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1242. (1898) XIII Idylles diaboliques pp. 1-243

En somme, l’art n’est plus pour eux qu’une sorte d’amusette destinée à leur faire oublier l’existence. […] Vous serez le paria de l’Art pour l’Art. […] … L’art est un sacerdoce… MAÎTRE PHANTASM. […] Il t’a donné un spécimen du grand Art de l’époque. […] En outre, je m’intéresse à l’art, pourvu qu’il soit raffiné, au-dessus de la compréhension du vulgaire.

1243. (1914) En lisant Molière. L’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

Nous nous en occuperons donc quand nous en serons à étudier les principes généraux de Molière sur L’art dramatique. […] Pour qu’il fasse de pareilles fautes contre l’art, il faut que Molière ait pour les servantes une dévotion toute particulière qui aurait dû lui faire trouver grâce auprès de Jean-Jacques Rousseau. […] Le naturel dans tout l’art théâtral, c’est la ressemblance avec la vie. […] Quand il parlait de l’art d’apprivoiser les règles, Corneille était ingénieux aussi, mais avait une vue moins précise. […] Qu’il soit poète épique proprement dit, ou romancier, ou dramatiste tragique, ou dramatiste comique, c’est son premier office, le but essentiel de son art et le plus grand titre qu’il ait à la gloire s’il réussit.

1244. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Notes et pensées » pp. 441-535

Vos rimes en général sont bonnes ; vous sentez l’art, et vous vous plaisez à en tresser les délicatesses. […] Elle se tua en dehors de son art : les facultés physiques, excepté aux beaux et sublimes endroits, la trahissaient dans la continuité du rôle. […] — Talma tirait parti de tout pour son art ; en toute situation, il observait la nature. […] Et, en effet, toute la calamité de la poésie française, tout son dénûment d’art est dans ce mot de Fontenelle qui est bien le mot d’un Français. […] Ce ne sont que des arts qui s’allongent et s’amplifient tant qu’ils peuvent pour occuper, faire valoir et faire vivre l’ouvrier.

1245. (1925) Dissociations

Si l’œuvre était très médiocre, si elle n’avait vraiment aucun rapport avec l’art, cela ne choquerait personne, mais étant d’art elle doit être également de morale. […] Boutroux, mais ni en art ni en philosophie on ne mesure la valeur à la popularité. […] Destructrice d’art, l’école est peut-être aussi destructrice de science et destructrice d’invention et d’énergie. […] Elle prohiberait l’absurde « film d’art » et ne tolérerait que le film sans art, celui qui est la représentation toute bête d’un fait ou d’un spectacle naturel. […] Quel art serait le cinéma sans le film d’art !

1246. (1925) Promenades philosophiques. Troisième série

L’art fut révélé à Ruskin par la nature elle-même, et il ne fit jamais une distinction bien nette entre l’art et la nature. […] Assurément si le nu disparaissait de l’art, l’art y perdrait la plus grande partie de ses charmes, mais il faut convenir que l’art du nu est de l’art d’atelier et que la nature, notre nature telle que nous la vivons, n’en présente pas le spectacle direct. […] L’ami des oiseaux connaît l’art des nuances et des accords. […] L’art doit être à la mode ou créer la mode. […] L’art grec, lui aussi, fut un ( ?)

1247. (1893) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Cinquième série

Comme elle venait régner en France, il en aurait tiré un augure favorable pour les arts et la littérature de ce pays. […] L’art aussi bien lui est indifférent, et, sans doute, l’une des choses qui l’intéressent le moins au monde, c’est la valeur littéraire des œuvres. […] Elle est l’art de douter. […] Il avait aussi l’art d’égayer les questions les plus graves. […] Boileau lui répondit dans le troisième chant de son Art poétique.

1248. (1884) Cours de philosophie fait au Lycée de Sens en 1883-1884

C’est ainsi que l’on dit : la philosophie de l’art, la philosophie de l’histoire. […] L’art a pour objet d’exprimer le beau : le beau est idéal ou n’est pas. La science, non l’art, a pour objet de nous apprendre ce qui existe. […] Mais il n’est pas un art s’il proscrit l’idéal. […] Arts communs à l’ouïe et à la vue : Art dramatique, art oratoire.

1249. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIe entretien. Cicéron » pp. 81-159

Il publia en même temps des livres sur la langue, sur la rhétorique, sur l’art oratoire, qui décelaient la profondeur et l’universalité de ses études. […] Invention des arguments, enchaînement des faits, conclusion des témoignages, élévation des pensées, puissance des raisonnements, harmonie des paroles, nouveauté et splendeur des images, conviction de l’esprit, pathétique du cœur, grâce et insinuation des exordes, force et foudre des péroraisons, beauté de la diction, majesté de la personne, dignité du geste, tout porta, en peu d’années, le jeune orateur au sommet de l’art et de la renommée. […] Ils étudiaient ensemble : l’acteur, à imiter les intonations, les attitudes et les gestes que la nature inspirait d’elle-même à Cicéron ; l’orateur, à imiter l’action que l’art enseignait à Roscius ; et, de cette lutte entre la nature qui imite et l’art qui achève, résultait, pour l’acteur et pour l’orateur, la perfection, qui consiste, pour l’acteur, à ne rien feindre au théâtre qui ne jaillisse de la nature, et, pour l’orateur, à ne rien professer à la tribune qui ne soit avoué par l’art et conforme à la suprême convenance des choses, qu’on nomme le beau. […] Le métier tue l’art : la voix tonne, la poitrine n’y résonne pas ; il y a un rôle dans la harangue, il n’y a point d’âme et par conséquent point d’immortalité. […] Les vents étésiens, qui soufflent du nord pendant la canicule, en rafraîchissant la température ; des jardins en terrasses descendaient d’étages en étages de la maison aérée à la plage humide ; des cavernes naturelles, achevées par l’art, pavées de mosaïques, entrecoupées de bassins où l’eau de la mer, en pénétrant par des canaux invisibles, renouvelait la fraîcheur, y servaient de bains.

1250. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gabrielle d’Estrées. Portraits des personnages français les plus illustres du XVIe siècle, recueil publié avec notices par M. Niel. » pp. 394-412

Niel, bibliothécaire au ministère de l’Intérieur et amateur éclairé des arts et de l’histoire, publie depuis 1848 une suite de portraits ou crayons des personnages célèbres du xvie  siècle, rois, reines, maîtresses de rois, le tout formant déjà plus d’un volume in-folio. […] Niel n’a pas voulu traiter encore les questions délicates d’art et d’école que cet ordre de dessins soulève : il n’a fait que les indiquer dans son avant-propos, réservant ce sujet pour une époque plus avancée de sa publication, lorsque les pièces seront rassemblées en grand nombre et qu’il en ressortira plus de lumière. […] On a publié, il y a quelques années70, une notice historique sur l’Inventaire des biens meubles de Gabrielle d’Estrées, inventaire dont le manuscrit est conservé aux Archives impériales : rien n’égale la richesse, la somptuosité et les recherches d’art et de magnificence dont s’environnait Gabrielle tant dans son ameublement que sur sa personne. […] Ce fut l’art et le charme de Gabrielle d’avoir su mettre dans cette existence plus qu’équivoque et si affichée une sorte de dignité et quelque air de décence.

1251. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — III. (Suite et fin.) » pp. 454-472

Mais n’est-ce donc rien que ce bon sens continu de l’expression, cette absence de tout ton faux, et une élégance ferme et précise qui est aussi une des formes excellentes de l’art d’écrire ? […] Mais dans les termes où il s’exprime, il n’y a jamais rien qui ne soit d’une observation sensée et incontestable. — Un des épisodes les plus célèbres de l’Histoire de Venise est la fameuse et à la fois obscure conjuration de 1618, racontée par Saint-Réal avec tant d’art et de vérité que quelques-uns l’ont crue même en partie imaginée par lui. […] Daru dans sa campagne de Bêcheville : il y manque je ne sais quoi, peu de chose, un dernier tour, pour que l’art complet, l’art antique et fin s’y retrouve.

1252. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — II. (Fin.) » pp. 495-513

Ce qui aujourd’hui nous paraît surtout absent dans la traduction de Mme Dacier n’était point alors ce qui nuisait le plus à Homère, et, si elle avait mis à quelque degré dans son style de ces couleurs et de ces tons homériques que retrouvèrent plus tard, dans leur art studieux, André Chénier et Chateaubriand, il est à croire que de tels passages n’auraient point paru les moins gais à ces chevaliers à la mode dont nous avons des copies chez Regnard ou chez Dancourt, à ces jolies femmes de Marly que la duchesse de Bourgogne guidait au jeu et au plaisir, ou à ces esprits ingénieux et froids que Fontenelle initiait à la philosophie. […] Le Nôtre, qui était le premier homme du monde dans son art, n’a jamais observé dans ses jardins une symétrie plus parfaite ni plus admirable que celle qu’Homère a observée dans sa poésie. […] En face de ce colosse d’érudition et de pédantisme, elle fut même relativement légère et spirituelle : Quand je lui ôterai le mérite d’avoir entendu Homère et pénétré l’art de la poésie, disait-elle du docte jésuite, je ne lui ôterai presque rien : il lui reste des richesses infinies : au lieu que moi, si le révérend père m’avait ravi le médiocre avantage d’avoir passablement traduit et expliqué ce poète et démêlé l’art du poème, je n’aurais plus rien ; c’est la seule petite brebis que je possède116 ; je l’ai nourrie avec soin, elle mange de mon pain et boit dans ma coupe : serait-il juste qu’un homme si riche vînt me la ravir ?

1253. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — I » pp. 356-374

Pendant que je la lisais, je me rappelais bien souvent cette autre correspondance récemment publiée, si étonnante, si curieuse, si pleine de lumière historique et de vérité, entre deux autres frères, couronnés tous deux, le roi Joseph et l’empereur Napoléon ; et, sans prétendre instituer de comparaison entre des situations et des caractères trop dissemblables, je me bornais à constater et à ressentir les différences : — différence jusque dans la précision et la netteté même, poussées ici, dans la correspondance impériale, jusqu’à la ligne la plus brève et la plus parfaite simplicité ; différence de ton, de sonoréité et d’éclat, comme si les choses se passaient dans un air plus sec et plus limpide ; un théâtre plus large, une sphère plus ample, des horizons mieux éclairés ; une politique plus à fond, plus à nu, plus austère, et sans le moindre mélange de passe-temps et de digression philosophique ; l’art de combattre, l’art de gouverner, se montrant tout en action et dans le mécanisme de leurs ressorts ; l’irréfragable leçon, la leçon de maître donnée là même où l’on échoue ; une nature humaine aussi, percée à jour de plus haut, plus profondément sondée et secouée ; les plaintes de celui qui se croit injustement accusé et sacrifié, pénétrantes d’accent, et d’une expression noble et persuasive ; les vues du génie, promptes, rapides, coupantes comme l’acier, ailées comme la foudre, et laissant après elles un sillon inextinguible54. […] [NdA] « Car, après tout, c’est sous la protection de l’art militaire que tous les autres arts fleurissent, et, dans un pays comme le nôtre, l’État se soutient autant que les armes le protègent.

1254. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

Renan, dans ses diversions vers l’Art, n’a rien écrit de plus fin, de plus pénétrant, de plus touchant, que ce qu’il a donné sur la Tentation du Christ, d’Ary Scheffer ; c’est dans ce morceau d’une parfaite élégance et d’un exquis raffinement moral qu’il nous a peut-être livré le plus à nu le secret de son procédé, la nature et la qualité de son âme, et la visée de son aspiration dernière : « Toute philosophie, dit-il, est nécessairement imparfaite, puisqu’elle aspire à renfermer l’infini dans un cadre limité… L’Art seul est infini… C’est ainsi que l’Art nous apparaît comme le plus haut degré de la critique ; on y arrive le jour où, convaincu de l’insuffisance de tous les systèmes, on arrive à la sagesse… » Ceux qui craignaient d’abord que, malgré les précautions sincères de M.  […] J’aurais aimé, du moins, au sujet des Essais, là où je me sens un peu plus sur mon terrain, à indiquer ceux qui me paraissent dans leur genre des morceaux accomplis ou charmants (le Lamennais, les Souvenirs d’un vieux professeur allemand, sur l’Art italien catholique, sur l’auteur de l’Imitation de Jésus-Christ, etc.) ; mais je me hâte et ne crains pas d’aborder un seul et dernier point, celui qui intéresse le plus vivement, à l’heure qu’il est, le public et la jeunesse.

1255. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français »

Ces deux formes si inégales ont éprouvé chez nous des destinées bien différentes : la dernière, une des plus nobles formes de l’art, une des créations choisies de l’esprit humain, a fourni d’immortels chefs-d’œuvre et a mis pour jamais en lumière les noms les plus glorieux de notre littérature et de notre poésie ; l’autre forme, au contraire, n’a promu à la célébrité (au moins chez nous) aucun nom d’auteur et de poëte, et n’a laissé, quoi qu’on s’efforce de faire aujourd’hui pour être juste, que des œuvres sans élévation, sans action durable et féconde. […] Selon lui, cette abbaye de Gandersheim aurait été au xe  siècle comme la royale maison de Saint-Cyr au xviie , un théâtre de représentations dramatiques choisies ; il l’appelle un des glorieux berceaux de l’art des Lope de Vega, des Calderon et des Corneille. […] Moland, de même, pense que ce sont des « exercices de rhétorique » qui pourraient bien n’avoir jamais été joués, et qui n’appartiennent pas aux origines de l’art moderne, mais à la décadence de l’art ancien.

1256. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Études de politique et de philosophie religieuse, par M. Adolphe Guéroult. »

Israël et le Magnificat ; que tout ce qu’il y a de poésie dans le culte chrétien, l’encens, les chasubles brodées d’or, les longues processions avec des fleurs, léchant, le chant surtout aux fêtes solennelles, grave ou lugubre, tendre ou triomphant, l’a vivement exalté ; qu’il a respiré cet air, vécu de cette vie, et que, par conséquent, il a dû pénétrer plus avant dans le sens et l’intelligence de la musique chrétienne que beaucoup de jeunes gens qui, nourris des traditions de collège et ne voyant dans la messe qu’une corvée hebdomadaire, ne se seraient jamais avisés d’aller chercher de l’art et de la poésie dans les cris inhumains d’un chantre à la bouche de travers. » Et plus loin, insistant, sur le caractère propre, à ces chants grandioses ou tendres, et qu’il importe de leur conserver sans les travestir par trop de mondanité ou d’élégance, devançant ce que MM. d’Ortigue et Félix Clément ont depuis plaidé et victorieusement démontré, il dira (qu’on me pardonne la longueur de la citation, mais, lorsque je parle d’un écrivain, j’aime toujours à le montrer à son heure de talent la plus éclairée, la plus favorable, et, s’il se peut, sous le rayon) : « J’ai dit tout à l’heure, en parlant du Dies iræ, que je ne connaissais rien de plus beau ; j’ai besoin d’y revenir et de m’expliquer. Certes, je suis loin de méconnaître les progrès que l’art musical a faits depuis les couvents, j’ai admiré plus que tout autre le Requiem de Mozart et les messes de Cherubini, et, pour qui se tient au point de vue de l’art pur, nul doute que les vastes proportions, la richesse d’harmonie, les grands effets d’instrumentation des compositions modernes n’offusquent singulièrement la simplicité, la nudité du chant grégorien ; sous ce rapport, il n’y a pas de comparaison à établir : mais voulez-vous sentir où gît la supériorité réelle du simple chant d’église ? […] en France, le grand art consistera toujours à savoir user tantôt de l’une, tantôt de l’autre, à bien distinguer les temps et les moments : dans ce double jeu, la théorie peut avoir tort, l’habileté supérieure aura raison.

1257. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Œuvres de M. P. Lebrun, de l’Académie française. »

Le ciel de l’art et de la poésie se dépeuple. […] De nouveaux noms de poètes se lèvent et scintillent sur bien des points, un peu confusément et au hasard, sans prééminence d’aucun ; il serait prématuré et téméraire d’entreprendre de les classer ; mais, en première ligne désormais, le dernier et le plus jeune d’entre les anciens, se détache et brille un rare talent, une muse charmante, capricieuse, colorée de tous les tons, philosophique aussi à sa manière, et qui n’a pas encore reçu les couronnes qui lui sont dues : tous ceux qui aiment l’art et qui apprécient le style ont nommé Théophile Gautier. […] Lebrun qu’un homme de lettres et un homme de talent s’essayant avec art, avec étude, avec élégance, à des productions estimables et de transition. […] Et pourquoi ces perpétuelles exclusions dans l’art ?

1258. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Observations sur l’orthographe française, par M. Ambroise »

On objecte toujours l’usage ; mais il y a une distinction à faire, et que Dumarsais dès le principe a établie : c’est la prononciation qui est un usage, mais l’écriture est un art, et tout art est de nature à se perfectionner. « L’écriture, a dit Voltaire, est la peinture de la voix : plus elle est ressemblante, meilleure elle est. » Il importe sans doute, parmi tous les changements et les retouches que réclamerait la raison, de savoir se borner et choisir, afin de ne point introduire d’un seul coup trop de différences entre les textes déjà imprimés et ceux qu’on réimprimerait à nouveau ; il faut les réformer, non les travestir. […] Que dirait-on si le nomenclateur de ces derniers arts avait imaginé de les intituler la photographe, la télégraphe ? […] Cette espèce d’accident et d’affront qui a défiguré tout d’abord d’une manière irréparable le mot même exprimant l’art d’écrire avec rectitude, nous est un avertissement qu’en telle matière il ne faut pas ambitionner une réforme trop complète, que la perfection est interdite, qu’il faut savoir se contenter, à chaque reprise, du possible et de l’à peu près.

1259. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Fontaine »

Le nôtre est plus simple : nous avons quelques principes d’art et de critique littéraire, que nous essayons d’appliquer, sans violence toutefois et à l’amiable, aux auteurs illustres des deux siècles précédents. […] A l’âge d’or de fantaisie et d’opéra rêvé par La Curne de Sainte-Palaye et Tressan20, ont succédé des études plus sévères, qui ont jeté quelque trouble dans le premier arrangement romanesque ; puis ces études, de plus en plus fortes et intelligentes, ont rencontré au fond un âge non plus d’or, mais de fer, et pourtant merveilleux encore : de simples prêtres et des moines plus hauts et plus puissants que les rois, des barons gigantesques dont les grands ossements et les armures énormes nous effraient ; un art de granit et de pierre, savant, délicat, aérien, majestueux et mystique. […] Béranger, comme tous les grands poëtes de ce temps, même les plus instinctifs, a su parfaitement ce qu’il faisait et pourquoi il le faisait : un art délicat et savant se cache sous ses rêveries les plus épicuriennes, sous ses inspirations les plus ferventes ; honneur en soit à lui ! […] Au premier abord, et à ne juger que par les œuvres, l’art et le travail paraissent tenir peu de place chez La Fontaine, et si l’attention de la critique n’avait été éveillée sur ce point par quelques mots de ses préfaces et par quelques témoignages contemporains, on n’eût jamais songé probablement à en faire l’objet d’une question.

1260. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVI » pp. 413-441

Sans doute on ne peut pas plus comparer La Bruyère à Molière qu’on ne compare le talent de peindre les caractères à celui de les faire agir et de faire sortir leurs traits de la situation où l’art sait les placer ; mais, supérieur à Molière par l’étendue, la profondeur, la diversité, la sagacité, la moralité de ses observations, il est son émule dans l’art d’écrire et de décrire, et son talent de peindre est si parfait, qu’il n’a pas besoin de comédiens pour vous imprimer dans l’esprit la figure et le mouvement de ses personnages. […] La dixième satire de l’auteur, publiée en 1693 contre les femmes, parle d’une                                                    Précieuse, Reste de ces esprits jadis si renommés, Que d’un coup de son art Molière a diffamés… C’est chez elle toujours que de fades auteurs S’en vont se consoler du mépris des lecteurs ; Elle y reçoit leur plainte, et sa docte demeure. […] Toujours est-il certain que ces vers ne peuvent être appliqués à personne de l’ancien l’hôtel de Rambouillet, puisque l’hôtel de Rambouillet n’existait plus à l’époque où a paru Phèdre, puisque ce ne sont point les personnes de l’hôtel de Rambouillet que Molière a diffamées d’un coup de son art, puisqu’enfin toutes les personnes qui avaient eu jadis des relations avec l’hôtel de Rambouillet, telles que la duchesse de Longueville et sa société, étaient toutes hautement pour la Phèdre de Racine, contre cette de Pradon, étaient toutes du parti du prince de Condé protecteur de Racine et de Boileau, contre les Nevers et les Mancini protecteurs et protectrices de Pradon, et goûtaient fort le sonnet qui, répondant à celui de madame Deshoulières, sur les mêmes rimes, reportait sur Hortense Mancini cette espèce de difformité que madame Deshoulières avait reprochée à l’Aricie de Racine129.

1261. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Mme de Genlis. (Collection Didier.) » pp. 19-37

Tous ces goûts, tous ces talents divers, tous ces arts d’agrément, tous ces métiers (car elle n’omettait pas même les métiers), faisaient d’elle une Encyclopédie vivante qui se piquait d’être la rivale et l’antagoniste de l’autre Encyclopédie ; mais ce qui donnait l’âme et le mouvement à cette multitude d’emplois, c’était une vocation qui les embrassait, les ordonnait et les appliquait dans un certain sens déterminé. […] La Harpe, à qui la prose ne suffisait plus pour exhaler son enthousiasme, s’écriait en vers : Ton art, belle Genlis, l’emportant sur le nôtre, Ne fait parler qu’un sexe et charme l’un et l’autre. […] Elle lui avait fait apprendre, en effet, et manipuler dès l’enfance tant de choses diverses, qu’il n’était presque aucune branche des connaissances ni des arts sur laquelle il ne pût se croire du métier, de manière à en remontrer à chacun dans l’occasion : il le laissait peut-être trop voir étant roi. […] dont je parlais l’autre jour, et qui embrassait les deux termes de l’art et de l’admiration humaine !

1262. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — III. (Suite et fin.) » pp. 128-145

Pendant toute la durée de ce ministère Périer, Carrel développa son opposition dans des articles d’une chaude véhémence et d’une logique aguerrie, qui constituent tout un art savant de bataille et où il ne fut pas toujours vaincu. […] Il y a dans cet assemblage d’idées, sans que j’y insiste, une de ces contradictions essentielles, et que la passion seule a l’art de réunir et de se dissimuler. […] Habile et prudent jusque dans ses colères, plus consommé qu’on ne le croirait dans l’art de se servir de la légalité et d’atteindre jusqu’à l’extrême limite sans l’outrepasser, il crut qu’il pourrait toujours gagner ses procès, et il se trompa. […] Une brochure de lui publiée en 1833 (Extrait du dossier d’un prévenu, etc.) nous le montre, dans un travail pénible et embarrassé, essayant de maintenir une sorte d’union et de transaction entre les violents et les modérés du parti, de couvrir les dissidences profondes de doctrines, et, à cet effet, on le voit épuiser un art infini autour de cet odieux Robespierre, que les fanatiques mettaient toujours en avant.

1263. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Regnard. » pp. 1-19

On regrette en cet endroit que Regnard n’ait pas fait comme pour ses autres voyages, qu’il n’ait pas donné un récit tout nu et sans ombre d’art : ce serait aujourd’hui plus intéressant pour nous. […] Au lieu de cela, dans le roman, Regnard est présenté comme peintre (ce qui est infiniment plus noble), et comme jouissant, à la faveur de cet art, de quelque liberté. […] Est-ce ainsi qu’autrefois, dans ma noire soupente, À la sombre lueur d’une lampe pliante, Feuilletant les replis de cent bouquins divers, J’appris pour mes péchés l’art de forger des vers ? […] Le poète Palaprat répondait aussi aux censeurs de Regnard par un joli rondeau à la louange de son ami, commençant par ces vers : Il est aisé de dire avec hauteur, Fi d’une pièce, en faisant le docteur… Et le premier mot du rondeau revient heureusement à la chute, en s’appliquant à Regnard : De notre scène il sait l’art enchanteur, Il y fait rire, il badine avec grâce,             Il est aisé.

1264. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Alfred de Vigny »

Il fallait se rappeler encore — et surtout — l’art profond de ce créateur du roman historique qu’il est de mode présentement d’abaisser, mais qui restera immortellement ce qu’il est : le premier des hommes après Shakespeare, et, comme lui, se bien garder de mettre sur le premier plan une histoire connue et sur laquelle la Rêverie, comme la Curiosité, s’est épuisée ; mais la donner pour fond, dans la vapeur féconde des distances et l’adoucissement des lointains, à une autre histoire inventée, celle-là, avec ses séries d’incidents et son cortège de personnages ! […] Le romancier qui soutient trop une thèse (voilà le défaut, malgré la grâce et les ressources de son talent), pose en fait que tous les gouvernements sont, (l’essence, les ennemis de la pensée, de l’art, de la poésie, ce qui n’est pas nécessairement, et il le prouve (on prouve tout ce qu’on veut quand on a de l’esprit et de l’invention dans l’esprit) par trois romans historiques qu’il a comme incrustés dans un premier roman, qui est la base même de sa thèse, discutée entre Stello, le poète spleenétique, et le docteur Noir, son médecin. […] Il y a là une humour inspirée et un art savant et volontaire de l’effet le plus saisissant et le plus neuf. […] Est-ce un livre d’art ?

1265. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 211-219

Les rêveries de nos Philosophes sur l’origine du monde, la formation de la matiere, les propriétés du mouvement, &c. sont exposées, dans ces Lettres, avec un tel art, que les notions élémentaires de la Physique ne sont pas même nécessaires au Lecteur, pour saisir l’ensemble des systêmes philosophiques & en sentir toute l’absurdité. […] En poursuivant les prétendus Sages de ce siecle dans la carriere des Arts & de la Politique, où ils n’ont pas moins extravagué que dans la Physique, il aura sur les autres adversaires de la Philosophie, l’avantage d’avoir combattu des erreurs dangereuses, avec les seules armes du ridicule & de la bonne plaisanterie.

1266. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 3, que le merite principal des poëmes et des tableaux consiste à imiter les objets qui auroient excité en nous des passions réelles. Les passions que ces imitations font naître en nous ne sont que superficielles » pp. 25-33

Les passions que ces imitations font naître en nous ne sont que superficielles Quand les passions réelles et veritables qui procurent à l’ame ses sensations les plus vives ont des retours si facheux, parce que les momens heureux dont elles font joüir sont suivis de journées si tristes, l’art ne pourroit-il pas trouver le moïen de separer les mauvaises suites de la plûpart des passions d’avec ce qu’elles ont d’agréable ? L’art ne pourroit-il pas créer, pour ainsi dire, des êtres d’une nouvelle nature ?

1267. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 34, du motif qui fait lire les poësies : que l’on ne cherche pas l’instruction comme dans d’autres livres » pp. 288-295

Je comparerois volontiers le coloris avec cette partie de l’art poetique qui consiste à choisir et arranger les mots, de maniere qu’il en résulte des vers qui soient harmonieux dans la prononciation. Cette partie de l’art poetique peut s’appeller la mécanique de la poesie.

1268. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 31, que le jugement du public ne se retracte point, et qu’il se perfectionne toujours » pp. 422-431

La Pucelle devient de jour en jour plus méprisée, et chaque jour ajoute à la véneration avec laquelle nous regardons Polyeucte, Phedre, le Misantrope et l’art poëtique. […] Le commerce avec les anciens, que le renouvellement des lettres et l’invention de l’imprimerie trouvée vers le milieu du siecle précedent, mettoient entre les mains de cinq cens personnes pour une qui les lisoit soixante ans auparavant, dégoûtoit de l’art confus de nos vieux romanciers.

1269. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — III » pp. 455-479

C’est ainsi qu’il eut la bonne fortune d’encourager les débuts laborieux du plus beau génie que l’art se soit choisi pour interprète dans les contrées scandinaves, de celui qui devait tenir le sceptre de la sculpture après Canova, Thorwaldsen. […] En écoutant les critiques de la châtelaine de Coppet et des hôtes distingués qui s’y trouvaient réunis, Bonstetten jugeait ses juges eux-mêmes : sur ce chapitre de l’Italie, il sentait bien le défaut de la cuirasse chez Mme de Staël : « Elle est d’une extrême bonté ; personne n’a plus d’esprit ; mais tout un côté est fermé chez elle ; le sentiment de l’art lui manque, et le beau, qui n’est pas esprit et éloquence, n’existe pas pour elle. » Ceci était parfaitement vrai de Mme de Staël avant Corinne et le séjour en Italie. Il rendait pleine justice à sa merveilleuse intelligence ; « J’ai l’avantage de trouver à Coppet une critique impartiale ; c’est aussi un art de tirer parti de la critique ; souvent je persiste dans mon opinion ; mais Mme de Staël est si libre de préjugés, si claire, que je vois mes tableaux dans son âme comme dans un miroir. » Le Voyage dans le Latium, publié à la fin de 1804, eut du succès, et décida de la rentrée de Bonstetten dans la littérature française. […] Il s’était fait des théories subtiles, mais à son usage et qu’il pratiquait finement, sur l’art de converser, d’écouter, de savoir toujours où en était l’interlocuteur, de lire son sentiment sur sa physionomie : la conversation pour lui était un concert ; l’ennui lui paraissait tenir à un manque d’unité : Une personne très spirituelle verra d’un coup d’œil le ton et l’esprit du salon où elle entre. […] Si Bonstetten avait son secret dans cet art de ne pas vieillir qu’il pratiquait si bien, ce n’était pas seulement en apprenant toujours quelque chose, c’était aussi en aimant toujours quelqu’un.

1270. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « M. MIGNET. » pp. 225-256

Si M ignet se produisait déjà si nettement dans son premier ouvrage par l’expression formelle de la pensée philosophique qu’il apportait dans l’histoire, il ne s’y donnait pas moins à connaître par le sentiment moral qui respire d’une manière bien vive et tout à fait éloquente dans les éloges donnés à saint Louis, à ce plus parfait des rois, du si petit nombre des politiques habiles qui surent unir le respect et l’amour des hommes à l’art de les conduire. […] L’histoire est donc un art ; il y met du sien, de son esprit, il y imprime son cachet, et c’est même à ce prix seul qu’elle est possible. […] Ainsi, dans cette première lutte avec la Hollande et pendant les années qui la préparent (1668-1672), on peut admirer l’art profond avec lequel le roi isole à l’avance ce petit peuple et le sépare successivement de tous ses alliés, pour l’écraser ensuite ; mais patience ! […] On arrive, en continuant de rêver, à se dire que la société est une invention, que la civilisation est un art, que tout cela a été trouvé, mais aurait pu ne l’être pas ou du moins ne l’être qu’infiniment peu, et qu’enfin il y a nécessairement de l’artifice dans ces génies dirigeants. […] On ne peut se dissimuler que, malgré tous les soins et l’art ingénieux de l’historien-rédacteur, elle ne soit souvent pénible et lente à cause de la nature des pièces et instruments qu’elle porte avec elle et qu’elle charrie ; et pourtant, quand on en sort, non pas après l’avoir parcourue (je récuse ces gens qui parcourent), mais après l’avoir lue dans son entier, on se sent dégoûté des autres histoires comme étant superficielles, et il semble qu’on ne saurait dorénavant s’en contenter.

1271. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre II. Deuxième élément, l’esprit classique. »

Obligé de s’accommoder à ses auditeurs, c’est-à-dire à des gens du monde qui ne sont point spéciaux et qui sont difficiles, il a dû porter à la perfection l’art de se faire écouter et de se faire entendre, c’est-à-dire l’art de composer et d’écrire  Avec une industrie délicate et des précautions multipliées, il conduit ses lecteurs par un escalier d’idées doux et rectiligne, de degré en degré, sans omettre une seule marche, en commençant par la plus basse et ainsi de suite jusqu’à la plus haute, de façon qu’ils puissent toujours aller d’un pas égal et suivi, avec la sécurité et l’agrément d’une promenade. […] Point de personnage qui n’y soit un orateur accompli ; chez Corneille, Racine et Molière lui-même, un confident, un roi barbare, un jeune cavalier, une coquette de salon, un valet, se montrent passés maîtres dans l’art de la parole. […] L’art classique ne s’occupe que des premiers ; de parti pris, il efface, néglige ou subordonne les seconds. […] Éloquence, art, situations, beaux vers, tout y est, excepté des hommes ; les personnages ne sont que des mannequins bien appris, et le plus souvent des trompettes par lesquels l’auteur lance au public ses déclamations.

1272. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLIXe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

Son maître, le peintre Ghirlandaio, obtint pour lui de Laurent la permission d’aller dans ses jardins étudier les beaux vestiges d’art qui arrivaient de Grèce. […] Rome, comme capitale des lettres et des arts, régit l’Italie avec le génie de Laurent de Médicis. […] Catherine de Médicis et Marie de Médicis régnèrent en France ; l’Italie poétique et artistique émigra avec elles, les arts les suivirent ; elles bâtirent le Louvre et le charmant château des Tuileries ; leur règne fut le règne de quelques vices et de beaucoup de génie. […] La littérature fleurit ; mais après les Valois, les arts déclinèrent, l’influence des Médicis, excepté en Toscane, périt avec eux. […] Son art et ses ordonnances lui ayant fait défaut, il en fut désespéré, se jeta dans un puits, et médecin, si vous regardez au mot, il rendit sa part d’honneurs au chef de la famille des Médicis.

1273. (1868) Alexandre Pouchkine pp. 1-34

La simplicité et quelquefois je ne sais quelle apparence de désordre pourraient bien n’être chez lui que le calcul d’un art raffiné. […] Il se contentera de sons au lieu de pensées, et croira avoir atteint le but de l’art lorsqu’il aura réjoui les oreilles par une certaine mélodie appréciable par un petit nombre de connaisseurs. […] À la vérité, l’obscurité même qui entoure ces conceptions monstrueuses pourrait devenir un élément poétique si elles se produisaient avec l’art dont Hoffmann et Gogol ont fait preuve dans leurs contes fantastiques. […] C’est dans les récits de cette nature que j’admire surtout sa sobriété et l’art qu’il met à choisir les traits les plus frappants en négligeant maint détail qui nuirait à l’illusion. […] Je ne connais pas d’ouvrage plus tendu, si l’on peut se servir de cette expression comme d’un éloge ; pas un vers, pas un mot ne s’en pourrait retrancher ; chacun a sa place, chacun a sa destination, et cependant en apparence tout cela est simple, naturel, et l’art ne se révèle que par l’absence complète de tout ornement inutile.

1274. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre huitième »

Mais cette préférence ne me gâte ni le plaisir que j’ai à apprendre dans Montesquieu des choses si considérables avec si peu d’efforts, ni les nouveautés de cette étude du cœur humain transportée de l’homme aux sociétés, et de l’individu aux nations, ni les beautés de ces portraits des grands personnages historiques, tirés de la demi-obscurité où les avait laissés l’art ancien, et qui nous font lire dans ces âmes profondes avec l’œil de Montesquieu ; ni tout cet esprit des Lettres persanes, assaisonnant les vérités les plus élevées ; ni cette langue si neuve, qui a gardé la justesse et la propriété de l’ancienne, et qui la rajeunit sans y mettre de fard. […] Avoir sans cesse en vue le public, ne penser à soi qu’après tous les autres, composer, c’est-à-dire s’ajuster à l’esprit d’autrui, sacrifier des idées, ranger celles qu’on choisit, ménager les transitions, non de rhétorique, mais de logique, voilà l’art au dix-septième siècle, et l’art ainsi appliqué est du dévouement. […] Du même pays que Montaigne, presque du même tour d’esprit, il ne s’excepte pas de sa doctrine de l’art pour le plaisir, et il jouit de lui-même. […] un esprit de cette application et de cette force, si profond observateur et si fin, qui, par l’art de diriger son génie vers les études où il était le plus propre, sa vie vers le genre de bonheur dont il était le plus capable, a paru si bien prouver qu’il se connaissait, Montesquieu aurait ignoré quelque chose de l’homme !

1275. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre douzième »

Ses Salons, parmi beaucoup de critiques justes et piquantes, ont le défaut de confondre les limites des arts, et de demander à la palette et au ciseau ce qu’il faut laisser à la plume. […] L’idéal qu’il poursuit dans ses spéculations sur les arts, c’est une scène et des acteurs. […] Les devanciers de Bernardin de Saint-Pierre, dans l’art de peindre les choses de la nature, Fénelon, J. […] Rousseau et de Buffon des beautés de bon aloi ; il a marqué la limite où la peinture des choses visibles cesse d’être un art pour devenir un procédé. […] Au-delà de son art, je ne vois plus que la froide recherche de l’effet et le procédé de l’état de lieux, si fatigant même quand c’est un écrivain qui le dresse.

1276. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre I. Le Bovarysme chez les personnages de Flaubert »

Dans L’Education sentimentale, Flaubert a mis en scène, avec un art singulier, des personnages qui, déformés par une fausse conception d’eux-mêmes, ne relèvent précisément ni du drame ni de la comédie ou qui, au regard d’une observation plus aiguisée, confinent à l’un et à l’autre. […] Il s’est enthousiasmé d’un idéal d’art et de littérature : il voit dans cet enthousiasme une vocation, et il attend la révélation soudaine du don qui va le sacrer poète, peintre ou romancier, tout au moins critique d’art, économiste, historien. […] À la faveur de lectures identiques, Léon s’est composé de l’amour, de l’art et de la nature, une conception analogue à la sienne ; elle pourra être aimée de lui parmi le décor sentimental précis qu’elle a dessiné dans son rêve. […] Elle sait qu’elle en est l’unique instigatrice, elle juge son amant et elle connaît « la petitesse des passions que l’art exagère ». […] La révélation de l’immense richesse intellectuelle qui leur est livrée n’excite en eux qu’un sentiment d’admiration pour la science, pour l’art, pour la philosophie, pour la pensée sous ses formes les plus hautes.

1277. (1856) Les lettres et l’homme de lettres au XIXe siècle pp. -30

Jacques Demogeot, professeur de l’Université, connu par une histoire élégante de la littérature française, et par des études d’art et de poésie. […] À ceux-là, généreux imprudents et qui vont courir tant de hasards, s’ils ont même un véritable talent, que de conseils nouveaux à donner et non prévus par Quintilien, pour leur dignité, pour la conduite et l’économie de leur verve laborieuse, pour la modération des désirs, pour qu’ils ne sacrifient pas l’art au métier, l’inspiration à l’industrie, pour qu’ils ne fassent du moins que les concessions indispensables ! […] Toutes les sciences, tous les arts sont de son domaine : il a bien ses préférences, ses prédilections ; mais il n’exclut, il ne méprise rien. […] Notre Denis à nous, hommes du xixe  siècle, aime les mathématiques ; mais il goûte fort les romans : notre Louis XIV affectionne l’art grec ; mais il est grand partisan du gothique. […] Qu’il soit vrai, qu’il soit grand ; qu’il comprenne son siècle et l’exprime ; que, pareil aux végétaux du globe, il aspire l’atmosphère et la respire purifiée ; qu’il s’élève à toutes les hauteurs de l’art, il atteindra en même temps à celles de la morale.

1278. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — La solidarité des élites »

Figurez-vous un homme aux formes athlétiques, au visage splendide, rempli de séduction et de bonté, se promenant dans les rues, vêtu comme un ouvrier, causant familièrement avec tous, riant, interrogeant ou consolant, aimé de tous pour sa douce majesté, sa cordialité et son humeur joyeuse ; qui se baigne et ensuite se promène nu dans l’herbe humide au soleil, déclarant que « peut-être celui ou celle à qui la libre et exaltante extase de la nudité en pleine nature n’a pas été révélée, n’a-t-il jamais connu le sentiment de la pureté, ni ce que la foi, l’art ou la santé sont dans leur essence » ; parcourant la campagne ou soignant les blessés de la guerre civile ; prêchant l’exaltation de toutes les forces vives de l’individu, et allant vers tous, homme ou femme, les mains tendues, un cordial sourire aux lèvres ; en un mot, réalisant dans sa complète acception, encore insoupçonnée, l’homme de la Démocratie américaine, ou plutôt de la Démocratie universelle. […] Je ne demande pas le grand, le lointain, le romantique ; ce que l’on fait en Italie ou en Arabie ; ce qu’est l’art grec ou le ménestrel provençal, j’embrasse le commun, j’explore et je m’assieds au pied du familier, du bas. […] J’emprunte à Camille Lemonnier quelques-unes des magnifiques paroles qu’il prononça lors de l’inauguration de l’Université Nouvelle ; je n’en connais pas de plus énergiques, de plus nouvelles, de plus généreuses : « … Partant de là, on peut prévoir ce que sera l’art de demain à travers la foi nouvelle qui, refermant le ciel sur un absolu décevant, le rouvre dans la conscience humaine. […] Idéal et symbolique par son essence même, cherchant et formulant les rapports, la loi d’harmonie et d’unité qui régissent les êtres et les choses, l’Art sera la haute vie morale en son effort pour manifester les dieux que nous sommes nous-mêmes… »‌ Retrouver le « divin » en nous comme dans les choses, le sentir au fond de nos êtres comme au fond de chaque vie terrestre, voilà bien la nouvelle conception religieuse. […] Camille Lemonnier représente pour l’art et la pensée belges.‌

1279. (1859) Critique. Portraits et caractères contemporains

— art d’une heure, — qui t’a causé tant de veilles et de travaux ! […] Il veut que tout soit vrai, même dans l’art qui vit le plus de la fiction et du mensonge. […] L’art ne doit parler qu’à l’esprit ; s’il parle aux sens, il se dégrade. […] Et pourtant, dans l’art antique, toute liberté est donnée à la douleur. […] Ces fragments précieux, où se retrouve, en effet, un roi occupé de ce grand art du gouvernement, le plus glorieux et le plus difficile de tous les arts, furent cédés par les inventeurs à la bibliothèque royale pour le prix de cent pistoles !

1280. (1873) Molière, sa vie et ses œuvres pp. 1-196

Chaque spectateur tient essentiellement à ce que les rôles de Molière soient interprétés conformément à la tradition de ce maître en l’art d’écrire les pièces et en l’art de les interpréter. […] Cette note fort curieuse montre quelle sorte d’autorité — toute morale — avait, jusqu’en ces années d’art à la belle étoile, celui qui allait devenir Molière. […] On peut vraiment affirmer qu’en matière d’art il n’est point de génération spontanée. […] Napoléon d’ailleurs, en fait d’art dramatique, préférait l’utilitarisme. […] Molière donc était fort bon comédien et avait sur son art des idées tout à fait sensées et tout à fait justes.

1281. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre II. Prière sur l’Acropole. — Saint-Renan. — Mon oncle Pierre. — Le Bonhomme Système et la Petite Noémi (1876) »

Je savais bien, avant mon voyage, que la Grèce avait créé la science, l’art, la philosophie, la civilisation ; mais l’échelle me manquait. […] Tout ce que j’avais connu jusque-là me sembla l’effort maladroit d’un art jésuitique, un rococo composé de pompe niaise, de charlatanisme et de caricature. […] Mais ces temples me plaisaient ; je n’avais pas étudié ton art divin ; j’y trouvais Dieu. […] J’arracherai de mon cœur toute fibre qui n’est pas raison et art pur. […] La grande profondeur de notre art est de savoir faire de notre maladie un charme.

1282. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre quatrième. Les émotions proprement dites. L’appétit comme origine des émotions et de leurs signes expressifs. »

L’art est une autre forme du même principe. L’expression spontanée des sentiments dans nos organes est déjà un art spontané, identique à la nature même ; l’art supérieur, qui finit aussi par s’identifier à la nature, est expressif selon les mêmes lois que nos organes ; il fait rentrer dans des liens de sympathie non seulement tous les hommes, mais les animaux, les plantes, les objets même qu’on prétend être sans vie, en un mot l’univers. Et c’est l’art qui a raison. La science ne saisit que les rapports extérieurs et mécaniques qui relient les êtres ; l’art va au cœur des choses et, par l’expression sympathique, il nous met en communication avec ce qu’il y a de nous-mêmes dans les divers êtres de la nature, — de nous-mêmes, et aussi de tous les autres. Plus vrai que la science même, l’art nous enlève l’illusion de l’égoïsme et nous donne le sentiment de notre identité fondamentale avec l’univers.

1283. (1896) Les origines du romantisme : étude critique sur la période révolutionnaire pp. 577-607

Les critiques, qui étaient des adversaires politiques, aussi bien ceux qui raillaient sa mystagogie catholique que ceux qui attaquaient sa langue, ses images, ses invraisemblances et ses absurdités, s’inclinaient cependant devant la « fille des palmiers », admirant « la musique nouvelle de la phrase… l’art de varier et de régler le cortège des épithètes… l’accord du son d’un mot avec le sens d’une idée ou la teinte d’une image… le charme inconnu des descriptions ». […] Chateaubriand se révéla artiste incomparable dans cet art de cuisine littéraire ; il enthousiasma les femmes et les hommes et fonda l’école romantique de France. […] L’inceste est une des précieuses ressources de l’art romantique. […] Dumas appelle le capital de la jeune fille. — Les théories ont parfois de curieuses vicissitudes : un pasteur écossais, Malthus, invente une prétendue loi de population et aussitôt des sociétés de bourgeois honnêtes et modérés se fondent pour propager dans le peuple anglais l’art de ne pas procréer des enfants ; elles échouent ; en France, on assourdit le public de déclamations morales contre le malthusianisme et on le pratique au point d’inquiéter les statisticiens. […] Le romantisme qui ne devait formuler qu’en 1830 son fameux axiome, l’art pour l’art, lequel ne devait être appliqué que sous le second Empire par les Parnassiens, est une littérature de classe ; il est vrai que les romantiques ne s’en sont jamais douté, bien que ce soit là son plus sérieux titre à l’attention de l’histoire.

1284. (1870) La science et la conscience « Chapitre III : L’histoire »

Alors on a le spectacle de ces héros, de ces sages, de ces tyrans, de ces grands hommes de la guerre, de la politique, de l’art, de la philosophie, agissant dans toute la liberté de leur caractère, de leurs passions, de leur génie personnel. […] Aristote, qui comprend tout autrement l’origine de la poésie, fait d’Homère un génie aussi libre, aussi personnel que les poëtes des époques postérieures, tels que Pindare, Eschyle, Sophocle ou Euripide ; génie critique autant que créateur, ayant pleine conscience de ce qu’il fait, possédant son art aussi complètement que Virgile ou tel poëte des époques de réflexion. […] Machiavel est peut-être l’historien qui a poussé le plus loin la confiance dans les ressources du génie humain, lui qui enseigne si bien l’art de réussir à tout prix et par l’emploi des plus détestables moyens. […] Ce qui en fait l’immortelle beauté, ce n’est pas seulement la langue, le style, l’art de la composition ; c’est la pensée, l’esprit dans lequel elle est écrite. […] Cela tient avant tout au génie même de l’antiquité, génie essentiellement pratique et politique qui faisait de toute chose, science, art, religion, poésie, histoire, une institution d’État.

1285. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « M. de Fontanes »

L’art pourtant, qui se dérobait, y était d’autant moins étranger. […] « J’ai cru pouvoir citer des vers dans une lettre qui vous est adressée : vous aimez les lettres et les arts. […] L’histoire vous a suffisamment appris que les grands capitaines ont toujours défendu contre l’oppression et l’infortune les amis des arts, et surtout les poëtes, dont le cœur est sensible et la voix reconnaissante. […] En poésie et en art, on est dispensé d’aimer ses héritiers présomptifs, et Fontanes a pu parfois sembler à Delille un héritier collatéral, qui aurait été quelque peu un assassin, si l’indolent avait voulu. […] Un homme de dix-huit ans, ignorant l’art, de l’intrigue et de l’adulation, pouvait-il espérer, en effet, d’être accueilli dans la république des lettres ?..

1286. (1891) Essais sur l’histoire de la littérature française pp. -384

L’art d’écrire lui manque, non le style. […] Quel martyre est-ce de déguster en maître ès arts la quintessence du cynisme ? […] Il a ceci d’excellent pour nous, qu’il a conçu l’art avant tout comme un amusement. […] Le style et l’art de la composition lui ont manqué. […] L’art des vers a été leur préoccupation dominante ; je dis l’art des vers et non la poésie, l’art des vers et non le métier d’écrire.

1287. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXVII » pp. 306-312

. — On trouve aussi que Fouché est jugé un peu favorablement et avec trop d’indulgence ; le portrait de M. de Talleyrand, très-agréable, n’est lui-même qu’ébauché ; l’historien, si bien au fait des secrets les plus honteux, ne peut tout dire ; mais ces portraits sont touchés avec infiniment d’art et de goût. […] Soumet était un poëte habile, rompu à l’art des vers, mais pauvre d’idées et infecté de faux goût.

1288. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Andrieux »

C’était en général à la diction que se bornait cette surveillance de l’aimable et fin aristarque ; on n’abordait pas dans ce temps les questions plus élevées et plus fondamentales de l’art, comme on dit ; quelques maximes générales, quelques préceptes de tradition suffisaient ; mais on savait alors en diction, en fait de vrai et légitime langage, mille particularités et nuances qui vont se perdant et s’oubliant chaque jour dans une confusion, inévitable peut-être, mais certainement fâcheuse. […] Dans le professeur on retrouvait encore le conteur, l’auteur comique ; il avait du bon comédien ; il lisait en perfection, avec un art infini, il jouait et dialoguait ses lectures.

1289. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre III » pp. 30-37

Quand une nation se repose après une révolution ou après de grandes dissensions, le parti victorieux s’applique encore quelque temps après la victoire à exercer une espèce de vengeance morale sur les opinions qui régnaient avant le combat ; il réprouve tout le système des anciennes idées, des anciens principes en morale, en littérature, en philosophie, même dans les arts. […] Quand l’esprit dominant est de rejeter sans examen et sans discernement tout ce qui appartenait au parti vaincu dans les sciences, dans les lettres, dans les arts même, l’ignorance présomptueuse, les doctrines surannées et réduites à l’absurde, les témérités mille fois réprimées des imaginations sans frein et sans guide, les extravagances les plus révoltantes, ont le champ libre, peuvent se donner carrière, faire ligue, se produire mutuellement, et se soutenir par leurs efforts combinés.

1290. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre cinquième. »

Un auteur gâte tout… On voit, par ce petit prologue, que La Fontaine méditait plus qu’on ne le croit communément sur son art et sur les moyens de plaire à ses lecteurs. […] La Fontaine se sert exprès de ces expressions qui appartiennent à l’art de raisonner, que l’homme dit être son seul partage, et que Descartes refuse aux animaux.

1291. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXIII. Des panégyriques en vers, composés par Claudien et par Sidoine Apollinaire. Panégyrique de Théodoric, roi des Goths. »

Les panégyriques de Sidoine Apollinaire, si bien récompensés, sont restés obscurs ; ils n’ont de prix que comme ces monuments gothiques qui servent à faire connaître un siècle, et empêchent un vide dans l’histoire des arts. […] Ainsi, dans l’espace de près de cinq cents ans, les lois, les mœurs, les arts, le gouvernement, la religion, le langage même, tout avait changé ; et dans le pays où César et Caton, Cicéron et Auguste avaient parlé aux maîtres du monde, en attestant souvent les dieux de l’empire et près de l’autel de la victoire, un Gaulois, chrétien et évêque, haranguait en langage barbare, un roi goth venu avec sa nation des bords du Pont-Euxin pour régner au Capitole.

1292. (1891) La bataille littéraire. Quatrième série (1887-1888) pp. 1-398

J’ai toujours défendu ceux qui combattaient pour le vrai et le beau, niant que l’art puisse exister hors de ces limites. […] Un document n’est pas un objet d’art, c’est tout au plus une pierre pour le sculpteur ou l’architecte qui exécutera le plan qu’il aura conçu. […] — J’ai souvent déclaré que je ne comprenais pas, en art, la honte qui s’attache à l’acte de la génération. […] — La question d’art domine tout. […] Avec grand art, M. 

1293. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome II pp. 1-419

L’arrangement des mots n’a rien de laborieux ; l’art du poète est si parfait, qu’il réussit à se cacher tout entier. […] C’est un historien savant à qui l’art a manqué pour populariser son savoir. […] Ses panégyristes ont loué sans réserve ce qu’ils appellent l’art d’élever le débat. […] L’auteur de Claudie me semble avoir parfaitement compris la distinction que j’établis, entre l’art dogmatique et l’art purement poétique. […] Il acceptera les lois de l’art nouveau où il débute si heureusement.

1294. (1891) Lettres de Marie Bashkirtseff

Tu sais que j’adore la peinture, la sculpture, l’art enfin. […] En Égypte, l’art est toujours dans le même état, imposant et absurde. […] Bastien says that it is art even if it were a mere fusain. […] Bastien dit que ce serait de l’art, même si c’était un simple fusain. […] Mais elle a l’amour de tous les arts véritables poussé à un point extrême, presque fou si l’on veut !

1295. (1888) Impressions de théâtre. Deuxième série

Certains objets, abordés franchement comme matière d’art, deviennent par là inoffensifs. […] Son art lui est un vaccin contre les plus graves maladies de l’âme. […] Au reste, la foi absolue qu’il a dans son art entraîne beaucoup de qualités excellentes. […] Est-ce que cela est matière d’art ? […] Dumas le définit d’un mot bien juste : « L’art des préparations ».

1296. (1863) Histoire de la vie et des ouvrages de Molière pp. -252

Pour séduire Molière, il se mit à lui réciter avec beaucoup d’art plusieurs morceaux sérieux et comiques. […] Il voulait aussi que cet homme distingué dans son art prît place à sa table. […] Ils laissaient au vulgaire l’art de parler d’une manière intelligible. […] Mais dans la comédie, son art infini dissimulait ce défaut autant que possible. […] Quel art, quelle variété dans la peinture de cet admirable tableau !

1297. (1894) Critique de combat

L’art, comme la vie, est incessamment mobile. […] Là régnait sans conteste la théorie de l’art pour l’art, une théorie charmante pour les gouvernants qui craignent l’action dissolvante de la pensée. […] Mabilleau n’étudie dans Victor Hugo que l’artiste, comme si l’auteur des Châtiments et des Misérables pouvait être traité en adepte de l’art pour l’art ! […] Il n’a point l’olympienne indifférence des adeptes de l’art pour l’art. […] Beau spécimen d’art absolument individualiste !

1298. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre III. La nouvelle langue. » pp. 165-234

Surtout voici venir la malice alerte, l’art de rire aux dépens du prochain. […] Il s’est avancé de quelques pas au-delà du seuil de l’art, mais il s’est arrêté au bout du vestibule. […] Ailleurs c’est un lieu commun sur l’art qui s’étale au milieu d’une peinture passionnée. […] Style, mètre, rime, langue, tout art a fini ; au-dessous de la vaine parade officielle il n’y a plus qu’un pêle-mêle de débris. […] Renan, de l’Art au moyen âge.

1299. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LEBRUN (Reprise de Marie Stuart.) » pp. 146-189

Voilà ce qu’on se pouvait dire, ce que le poëte aurait pu opposer aux idées de reprise, s’il avait mieux aimé sa tranquille possession de renommée que l’art même, si longtemps glorieux, qu’il a, pour sa part, cultivé d’un noble effort, et qu’il parut, à un certain jour, avoir agrandi. — « J’irai voir ce soir vos Templiers, » disait quelqu’un à M. […] Eh bien, à ce point de vue, on doit le rappeler aux plus sévères, l’intérêt, un intérêt élevé, n’y a pas fait faute aux grands moments voulus et désignés par l’art dans l’architecture graduée de cette forme classique. […] L’art dramatique postérieur, qui fait peut-être fi de tout cela maintenant, aura-t-il donc de loin des témoignages si imposants à offrir dans cet inventaire final qui réduit tant d’œuvres ? […] Il en résulte qu’entre l’ancien art dramatique et le nouveau il n’y a pas eu de pont et qu’on n’a point passé. […] Lebrun dans l’art de son temps, et de rattacher à son nom l’idée qu’il y faut mettre : poëte presque formé déjà sous l’Empire, et qui sut être le semi-romantique le mieux autorisé sous la Restauration.

1300. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « MÉLEAGRE. » pp. 407-444

A mon sens, il y aurait pourtant à gagner beaucoup, même pour des points actuels et toujours pendants d’art et de langage poétique, à cette appréciation exacte, à cette divulgation fidèle de la poésie ancienne originale, et il n’y a que la poésie grecque qui ait en elle cette première originalité. […] qu’en allant au fond de l’art et de la poésie grecque, on arrive à je ne sais quel mélange de laideur et de beauté, et qu’on rejoigne le caractère sauvage, souvent rude et, en tous cas, plus compliqué, de la poésie du Nord, de la poésie shakspearienne ! […] Il n’en reste pas moins vrai qu’à se tenir dans les limites de l’art grec et de cette incomparable poésie proclamée si unanimement un modèle de grandeur et de grâce, on peut aller très-loin, beaucoup plus loin qu’on ne le suppose d’ordinaire ; des traductions senties, fidèles, fidèles à l’esprit non moins qu’à la lettre des textes, et légèrement combinées avec les nécessités comme aussi avec les ressources de notre propre langue, feraient faire à celle-ci des pas très-hardis, très-heureux et, ce me semble, très-légitimement autorisés. […] Quelques critiques insistent avant tout et préférablement sur l’aspect idéal et pur de l’art grec, sur la beauté dont il donne le suprême exemple ; il est permis de ne pas moins insister sur la simplicité inséparable et la vérité qui en sont le fond et l’accompagnement, sur cette naïveté dans le sentiment et dans l’expression, qui se joint si bien à la grâce et qui ajoute aussi au pathétique et à la grandeur. Pour moi, je ne serai content que lorsqu’on aura osé traduire et rendre au vif en français, autant qu’il se peut, ces naïvetés mêmes, ces négligences aimables, ce désordre apparent, né d’un art caché, par où se révèle la passion, et qui insinue la persuasion dans les cœurs, ces hardiesses naturelles qui n’offensent jamais la beauté, mais qui pourtant ne s’y voilent pas, ne s’y confondent pas toujours.

1301. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE IX »

Luxe mou, rose, énervant, sculpture décolletée, céramique d’orgie, peinture érotique, tentation de saint Antoine de l’art libertin, où la Chine grimacière, la Saxe galante et le rococo Pompadour luttaient de minauderies et d’agaceries mignardes pour griser les sens et irriter le désir. […] Tant il est vrai que le sentiment de l’art est inaccessible au mensonge, et que les poupées se sentent mal à l’aise devant les statues. […] Tel est ce drame ardent, vivace, passionné, qui inaugure un nom, qui popularise un théâtre, qui promet un maître à l’art dramatique. […] Artiste en demi-solde, grognard sans chevrons de l’armée de l’art, il ne lui reste plus qu’à fumer sa pipe au pied de la colonne Trajane, en ruminant ses vieux rêves. […] C’est un de ces anges tombés de l’aristocratie, qui s’ennuient dans leur ciel blasonné d’or et d’azur, gardé par les chastes licornes de l’art héraldique, et qui veulent, à tout prix, en descendre, pour se mêler aux saturnales du monde inférieur.

1302. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Alphonse Daudet »

Il a résolu le problème d’art qui posait qu’il faut de certaines proportions pour produire des effets, thèse plus grossière que grandiose. […] L’auteur ne s’occupe que de ses peintures : c’est l’artiste qui ne voit que son art ; mais le penseur, qui voit plus loin, a-t-il jamais trouvé quelque chose de plus formidable contre l’instruction obligatoire, par exemple, — cette sottise de l’orgueil moderne, — que cette affreuse histoire des Ratés ? […] les idées des Jeunes, à ce triste moment de la littérature et des arts, et contre lesquelles protestait la distinction de sa nature. […] C’est le sceptique moderne en tout, excepté en art peut-être ; incrédule à tout, excepté à ce qui est beau. […] … Les choses racontées ou dramatisées dans cette œuvre d’art sont-elles vues dans une vérité qui n’est pas uniquement la vérité de l’art ?

1303. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre II. Axiomes » pp. 24-74

En tout les hommes suppléent à la nature par une étude opiniâtre de l’art ; en poésie seulement, toutes les ressources de l’art ne feront rien pour celui que la nature n’a point favorisé. — Si la poésie fonda la civilisation païenne qui devait produire tous les arts, il faut bien que la nature ait fait les premiers poètes. […] C’est ce qui peut faire comprendre, pourquoi tous les arts de nécessité, d’utilité, de commodité, et même la plupart des arts d’agrément, furent trouvés dans les siècles poétiques, avant qu’il se formât des philosophes : les arts ne sont qu’autant d’imitations de la nature, une poésie réelle, si je l’ose dire.

1304. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Instruction générale sur l’exécution du plan d’études des lycées, adressée à MM. les recteurs, par M. Fortoul, ministre de l’Instruction publique » pp. 271-288

Pourtant, dans une société où l’industrie, et les arts dont elle dispose, gagnaient de plus en plus et pénétraient la vie ; où les sciences physiques, dans leurs mille applications, se partageaient le monde ; où mille voies légitimes étaient offertes à l’activité et à l’intelligence humaine, il était difficile (chose singulière !) […] Ravaisson, dont l’esprit métaphysique est si ami des arts, a apporté des vues sur l’enseignement du dessin. […] Qu’il ne se hâte pas de répudier cette belle méthode, ce beau langage, qui ont fait de la chimie française une école de logique pratique, en même temps qu’elle est l’interprète le plus sûr de la philosophie naturelle, le moyen d’analyse le plus puissant dans la discussion des procédés des arts ! […] du latin pour apprendre à lancer des boulets, ou pour appliquer dans les arts les sciences chimiques et mécaniques !

1305. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Béranger, recueillie par M. Paul Boiteau. »

« L’art sans application lui paraît un enfantillage. » C’est couper les ailes à la fantaisie et au grand art qui ne relève que de lui-même. Cependant, on se serait rapproché dans le détail, et on se serait entendu pour ce qui est de l’exécution littéraire ; car il est le premier à reconnaître que les idées les plus utiles, sans l’art qui les met en œuvre, sont comme non avenues : « La perfection du style doit être recherchée de tous ceux qui se croient appelés à répandre des idées utiles. Le style, qui n’est que la forme appropriée au sujet par la réflexion et l’art, est le passe-port dont toute pensée a besoin pour courir, s’étendre et prendre gîte dans tous les cerveaux.

1306. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Maurice et Eugénie de Guérin. Frère et sœur »

Maurice de Guérin, dans les années où il a écrit les pages qui le recommandent à la mémoire comme artiste, les belles pages dont on se souviendra dans une histoire de l’art, — ou des tentatives de l’art au xixe  siècle, — avait cessé de croire et de prier. […] Il faut bien le dire, car l’art aussi est sévère, scrupuleux, inexorable, et la critique, qui est son humble servante, ne connaît pas, quand on la presse de trop près, les ménagements timorés et les rétractations de pure complaisance. […] Il faut l’entendre dans ses cris et ses vœux de chrétienne alarmée, lorsqu’elle le voit égaré, dévoyé, selon elle, emporté vers un art d’une application funeste, souffrant de la poitrine avec cela, et, à travers les distractions mondaines, déjà atteint du mal mortel : « Ô frères, frères, nous vous aimons tant !

1307. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite) »

Les fabliaux, les malins tours de Renart, l’art de duper le seigneur Ysengrin, de lui prendre sa femme, de lui escroquer son dîner, de le faire rosser sans danger pour soi et par autrui, bref le triomphe de la pauvreté jointe à l’esprit, sur la puissance jointe à ta sottise ; le héros populaire est déjà le plébéien rusé, gouailleur et gai, qui s’achèvera plus tard dans Panurge et Figaro… » Au lieu de cela, au lieu de ces tours d’écoliers qui remontent si haut, de ces friponneries de Villon et de Patelin, qui font tant rire chez nous le vilain et le populaire, qu’est-ce qui réjouit le peuple anglais et le distrait de tout, même du sermon ? […] La Renaissance, en Angleterre, ne se comporta point comme chez nous ; elle ne mit pas fin brusquement au Moyen-Age ; elle ne produisit point un sens-dessus-dessous dans l’art, dans la poésie, dans le drame, une inondation destructive ; elle trouva un fonds riche, solide, résistant comme toujours : elle le recouvrit par places et s’y mêla en se combinant. […] « J’ai appris, disait-il, tout l’art des vers de la seule lecture des œuvres de Dryden, et, lui-même, il eût sans doute mené cet art à sa dernière perfection, s’il avait été moins commandé par la nécessité. » Pope avait ce signe caractéristique des natures littéraires, le culte fidèle du génie.

1308. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre »

C’est alors que le duc de Noailles, plus au dépourvu qu’il ne semblait à n’en juger que par les dehors, se rapproche de Saint-Simon, le recherche, et comme il avait l’art de plaire et de séduire, il le séduit et le fascine : les voilà liés. […] On a rarement plus d’esprit et plus de toutes sortes d’esprit, plus d’art et de souplesse à accommoder le sien à celui des autres, et à leur persuader, quand cela lui est bon, qu’il est pressé des mêmes désirs et des mêmes affections dont ils le sont eux-mêmes, et pour le moins aussi fortement qu’eux, et qu’il en est supérieurement occupé. […] L’élocution nette, harmonieuse, toutefois naturelle et agréable ; assez d’élégance, beaucoup d’éloquence, mais qui sent l’art, comme avec beaucoup de politesse et de grâce dans ’ses manières, elles ne laissent pas de sentir quelque sorte de grossièreté naturelle ; et toutefois des récits charmants, le don de créer des choses de rien pour l’amusement, et de dérider et d’égayer même les affaires les plus sérieuses et les plus épineuses, sans que tout cela paraisse lui coûter rien. […] Le maréchal de Noailles eut le bonheur et l’art de durer et de vieillir.

1309. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « HISTOIRE de SAINTE ÉLISABETH DE HONGRIE par m. de montalembert  » pp. 423-443

Cela eut lieu aussi pour l’art chez Dante. […] Et puis elle est essentiellement historique, soit comme Walter Scott dans l’art encore, soit comme tant d’historiens que chacun nomme, dans l’histoire pure et sévère. […] L’Histoire de sainte Élisabeth de Hongrie, par M. de Montalembert, provoque bien naturellement ces considérations : c’est une légende exacte de sainteté, une pièce d’onction et d’art du moyen âge, écrite en toute science et bonne foi par un homme de nos jours. Au commencement du siècle, l’art allemand du moyen âge fut en quelque sorte découvert, éclairé, restitué, grâce à de beaux travaux d’archéologie auxquels les frères Boisserée de Cologne attachèrent leur nom.

1310. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « JASMIN. » pp. 64-86

C’est une biographie poétique, composée, distribuée avec art en petits tableaux, mais d’une réalité approchante qui va nous suffire. […] Il y a là un art de poëte qui prend le soin d’interrompre, par une touche sensible, ce qui deviendrait un badinage trop prolongé. […] Jasmin a du feu, de l’entraînement sans doute ; il a besoin de la passion actuelle pour arriver au bien : mais il travaille, il travaille opiniâtrement, dit-on ; il lime ses vers, il rejette, il choisit, il a un art de style enfin. […] Il reste pourtant à regretter qu’avec de si heureuses qualités et un art véritable d’écrivain, Jasmin n’ait pu cacher, sous ce titre d’homme du peuple, un bon grain d’érudition et de vieille langue, comme Béranger et Paul-Louis de ce côté-ci de la Loire.

1311. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Alphonse Daudet, l’Immortel. »

Je ne vous dirai pas que « l’Académie est un salon », parce que je crois que ce mot est une bêtise, et parce qu’il ne nous importe nullement que trente-neuf messieurs très bien élevés se rassemblent de temps en temps pour causer avec politesse au bout du pont des Arts. […] Quelle cuistrerie insupportable de vouloir que l’art et la littérature continuent à relever d’une sorte de tribunal revêtu d’un caractère officiel ! […] Mais il m’en est revenu, un peu, je l’avoue, à le voir se jeter à la Seine du haut du pont des Arts… Oui, je sais, le retour chez lui, les propos atroces de sa femme ont achevé de le désespérer et de l’affoler… Mais il m’avait si bien paru jusque-là qu’Astier-Réhu n’était point de ceux qui se suicident ! […] Une telle disposition d’esprit est évidemment pour déplaire à ceux qui goûtent et essayent de comprendre les formes de la vie et de l’art dans le passé, qui y séjournent volontiers, qui y trouvent autant d’intérêt qu’au spectacle de la vie contemporaine, qui voient dans l’Académie soit une institution vénérable et salutaire, soit même une absurdité charmante  et qui ne sont pas pour cela des cuistres ni des snobs, qui ont même quelque chance d’avoir une sagesse plus détachée et plus libérale que cet éternellement jeune Petit Chose.

1312. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Balzac. » pp. 443-463

Concevoir, disait-il, c’est jouir, c’est fumer des cigarettes enchantées ; mais sans l’exécution tout s’en va en rêve et en fumée : Le travail constant, a-t-il dit encore, est la loi de l’art comme celle de la vie ; car l’art, c’est la création idéalisée. […] Il avait le goût, la passion des œuvres de l’art, peinture, sculpture, antiques ameublements. […] Sans prétendre le détourner en rien de sa voie féconde, j’aurais voulu qu’il eut présents à l’esprit quelques axiomes que je crois essentiels en tout art, en toute littérature : La netteté est le vernis des maîtres.

1313. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Nouveaux documents sur Montaigne, recueillis et publiés par M. le docteur Payen. (1850.) » pp. 76-96

Pourtant, si en littérature il est indigeste, dans les arts proprement dits, dans ceux de la main et du ciseau, même en France, le xvie  siècle est fort supérieur par la qualité du goût aux deux siècles suivants ; il n’est ni maigre ni massif, ni lourd ni contourné. En art, il a le goût riche et fin, libre à la fois et compliqué, antique tout ensemble et moderne, tout à fait particulier et original. […] Quoique les leçons, en général, ne servent à rien, que l’art de la sagesse et surtout celui du bonheur ne s’apprennent pas, ne nous refusons pourtant point le plaisir d’écouter Montaigne, donnons-nous du moins le spectacle de cette sagesse et de ce bonheur en lui ; laissons-le parler des choses publiques, des révolutions et des troubles, et de sa manière de s’y conduire. […] Et faudroit-il pas fouetter le médecin qui nous désireroit la peste pour mettre son art en pratique ? 

1314. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Maintenon. » pp. 369-388

La voilà donc à dix-sept ans (1652), dans sa première fleur de beauté, mariée à un mari infirme et qui ne pouvait lui être de rien, au milieu d’une société joyeuse et la moins scrupuleuse de propos comme de mœurs : il lui fallut tout un art précoce et un sentiment vigilant pour se faire considérer et respecter de cette jeunesse de la Fronde. […] En ces années de jeunesse, le trait principal de son caractère et de sa position dans le monde me paraît avoir été celui-ci : elle était de ces femmes qui, dès qu’elles ont un pied quelque part, ont à l’instant l’art et le génie de se faire bien venir, de se rendre utiles, essentielles, indispensables en même temps qu’agréables en toutes choses. […] Si l’on peut entrevoir ici en Mme de Maintenon, pour peu qu’on y réfléchisse, la femme de quarante-cinq ans la plus experte et la plus consommée en l’art de nouer une trame, une intrigue mi-partie de sensualité et de sentiment, sous couleur de religion et de vertu, on doit reconnaître aussi le talent d’esprit qu’elle dut y mettre et ce charme de conversation par lequel elle amusait, éludait et enchaînait un roi moins ardent qu’autrefois et qui s’étonnait de prendre goût à cette lenteur toute nouvelle. […] Vieille, incommodée par le froid dans ces vastes appartements, elle ne pouvait prendre sur elle de mettre un paravent autour de son fauteuil, car le roi y venait, et cette irrégularité de coup d’œil lui eût déplu : « Il fallait périr en symétrie. » Toutes les querelles, les zizanies, les complications de la famille royale retombaient sur elle : « Je viens d’être tirée, non à quatre chevaux, mais à quatre princes », disait-elle un jour dans son excès de fatigue ; et il fallait, avec l’art dont elle se piquait, qu’elle tournât tous ces ennuis en agrément et en manière de gaieté : elle n’en gardait, de son côté, que les épines.

1315. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le duc d’Antin ou le parfait courtisan. » pp. 479-498

Il paraît qu’il avait de grandes qualités pour les parties savantes de l’art militaire, la géographie, la topographie, la levée des plans, les subsistances ; c’était un homme très utile que d’Antin sous un Luxembourg ou sous un Boufflers, un bon officier d’état-major, comme nous dirions. […] C’est ici que d’Antin se surpasse et que l’art du courtisan, en lui, atteint à des recherches et à des délicatesses dont on n’avait pas eu l’idée jusque-là. […] On a raconté aussi que plus tard, dans un séjour de Louis XIV à Fontainebleau, le roi ayant blâmé un bois qui masquait la vue, la même scène se renouvela avec quelque variante : peu de jours après l’observation du roi, d’Antin, alors directeur des Bâtiments, avait préparé avec art son coup de théâtre : il avait fait scier tous les arbres près de la racine ; des cordes étaient attachées aux troncs, et toute une armée de bûcherons invisibles attendait en silence. […] Cette servilité et cette bassesse d’âme, que ne saurait couvrir tout l’art industrieux du courtisan, s’ennoblit un peu et se relève chez d’Antin par la profession du christianisme, et, dans ces moments, elle devient simplement de l’humilité.

1316. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVI. Des oraisons funèbres et des éloges dans les premiers temps de la littérature française, depuis François Ier jusqu’à la fin du règne de Henri IV. »

Il entrevit ces principes étouffés tour à tour par l’ignorance et par l’orgueil, qu’il n’y a ni législation, ni politique sans lumières ; que ceux qui éclairent l’humanité, sont les bienfaiteurs des rois comme des peuples ; que l’autorité de ceux qui commandent n’est jamais plus forte que lorsqu’elle est unie à l’autorité de ceux qui pensent ; que le défaut de lumière, en obscurcissant tout, a quelquefois rendu tous les droits douteux, et même les plus sacrés, ceux des souverains ; qu’un peuple ignorant devient nécessairement ou un peuple vil et sans ressort, destiné à être la proie du premier qui daignera le vaincre ; ou un peuple inquiet et d’une activité féroce ; que des esclaves qui servent un bandeau sur les yeux, en sont bien plus terribles, si leur main vient à s’armer, et frappe au hasard ; qu’enfin, tous les princes qui avant lui avaient obtenu l’estime de leur siècle et les regards de la postérité, depuis Alexandre jusqu’à Charlemagne, depuis Auguste jusqu’à Tamerlan, né Tartare et fondateur d’une académie à Samarcande, tous dédaignant une gloire vile et distribuée par des esclaves ignorants, avaient voulu avoir pour témoins de leurs actions des hommes de génie, et relever partout la gloire du trône par celle des arts. […] On connaît d’ailleurs ses confréries et ses scandales, et ce mélange bizarre de superstition et de licence, où il trouvait l’art de se déshonorer également par ses vertus et par ses vices. […] On peut dire qu’aujourd’hui ce prince a une espèce de culte parmi nous ; tous les talents et tous les arts ont été employés à lui rendre hommage. […] Le pinceau de Rubens a tracé son apothéose sur la toile : l’art des Phidias offre sa statue aux regards de tous les citoyens.

1317. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  premier article .  » pp. 326-341

On a beaucoup parlé d’art dans ces derniers temps, et il faut convenir, en effet, que jamais peut-être l’art n’a été mieux compris, mieux étudié dans ses variétés brillantes, dans ses branches parallèles et ses transformations successives à travers l’histoire ; et pourtant l’époque elle-même, malgré l’éclat de ses débuts, ne paraît pas destinée à prendre rang dans ces grands moments et siècles, comme on les appelle, qui comptent entre tous, qu’on vénère de loin, et qui se résument d’un nom. […] Au point de vue de l’art il convient de choisir, il importe peu de tout embrasser.

1318. (1874) Premiers lundis. Tome II « Hippolyte Fortoul. Grandeur de la vie privée. »

On n’avait voulu voir dans une œuvre que les conditions de l’art pur ; cela a conduit les contradicteurs à n’y voir que l’idée sociale et le bon motif amplifié jusqu’au grandiose. […] Fortoul a dû éprouver que tout n’est pas vain dans ces efforts pittoresques qu’il a dénoncés quelquefois comme arriérés, et qu’il y a un art propre, constamment digne du plus sérieux souci, dans cette reproduction précise et splendide de la nature, dans cette transparence limpide de couleur, dans ces coups de pinceau du génie, que toutes les théories du monde ne donnent pas sans doute, mais qu’elles doivent reconnaître, saluer et cultiver. […] Il avait vu beaucoup, et peu lu ; il avait eu déjà de grandes sensations, mais il était complètement étranger à l’art de les exprimer, il avait erré comme un pauvre enfant aux pieds de ces Alpes où il avait reçu le jour ; et l’abondance de sentiments qu’il avait éprouvés au milieu des misères d’une vie incertaine n’avait trouvé d’autre forme pour se répandre que la musique, cette langue de l’air, du vent et de l’orage, que le génie a ravie à Dieu, et que ce jeune homme avait apprise tout seul en écoutant les échos de ses montagnes.

1319. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre I. Publicistes et orateurs »

Ce mouvement de réaction contre le romantisme, malgré l’incompatibilité théorique des formules d’art, fut en fait un effort souvent impuissant pour échapper au romantisme, qui contenait en sa vaste confusion tous les éléments dont la nouvelle école allait s’emparer pour le détruire et le nier : elle eut beau faire, elle mit quelque chose de lui dans presque tous ses chefs-d’œuvre. […] Au reste, l’éloquence du barreau échappe de plus en plus à la littérature : elle se place ou bien hors de l’art, par la controverse juridique, ou au-dessous de l’art, par les gros effets.

1320. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « I. Leçon d’ouverture du Cours d’éloquence française »

Le plus modeste universitaire s’y essayait à l’art de Paradol ou à celui de Taine. […] Nous étions sortis de l’École Normale, mes camarades et moi, très admirateurs des grandes constructions d’art littéraire que Taine avait édifiées, mais au fond très décidés à ne point nous mettre au service d’un système, tout préparés par nos maîtres, Fustel de Coulanges, Tournier, Boissier, Lavisse, qui nous avaient donné l’idée des méthodes exactes, à essayer d’adapter à l’histoire littéraire de la France les procédés de la critique ancienne et de l’histoire. […] Il le rappelle lui même (Petits Portraits et Notes d’art, p. 191).

1321. (1890) L’avenir de la science « Préface »

Le côté de l’art, jusque-là presque fermé pour moi, m’apparut radieux et consolateur. […] L’art de la composition impliquant de nombreuses coupes sombres dans la forêt de la pensée, m’était inconnu. […] La lumière, la moralité et l’art seront toujours représentés dans l’humanité par un magistère, par une minorité, gardant la tradition du vrai, du bien et du beau.

1322. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le capitaine d’Arpentigny »

Le capitaine d’Arpentigny La Chiromancie, science de la main, ou art de reconnaître les tendances de l’inintelligence par les formes de la main. […] Elle n’a plus à juger que de l’art avec lequel l’auteur de la Chiromancie ou la science de la main 9 a fait un livre d’analogies étincelant de rapprochements ingénieux, inattendus, saisissants, où la forme didactique, cette forme d’un ennui affreux, est sauvée par la qualité de l’esprit de l’auteur, dont l’expression ne faiblit jamais et qui couvre toutes les aridités et tous les pédantismes de la nomenclature avec le luxe des élégances les plus charmantes, les plus cavalières et les plus lestes ! […] Voués à la guerre et au mouvement par l’organisation que leur transmirent les gens de main et les héros d’audace accourus à la voix du nourrisson de la louve d’airain, les Romains reçurent en partage le génie des arts nécessaires aux hommes d’action.

1323. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Théodore de Banville »

C’est l’idolâterie de la forme physique et plastique transportée dans le plus spirituel et le plus cordial de tous les arts ! […] Qu’il y ait là une puissance réelle, un art persévérant et singulier, quoiqu’il touche à l’enfantillage et à la folie, nul ne le niera. […] Voulez-vous savoir à quel point un poète très loin, et avec raison, de l’école du bon sens et des idées bourgeoises dans les arts, peut devenir vulgaire aux yeux des lettrés et des illettrés, et même nul ?

1324. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Gustave Flaubert » pp. 61-75

L’intérêt qu’on prend à sa lecture est l’intérêt d’une curiosité poignante et bientôt satisfaite ; mais le charme qui fait revenir au souvenir du livre par la rêverie, le charme qui est le propre de l’art, même dans ses compositions les plus terribles, l’homme de talent qui a écrit Madame Bovary n’en a point la sorcellerie suprême. […] En effet, il a placé, avec l’entente d’un art profond, sa madame Bovary, cette nature si peu exceptionnelle, dans les circonstances qui devaient le plus repousser ce qu’elle a de commun, et accuser le plus énergiquement les lignes de son type. […] Flaubert a groupées autour de l’officier de santé et de sa femme, nous disons que ce n’est pas peindre au point de vue de l’art une société, que de répercuter sous tous les costumes le même imbécile, et qu’il y a encore là absence de cette puissante variété que les grands romanciers doivent faire abonder dans leurs œuvres.

1325. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXI. De Thémiste, orateur de Constantinople, et des panégyriques qu’il composa en l’honneur de six empereurs. »

On voit que les arts ont habité presque tous les climats. […] Ton œil perçant sait découvrir et rendre inutiles les profondeurs de cet art funeste et caché… Non, désormais je ne craindrai pas les ennemis domestiques plus que les barbares même. […] Prince, s’écrie l’orateur, puisqu’il a rejeté la clémence du tyran, il a droit à la tienne. » Il l’invite à conserver les semences et les restes épars des connaissances et des lettres : « Ce sont elles qui font la gloire d’un siècle et d’un empire ; c’est donc à elles qu’il faut confier le souvenir immortel de ton nom. » Alors il lui fait observer que tant qu’il y aura des hommes sur la terre, il y en aura qui cultiveront la philosophie et les arts ; ce sont eux qui font la renommée : ils se transmettent de siècle en siècle les noms de leurs bienfaiteurs, et ces bienfaiteurs sont immortels comme leur reconnaissance.

1326. (1930) Le roman français pp. 1-197

Ford Maddox Ford a sans doute raison de nous avertir « que l’art d’écrire est une affaire aussi internationale que les autres arts. […] Cette école dont l’un des dogmes était l’écriture artiste, s’apparentait, au point de s’y confondre, à celle de « l’art pour l’art », de l’art sans préoccupation de morale ou de politique. […] En tout cas, on ne saurait trop insister sur les réactions des arts entre eux. […] Alors, c’est l’art ! […] Et pourtant, répudiant « l’Art pour l’Art » presque tous nos jeunes écrivains proclament une opinion politique !

1327. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIX. De la littérature pendant le siècle de Louis XIV » pp. 379-388

L’auteur qui a porté au plus haut degré de perfection, et le style, et la poésie, et l’art de peindre le beau idéal, Racine, est l’écrivain qui donne le plus l’idée de l’influence qu’exerçaient les lois et les mœurs du règne de Louis XIV sur les ouvrages dramatiques. […] Mais s’il faut une réflexion approfondie pour démêler ce qu’on pourrait ajouter encore à de tels chefs-d’œuvre, les bornes de la philosophie, dans le siècle de Louis XIV, se font sentir d’une manière bien plus remarquable dans les ouvrages littéraires qui n’appartiennent pas à l’art dramatique.

1328. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Le termite »

Par là, les termites de son œuvre, les grisailles de leurs évolutions se teintaient d’âpres épithètes, se trempaient de la vibration d’art, se disposaient en amertumes graduées, en états d’âme vulgaires sans doute, mais passés au crible d’un cerveau impressif, colorés d’une désespérance glaciale comme une bise, coupante comme un grésil… » (page 11). […] Il y a vingt ans, nous récitions en classe ces vers de l’Art poétique : Fuyez surtout, fuyez ces basses jalousies, Des vulgaires esprits malignes frénésies.

1329. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Les snobs » pp. 95-102

Le snob ne s’aperçoit pas que, d’être aveuglément pour l’art et la littérature de demain, cela est à la portée même des sots ; qu’il est aussi peu original de suivre de parti pris toute nouveauté que de s’attacher de parti pris à toute tradition, et que l’un ne demande pas plus d’effort que l’autre ; car, comme le dit La Bruyère, « deux choses contraires nous préviennent également, l’habitude et la nouveauté. » C’est par ce contraste entre sa banalité réelle et sa prétention à l’originalité que le snob prête à sourire. […] Ils pullulent à l’heure qu’il est, et c’est plutôt bon signe, si cela veut dire que rarement autant de gens se sont intéressés à l’art et à la littérature.

1330. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Heredia, José Maria de (1842-1905) »

Gautier aurait été enchanté, lui qui aimait tant les « transpositions d’art », de ce poète rival, en un seul volume, du peintre le plus éclatant et du musicien le plus puissant. […] Il a publié lentement des sonnets sonores, enfin recueillis dans les Trophées, qui, par la fermeté du dessin, l’éclat des tons et la puissance du modèle, suggèrent un plaisir esthétique rival de celui qui est propre aux arts plastiques, et qui donnent souvent par l’accord de l’idée et de la forme le sentiment même de la perfection.

1331. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Retté, Adolphe (1863-1930) »

Singulière esthétique, car, enfin, la reproduction directe de la vie ou, comme ici, du possible est œuvre de science et non d’art, — à moins qu’on ne tolère cette enseigne ; photographie artistique. […] Qu’apporta cette brusque réaction dans un art qui fut lui-même rénovateur ?

1332. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Saint-Pol-Roux (1861-1940) »

Saint-Pol-Roux, la Procession qu’imagina son rêve, — et mon ravissement au spectacle des splendides reposoirs que son art sincère édifia… Il sera celui qu’il a défini, le Poète : l’entière humanité dans un seul homme, — car il marche, hautain, à la conquête de l’avenir, en semant, avec le geste large des forts, à la volée, le bon grain d’où naîtront des fleurs éternelles comme les pierreries. […] [L’Art littéraire (juin 1894).]

1333. (1863) Molière et la comédie italienne « Préface » pp. -

Molière fut également à même d’étudier de ses propres yeux l’art et les représentations théâtrales des comédiens de cette nation, puisque, de 1660 à 1673, la troupe de Joseph de Prado, entretenue par la reine Marie-Thérèse, alternait avec les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne, tout comme les Italiens avec Molière au Palais-Royal. […] Il ne s’agit point d’embrasser l’histoire de l’art comique italien dans toute son étendue, mais d’en saisir et d’en montrer seulement ce qui se découvre du point de vue particulier où je suis placé.

1334. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » pp. 124-134

La Poésie a toujours été regardée comme une imitation de la Nature, & non comme une science de raisonnement ; elle est l’art de peindre, non l’art d’enfiler des pensées.

1335. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Démosthéne, et Eschine. » pp. 42-52

L’art lui fut d’un grand secours. […] Cette ville, l’exemple des autres, l’asyle des beaux arts, des sciences & des vertus, alloit tomber sous un conquérant ambitieux.

1336. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Addisson, et Pope. » pp. 17-27

On compara ce poëme à l’Art poëtique de Boileau, si même on ne le préféra. […] Autant il y a, dans l’Art poëtique, d’ordre & de liaison, autant on remarque de confusion & d’embarras dans les matières de l’Essai sur la critique.

1337. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Avertissement » pp. -

mais on ne voit presque rien aboutir en littérature ou en art qui n’ait été plusieurs fois et vainement tenté. […] Mais justement, dans l’histoire de la littérature et de l’art, ce sont ceux qui ne comptent pas.

1338. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre V. La Henriade »

L’Europe, par le plus heureux des contrastes, présentait au poète le peuple pasteur en Suisse, le peuple commerçant en Angleterre, et le peuple des arts en Italie : la France se trouvait à son tour à l’époque la plus favorable pour la poésie épique ; époque qu’il faut toujours choisir, comme Voltaire l’avait fait, à la fin d’un âge, et à la naissance d’un autre âge, entre les anciennes mœurs et les mœurs nouvelles. […] On convient que les caractères dans la Henriade ne sont que des portraits, et l’on a peut-être trop vanté cet art de peindre dont Rome en décadence a donné les premiers modèles.

1339. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre II. Chimie et Histoire naturelle. »

« Dans ce siècle même, dit Buffon, où les sciences paraissent être cultivées avec soin, je crois qu’il est aisé de s’apercevoir que la philosophie est négligée, et peut-être plus que dans aucun siècle ; les arts, qu’on veut appeler scientifiques, ont pris sa place ; les méthodes de calcul et de géométrie, celles de botanique et d’histoire naturelle, les formules, en un mot, et les dictionnaires, occupent presque tout le monde : on s’imagine savoir davantage, parce qu’on a augmenté le nombre des expressions symboliques et des phrases savantes, et on ne fait point attention que tous ces arts ne sont que des échafaudages pour arriver à la science, et non pas la science elle-même ; qu’il ne faut s’en servir que lorsqu’on ne peut s’en passer, et qu’on doit toujours se défier qu’ils ne viennent à nous manquer, lorsque nous voudrons les appliquer à l’édifice161. » Ces remarques sont judicieuses, mais il nous semble qu’il y a dans les classifications un danger encore plus pressant.

1340. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Lettre, à Madame la comtesse de Forbach, sur l’Éducation des enfants. » pp. 544-544

Cet art se réduit presque en tout à voir d’abord nettement un certain nombre d’individus, nombre qu’on réduit ensuite à l’unité. […] L’art de plaire tient à des qualités qui ne s’acquièrent point.

1341. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 29, si les poëtes tragiques sont obligez de se conformer à ce que la geographie, l’histoire et la chronologie nous apprennent positivement » pp. 243-254

Section 29, si les poëtes tragiques sont obligez de se conformer à ce que la geographie, l’histoire et la chronologie nous apprennent positivement remarques à ce sujet sur quelques tragedies de Corneille et de Racine . je crois donc qu’un poëte tragique va contre son art, quand il peche trop grossierement contre l’histoire, la chronologie, et la geographie, en avançant des faits qui sont démentis par ces sciences. […] Il est vrai que les tragiques grecs ont fait quelquefois de semblables fautes, mais elles n’excusent point celles des modernes, d’autant plus que l’art devroit du moins être aujourd’hui plus parfait.

1342. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 30, de la vrai-semblance en peinture, et des égards que les peintres doivent aux traditions reçuës » pp. 255-265

Je ne parlerai point plus au long de la vrai-semblance mécanique, parce qu’on en trouve des regles très-detaillées dans les livres qui traitent de l’art de la peinture. […] Si je n’en parle point plus au long, c’est que j’en ai déja dit trop pour les personnes qui ont reflechi sur le grand art des expressions, quand je n’en sçaurois dire assez pour celles qui n’y ont pas reflechi.

1343. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 3, de la musique organique ou instrumentale » pp. 42-53

L’air que sonnent nos instrumens militaires, quand il faut demander quartier, ne ressemble point à celui qu’ils sonnent, quand il faut aller à la charge. " comme les anciens n’avoient point d’armes à feu dont le bruit empêchât les soldats d’entendre durant l’action le son des instrumens militaires dont on se servoit à la fois pour leur faire connoître le commandement, et pour les encourager, les anciens faisoient sur cette partie de l’art de la guerre, une attention et des recherches qu’il seroit inutile de faire aujourd’hui. […] je vais encore rapporter un endroit de Macrobe qui pourroit paroître inutile, parce qu’il ne dit que la même chose que les passages de Quintilien et de Longin qu’on vient de lire, mais il m’a semblé propre à fermer la bouche à ceux qui voudroient douter que les anciens songeassent à tirer de la musique toutes les expressions que nous voulons en tirer, et qu’ils eussent communément de cet art la même idée qu’en avoit Lulli.

1344. (1912) L’art de lire « Chapitre VII. Les mauvais auteurs »

La catharsis est, comme on sait, l’art de se débarrasser sans danger d’un sentiment qui pourrait nuire, de s’en purger de telle sorte qu’il ne reste pas en nous pour nous torturer, ou qu’il ne s’exerce pas d’une manière mauvaise et funeste. […] Elles donnent le goût du beau à ceux qu’elles ont intéressés, et ils ne songent plus qu’à retrouver des sensations d’art analogues à celles qu’ils ont éprouvées en lisant Horace, Virgile, Corneille et Racine, et c’est pour cela, disons-le en passant, qu’il faut toujours, au lycée, amener l’élève jusqu’aux auteurs presque contemporains, pour que, entre les grands classiques et les bons auteurs de leur siècle, il n’y ait pas une grande lacune qui les ferait désorientés en face des bons auteurs de leur siècle et qui les empêcherait de les goûter, par où ils seraient de ces humanistes qui ne peuvent entendre que les auteurs très éloignés de nous, gens respectables et peut-être même enviables, mais qui sont privés de grandes et saines jouissances.

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