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1513. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « André Theuriet »

Il est amoureux de la préfète, comme Fortunio est amoureux de la belle notairesse ; et, comme Fortunio, il est tendre, naïf et capable d’un dévouement absolu. […] Telle est cette simple histoire, moins belle, mais plus mélancolique que celle de Fortunio, qui du moins fut aimé de celle pour qui il avait voulu mourir. […] J’ai peu de mémoire, et je n’ai point relu depuis longtemps la plupart de ses romans ; et pourtant je revois, avec une grande netteté, tel verger dans le Mariage de Gérard, telle vieille maison bourgeoise dans Tante Aurélie, tel sentier à travers bois dans Péché mortel ; tel banc sous les grands arbres où un beau garçon et une jolie dame mangent des cerises, dans le Fils Maugars ; tel champ où l’on « fane », dans Madame Heurteloup ; et chaque fois je songe : « Que ne suis-je là ! 

1514. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Choses d’autrefois »

Mlle de Rastignac, très belle, vingt ans, prononce ses vœux. […] Les petites pensionnaires se racontent à l’oreille, avec terreur, et peut-être avec une secrète admiration scandalisée, que Madame d’Orléans faisait fouetter les sœurs jusqu’au sang, que parfois elle se mettait toute nue et faisait venir des religieuses pour l’admirer, « car elle était la plus belle personne de son temps », et qu’enfin elle prenait des bains de lait, qu’elle distribuait le lendemain à ses béguines, au réfectoire. […] L’aristocratie du sang (avec tout l’ordre social qu’elle impliquait) était assurément plus décorative, produisait des individus plus remarquables, de plus beaux spécimens de l’animal humain, et permettait à un petit nombre une vie plus noble et plus brillante.

1515. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Une âme en péril »

Ni la prière, ni la lecture des Livres saints, ni la joie austère d’instruire les enfants et d’évangéliser les humbles, ni les rencontres et les agapes cordiales avec les confrères, ni la nature qui est belle partout, même en pays plat, ni les plaisirs du jardinage, ni les promenades dans les champs, le bréviaire à la main, ni la fraîcheur des matins, ni la douceur des soleils couchants sur la lande, ne suffisaient à remplir cette âme inquiète. […] Le diable lui souffla de composer un second livre de pensées et de l’orner d’une belle préface. […] Puis il nous fait l’histoire de son premier volume : « L’ouvrage eut un beau succès.

1516. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Heredia, José Maria de (1842-1905) »

Théophile Gautier José-Maria de Heredia que son nom espagnol n’empêche pas de tourner de très beaux sonnets en notre langue. […] José-Maria de Heredia fait des vers presque aussi beaux que ceux de M.  […] Mais quelques-uns, alliant avec toute la virtuosité voulue la sûreté du dessin à la vigueur du coloris, sont sans aucun doute, pour la perfection du rendu, les plus beaux qui aient jamais été écrits en français.

1517. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Saint-Pol-Roux (1861-1940) »

Lucien Muhlfeld Les Reposoirs de la Procession sont de belles pensées, de belles métaphores, de belles phrases.

1518. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Démosthéne, et Eschine. » pp. 42-52

Cette ville, l’exemple des autres, l’asyle des beaux arts, des sciences & des vertus, alloit tomber sous un conquérant ambitieux. […] » Démosthène triompha ; mais son plus beau triomphe fut la manière dont il usa de la victoire. […] Trois ans après, Démosthène fut également exilé, mais pour un trait qui flétrit toutes ses belles actions.

1519. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Addisson, et Pope. » pp. 17-27

Ils se servirent de tous les mauvais poëtes d’Angleterre, comme autant de trompettes propres à publier les taches qu’ils croyoient appercevoir dans un ouvrage qu’ils ne trouvoient que trop beau. […] Son bourdonnement est l’effroi des belles & des hommes qui pensent. […] Il déshonora sa verve brillante & son beau feu poëtique, par une satyre terrible.

1520. (1914) L’évolution des genres dans l’histoire de la littérature. Leçons professées à l’École normale supérieure

Car c’est surtout par là qu’il pèche ; et l’on pourrait presque dire de lui que ses plus beaux vers sont beaux comme de la belle prose, n’était une certaine ampleur de mouvement, et comme une certaine ardeur d’inspiration intérieure, qui sont bien, elles, des qualités poétiques, et même vraiment lyriques. […] Chaque art, en effet, a ce qu’on appelle son beau spécifique ; et, quand on y songe, on serait presque tenté de dire, que le beau poétique, le beau pittoresque, le beau musical n’ont pas entre eux de commune mesure. […] Ni Rousseau, que je ne veux pas lui comparer un instant, ni Restif de la Bretonne, le « Rousseau du ruisseau » ne sont plus beaux de naïve impudeur. […] Et Hugo lui répondait par cet argument de collège, que le beau est toujours et partout le beau, toujours et partout identique à lui-même, ce que dément pourtant assez l’expérience de l’histoire ; — et ce qui est d’un autre côté la négation de toute critique. […] Cela veut dire : « Le beau c’est ce que nous trouvons beau ; et ce que nous trouvons beau, personne au monde ne nous démontrera qu’il puisse ne pas l’être ».

1521. (1884) Propos d’un entrepreneur de démolitions pp. -294

Belle prière pour un pauvre ! […] Quel beau sujet ! […] Pourtant, il ne trouve pas la vie très belle ni très bonne. […] Mais elle n’est pas belle seulement. […] les belles douleurs des poètes !

1522. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Molière »

Dans le passé grec, après la grande figure d’Homère, qui ouvre glorieusement cette famille et qui nous donne le génie primitif de la plus belle portion de l’humanité, on est embarrassé de savoir qui y rattacher encore. […] Molière avait mis d’abord : Quand sur une personne on prétend s’ajuster, C’est par les beaux côtés qu’il la faut imiter. […] se font sans y penser, Semblables à ces eaux si pures et si belles Qui coulent sans effort des sources naturelles. […] Mais lord Southampton lui fit ensuite remarquer son erreur, et lui expliqua comment le visage humain et proportionné de Shakspeare, qui frappait peut-être moins au premier abord, était pourtant le plus beau. […] Les mêmes sentiments se retrouvent exprimés par des termes presque semblables dans la bouche d’Alceste : Mais avec tout cela, quoi que je puisse faire, Je confesse mon foible, elle a l’art de me plaire ; J’ai beau voir ses défauts et j’ai beau l’en blâmer, En dépit qu’on en ait, elle se fait aimer.

1523. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — E — Ernault, Louis (1865-19..) »

Ernault a engendré une belle idée dramatique. […] Stéphane Mallarmé « Merci, Monsieur et poète, pour un des premiers très beaux aboutissements de la pensée magique à la poésie intègre et pure que j’ai lus.

1524. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 92-93

S’il suffisoit, belle Cousine, D’avoir les charmes de Corinne, Pour inspirer de tendres sons ; Pour vous l’Auteur le plus aride Feroit cent couplets de chansons, Et vous en feriez un Ovide. Mais les graces les plus touchantes Ne sont pas toujours suffisantes ; Et ce seroit trop présumer D’imaginer que l’on doit faire Pour une Belle un Art d’aimer, Parce qu’elle a celui de plaire.

1525. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  De Machy  » p. 151

Le péristyle du Louvre est un si grand et si beau monument. […] J’avoue que si au lieu d’ouvrir une porte de dessous, on eût construit un grand et vaste escalier à la place de cette porte ; qu’on eût décoré cet escalier comme il convenait ; le morceau d’architecture en eût été mieux entendu et plus beau.

1526. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre IV. Shakspeare. » pp. 164-280

L’homme a beau se roidir, la nécessité l’accule et le tache. […] comment, la belle raisonneuse ? […] belle pâlotte que vous êtes ! […] Quoique ce soit la plus belle figure, c’est la jambe la mieux faite. […] Elle était brune, ni belle, ni jeune, et mal famée.

1527. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Tallemant des Réaux »

Sa publication rentre dans les bonnes et anciennes traditions de la typographie ; et quand, au lieu de ce vieux archiviste des malpropretés du xviie siècle, il nous donnera quelque beau livre tombé en oubliance, comme, par exemple, la magnifique Histoire de Louis XI du grand Mathieu, ce chef-d’œuvre qui fait chrysalide pour la gloire dans la poussière des bibliothèques, d’où il faudrait le faire sortir, nous applaudirons de toute la force de notre plume. […] Ce bourgeois protestant, sceptique, athée peut-être, comme beaucoup d’honnêtes gens de ce temps-là, n’a pas même l’involontaire et beau respect qu’inspirent les grands hommes aux esprits bien faits qui adorent la gloire. […] Saint-Bonnet a dit avec son beau style lapidaire : « Triste récit en trois mots : le roi a corrompu la noblesse, « la noblesse a corrompu la bourgeoisie, la « bourgeoisie a corrompu le peuple. » On n’en était pas là encore, mais on partait pour y arriver. […] N’est-ce pas l’occasion perdue d’un beau livre ?

1528. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Balzac »

Jamais la probité exaltée, l’honneur, le génie, toutes les poésies du cœur et de l’esprit, n’ont donné un plus beau spectacle que celui qu’on trouve en ces lettres, et cependant je n’ai pas encore dit ce qu’on y trouve de plus touchant et de plus beau ! […] le plus touchant et le plus beau, l’intérêt majeur de ce volume de lettres, c’est particulièrement celles-là que Balzac a écrites à la femme qu’il a épousée, et qui fut, jusqu’à sa mort, son inspiration, son idée fixe, et comme il disait : « son étoile polaire ». […] Mon sentiment est plus beau, plus grand, plus complet que toutes les satisfactions de la vanité et de la gloire.

1529. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XIII. Pascal »

C’est même la raison, par parenthèse, qui m’a toujours empêché de croire qu’eût-il vécu plus longtemps et n’eût-il pas eu dans le cœur le néant de tout, qui empêche de rien achever, Pascal eût pu élever à la religion le monument que l’on regrette, non que l’ordonnance d’un beau livre ne fût dans les puissances de ce grand esprit de déduction et de géométrie, mais la peur fait trembler la main et dérange les combinaisons de l’artiste, tandis que la terreur, tout le temps qu’elle ne vous glace pas, fait pousser le cri pathétique ; et le cri pathétique chez l’écrivain, c’est l’expression ! […] Quoiqu’il y ait là de bien grandes images qui frappent le front, les yeux et l’esprit comme une main, ce qui est plus beau que l’image encore, l’image, d’un physique si puissant, c’est l’accent, l’intime accent. […] Pascal, en effet, c’est le Hamlet du catholicisme, un Hamlet plus mâle et plus sombre que le beau damoysel de Shakespeare, mais c’est tout à la fois le poëme et le poëte ! […] Le jansénisme s’en est allé en fumée avec les autres poussières d’un siècle écroulé, et, jusqu’en ce beau livre des Pensées, il s’est trouvé de vastes places qui maintenant font trou dans le reste, comme dans un tableau écaillé.

1530. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Matter. Swedenborg » pp. 265-280

Matter, qui a écrit une Vie de Saint Martin et un livre sur Fénelon, a voulu nous donner une histoire critique de l’étonnant Suédois, et faire voir clair, s’il le pouvait, dans ce bizarre phénomène, entremêlé de tant de choses contradictoires et incroyables, et qui présente, avec son nom superbe et sonore de Swedenborg, le plus beau tambourin à la Moquerie, — le plus beau tambour à la Gloire ! […] Et cette poésie, d’une originalité incomparable, à laquelle il ne manque que le rythme pour être, dans tous les sens du mot, le plus beau poème qui soit jamais sorti d’un cerveau humain, ternit et effaça d’un trait, à force de lumière et d’idéale beauté, ces inventions de Swedenborg, d’une ingéniosité bizarre, mais qui par le relief, la couleur, le détail, — tout ce qui constitue la poésie, — n’étaient guères, en somme, que les souvenirs déteints de la littérature biblique ou chrétienne. […] Fils d’évêque, riche de son patrimoine, élevé à l’ordre équestre, assesseur au Collège des mines, comblé par le roi et les princes de Suède, il passait sa vie à écrire ses livres dans sa belle maison de Stockholm et à voyager incessamment dans les deux pays qu’il préférait, l’Angleterre et la Hollande, et, à y préparer de magnifiques éditions de ses ouvrages, colossaux de nombre et de poids.

1531. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « José-Maria de Heredia »

Heredia a donné là un très beau support d’écusson aux armoiries du vieux chroniqueur Diaz, avec ces deux resplendissants morceaux. […] Leurs maris, qui sont des plus jaloux de l’Espagne, avaient beau jeu à les tenir sous des verrous solides, derrière des fenêtres savamment grillées. […] Elles y allaient, en allègres compagnies, faire collation sur l’herbe de confitures et de pâtisseries que l’on servait dans ces belles terres émaillées de Valence, de Triana et de Malaga où la lumière fait chatoyer des reflets de saphir, de cuivre rouge ou d’or pâle, dans la concavité éblouissante, sur l’ombilic armorié des plats. […] Il lui faut, à ce peintre de masses, à ce maître de la fresque qui procède toujours par de magnifiques accumulations de détails, et qui, pour les entasser, a besoin d’espace, il lui faut, pour jouer dans sa force, le pourtour d’un peuple, l’hémicycle d’une société ou d’une époque, et je ne connais guères que Macaulay, dans plusieurs de ses beaux Essais historiques, publiés dans La Revue d’Edimbourg, qui ait cette étendue et cette largeur d’embrasse ; mais Macaulay, bien plus littéraire que plastique, n’a pas la couleur de José-Maria de Heredia, quoique Macaulay, comme Heredia, ait été un poète avant de devenir un prosateur !

1532. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Soulary. Sonnets humouristiques. »

J’aime ces doux combats, et je suis patient : Dans l’étroit vêtement qu’à son beau corps j’ajuste, Là serrant un atour et là le déliant, J’ai fait passer enfin tête, épaules et buste ! […] Sous une chevelure qui pousse, en l’air, droite, dure et indomptable au fer, qui en la coupant souvent l’a épaissie, un front vaste et carré comme un parallélogramme, d’un lisse de marbre, mais auquel l’Effort a mis son pli rudement marqué entre les deux sourcils, yeux rentrés où le noir du crayon s’allume, joue rigide, regard attentif, la bouche presque amère, tel est l’homme de ce portrait, et c’est le poète aussi, le poète laborieux, violemment laborieux, l’ardent Puritain du Sonnet, cette pauvreté opulente, la pensée cruelle à elle-même comme la femme, la coquette martyre, dont le pied saigne dans le brodequin, dont la hanche bleuit sous la baleine, mais qui se console avec l’adage : il faut souffrir pour être belle ! […] le plus beau de tout, c’est la grandeur dans l’être, c’est l’étendue dans la forme puissante, c’est l’ampleur dans le geste humain ! […] Combien les plus beaux poèmes épiques ont-ils de chants ?

1533. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Théodore de Banville »

Ces Idylles prussiennes, sur lesquelles je veux particulièrement insister, ne sont pas seulement les plus belles poésies du volume, mais elles portent avec elles un caractère de nouveauté si peu attendu et si étonnant, qu’en vérité on peut tout croire de la puissance d’un poète qui, après trente ans de vie poétique de la plus stricte unité, apparaît poète tout à coup dans un tout autre ordre de sentiments et d’idées, — et poète, certainement, comme, jusque-là, il ne l’avait jamais été ! […] Les Odes funambulesques ne sont plus dans la sphère de ce lyrisme joyeux qui nous a donné, par exemple, dans Les Occidentales, nombre de poésies belles ou charmantes, interdites, par l’accent qu’elles ont, à tout autre qu’à M.  […] » Est-ce assez beau, assez amer, assez brutal, assez morsure, assez haineux ? […] La haine belle à force de hideur, comme la Gorgone ; la haine, qui attend son moment, repliée, concentrée, se dévorant en attendant qu’elle dévore ; une haine infinie, éternelle, aux yeux de tigre altéré, brûlants, toujours ouverts, voilà le doux Banville en ses Idylles, et ses Amaryllis charmantes.

1534. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Gogol. » pp. 367-380

Jamais, en effet, auteur quelconque — poëte ou romancier — ne fut plus l’homme et même le serf de la réalité que ce Gogol, qui est, dit-on, le créateur et le fondateur d’une école de réalisme russe près de laquelle la nôtre — d’une assez belle abjection pourtant — n’est qu’une petite école… primaire ! […] Or, quand on n’est pas lion, il est beau d’être tigre encore. […] Gogol a beau vouloir n’être que Russe, il a beau regimber contre l’influence française et l’influence allemande, il les porte tous les deux sur sa pensée : il a appris le latin dans Richter et dans Voltaire.

1535. (1921) Esquisses critiques. Première série

En M. de Régnier on reconnut immédiatement un poète : c’est une belle et rare vertu. […] Elles composent sa règle et sa doctrine : en écrivant de la sorte il se conforme à son idéal du beau. […] C’est le culte du beau qu’il prêche, et pour bien vivre, c’est à vivre en beauté qu’il exhorte. […] À toutes les formes de la beauté il a rendu son hommage : au beau langage, aux belles architectures, aux beaux jardins, qui sont la beauté formelle de la pensée, aux belles créatures humaines, ou animales, ou végétales qui sont la beauté vivante, à la nature qui est la beauté inerte, aux jeux et aux sports qui sont la beauté dans le mouvement, à l’élégance et au luxe qui sont la beauté dans la richesse. […] Indiscrétion, le récit par un cardinal de la première de la Belle Hélène.

1536. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Edmond et Jules de Goncourt »

Écoutez Giroust dans Charles Demailly : Est-ce beau ! est-ce beau ! […] … et penser à tant de belles choses modernes qui mourront, mon cher, sans un homme, sans une main qui les sauve ! […] Sans doute leurs chapitres ne se suivent pas tout à fait au hasard : outre qu’ils se tiennent par l’unité du but, qui est la description de tel ou tel monde, on devine le plus souvent dans quelle intention délicate, pour quel effet de symétrie, de redoublement du d’opposition ils ont été disposés comme on les voit : leur désordre, est lui aussi, « un beau désordre ». […] Il y a les beaux romans et les méchants : il n’y a pas les romans bien composés et les romans mal composés.

1537. (1831) Discours aux artistes. De la poésie de notre époque pp. 60-88

Les philosophes qui traitent de l’esthétique disent que l’industrie a pour principe l’utile, et l’art pour principe le beau. […] qu’est-ce que le beau ? […] que de disputes sur l’utile et le beau ! […] Les absurdes théories qui ont pris pour base l’imitation de la nature, même en indiquant pour but l’aspect du beau, ne méritent pas qu’on s’y arrête. […] Leurs chants ont beau être délicieux à mon oreille, le fond, le fond éternel de mon cœur est le doute et la tristesse.

1538. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre deuxième »

Aux plus beaux temps de notre langue, on n’aurait pas su exprimer en moins de mots plus sentis ce lâche retour des Grecs à leur empereur rétabli sur le trône. […] Froissart demeura cinq ans auprès de la reine Philippe, « qu’il servait de beaux dictiés et de traités amoureux. […] Le plaisir de translater et de voir naître sous sa plume de beaux mots, qui fussent les égaux des mots latins, détourne trop souvent l’écrivain de son plan, et étouffe le fond sous les incidents. […] Je ne me plains donc pas de la triste fin qu’ont eue George Chastelain, l’auteur de ce beau portrait, et Christine de Pisan, la première qui eut l’honneur de s’aider de l’antiquité, et la première oubliée. […] Voici la traduction de ce passage : « Le temps était beau et clair, et le vent bon et doux ; ils mirent à la voile.

1539. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1882 » pp. 174-231

» * * * — Un beau mot produit par la crise financière du jour d’aujourd’hui. […] Il y a en effet de la bonté dans ses yeux gris, une bonté qu’on sent tout près de devenir agissante, la bonté d’une belle et bien portante habitante de la campagne. […] la belle étude, qu’il y aurait à faire du peintre bohème de l’heure actuelle, du peintre bohème de 1850, de l’Anatole que j’ai pourtrait dans Manette Salomon. […] Le beau, l’adorable Zézé, tout à coup se renversant dans sa petite chaise, jette avec des larmes dans la voix : « Je ne veux plus mâcher… je trouve ça ennuyeux ! » Vouloir manger sans se donner de peine, est-ce d’un beau caprice souverain ?

1540. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DAUNOU (Cours d’Études historiques.) » pp. 273-362

Daunou inaugura, dès les premiers jours sa vie publique, par le plus bel acte qui l’honore, par son opinion et son vote dans le procès de Louis XVI. […] » Les sensations se retrouvent là pour fixer la date et signer la théorie, mais le mouvement est juste et beau. […] On ne craindra pas de l’avouer si son vote dans le procès de Louis XVI est le plus beau moment de la vie de Daunou, son livre sur les papes nous en paraît le moins agréable endroit. […] Lui, quand il se laissait aller à sa nature, c’est-à-dire à sa culture favorite, il citait de préférence quelque beau trait, quelque beau mot, un beau vers latin, en homme de goût et d’une suprême rhétorique, jamais de ces détails plus particuliers et plus recélés qui attirent l’attention du philologue ou du géographe, du découvreur et fureteur en quoi que ce soit. […] Il était prêt, par exemple, à mettre un bon sujet qui se soigne sur la même ligne qu’un beau génie qui se néglige, et peut-être il était à craindre qu’il ne le préférât à ce dernier.

1541. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Mémoires et journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guettée. — II » pp. 263-279

Un homme de large et vive conception, montrant un jour à quelqu’un sa bibliothèque, qu’il avait fort belle, arrivé devant les écrivains ecclésiastiques du règne de Louis XIV, s’écria : « Fleury à côté de Bossuet ; et pourtant quelle distance ! […] ce n’est pas seulement les honneurs de la réception qui m’ont charmé, et dont je conserverai toute ma vie le souvenir avec la reconnaissance, mais c’est bien plus ce beau modèle des prélats en qui j’ai vu et admiré plus de choses que la réputation ne m’en avait appris. […] On aime à rejoindre ces détails sur le Bossuet de la fin et sur son bel organe, éclatant une dernière fois, avec ce que le même biographe nous a dit de lui dans sa jeunesse, quand il nous le montre affectionné à chanter l’office de l’Église et les psaumes : « Il avait la voix douce, sonore, flexible, mais aussi ferme et mâle. […] J’ai sous les yeux quelques-unes de ces traductions en vers de Bossuet, notamment celle du beau psaume mélancolique : Super flumina Babylonis ; je croirais faire injure à cette grande mémoire que d’en citer même une seule stance. […] Aujourd’hui qu’on est entré jour par jour pendant quatre années dans l’intérieur de Bossuet vieux, malade, laborieux toujours, mais défaillant par degrés et mourant, on sait à quoi s’en tenir, comme si l’on avait été soi-même un témoin oculaire lisant dans cette belle et bonne conscience à toute heure.

1542. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Le général Joubert. Extraits de sa correspondance inédite. — Étude sur sa vie, par M. Edmond Chevrier. — I » pp. 146-160

Il nous représente bien, en effet, avec toutes leurs qualités et dans leur bel enthousiasme, ces jeunes hommes enfants de Révolution, sortis de la classe moyenne éclairée, ces volontaires de 92, patriotes, républicains francs et sincères, mais instruits, bien élevés ; non moins opposés à tout regret et retour royaliste qu’à tout excès terroriste et au genre sans-culotte ; ces Girondins aux armées et qui n’eurent point à y commettre de faute. […] Il a eu ce beau cadre pour carrière ; il s’y forma tout entier. […] Revenu dans sa ville natale, chez son père, il y rencontra des dangers moins beaux. […] Joubert, qu’il nomme souvent dans sa relation de Loano, dut à sa belle conduite d’être nommé général de brigade. […] Il n’y a de beau ici que le courage infatigable du soldat et de l’officier, et la patience imperturbable de tous deux.

1543. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 44-63

Il avait publié auparavant ses impressions de voyageà Rome et en Italie, sous le titre de Rome et Lorette(il ya de belles choses), et, plus anciennement encore, unvoyage en Suisse (1839), ou plutôt les Pèlerinages de Suisse ; car tout prend un caractère religieux sous laplume de M.  […] Il commence ce pèlerinage, qui asurtout pour objet la Suisse catholique, par une diatribe violente contre Genève, où l’on célébrait, quand il ypassa, l’inauguration de la statue de Jean-Jacques, un sujet tout trouvé d’anathème : « Tristes fêtes dont nous n’osons plus rire, s’écrie l’auteur, quand nous songeons qu’il est une autre vie et que probablement ce malheureux Rousseau, mort dans l’hérésie, sans sacrements et, selon toute apparence, sans repentir, a plus affaire à la justice de Dieu qu’à sa clémence… » Je laisserais ce passage et le mettrais sur le compte de la jeunesse, si les mêmes sentiments d’exécration ne revenaient sans cesse sous la plume de l’auteur ; si, dans ces volumes de Çà et Là où il y a de charmants paysages et de beaux vers pleins de sensibilité, je ne voyais, lors d’une nouvelle visite à Genève (chapitre Du Mariage et de Chamounix), la même répétition d’injures contre la statue et les mêmes invectives contre les Genevois en masse. […] Le feu de l’honneur et celui du génie irrité ne se recèlent pas ainsi durant cinquante ans : « Ces belles flammes veulent le jour. […] Mais il a beau faire, il en tient, lui, à son corps défendant et jusqu’aux moelles ; il est bien du fonds gaulois, du plus gras et du plus dru ; quoique, sous l’influence combinée de Bossuet et de M. de Maistre et sous le coup des événements, il ait eu ses inspirations éloquentes, il n’est complètement original que quand il coupe en pleindans sa première veine. — Car des pages même comme celle que je viens d’indiquer sur Saint-Simon, si vertes, si amères d’accent et où la verve, après tout, ne demande qu’à s’étaler insolemment au soleil, cela n’a rien d’épiscopal : c’est du mâle gaulois, c’est du bon Régnier en prose, c’est d’un rude et vaillant compère. […] Disciple de M. de Maistre, ilinsiste sur le bienfait de la religion dans les camps, sur l’alliance du prêtre et du soldat, idée qu’il développera plus tard dans la Guerre et l’Homme de guerre (1855), et qui lui inspirera de beaux chapitres, Bugeaud et Saint-Arnaud.

1544. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite et fin.) »

À la place des belles figures de la mythologie grecque, on voit des diables, des sorcières, des vampires, et les nobles héros du temps passé doivent céder la place à des escrocs et à des galériens. […] Cependant je ne veux pas nier que Arndt, Kœrner et Rückert ont eu quelque action. » Ici le bon Eckermann eut une distraction, et sans trop y penser, mettant le doigt sur un point délicat, il dit à Gœthe : « On vous a reproché de ne pas avoir aussi pris les armes à cette époque, ou du moins de n’avoir pas agi comme poëte. » Gœthe, touché à un endroit sensible, tressaillit un peu, et, tout ému, il trouva, pour répondre, de bien belles et hautes paroles : « Laissons cela, mon bon ! […] Le poëte, comme homme, comme citoyen, doit aimer sa patrie ; mais la patrie de sa puissance poétique, de son influence poétique, c’est le Bon, le Noble, le Beau, qui n’appartiennent à aucune province spéciale, à aucun pays spécial, et qu’il saisit et développe là où il les trouve. […] Comment voudriez-vous en conscience que Gœthe acceptât Quasimodo, lui qui, même quand il a fait son diable, Méphistophélès, l’a présenté beau encore et élégant ? […] Les dernières pages dans lesquelles on voit Eckermann visitant pour une dernière fois sur son lit mortuaire la forme expirée, mais encore belle, de celui qu’il a tant aimé et vénéré, font une conclusion digne et grandiose.

1545. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. » pp. 31-51

On n’a que le récit de la navigation autour de l’Afrique, le Périple de cet Hannon de qui Montesquieu a dit si magnifiquement : « C’est un beau morceau de l’Antiquité que la Relation d’Hannon : le même homme qui a exécuté a écrit ; il ne met aucune ostentation dans ses récits. […] A vrai dire, on ne s’intéresse plus guère à l’antique Carthage que par deux choses diversement immortelles, l’une vraie et l’autre mensongère : Hannibal et Didon ; celle-ci, la création la plus touchante que nous ait laissée la poésie des Anciens ; celui-là, à cause des obstacles de toute nature qu’il rencontrait sur sa route glorieuse et du génie qu’il mit à les vaincre, offrant « le plus beau spectacle que nous ait fourni l’Antiquité » : c’est encore Montesquieu qui dit cela. A part ces deux grands noms, des plus beaux, il est vrai, et des plus présents entre tous ceux de la poésie et de l’histoire, on sait très-peu et l’on s’inquiète peu aussi de Carthage et de son intérieur. […] La description est belle, très-belle : il y a un tel encombrement et une telle continuité de descriptions dans ce volume qu’elles gagnent certainement à être découpées et détachées. […] On entendait dans le bois de Tanit le tambourin des courtisanes sacrées ; et, à la pointe des Mappales, les fourneaux pour cuire les cercueils d’argile commençaient à fumer. » J’admire la conscience et le pinceau du paysagiste : mais de même que Salammbô m’a rappelé Velléda, je me rappelle inévitablement ici tant de belles descriptions de l’Itinéraire, et particulièrement Athènes contemplée du haut de la citadelle au lever du soleil : « J’ai vu du haut de l’Acropolis le soleil se lever entre les deux cimes du mont Hymette… » Le panorama de Carthage vue de la terrasse d’Hamilcar est un paysage historique de la même école, et qui accuse le même procédé ; ce qui ne veut pas dire qu’il ne soit pris également sur nature, du moins en ce qui est des lignes principales.

1546. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La civilisation et la démocratie française. Deux conférences par M. Ch. Duveyrier »

Après cela, que cette idée se présentât à eux sous les termes de πολιτεία, παιδεία, ou tout autre, je laisse aux savants à le déterminer ; mais je suis certain que les Grecs, par leur brillant, leur éducation, leur art, leur génie actif et persuasif, leur faculté colonisatrice, avaient essentiellement et au plus haut degré le sentiment de cette chose que les modernes appellent civilisation ; ils l’avaient, comme tout ce qu’il leur fut donné d’avoir, d’une manière exquise ; ils en avaient même le sentiment en ce qui est de l’humanité, de la philanthropie : il suffit de se rappeler ce bel article de traité que Gélon imposa aux Carthaginois vaincus, et que Montesquieu a consacré par un chapitre de l’Esprit des Lois. […] Napoléon s’y suppose en idée maître et roi durant dix ans, et il en ressuscite toutes les merveilles, étendues, agrandies, multipliées, selon les données incomparables du génie moderne ; je ne me refuserai pas à rappeler les principaux traits du tableau : « Mais à quel degré de prospérité, s’écrie tout à coup l’historien conquérant, pourrait arriver ce beau pays, s’il était assez heureux pour jouir, pendant dix ans de paix, des bienfaits de l’administration française ! Dans ce laps de temps, les fortifications d’Alexandrie seraient achevées ; cette ville serait une des plus fortes places de l’Europe ; … l’arsenal de construction maritime serait terminé ; par le moyen du canal de Rahmaniéh, le Nil arriverait toute l’année dans le port vieux, et permettrait la navigation aux plus grandes djermes ; tout le commerce de Rosette et presque tout celui de Damiette y seraient concentrés, ainsi que tous les établissements civils et militaires ; Alexandrie serait déjà une ville riche ; l’eau du Nil, répandue autour d’elle, fertiliserait un grand nombre de campagnes, ce serait à la fois un séjour agréable, sain et sûr ; la communication entre les deux mers serait ouverte ; les chantiers de Suez seraient établis ; les fortifications protégeraient la ville et le port ; des irrigations du canal et de vastes citernes fourniraient des eaux pour cultiver les environs de la ville… Les denrées coloniales, le sucre, le coton, le riz, l’indigo, couvriraient toute la Haute-Égypte et remplaceraient les produits de Saint-Domingue. » Puis, de dix années de domination il passe à cinquante ; l’horizon s’est étendu ; l’imagination du guerrier civilisateur a pris son essor, et les réalités grandioses achèvent de se dessiner, de se lever à ses yeux de toutes parts : « Mais que serait ce beau pays, après cinquante ans de prospérité et de bon gouvernement ? […] Il a là-dessus une belle page : « Messieurs, dit-il, je cherche à me représenter le type du vrai civilisé. […] On le croirait vraiment toutes les fois qu’on l’écoute, et c’est le plus bel éloge de lui qu’on puisse faire81.

1547. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Léonard »

En son poëme des Saisons, au chant de l’Été, Léonard disait : Quels beaux jours j’ai goûtés sur vos rives lointaines, Lieux chéris que mon cœur ne saurait oublier ! […] Le pays était beau, les fonctions médiocrement assujettissantes ; il paraît les avoir remplies avec, plus de conscience et d’assiduité que de goût. […] Dès qu’il s’en éloignait, elle reprenait à ses veux tout son charme : telle l’Ile-de-France pour Bernardin de Saint-Pierre, qui de près l’aima peu, et qui ne nous l’a peinte si belle que de souvenir. […] le temps qui m’entraîne Va tout changer autour de moi : Déjà mon cœur que rien n’enchaîne Ne sent que tristesse et qu’effroi… Ce bois même avec tous ses charmes, Je dois peut-être l’oublier ; Et le temps que j’ai beau prier Me ravira jusqu’à mes larmes. […] Un mal étrange le commande ; rien ne le retient ; ses amis ont beau s’opposer à un voyage que sa santé délabrée ne permet plus : il part pour Nantes, et y expire le 26 janvier 93, le jour même fixé pour son embarquement.

1548. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVII. De la littérature allemande » pp. 339-365

Considérons d’abord les causes principales qui modifient l’esprit de la littérature en Allemagne, le caractère des ouvrages vraiment beaux qu’elle a produits, et les inconvénients dont elle doit se garantir. […] À cet égard, ils se rapprochent de toutes les littératures du Nord, des littératures ossianiques ; mais leur vie méditative leur inspire une sorte d’enthousiasme pour le beau ; d’indignation contre les abus de l’ordre social, qui les préserve de l’ennui dont les Anglais sont susceptibles dans les vicissitudes de leur carrière. […] On a voulu blâmer l’auteur de Werther de supposer au héros de son roman une autre peine que celle de l’amour, de laisser voir dans son âme la vive douleur d’une humiliation, et le ressentiment profond contre l’orgueil des rangs, qui a causé cette humiliation ; c’est, selon moi, l’un des plus beaux traits de génie de l’ouvrage. […] Néanmoins ils ont aussi pour système de mettre en contraste la nature vulgaire avec la nature héroïque, et ils diminuent ainsi l’effet d’un très grand nombre de leurs plus belles pièces. […] Les hommes éclairés de l’Allemagne ont, pour la plupart, un amour de la vertu, du beau dans tous les genres, qui donne à leurs écrits un grand caractère.

1549. (1894) Propos de littérature « Chapitre III » pp. 50-68

Verhaeren, illuminer le mouvement nécessaire et décisif : Il marcha vers elle et lui prit la main, Viril et franc, Elle fléchit le front comme une enfant, Et soudain beau de toute sa jeunesse Et de sa volonté et de son bel amour, Sans un détour, Il la prit sans un cri et sans un geste Et sans un mot, Bondit debout dans ses étriers Et cabra son cheval vers un galop. Si ses vers n’ont point l’énergie abrupte et la belle violence colorée qui particularisent les Débâcles, leur grâce plus humaine, leur élégance de courbes infléchies s’effacent parfois pour un élan direct, qui a peut-être une force égale. […] Par les contours du vers aussi bien que par les images y incluses, (malgré quelques passages un peu faibles de rythme ou de syntaxe), certaines pièces s’érigent comme d’un seul bloc indestructible ; je veux nommer les Sites surtout, et les Sonnets ; mais il en est ailleurs, dans les Épisodes par exemple : À la source des seins impérieux et beaux J’ai bu le lait divin dont m’a nourri ma Mère Pour que, plus tard, le glaive étrange et solitaire Ne connût point la honte aux rouilles des fourreaux ; Dans l’éblouissement de métal des barreaux D’un casque grillé d’or, orné d’une chimère, J’eus une vision vermeille de la terre Où les cailloux roulaient sous les pas des Héros ; Et fidèle à la gloire antique et présagée, J’ai marché vers le but ardu d’un apogée Pour que, divinisé par le culte futur Des temps, Signe céleste, au firmament, j’élève, Parmi les astres clairs qui constellent l’azur, Une Étoile à la pointe altière de mon glaive. Il est curieux de le constater, cette belle page de Régnier invoquant pour leur beauté toute l’action et toute la lutte, serait la meilleure épigraphe aux œuvres de Griffin.

1550. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre III. Grands poètes : Verlaine et Mallarmé, Heredia et Leconte de Lisle » pp. 27-48

Il n’a jamais manqué à sa conscience qui fut si belle de tendresse, de trouble, d’humanité. […] En revanche tous les sonnets imponctués, les beaux sonnets, on se souvient, pieusement glosés par Teodor de Wyzewa, irrévérencieusement expliqués par des cuistres joviaux. […] L’effet de l’art n’est plus un beau désordre ; c’est, au contraire, la formule harmonieuse et intelligible. […] Chénier à qui l’on doit, réparation tardive, élever une statue, Chénier, l’un des plus grands prosateurs français (comme Lamartine est un de nos plus beaux orateurs), a marqué dans ses quelques pièces de vers un sentiment autrement vif de la beauté grecque. […] Et personne mieux que Leconte de Lisle ne fut « le bon poète », comme le définissait, je crois, Racine : « un bon père de famille qui fait de beaux vers ».

1551. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Le symbolisme ésotérique » pp. 91-110

On a beau vouloir s’endormir sur l’oreiller d’une molle tranquillité, le doute revient plus angoissant que jamais, et quiconque a essayé de se réfugier dans l’indifférence, s’il mérite le nom d’homme, se surprend à murmurer avec Musset : « Je ne puis…, malgré moi l’infini me tourmente. » * *   * C’est pour retrouver la sécurité et l’équilibre perdu que tes esprits s’agitent. […] Il a pris sa doctrine à l’Église, mais non sa révérence, ni les fleurs du beau langage. […] Wagner est venu annoncer que la synthèse de l’Art, c’était « le Rêve joyeux de la vérité belle ». […]  » Guaita n’interrompt ses méditations dans le Paris d’hiver que pour les reprendre dans son domaine isolé d’Alteville où il va passer la belle saison, « au lieu le plus solitaire de la Lorraine allemande, parmi les vastes paysages de l’étang de Lindre ». […] Nous y gagnerions une certitude, mais les poètes y perdraient une belle source de pathétique.

1552. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXII » pp. 355-377

Pendant ce temps-là, madame de Montespan partageait son temps entre l’embellissement de Clagny et des empressements pleins de respect pour la reine, qui prenait plaisir favoriser son beau repentir, et sa résignation à une vie plus régulière. […] Elles trouvèrent la belle si occupée de ses ouvrages et des enchantements que l’on fait pour y elle, que pour moi je me représente Didon qui fait bâtir Carthage110. […] Une de nos folies a été de souhaiter de découvrir tous les dessous de cartes des choses que nous croyions voir et que nous ne voyions point, tout ce qui se passe dans les familles où nous trouverions de la haine, de la jalousie, de la rage, du mépris, au lieu de toutes les belles choses qu’on met au-dessus du panier ; et qui passent pour des vérités115. […] Malgré cette belle apparence, et la confiance présomptueuse, et l’insolence qu’affectait madame de Montespan, le dégoût du roi était devenu la mesure de ses scrupules de dévotion ; et il s’établit une séparation formelle entre le roi et elle. […] On s’y promène ; ce sont des allées où l’on est à l’ombre ; et pour cacher les caisses, il y a des deux côtés des palissades à hauteur d’appui, toutes fleuries de tubéreuses, de roses, de jasmins, d’œillets : c’est assurément la plus belle, la plus surprenante et la plus enchantée nouveauté qui se puisse imaginer.

1553. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Madame Récamier. » pp. 121-137

C’est au célèbre hôtel de Rambouillet qu’on est convenu de fixer l’établissement de la société polie, de cette société où l’on se réunissait pour causer entre soi des belles choses et de celles de l’esprit en particulier. […] Je voyais dernièrement, dans le palais du feu roi de Hollande, à La Haye, une fort belle statue d’Ève. […] Elle ne concevait point de parfait bonheur hors du devoir ; elle mettait l’idéal du roman là où elle l’avait si peu rencontré, c’est-à-dire dans le mariage ; et plus d’une fois en ses plus beaux jours, au milieu d’une fête dont elle était la reine, se dérobant aux hommages, il lui arriva, disait-elle, de sortir un moment pour pleurer. […] Elle comprit qu’après de tels succès de beauté, le dernier moyen de paraître encore belle était de ne plus y prétendre. […] On peut dire qu’elle perfectionna l’art de l’amitié et lui fit faire un progrès nouveau : ce fut comme un bel art de plus qu’elle avait introduit dans la vie, et qui décorait, ennoblissait et distribuait tout autour d’elle.

1554. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Marie-Antoinette. (Notice du comte de La Marck.) » pp. 330-346

Ce qui me paraît plus sûr et plus souhaitable pour cette touchante mémoire de Marie-Antoinette, c’est qu’il puisse se dégager, de la multitude d’écrits et de témoignages dont elle a été l’objet, une figure belle, noble, gracieuse, avec ses faiblesses, ses frivolités, ses fragilités peut-être, mais avec les qualités essentielles, conservées et retrouvées dans leur intégrité, de femme, de mère et par instants de reine, avec la bonté de tout temps généreuse, et finalement avec les mérites de résignation, de courage et de douceur qui couronnent les grandes infortunes. C’est par là qu’une fois établie historiquement dans cette mesure qui est belle encore, elle continuera d’intéresser à divers les âges tous ceux qui, de plus en plus indifférents aux formes politiques du passé, garderont les sentiments délicats et humains qui font partie de la civilisation comme de la nature, de tous ceux qui pleurent aux malheurs d’Hécube et d’Andromaque, et qui, en lisant le récit de malheurs pareils et plus grands encore, s’attendriront aux siens. […] Ce n’était pas une beauté, à prendre chaque trait en détail : les yeux, bien qu’expressifs, n’étaient pas très beaux ; son nez aquilin semblait trop prononcé : « Je ne suis pas bien sûr que son nez fût celui de son visage », a dit un témoin spirituel. […] Dans une très belle lettre, adressée au comte de Mercy-Argenteau, où on lit ces mots, elle disait encore, après avoir exposé un plan désespéré (août 1791) : J’ai écouté, autant que je l’ai pu, des gens des deux côtés, et c’est de tous leurs avis que je me suis formé le mien ; je ne sais pas s’il sera suivi, vous connaissez la personne à laquelle j’ai affaire (le roi) : au moment où on la croit persuadée, un mot, un raisonnement la fait changer sans qu’elle s’en doute ; c’est aussi pour cela que mille choses ne sont point à entreprendre. […] Ce sentiment, dira-t-on, est bien simple, et c’est pour cela précisément qu’il est beau.

1555. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Monsieur Walckenaer. » pp. 165-181

Peut-être, Amélie, ce tableau fidèle d’une amitié d’enfance si vraie et si naïve, et accompagnée d’un si charmant abandon, vous fait-il aujourd’hui rougir : alors il ne faudrait plus tant vous enorgueillir de ce rare assemblage de belles qualités que l’on admire en vous, puisqu’il en est une dont vous avez à regretter la perte. […] Pour moi, je ne puis qu’exprimer un regret qui rentre dans ce que je viens de dire tout à l’heure sur le goût et les urbanités du siècle de Louis XIV, c’est que le biographe, en abordant le siècle d’Auguste, n’ait pas assez senti que le plus grand charme d’une Vie d’Horace, pour le lecteur homme du monde, était l’occasion même de relire le poète peu à peu et sans s’en apercevoir, moyennant des citations bien prises et qui feraient repasser sous les yeux tous ces beaux et bons vers, trésor de sagesse ou de grâce. […] Le temps est beau, le printemps sourit, et ce chemin de Vitré aux Rochers, qui était long, montueux et malaisé, a été refait à neuf, nous dit-on : « maintenant il est macadamisé et fort commode ». […] Il a de ces anachronismes de ton qu’on ne sait comment s’expliquer ; lorsqu’il dira, par exemple, à propos de Mme de Maintenon entrant dans le monde à cette date brillante de sa jeunesse : « Ce qu’on appelle le monde, le beau monde, est un Diorama. » Je ne sais si Mme de Maintenon, exacte et stricte comme elle est, lui aura pardonné ces discordances ; mais je suis bien sûr que Mme de Sévigné n’y regarde pas de si près avec un tel ami, avec un d’Hacqueville si serviable et si nécessaire. Elle l’aura traité, le bon et savant vieillard, en le recevant parmi les Ombres, comme elle eût fait le vénérable M. d’Andilly, en le baisant de sa lèvre vermeille sur les deux joues, ou sur ses beaux cheveux blancs au front.

1556. (1899) Psychologie des titres (article de la Revue des Revues) pp. 595-606

Ou bien c’est Apulée qui rassemble, en ses Florides, les « fleurs » de ses plus beaux discours d’apparat, ou encore Aulu-Gelle qui fait de son « magasin de littérature et de grammaire » des Nuits attiques. […] Les Romantiques se laissaient à ce point séduire par ces beaux titres à panache que souvent il leur arriva d’annoncer des livres qui ne parurent jamais, et dont peut-être même ils connaissaient à peine le sujet. […] On ne se gênait pas pour imprimer cette grossière locution, hardiment imagée : Faites beau cul, vous n’aurez qu’une claque. […] Quand nous voyons ces mots : la Callipédie ou l’art de faire de beaux enfants par Claude Quillet, nous savons dès l’abord, à n’en pas douter, que ce traité n’est pas d’un élève de la moderne École de médecine. […] Mais la plus belle étiquette ne fait pas le meilleur onguent.

1557. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Seconde partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère de la littérature et des arts » pp. 326-349

Il s’agit de pénétrer le sens intime de tant de belles et de nobles conceptions de l’esprit humain. […] Espérons que notre belle France finira par devenir sa noble patrie. […] Le gardien du cap des tempêtes, le dieu du vertige au milieu des précipices des Alpes, le génie de Rome défendant le passage du Rubicon, sans doute sont de belles inventions d’une muse qui ne prétendait point à la croyance des peuples ; mais comment Voltaire a-t-il pu oser nous présenter le Fanatisme et la Politique ? […] Ainsi les auteurs latins ne doivent plus être qu’une belle et agréable lecture, un noble délassement, et non point l’objet de longues et pénibles études. […] Je les cite ensemble, à cause de l’analogie, mais sans les confondre ; car M. de Chateaubriand s’est élevé à la dignité de l’épopée, et ce ne sera pas moi qui contesterai à son bel ouvrage le nom de poème.

1558. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Lawrence Sterne »

Il était le petit-fils d’un archevêque d’York et petit-neveu d’un archidiacre, et crut longtemps devenir archevêque lui-même, bel et bien, ma foi ! […] Seulement, comme les femmes les plus belles, qui font de leur beauté leur première esclave, n’ont pas éternellement à leurs ordres tout leur regard ou toute leur voix pour s’en servir à point nommé, les grands artistes, ces femmes de la Pensée, n’ont pas non plus toujours à commandement l’inspiration qui les fait eux-mêmes… Mais alors, ce ne sont plus eux ! […] … Pour ceux qui n’entendent pas l’arabe comme pour ceux qui le comprennent, ce mot de Koran a beau signifier, dans son sens primitif et grammatical, une collection de chapitres, il n’en fait pas moins, dès qu’on le prononce, passer devant nous le monde de l’Orient avec ses dogmes, ses coutumes, ses mœurs, ses tableaux. […] s’il fut jamais un homme, au contraire, qui s’éloignât par tous ses instincts révoltés de la philosophie du xviiie  siècle, ce fut Sterne, cet esprit tout âme, qui n’eut peut-être de génie qu’à force d’avoir de cette âme qu’on niait si fort dans son temps ; ce fut cette délicate sensitive humaine, dont la racine trempait dans cette idée de Dieu qui fait pousser leurs plus belles fleurs aux plus beaux génies !

1559. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Odes et Ballades » (1822-1853) — Préface de 1853 »

Monter d’une échoppe à un palais, c’est rare et beau, si vous voulez ; monter de l’erreur à la vérité, c’est plus rare et c’est plus beau.

1560. (1895) Nouveaux essais sur la littérature contemporaine

Choiseul fut plus habile ; Marmontel était plus vigoureux ; Bernardin de Saint-Pierre fut le plus beau des trois. […] De beaux vers sont de beaux vers, mais ils ne font pas que de mauvais votes ne soient de mauvais votes. […] Il n’y en pas de plus beaux dans la langue française que ceux de Leconte de Lisle. […] Ô belle chasseresse ! […] Reçois, belle Ganga, l’offrande de mes vœux.

1561. (1730) Discours sur la tragédie pp. 1-458

Or si c’est nôtre plaisir qui décide des beaux endroits, pourquoi n’écouterons-nous pas nos répugnances sur les autres ? […] J’ai passé mes plus belles années sans oser entreprendre une tragédie. […] Par exemple, voici trois vers de la même scene qui me paroissent tout-à-fait beaux, et particulierement par l’anthitèse du dernier. […] Après quoi l’auteur ne doit plus perdre de tems en discours qui, tout beaux qu’ils seroient, auroient du moins la froideur de l’inutilité. […] Les personnages paroissent souvent composer de beaux vers, plutôt qu’exposer des sentimens.

1562. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE BALZAC (La Recherche de l’Absolu.) » pp. 327-357

Et certes, si en parlant du lyrique Malherbe et surtout de l’autre Balzac, solennel pourtant, et si savant en beaux mots, le bon Tallemant a trouvé moyen d’amasser tant de traits piquants de caractère, d’enregistrer tant d’indiscrétions de langage, tant de superstitions fastueuses d’auteur et de jactances naïves, que n’aurait-il pas à moissonner d’abondant autour de chacun des nôtres ! […] Volontiers, du milieu de ses beaux salons, il nous reporte sans goût à des objets, à des termes tout à fait répugnants, désobligeants ; il lui revient, et il nous revient à nous, en ces moments, comme une forte odeur de sa première manière : Crébillon fils se ressouvient de Rétif108. […] Il y avait dans la première édition de la Femme abandonnée, publiée par la Revue de Paris, une charmante page qui, à l’aide de quelques retouches habiles, est devenue tout à fait belle dans une édition suivante. […] Belle leçon à nous tous poëtes, romanciers et hommes ! […] En partant de la même idée, on a dit encore : « Balzac en ses romans, c’est une marchande de modes, ou mieux c’est une marchande à la toilette. » Et en effet que de belles étoffes chez lui !

1563. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « UNE RUELLE POÉTIQUE SOUS LOUIS XIV » pp. 358-381

Vivant dans ses diocèses, à Lavaur, à Nîmes, c’est-à-dire en province, il regrettait quelque peu le monde de Paris et les belles compagnies lettrées ; il était d’autant mieux resté sur le premier goût de sa jeunesse. […] Recueil des plus belles pièces des Poëtes françois depuis Villon jusqu’à Benserade, 6 vol. in-12 ; 1752. […] Ici vint La Vallière, Ici Diane, en ces règnes si beaux ; Et la charmille éclatait aux flambeaux. […] Mais allez, vous avez beau faire Et triompher d’un air sévère Quand de là je reviens battu : Au lieu du tout, si l’on ne donne Qu’une moitié de sa personne, On n’est qu’une demi-vertu. […] Racan, dans ses belles stances sur la Retraite, avait dit : L’âge insensiblement nous conduit à la mort.

1564. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre II. La jeunesse de Voltaire, (1694-1755) »

Tandis que les Pères Porée et Tournemine avaient formé le goût du petit Arouet, Ninon, Châteauneuf, les libertins du Temple furent les vrais éducateurs de son esprit ; cela promettait un beau docteur d’irréligion. […] Mais un beau jour il se réveilla à la Bastille (1717), où il resta onze mois511. […] Frédéric vivait à Rheinsberg, dans la disgrâce : son père, brutal, dévot, pratique, appliqué à mettre son domaine en valeur et à former de beaux régiments, ne lui pardonnait pas son esprit, sa flûte, son goût pour les vers et pour la pensée, ni surtout d’être l’héritier à qui il faudrait tout remettre. […] Mais l’art n’est pas tout pour Voltaire, il ne croit pas que tout aille bien, parce que quelques beaux vers ont été écrits. […] Voltaire ramena donc le Siècle de Louis XIV à son dessein général : l’histoire universelle étant une suite lamentable de folies, erreurs, « butorderies », qu’interrompent de loin en loin quelques glorieuses époques, ce beau Siècle eut son dessous et son revers de sottises.

1565. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’expression de l’amour chez les poètes symbolistes » pp. 57-90

Il suffit à son amie d’être belle. […] Les belles mortes nous appellent du haut de leur cadre-doré ou nous sourient de leur bouche de marbre. […] La dame est belle et disposée à accueillir les hommages. […] Il annonce un beau matin qu’il part en voyage et l’amie elle-même, depuis longtemps désillusionnée, reçoit cette communication avec soulagement. […] Swinburne le regarde se fondre dans Beau : « Quel étrange dieu t’a parée de toutes les séductions du monde, ô toi la créature des heures stériles ? 

1566. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « André Chénier, homme politique. » pp. 144-169

Né en 1762 à Constantinople, d’une mère grecque, nourri d’abord en France sous le beau ciel du Languedoc, après ses études faites à Paris au collège de Navarre, il essaya quelque temps de la vie militaire ; mais, dégoûté bientôt des exemples et des mœurs oisives de garnison, il chercha l’indépendance. […] Lui, amateur des sources antiques, toujours en quête des saines et « bonnes disciplines », qui voudrait produire dans son style la « tranquillité modeste et hardie » de ses pensées ; lui qui, dans les belles pages de prose où il ébauche des projets d’ouvrages sévères, aspire et atteint à la concision latine, à la « nerveuse et succulente brièveté » d’un Salluste honnête homme et vertueux, on conçoit la colère à la Despréaux, et plus qu’à la Despréaux, qui dut le saisir en voyant un tel débordement de déclamations soi-disant philosophiques, de facéties galantes et de gentillesses libertines, découlant de la plume d’un bel esprit formé à l’école de Danton. […] Mais, suivant moi, la plus belle (s’il fallait choisir), la plus complète des pièces d’André Chénier, est celle qu’il composa vers ce temps, et qui commence par cette strophe :       Ô Versailles, ô bois, ô portiques ! […] Quelle que soit la ligne politique qu’on suive (et je ne prétends point que celle d’André Chénier soit strictement la seule et la vraie), cette manière d’être et de sentir en temps de révolution, surtout quand elle est finalement confirmée et consacrée par la mort, sera toujours réputée moralement la plus héroïque et la plus belle, la plus digne de toutes d’être proposée aux respects des hommes. […]  » Il sera toujours plus digne et plus beau de répondre à cette question, avec l’âme d’André Chénier : « Et moi, j’ai mérité de mourir !

1567. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre II. Lord Byron. » pp. 334-423

Joignez-y, en façon de contraste, des femmes angéliques, tendres et soumises, surtout belles comme des anges. […] Ils ont beau être artistes, ils sont observateurs. Ils ont beau inventer, ils décrivent. […] C’est un homme ; il n’y a pas de mot plus beau, ni qui le peigne mieux. […] Est-ce que les convenances peuvent empêcher la beauté d’être belle ?

1568. (1875) Premiers lundis. Tome III «  Les fils  »

Saint-Marc Girardin, et en recommandant un jeune patricien d’une haute espérance : « C’est un si beau talent dans un si beau nom ! 

1569. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Ducoté, Édouard (1870-1929) »

Dans quelques-uns, la pensée grandit et le ton s’aggrave, et après avoir lu, l’un après l’autre, les apologues qui composent son livre, on le ferme sur le beau poème de Circé qui le termine et qui dresse parmi les bas-reliefs d’argile sa statue de marbre magique. […] Ducoté nous donne le résultat de son dernier effort, la quintessence de ses derniers rêves, sous ce titre : Le Chemin des ombres heureuses… C’est un fort beau livre… [La Vogue (15 décembre 1899).]

1570. (1759) Salon de 1759 « Salon de 1759 — Carle Van Loo » pp. 92-93

Il y a sur le devant un très bel enfant renversé sur les degrés arrosés de son sang ; mais il est sans effet. […] Les femmes occupées à servir les figures principales sont éteintes avec jugement ; vraies, naturelles et belles, sans causer de distraction.

1571. (1922) Le stupide XIXe siècle, exposé des insanités meurtrières qui se sont abattues sur la France depuis 130 ans, 1789-1919

Du moment que le laid est beau et que le beau est laid, pourquoi se gêner ? […] On a dit qu’il y avait une éducation préalable du beau. […] Il y a un beau, extrait de la nature. Il y a un beau, extrait de l’imagination. […] Il n’y a pas de beau mensonge.

1572. (1929) Dialogues critiques

Pierre C’est une belle science. […] Au moins celui-là, qui d’ailleurs a composé de beaux romans, ne sera pas soupçonné de travailler pour l’habit vert. […] Weiss : « C’est beau, un beau crime. » Ils trouvent le crime beau, mais spontanément et d’instinct. […] Il a donné un autre bel ouvrage à la louange de Mallarmé, qui n’a pas la faveur du public bien-pensant. […] Pierre J’avoue qu’un amour sincère est toujours beau.

1573. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (1re partie) » pp. 413-491

Asti ressemble à Mâcon, au luxe près des belles maisons, que l’emphase italienne appelle palais. […] Arrêté à Londres, il se croit encore amoureux d’une belle et suspecte Anglaise, amoureuse de son groom. […] « Pendant l’été précédent, que j’avais tout entier passé à Florence, comme je l’ai dit, j’y avais souvent rencontré, sans la chercher, une belle et très aimable dame. […] Un jeune poète étranger avec quinze beaux chevaux dans ses écuries, ami ou amant d’une jeune et belle reine et affectant une horreur de la royauté qui commençait à poindre alors, ne pouvait pas trouver des critiques bien sévères dans un genre inusité encore en Toscane. […] Un soir, au tomber de la nuit, une voiture sortit du cloître des Dames-Blanches, emportant la belle réfractaire ; une escorte de cavaliers armés galopait à ses côtés ; sur le siège étaient Alfieri et M. 

1574. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1868 » pp. 185-249

Belle chose, la richesse. […] Il y a rarement chez nous cette noblesse de déclin, cette race de la vieillesse, cette beauté de Franklin et de grand seigneur, sous la couronne d’un reste de cheveux blancs, et ces yeux heureux, et cette belle bouche, et ces beaux regards humains ; enfin ce type d’une vie toute droite et bien remplie, d’une conscience satisfaite, d’une âme limpide. Il y a chez l’Anglais distingué de l’aristocratie des beaux et bons chiens de son pays. […] Avec cela un beau jardin, de vrais arbres. […] les belles existences dans l’ordre de la matière et de la gueule qui ont dû être vécues au xvie  siècle !

1575. (1900) Molière pp. -283

Vous pouvez regarder, rue Richelieu, sa statue ; elle est impassible, elle est très belle, et respire le génie. […] Elles sont les plus belles du monde ; souffrez que je les baise, je vous prie. […] Et Mathurine, et Charlotte qui se laissent tourner la cervelle par les beaux discours de Dom Juan ! […] L’esprit a beau rire et se moquer. […] Au fait, il fera beau voir Hannibal consulté sur le passage des Alpes.

1576. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lafenestre, Georges (1837-1919) »

Lafenestre, ce serait d’avoir écrit des poèmes avec la seule préoccupation du beau, sans songer un instant à la nécessité d’étonner, que la paresse des lecteurs modernes rend si implacable. […] C’est là, sans doute, au sein des spacieuses et lumineuses vallées de la Loire et du Cher, près de ces belles eaux où se reflètent les châteaux d’Amboise, de Langeais et de Chenonceaux, qu’il a subi inconsciemment l’influence des poètes et des artistes du xvie  siècle.

1577. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 200-202

Son Sonnet sur la Belle Matineuse, fut préféré à tous ceux qu’on composa sur le même sujet. […] Quand la jeune Philis, au visage riant, Sortant de son Palais plus clair que l’Orient, Fit voir une lumiere & plus vive & plus belle.

1578. (1895) Hommes et livres

On aura beau dire que ce n’est pas de la littérature : il n’importe. […] Sa grosse belle humeur secondait ses victuailles. […] Et les belles raisons dont on étage les revendications tapageuses ! […] Il n’a mis de lui dans son livre que la facile netteté de son esprit et sa belle humeur indulgente. […] Les belles images des vertus bourgeoises et champêtres !

1579. (1884) L’art de la mise en scène. Essai d’esthétique théâtrale

C’est une nouvelle mise au point, qui dégage ce qu’il y a dans toute œuvre d’essentiellement humain et d’éternellement beau. […] C’est là une belle fin dramatique, où, il est vrai, le sentiment l’emporte sur l’idée, mais qui est conforme à l’esthétique du drame moderne. […] C’est là un très bel exemple du rôle pathétique que peuvent remplir des instruments à cordes dans le drame ou dans la comédie. […] Qui songe à reprocher à ces personnages de s’asseoir et de discourir au beau milieu d’une place publique ? […] C’est une belle solitude nocturne.

1580. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre VI. Milton. » pp. 411-519

Elle était trop belle, cette cité intérieure, pour qu’il voulût en sortir ; elle était trop solide pour qu’on pût la détruire. […] Il y a tel sujet qui commande tel style : si vous résistez, vous détruisez votre œuvre, trop heureux quand, dans l’ensemble déformé, le hasard produit et conserve de beaux morceaux. […] De tous les personnages que l’homme puisse mettre en scène, Dieu est le plus beau. […] Au style, on aperçoit sa belle robe fourrée, sa barbe en pointe par Van Dyck, son fauteuil de velours et son dais doré. […] Ce qu’il y a de plus beau dans ce paradis, c’est l’enfer, et dans cette histoire de Dieu le premier rôle est au diable.

1581. (1714) Discours sur Homère pp. 1-137

Mais, comme il y a des gens que le beau frappe, jusqu’à les mettre hors d’érat de reconnoître les fautes qui l’interrompent, il y en a d’autres aussi, qui sont tellement blessés des défauts, que le beau même qui y tient, ne les touche plus. […] Cet ordre, à ce qu’on dit, signifie également quatre choses toutes différentes ; et c’est un beau secret, continue-t-on, de pouvoir dire tant de choses à la fois. […] Qui s’appercevroit alors que ces deux vers sont fort bas pour l’expression, quoiqu’assez beaux pour le sens ? Ne pourroit-il pas même arriver que quelque sçavant admirât le bel effet que font le long et le large dans ces deux vers ? […] Un vers est toûjours plus beau, toutes choses égales, selon qu’il dépend moins pour la liaison de ce qui le précéde et de ce qui le suit.

1582. (1920) Enquête : Pourquoi aucun des grands poètes de langue française n’est-il du Midi ? (Les Marges)

C’est d’appliquer à leurs œuvres leurs belles théories françaises. […] Dans leurs plus beaux élans, nos vrais poètes ont toujours une certaine retenue qui est un des traits distinctifs de notre génie. […] Le loisir dans le bonheur incite seulement à rêver, c’est-à-dire à sommeiller et à dormir, la tête à l’ombre et les pieds au soleil, à pratiquer ce bel hédonisme que je nommerais volontiers édredonisme. […] De même que, populairement, il n’était bon bec que de Paris, il ne fut que de Paris beau langage et savante lyre. […] Car enfin il ne faut pas non plus exagérer l’importance de la langue maternelle, et l’on peut, si l’on est doué, écrire de très beaux vers dans une langue d’adoption, ainsi que l’ont prouvé de nos jours un Athénien, Moréas, un Américain, M. 

1583. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VII. Repos »

Il appartient à une race merveilleusement douée et merveilleusement belle chez ceux de ses fils qui ont la force et la noblesse. […] Le voilà pris sur le fait l’inepte syllogisme du critique aveugle : Les seuls vers de poète sont ceux en qui se formule une pensée dans une image ; or je sens bien que Boissier est un vrai poète ; donc Boissier doit faire beaucoup de vers-formules. — Mes expériences antérieures m’apprennent que les belles femmes sont brunes ; or vous êtes belle ; donc vous êtes brune. […] Elle sent qu’elle va devenir mère et elle affirme que les prochaines aurores seront belles, et belles les prochaines destinées… Cependant, à l’écart, la foule des esclaves délibère sur le sort du poète et décide qu’il sera crucifié. […] Rien ne me paraît plus beau que l’allure harmonieusement idéaliste ou, pour parler en pédant, la dialectique platonicienne des deux poèmes. […] Il faut s’intéresser à chaque détail, beau ou étrange, toujours caractéristique.

1584. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre premier. Caractères naturels »

La plus belle moitié de la poésie, la moitié dramatique, ne recevait aucun secours du polythéisme ; la morale était séparée de la mythologie8. […] Car si elle est aussi belle que le polythéisme dans le merveilleux, ou dans les rapports des choses surnaturelles, comme nous essaierons de le montrer dans la suite, elle a de plus une partie dramatique et morale, que le polythéisme n’avait pas.

1585. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Histoire de la maison royale de Saint-Cyr, par M. Théophile Lavallée. » pp. 473-494

Il en est résulté un beau livre, accompagné de tout ce qui peut le faire valoir, plan, vues, gravures, et surtout formé et nourri à chaque page de cette excellente langue du xviie  siècle, que Mme de Maintenon avait amenée à sa perfection et que parlaient les premières élèves de Saint-Cyr. […] Lavallée a eu soin de placer aussi un portrait de l’illustre fondatrice, où revit cette grâce si réelle, si sobre, si indéfinissable, et qui, sujette à disparaître de loin, ne doit jamais s’oublier quand par moments la figure nous paraît un peu sèche ; il l’emprunte aux Dames de Saint-Cyr dont la plume, par sa vivacité et ses couleurs, est digne cette fois d’une Caylus ou d’une Sévigné : Elle avait (vers l’âge de cinquante ans), disent ces Dames, le son de voix le plus agréable, un ton affectueux, un front ouvert et riant, le geste naturel de la plus belle main, des yeux de feu, les mouvements d’une taille libre si affectueuse et si régulière qu’elle effaçait les plus belles de la Cour… Le premier coup d’œil était imposant et comme voilé de sévérité : le sourire et la voix ouvraient le nuage… Saint-Cyr, dans son idée complète, ne fut pas seulement un pensionnat, puis un couvent de filles nobles, une bonne œuvre en même temps qu’un délassement de Mme de Maintenon : ce fut quelque chose de plus hautement conçu, une fondation digne en tout de Louis XIV et de son siècle. […] Tout le monde croit que, la tête sur mon chevet, j’ai fait ce beau plan ; cela n’est point. […] Mme de Maintenon lui en faisait la guerre dans des lettres très belles et qui ne la convainquaient pas : Comment surmonterez-vous, lui écrivait-elle, les croix que Dieu vous enverra dans le cours de votre vie, si un accent normand ou picard vous arrête, ou si vous vous dégoûtez d’un homme, parce qu’il n’est pas aussi sublime que Racine ? […] Pendant son agonie, elle devint beaucoup plus belle qu’elle n’avait été dans le temps de sa meilleure santé ; mais c’était une beauté toute céleste qui inspirait de la dévotion, et nous la regardâmes mourir avec ravissement… La langue de Saint-Cyr forme une nuance à part dans celle du siècle de Louis XIV ; Mme de Caylus en est la fleur mondaine ; on sent qu’Esther y a passé, et Fénelon également.

1586. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — III » pp. 178-197

Ce n’est plus en compagnie de son amie, c’est seul, à une saison moins belle et quand un pied de femme ne se tirerait pas aisément des mauvais pas, qu’il fait ses excursions et qu’il va à la découverte du pays. […] Tes boucles argentées, autrefois d’un châtain luisant, sont encore plus belles à mes yeux que les rayons dorés du soleil levant, ma Marie ! […] Aussi, lorsque j’ai exprimé le regret que la France n’eût point, dès ce temps-là, une poésie pareille et comparable à celle des Anglais, je pensais moins encore à la peinture directe de la nature considérée en elle-même, peinture dont notre prose élevée présente de si belles et si magnifiques images, qu’à l’union de la poésie de la famille et du foyer avec celle de la nature. […] [NdA] Le plus ancien et le plus sacré des poètes, Homère, ne pensait pas autrement que Wordsworth, lorsqu’il a dit : « Il n’est rien de meilleur ni de plus beau que lorsqu’un homme et une femme habitent la maison, ne faisant qu’un par le cœur. » C’est Ulysse qui dit cela en adressant des vœux d’heureux mariage à Nausicaa et en songeant lui-même à sa Pénélope. […] a dit encore Dante en un beau passage du Paradis, tu es si grande et tu es si puissante, que vouloir une grâce et ne point recourir à toi, c’est vouloir que le désir vole sans ailes. » 26.

1587. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Mémoires ou journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guetté. Tomes iii et iv· » pp. 285-303

Quelques auditeurs ne lui cachaient pas leur surprise de trouver ces mémoires plus beaux et mieux écrits qu’on ne s’y attendait. […] Il est dans une lutte sourde continuelle avec l’abbé Bossuet, ce neveu actif et ambitieux dont je n’ai pas à faire l’apologie ; mais le rôle de l’abbé Le Dieu à son égard n’est pas beau ; il joue au plus fin, et n’a d’autre but que d’en tirer le plus de profit qu’il pourra. […] L’impression qu’on reçoit de ces détails à la longue est affligeante, et il en rejaillit quelque chose, quoi qu’on fasse, sur la noble et belle figure ainsi encadrée et présentée. […] Du beau portrait de Rigaud, il sera aisé désormais de faire une caricature. […] Belle dévotion après la mascarade !

1588. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La comtesse d’Albany par M. Saint-René Taillandier (suite et fin.) »

Elle a de beaux yeux et de belles dents, mais je pense qu’elle ne peut guère avoir eu jamais plus de beauté qu’il ne lui en reste, excepté la jeunesse. — Elle est polie et facile de manières, mais Allemande et ordinaire. […] Revenue sur le continent, elle eut aussi le désir d’aller faire un tour en Hollande, pour voir « ce beau monument de l’industrie humaine. » Dans son séjour à Paris, pendant plusieurs années (1787-1792), elle avait connu la haute société, des gens de lettres, des savants, Mme de Staël, Mme de Beauharnais (la future impératrice), Mme de Genlis, Vicq-d’Azyr, Beaumarchais, André Chénier, Villoison, etc. […] Elle avait des maximes pleines de sens : « Il y a un âge où il faut se contenter du bien sans chercher le mieux. » — « Le bonheur est comme chacun l’entend, il est relatif. » — « La santé et les affaires d’intérêt sont les deux bases du bonheur, il faut les soigner et les ménager. » Chez elle la passion était usée et éteinte il y avait beau jour. […] Je ne suis pas de ceux qui veulent à tout prix des mensonges, ni qu’on leur crée des existences fabuleuses et plus belles qu’elles ne l’ont été de leur temps ; mais quand je rencontre quelque part, dans un passé encore voisin de nous et si aisé à vérifier, de ces vies paisibles, ornées, décorées de grâce et de courtoisie, et jalouses d’en répandre le reflet autour d’elles ; quand, au milieu de cet envahissement comme forcené d’ambition, d’activité et d’industrie qui nous pousse et nous déborde en tout genre, je découvre, en me retournant, une île enviable et fortunée, une oasis d’art, de littérature, d’affection et de poésie, je demande qu’on n’en diminue pas le tableau à mes yeux sans de bonnes et fortes raisons, et que ceux qui sont dignes d’apprécier ce cercle heureux et de le peindre nous le rendent, ainsi que la noble figure qui y préside, avec tout le charme qui s’y attachait réellement, et dans un miroir non terni, dans une glace pure, unie et fidèle. […] Mme de Condorcet, veuve illustre, jeune encore et fort belle, nature passionnée, devait-elle abjurer son nom, le nom à jamais respecté d’un martyr philosophe ?

1589. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. (Les Pleurs, poésies nouvelles. — Une Raillerie de l’Amour, roman.) » pp. 91-114

Depuis trois années le champ de la poésie est libre d’écoles ; celles qui s’étaient formées plus ou moins naturellement sous la Restauration ayant pris fin, il ne s’en est pas reformé d’autres, et l’on ne voit pas que, dans ces trois ans, le champ soit devenu moins fertile, ni qu’au milieu de tant de distractions puissantes les belles et douces œuvres aient moins sûrement cheminé vers leur public choisi, bien qu’avec moins d’éclat peut-être et de bruit alentour. […] Répondant avec une belle effusion aux vers de Lamartine, elle a dit, toute noyée, comme Ruth, dans ses pleurs reconnaissants : Je suis l’indigente glaneuse Qui d’un peu d’épis oubliés A paré sa gerbe épineuse, Quand ta charité lumineuse Verse du blé pur à mes pieds. […] Les amours étourdis, élégants, et là-dessous profonds peut-être, les jeunes et belles veuves, les pensionnaires à peine écloses d’Écouen et de Saint-Denis, les valeureux colonels de vingt-neuf ans, tout cela y est agréablement touché ; l’exaltation romanesque pour Joséphine, à propos du grand divorce, ajoute un trait et fixe une date à ces bouderies jaseuses. Tout ce petit volume de Mme Valmore est une nuance, et une nuance bien saisie. « A vingt ans, dit-elle en un endroit, la souffrance est une grâce, quand elle n’a pas trop appuyé, et que ses ailes n’ont fait qu’effleurer une belle femme. » Mme Valmore a fait partout comme elle dit là si bien ; elle n’a nulle part trop appuyé. […] J’ai été reçue et baptisée en triomphe, à cause de la couleur de mes cheveux, qu’on adorait dans ma mère. — Elle était belle comme une vierge, on espérait que je lui ressemblerais tout à fait, mais je ne lui ai ressemblé qu’un peu : et si l’on m’a aimée, c’était pour autre chose qu’une grande beauté.

1590. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN DERNIER MOT sur BENJAMIN CONSTANT. » pp. 275-299

Ils ont beau ne rien dire, je les entends. » Avec un scrupule un peu plus marqué à l’endroit de la dignité, le jeune homme ne se serait pas fait dire deux fois ces choses dont souffrait pour lui une femme délicate ; il se serait mis au plus vite en règle avec le mari. […] Une conséquence de ce capricieux et subtil détournement de la sensibilité dans la jeunesse, c’est de produire, jusque dans un âge assez avancé, des retours simulés, des chaleurs factices, des excitations énervées : on dirait par moments que l’orage de la passion se retrouve et s’amasse tel qu’il n’a jamais été aux années les plus belles, et que le vrai tonnerre, la foudre divine enfin, va éclater. […] La raison, éclairée par l’expérience, avertie par les revers, a beau dire, elle a beau faire l’éloquente et la souveraine à de certains moments solennels, elle n’a plus à ses ordres la volonté. […] Je le suis maintenant, je crois, pour tout l’hiver, dans la famille de ma femme , et dans un antique château dominé par les ruines de deux châteaux plus antiques encore, au milieu d’un assez beau pays, chez des gens qui ont beaucoup plus d’affection de famille qu’il n’est de mode chez nous d’en avoir, avec une femme à laquelle je suis chaque jour plus attaché, parce qu’elle est chaque jour meilleure pour moi, et près de la plus belle bibliothèque de l’Europe.

1591. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — II. » pp. 195-213

Elle en est dès longtemps à ce qu’elle nomme ses fredaines de raisonnement : « L’universalité m’occupe, la belle chimère de l’utile (s’il faut l’appeler chimère) me plaît et m’enivre. » Elle juge en philosophe sa dévotion d’hier, et se l’explique : « C’est toujours par elle que commence quelqu’un qui à un cœur sensible joint un esprit réfléchi. » Son idéal d’amitié pourtant, avec la pieuse et indulgente Sophie, ne reçut point de ralentissement de ce côté-là. […] Quelquefois je suis tentée de prendre une culotte et un chapeau, pour avoir la liberté de chercher et de voir le beau de tous les talents. […] La voilà donc écrivant au philosophe de la rue Plâtrière une belle lettre dans laquelle elle annonçait qu’elle irait elle-même chercher la réponse. […] Sur l’aimable et sage M. de Boismorel, qui joue un si beau rôle dans les Mémoires ; sur Sévelinges l’académicien89, qui n’est pas non plus sans agrément ; sur certain Genevois moins léger, et « dont l’esprit ressemble à une lanterne sourde qui n’éclaire que celui qui la tient ; » sur toutes ces figures de sa connaissance et bientôt de la nôtre, elle jette des regards et des mots d’une observation vive, qui plaisent comme ferait la conversation même. […] Dans ces pages que les yeux contemporains, atteints du même mal et épris de la même couleur jaunissante, admirent comme également belles, et qu’une sorte d’unanimité complaisante proclame, le temps, d’une aile humide, flétrit vite ce qui doit passer, et laisse, au plein milieu des objets décrits, de grandes plaques injurieuses qui font mieux ressortir l’inaltérable du petit nombre des couleurs légitimes et respectées.

1592. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

Il y a dans un ouvrage allemand une observation qui me paraît parfaitement juste, c’est que les belles tragédies doivent rendre l’âme plus forte après l’avoir déchirée. […] Ce qui est vraiment beau, c’est ce qui rend l’homme meilleur ; et sans étudier les régies du goût, si l’on sent qu’une pièce de théâtre agit sur notre propre caractère en le perfectionnant, on est assuré qu’elle contient de véritables traits de génie. […] Le génie français n’a jamais été très remarquable en ce genre ; et maintenant on ne peut ajouter aux effets de la poésie, qu’en exprimant, dans ce beau langage, les pensées nouvelles dont le temps doit nous enrichir. […] L’image de l’Amour prenant les traits d’Ascagne pour enflammer Didon en jouant avec elle, peint-elle aussi bien l’origine d’un sentiment passionné, que les vers si beaux qui nous expriment les affections et les mouvements que la nature inspire à tous les cœurs ? […] Le dégoût de l’existence, quand il ne porte pas au découragement, quand il laisse subsister une belle inconséquence, l’amour de la gloire, le dégoût de l’existence peut inspirer de grandes beautés de sentiment ; c’est d’une certaine hauteur que tout se contemple ; c’est avec une teinte forte que tout se peint.

1593. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Victor Duruy » pp. 67-94

Victor Duruy, et qui laisse une telle impression de force, de suite et de sécurité dans son développement qu’elle fait songer à quelque très belle Vie de Plutarque, — côté des Romains. […] Il eût retrouvé là-bas, faisant belle besogne, son ancien élève, M. le duc d’Aumale. […] Il était lui-même, par sa foi philosophique et sa conception de la cité, un Français de la Révolution, mais muni d’expérience historique, et de prudence et d’obstination romaines : quelque chose comme un idéologue pratique (je vous prie de donner au premier de ces deux mots son plus beau sens). […] Ils reçoivent plus qu’ils ne donnent… Cette doctrine ne détruit la responsabilité de personne, mais elle l’étend à ceux qui trouvent commode de s’en affranchir. » Il nous rappelle ainsi à chaque instant que c’est tout le monde qui fait l’histoire et que nous avons donc tous, pour notre part infime, le devoir de la faire belle — ou de l’empêcher d’être trop hideuse. […] Il y a ainsi de beaux sangs, et forts, où la magnanimité se perpétue.

1594. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de lord Chesterfield à son fils. Édition revue par M. Amédée Renée. (1842.) » pp. 226-246

C’est ainsi que pour le jeu, qu’il croyait un ingrédient nécessaire dans la composition d’un jeune homme de bel air, il s’y plongea sans passion d’abord, mais ne put s’en retirer ensuite, et compromit par là pour longtemps sa fortune. […] Et il entre dans le détail de ses projets et des moyens qu’il compte employer : un pédant anglais tous les matins, un précepteur français pour les après-dînées, avec l’aide surtout du beau monde et de la bonne compagnie. […] La flatterie qui touche le plus les femmes réellement belles, ou d’une laideur décidée, est celle qui s’adresse à l’esprit. […] Je me borne à croire que, si vous avez du soleil dans la belle maison que vous avez bâtie, vous aurez des moments tolérables ; c’est tout ce qu’on peut espérer à l’âge où nous sommes. Cicéron écrivit un beau traité sur la vieillesse, mais il ne prouva point son livre par les faits ; ses dernières années furent très malheureuses.

1595. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) «  Mémoires de Gourville .  » pp. 359-379

Quand Mme Fouquet, dans les premiers moments de la catastrophe, eut besoin d’argent, c’est Gourville qui lui en prêta ; il avait de la générosité, de la fidélité, et, si l’on peut dire, de belles parties de morale personnelle. […] Ici, nous entrevoyons en Gourville l’homme aimable et de bonne compagnie, le digne ami de Saint-Évremond, de Lamoignon, de M. de Pomponne, le Gourville-Atticus qui, même quand il ne pouvait plus être d’une utilité essentielle, faisait encore par son esprit et sa belle humeur les délices de ses amis. […] Il me semble ici que le rôle des deux côtés est beau : de la part du prince, on aime à voir une dernière fois ce regard étincelant dont l’air de colère n’est ici qu’une preuve suprême d’affection, et on aime aussi cette noble marque du désintéressement de Gourville, qui se montre digne de l’amitié d’un grand homme. […] Très favorable à ce dernier, et nous le montrant par tous ses beaux et grands côtés, il ajoute ingénument : Il m’a paru qu’il était bien aise de s’entretenir avec un petit nombre de gens sur les affaires présentes ; et je ne me présentais jamais à la porte de son cabinet, soit à Versailles, soit à Paris, qu’il ne me fît entrer ou ne me fît dire d’attendre un peu de temps pour finir l’affaire qui l’occupait. […] Ce qu’on croit mieux savoir, et ce qui tire moins à conséquence, c’est que, gaillard et fin comme il était, fort grand et bel homme en son temps, il avait été bien avec Ninon.

1596. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Michaud, de l’Académie française. » pp. 20-40

C’est elle que Le Brun a immortalisée dans cette épigramme souvent citée : Églé, belle et poète… Cette reine de l’Almanach des Muses excita la veine des versificateurs du pays. […] Songe surtout que tu ne peux désormais t’élever qu’en descendant, et qu’il y a pour toi une place plus belle que la première, c’est la seconde. » Le canon de Marengo se chargea de répondre. […] Il s’était logé à Passy dans une maison agréable, entourée d’un jardin ; il s’était uni depuis des années à une jeune, à une belle et aimable personne qui animait son intérieur et réjouissait son regard. […] Il a une belle et touchante page sur la Voie douloureuse, sur ce chemin ensanglanté que parcourut l’Homme-Dieu portant sa croix dans sa marche au Calvaire. […] Michaud avait beaucoup étudié les belles parties de Gibbon.

1597. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — I. » pp. 287-307

Peut-être ce temps glorieux pour les muses de ma patrie n’est-il pas éloigné. » Trente ans plus tard, ayant reçu du grand Frédéric un écrit sur la littérature allemande, dans lequel ce monarque, un peu arriéré sur ce point, annonçait à la littérature nationale de prochains beaux jours, Grimm, en lui répondant (mars 1781), lui faisait respectueusement remarquer que cela était déjà fait et qu’il n’y avait plus lieu à prédire : « Les Allemands disent que les dons qu’il (Frédéric) leur annonce et promet leur sont déjà en grande partie arrivés. » Tout en étant devenu Français et en se déclarant depuis longtemps incompétent sur ces matières germaniques, Grimm avait évidemment suivi de l’œil la grande révolution littéraire qui s’était accomplie dans son pays à dater de 1770, et lui-même, nationalisé à Paris, à travers la différence du ton et des formes, il mérite d’être reconnu comme un des aînés et des collatéraux les plus remarquables des Lessing et des Herder. […] la grande et belle voix, la voix unique, s’écriait-il, toujours égale, toujours fraîche, brillante et légère, qui, par son talent, a appris à sa nation qu’on pouvait chanter en français, et qui, avec la même hardiesse, a osé donner une expression originale à la musique italienne. » Il ne sortait jamais de l’entendre « sans avoir la tête exaltée, sans être dans cette disposition qui fait qu’on se sent capable de dire ou de faire de belles et de grandes choses ». […] En même temps, dans les rares rencontres glorieuses, il est sensible aux belles et nobles actions de nos soldats. […] Ma chère amie, la nature agit lentement et imperceptiblement : elle vous a donné de beaux yeux ; servez-vous-en, et agissez, je vous prie, comme elle. » Tous ses soins vont à mûrir « cette bonne tête qui a de si beaux yeux ».

1598. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Innocent III et ses contemporains »

Tête faible, mais saine, Hurter aime l’ordre, comme toute tête saine doit l’aimer, et cette autorité des Papes, de ces grands juges de paix de la chrétienté au Moyen Âge, qui pouvaient le réaliser d’une façon si simple et si rapide, lui paraît une belle et regrettable chose. […] On était aux beaux jours de la foi, cette fleur ardente de la jeunesse intellectuelle des nations. […] Quand la plus belle occasion de réaliser cette unité désirée et de fermer la grande plaie du schisme qui dévorait l’Église vint à se présenter, comment Innocent l’accueillit-il et l’envisagea-t-il ? […] Ce qu’il fit pour l’administration de Rome et comme prince temporel pour l’Italie ; ce qu’il accomplit comme Pape en Allemagne, où il fut heurté par les prétentions de l’Empire ; sa belle tutelle du jeune Frédéric en Sicile ; sa conduite avec Jean-sans-Terre, ce prince qui mettait toujours, par ses fautes, la fortune du côté de ses ennemis, comme il y mettait le droit par ses crimes, tous ces succès brillants, incontestés, ne sauraient compenser le mal de ses fautes, surtout de cette persécution albigeoise contre laquelle il n’osa s’élever du haut de sa chaire de pontife. […] On sent que l’Église s’est blessée elle-même, que ses influences décroissent, que ses plus beaux jours ont lui pour ne plus reparaître.

1599. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Henri Heine »

Elle a beau se renouveler chaque jour, elle n’est pas pour cela plus compréhensible… Pourquoi le Génie ne se juge-t-il pas ? […] et que nous avons encore de beaux fragments de ce grand poète, qui s’est manqué, en recommençant trente-six fois. […] … Comme nous tous, en effet, Henri Heine, malgré son génie, avait été obligé d’être journaliste, de traîner ce boulet de galérien qui déforme les plus belles jambes du talent. […] … Il a d’autres nids plus poétiques et plus beaux que cette tignasse qui ne flambait que d’esprit, — mais qui en flambait comme une auréole ! […] Henri Heine fut l’oiseau qui chante sur ces ruines, mais du haut du ciel ou du fond de son cœur amoureux et blessé, — ce qui est plus beau que le ciel !

1600. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XX. Le Dante, poëte lyrique. »

Il a comme le premier la passion de la guerre, l’amour des belles armes et du luxe dans les combats : il est implacable comme le second ; et ses sirventes ne font pas des morsures moins profondes que les ïambes du poëte grec. […] Quelle mélodieuse douceur, quelle tendresse et quelle innocence dans ce premier chant prêté sans doute à Béatrix enfant : « Je suis jeune fille, belle et toute nouvelle ; et je suis descendue, pour me montrer à vous, des splendeurs du lieu d’où je viens. […] Encore un peu de temps, et les dialectes vulgaires, à peine dégagés des ruines romaines, allaient s’emparer de cette thèse inépuisable, que la religion rendait présente aux cœurs de la foule, et que le beau ciel de l’Italie animait de sa lumière. […] Rien sans doute ne saurait atteindre à cette voix primitive du prophète hébreu, à ce grand témoignage de l’unité divine proclamée par toutes ces substances matérielles que le monde avait adorées à la place de leur Créateur ; nuis la glose vulgaire de cette vérité sublime est belle encore. […] Dans cette vie si calme, dans cette belle vie de citoyen, dans cette communauté si pure, dans ce doux hospice, me fit naître Marie invoquée à grands cris ; et, sur votre antique baptistère, je reçus à la fois les noms de chrétien et de Cacciaguida », À ces traits naïfs, trop altérés dans toute traduction, à ce langage d’une si maligne et si poétique candeur, on peut comparer les regrets et la verve moqueuse d’Horace, ses louanges des vieux Romains et de leurs chastes épouses, son âpre censure des mœurs dégénérées et de la danse ionienne.

1601. (1883) Le roman naturaliste

Zola n’a-t-il pas même écrit que, s’ils étaient beaux, c’était « d’une beauté de bête » ! […] Aux demi-révélations d’un vieux beau, qui courtisait la jeune femme, Madame mère a bientôt soupçonné l’intrigue. […] Donnez-moi donc ces belles choses d’abord, et nous verrons ensuite. […] Fais le beau ! […] La belle description, — car elle est belle, quoique fantastique, — du lever du soleil sur Carthage, vue du faubourg de Mégara, au premier chapitre du livre, en est un bon exemple.

1602. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Alfred de Musset » pp. 364-375

; Comme elle est belle au soir, aux rayons de la lune, etc.  […] de son vice et de son mal, il était si charmant, si hardiment jeté, il était l’occasion de si beaux vers, les deux cents vers les mieux lancés et les plus osés que la poésie française se fût jamais permis, que l’on concluait avec le poète lui-même en disant : Que dis-je ! […] Des proverbes d’une délicatesse exquise, de beaux vers toujours, des vers légers et qui sentaient une aisance supérieure, qui portaient un bon sens spirituel mêlé à d’aimables négligences, puis des accents soudains qui se relevaient avec chant et rappelaient les sons mélodieux d’autrefois : Étoile de l’amour, ne descends pas des cieux ! […] Il était d’une génération dont le mot secret, le premier vœu inscrit au fond du cœur, avait été la poésie en elle-même, la poésie avant tout. « Dans tout le temps de ma belle jeunesse, a dit l’un des poètes de cette même époque, j’ai toujours été ne désirant, n’appelant rien tant de mes vœux, n’adorant que la passion sacrée », la passion, c’est-à-dire la matière vive de la poésie.

1603. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger, 1833. Chansons nouvelles et dernières »

Une disposition invincible à narguer et à chansonner les gens de loi, les gens d’église, les puissants, le beau sexe et les maris, devint un des traits persistants du caractère national. […] Quant au dieu de Béranger, c’est un dieu indulgent, facile, laissant beaucoup dire, souriant aux treilles de l’abbaye de Thélème , n’excommuniant pas l’abbé Mathurin Regnier, pardonnant à l’auteur de Joconde, même avant son cilice ; c’est un dieu comme Franklin est venu s’en faire un en France, comme Voltaire le rêvait en ses meilleurs moments, lorsque, d’une âme émue, il écrivait : Si vous voulez que j’aime encore… Théologie, sensibilité, peinture extérieure, on voit donc que chez Béranger tout est vraiment marqué au coin gaulois : qu’on ajoute à cela un bon sens aussi net, aussi sûr, mais plus délié que dans Boileau, et l’on sentira quel poëte de pure race nous possédons, dans un temps où nos plus beaux génies ont inévitablement, ce semble, quelque teinte germanique ou espagnole, quelque réminiscence byronienne ou dantesque. […] Outre ces difficultés générales, qu’on pourrait indiquer plus au long, il y en avait de particulières à Béranger ; pour mille raisons, ce qu’il avait fait la première fois n’était pas à recommencer de plus belle. […] C’est à ce même fonds social, humain, d’une civilisation plus équitable et vraiment universelle, opposée aux misères de la nôtre, que sont puisées les inspirations si amèrement belles du Pauvre Jacques et du Vieux Vagabond.

1604. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, Les Feuilles d'automne, (1831) »

Bien qu’il y ait eu peut-être quelque mérite à elle de donner le signal et de sonner la charge dans la mêlée, il ne convient pas qu’elle en parle comme ce bedeau si fier du beau sermon qu’il avait sonné. […] Victor Hugo, auquel toute notre digression préliminaire ne se rattache qu’autant qu’on le voudra bien et qu’on en saisira la convenance, les Feuilles d’Automne nous paraissent, comme à tout le monde, son plus beau, son plus complet, son plus touchant recueil lyrique. […] pour revenir m’apparaître si belles, Quand vous ne pouvez plus me prendre sur vos ailes, Que vous ai-je donc fait ? […] Cela est beau, cela est grand, ô poëte !

1605. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « FLÉCHIER (Mémoires sur les Grands-Jours tenus à Clermont en 1665-1666, publiés par M. Gonod, bibliothécaire de la ville de Clermont.) » pp. 104-118

Ce premier petit roman nous met en goût et en confiance avec Fléchier ; on sent qu’on a affaire, non-seulement à un écrivain singulièrement poli, mais à un esprit observateur et délié qui s’entend aux beaux sentiments, aux grandes passions, qui en sourit tout bas en les exposant, et les décrit à plaisir sans s’y prendre. […] Et puis il faut tout confesser : il y a dans ces Mémoires, et il y eut toujours chez Fléchier, plus ou moins de froide rhétorique, du beau diseur au parler traînant et qui s’écoute volontiers. […] Épris que nous sommes aujourd’hui, et avec raison, du beau langage de ce grand siècle, il est bon de nous rappeler de temps en temps aussi à quelles inégalités on y avait affaire. […] Mais j’aime mieux finir par la conclusion sérieuse, qu’il est impossible d’éluder en fermant ce livre : c’est que, s’il faisait beau écrire et parler comme chez M. de Caumartin au xviie  siècle, il fait bon de vivre au xixe , sous nos lois, sans Grands-Jours, sous notre Code civil et notre régime d’égalité, même lorsqu’on est gentilhomme comme lorsqu’on ne l’est pas.

1606. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Des soirées littéraires ou les poètes entre eux »

C’est étonnant devient synonyme de C’est beau ; quand on dit Oh ! […] Je me figure que Manzoni en sa Lombardie, Wordsworth resté fidèle à ses lacs, tous deux profonds et purs génies intérieurs, réalisent à leur manière l’idéal de cette vie dont quelque image est assez belle pour de moindres qu’eux. […] A défaut de ces choix resserrés et éternels, il peut exister de poëte à poëte une mâle familiarité, à laquelle il est beau d’être admis, et dont l’impression franche dédommage sans peine des petits attroupements concertés. […] Il y a bien des années déjà, Charles Nodier et Victor Hugo en voyage pour la Suisse, et Lamartine qui les avait reçus au passage dans son château de Saint-Point, gravissaient, tous les trois ensemble, par un beau soir d’été, une côte verdoyante d’où la vue planait sur cette riche contrée de Bourgogne ; et, au milieu de l’exubérante nature et du spectacle immense que recueillait en lui-même le plus jeune, le plus ardent de ces trois grands poëtes, Lamartine et Nodier, par un retour facile, se racontaient un coin de leur vie dans un âge ignoré, leurs piquantes disgrâces, leurs molles erreurs, de ces choses oubliées qui revivent une dernière fois sous un certain reflet du jour mourant, et qui, l’éclair évanoui, retombent à jamais dans l’abîme du passé.

1607. (1875) Premiers lundis. Tome III « M. Troplong : De la chute de la République romaine »

Qu’on me permette de citer ici un des beaux passages, dans lequel M.  […] On l’est comme chez les modernes, chez les parlementaires du temps de Louis XIV, comme on l’était à Bâville en se promenant dans le beau parc de M. de Lamoignon et en déclarant par manière de plaisanterie qu’on aurait poignardé César. […] Tenir à la fois présents tous les ressorts, y avoir l’œil pour les tendre et les détendre insensiblement : prendre une détermination dans les crises, la maintenir ou ne la modifier qu’autant qu’il faut pendant les difficultés et les lenteurs de l’exécution ; être naturellement secret ; porter légèrement tout ce poids sans que le front en ait un nuage ; entremêler la paix à la guerre, et, sans faiblir, les mener de front, songer en toutes deux au nécessaire, c’est-à-dire aussi, chez de certaines nations, à la grandeur des résultats et à la gloire : dans le même temps exalter les courages et continuer d’apaiser les passions, les tenir comprimées de telle sorte que les gens de bien, selon la belle expression de Richelieu, dorment en paix à l’ombre de vos veilles, et que les laborieux dont la masse de la société se compose se livrent en tous sens au développement légitime de leur activité, que dis-je ? […] Ce n’est pas un rêve que de croire qu’il serait utile de voir se produire quelquefois de beaux essais de ce que j’appelle une littérature d’État, c’est-à-dire d’une littérature affectionnée, qui ne soit pas servile, mais qui ose relever les vrais principes, honorer les hommes par leur côté principal et solide, rappeler derrière les jeux brillants et souvent trompeurs de la scène les mérites de ceux qui, à toutes les époques, ont servi le monde en le rendant habitable d’abord, en le conservant ensuite, en le replaçant, quand il veut se dissoudre, en des cadres fixes, et en luttant contre les immenses difficultés cachées.

1608. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre V. Chanteuses de salons et de cafés-concerts »

Le beau vers qui sert de titre au présent chapitre — je l’affirme hautement — m’appartient en toute propriété et on ne réussira pas à le trouver dans les œuvres complètes de M.  […] Nul n’ose proclamer cette vérité sentie de tous : José-Maria de Heredia est la plus belle illustration de l’affirmation de Banville — encore un grand poète viager dont les vers furent enterrés en même temps que son cadavre, — que la discipline parnassienne peut faire du premier imbécile venu un versificateur correct et sonore. […] est moins belle et plus banale que son âme : il a subi passivement tous les honneurs conventionnels, ceux-là même qui peuvent entraîner les faibles à des compromissions et à des hontes ; il n’a aucune force de résistance et nous avons eu la douleur de voir cet homme, en qui pourtant vit quelque noblesse, manquer un jour de courage civique. […] Quand le reste de ce groupe, riche en versificateurs et pauvre en poètes, sera effacé, deux resteront quelque temps reconnaissables : l’un, éclatant de force et de passion contenue, viril de puissance immobile, grand d’impassibilité apparente et de profondeur désespérée ; l’autre, triste, délicat et tendre ; l’un stoïquement beau d’une sévérité sans défaillance ; l’autre, charmant et un peu décevant comme un sourire de femme.

1609. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — M. de Voltaire, et M. de Maupertuis. » pp. 73-93

M. de Voltaire, qui s’intéressoit à la gloire de l’académie, crut qu’elle alloit directement contre ses droits, qu’elle s’avilissoit & oublioit le plus beau partage des gens de lettres, la liberté & l’égalité. […] Le docteur Akakia se moque surtout de l’idée d’établir une ville latine, du beau projet de ne point payer les médecins, lorsqu’ils ne guérissent pas les malades ; de cette comète qui viendra voler notre lune, & porter ses attentats jusqu’au soleil  ; de ces observations nouvelles sur la génération ; de l’âge de maturité qui est la mort, & non l’âge viril ; de la démonstration, par algèbre, de l’existence de dieu ; du moyen de connoître & de prédire sûrement l’avenir ; du conseil de dissequer des cervaux de géans hauts de onze pieds, & d’hommes velus portant queue, afin de sonder la nature de l’intelligence humaine . […] Dans le temps de cette aventure fâcheuse, on donna au théâtre François Alzire, Zaïre, Mérope & les plus belles pièces du même auteur. […] L’exemple de ce grand poëte & les vers* d’Alain Chartier, sont une belle leçon : Le chagrin suit les cours ; fuis-les pour être heureux.

1610. (1860) Ceci n’est pas un livre « Le maître au lapin » pp. 5-30

Cette accusation de meurtre a beau être accolée à un nom de fantaisie (Chien-Caillou), elle met Rodolphe hors de lui toutes les fois qu’il y songe. […] Dans ces idées, Paris restait pour lui une ville impossible, où la misère avait trop beau jeu. […] Et, comme il n’avait point lu madame de Staël, il n’eut pas grand-peine à trouver la Garonne plus belle que le ruisseau de la rue Saint-Jacques. […] Je me rappelle pourtant (et je vais terminer par là), mais trop vaguement pour la décrire avec détail, une très belle composition intitulée le Char gaulois : — Les compagnons du brenn, l’haleine encore essoufflée par le dernier combat, se remettent en marche, fuyant les émanations pestilentielles du champ de bataille.

1611. (1811) Discours de réception à l’Académie française (7 novembre 1811)

Il est à la fois doux et pénible de succéder à ceux qui nous furent chers : quelque beau que soit l’héritage, il est moins précieux par les jouissances qu’il promet, que par les souvenirs qu’il perpétue. […] L’homme a beau varier ses compositions, l’écrivain a beau s’exercer dans les genres les plus différents, tout ce qui sort de sa plume porte le cachet de son talent naturel. […] C’est un des privilèges de ce beau siècle, tout en restera.

1612. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Rigault » pp. 169-183

Rigault, qui vivait alors, Rigault, talent tout de culture, mais qui, sans la culture, n’aurait pas été un talent du tout, était une des plus belles espérances de la littérature scolaire. […] « C’était un habile par tiédeur. » Mais est-il si beau d’être tiède ? […] … Rigault s’agite comme un beau diable, pour qu’on ne s’imagine pas qu’Horace ait chanté le pouvoir absolu et qu’il eût du pouvoir la même conception que Bossuet (textuel). […] Il n’y a pourtant de beau dans le monde que le dévouement et que l’héroïsme, et si l’excessif n’est pas toujours sublime, le sublime est toujours excessif, depuis le : Qu’il mourût !

1613. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Histoire des Pyrénées »

Nature particulière de climat, de production et de situation ; influence de ces agents physiques sur les habitants qui viennent successivement s’y fixer ; importance des révolutions intérieures qui agitèrent ces populations ; part immense qu’elles prirent aux événements qui se déroulèrent dans l’Espagne et dans les Gaules… » Et, plus loin, il ajoute encore : « Si les champs catalauniques furent, au temps d’Attila, selon la belle expression de Jornandès : l’aire où venaient se broyer les nations, les Pyrénées, au contraire, furent la retraite bienfaisante où les débris de ces mêmes nations abritèrent leurs pénates et leurs croyances… Lorsque le mouvement torrentiel des diverses races a fini de s’agiter à leur base, l’historien retrouve dans leurs vallées l’Ibère, le Gaulois et le Cantabre, avec leurs forces primitives, leurs fueros, leur farouche liberté. […] , pas d’armées roulantes, pas d’épées jetant ces beaux éclairs qui civilisent ! […] Cénac-Moncaut avait bien le droit, lui, de se dévouer au service de leur mémoire ; mais, doué de talent et de science comme il l’est, il est fait certainement pour autre chose que pour écrire une histoire provinciale, qui n’est jamais, après tout, que l’équarrissage d’un bloc historique plus considérable et plus beau. […] Pour donner une idée des choses excellentes et souvent fort belles que nous perdons dans cette espèce d’étouffement de l’esprit de l’auteur par les détails de son récit, nous transcrirons tout entier un passage que nous trouvons dans son quatrième volume, et qui nous a paru avoir la profondeur et la mâle mélancolie de Bossuet lui-même, quand Bossuet est seulement historien.

1614. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Le comte de Gobineau » pp. 67-82

C’est déjà beau et difficile que cette manière d’écrire l’Histoire, et l’homme qui réussit à l’écrire est aussi grand qu’elle. […] III Il est des scènes dans ce livre d’une beauté absolue, mais les moins belles sont encore tout ce qu’elles doivent être. […] Pour se faire bien comprendre, il faut en revenir sans cesse à l’image de la glace, de cette glace d’une si belle eau et dont le seul enchantement — comme pour les cœurs — est d’être très pure et très fidèle. […] S’il eût vécu, nous aurions pu juger du talent de Gobineau comme sculpteur, et si ses figures de marbre auraient été aussi belles que ses figures historiques…

1615. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Horace Walpole »

Il était fils de ministre, de ce Robert Walpole, le Robert-le-Diable de la corruption, qui savait le taux des consciences de son temps et qui les achetait, ces laides filles, comme si elles avaient été belles et qu’il eût été un marchand turc… Horace Walpole était un lettré sur toutes les coutures. […] Il a vécu une vie pleine de jours, comme dit la Bible, et il a eu beau faire le dégoûté, le hautain, le railleur avec soi-même et avec les autres, dans ses lettres, il ne l’était pas tant que cela ! […] … Côté très inférieur dans sa personne pour un dandy, c’est-à-dire pour un homme qui sent en soi quelque chose de plus grand que ce qui se voit et qui doit avoir le beau don naturel de l’indifférence ! […] c’est une religieuse de quarante ans, une Madame de Cambis, belle comme une Madone (dit-il) sous sa guimpe et sous son bandeau, et entraperçue une minute, dans une visite de curiosité à Saint-Cyr.

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