tombent détruits par leurs propres excès, alors leurs complices, leurs amis, leurs pareils, les foulent aux pieds ; et l’homme de bien, en applaudissant à leur chute, ne se mêle point à la foule qui les outrage. […] Enfin, pour achever de dessiner cette noble figure d’un poète honnête homme et homme de cœur qui, dans la plus horrible révolution moderne, comprit et pratiqua le courage et la vertu au sens antique des Thucydide et des Aristote, des Tacite et des Thraséas, il ne faut que transcrire cette page testamentaire trouvée dans ses papiers, et où il s’est peint lui-même à nu devant sa conscience et devant l’avenir : Il est las de partager la honte de cette foule immense qui en secret abhorre autant que lui, mais qui approuve et encourage, au moins par son silence, des hommes atroces et des actions abominables.
L’Atala de Girodet est, quoi qu’en pensent certains farceurs qui seront tout à l’heure bien vieux, un drame de beaucoup supérieur à une foule de fadaises modernes innommables. […] Mais ce qui fut bon, ou tout au moins séduisant en lui, eut un effet déplorable dans la foule des imitateurs ; c’est ce que j’aurai plus d’une fois l’occasion de démontrer. […] L’empereur est si beau, la foule, tortillée autour des colonnes ou circulant avec le cortège, si tumultueuse, la veuve éplorée, si dramatique ! […] Toujours la foule agissante, inquiète, le tumulte des armes, la pompe des vêtements, la vérité emphatique du geste dans les grandes circonstances de la vie ! […] — Il est curieux de remarquer que Justinien composant ses lois et le Christ au jardin des Oliviers sont de la même année), l’Évêque de Liège, cette admirable traduction de Walter Scott, pleine de foule, d’agitation et de lumière, les Massacres de Scio, le Prisonnier de Chillon, le Tasse en prison, la Noce juive, les Convulsionnaires de Tanger, etc., etc.
L’immense foule des travailleurs se donnant la main pour une commune libération, voilà ce que nous avons vu. […] A cela je répondrai : Vous pensez que pour atteindre cette vérité sublime vers laquelle vous tendez, il faut vivre en maîtres et en isolés, qu’il faut vous dépouiller soigneusement de tout ce que vous pouvez avoir de commun avec la foule. […] Mépriser dans l’humanité la foule des êtres et dans la nature la fouie des choses, c’est nier toute intime vérité, toute conscience mondiale, n’est nier le divin, au nom duquel vous insultez la vie. Je crois que vous ne serez grands, que vous ne serez puissants qu’en donnant l’amour de votre cœur à cette double foule vivante qui retentit en vous et que vous-même vous enrichissez. […] Il considère cette « autorité » extérieure comme l’une des conséquences, l’un des produits et l’une des phases, comme le degré supérieur de la solidarité sociale, comme l’union cordiale et intime de l’élite et de la foule dans une libre confiance commune, dans une mutuelle expansion.
Au théâtre d’Athènes, toute une pompe lyrique venait surcharger et embellir pour la foule la grandeur même d’Homère, non sans l’altérer quelquefois. […] Et on ne saurait, je crois, imaginer un plus grand effet de poésie lyrique et tragique à la fois, que la rencontre de cette prophétesse solitaire, portant le deuil de sa famille et de son peuple, avec la foule triomphante des femmes de la maison grecque et royale, où sa présence amène la jalousie et la mort. […] Ce génie est aussi parfois simple, populaire comme la voix de la foule. […] Nous avions auparavant par toi une foule d’avantages précieux et sans frais : tu étais pour les laboureurs le breuvage et la santé. […] Mais toi qui fais si bien résonner sur la lyre les doux sons du printemps, commence pour nous des anapestes : « Ô vous, hommes, plongés dans les ténèbres de la vie, semblables à une génération de feuilles, êtres imbéciles, fange animée, foule insaisissable et pareille à une ombre, êtres éphémères sans plumes, misérables mortels, hommes qui ressemblez à des rêves, songez à nous, race immortelle, à nous, vivant toujours dans notre vie aérienne, exempte de vieillesse, contemplateurs des choses éternelles : et, de la sorte, ayant une fois appris de nous la vérité sur le monde céleste, connaissant à fond par moi l’essence des oiseaux, la filiation des dieux et des fleuves, de l’Érèbe et du Chaos, vous direz de ma part à Prodicus de désespérer du reste.
Les génies ne sont que les rédacteurs des inspirations de la foule. […] Nous nous cherchions et tu nous as révélés à nous mêmes. » Admirable dialogue de l’homme de génie et de la foule ! La foule lui prête la grande matière ; l’homme de génie l’exprime, et en lui donnant la forme la fait être : alors la foule, qui sent, mais ne sait point parler, se reconnaît et s’exclame. […] Ce travail de la foule est un élément trop négligé dans l’histoire de la philosophie. […] Une foule de choses ne peuvent s’exprimer qu’ainsi.
La première aventure qui passera à sa portée, il la suivra, abandonnera sans regrets une profession encombrée et difficile où l’on avance parmi la foule. […] Ce n’était pas tout à fait le tripot du Palais-Royal, celui où le chevalier des Grieux allait risquer les galères pour Manon, mais cela le rappelait par une foule de détails qui n’étaient pas édifiants, et principalement par la fréquence des aigrefins qui s’y faufilaient. […] Au Figaro se trouvait alors, dans la foule des rédacteurs, un garçon de vingt-cinq ans, d’une allure discrète et d’un esprit dont la fine bienveillance contrastait singulièrement avec le ton hautain de la maison, où venait de finir à peine le règne d’un despote, Villemessant. […] Peut-on tricher la foule pour ainsi dire et la conduire en ayant l’air de lui obéir ? […] La foule subirait sans s’en apercevoir cette discipline discrète, et quant aux écrivains et aux artistes, ce qu’ils y perdraient en liberté, ils le regagneraient vite par la finesse du public à les comprendre, et par l’approbation d’une élite de plus en plus nombreuse.
Depuis ce Poëte divin, quelle foule de grands hommes la Grèce n’a-t-elle pas produits ? […] Tout informes, tout grossiers qu’étoient les spectacles dans ces temps barbares, on sait avec quel empressement les Grands & le Peuple s’y rendoient en foule. […] Il ne s’agissoit plus que d’épurer le goût, & de réfléchir sur les beautés qu’offrent en foule les modèles de l’Antiquité. […] Piron, quand, après avoir conçu le plan de la Métromanie, il entra dans un champ non moins vaste, où de nouveaux ridicules venoient également en foule s’offrir pour être immolés sur la scène par l’imagination la plus riante ? […] Quelle foule d’Auteurs plongés dans un éternel oubli !
La foule le méprisait, passait devant sans s’y arrêter. […] Nous les retrouverons tout à l’heure, descendus de leur tour d’ivoire, l’un pour susciter les foules et y répandre son vœu de justice, l’autre pour assurer l’ordre du vieux lyrisme français et le rétablir dans ses droits.
La nécessité n’explique pas tous ces emprunts ; la vanité en explique quelques autres : il a toujours paru aux savants de tous les temps qu’ils se différenciaient mieux de la foule en parlant une langue fermée à la foule.
Quelle foule d’intérêts, de motifs puissants de toutes les espèces exhortent, soutiennent, sollicitent, déterminent l’homme vertueux ! […] Aucune grande révolution, chez aucun peuple, ne s’est élevée sans faire éclore une foule d’actions héroïques.
Désormais l’Art est forcément désintéressé des préoccupations contemporaines ; la rupture est définitive entre la foule et lui. […] Il n’est pas bon de plaire ainsi à une foule quelconque. […] S’il n’existe qu’un seul moyen de conquérir la sympathie générale, il en est plusieurs de rester ignoré de la foule. […] En lui, le romancier, le moraliste et l’écrivain dramatique n’ont guère été que les échos affaiblis du poète, plus rapprochés de la foule, très remarquables sans doute, mais que je n’ai point à examiner. […] La foule enthousiaste qui se presse aujourd’hui aux représentations de ces beaux drames n’est-elle ni émue ni charmée ?
Ils étaient là, dans ce monde aristocratique et libéral, il y a quelque trente ans, un certain nombre de jeunes gens noblement doués, partisans éclairés des idées nouvelles, retenus par plus d’un anneau à la tradition, exacts et réguliers de mœurs, religieux de pratique ou du moins de doctrine ; nés tout portés, dispensés de percer la foule et de donner du coude à droite ou à gauche, n’ayant, s’ils le voulaient, qu’à sortir des premiers rangs et à faire preuve d’un talent ou d’un mérite quelconque pour être aussitôt acceptés. […] Je sais qu’il y a entre mon style et le style des grands écrivains un certain obstacle qu’il faudrait que je franchisse pour passer de la foule dans les rangs de ceux-ci. » Il va trop loin et il n’est pas du tout juste avec lui-même en se mettant dans la foule ; il est au premier rang des écrivains de notre temps qu’on appelle distingués.
Il en résulte qu’on peut commettre, sans être inquiété, une foule d’actes qui seraient interdits dans un pays moins neuf et par conséquent plus policé. […] Un de nos contemporains qui se permettrait cette fantaisie aurait à subir une foule d’ennuis. […] Il est à craindre que ceux qui croient l’âme des foules capable de comprendre un haut idéal ne se fassent illusion.
Déjà ils avaient enlevé une foule de statues des villes d’Étrurie, de la grande Grèce et de la Macédoine ; ils avaient pillé Corinthe et Athènes ; ils avaient ravi et transporté à Rome tous les trésors des arts que la religion, le génie et l’avarice avaient entassés à Delphes pendant six cents ans, et cependant il n’était né aucun artiste romain. […] Pauvres et austères, leur genre de vie leur interdisait cette foule de sensations variées et délicates, qui, en frappant légèrement les sens, passent dans l’âme, et de là dans les langues qu’elles enrichissent. Ignorant ce qu’on appelle société, qui chez tous les peuples est le fruit de l’oisiveté et du luxe, ils n’avaient point cette foule de sentiments et d’idées qu’elle fait naître, ni ces nuances fines qui les expriment.
Ils disent : « Si ces découvertes étaient certaines, invariables, nous pourrions concevoir l’orgueil qu’elles inspirent, non aux hommes estimables qui les ont faites, mais à la foule qui en jouit. […] Si on l’accuse de s’être un peu méfiée de ces lettres qui ne guérissent de rien, comme parle Sénèque, il faut aussi condamner cette foule de législateurs, d’hommes d’état, de moralistes, qui se sont élevés beaucoup plus fortement que la religion chrétienne contre le danger, l’incertitude et l’obscurité des sciences.
Sacrifier l’immense foule des vivants à une abstraction est un héroïsme dont nous ne sentirons plus, il faut l’espérer du moins, la nécessité ; notre naïveté n’en serait plus capable. […] Il suffit de regarder autour de soi pour reconnaître qu’élaborée depuis des siècles et virtuellement victorieuse, elle ne commence qu’à peine en ce siècle, à s’incarner dans la réalité, à passer de la spéculation de l’élite dans la pratique de la foule.
Une foule d’hommes vivants ont connu l’inventeur, dont le nom réveille constamment dans sa patrie l’idée de l’antique hospitalité, du luxe élégant et des nobles plaisirs. […] Tous mes livres sont là sous ma main ; il m’en faut peu, car je suis depuis longtemps bien convaincu de la parfaite inutilité d’une foule d’ouvrages qui jouissent encore d’une grande réputation… » (Les trois amis ayant débarqué et pris place autour de la table à thé, la conversation reprit son cours. […] Qu’est-ce donc que cet être inexplicable, qui a préféré à tous les métiers agréables, lucratifs, honnêtes et même honorables, qui se présentent en foule à la force ou à la dextérité humaine, celui de tourmenter et de mettre à mort ses semblables ? […] Il part, il arrive sur une place publique, couverte d’une foule pressée et palpitante. […] Une voix intérieure me dit une foule de choses que je ne veux pas écrire.
Madame Récamier ne fut ni un événement, ni un personnage, ni un grand fait, ni une grande idée, ni même un grand talent, ni surtout une grande puissance, dans cette foule de choses et d’individualités qui encombrent l’histoire de ces soixante ans. […] Cette scène d’évanouissement, qui se renouvelait presque tous les soirs de grande réunion à Clichy, à une heure avancée de la soirée, n’était pas une coquetterie de la jeune maîtresse de ce beau lieu, c’était un prétexte suscité par la mère et par le mari de madame Récamier pour dérober la jeune femme à l’empressement insatiable de la foule importune de ses admirateurs ; elle était trop naïve pour jouer d’elle-même ces agaceries, mais il fallait l’emporter sur les bras des familiers de la maison pour laisser le voile de ses rideaux entre elle et un monde insatiable de tant d’attraits. […] XV La soirée mémorable arriva ; ma mère, une de mes sœurs et moi, nous perçâmes difficilement la foule (confidentielle cependant) qui obstruait de bonne heure le large escalier du couvent de l’Abbaye-aux-Bois. — « Je crois, me dit tout bas ma mère, monter l’escalier de Saint-Cyr pour entendre la première lecture d’Athalie. […] Nous entrâmes ; un officieux ami de la maîtresse de maison fendit la foule de l’antichambre et aida ma mère et ma sœur émues à parvenir, au milieu d’un murmure flatteur, jusqu’aux siéges du second salon. […] Victor Hugo, Balzac, Nodier, Sainte-Beuve, madame Malibran, Vigny, y dominaient de la tête la foule d’élite d’hommes et de femmes qui cherchaient la gloire dans l’amitié.
Mais serait-il prudent de les attaquer en foule et de multiplier vos justices sommaires ? […] Car la foule qui, l’autre soir, assistait à l’Œdipe-roi, était cette foule lettrée, naturellement ouverte aux belles choses, la foule des premières représentations. […] Pour la foule, Vellini est laide. […] » Oui, et la raison en est que la personnalité de l’homme intelligent mêlé à la foule se diminue forcément et s’efface. […] On ne peut, en effet, emporter le suffrage de la foule qu’à force de génie ou de médiocrité, la foule ne se donnant qu’à ceux qui la domptent en l’étonnant, ou qui la flattent en ne s’élevant pas au-dessus du vulgaire niveau.
L’homme est un être qui a été doué de la faculté de distinguer le juste de l’injuste et encombré d’une foule de passions qui l’empêchent de faire ce départ. […] La foule exige très nettement du genre dramatique qu’il ne soit pas immoral, et même qu’il soit moral dans une certaine mesure et excite aux sentiments nobles. […] La foule ne se fâche point. […] Que la foule a cette vague idée que c’est la vie idéale qu’on lui présente par un aspect ou par un autre. […] Par conséquent, c’est la foule qui doit commander, par application exacte et formelle de la théorie de Calliclès.
Mais essayerons-nous de marquer le caractère de cette poésie, contemporaine de l’époque où les chants du Psalmiste hébreu entraient dans la langue grecque et étaient familiers à cette foule de Juifs, recrue de l’armée des Lagides, ou mêlés à la population grecque et indigène d’Alexandrie ? […] Bien que, longtemps après et dans le déclin du polythéisme, les hymnes de Callimaque se soient conservés comme une dernière réminiscence d’un culte mourant, on peut douter que ces hymnes aient été jamais familiers au peuple et chantés par la foule. […] Et, en vérité, au milieu de cette Alexandrie où, dès le premier siècle de sa fondation, le culte d’Israël, dans plus d’une synagogue, se célébrait en langue grecque, pour l’usage d’une partie du moins des transplantés et des prosélytes, le prodige serait que nul accent de la lyre hébraïque n’eût retenti en dehors du temple, que rien de cette poésie si forte ne fut arrivé jusqu’aux oreilles des savants et de la foule. […] De ces temples juifs multipliés dans la haute ville, où, dans l’office religieux des jours consacrés, les prières et sans doute les homélies à la foule étaient faites en langue grecque, rien ne dépassait-il l’enceinte du sanctuaire ? […] Nul doute que, sans les lacunes faites par la barbarie dans l’héritage des lettres grecques, les traces même purement littéraires de la colonie juive d’Alexandrie ne fussent visibles dans bien des monuments de l’époque Lagide, dans cette foule d’hymnes, de chants religieux et moraux, de poëmes descriptifs qui signalèrent l’imagination laborieuse de ce temps.
« — Lève-toi, Cuchullin, lève-toi, dit le jeune guerrier, je vois les vaisseaux de Swaran ; Cuchullin, l’ennemi est nombreux : la mer sombre roule avec ses ondes une foule de héros. […] Les héros tombaient en foule sur les héros, et le sang des braves ruisselait à grands flots. […] J’ai combattu, j’ai vaincu souvent dans les guerres d’Erin ; mais maintenant, aveugle, dans les larmes, et délaissé, je me traîne confondu dans la foule des mortels vulgaires. […] Mille héros lui offrirent leurs vœux : elle refusa son amour à mille héros : une foule de braves guerriers se retirèrent dédaignés. […] Tire ton épée et choisis ton ennemi parmi la foule de mes héros.
On a eu au théâtre Mlle Rachel, qui nous a rendu toute une veine dramatique de chefs-d’œuvre, lesquels avaient naguère semblé moins actuels, moins nouveaux ; on a eu hier une tragédie qui a attiré la foule, et qui, par des qualités diverses et sérieuses, a mérité de faire bruit. […] Ce ne peut pas être, ce semble, pour un tel avortement, pour un tel jeu d’actions et de réactions sans cause suffisante, pour de tels engouements successifs et contraires, que tant d’efforts, tant d’essais distingués, tant d’idées enfin ont été dépensées depuis plus de cinquante ans, et que, sans remonter plus haut, les hommes consciencieux et laborieux ont semé une foule de germes aux saisons dernières de la Restauration, en ces années de combat et de culture. […] Quand cette saison n’est pas venue, les femmes de la ville ne s’y promènent pas encore, et, quand elle est passée, elles ne s’y promènent plus. » Certes, sur cette levée où se promenaient les bourgeoises du temps de La Bruyère, il y avait plus d’honnêtes femmes que de celles qui ne l’étaient pas, et pourtant elles s’y promenaient et y faisaient foule — innocemment. […] Les engouements, les banalités, les injustices dont est bientôt témoin le talent arrivé, et qui sont inévitables dans toute foule, même choisie, lui inoculent l’ironie et le découragent.
Son Excellence et la Curée renseignent sur le Paris des démolitions, contiennent des scènes et des gens d’une admirable variété, des officieux, du ministre aux convives de Saccard ; à travers une promenade au Bois et une séance du Corps Législatif, le baptême d’un prince, un bal de filles, une fête de bienfaisance, un Compiègne, circule une foule de personnes en chair, marquées, caractéristiques et agissantes, Mme Bouchard, Maxime, Suzanne Haffner, du Poizat, qui entourent ce colosse et ce gnome Eugène Rougon et Aristide Saccard. […] Cet esprit, animé comme presque toutes les âmes humaines, de l’amour des conditions utiles à son espèce, arriverait naturellement à les abstraire de ses expériences, à éprouver ainsi pour la santé, la raison, la sensualité, la force, un attachement admiratif, à ressentir une sourde exaltation toutes les fois qui lui arrivera de parler d’un paysage luxuriant et estival, d’une foule fluctuant, de l’obstination volontaire de ses héros, de la volupté conquérante de ses femmes, de n’importe quel grand réceptacle de force délétère ou non, mais agissante et dynamique. […] D’un ministre médiocre, d’un calicot entreprenant il élabore les types du despote et de l’exploiteur ; ses foules roulent comme des fleuves ; ses mers déferlent en cataractes ; ses champs suent la sève, ses édifices s’étagent démesurément ; une mine, un assommoir, un magasin sont de formidables centres de forces délétères, bienfaisants, actifs. […] Enfin, il a conçu le premier, sans la réaliser, malheureusement, la grande idée que le roman ne devait pas être une étude individuelle, mais bien une vue d’ensemble où passerait la foule, où s’étalerait toute une époque, et qui, décentralisé et indéfini, engloberait tout un peuple, dans un temps et toute une ville.
Ce qui domine la foule devient bientôt un instrument pour le pouvoir. […] Mais, par là même, sous cette voûte resplendissante que le poëte élève au-dessus de vos têtes, vous entendrez mieux la voix de l’admiration et de la foule monter en majestueux accents jusqu’à Dieu. […] Et cette forme de tercets rimés continue, sauf quelques interruptions, à reproduire en foule les images que la foi rendait vulgaires sans les rendre moins poétiques. Encore un peu de temps, et les dialectes vulgaires, à peine dégagés des ruines romaines, allaient s’emparer de cette thèse inépuisable, que la religion rendait présente aux cœurs de la foule, et que le beau ciel de l’Italie animait de sa lumière.
Shakspeare fut romantique parce qu’il présenta aux Anglais de l’an 1590, d’abord les catastrophes sanglantes amenées par les guerres civiles, et, pour reposer de ces tristes spectacles, une foule de peintures fines des mouvements du cœur, et des nuances de passions les plus délicates. Cent ans de guerres civiles et de troubles presque continuels, une foule de trahisons, de supplices, de dévouements généreux, avaient préparé les sujets d’Élisabeth à ce genre de tragédie, qui ne reproduit presque rien de tout le factice de la vie des cours et de la civilisation des peuples tranquilles.
Il sait que, si rien n’égale la joie de monter publiquement sur les planches et d’être de ceux que nomme la foule, c’est encore une volupté très appréciable que de contempler les traits de ces privilégiés, de participer à leur gloire par sympathie. […] Car, au temps où ils étaient vivants, où ils apparaissaient en chair et en os aux regards de la foule idolâtre, ce n’était pas eux, du moins ce n’était pas eux seuls qu’on voyait, mais les personnages historiques ou imaginaires qu’ils étaient chargés de représenter.
Bref, il entre dans l’image que la foule se forme de lui nombre de traits aussi étrangers que possible à sa véritable physionomie, et il lui est arrivé d’être loué pour des choses dont il a toujours eu profondément horreur. […] Les béotiens l’ont trahi, quelquefois en l’aimant ; et, par béotiens, je n’entends pas seulement la foule, mais les gens du monde, les petits chroniqueurs et les faiseurs de revues de fin d’année.