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39. (1884) Cours de philosophie fait au Lycée de Sens en 1883-1884

Mais ici, l’expérience même nous prouve que le moi existe. […] Or la connaissance des choses par le moi c’est l’expérience. […] L’expérience ne donne que des individus. […] On cherche ces rapports dans l’expérience du passé et du présent. […] Plus tard seulement l’expérience le lui apprendra.

40. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre deuxième. La connaissance des corps — Chapitre II. La perception extérieure et l’éducation des sens » pp. 123-196

. — Expériences des physiologistes. […] Du moins, il est, pour la plus grande portion, une œuvre de l’expérience. […] Tout cela est l’œuvre de l’expérience, et l’expérience, poussée plus avant, peut associer à la sensation des représentations plus exactes. […] Donders et de Jaager ont fait l’expérience d’une manière un peu différente. […] Expérience de Paul Bert.

41. (1895) De l’idée de loi naturelle dans la science et la philosophie contemporaines pp. 5-143

Sont-elles dérivées de l’expérience ? […] Or l’expérience ne peut nous donner que le relatif. […] Or l’expérience est indispensable à cette dernière, et, comme toute expérience est limitée, les résultats qu’on y obtient ne sont que des approximations. […] Elle se réclame uniquement de l’observation et de l’expérience. […] L’expérience était invinciblement relative.

42. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre VI. Les localisations cérébrales »

Cependant, si la phrénologie ne paraît pas avoir été atteinte par les objections à priori que l’on a dirigées contre elle, on peut dire qu’elle a tout à fait succombé sur le terrain des faits et de l’expérience. […] La contre-épreuve de cette expérience est très-curieuse. […] Ces faits, qu’il est inutile de multiplier, suffisent pour établir que l’hypothèse phrénologique n’avait aucun fondement sérieux dans l’expérience, et qu’elle n’était qu’une œuvre d’imagination, ou tout au moins une conjecture prématurée. […] Les expériences mêmes de M.  […] Certaines expériences de M. 

43. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre II. L’âme et le corps »

D’abord, que dit sur ce point l’expérience immédiate et naïve du sens commun ? […] Que nous dit en effet l’expérience ? […] Tout ce que l’observation, l’expérience, et par conséquent la science nous permettent d’affirmer, c’est l’existence d’une certaine relation entre le cerveau et la conscience. […] Ces faits, à leur tour, corrigeant et complétant ce que l’expérience interne aurait eu de défectueux ou d’insuffisant, redresseraient la méthode d’observation intérieure. […] De sorte qu’en définitive c’est à l’expérience que nous devons nous adresser, ainsi que nous le faisions prévoir.

44. (1926) La poésie pure. Éclaircissements pp. 9-166

Je comptais aussi profiter de la présente publication pour expliquer plus à fond les quelques lignes du discours où l’expérience poétique se trouve comparée à l’expérience mystique. […] Son domaine propre est l’expérience poétique ; le mien, si j’ai la prétention de parler ainsi, l’expérience mystique. […] De cette expérience, toute passive au début, naît le conflit. […] Mais l’expérience ; mais l’inspiration elle-même ! […] Bien qu’elle se forme dans notre zone profonde, l’expérience poétique, comme, d’ailleurs, l’expérience mystique, met en branle toutes nos facultés, et jusqu’à nos sens.

45. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre quatrième. Éléments sensitifs et appétitifs des opérations intellectuelles — Chapitre deuxième. Les opérations intellectuelles. — Leur rapport à l’appétition et à la motion. »

Pour reprendre l’exemple de tout à l’heure, une première expérience a réuni dans l’esprit de l’enfant la brûlure à la flamme et produit ainsi une certaine direction de la pensée en même temps que de l’action : d’autre part, aucune autre expérience n’est encore venue contrarier la première. […] Cette notion n’est qu’une organisation ultérieure de ses expériences. […] Dès lors, si je recommence l’expérience dans les mêmes conditions, je suis sûr du même résultat. […] La déduction opère a priori, antérieurement à l’expérience, une fois qu’elle est en possession de son principe, lequel d’ailleurs est dérivé de l’expérience. […] De même, le physicien ne peut interpréter la nature que s’il a assez d’imagination pour construire des expériences ou des hypothèses.

46. (1875) Revue des deux mondes : articles pp. 326-349

J’ai répété l’expérience très-souvent ; elle a toujours réussi. […] C’est pour cela qu’il est sans cesse obligé de s’en référer à l’expérience. […] Une expérience simple vient en donner la démonstration. […] Voici comment se fait l’expérience. […] Des expériences modernes ne permettent pas d’en douter.

47. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Introduction »

Entre toutes les sciences, il n’y en a pas qui ait moins à s’inquiéter des faits et de l’expérience. […] Elle est née surtout de l’expérience. […] L’expérience tant de fois faite de leur insuffisance les condamne-t-elle sans retour ? […] L’expérience est beaucoup, elle n’est point tout. […] Expériences de MM.

48. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Connaissait-on mieux la nature humaine au XVIIe siècle après la Fronde qu’au XVIIIe avant et après 89 ? »

Oui, sans doute, il y eut là, à quelque degré et dans un cadre moindre, de cette expérience, de cette sagesse ou de cette malice ironique et sceptique qui ne vient qu’après les révolutions et quand l’homme s’est montré à nu ou a retourné deux ou trois fois son habit devant nous. […] Si l’on excepte La Rochefoucauld qui fait son profit de l’expérience pour écrire un livre profond, et Retz qui s’en inspire pour écrire les Mémoires les plus vivants et les plus amusants, rien de cette révolution avortée de la Fronde.ne tourne précisément aux lumières. […] Le premier effet moral, au lendemain, était encore moins l’expérience raisonnée que la réaction. […] Les meilleurs moralistes sortis de ces temps révolutionnaires ont été des serviteurs de la France, profitant de leur expérience pour l’appliquer avec une modération constante et un bon sens varié aux diverses situations, tels que nous avons vu par exemple feu le chancelier Pasquier ; la connaissance des hommes les a menés au maniement des hommes avec mesure et indulgence. […] Il en est résulté pour quelques-uns de ses écrivains, pour un petit nombre, plus d’expérience pratique de l’homme.

49. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préfaces de « Han d’Islande » (1823-1833) — Préface de 1833 »

On sent en le lisant que l’enfant de dix-huit ans qui écrivait Han d’Islande dans un accès de fièvre en 1821 n’avait encore aucune expérience des choses, aucune expérience des hommes, aucune expérience des idées, et qu’il cherchait à deviner tout cela. […] Car l’adolescence, qui n’a ni faits, ni expérience, ni échantillons derrière elle, ne devine qu’avec l’imagination.

50. (1878) Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux. Tome I (2e éd.)

Je dirai de mon côté la conception à laquelle m’a conduit mon expérience. […] C’est ce qu’ont démontré les expériences de M.  […] J’ai eu l’occasion de faire des expériences intéressantes sur ces animaux. […] — Expériences de M.  […] L’expérience de M. 

51. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre IV. De la pluralité des temps »

On fait l’expérience ; on la recommence à diverses époques de l’année et par conséquent pour des vitesses variables de notre planète. […] Or, l’expérience Michelson-Morley donne là-bas le même résultat qu’ici. […] À l’intérieur de son système, censé immobile, notre physicien institue l’expérience Michelson-Morley. […] Le voici qui fait l’expérience Michelson-Morley ou plutôt, lui aussi, la moitié de l’expérience. […] Or, à ses yeux, la lumière se meut avec une vitesse moindre pour le système S′ (les conditions de l’expérience étant celles que nous avons indiquées plus haut) ; mais aussi, les horloges en S′ ayant été réglées de manière à marquer des simultanéités là où il aperçoit des successions, les choses vont s’arranger de telle sorte que l’expérience réelle en S et l’expérience simplement imaginée en S′ donneront le même nombre pour la vitesse de la lumière.

52. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre premier. Les caractères généraux et les idées générales. » pp. 249-295

. — Ultérieurement et à l’expérience, toute collection d’unités réelles se trouve adaptée à une collection d’unités mentales. — Exemples. — Nos nombres sont des cadres préalables. […] Si en ce moment je cherche ce que cette expérience a laissé en moi, j’y trouve d’abord la représentation sensible d’un araucaria ; en effet, j’ai pu décrire à peu près la forme et la couleur du végétal. […] De cette façon, le nom équivaut à la vue, expérience ou représentation sensible que nous n’avons pas et que nous ne pouvons avoir du caractère abstrait présent dans tous les individus semblables. […] Telles que nous les fournissait l’expérience vulgaire, elles étaient le plus souvent trop larges ou trop étroites ; l’expérience scientifique vient les resserrer ou les étendre, pour ajuster leurs dimensions corrigées aux dimensions réelles des objets […] L’expérience multipliée et précisée précise et multiplie les circonstances et les cas de cette attraction.

53. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre V. Le souvenir du présent et la fausse reconnaissance »

Rien de semblable dans la confusion plus ou moins lente à s’établir, plus ou moins facile à dissiper, d’une expérience actuelle avec une expérience antérieure qui lui ressemble. […] D’autre part, une paresse de la mémoire associative, comme celle que suppose Heymans, rendrait simplement pénible la reconnaissance de l’entourage : il y a loin de cette reconnaissance pénible du familier au souvenir d’une expérience antérieure déterminée, identique de tout point à l’expérience actuelle. […] L’expérience est là cependant, qui paraît dire le contraire. […] Il ne correspond à aucune expérience antérieure. […] Cherchant, parmi nos expériences passées, celle qui lui ressemble le plus, c’est au rêve que nous la comparerons.

54. (1896) Psychologie de l’attention (3e éd.)

Des milliers d’expériences prouvent que le mouvement est inhérent à l’image, contenu en elle. La célèbre expérience du pendule de Chevreul peut en être considérée comme le type. […] Ferrier l’a montré, en s’appuyant sur une expérience très simple. […] Wundt et Exner ont fait d’autres expériences sur l’homme normal. […] Dans certaines expériences, deux impressions presque simultanées sont produites, il s’agit de déterminer laquelle est antérieure dans le temps.

55. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre troisième. Les sensations — Chapitre II. Les sensations totales de la vue, de l’odorat, du goût, du toucher et leurs éléments » pp. 189-236

. — Expériences qui portent au maximum la sensation du violet et du rouge. — Les trois sensations élémentaires sont celles du rouge, du violet et probablement du vert. […] Toutes conclusions que l’expérience vient confirmer. […] Parmi ces conditions, l’expérience en a dévoilé quelques-unes. […] En premier lieu, la condition peut être un état spécial du même nerf, ce qui semble le cas dans l’expérience où le genou refroidi devient exsangue. […] Expériences de Guyot et Admyrault.

56. (1903) La pensée et le mouvant

La métaphysique deviendra alors l’expérience même. […] Encore une fois, nous avions beau être parti d’une expérience directe, les résultats de cette expérience ne pouvaient se faire adopter que si le progrès de l’expérience extérieure, et de tous les procédés de raisonnement qui s’y rattachent, en imposait l’adoption. […] Voilà l’objection. — Elle est réfutée, croyons-nous, par l’expérience. […] En ce sens, la métaphysique n’a rien de commun avec une généralisation de l’expérience, et néanmoins elle pourrait se définir l’expérience intégrale. […] Mais l’expérience pure et simple ne nous dit rien de semblable, et James s’en tient à l’expérience.

57. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Un petit corollaire de ce qui précède [Mon mot sur l’architecture] » pp. 77-79

Une facilité acquise par des expériences réitérées, à saisir le vrai ou le bon, avec la circonstance qui le rend beau, et d’en être promptement et vivement touché. Si les expériences qui déterminent le jugement sont présentes à la mémoire, on aura le goût éclairé. […] L’expérience journalière de la vie. […] De l’expérience et de l’étude, voilà les préliminaires et de celui qui fait et de celui qui juge ; j’exige ensuite de la sensibilité.

58. (1911) La valeur de la science « Première partie : Les sciences mathématiques — Chapitre II. La mesure du temps. »

Est-il impossible que l’expérience démente un jour notre postulat ? […] Si l’expérience nous rendait témoins d’un tel spectacle, notre postulat se trouverait démenti. […] L’égalité et l’inégalité déduites de l’expérience seraient incompatibles avec les deux égalités tirées du postulat. […] La loi de Newton est une vérité d’expérience ; comme telle elle n’est qu’approximative, ce qui montre que nous n’avons encore qu’une définition par à peu près. […] Ce postulat ne pourra jamais être vérifié directement par l’expérience ; il pourrait être contredit par elle, si les résultats des diverses mesures n’étaient pas concordants.

59. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre VIII. La crise actuelle de la Physique mathématique. »

Aussi bien l’expérience s’est chargée de ruiner cette interprétation du principe de relativité ; toutes les tentatives pour mesurer la vitesse de la Terre par rapport à l’éther ont abouti à des résultats négatifs. Cette fois la physique expérimentale a été plus fidèle aux principes que la Physique Mathématique ; les théoriciens en auraient fait bon marché afin de mettre en concordance leurs autres vues générales ; mais l’expérience s’est obstinée à le confirmer. […] Les calculs d’Abraham et les expériences de Kauffman ont alors montré que la masse mécanique proprement dite est nulle et que la masse des électrons, ou au moins des électrons négatifs, est d’origine exclusivement électro-dynamique. […] Et ce n’est pas seulement un principe qu’il s’agit de sauver, ce sont les résultats indubitables des expériences de Michelson. […] C’est pourquoi j’ai dit plus haut que les expériences sur les rayons cathodiques avaient paru justifier les doutes de Lorentz au sujet du principe de Newton.

60. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Conclusion »

Ce mot n’est exact qu’autant qu’il exprime une communauté de principes et de méthode : — constituer la psychologie comme science naturelle, avec l’appui de l’expérience et en l’absence de toute métaphysique. […] Mais ces travaux, bien loin de tendre vers la métaphysique, reposent sur l’expérience, au sens strict du mot. […] Au reste, les critiques anglais, et Bain à leur tête, viennent de reconnaître en lui « un psychologiste d’un ordre peu commun » ; et nous nous associons pleinement à leur jugement : « que ses traités sont des plus suggestifs que l’École de l’expérience ait publiés en Angleterre, dans ces dernières années. » Signalons encore M.  […] Mais les phénomènes de l’esprit ne sont qu’une partie des phénomènes de la vie et la loi d’association n’est qu’un cas particulier, quoique très important d’une loi qui est vraie de tous les phénomènes de la vie, — la loi d’habitude. » Il considère aussi les concepts de temps et d’espace, comme les résultats de l’expérience, mais de l’expérience de la race et non de l’expérience individuelle. […] L’expérience fondamentale, irréductible, qui donne la notion de l’extériorité, c’est la résistance.

61. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre V. Le roman »

Ces expériences incessamment renouvelées de la bêtise bourgeoise deviennent vite fastidieuses et fatigantes. […] Un roman n’est plus seulement pour lui une observation qui décrit les combinaisons spontanées de la vie : c’est une expérience, qui produit artificiellement des faits d’où l’on induit une loi certaine et nécessaire. […] Zola n’a jamais aperçu la différence qui existe entre une expérience scientifiquement conduite dans un laboratoire de chimie ou de physiologie, et les prétendues expériences du roman où tout se passe dans la tête de l’auteur, et qui ne sont en fin de compte que des hypothèses plus ou moins arbitraires. […] Zola ne nous a-t-il pas confié lui-même, dans une lettre rendue publique, que son roman du Rêve était une « expérience scientifique » conduite « à toute volée d’imagination »? […] Daudet a l’intuition psychologique et la bonne méthode : il a su fabriquer son œuvre avec son expérience intime, sans étaler son moi.

62. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 26, que les jugemens du public l’emportent à la fin sur les jugemens des gens du métier » pp. 375-381

C’est que les gens du métier doivent avoir plus d’expérience que les autres. Je dis ébloüir, car comme je l’ai exposé, la plûpart des peintres et des poëtes ne jugent point par voïe de sentiment, ni en déferant au goût naturel perfectionné par les comparaisons et par l’expérience, mais par voïe d’analyse. […] Suivre l’avis d’un homme qui n’a pas d’autre expérience que nous et qui n’a rien appris que nous ne sçachions nous-mêmes, c’est reconnoître en quelque façon qu’il a plus d’esprit que nous. […] Mais croire l’artisan, déferer à l’avis d’un homme qui a fait une profession que nous n’avons pas exercée, c’est seulement déferer à l’art, c’est rendre hommage à l’expérience.

63. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre IV. De la délimitation, et de la fixation des images. Perception et matière. Âme et corps. »

Il est vrai que cette seconde sélection est beaucoup moins rigoureuse que la première, parce que notre expérience passée est une expérience individuelle et non plus commune, parce que nous avons toujours bien des souvenirs différents capables de cadrer également avec une même situation actuelle, et que la nature ne peut pas avoir ici, comme dans le cas de la perception, une règle inflexible pour délimiter nos représentations. […] Son tort n’est pas de priser trop haut l’expérience, mais au contraire de substituer à l’expérience vraie, à celle qui naît du contact immédiat de l’esprit avec son objet, une expérience désarticulée et par conséquent sans doute dénaturée, arrangée en tout cas pour la plus grande facilité de l’action et du langage. […] Ce serait d’aller chercher l’expérience à sa source, ou plutôt au-dessus de ce tournant décisif où, s’infléchissant dans le sens de notre utilité, elle devient proprement l’expérience humaine. […] La division est l’œuvre de l’imagination, qui a justement pour fonction de fixer les images mouvantes de notre expérience ordinaire, comme l’éclair instantané qui illumine pendant la nuit une scène d’orage. […] Pourrions-nous, en opérant sur eux, rejoindre l’expérience, si les notions auxquelles ils correspondent ne nous signalaient pas tout au moins une direction où chercher la représentation du réel ?

64. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre V. De la lecture. — Son importance pour le développement général des facultés intellectuelles. — Comment il faut lire »

Il faut se mêler pour ainsi dire à sa lecture, jeter tout ce qu’on a d’esprit et d’idées acquises à la traverse des raisonnements de l’auteur, le contrôler par sa propre expérience, et contrôler la sienne par lui. […] Mais ils se mettraient surtout en possession d’une idée générale, pour la soumettre au contrôle de leur expérience personnelle. Une idée générale, quand elle n’est pas seulement une idée vague, est un résumé d’expériences nombreuses ; elle embrasse et dégage les caractères communs d’une collection d’êtres et d’une série de faits. […] Si notre expérience est petite, ce n’est pas que nous éprouvions peu, c’est que nous ne retenons rien. […] On leur prendra des idées, qui serviront à diriger nos expériences et à les classer.

65. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre I. De l’intensité des états psychologiques »

James, de ce qui se passe dans l’autre œil : celui-ci reste couvert pendant les expériences ; il se meut néanmoins, et l’on s’en convaincra sans peine. […] Des expériences ont été tentées par M.  […] Nous ne contesterons pas les résultats de ces expériences, non plus que la valeur des procédés photométriques ; mais tout dépend de l’interprétation qu’on en donne. […]   On comprendra maintenant le sens des expériences photométriques. […] Voir le compte rendu de ces expériences dans la Revue philosophique, 1887, tome I., page 71 et tome II, page 180.

66. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre premier. Pour faire des Tragédies qui puissent intéresser le public en 1823, faut-il suivre les errements de Racine ou ceux de Shakspeare ? » pp. 9-27

Comment feriez-vous pour savoir que le spectateur peut se figurer qu’il s’est passé vingt-quatre heures, tandis qu’en effet il n’a été que deux heures assis dans sa loge, si l’expérience ne vous l’enseignait ? Comment pourriez-vous savoir que les heures, qui paraissent si longues à un homme qui s’ennuie, semblent voler pour celui qui s’amuse, si l’expérience ne vous l’enseignait ? En un mot, c’est l’expérience seule qui doit décider entre vous et moi. L’Académicien. — Sans doute, l’expérience. […] l’expérience a déjà parlé contre vous.

67. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre III. Le lien des caractères généraux ou la raison explicative des choses » pp. 387-464

Examinons cette méthode tour à tour dans les sciences de construction et dans les sciences d’expérience. […] Il a fallu des expériences et une induction pour démêler ce changement, qui est un rapprochement des molécules. […] Et quels motifs pouvons-nous alléguer pour autoriser une supposition qui anticipe non seulement sur toute expérience future, mais sur toute expérience possible, et enveloppe dans l’immensité de sa prophétie l’immensité de l’univers ? […] — Or tel est justement le contraste que présentent les sciences de construction comparées aux sciences d’expérience. […] Sur cela l’expérience seule peut nous instruire.

68. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XIV : De la méthode (Suite) »

Quelle expérience nie que la cause des faits soit un fait ? […] L’expérience va répondre. […] L’expérience le constate. […] Or, l’expérience déclare qu’il en est ainsi. […] Or, cette prédiction est vérifiée par l’expérience.

69. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Résumé et conclusion »

C’est au contraire de cette expérience, théâtre nécessaire de notre activité, qu’il faut partir. […] Mais on peut aller plus loin, et prouver, par l’observation encore, que jamais la conscience d’un souvenir ne commence par être un état actuel plus faible que nous chercherions à rejeter dans le passé après avoir pris conscience de sa faiblesse : comment d’ailleurs, si nous n’avions pas déjà la représentation d’un passé précédemment vécu, pourrions-nous y reléguer les états psychologiques les moins intenses, alors qu’il serait si simple de les juxtaposer aux états forts comme une expérience présente plus confuse à une expérience présente plus claire ? […] L’intérêt d’un être vivant est de saisir dans une situation présente ce qui ressemble à une situation antérieure, puis d’en rapprocher ce qui a précédé et surtout ce qui a suivi, afin de profiter de son expérience passée. […] Ce qui est donné, ce ne sont pas des sensations inextensives : comment iraient-elles rejoindre l’espace, y choisir un lieu, s’y coordonner enfin pour construire une expérience universelle ? […] Non seulement, par sa mémoire des expériences déjà anciennes, cette conscience retient de mieux en mieux le passé pour l’organiser avec le présent dans une décision plus riche et plus neuve, mais vivant d’une vie plus intense, contractant, par sa mémoire de l’expérience immédiate, un nombre croissant de moments extérieurs dans sa durée présente, elle devient plus capable de créer des actes dont l’indétermination interne, devant se répartir sur une multiplicité aussi grande qu’on voudra des moments de la matière, passera d’autant plus facilement à travers les mailles de la nécessité.

70. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre II : L’intelligence »

La propriété fondamentale de l’intelligence ou discrimination implique la loi de relativité qui se traduit ainsi : Comme un changement d’impression est la condition indispensable de toute conscience, toute expérience mentale est nécessairement double. […] En communiquant avec les autres êtres et en sachant qu’ils ont les mêmes expériences que nous, nous formons une abstraction de nos expériences passées et de celles d’autrui, et c’est là ce que nous pouvons atteindre de plus haut, par rapport au monde matériel. […] Entre la conscience de l’étendue et la conscience d’un plaisir, il y a la ligne de démarcation la plus large que l’expérience humaine puisse tirer dans la totalité de l’univers existant. […] Ici on unit de nouvelles formes, on construit des images, des tableaux, conceptions, mécanismes, différant de tout ce que l’expérience a donné auparavant. […] Tout le monde a l’expérience de la peur, de la colère, de l’amour, etc. ; ce sont les faits élémentaires qui servent à nos constructions ; mais il est impossible de comprendre un sentiment dont on n’a pas en soi la source : c’est ce qui rend inintelligibles, pour tant de gens, les formes religieuses ou artistiques différentes de celles qui leur sont habituelles.

71. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre IX. Du rapport des mots et des choses. — Ses conséquences pour l’invention »

Mais tant que cette évocation n’est pas faite, nulle pensée originale, nulle invention n’est possible : les mots se combinent en nous, sans nous, mécaniquement, selon les affinités et les répugnances qu’ils ont contractées, avant nous souvent et hors de nous « par leur association avec l’expérience de l’objet et avec l’image de l’objet ». […] Comme on se contente, à l’ordinaire, de la sensation que donne le mot tout sec et tout nu, et comme tous les mots sont en somme des sensations pareilles de la vue et de l’ouïe, on ne s’aperçoit pas qu’ils forment deux catégories bien distinctes : les uns représentent des objets dont on peut faire l’expérience directe, les autres représentent quelque chose dont l’expérience est impossible.

72. (1911) La valeur de la science « Troisième partie : La valeur objective de la science — Chapitre X. La Science est-elle artificielle ? »

Ou bien encore : quand je fais une expérience, je dois faire subir au résultat certaines corrections, parce que je sais que j’ai dû commettre des erreurs. […] Au contraire, ils étaient d’accord sur les apparences, et quelles qu’eussent été les expériences accumulées, ils seraient restés d’accord sur les apparences sans s’accorder jamais sur leur interprétation. […] Dans ce cas la proposition (2) n’est plus qu’une définition et échappe au contrôle de l’expérience ; mais alors ce sera sur la proposition (3) que ce contrôle pourra s’exercer. […] Le principe, désormais cristallisé pour ainsi dire, n’est plus soumis au contrôle de l’expérience. […] L’expérience nous fait connaître des relations entre les corps ; c’est là le fait brut ; ces relations sont extrêmement compliquées.

73. (1914) Note sur M. Bergson et la philosophie bergsonienne pp. 13-101

Lui-même il disait qu’il fallait que l’expérience allât au devant de la déduction. […] Il admet, il veut que marchant à l’envers, recurrens, regrediens, l’expérience remonte (partant des faits, des phénomènes, des observations, des expériences), qu’elle aille au devant de cette voie déductive qui était restée pour ainsi dire sur le tranchant du sort. […] Il veut qu’il n’ait eu besoin que l’expérience vînt au devant de lui que quand il a voulu descendre aux choses qui étaient plus particulières. Il est permis de se demander si l’expérience n’est point venue au devant de lui jusqu’au commencement du ciel. Il est presque permis de se demander si l’expérience n’est point venue au devant de lui jusqu’au commencement de Dieu.

74. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre III. La personne humaine et l’individu physiologique » pp. 337-356

. — Expériences et observations de Dugès, Landry, Vulpian. — Pluralité foncière de l’animal. — L’individu animal ou humain n’est qu’un système. […] Ils se sont évanouis peu à peu au contact de l’expérience. […] Jusqu’ici, les plus fidèles sectateurs de l’expérience ont admis, au fond de tous les événements corporels, une substance primitive, la matière douée de force. […] Expériences de Claude Bernard sur le pouvoir réflexe du ganglion sous-maxillaire. […] Expériences de Dugès, Dujardin, Walkenaer, etc.

75. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre II. Lois de la renaissance et de l’effacement des images » pp. 129-161

. — La répétition et la variété de l’expérience émoussent les images. — Origine des noms généraux et des images vagues qui les accompagnent. — La plupart de nos sensations ne subsistent point en nous à l’état d’images expresses, mais à l’état de tendances sourdes et consécutives. […] Tout homme et tout animal, à tout moment de sa vie, possède ainsi une certaine provision d’images nettes et aisément renaissantes, qui, dans le passé, ont pour source un confluent d’expériences nombreuses et qui, dans le présent, sont nourries par un afflux d’expériences renouvelées. […] J’ai causé, il y a six mois, avec telle personne ; je pouvais, en la quittant et même le lendemain, décrire sa figure et son costume, redire les principales idées de sa conversation ; mais, depuis, j’ai cessé de renouveler par l’expérience ou de répéter par la mémoire les images qui alors se réveillaient en moi intactes et suivies. […] Pour les autres, l’aptitude est trop faible ; lorsque reparaît un lambeau d’expérience lointaine auquel jadis elles étaient liées, elles ne reparaissent pas avec lui ; la tendance qui jadis les évoquait est vaincue par d’autres tendances constituées dans l’intervalle ; et le passé récent barre la voie au passé ancien. […] Chaque sensation faible ou forte, chaque expérience grande ou petite, tend à renaître par une image intérieure qui la répète et qui peut se répéter elle-même, après de très longues pauses, et cela indéfiniment.

76. (1887) Discours et conférences « Réponse au discours de M. Louis Pasteur »

Quand vous allâtes le voir au Collège de France, il s’était déjà procuré lui-même les matières de l’expérience. […] Vous avez mille fois raison, Monsieur, quand vous mettez au-dessus de tout pour le progrès de l’esprit humain le savant, qui fait des expériences et crée des résultats nouveaux. […] Littré non plus n’a pas fait d’expériences ; mais vraiment il n’en pouvait pas faire ; son champ, c’était l’esprit humain, on ne fait pas d’expériences sur l’esprit humain, sur l’histoire. […] Tout cela n’ébranlera pas votre foi en vos expériences ; l’acide droit restera l’acide droit ; l’acide gauche restera l’acide gauche. […] Vous n’aurez pas chez nous d’expériences à faire ; mais cette modeste observation que vous maltraitez si fort suffira pour vous procurer de bien douces heures.

77. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 10, du temps où les hommes de génie parviennent au mérite dont ils sont capables » pp. 110-121

En premier lieu, les génies nez pour ces professions qui demandent beaucoup d’expérience et de la maturité d’esprit, sont formez plus tard que ceux qui sont nez pour ces professions, où l’on réussit avec un peu de prudence et beaucoup d’imagination. […] Les premiers ne sçauroient être formez sans des connoissances et sans des lumieres qu’on n’acquiert que par l’expérience, et même par sa propre expérience. […] Plus un artisan doüé de génie met de temps à se former, plus il lui faut d’expérience pour devenir moderé dans ses saillies, retenu dans ses inventions, et sage dans ses productions, plus il va loin ordinairement.

78. (1907) L’évolution créatrice « Introduction »

Nous verrons que l’intelligence humaine se sent chez elle tant qu’on la laisse parmi les objets inertes, plus spécialement parmi les solides, où notre action trouve son point d’appui et notre industrie ses instruments de travail, que nos concepts ont été formés à l’image des solides, que notre logique est surtout la logique des solides, que, par là même, notre intelligence triomphe dans la géométrie, où se révèle la parenté de la pensée logique avec la matière inerte, et où l’intelligence n’a qu’à suivre son mouvement naturel, après le plus léger contact possible avec l’expérience, pour aller de découverte en découverte avec la certitude que l’expérience marche derrière elle et lui donnera invariablement raison. […] Et, le plus souvent, quand l’expérience a fini par nous montrer comment la vie s’y prend pour obtenir un certain résultat, nous trouvons que sa manière d’opérer est précisément celle à laquelle nous n’aurions jamais pensé. […] A elles deux, elles pourront résoudre par une méthode plus sûre, plus rapprochée de l’expérience, les grands problèmes que la philosophie pose.

79. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre x »

Quatre jours avant sa mort, cet enfant religieux, ému de pressentiments, voulut établir son avoir d’âme et récapituler ses expériences principales :‌ D’abord, l’expérience des hommes. […] Ensuite, l’expérience de la communion des saints. […] Non pas des théories, mais une expérience qu’ils se sont faite eux-mêmes. […] Et qu’une telle expérience, éclaboussée de sang, s’associe à la fraîcheur intacte du cœur, c’est ce que le monde n’avait jamais vu ! […] Nous l’avions déjà lu, mais ces deux-ci le disent d’après leur expérience propre.

80. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre VII. Induction et déduction. — Diverses causes des faux raisonnements »

Le physicien, qui veut expliquer la nature et qui opère sur les données de l’expérience, cherche les lois des phénomènes qu’il voit, et procède par induction. […] Tels sont tous les principes de l’alchimie, de la magie, de l’astrologie, où l’on réduit en un corps de science des faits imaginaires : les formules de transmutation des métaux, d’envoûtement, de calcul de l’horoscope, supposent des expériences qui n’ont jamais pu être faites, et sont fondées sur dépurés chimères et de constantes illusions. […] Claude Bernard s’est étendu là-dessus dans son Introduction à la médecine expérimentale ; c’est pour lui la grande cause d’erreur, et il ne se lasse pas de recommander aux savants d’être toujours prêts à abandonner l’idée préconçue qui leur a fait entreprendre une observation ou instituer une expérience. […] Voulant découvrir quel est l’objet de l’art, il ne fait point d’axiomes et de définitions a priori ; il ne sort pas de l’expérience. […] Ce qui fait qu’on trouve dans les choses plus d’évidence qu’elles n’en ont, c’est quelque circonstance locale et personnelle qu’elles contiennent ; c’est l’habitude que l’on a de les voir, le sentiment et l’expérience qu’on a qu’elles sont bonnes et utiles pour nous, la connaissance que ceux parmi lesquels nous vivons en portent même jugement que nous.

81. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XIII. Conclusions » pp. 271-291

Cette différence n’est pas l’effet de la vie sociale et, de même, elle résiste à l’expérience de la vie sociale. Car la marque d’un véritable caractère est l’imperméabilité à l’expérience. L’individualiste, par exemple, reste individualiste, quelle que soit son expérience des inconvénients pratiques de cette attitude morale quand on est forcé de vivre en l’état de société. […] L’imperméabilité à l’expérience est la marque des vrais caractères. Chez les tempéraments individualistes, l’expérience des contraintes et des sanctions sociales, loin de provoquer la résignation et l’obéissance, ne provoque que la résistance, la révolte ouverte ou secrète.

82. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre VI : Règles relatives à l’administration de la preuve »

Si un effet peut dériver de causes différentes, pour savoir ce qui le détermine dans un ensemble de circonstances données, il faudrait que l’expérience se fît dans des conditions d’isolement pratiquement irréalisables, surtout en sociologie. […] Sans doute, il n’est pas de science qui ait jamais pu instituer d’expériences où le caractère rigoureusement unique d’une concordance ou d’une différence fût établi d’une manière irréfutable. […] Mais il n’en est plus de même en sociologie par suite de la complexité trop grande des phénomènes, jointe à l’impossibilité de toute expérience artificielle. […] On cherchera d’abord, à l’aide de la déduction, comment l’un des deux termes a pu produire l’autre ; puis on s’efforcera de vérifier le résultat de cette déduction à l’aide d’expériences, c’est-à-dire de comparaisons nouvelles. […] En effet, l’état où se trouve une société jeune n’est pas le simple prolongement de l’état où étaient parvenues à la fin de leur carrière, les sociétés qu’elle remplace, mais provient en partie de cette jeunesse même qui empêche les produits des expériences faites par les peuples antérieurs d’être tous immédiatement assimilables et utilisables.

83. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Réception du père Lacordaire » pp. 122-129

Molé avait déjà dit autrefois à M. de Tocqueville entrant dans la vie publique, il a paru croire que l’expérience seule avait manqué à ce dernier, pour le rendre plus équitable et plus indulgent envers le pouvoir, et que M. de Tocqueville, après en avoir tâté lui-même, après en avoir senti le poids, aurait été moins rigide pour ceux qu’un abîme ne séparait pas de lui. Est-il donc bien vrai que, si ç’eût été à recommencer, M. de Tocqueville, éclairé par l’expérience, se fût mieux entendu avec M.  […] Le vrai bénéfice de l’expérience devrait être de savoir distinguer, dans des cas qui sembleront toujours différents, ce qu’il y a au fond de semblable, et de démêler la bonne voie dans un pays neuf. […] Mais cette expérience toujours à propos et toujours renouvelée, que je demande ici, je vois que très peu d’hommes la possèdent, et beaucoup de ceux même qui passent pour sages sont tout prêts, en avançant dans la vie, à commettre et à recommencer, dans un ordre un peu transposé, précisément les mêmes fautes.

84. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre troisième. La connaissance de l’esprit — Chapitre premier. La connaissance de l’esprit » pp. 199-245

. — Expériences des docteurs Tuke et Elliotson. — Exemples chez les monomanes. — Malades persuadés qu’ils sont une autre personne, qu’ils sont changés en animaux ou en corps inanimés, qu’ils sont morts. — Croyances analogues dans le rêve. — Mécanisme de l’idée du moi à l’état normal. — Mécanisme de l’idée du moi à l’état anormal. — Analogie du travail mental et du travail vital. […] Outre ces pouvoirs communs à tous les hommes, chacun de nous découvre en lui-même, par une expérience semblable, les pouvoirs particuliers qui lui sont propres. […] — Oui, répliqua-t-il. — La même expérience de noms différents tentée à diverses autres reprises eut toujours les mêmes résultats. — Pendant l’état de veille normal, les sujets de l’expérimentation donnaient leur véritable nom aussitôt qu’on le leur demandait. […] Mais, pour les objets usuels, le désaccord est rare, et, si l’expérience préalable a été suffisante, il disparaît entièrement. — Il y a donc une quantité prodigieuse de cas où l’événement justifie la prévision, et, dans tous ces cas, le couple que forment nos pensées est la contre-épreuve exacte du couple que forment les faits. […] L’enfant et l’animal prévoient que cette eau les désaltérera, que ce feu les brûlera ; il suffit pour cela que l’expérience et l’habitude aient accouplé dans leur esprit telle sensation et telle représentation ; à présent, chez eux, la vue de l’eau éveille toujours l’image de la soif éteinte, et la vue du feu éveille toujours l’image de la brûlure.

85. (1881) La psychologie anglaise contemporaine «  M. Georges Lewes — Chapitre II : La Psychologie »

Mais les expériences contraires de Bouillaud, Longet, Dalton ont infirmé ses conclusions. […] Lewes soumet un triton sain et vigoureux à diverses expériences. […] Ces expériences, auxquelles M.  […] L’expérience vulgaire a fait depuis longtemps cette découverte ; il reste à la science à la préciser et à l’expliquer. […] Sur la question de l’instinct et de ses variations, voir les expériences instructives et ingénieuses de M. 

86. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre VI. L’espace-temps à quatre dimensions »

On a de la peine à imaginer une dimension nouvelle si l’on part d’un Espace à trois dimensions, puisque l’expérience ne nous en montre pas une quatrième. […] Tandis que l’Espace à trois dimensions est celui de notre expérience. […] Ils se diviseront en deux camps, selon qu’ils tiendront davantage aux données de l’expérience ou au symbolisme de la science. […] Maintenant, je puis vous dire, en vous faisant bénéficier de mon expérience de la troisième dimension, que votre représentation du temps par de l’espace va vous donner à la fois plus et moins que ce que vous voulez représenter. […] Celle-ci, dans son intégralité, tient compte de l’expérience intégrale, et l’intégralité de notre expérience est durée.

87. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. John Stuart Mill — Chapitre III : Théorie psychologique de la matière et de l’esprit. »

I La théorie psychologique de la croyance en un monde extérieur a besoin, pour se constituer, de quelques postulats qui, tous, sont prouvés par l’expérience. […] Or, d’après la théorie psychologique, tout cela n’est que la forme, que les lois connues de l’association imposent à nos notions de sensations contingentes, obtenues par l’expérience. […] Enfin, nous ne reconnaissons pas seulement des groupes fixes, mais aussi un ordre fixe dans nos sensations, un ordre de succession qui, quand l’expérience le confirme, donne naissance aux idées de cause et d’effet. […] Mill, que l’idée même de quelque chose hors de nous ne dérive que de la connaissance que l’expérience nous donne de possibilités permanentes : nous entraînons nos sensations avec nous partout où nous allons ; mais quand nous changeons de place nous n’entraînons pas avec nous les possibilités permanentes de sensations. […] Je vais des signes aux sentiments qu’ils traduisent ; ma propre expérience sert de base à mon induction.

88. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre IV. La folie et les lésions du cerveau »

Chapitre IV La folie et les lésions du cerveau Dans les sciences physiques et chimiques, lorsque l’on veut connaître les conditions qui déterminent la production des phénomènes, on fait ce que l’on appelle des expériences : on supprime telle ou telle circonstance, on en introduit de nouvelles, on les varie, on les renverse, et, par toute sorte de comparaisons, on cherche à découvrir des effets constants liés à des causes constantes. […] la nature se substituant à l’art, fait en quelque sorte à notre place de tristes expériences, lorsque, sous l’influence des causes les plus diverses, elle trouble, elle bouleverse, elle anéantit chez l’homme le sentiment et la raison. […] Il semble qu’une si triste expérience devrait avoir au moins l’avantage de jeter quelque lumière sur le problème que nous étudions, car si l’on découvrait dans quelles conditions se trouve le cerveau lorsque la pensée s’égare, on pourrait induire de là, par opposition, les conditions normales de l’exercice de la pensée. […] On a pourtant fait des expériences de ce genre : telles sont celles du docteur Moreau (de Tours) sur le haschisch ; mais, outre qu’elles ne peuvent pas se renouveler sans danger, elles ne donnent guère de résultats appréciables sur l’état physiologique du cerveau pendent l’ivresse. De telles expériences n’ont qu’un intérêt psychologique.

89. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Instruction générale sur l’exécution du plan d’études des lycées, adressée à MM. les recteurs, par M. Fortoul, ministre de l’Instruction publique » pp. 271-288

L’observation et l’expérience en sont le point de départ et le contrôle permanent ; l’induction et le raisonnement s’y mêlent avec plus ou moins de précaution ou de certitude, selon la nature des objets et l’ordre des faits. […] Dans des matières si diverses et où les particularités en apparence les plus minutieuses ne sauraient être négligées, le ministre a dû s’autoriser et s’aider (et il se plaît à le reconnaître) des rapports et des souvenirs de MM. les inspecteurs généraux ; il a joint les fruits de leur pratique à la sienne propre et à sa riche expérience universitaire. […] Rien de plus propre à conduire à ce but désirable que des expériences bien choisies, exécutées et discutées avec attention… On ne saurait trop le répéter aux professeurs : Bornez votre enseignement ; loin de vous engager par-delà le programme, restez en deçà plutôt. Mais quand vous faites une expérience fondamentale, analysez-en les conditions essentielles avec soin ; faites-en bien ressortir les conséquences immédiates. […] Il acquiert pour toute la vie l’habitude de raisonner en chimiste, au lieu de se borner à savoir par cœur, pour quelques mois, le texte de son cours… Aussi, pour la parfaite exécution du nouveau plan d’études, les professeurs trouveront-ils bien plus de profit à préparer leur leçon dans le laboratoire même, au milieu des appareils, en prenant part à la disposition matérielle des expériences, qu’à l’étudier dans leur cabinet, abstraction faite des objets qu’ils vont avoir à manier et à faire passer sous les yeux des élèves.

90. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre III : M. Maine de Biran »

Ce rapport n’est point connu par expérience répétée, au moyen d’une généralisation préalable. […] Par-dessous les faits et les lois que découvre l’expérience, se développe un monde. […] Il ne fait qu’analyser l’expérience. […] Pour nous qui croyons aux faits et à l’expérience, nous leur répondrons, avec les physiologistes, que la résolution n’a pas sur le muscle la moindre action directe. […] Il n’a formé le sien que par induction ; donc vous n’avez formé le vôtre que par expérience.

91. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre III. De la signification de la vie. L’ordre de la nature et la forme de l’intelligence. »

La faculté de connaître étant supposée coextensive à la totalité de l’expérience, il ne peut plus être question de l’engendrer. […] La philosophie envahit ainsi le domaine de l’expérience. […] Il se trouve ainsi que l’ordre vital, tel qu’il s’offre à nous dans l’expérience qui le morcelle, présente le même caractère et accomplit la même fonction que l’ordre physique ; l’un et l’autre font que notre expérience se répète, l’un et l’autre permettent que notre esprit généralise. […] Il ne suffisait pas d’établir que ce rapport entre les deux termes nous est suggéré, tout à la fois, par la conscience et par l’expérience sensible. […] Ainsi, que le nombre des atomes composant a un moment donné l’univers matériel augmente, cela heurte nos habitudes d’esprit, cela contredit notre expérience.

92. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre II. De la reconnaissance des images. La mémoire et le cerveau »

Reste à savoir si l’expérience vérifie ces trois propositions. […] Or, l’expérience ne vérifie ni l’une ni l’autre de ces deux conséquences. […] Or, c’est précisément ce que l’expérience vérifie. […] Or, c’est précisément ce que l’expérience vérifie. […] Voir l’exposé systématique de cette thèse, avec expériences à l’appui, dans les articles de LEHMANNN, Ueber Wiedererkennen (Philos.

93. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre II. Deuxième élément, l’esprit classique. »

On exclut du discours la plupart des mots qui servent à l’érudition spéciale et à l’expérience technique, les expressions trop latines ou trop grecques, les termes propres d’école, de science, de métier, de ménage, tout ce qui sent de trop près une occupation ou profession particulière et n’est pas de mise dans la conversation générale. […] Par son purisme, par son dédain pour les termes propres et les tours vifs, par la régularité minutieuse de ses développements, le style classique est incapable de peindre ou d’enregistrer complètement les détails infinis et accidentés de l’expérience. […] Suivre en toute recherche, avec toute confiance, sans réserve ni précaution, la méthode des mathématiciens ; extraire, circonscrire, isoler quelques notions très simples et très générales ; puis, abandonnant l’expérience, les comparer, les combiner, et, du composé artificiel ainsi obtenu, déduire par le pur raisonnement toutes les conséquences qu’il enferme : tel est le procédé naturel de l’esprit classique. […] Ceux-ci ont beau se dire sectateurs de Bacon et rejeter les idées innées ; avec un autre point de départ que les cartésiens, ils marchent dans la même voie, et, comme les cartésiens, après un léger emprunt, ils laissent là l’expérience. […] Descartes déprime « les simples connaissances qui s’acquièrent sans le secours du raisonnement, telles que les langues, l’histoire, la géographie, et en général tout ce qui ne dépend que de l’expérience… Il n’est pas plus du devoir d’un honnête homme de savoir le grec et le latin que le langage suisse et le bas-breton, ni l’histoire de l’empire romano-germanique que celle du plus petit État qui se trouve en Europe ».

94. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre III : Examen de la doctrine de Tocqueville »

Avec du temps, des lumières, de l’expérience, on peut réussir à combattre, peut-être même à guérir ce grand mal et cette déplorable tendance. […] La raison et l’expérience nous disent que les hommes sont à la fois égaux et inégaux. […] La richesse et la fécondité des faits humains dépassent toute prévision, et les lois générales ne peuvent être découvertes que par les procédés mêmes des sciences naturelles, l’observation et l’expérience, avec cette différence que, dans les sciences de la nature, c’est le savant qui expérimente, tandis que, dans les sciences politiques, c’est la société qui fait elle-même les expériences pour l’instruction des savants. […] Fidèles aux règles prescrites par Bacon, elles varient l’expérience, la transportent, la renversent, la prolongent ou la suspendent ; procédant par exclusion et élimination, elles rejettent tantôt un élément, tantôt un autre ; souvent même elles s’abandonnent à ce que Bacon appelle les hasards de l’expérience, sortes experimenti, comme pour voir ce qui en arrivera ; et c’est ce qu’on appelle les révolutions Les publicistes recueillent les résultats de ces expériences si bien préparées ; ils constatent et comparent les faits : ils en forment des lois. […] Si elle parvient à se persuader de ces vérités et à se corriger de ses principaux vices, elle devra de la reconnaissance à M. de Tocqueville comme à l’un de ces maîtres sévères que l’on maudit dans l’enfance et qu’on honore avec gratitude à l’âge de l’expérience et de la maturité.

95. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Herbert Spencer — Chapitre I : La loi d’évolution »

de l’expérience. […] L’expérience sépare plus tard ridée d’égalité en deux idées : égalité de choses ; égalité de rapports (deux triangles égaux et deux triangles semblables). […] Cette expérience, sans cesse répétée, nous a donné nos premières leçons. […] Tout ce qui dépasse l’expérience lui échappe ; elle ne fait, comme Hume le disait de la physique, « que reculer un peu notre ignorance135. » Aussi laisserons-nous l’auteur lui-même conclure sur ce point. […] Il apprend à la fois la grandeur et la petitesse de l’intelligence humaine, sa puissance dans le domaine de l’expérience, son impuissance quand elle le dépasse.

96. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre II. Rapports des fonctions des centres nerveux et des événements moraux » pp. 317-336

Il en resterait là, s’il ne faisait pas d’expériences nouvelles ; les deux choses seraient toujours pour lui différentes en qualité ; elles formeraient deux mondes entre lesquels il n’y aurait pas de passage. Pareillement, les yeux fermés et sans être prévenu, vous voyez un flamboiement, en même temps vous entendez un son, et enfin vous avez dans le bras la sensation d’un coup de bâton ; essayez l’expérience sur un ignorant ou sur un enfant ; il croira qu’on l’a frappé, que quelqu’un a sifflé, qu’une vive lumière est entrée dans la chambre ; et cependant les trois faits différents n’en sont qu’un seul, le passage d’un courant électrique. — Il a fallu faire l’acoustique pour montrer que l’événement qui éveille en nous, par nos nerfs tactiles, les sensations de vibration et de chatouillement, est le même qui, par nos nerfs acoustiques, éveille en nous les sensations de son. […] Un même et unique événement, connu par ces deux voies, paraîtra double, et quel que soit le lien que l’expérience établisse entre ses deux apparences, on ne pourra jamais les convertir l’une dans l’autre. […] — Nous sommes arrivés ici au point de jonction du monde physique et du monde moral, c’est de là que partent les deux lignes opposées et indéfinies où chemine l’expérience humaine ; les deux convois ainsi formés avancent et s’écartent toujours davantage en se chargeant de plus en plus à chaque station. […] On a vu que la sensation proprement dite est un composé d’événements successifs et simultanés de même qualité, eux-mêmes composés de même ; qu’au terme de l’analyse, l’expérience indirecte et les analogies montrent encore des événements de même qualité, successifs et simultanés, tous soustraits à la conscience et à la fin infinitésimaux ; que les actions réflexes indiquent des événements rudimentaires analogues et qu’on les suit jusqu’au bas de la série animale, même en des animaux159, comme le polype d’eau douce, en qui l’on ne découvre aucune trace du système nerveux. — Mais on peut les suivre plus loin encore ; car chez plusieurs plantes comme la sensitive et le sainfoin oscillant du Bengale, chez les anthérozoïdes des cryptogames et chez les zoospores des algues, on rencontre des actions réflexes tout à fait semblables à celle que produit le tronçon d’une grenouille décapitée.

97. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET (La Confession d’un Enfant du siècle.) » pp. 202-217

La troisième partie de la Confession, qui contient les amours naissantes et les premiers épanchements d’Octave et de Mme Pierson, est d’une fraîcheur d’adolescence, d’une grâce délicate et amoureuse, qui montre à nu toutes les ressources du jeune talent de M. de Musset, et combien il lui sied d’ensevelir une certaine expérience corrompue. […] oui, je le dirai hardiment : là où le cœur est bon, la douleur est saine. » Un jour, s’il vient à parler trop gravement à Mme Pierson de son expérience prématurée, elle l’interrompt, et, comme ils étaient au sommet d’une petite colline qui descend dans la vallée, cette femme aimable l’entraîne ; ils se mettent à courir jusqu’au bas de la pente, sans se quitter le bras : « Voyez, dit-elle alors, j’étais fatiguée tout à l’heure, maintenant je ne le suis plus. […] ajouta-t-elle d’un ton charmant, traitez un peu votre expérience comme je traite ma fatigue ; nous avons fait une bonne course, et nous souperons de meilleur appétit. » M. de Musset se donne ici à lui-même les indications attrayantes et sensées suivant lesquelles il aurait pu, selon moi, mener à bien son livre et guérir véritablement son héros. […] Avec des êtres arrivés à un certain degré d’expérience, de versatilité, de sophisme à la fois et d’imagination dans la passion, on est sur les sables mouvants ; il n’y a pas de raison pour qu’un résultat sorte plutôt que l’autre, pas de base où asseoir un intérêt moral, une conclusion à l’usage de tous. […] Une expérience secrète qu’on ménage, qu’on dissimule parfois, est plus profonde et plus vraie encore : quand elle s’échappe à distance, par moments, elle impose davantage, et elle se fait croire.

98. (1902) La métaphysique positiviste. Revue des Deux Mondes

L’affirmation de cette objectivité est elle-même, s’il en fut, une affirmation de l’ordre métaphysique, puisqu’elle dépasse absolument l’expérience. […] De la comparaison que nous ferons entre eux de leurs caractères, laquelle sans doute ne sera qu’une manière encore de penser « en relation », et de l’expérience que nous aurons des qualités des objets. […] Il y aura pour eux, relativement à nous, quelque chose de changé dans ce que nous appelons la totalisation de l’expérience humaine. […] Si nous nous sommes trompés, une observation plus attentive, une expérience plus étendue corrigeront tôt ou tard notre erreur. […] L’appel au fait, en tant que fait, est l’ultima ratio du raisonnement ou de l’expérience aux abois.

99. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre II : Règles relatives à l’observation des faits sociaux »

Produits de l’expérience vulgaire, ils ont, avant tout, pour objet de mettre nos actions en harmonie avec le monde qui nous entoure ; ils sont formés par la pratique et pour elle. […] Non seulement elles sont en nous, mais, comme elles sont un produit d’expériences répétées, elles tiennent de la répétition, et de l’habitude qui en résulte, une sorte d’ascendant et d’autorité. […] Jamais aucune expérience, aucune comparaison méthodique n’a été instituée pour établir que, en fait, c’est suivant cette loi que procèdent les relations économiques. […] Ils se sont, eux aussi, formés historiquement ; ils sont un produit de l’expérience humaine, mais d’une expérience confuse et inorganisée. […] Cette utilisation des expériences faites ne peut manquer d’en accélérer le développement.

100. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre deuxième. Troubles et désagrégations de la conscience. L’hypnotisme et les idées-forces »

Tout le monde connaît l’expérience du sinapisme imaginaire. […] Une expérience favorite de M.  […] Le docteur Dusart dit avoir fait avec succès plus de cent expériences analogues. […] On connaît les magnifiques expériences de M.  […] D’après les expériences de M. 

101. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre I. Composition de l’esprit révolutionnaire, premier élément, l’acquis scientifique. »

Il fait de ses mains des expériences sur la réflexion de la lumière dans le vide, sur l’augmentation du poids dans les métaux calcinés, sur la renaissance des parties coupées dans les animaux, et cela en véritable savant, avec insistance et répétition, jusqu’à couper la tête à quarante escargots et limaces, pour vérifier une assertion de Spallanzani. — Même curiosité et préparation dans tous ceux qui sont imbus du même esprit. […] Déjà Locke avait dit que toutes nos idées ont pour source première l’expérience externe ou interne. […] Au commencement, point de définitions abstraites : l’abstrait est ultérieur et dérivé ; ce qu’il faut mettre en tête de chaque science, ce sont des exemples, des expériences, des faits sensibles ; c’est de là que nous extrairons notre idée générale. […] Considérer tour à tour chaque province distincte de l’action humaine, décomposer les notions capitales sous lesquelles nous la concevons, celles de religion, de société et de gouvernement, celles d’utilité, de richesse et d’échange, celles de justice, de droit et de devoir ; remonter jusqu’aux faits palpables, aux expériences premières, aux événements simples dans lesquels les éléments de la notion sont inclus ; en retirer ces précieux filons sans omission ni mélange ; recomposer avec eux la notion, fixer son sens, déterminer sa valeur ; remplacer l’idée vague et vulgaire de laquelle on est parti par la définition précise et scientifique à laquelle on aboutit et le métal impur qu’on a reçu par le métal affiné qu’on obtient : voilà la méthode générale que les philosophes enseignent alors sous le nom d’analyse et qui résume tout le progrès du siècle  Jusqu’ici et non plus loin ils ont raison : la vérité, toute vérité est dans les choses observables et c’est de là uniquement qu’on peut la tirer ; il n’y a pas d’autre voie qui conduise aux découvertes. — Sans doute l’opération n’est fructueuse que si la gangue est abondante et si l’on possède les procédés d’extraction ; pour avoir une notion juste de l’État, de la religion, du droit, de la richesse, il faut être au préalable historien, jurisconsulte, économiste, avoir recueilli des myriades de faits et posséder, outre une vaste érudition, une finesse très exercée et toute spéciale. […] D’après ses expériences sur le refroidissement d’un boulet, il établit les périodes suivantes.

102. (1911) La valeur de la science « Troisième partie : La valeur objective de la science — Chapitre XI. La Science et la Réalité. »

Je devrais d’abord décrire toutes les conditions de l’expérience à faire et la loi s’énoncerait alors : si toutes les conditions sont remplies tel phénomène aura lieu. […] L’expérience nous a fait connaître certains points de cette courbe. […] De nouvelles expériences nous fourniront de nouveaux points de la courbe. […] Mais peu importe, car si l’ignorant ne les voit pas tout de suite, le savant peut arriver à les lui faire voir par une série d’expériences et de raisonnements. L’essentiel est qu’il y a des points sur lesquels tous ceux qui sont au courant des expériences faites peuvent se mettre d’accord.

103. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre III »

Sans doute pour entourer son expérience de plus de couleur locale — car le déplacement n’était pas nécessaire pour se procurer la « fumée brune » — il alla passer deux ans en Extrême-Orient. […] Le premier semble avoir renoncé bien vite à ses tentatives : « Qu’il ait essayé une ou deux fois du haschisch55 comme expérience physiologique, cela est possible et même probable ; mais il n’en a pas fait un usage continu… Il ne vint que rarement et en simple observateur aux séances de l’hôtel Pimodan, où notre cercle se réunissait pour prendre le “Dawamesk”, séances que nous avons décrites autrefois dans la Revue des Deux-Mondes, sous ce titre “le Club des Haschischins” en y mêlant le récit de nos propres hallucinations ». […] Catulle Mendès fut plus indulgent ; il a conservé de ses expériences d’antan d’ingénieux souvenirs, comme celui qu’il a bien voulu lui-même nous détailler et qui indique très nettement le désir d’analyse poursuivant l’artiste : alors que, de concert avec Villiers de l’Isle-Adam, il s’essayait aux « Paradis artificiels », une vision obsédante, identique à elle-même, le hantait tous les soirs : dans une forêt dense et pourtant lumineuse, des arbres sans feuillage dressaient d’un seul jet leurs troncs cylindriques luisant comme de l’or, le long desquels montaient et descendaient, alternativement, de grands singes couleur d’émeraude. […] Pour l’opium, Baudelaire avait un guide plutôt que de personnels souvenirs : Thomas de Quincey, helléniste distingué, écrivain supérieur, homme d’une respectabilité complète56, qui osa jeter à la face pudibonde de l’Angleterre l’aveu de sa passion pour la « Noire idole », « décrire cette passion, en représenter les phases, les intermittences, les rechutes, les combats, les enthousiasmes, les abattements, les extases et les fantasmagories suivies d’inexprimables angoisses. » 57 ⁂ De telles expériences ne valent que par les résultats artistiques qui peuvent en découler. […] L’on ne saurait reprocher à Zola de n’avoir pas couronné la documentation nécessaire à l’Assommoir — et en particulier à la scène magistrale de delirium qui la clôt — par une personnelle expérience d’éthylisme suraigu.

104. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » p. 134

On connoît peu ses Ouvrages de Métaphysique & d’Histoire naturelle, très-estimés cependant de ceux qui sont capables d’apprécier ce genre de mérite ; tels sont les Elémens de Métaphysique, tirés de l’Expérience ; l’Examen sérieux & comique du Livre de l’Esprit ; les Mémoires pour l’Histoire des Araignées ; & les Lettres à un Américain sur l’Histoire Naturelle de M. de Buffon. […] M. de Lignac a encore composé, contre les Fatalistes modernes, un Ouvrage très-bien raisonné, intitulé, Témoignage du sens intime & de l’expérience, &c.

105. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre II. Chimie et Histoire naturelle. »

Cependant, dans ces sciences appelées positives, l’expérience du jour ne détruit-elle pas l’expérience de la veille ? […] Lui reprocher de se détromper elle-même par ses expériences, c’est l’accuser de sa bonne foi, et de n’être pas dans le secret de l’essence des choses.

106. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 18, qu’il faut attribuer la difference qui est entre l’air de differens païs, à la nature des émanations de la terre qui sont differentes en diverses regions » pp. 295-304

Cette opinion s’accommode très-bien avec l’expérience. […] L’expérience donne un grand poids à ce raisonnement. […] Je répons que l’expérience ne souffre point qu’on impute au soleil cette variation.

107. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 283-284

Une plus longue carriere lui eût fourni les moyens d’étudier & de réfléchir plus qu’il n’a fait ; l’étude & la réflexion lui auroient donné de l’expérience, & l’expérience plus de circonspection pour ne pas décider d’une maniere si absurde & si tranchante.

108. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre troisième. L’appétition »

. — Ou bien, a-t-on dit, dans la reproduction imparfaite de la première expérience par la mémoire de ranimai, il n’y a rien de plus que dans la première ; en ce cas la tendance, qui n’existe pas dans la première expérience, n’existe pas non plus dans la copie affaiblie, mais exacte, de cette première expérience ; ou bien, au contraire, vous admettez dans la remémoration une tendance à achever l’acte commencé, et alors cette tendance est un élément nouveau que vous avez introduit subrepticement et non déduit. — Voici ce qu’on peut répondre. […] Or, la tendance du mouvement à se continuer existait dès la première expérience : toutes les représentations et émotions de l’animal poursuivant ou déchirant sa proie étaient accompagnées d’exertion motrice : c’était mieux qu’un simple penchant, c’était une mise en action. […] Avant les enseignements mêmes de l’expérience, nous tendons à déployer notre activité motrice sans objet.

109. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre premier. De l’illusion » pp. 3-31

. — Expériences de Braid sur la suggestion. — Cas cité par Carpenter. — Expériences du Dr Tuke. — Prédominance des images et de l’action des hémisphères. […] Seulement, dans notre cas, des objets et des événements extérieurs, indépendants de nous et réels, constatés par l’expérience ultérieure des autres sens et par le témoignage concordant des autres observateurs, correspondent à nos fantômes ; et, dans son cas, cette correspondance manque. — Ainsi notre perception extérieure est un rêve du dedans qui se trouve en harmonie avec les choses du dehors ; et, au lieu de dire que l’hallucination est une perception extérieure fausse, il faut dire que la perception extérieure est une hallucination vraie. […] C’est ce que nous a déjà montré l’expérience. […] Enfin ils lui dirent que l’homme qui, en ligne, était le plus près de lui, venait de tomber ; aussitôt il sauta hors de son lit, s’élança hors de la tente, et fut tiré du péril et du rêve en trébuchant sur les cordes des piquets. — Après ces expériences, il n’avait point de souvenir distinct de ses rêves, mais seulement un sentiment confus d’oppression et de fatigue, et, d’ordinaire, il disait à ses amis qu’il était sûr qu’ils lui avaient joué quelque tour. » Le somnambulisme artificiel met l’esprit dans un état semblable. […] J’ai assisté moi-même à des expériences analogues chez le docteur Puel.

110. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion statique »

L’expérience ne dit rien de semblable, et la sociologie ne nous paraît avoir aucune raison de le supposer. […] Une expérience systématiquement fausse, se dressant devant l’intelligence, pourra l’arrêter au moment où elle irait trop loin dans les conséquences qu’elle tire de l’expérience vraie. […] L’expérience pure ne suggère rien de semblable. […] Le psychologue qui veut remonter au primitif devra se transporter à ces expériences exceptionnelles. […] Voilà ce que dit l’expérience.

111. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre III. De la survivance des images. La mémoire et l’esprit »

Il est donc de l’essence de notre perception actuelle, en tant qu’étendue, de n’être toujours qu’un contenu par rapport à une expérience plus vaste, et même indéfinie, qui la contient : et cette expérience, absente de notre conscience puisqu’elle déborde l’horizon aperçu, n’en paraît pas moins actuellement donnée. […] Sous cette forme condensée, notre vie psychologique antérieure existe même plus pour nous que le monde externe, dont nous ne percevons jamais qu’une très petite partie, alors qu’au contraire nous utilisons la totalité de notre expérience vécue. […] Habitude plutôt que mémoire, elle joue notre expérience passée, mais n’en évoque pas l’image. […] Comme elles ne constituent pas deux choses séparées, comme la première n’est, disions-nous, que la pointe mobile insérée par la seconde dans le plan mouvant de l’expérience, il est naturel que ces deux fonctions se prêtent un mutuel appui. […] La première, ne réclamant que l’intervention de la mémoire, s’accomplit dès le début de notre expérience ; la seconde se poursuit indéfiniment sans s’achever jamais.

112. (1881) Le roman expérimental

Il en arrive à conclure que l’expérience n’est au fond qu’une observation provoquée. […] C’est presque toujours ici une expérience « pour voir » comme l’appelle Claude Bernard. […] L’idée d’expérience entraîne avec elle l’idée de modification. […] Si l’on se reporte à cette définition : «  L’observation montre, l’expérience instruit », nous pouvons dès maintenant réclamer pour nos livres cette haute leçon de l’expérience. […] Ce qui nous groupe, c’est une méthode commune d’observation et d’expérience.

113. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre I. De l’évolution de la vie. Mécanisme et finalité »

Notre personnalité, qui se bâtit à chaque instant avec de l’expérience accumulée, change sans cesse. […] L’expérience établit donc que le plus complexe a pu sortir du plus simple par voie d’évolution. […] Mais la durée est bien autre chose que cela pour notre conscience, c’est-à-dire pour ce qu’il y a de plus indiscutable dans notre expérience. […] La théorie qu’il dégage de ses expériences est du plus haut intérêt. […] Dans ces diverses expériences, l’agent extérieur paraît bien se comporter comme une cause de transformation.

114. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre premier. L’ubiquité de la conscience et l’apparente inconscience »

Goltz conclut de ses expériences que l’oiseau sans hémisphères sent toujours, mais qu’il est réduit à une existence « impersonnelle » ; — nous dirions plutôt isolée et insociable. […] D’intéressantes expériences ont montré que, si on diminue l’intensité de la lumière, toutes les couleurs, à l’exception du rouge spectral, donnent place tôt ou tard à un simple gris sans couleur distincte. […] C’est ainsi que nous interprétons plusieurs des curieuses expériences de MM.  […] Une autre expérience, c’est d’exciter par le contact d’un objet connu, tel qu’un couteau, la paume de la main insensible : l’hystérique ne sent pas le contact du couteau, mais elle peut voir tout à coup un couteau.

115. (1874) Premiers lundis. Tome I « Deux révolutions — I. De la France en 1789 et de la France en 1830 »

A une époque comme celle-ci, où la marche est libre, dégagée, où il ne s’agit point de renverser le mauvais, mais seulement de ne plus le reconstruire, où les passions ardentes et aveugles ont cédé à une raison calme, patiente et vigoureuse, il faut se garder des fausses analogies ; et, puisqu’on a tout loisir d’étudier le passé, de le comparer avec le présent et d’en tirer des leçons, puisque l’expérience est invoquée à chaque instant, il importe de ne point s’abuser sur ces réponses de l’histoire, et que le passé, au lieu de nous éclairer, ne nous embrouille pas. […] Il n’y a nulle crainte et nul péril à continuer 89 par ce côté intelligent et pacifique, en y ajoutant tout ce qu’une expérience éclairée a pu donner depuis. […] A ces gens-là, tous les souvenirs historiques sont tournés en préjugés ; toute leur expérience s’est pétrifiée en fausses analogies ; les intérêts les ont achevés.

116. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Lépicié » pp. 275-278

Je vous l’ai déjà dit, c’est une habitude de juger, sûrement préparée par des qualités naturelles, et fondée sur des phénomènes et des expériences dont la mémoire ne nous est pas présente. […] La mémoire des expériences et des phénomènes ne nous étant pas présente, nous n’en jugeons pas moins sûrement, nous en jugeons même plus promptement ; nous ignorons ce qui nous détermine et nous avons ce qu’on appelle tact, instinct, esprit de la chose, goût naturel. […] Il rêve, il se promène, il se rappelle ou les modèles qu’il a vus, ou les phénomènes de la nature, ou les passions du cœur humain, en un mot les expériences qu’il a faites, c’est-à-dire qu’il devient savant.

117. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre I. De la sélection des images, pour la représentation. Le rôle du corps »

Le premier système est seul donné à l’expérience présente ; mais nous croyons au second par cela seul que nous affirmons la continuité du passé, du présent et de l’avenir. […] Aux données immédiates et présentes de nos sens nous mêlons mille et mille détails de notre expérience passée. […] Il nous est indispensable, en vue de l’action, de traduire notre expérience affective en données possibles de la vue, du toucher et du sens musculaire. […] Et elle y est amenée justement par l’expérience de la double faculté que ce corps possède d’accomplir des actions et d’éprouver des affections, en un mot par l’expérience du pouvoir sensori-moteur d’une certaine image, privilégiée entre toutes les images. […] Car elles ne se conservent que pour se rendre utiles : à tout instant elles complètent l’expérience présente en l’enrichissant de l’expérience acquise ; et comme celle-ci va sans cesse en grossissant, elle finira par recouvrir et par submerger l’autre.

118. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LIII » pp. 206-208

Voici la suite : « Enfant par la foi, vieillard par l’expérience, homme par le cerveau, femme par le cœur, géant par l’espérance, mère par la douleur et poëte par les rêves ; à toi qui es encore la Beauté, cet ouvrage où ton amour et ta fantaisie, ta foi, ton expérience, ta douleur, ton espoir et tes rêves sont comme les chaînes qui soutiennent une trame moins brillante que la poésie de la pensée, que le poëme gardé dans ton âme, semblable à l’hymne d’un langage perdu dont les caractères irritent la curiosité des savants. »

119. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre VI. L’antinomie religieuse » pp. 131-133

Le moderne individualiste religieux, quand il fait appel à son expérience religieuse personnelle, n’est pas sans admettre au fond que cette expérience personnelle doit être aussi valable pour les autres hommes et il croit aux résultats heureux de sa religion non seulement pour lui, mais pour les autres.

120. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre I : Variations des espèces à l’état domestique »

Que l’expérience réussisse ou non, ce ne serait d’ailleurs pas de grande importance pour notre argumentation, puisque, par suite de l’expérience même, les conditions d’existence auraient changé. […] Sebright a fait des expériences expressément dirigées dans ce but, et n’a pu réussir. […] D’après ce qu’on sait des Chiens, cette hypothèse présente un haut degré de probabilité, si on ne l’applique qu’à des espèces étroitement alliées, bien que pourtant il faille avouer qu’elle n’est appuyée sur aucune expérience. […] Peu de personnes croiront aisément combien il faut de capacités naturelles et d’expérience pour devenir même un habile amateur de Pigeons. […] La troisième édition anglaise ajoutait ici : « Sous ce point de vue, les récentes expériences de M. 

121. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « La comtesse Diane »

Du triple extrait de sagesse, de science et d’expérience. […] Il est donc furieusement honorable pour notre temps qu’un genre si difficile y fleurisse : apparemment, si nous écrivons tant de Pensées, c’est que, tard venus dans le monde et à une époque où l’observation est plus et mieux pratiquée qu’elle ne l’a jamais été, nous sommes un tas de moralistes très forts qui avons fait le tour des choses, qui sommes allés partout, et qui en revenons surchargés d’expérience… Mais je me méfie, comme dit M.  […] Une époque avancée, comme celle où nous nous agitons stérilement, est sans doute une époque de grande expérience, mais aussi d’habileté extrême en tout genre. […] Un genre futile ; car, pourvu qu’on ait un peu lu, qu’on ait une teinture de philosophie et une expérience telle quelle de la vie et des passions humaines, toutes les pensées qui nous viennent sont nécessairement vraies. […] Sur l’amour, sur le mariage et sur les défauts qui se trahissent surtout dans les relations mondaines, son expérience peut aller plus loin que la nôtre.

122. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre I : Principe de la métaphysique spiritualiste »

Tous deux pensaient qu’il devait y avoir un terme moyen entre la chose en soi, inaccessible à l’expérience, et le phénomène, additionné et juxtaposé dans le temps et dans l’espace ; tous deux s’entendirent encore en cherchant dans le sujet pensant ce terme moyen, cette racine d’une métaphysique nouvelle. […] Entre le noumène et le phénomène, il a trouvé un intermédiaire, à savoir les formes à priori de l’intuition, de l’expérience, de la pensée en général, temps, espace, causalité. […] L’expérience interne me donne non-seulement l’être et le phénomène, mais le passage de l’un à l’autre : ce passage est l’activité. […] Il sait par l’expérience extérieure que les conditions organiques auxquelles semble attachée la présence de la conscience se dissoudront un jour, et qu’avec elles disparaîtra tout signe extérieur de conscience. […] La vie future est l’objet de la foi et de l’espérance, non d’une vision directe : de grandes raisons morales, de solides inductions rationnelles, viennent à l’appui des pressentiments naturels de l’âme ; mais l’expérience intérieure est muette sur cet anxieux problème, et, si l’induction et l’analogie nous autorisent à affirmer la permanence de notre être, nulle induction, nulle analogie, ne nous permettent de nous représenter sous une forme quelconque cet état futur de notre être dans des conditions d’existence absolument différentes de celles que nous connaissons.

123. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre IV. Le rêve »

En général, quand il s’est produit une fois, il tend à se reproduire, et à chaque nouvelle expérience on se dit : « J’ai souvent rêvé que j’évoluais au-dessus du sol, mais cette fois je suis bien éveillé. […] Des expériences nombreuses et concordantes ne laissent aucun doute à cet égard. […] La personne qui doit servir de sujet d’expérience est placée devant ces formules, dans l’obscurité, et ignore naturellement ce qui a été écrit. […] Mais là n’est pas pour nous le point le plus instructif de cette expérience. […] Il faut instituer une expérience décisive sur soi-même.

124. (1865) La crise philosophique. MM. Taine, Renan, Littré, Vacherot

La théorie de la raison consiste à dire qu’il y a dans l’esprit certaines notions universelles et nécessaires ; que toute expérience ne donnant jamais que des faits particuliers et contingents, il faut expliquer par une autre faculté que l’expérience ces notions universelles et nécessaires. […] Nous ne pouvons affirmer cette continuité indéfinie, que par l’expérience, ou par la raison pure ; mais par l’expérience, je ne puis aller que jusqu’à une certaine limite, M.  […] Mais, quant à la force pensante, quelle est, je vous prie l’expérience démonstrative qui pourrait nous réduire au silence ? […] Non, sans doute, car il lui manquera toujours deux grands procédés de vérification, l’expérience et le calcul. […] C’est une idée absolue, dégagée de l’expérience par la vertu de la raison pure.

125. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre VIII. La mécanique cérébrale »

Il prend pour point de départ les expériences de M.  […] De même que dans les expériences de Plateau les états successifs d’un organe sensitif tendent au repos par une suite de phases alternatives, de même nous voyons l’esprit tendre à l’équilibre perdu par des mouvements oscillants entre le passé et le présent. […] C’est ce que la physiologie ne peut nous apprendre, au moins jusqu’ici, et les expériences de M. 

126. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre IV. Le mécanisme cinématographique de la pensée  et l’illusion mécanistique. »

Il est aisé de voir que l’expérience la confirme. […] L’expérience nous met en présence du devenir, voilà la réalité sensible. […] Pourtant l’expérience pure et simple ne nous dit rien de semblable. […] Il n’y a pour lui qu’une expérience, et l’intelligence en couvre toute l’étendue. […] Une expérience de ce genre n’est pas une expérience intemporelle.

127. (1892) Boileau « Chapitre V. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » (Fin) » pp. 121-155

Plus l’action sera extraordinaire, et plus il devra en réduire les causes et les ressorts au jeu régulier de passions universelles, selon le train ordinaire des choses, à la nature enfin que tout le inonde porte en soi et dans son expérience. […] Or notre expérience nous dit que chaque caractère a son ineffaçable pli, chaque visage sa grimace familière. […] Selon notre expérience, imperfection est indice de réalité. […] Nous savons tous par expérience qu’on ne fait pas de phrases quand on est violemment ému : la vraie douleur n’a pas d’esprit. […] Nos romanciers érigent leurs fictions en expériences, leurs hypothèses en documents.

128. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre I. Succès de cette philosophie en France. — Insuccès de la même philosophie en Angleterre. »

Car, dans toute question générale, il y a quelque notion capitale et simple de laquelle le reste dépend, celles d’unité, de mesure, de masse, de mouvement en mathématiques, celles d’organe, de fonction, de vie en physiologie, celles de sensation, de peine, de plaisir, de désir en psychologie, celles d’utilité, de contrat, de loi en politique et en morale, celles d’avances, de produit, de valeur, d’échange en économie politique, et de même dans les autres sciences, toutes notions tirées de l’expérience courante, d’où il suit qu’en faisant appel à l’expérience ordinaire, au moyen de quelques exemples familiers, avec des historiettes, des anecdotes, de petits récits qui peuvent être agréables, on peut reformer ces notions et les préciser. […] Joignez à cela l’art exquis des cuisiniers, leur talent pour mélanger, proportionner et dissimuler les condiments, pour diversifier et ordonner les mets, leur sûreté de main, leur finesse de palais, leur expérience des procédés, la tradition et la pratique qui, depuis cent ans déjà, font de la prose française le plus délicat aliment de l’esprit. […] Une philosophie complète, une théologie en dix tomes, une science abstraite, une bibliothèque spéciale, une grande branche de l’érudition, de l’expérience ou de l’invention humaine se réduit ainsi sous sa main à une phrase ou à un vers. […] Leur expérience complétait le livre, et, par la collaboration de ses lecteurs, l’auteur avait la puissance qui lui manque aujourd’hui. […] J’ai de cela des preuves que je ne veux pas écrire et qui, sans avoir eu besoin de l’expérience, autorisent mon opinion. » Cf. 

129. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre IX. La pensée est-elle un mouvement ? »

Tout ce que nous pouvons faire, disent-ils, c’est de constater des rapports constants ; or, c’est un rapport constant, établi par l’expérience, que toute pensée est liée à un cerveau, et que toutes les modifications de la pensée se lient aux changements d’état du cerveau. […] Nulle part, en effet, l’expérience ne nous a permis de rencontrer une pensée pure, un esprit pensant sans organe, une âme angélique dégagée de tous liens avec la matière. […] De quelque manière que l’on explique la pensée, soit que l’on admette, soit que l’on rejette ce que l’on a appelé les idées innées, on est forcé de reconnaître qu’une très grande partie de nos idées viennent de l’expérience externe. […] Si le cerveau est l’organe de l’imagination et de la mémoire, comme l’expérience semble bien l’indiquer, si l’âme ne peut penser sans signes et sans images, c’est-à-dire sans cerveau, qu’advient-il le jour où la mort, venant à dissoudre non-seulement les organes de la vie végétative, mais ceux de la vie de relation, de la sensibilité, de la volonté, de la mémoire, semble détruire ces conditions inévitables de toute conscience et de toute pensée ?

130. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Préface » pp. 1-3

Il y avait longtemps que je demandais qu’une occasion se présentât à moi d’être critique, tout à fait critique comme je l’entends, avec ce que l’âge et l’expérience m’avaient donné de plus mûr et aussi peut-être de plus hardi. […] Les temps redevenant plus rudes, l’orage et le bruit de la rue forçant chacun de grossir sa voix, et, en même temps, une expérience récente rendant plus vif à chaque esprit le sentiment du bien et du mal, du juste et de l’injuste, j’ai cru qu’il y avait moyen d’oser plus, sans manquer aux convenances, et de dire enfin nettement ce qui me semblait la vérité sur les ouvrages et sur les auteurs.

131. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre premier. Nature et réducteurs de l’image » pp. 75-128

Cas où la sensation antagoniste est trop faible ou annulée. — Hallucinations hypnagogiques. — Expériences de M.  […] C’est pourquoi, quand un physiologiste veut se procurer pour une expérience une grande quantité de salive, il lie un chien affamé à deux pieds d’un morceau de viande, et recueille ce que la saveur, toujours espérée et toujours absente, a dégorgé de liquide le long des joues de son patient. […] Je connais cet état par mon expérience propre, et j’ai répété l’observation un très grand nombre de fois, surtout pendant le jour, étant fatigué, et assis dans un fauteuil ; il me suffit alors de boucher un œil avec un foulard ; peu à peu, le regard de l’autre œil devient vague, et cet œil se ferme. […] Averti par une expérience fréquente, je sais que le sommeil va venir et qu’il ne faut point déranger la vision naissante ; je m’y laisse aller ; au bout de quelques minutes, elle est complète. […] Maury a montré le premier, par une série d’expériences bien suivies, la proche parenté de la sensation, du souvenir, de l’image et de l’hallucination.

132. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DIX ANS APRÈS EN LITTÉRATURE. » pp. 472-494

On a l’ardeur et la rapidité de moins, on a l’expérience de plus. […] Si l’on excepte quelques illustres incurables, auxquels les années n’ont guère rien appris, la plupart, d’un côté ou d’un autre, sont arrivés à un fonds commun ; ce que j’appelle les secondes phases du talent a tourné chez presque tous à l’expérience. […] Qu’elle consente à se relâcher un peu de l’absolu de la forme et de la rigueur affirmative, à s’interdire envers les adversaires une chaleur de réfutation trop facile, et qui déplace toujours les questions ; qu’elle permette autour d’elle à bien des faits de détail de courir plus librement sous le contrôle naturel d’un empirisme éclairé, et elle aura permis qu’on s’appuie souvent avec avantage sur elle sans s’y ranger nécessairement ; elle aura fourni un contingent utile à une œuvre pratique d’intelligence et d’indépendance qu’elle est digne d’apprécier ; car chez elle aussi, si je ne me trompe, et derrière ces grands développements de croyances, la maturité personnelle et l’expérience secrète sont dès longtemps venues142. […] Et qui donc, dans de certains rangs où l’expérience a soufflé, en pourrait être aux exclusions et aux dédains aujourd’hui ? […] Des séries de travaux littéraires sur des sujets positifs, ces travaux animés d’un reflet d’expérience morale, et plus ou moins attristés de regrets chez les uns ou colorés d’espérances chez les autres, offriraient, rouvriraient à tous un champ sûr, agréable, fructueux.

133. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre IV »

…” … Quand je fis mes expériences sur l’aimantation, il prit feu comme toujours. […] Et il rappelait les expériences de Puységur, de du Potet, etc. […] Il donnait déjà ses études biologiques pour une « séries d’expériences » formant « un long cours de physiologie morale ». […] Le savant s’efface devant l’expérience, laissant agir les seules forces naturelles, il ne réapparaît que pour en constater les résultats. Le romancier, au contraire, doit tout imaginer, l’expérience elle-même aussi bien que ses conséquences.

134. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VII : Instinct »

Même les tout jeunes Aphis se comportaient de la même manière, ce qui me prouva qu’ils agissaient bien par instinct, et non par expérience. […] D’après une expérience d’Andrew Knight, des Abeilles, au lieu de recueillir laborieusement la propolis, ont employé un ciment de cire et de térébenthine dont il avait enduit des arbres dépouillés de leur écorce. […] Mais il n’est pas moins certain qu’elle peut diminuer ou s’augmenter par l’expérience, et comme par une sorte de contagion à la vue de la même crainte chez d’autres animaux. […] La vérité de cette théorie peut, du reste, se prouver par expérience. […] Tegetmeier qu’il est prouvé par expérience qu’un essaim d’Abeilles consomme au moins douze à quinze livres de sucre pendant qu’il sécrète une seule livre de cire.

135. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre sixième. Le roman psychologique et sociologique. »

Plus tard, c’est le riche que le romancier mettra en contact avec le pauvre (Balzac), le patron avec l’ouvrier, le peuple avec la bourgeoisie, pour instituer ce que Zola veut qu’on appelle des expériences. […] C’est presque toujours une expérience « pour voir », comme l’appelle Claude Bernard. […] Mais il ne suffit pas d’imaginer une expérience idéale ; il faut la réaliser objectivement pour vérifier l’idée préconçue. […] Le récit pur et simple, c’est-à-dire purement et simplement scientifique de certaines expériences de restées Lavoisier, célèbres, n’aurait certes pas le don de nous intéresser esthétiquement ; il ne pourrait être acceptable qu’à la condition de prendre, comme sujet principal, Lavoisier lui-même et non point ses expériences, de faire ressortir son opiniâtreté et son courage de savant qui ne se laisse rebuter par rien. […] Au second plan se trouvent les créatures moyennes, telles que la nature et la société en fournissent à foison ; au troisième plan les grotesques et les avortés, inévitable déchet de la cruelle expérience.

136. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre III. De l’organisation des états de conscience. La liberté »

Ainsi les expériences récentes de M.  […] Car dans un mouvement on trouvera la raison d’un autre mouvement, mais non pas celle d’un état de conscience : seule, l’expérience pourra établir que ce dernier accompagne l’autre. […] On s’adresse alors à l’expérience, et on lui demande de montrer que le passage d’un état psychologique au suivant s’explique toujours par quelque raison simple, le second obéissant en quelque sorte à l’appel du premier. […] Et si l’expérience montre qu’on s’est décidé pour X, ce n’est pas une activité indifférente qu’on devra placer au point O, mais bien une activité dirigée par avance dans le sens OX, en dépit des hésitations apparentes. […] D’un côté, nous ne connaissons la force que par le témoignage de la conscience, et la conscience n’affirme pas, ne comprend même pas la détermination absolue des actes à venir : voilà donc tout ce que l’expérience nous apprend, et si nous nous en tenions à l’expérience, nous dirions que nous nous sentons libres, que nous percevons la force, à tort ou à raison, comme une libre spontanéité.

137. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — II » pp. 57-80

Dès qu’on parle de Catinat, il y a à prendre garde : si le xviiie  siècle, en le célébrant et en cherchant à préconiser en lui un de ses précurseurs, une des victimes du grand roi, a raisonné un peu à l’aveugle de ses talents militaires et les a exaltés académiquement, il ne faut pas tomber dans l’excès contraire ni trancher au détriment d’un homme qui eut ses jours brillants, dont l’expérience et la science étaient grandes, et dont le caractère moral soutenu, élevé, est devenu l’un des beaux exemplaires de la nature humaine. […] Chamillart, dans une lettre à Catinat du 22 juillet, en demandant pardon « de s’expliquer sur une matière aussi délicate, sur laquelle il ne raisonne, dit-il, que par le bon sens que Dieu lui a donné, et sans aucune expérience », se prodigue en exhortations des plus vives : Il me semble que des troupes aussi bonnes que celles que vous avez, et en aussi grand nombre, ne doivent point appréhender l’armée de l’empereur, pourvu que vous les puissiez rassembler avant que le siège de Landau soit fini. […] Une lettre de Louis XIV, du 5 octobre, ne contribua pas peu à l’y exciter : Monsieur le marquis de Villars, je suis si content de ce que vous venez de faire, et j’ai une confiance si entière en votre expérience et votre bonne conduite, que j’ordonne au maréchal de Catinat de vous envoyer le plus diligemment qu’il pourra une augmentation de dix bataillons avec vingt escadrons. […] Vous avez acquis beaucoup de gloire, écrivait Louis XIV à Villars (16 mars 1703), vous avez fait tout ce que le courage, le zèle le plus ardent et l’expérience la plus consommée me devaient faire attendre de vous ; ce qui vous reste à faire est encore plus important, et vous pouvez vous combler d’honneur et me procurer une paix glorieuse en joignant les troupes de l’électeur de Bavière, et en portant avec lui la guerre dans le milieu de l’empire. […] Ce n’est pas là la bonne manière, et, suivant l’expérience, il fallait me mander : « Le roi sait que votre zèle et un désir de gloire vont tellement avant tout dans votre cœur, que les récompenses ne sont pas nécessaires pour vous exciter.

138. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre I. Les mondains : La Rochefoucauld, Retz, Madame de Sévigné »

Il les élabora lentement, sous le contrôle rigoureux de l’expérience, non la sienne seulement, mais celle de tout son monde. […] Ce fut la forme où s’arrêta La Rochefoucauld, pour y ramasser son expérience. […] Autour de ces maximes, chacun de nous peut distribuer son expérience, en prendre conscience, et la préparer pour l’usage en la classant. […] De ce fonds de lectures, que son esprit applique à son expérience, sortent tant de réflexions sur la vie humaine, sur les mœurs et sur les passions, qui rendent ses lettres si substantielles. […] Et si l’horizon de Mme de Sévigné est plus large, si elle a des inquiétudes plus hautes et plus philosophiques, Mme de Maintenon a une expérience sûre et profonde de la nature humaine et des tempéraments individuels, une de ces expériences d’institutrice et de directrice d’âmes à qui rien ne se dérobe : on aime à entendre une personne de si bon sens et si bien informée, qui a perdu ses illusions sans en trop vouloir à autrui.

139. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre II. La jeunesse de Voltaire, (1694-1755) »

Voltaire en Prusse ; dernière expérience. […] Voilà encore une des expériences décisives qui fournirent à Voltaire ses idées sur le gouvernement de la France. […] Elle aime les sciences, la physique, la philosophie : elle a un laboratoire, fait des expériences, étudie Newton. […] C’était la dernière expérience qui lui restait à faire. […] D’autre part, il était prompt à repousser sans vérification les expériences ou les théories qui choquaient ses multiples préjugés.

140. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Francisque Sarcey »

C’est le même esprit avec un surcroît d’idées, de sentiments et d’expérience. […] Mais il est le premier qui ait uniquement et constamment appuyé la critique dramatique sur l’expérience — et sur l’expérience la plus vaste, la plus complète, la plus loyale. […] Cette méthode, c’est tout bonnement l’observation, l’expérience. […] Sarcey, les principales, je crois ; mais je ne puis les enregistrer toutes ni surtout suivre le critique dans son infini travail d’expériences et d’applications. […] Je n’ai fait que constater par des expériences sans nombre à quelles conditions naturelles et nécessaires est soumise l’œuvre dramatique et ce qu’elle doit être pour plaire au public, car c’est là, comme dit l’autre, la grande règle des règles.

141. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre I. La conscience et la vie »

Comme elle le conduit à quelque théorie très générale, à une idée à peu près vide, il pourra toujours, plus tard, placer rétrospectivement dans l’idée tout ce que l’expérience aura enseigné de la chose : il prétendra alors avoir anticipé sur l’expérience par la seule force du raisonnement, avoir embrassé par avance dans une conception Plus vaste les conceptions plus restreintes en effet, mais seules difficiles à former et seules utiles à conserver, auxquelles on arrive par l’approfondissement des faits. […] Portés par une expérience de plus en plus vaste à des probabilités de plus en plus hautes, nous tendrions, comme à une limite, vers la certitude définitive. […] Seulement, dans des régions diverses de l’expérience, je crois apercevoir des groupes différents de faits, dont chacun, sans nous donner la connaissance désirée, nous montre une direction où la trouver. […] Vous pensez bien que je ne vais pas définir une chose aussi concrète, aussi constamment présente à l’expérience de chacun de nous. […] Je vous défie de prouver, par expérience ou par raisonnement, que moi, qui vous parle en ce moment, je sois un être conscient.

142. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

 » Ceux qui sont si empressés à refuser aux hommes engagés dans la vie active et dans l’âpreté des luttes publiques la faculté de sentir et de souffrir n’ont pas lu Émile, où se rencontrent, au milieu d’une certaine exaltation de tête, tant de pensées justes, délicates ou amères nées du cœur : « A l’âge où les facultés sont usées, où une expérience stérile a détruit les plus douces illusions, l’homme, en société avec son égoïsme, peut rechercher l’isolement et s’y complaire ; mais, à vingt ans, les affections qu’il faut comprimer sont une fosse où l’on est enterré vivant. » « Cette proscription qui désole mon existence ne cessera entièrement que lorsque j’aurai des enfants que je vous devrai (il s’adresse à celle qu’il considère déjà comme sa compagne dans la vie) ; je le sens, j’ai besoin de recevoir le nom de père pour oublier que le nom de fils ne me fut jamais donné. » Émile parle de source et, quand il le pourrait, il n’a à s’inspirer d’aucun auteur ancien ; la tradition, je l’ai dit, ne le surcharge pas ; elle commence pour lui à Jean-Jacques, et guère au-delà : c’est assez dans le cas présent. Mais de même que je me rappelais tout à l’heure Virgile en le lisant, je ne puis m’empêcher encore de me reporter à cette autre parole d’Andromaque dans Euripide, laquelle, au plus fort de ses douleurs et de ses alarmes maternelles, s’écrie : « … Oui, cela est vrai pour tous les hommes : leurs enfants, c’est leur âme même, et celui qui, pour n’en avoir pas l’expérience, dit le contraire, celui-là souffre moins, mais il est heureux sans bonheur. […] Ce qui frappe le plus dans ce roman d’Émile, fait et publié par un auteur de vingt et un ans « qui a connu la souffrance à l’âge où les jeunes gens, en général, ne connaissent encore que le plaisir », c’est l’expérience précoce du monde, la connaissance anticipée des hommes. […] Je note dans Émile quantités de pensées délicates et pures sur les femmes : « La femme qui vous aime n’est qu’une femme ; celle que nous aimons est un être céleste dont tous les défauts se cachent sous le prisme à travers lequel il vous apparaît. » Ou encore : « Une femme dont on est aimé est une vanité ; une femme que l’on aime est une religion : vous serez tout pour moi, existence, vanité, religion, bonheur, tout. » « Les femmes, qui sont si habiles en dissimulation, feignent plus adroitement que nous un sentiment qu’elles n’éprouvent pas ; mais elles cachent moins bien que les hommes une affection sincère et passionnée, parce qu’elles s’y adonnent davantage. » Sur le bienfait, qui produit des effets si différents selon la terre qui le reçoit, selon les cœurs sur lesquels il tombe : « Toutes les fois que le bienfait ne pénètre et ne touche pas le cœur, il blesse et irrite la vanité. » Sur le désabusement qui vient si tôt, qui devance les saisons, et qui n’est pas même en rapport avec la durée naturelle de la vie : « Il y a un certain âge dans la vie où l’exaltation n’est plus possible ; la sensibilité peut être assez profonde pour assister au spectacle de tant de maux et de tant de douleurs sans être entièrement usée, mais l’exaltation n’a jamais résisté à l’expérience du cœur humain. […] Émile avait sauvé cela de ses premiers rêves, et toutes ses réflexions et ses expériences successives ne firent que l’y confirmer : il avait son système, son plan parfait et son idéal de société future, ce qu’on a pu appeler son coin d’utopie.

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