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567. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Jean Richepin »

Mais, s’il ne faut lui demander ni émotion ni pitié, il peint merveilleusement ses loqueteux et les fait très bien parler. […] Au moment où nous allions peut-être le croire et nous attendrir, la grossièreté inévitable (qu’il prend pour franchise) des mots et des images fait évanouir l’élégie commencée et nous renfonce notre émotion dans la gorge.

568. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Des lectures publiques du soir, de ce qu’elles sont et de ce qu’elles pourraient être. » pp. 275-293

L’émotion, à cette lecture, fut grande, et telle qu’il l’avait souhaitée. […] Souvestre de la chronique originale du xvie  siècle, a produit sur les auditeurs une vive émotion et leur a fait admirer l’esprit de la chevalerie dans la personne de son dernier rejeton.

569. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Le Palais Mazarin, par M. le comte de Laborde, de l’Institut. » pp. 247-265

Il est homme à entreprendre, non pas pour réussir, mais pour se donner l’émotion et l’orgueil de l’entreprise, le plaisir du jeu plutôt que le profit et le gain, qui pour lui ne viendront jamais. […] Et, par exemple, voyez cette première scène de la Fronde, lorsqu’après l’emprisonnement du conseiller Broussel, le coadjuteur, c’est-à-dire Retz, prend le parti de se rendre au Palais-Royal pour représenter à la reine l’émotion de Paris et le danger imminent d’une sédition.

570. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre III. Zoïle aussi éternel qu’Homère »

Exorbitants en tout, en pensées, en images, en convictions, en émotions, en passion, en foi, quel que soit le côté de votre moi auquel ils s’adressent, ils le gênent. […] leur émotion, qui peut être, s’ils veulent, tremblement de terre, et par instants si cordiale et si douce qu’elle semble le remuement d’un berceau.

571. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IX : M. Jouffroy écrivain »

On était rempli de respect et de confiance, et quand un tremblement de la voix ou quelque image subite indiquait la découverte d’une vérité importante, on apercevait dans ce faible signe plus d’émotion et d’éloquence que dans les magnifiques dithyrambes de son rival. […] Les dogmes abstraits acquis par la science se changeaient ainsi en émotions personnelles et en espérances journalières ; dans une observation de psychologie, dans une classification de logique, il apercevait contenus sa conduite et son bonheur. 

572. (1925) Les écrivains. Première série (1884-1894)

Je n’aurais pas imaginé, surtout en ce temps vilain, où la curiosité publique semble courir vers d’autres émotions, que la littérature passionnât encore autant les esprits. […] Le soir même, sous le coup de l’émotion, j’écrivis « La Maison du philosophe ». […] D’abord le sujet manquerait de cette gaîté saine et de cette émotion cordiale, tant recommandées par les critiques qui tournent leurs pouces sur le nombril de M.  […] Je n’ai jamais bien compris l’émotion de M.  […] Tout le décor, toute l’émotion est dans les pensées, dans les passions, et dans cette intelligence suprême qui permet à M. 

573. (1874) Premiers lundis. Tome I « Anacréon : Odes, traduites en vers française avec le texte en regard, par H. Veisser-Descombres »

Par la grâce naïve, par l’inspiration spirituelle et tendre, par l’émotion voluptueuse et philosophique à la fois qui animent ses pièces légères, le génie d’Anacréon se rapproche du génie français, tel surtout que nous le retrouvons dans nos vieux rimeurs.

574. (1874) Premiers lundis. Tome I « Fenimore Cooper : Le Corsaire Rouge »

Aussi, malgré leurs défauts, les romans de l’auteur américain sont-ils de ceux qui procurent le plus de plaisir et d’émotion ; assez de beautés supérieures y rachètent quelques obscurités et quelques invraisemblances.

575. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre premier. De l’invention dans les sujets particuliers »

Il a revu avec l’émotion d’un bon Français les guerres religieuses et civiles, les désastres et les ruines du temps où le pouvoir royal était humilié, et le grand bienfait de la paix et de l’ordre suivant la restauration de l’autorité absolue : il a vu la souveraineté d’un seul procurant la sécurité de tous.

576. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface d’« Hernani » (1830) »

Le principe de la liberté littéraire, déjà compris par le monde qui lit et qui médite, n’a pas été moins complètement adopté par cette immense foule, avide des pures émotions de l’art, qui inonde chaque soir les théâtres de Paris.

577. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre V. Première partie. Les idées anciennes devenues inintelligibles » pp. 106-113

S’il fait autre chose que leur montrer ce qui est déjà en eux, il n’aura réussi qu’à être trouvé étrange, qu’à être considéré comme un homme d’imagination : il faut de la sympathie et des points convenus entre tous ; et l’émotion qui s’arrête sur le bord de la tribune, sans aller au-delà, finit par s’y éteindre.

578. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VI. Les romanciers. » pp. 83-171

La religion apparaît, comme elle doit apparaître, par des émotions et des visions ; car ce n’est point une âme calme que celle-ci ; l’imagination s’y déchaîne au moindre heurt et l’emporte jusqu’au seuil de la folie. […] Tous ces romans sont des œuvres d’observation et partent d’une intention morale ; c’est que les hommes de ce temps, déchus de la haute imagination et installés dans la vie active, veulent tirer des livres une instruction solide, des documents exacts, des émotions efficaces, des admirations utiles et des motifs d’action. […] On est rebuté, on perd l’émotion, on voit le prédicateur en robe noire sortir en nasillant de l’habit mondain qu’il avait pris pour une heure ; on est mécontent de la tromperie. […] Le ton ne reste jamais deux minutes le même : le rire vient, puis un commencement d’émotion, puis le scandale, puis l’étonnement, puis l’attendrissement, puis encore le rire. […] Ce n’est pas la dureté ni le tempérament morose qui l’affermissent ; il n’y a pas d’âme plus paternelle, plus sociable, plus humaine, plus ouverte aux émotions douces et aux tendresses intimes.

579. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXVII » pp. 306-312

Quelques nobles mouvements naturels et simples viennent par endroits donner jour aux émotions que fait naître un tel spectacle : l’historien, sans intervenir trop fréquemment, est loin d’être impassible.

580. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Delavigne, Casimir (1793-1843) »

Aussi ses admirateurs eux-mêmes conviennent-ils que ses compositions manquent d’émotion et d’élan.

581. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre Premier »

La nécessité qui a fait doubler émoi par émotion est beaucoup moins évidente, et l’on ne voit pas bien que la langue qui avait émouvoir ait fait, en acceptant émotionner, une acquisition très importante ni très belle.

582. (1846) Études de littérature ancienne et étrangère

Comment pouvait-elle l’élever au-dessus de cette émotion toute sensitive et de ces larmes vulgaires qu’excite le spectacle du mal physique ? […] une peinture plus vive que touchante des premières émotions, des premiers sentiments de deux jeunes amants élevés dans la simplicité d’une vie champêtre et protégés contre eux-mêmes par la seule ignorance. […] Cette émotion ne s’use pas ; les tableaux les plus hideux l’excitent d’autant plus. […] Mais une chose toute neuve, toute créée, c’est l’incomparable scène d’Antoine soulevant le peuple romain par l’artifice de son langage ; ce sont les émotions de la foule à ce discours, ces émotions toujours rendues d’une manière si froide, si tronquée, si timide dans nos pièces modernes, et qui là sont si vives et si vraies, qu’elles font partie du drame et le poussent vers le dénouement. […] Cette âme altière était pourtant ouverte à de plus douces émotions.

583. (1923) L’art du théâtre pp. 5-212

À cette condition seulement il suscitera l’émotion, recueillera l’adhésion qu’il a voulues. […] On n’en cite aucun de quelque envergure qui, méconnu, rebuté par son temps, ait suscité l’émotion d’un peuple des siècles après sa naissance. […] Les poètes tragiques ont été conviés à célébrer le plus dignement qu’il se peut la pensée commune, la foi commune, et les plus dignes présentent leur ouvrage au peuple qui donnera la couronne au meilleur — entendez à celui qui aura suscité en lui l’émotion qu’il attend de Prométhée, d’Œdipe, d’Agamemnon, d’Oreste réincarnés pour un jour devant lui. […] Comment, en décriant le mot, Bataille est tombé dans l’abus des mots, dans la fausse émotion, dans la fausse poésie, dans la pire littérature, c’est ce que ses ouvrages, avec des qualités certaines, nous prouvent surabondamment. […] On obtiendra une autre espèce d’émotion et de jeu, sans virtuosité, mais peu importe ; elle aura son charme propre : j’ai pu le constater chez de très jeunes gens.

584. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1867 » pp. 99-182

Une certaine émotion devant cet impitoyable rappel à l’égalité. […] Dans tout cela, pas un atome du sentiment, qui, chez Simon Memmi, Filippo Lippi, Botticelli, Pietro di Cosima, enfin chez les plus petits primitifs, donnèrent à ces scènes, l’expression d’émotion recueillie, presque de componction, enfin de cette sainte placidité dans l’étonnement, angélisant, pour ainsi dire, les yeux de ceux qui assistent à un miracle. […] * * * — L’homme de la Morgue répondait à quelqu’un lui parlant de l’émotion qu’il devait ressentir aux sinistres reconnaissances des cadavres : « Oh ! […] Il y a une heure là, quand le gaz baisse et s’embrume, que le brouillard des cigares devient intense, qu’une pâleur nerveuse est sur toutes les figures, que les teints de Paris se plombent d’émotion, une heure où, sur les gradins de la salle de bois, la foule de ces têtes de photographes et de journalistes, fait comme des tas blafards et effacés de vivants, dans une ombre à la Goya3. […] La princesse l’interrompt, en lui jetant au nez la barbarie des chirurgiens, leur insensibilité, le peu d’émotion qu’il faut qu’ils aient… « Si, riposte Phillips, j’en ai beaucoup, mais seulement pour les enfants… Ces pauvres petits êtres auxquels on ne peut pas faire comprendre que c’est pour leur bien… Oh !

585. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE VIGNY (Servitude et Grandeur militaires.) » pp. 52-90

C’est l’impression que cause, par exemple, dans le Capitaine Renaud, la belle scène du pape et de l’empereur ; on n’ose s’y confier comme à la vérité même, malgré l’émotion qu’on en reçoit. […] Puisque Stello, au milieu de ses émotions les plus pénétrantes, sait fort bien s’arrêter à d’ingénieuses vétilles, remarquer au plus fort de ses douleurs que le nom de Raphaël signifie un ange, et que Rubens veut dire rougissant ; puisque, le sentiment allant son train avec Stello, le raisonnement avec le docteur noir peut l’accompagner de ses hargneuses chicanes, je demande qu’on me pardonne si, dans l’admirable histoire du capitaine Renaud, qui faisait naître mes larmes, j’ai noté, chemin faisant, de petits désaccords, pour me rendre compte de ce manque de complète vraisemblance chez M. de Vigny. […] Tout mon cœur est pris par votre émotion profonde, vous êtes un poëte et cependant un homme, etc. » Mais je donnerai une partie du post-scriptum parce qu’il est d’un ton différent, toujours affectueux, mais non approbateur.

586. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE RÉMUSAT » pp. 458-491

On ne les découvre jamais un matin avec émotion ; quelqu’un l’a dit très-spirituellement, on a l’air de les savoir de toute éternité. […] Une minute, une seconde seulement à l’instant du départ, à cinq heures du matin, dans le court intervalle qui sépare le seuil du couvent et le marchepied de la chaise de poste, le jeune homme va l’entrevoir enfin et la rencontrer ; mais un mouchoir qu’elle porte à ses yeux, le mouvement même que lui cause l’émotion de la présence de l’ami, la dérobe peut-être, et remplit l’unique instant. […] Auprès des princes, l’intérêt personnel est tellement éveillé, les mauvaises passions humaines sont si fréquemment en jeu, que, s’il nous fallait agir d’après nos sensations réelles et nos vraies émotions, nous donnerions à qui nous observe un triste spectacle.

587. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Introduction. » pp. -

Voilà un nouveau monde, monde infini, car chaque action visible traîne derrière soi une suite infinie de raisonnements, d’émotions, de sensations anciennes ou récentes, qui ont contribué à la soulever jusqu’à la lumière, et qui, semblables à de longues roches profondément enfoncées dans le sol, atteignent en elle leur extrémité et leur affleurement. […] Quand son éducation critique est suffisante, il est capable de démêler sous chaque ornement d’une architecture, sous chaque trait d’un tableau, sous chaque phrase d’un écrit, le sentiment particulier d’où l’ornement, le trait, la phrase sont sortis ; il assiste au drame intérieur qui s’est accompli dans l’artiste ou dans l’écrivain ; le choix des mots, la brièveté ou la longueur des périodes, l’espèce des métaphores, l’accent du vers, l’ordre du raisonnement, tout lui est un indice ; tandis que ses yeux lisent un texte, son âme et son esprit suivent le déroulement continu et la série changeante des émotions et des conceptions dont ce texte est issu ; il en fait la psychologie. […] Il y a un système particulier d’impressions et d’opérations intérieures qui fait l’artiste, le croyant, le musicien, le peintre, le nomade, l’homme en société ; pour chacun d’eux, la filiation, l’intensité, les dépendances des idées et des émotions sont différentes ; chacun d’eux a son histoire morale et sa structure propre, avec quelque disposition maîtresse et quelque trait dominateur.

588. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (1re partie). Littérature scientifique » pp. 221-288

L’attention se porte sur tant d’objets, que l’on a de la peine à se rendre compte des émotions que l’on ressent. […] Sous le seizième degré de latitude, il aperçut pour la première fois la brillante constellation de la Croix du sud, et l’apparition de ce signe d’un monde nouveau lui fit voir avec émotion l’accomplissement des rêves de son enfance. L’émotion qu’il ressentit à cette heure de sa vie, ses propres paroles nous la révèlent : « Quand on commence à jeter les yeux sur les cartes géographiques, et à lire les descriptions des voyageurs, on éprouve pour certains pays, pour certains climats, une sorte de prédilection dont, arrivé à un âge mûr, on ne peut pas trop bien se rendre compte.

589. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre I. Les chansons de geste »

On pourrait dire même que Bertolai (si jamais Bertolai a vécu et mis le poème en sa première forme), on pourrait dire que Bertolai avait l’instinct du développement épique, au meilleur sens du mot : il savait faire rendre à une situation ce qu’elle contenait d’émotion et d’intérêt. […] Ne leur demandez pas l’intimité de l’émotion, ni l’expansive ardeur de la sympathie, ni la composition harmonieuse, ni le style pittoresque : richesse intérieure ou beauté formelle, cela fait défaut à leurs œuvres. […] Le public voulait du nouveau : quoi de plus simple, pour exciter son intérêt, et pour utiliser encore une part de ses émotions antérieures, que de lui présenter les pères ou les fils des héros qu’il aimait ?

590. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « De l’influence récente des littératures du nord »

Non, non, l’ironie, ou la crainte pudique des émotions dont on s’honore trop facilement n’excluent point la compassion. […] D’autre part, quand ils sont excellents et quand ils m’émeuvent, ils m’émeuvent vraiment tout entier, car alors je suis bien sûr que c’est uniquement par la force de leur pensée, la justesse de leurs peintures et la sincérité de leur émotion qu’ils agissent sur moi. […] Je ne suis d’ailleurs nullement persuadé que ces écrivains aient plus d’émotion que les nôtres ; et ils n’ont assurément pas plus d’idées générales.

591. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Figurines (Deuxième Série) » pp. 103-153

Il aime, il peint avec une émotion vraie et un charme rare les vieux prêtres, les « bonnes dames », les vieilles demoiselles pieuses, les jeunes filles innocentes, les mœurs terriennes, les antiques foyers, les vies modestes, dévouées, secrètement héroïques… Parce que le père Labosse, au milieu de ses gambades, n’a point cessé d’être « bien pensant », qu’il a gardé le respect des choses essentielles et que, docile au fond et enfantin, il n’a jamais commis « le péché de l’esprit », Henri Lavedan, bon psychologue en même temps que bon interprète de la miséricorde divine, accorde à ce polichinelle une mort comiquement orthodoxe et touchante… Sur quoi, je me pose cette question : — Tandis qu’il absolvait son vieux marcheur, qui sait s’il n’y avait pas, chez Lavedan, cette arrière pensée que Dieu lui appliquerait à lui-même, pour des péchés plus fins, le bénéfice de bons sentiments plus réfléchis, mais analogues ? […] Et c’est pourquoi, parmi la banalité ou la hâte forcée des panégyriques que cette mort a suscités, il y a eu — chose rare en telle circonstance — de la tendresse, une émotion non jouée, des larmes ou, comme le disaient les Grecs, pères lointains d’Alphonse Daudet, « un désir de larmes ». […] Mais cela nous a valu des pages d’une couleur vibrante et d’une émotion profonde.

592. (1828) Préface des Études françaises et étrangères pp. -

Résumons-nous : la physionomie littéraire de la France actuelle est caractérisée par trois grands traits : l’histoire, la philosophie, la haute poésie ; les premiers talents de prose et de vers de l’époque sont renfermés dans cette triple et large barrière ; et ces trois objets occupent presqu’exclusivement l’intérêt et la curiosité d’une jeunesse avide d’instruction et d’émotions. […] Au total, malgré de nombreux vices d’exécution et une débilité de style qui contraste trop souvent avec la hardiesse des idées, Voltaire a dû produire tout l’effet qu’il a produit, et il est impossible de ne pas reconnaître qu’il a étendu, sinon agrandi notre scène tragique, et qu’il a passionné encore le dialogue et les situations ; enfin il a ouvert une source nouvelle et abondante de pathétique, et on lui doit de fortes et nobles émotions qu’on n’avait pais éprouvées au même degré avant lui. […] Certes, si un théâtre nouveau pouvait s’ouvrir, sous la direction d’un entrepreneur intelligent, sans comité de lecture ni d’administration, sans cet encombrement d’ouvrages reçus depuis trente ans et vieillis avant de naître, avec des acteurs jeunes, disposés à jouer tous les rôles, en étudiant la pantomime expressive et la déclamation naturelle des grands acteurs anglais, les seuls qui, depuis Talma, nous aient fait éprouver des émotions tragiques ; avec la ferme volonté de ne représenter en fait de pièces nouvelles que des pièces vraiment neuves, et d’un caractère homogène ; certes, un pareil théâtre n’aurait pas besoin d’autres secours que son travail et sa bonne organisation, et il y aurait dans tout cela quelque chose de fort et de vital qui ne ressemblerait guères à la végétation expirante, à la fécondité caduque qui poussent et se perpétuent encore aux quinquets de nos coulisses.

593. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Alphonse Daudet »

Seulement, dans ces contes à la Meissonier pour la peinture, dans ces intailles bonnes, à ce qu’il semble, pour faire l’agrafe d’un bracelet ou la tête d’une épinglette, y a-t-il trace d’émotion ? […] … L’émotion ! […] J’en avais eu presque du chagrin, et j’écris ce mot tendrement, car le talent d’Alphonse Daudet a la puissance de tant d’émotion qu’on ne peut s’empêcher de l’aimer, même quand on le juge.

594. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre VI. L’effort intellectuel »

D’une manière générale, ne pourrait-on pas dire que les sensations périphériques que l’analyse découvre dans une émotion sont toujours plus ou moins symboliques des représentations auxquelles cette émotion se rattache et dont elle dérive ? […] De là l’émotion, qui a d’ordinaire pour centre une représentation, mais où sont surtout visibles les sensations en lesquelles cette représentation se prolonge.

595. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — II. (Fin.) » pp. 322-341

Quand on a lu cela, on revient tout naturellement, ce me semble, en fait de compositions romanesques, au genre français, ou du moins à un genre qui soit large et plein dans sa veine ; on demande une part de raison, d’émotion saine, et une simplicité véritable telle que l’offrent l’histoire des Fiancés de Manzoni, tout bon roman de Walter Scott, ou une adorable et vraiment simple nouvelle de Xavier de Maistre. […] Enfin il se donne bien de la peine pour s’expliquer une chose très simple ; il n’était pas de ceux à qui l’image arrive dans la pensée, ou chez qui l’émotion lyrique, éloquente, éclate et jaillit par places dans un développement naturel et harmonieux.

596. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — I » pp. 249-267

Les soins qu’on mettrait à toucher ces endroits défectueux pour la morale ou pour l’art, et les précautions qu’on apporterait à l’en convaincre (lui toujours supposé invisible et présent), seraient un hommage de plus au génie et à la renommée, et ne feraient que communiquer à la critique je ne sais quelle émotion contenue et quelle réserve sentie, qui aurait sa délicatesse, et qui, venue de l’âme, irait à l’âme. […] Il sait, pour l’avoir souvent éprouvé dans cette continuité d’émotions excessives, « que le grandiose lasse vite ; qu’il n’y a rien de plus beau que la beauté riante, qu’elle seule met l’âme dans son assiette naturelle. » Toutefois, il ne peut se dérober là à la condition de son sujet et aussi au tour naturel de son esprit ; et ce sont encore les aspects sévères, les sublimités gigantesques qui l’attirent le plus et l’inspirent le plus puissamment.

597. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée par le chevalier d’Arneth »

Je n’ai pu me défendre d’un peu d’émotion en parlant à la reine ; cette émotion n’était point de vivacité, mais d’attendrissement et, si j’ose dire, de compassion sur l’état et les dispositions de la reine.

598. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN FACTUM contre ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 301-324

Pour nous qui ne faisons que balbutier en ces matières, nous avons pourtant gravé au fond du cœur, et nous nous surprenons quelquefois à réciter avec émotion ce début de l’admirable élégie de Properce, dont M. […] Celui qui demain va mourir sent un regret à quitter la vie que consolait sous les barreaux une vue si charmante, mais il exprime ce regret à peine, et son émotion prend encore la forme d’une pensée légère, de peur de jeter une ombre sur le jeune front souriant94.

599. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 193-236

Je ne savais ce que j’entendais, tant mes oreilles me tintaient d’émotion. […] Je promenais, du fond de mon capuchon, mes yeux sur cette foule, ne craignant qu’une chose, d’y rencontrer mon père aveugle et ma tante, et de me trahir en tombant d’émotion devant eux, avant d’être arrivée à la place de l’exécution.

600. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre I. Le théâtre avant le quinzième siècle »

Tout ce que le peuple pouvait goûter d’émotions esthétiques lui venait par la religion : l’Église était la maison bénie où se dilatait son âme, opprimée par la dureté de la vie. […] La grande commune picarde, riche, populeuse, remuante, toujours avide d’action et d’émotion, que nous avons vue déjà dérober aux cours féodales les formes aristocratiques de leur lyrisme, s’empara aussi de bonne heure du drame élevé à l’ombre de l’église : elle l’amena sur ses places publiques, et y versa tous les sentiments naïfs ou vulgaires qui bouillonnaient dans les âmes de ses bourgeois.

601. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre IV. L’Histoire »

Depuis l’invasion barbare jusqu’à la révolution française, il nous donne moins l’histoire objective, impersonnelle, scientifique de la France, que les émotions de Jules Michelet lisant les documents originaux qui peuvent servira écrire cette histoire : on entend ses cris de joie, de douleur, d’amour, de haine, d’espérance, de dégoût, tandis que les pièces qu’il dépouille font passer sous ses yeux les passions, les désirs, les actes de nos ancêtres. […] On a publié depuis sa mort quelques carnets de notes de voyage, où les belles descriptions, les fortes émotions ne manquent pas : on sait ce que Michelet peut en ce genre.

602. (1829) De la poésie de style pp. 324-338

La puissante imagination de M. de Chateaubriand, sollicitée par tant d’émotions, ramenée vers la nature par les convulsions du monde politique, cherchant partout des démonstrations au spiritualisme, et faisant parler la terre et les cieux pour ranimer la foi religieuse, a trouvé là bien des couleurs. […] Après cela, mille causes accessoires y ont concouru : on a pris goût au style poétique de la Bible, qui était pour Voltaire un sujet d’ineffables risées ; on a pris goût aux littératures étrangères ; on a étudié l’Orient ; on a eu besoin d’émotions nouvelles ; le sentiment de la liberté et de l’individualisme s’est montré partout, s’est appliqué à tout ; enfin on retrouve ici, comme dans mille autres questions, l’influence de tout ce qui compose ce qu’on appelle l’esprit du siècle.

603. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre V »

Il me reste à louer le second acte presque entier ; il reproduit avec émotion le tableau, si souvent exposé, des amours adultères traînant tristement leur chaîne. […] Son succès semble le bruit et l’émotion de la ville.

604. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Mémoires d’outre-tombe, par M. de Chateaubriand. Le Chateaubriand romanesque et amoureux. » pp. 143-162

Quant aux autres émotions de ses jeunes années, M. de Chateaubriand s’est contenté de les confondre poétiquement dans un nuage, et de les mettre en masse sur le compte d’une certaine Sylphide, qui est là pour représenter idéalement les petites erreurs d’adolescence ou de jeunesse que d’autres auraient décrites sans doute avec complaisance, et que M. de Chateaubriand a mieux aimé couvrir d’une vague et rougissante vapeur. […] » On voit percer, même dans cette scène qui vise et touche à l’émotion, cette double fatuité qui ne le quitte jamais, celle de l’homme à bonnes fortunes qui veut rester jeune, et celle du personnage littéraire qui ne peut s’empêcher d’être glorieux.

605. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — II. (Suite et fin.) » pp. 436-455

Toutes ces harmonies, tous ces contrastes, ces réverbérations morales dont il a tant parlé dans les Études et dont il traçait une poétique un peu vague, il les a ici réalisés dans un cadre heureux, où, dès l’abord, le site, les noms des lieux, les aspects divers du paysage sont faits pour éveiller les pressentiments et pour concourir à l’émotion de l’ensemble. […] Quelle émotion grave et presque terrible dans l’assemblée, lorsque le mélodieux orateur, comme le Nestor d’une autre Iliade, mais Nestor qui flattait au lieu d’avertir, avec sa voix encore si accentuée sous la faiblesse de l’âge, abordant le sujet inévitable, retraça les derniers prodiges du Conquérant, qu’il nommait le Libérateur… Puis est venue une citation du discours de Bernardin de Saint-Pierre sur l’aigle, — l’aigle impériale d’alors ; — et là-dessus l’habile orateur, toujours ému et comme entraîné par ses souvenirs, s’est de nouveau écrié : « À cette image hardie, nouvelle, qui semblait suspendre la foudre sur toutes les têtes, l’auditoire se souleva tout entier d’enthousiasme, et ces voûtes parurent s’abîmer au bruit des applaudissements. » — Le morceau achevé, avec tous ses contrastes et ses ironies, M. 

606. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — I. » pp. 186-205

Si le spectacle des troubles et des émotions civiles où elle a été mêlée a semblé servir quelquefois à la fortifier et à l’élever même, un tel spectacle la contriste encore plus, et l’égarerait à coup sûr en se prolongeant : c’est surtout à l’heure où ces troubles s’apaisent et où ils sont encore à l’état de récent et de vif souvenir, que la littérature peut heureusement s’en inspirer pour jouir du calme rétabli, du sentiment de la civilisation reconquise, pour y porter un zèle ému, une ardeur trop longtemps contrainte et retardée, pour y signaler et pour y produire à quelque degré l’effet d’une renaissance. […] Le jeune abbé, invité par lui à ses dîners des mardis et des mercredis, y connut les savants du jour, les hommes de lettres de l’Académie des inscriptions, et quelques gens du monde qui se piquaient d’érudition et d’art ; il ressentit la première fois en leur présence quelque chose de ce même respect et de cette émotion qu’il avait prouvés à quinze ans en voyant d’abord M. de La Visclède : Ce profond respect pour les gens de lettres, dit-il, je le ressentais tellement dans ma jeunesse, que je retenais même les noms de ceux qui envoyaient des énigmes au Mercure.

607. (1889) Émile Augier (dossier nécrologique du Gaulois) pp. 1-2

La nouvelle de la mort, répandue rapidement dans les localités voisines, a produit une grande émotion. […] Nous n’avons pu les rencontrer tous, et ceux que nous avons réussi à joindre ont bien voulu, malgré leur émotion, nous donner quelques lignes, dont on leur sera, comme nous, reconnaissant.

608. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Jean Richepin »

Si la Critique était une chose de sensibilité, il serait absous… mais la Critique relève de plus haut que de l’émotion du critique. […] Mais ce n’est pas parce que Lamartine remonte vers Dieu que l’on trouve les blasphèmes momentanés du Désespoir et des Novissima verba sublimes, c’est parce qu’ils ont la flamme, l’émotion, l’intensité et la beauté inanalysable de cette substance mystérieuse qui est la Poésie, — cette âme dans une autre âme qui ne double pas toutes les âmes… Eh bien, cette âme exceptionnelle, l’auteur des Blasphèmes l’a comme Lamartine.

609. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre X : M. Jouffroy psychologue »

En dernier lieu, il est certain que ces observations et ces lois pourront être comprises, vérifiées et acceptées ; car déjà, tous les jours, les hommes se comprennent lorsqu’ils se parlent entre eux de leurs espérances, de leurs craintes, de leurs émotions, de leurs idées, toutes choses intérieures et invisibles. […] C’est dire que l’homme éprouve ces émotions parce qu’il les éprouve, et nous trouvons qu’on eût pu se dispenser de cette explication.

610. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVI. Des oraisons funèbres et des éloges dans les premiers temps de la littérature française, depuis François Ier jusqu’à la fin du règne de Henri IV. »

Peut-être l’effet de ce discours ne se serait-il pas borné à une émotion passagère, peut-être par la suite aurait-il pu prévenir de nouvelles divisions et de nouveaux crimes. […] Ainsi, un acteur célèbre (Baron), qui prétendait que l’émotion est en nous un sentiment involontaire, et presque indépendant de l’esprit, en mettant sur des paroles gaies, ou même ridicules, un accent pathétique, attendrissait peu à peu, et parvenait à faire couler les larmes.

611. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « SUR ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 497-504

André Chénier, comme nous l’avons dit, s’il eût survécu à la Terreur, serait devenu un chantre des émotions publiques, et ses idylles à la Théocrite, ses élégies éperdument amoureuses, ses Camille et ses Lycoris se fussent voilées ; les soupers de Barras eussent guéri cette muse des molles orgies d’autrefois.

612. (1874) Premiers lundis. Tome II « Mort de sir Walter Scott »

Sans doute cette faculté puissante et féconde, à laquelle nous devons tant de nobles jouissances, tant d’heures d’une émotion pure, tant de créations merveilleuses qui sont devenues une portion de nous-mêmes et de nos souvenirs, sans doute cette belle faculté commençait à faiblir sensiblement ; on n’osait plus en attendre des chefs-d’œuvre comparables aux anciens ; on craignait même de la voir se complaire dans une postérité de plus en plus débile, comme il arrive aux plus grands hommes en déclinant comme le bon Corneille ne sut pas assez l’éviter dans sa vieillesse.

613. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIX. De la littérature pendant le siècle de Louis XIV » pp. 379-388

Ces difficultés ajoutaient souvent à l’éclat du génie qui savait les vaincre ; mais quelquefois aussi l’expression recherchée refroidissait l’émotion.

614. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre III. De la sécheresse des impressions. — Du vague dans les idées et le langage. — Hyperboles et lieux communs. — Diffusion et bavardage »

Ils ont trois ou quatre mots précieux qui résument toutes leurs émotions esthétiques, et qui peuvent encore traduire toutes leurs impressions sur tout le monde physique et moral.

615. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Dierx, Léon (1838-1912) »

Et pourtant — ce pourquoi je l’aime et l’admire — il laisse parfois jaillir son émotion.

616. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Heredia, José Maria de (1842-1905) »

José-Maria de Heredia, savant comme Ovide, en d’éclatants sonnets nous a donné l’émotion des siècles disparus.

617. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Maeterlinck, Maurice (1862-1949) »

Il y a plus : il y a l’apport d’une émotion artistique de qualité spontanée et neuve, il y a l’emploi d’une phrase dont l’apparence simple est un miroir profond d’attitudes séculaires et de pensées accumulées, héritage perpétuel que se transmettront à jamais les âmes.

618. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Merrill, Stuart (1863-1915) »

Mais ils ont aussi l’émotion qui vivifie.

619. (1863) Molière et la comédie italienne « Préface » pp. -

Remis de leur émotion, selon la coutume des gens de théâtre qui tirent profit de toute chose, ils pensèrent faire une bonne affaire s’ils engageaient dans leur compagnie ce contadino qu’ils avaient trouvé si facétieux et si spirituel ; ils lui firent des propositions et il les accepta.

620. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 41, de la simple récitation et de la déclamation » pp. 406-416

L’émotion intérieure de celui qui parle, jette un pathétique dans ses tons et dans ses gestes que l’art et l’étude n’y sçauroient mettre.

621. (1860) Ceci n’est pas un livre « Les arrière-petits-fils. Sotie parisienne — Deuxième tableau » pp. 196-209

Cette émotion m’a tué… Francisque, qu’on raye le Légataire de l’affiche de ce soir… Demain, je demande le privilège des Délassements-Comiques.

622. (1912) L’art de lire « Chapitre VII. Les mauvais auteurs »

Les acteurs savent qu’il faut avoir le trac, l’émotion paralysante, avant la représentation ou pendant la représentation, et ils disent : « Si on l’a avant, on ne l’a pas pendant ; on est purgé » ; et il est possible.

623. (1891) La bataille littéraire. Quatrième série (1887-1888) pp. 1-398

Je sais tellement leurs flamboiements subits, leurs émotions, leurs déchaînements ! […] Le cérémonial de la remise des Sacrements est étonnant de vérité, d’émotion et de détails terrifiants. […] C’était l’émotion, longtemps combattue, qui débordait en lui, emportant les dernières rigidités du sacerdoce. […] La femme, l’air libre, ne leur donnaient pas d’émotion comparable. […] Étouffant d’émotion, elle murmura ce nom : « Léda », et s’enfuit en poussant des cris déchirants.

624. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre II. Dryden. »

Ces mœurs montrent que la littérature est devenue une œuvre d’étude, non d’inspiration, un emploi du goût, non de l’enthousiasme, une source de distractions, non d’émotions. […] Cette furie d’imagination allumée par le climat et la toute-puissance, ces nerfs de femme, de reine et de courtisane, cet abandon extraordinaire de soi-même à toutes les fougues de l’invention et du désir, ces cris, ces larmes, cette écume aux lèvres, cette tempête d’injures, d’actions, d’émotions, cette promptitude au meurtre annonçaient de quel élan elle allait heurter le dernier obstacle et se briser. […] On sent que son temps lui nuit, qu’il émousse lui-même l’âpreté et la vérité de son émotion, que le mot propre et hardi ne lui arrive plus, que tout autour de lui le style oratoire, les phrases d’auteur, la déclamation classique, les antithèses bien faites viennent bourdonner, étouffer son accent sous leur ronflement tendu et monotone. […] Après avoir erré dans les débauches et les pompes de la Restauration, Dryden entrait dans les graves émotions de la vie intérieure ; quoique catholique, il sentait en protestant les misères de l’homme et la présence de la grâce ; il était capable d’enthousiasme. […] Telle est cette ode pour la fête de sainte Cécile, admirable fanfare où le mètre et le son impriment dans les nerfs les émotions de l’esprit, chef-d’œuvre d’entraînement et d’art que Victor Hugo seul a renouvelé794.

625. (1880) Une maladie morale : le mal du siècle pp. 7-419

L’auteur parle avec émotion des récentes infortunes de ses compatriotes et donne aux malheureux des conseils marqués du cachet de l’époque. […] « Il nous faudrait, fait-il dire à Obermann, il nous faudrait une volupté habituelle et non des émotions extrêmes et passagères. […] Pendant longtemps l’amour, ses émotions, ses joies, sa puissance, n’avaient-ils pas défrayé la prose et la poésie ? […] L’école des mélancoliques avait bien commencé à affaiblir le prestige de l’amour par son dédain plus ou moins affecté pour les émotions communes. […] Dans cette terre de Milly, qu’il a plus d’une fois célébrée avec une émotion vraie, il jouissait avec bonheur de l’air pur de la liberté.

626. (1857) Causeries du samedi. Deuxième série des Causeries littéraires pp. 1-402

Seulement il s’agit de savoir si une puissance fatale ou vengeresse a voulu, pour humilier l’homme dans ses ouvrages, qu’il ne pût y atteindre au beau, y mettre de l’émotion et de la flamme, y exercer sur ses semblables le plus doux et le plus séduisant de tous les prestiges, qu’en foulant aux pieds les lois divines, en glorifiant le mal, en outrageant le bien. […] Il est temps d’en finir avec ce système pervers qui n’admet de poésie, d’émotion, de feu, d’éloquence, de richesse d’imagination et d’amour qu’en dehors des desseins de Dieu et de l’ordre des sociétés ; pour qui rien n’est beau, n’est grand, n’est passionné, s’il n’y sent le goût de la désobéissance et la saveur du fruit défendu. — « Un Juif n’a-t-il pas des pieds ? […] Presque toujours, chez M. de Balzac, le nœud et le dénoûment du drame sont empruntés, non pas à cet ordre de sentiments et de faits qui forme le vrai domaine du romancier et où il est sûr de se rencontrer avec l’émotion ou la curiosité de son lecteur, mais à une physiologie, à une pathologie médicale, obscure, indécente ou absurde. […] Chez lui, la verve de l’artiste et la véhémence du sectaire suppléent au vide et à la sécheresse du cœur ; mais que de malice encore et d’ironie et de scepticisme goguenard au fond de son émotion apparente ! […] Avec cette vivacité d’impressions qui le caractérise, il lui a suffi de s’approcher de cette femme aussi belle et plus pure que ses illustres contemporaines, pour que sa pensée et son langage y prissent un je ne sais quoi plus grandiose, plus mâle, plus simple, pour qu’une émotion indéfinissable se répandit sur tout son ouvrage, et éclatât, à la fin, en d’incomparables accents.

627. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome I

Votre pensée et votre émotion s’adaptent d’instinct à cet effet. […] Quelle devait être l’émotion du soldat recevant ces lettres, un souvenir personnel me permet de si bien l’imaginer. […] », un peu de l’émotion sacrée que nous éprouvons tous, aujourd’hui, à réparer envers ce grand mort l’injustice dont a souffert le vivant. […] Il s’est éveillé par un hasard, sous l’influence d’une de ces émotions collectives qui unissent dans une même vibration des milliers d’âmes, et une incomparable chanson est née, qui l’exalte et qui la répand, cette émotion, sans que l’auteur ou les auteurs de cette merveille — car elle est quelquefois la création de plusieurs — en soupçonnent le prix. […] D’avoir respiré l’atmosphère d’une époque tragique laisse aux âmes un besoin d’émotions fortes.

628. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. THIERS. » pp. 62-124

Thiers n’a jamais manqué, à l’occasion, de se prononcer contre cette disposition d’esprit si commune de nos jours, qui consiste à se replier sur soi, à s’analyser, à raconter ses propres émotions au lieu de chercher à s’en procurer de nouvelles ou d’en produire chez d’autres ; il appelle cela le genre impressif et le croit contraire à la destinée naturelle de l’homme, laquelle est plutôt dans le sens actif. […] Mais cette douce émotion passe comme un beau rêve, comme un bel air de musique, comme un bel effet de lumière, comme tout ce qui est bien, comme tout ce qui, nous touchant vivement, ne doit par cela même durer qu’un instant. » Certes de telles pages, négligemment jetées et venues comme d’elles-mêmes dans une brochure plutôt politique, attestent mieux que tout ce qu’on pourrait dire un coin de nature d’artiste bien mobile et bien franche (genuine), ouverte à toutes les impressions, et digne, à certains moments, de tout comprendre et de tout sentir. […] Il y a là comme une mélancolie rapide qui ajoute à l’émotion heureuse et qui se mêle, pour l’aiguiser, à l’ivresse de la gloire non moins qu’à celle du plaisir. […] Parfois un simple mot jeté, un mouvement rapide trahit l’émotion de l’historien et fait naître une larme : ainsi, quand au moment le plus désastreux de la bataille de Marengo, et lorsqu’on la croit perdue, il montre Desaix de loin devinant le danger et accourant à temps en forces au bruit du canon, qui ne s’écrierait avec lui, dans un présage douloureux vers la journée fatale des derniers malheurs : « Heureuse inspiration d’un lieutenant aussi intelligent que dévoué !

629. (1813) Réflexions sur le suicide

Il est donc simple que l’opinion des hommes du temps consacre le Suicide, tandis que celle des hommes de l’éternité exalte le Martyre : car celui qui fonde la morale sur le bonheur qu’elle doit donner sur cette terre hait la vie, quand elle ne réalise pas ce qu’il s’en promettait ; tandis que celui qui fait consister la véritable félicité dans l’émotion intérieure qu’excitent les sentiments et les pensées en communication avec la Divinité, peut être heureux malgré les hommes et, pour ainsi dire, à l’insu même du Sort. […] L’émotion, que dut causer une doctrine si nouvelle, égara les imaginations ardentes ; mais les Chrétiens, à qui les promesses d’une vie future n’ont été faites qu’en y joignant la menace des punitions pour les coupables, les Chrétiens peuvent-ils espérer que le Suicide soit un moyen de s’arracher à la peine qui les dévore ? […] Il me semblait que ma jeunesse suffisait pour m’excuser, quand il ne serait pas prouvé que j’ai résisté longtemps aux funestes honneurs dont j’étais menacée, et que ma déférence pour les désirs du Duc de Northumberland mon beau-père a pu seule m’entraîner à la faute que j’ai commise ; mais ce n’est pas pour accuser mes ennemis que je vous écris ; ils sont l’instrument de la volonté de Dieu comme tout autre événement de ce monde, et je ne dois réfléchir que sur mes propres émotions. […] Asham revint le lendemain et nous allâmes encore une fois sur les bords de cette Tamise, l’orgueil de notre belle contrée ; j’essayai de reprendre mes sujets habituels d’entretien, je récitai quelques passages des beaux chants de l’Iliade et de Virgile, que nous avions étudiés ensemble, mais la poésie sert surtout à se pénétrer d’un noble enthousiasme pour l’existence, le mélange séducteur des pensées et des images, de la nature et de l’âme, de l’harmonie du langage et des émotions qu’il retrace, nous enivre de la puissance de sentir et d’admirer ; et ce n’était plus pour moi que ces plaisirs étaient faits !

630. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (2e partie) » pp. 409-488

Sa poésie a une ingénuité de sentiments et d’émotions qui s’attachent à des objets pour lesquels le grand nombre n’a guère de sympathie, et où il y a plutôt travers d’esprit ou habitudes bizarres de jeune homme pauvre et souffreteux, qu’attachement naturel et poétique. La misère domestique vient gémir dans ses vers à côté des élans d’une noble âme et causer ce contraste pénible qu’on retrouve dans certaines scènes de Shakespeare, qui excite notre pitié, mais non pas une émotion plus sublime. […] Voilà Virgile et l’une des sources principales de son émotion. […] « “En tout, le paysage du domaine de Virgile était doux, d’une douceur un peu pâle et stagnante, de peu de caractère, peu propre à exciter de sublimes émotions ou à suggérer de vives images ; mais le poète avait vécu de bonne heure au milieu des grandes scènes du Vésuve ; et, même alors, s’il étendait ses courses un peu au-delà des limites de son domaine, il pouvait visiter, d’un côté, le cours grandiose du rapide et majestueux Éridan, ce roi des fleuves, et, de l’autre côté, la Bénaque, qui présente par moments l’image de l’Océan agité.

631. (1899) Les industriels du roman populaire, suivi de : L’état actuel du roman populaire (enquête) [articles de la Revue des Revues] pp. 1-403

Partout l’esprit populaire a les mêmes complaisances, partout il se montre aussi crédule, aussi avide d’émotions violentes. […] Il préférait délayer l’émotion, et il s’en acquittait pertinemment. […] Je n’en veux pour preuve que celle-ci, parmi beaucoup d’autres qu’on pourrait citer : l’intérêt, l’émotion, l’enthousiasme des auditoires populaires devant lesquels M.  […] Loliée sur Les industriels du roman populaire de même que l’enquête à laquelle ont bien voulu prendre part plusieurs de nos écrivains et critiques des plus éminents ont causé une émotion profonde en France et à l’étranger.

632. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 octobre 1885. »

Jules Simon écrit, Jules Favre et Jules Ferry se lèvent ; ils s’embrassent et expriment par leur mimique une grande émotion. […] Il avait écrit la Lettre sur la Musique, où est exposée la théorie du Drame, du Drame créant, complète et réelle, l’Émotion. […] Cependant, sous la profonde parité des théories, nous éprouvons, lisant les deux livres, deux étrangement différentes émotions. […] Parsifal, sans être, déjà, un Drame, tient la traduction, parfaite, de telles émotions ; Ma Religion est un merveilleux poëme de psychologie, où vit l’âme de Tolstoï, mieux que, en Anna Karénîn, les âmes préférées.

633. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — I. » pp. 301-321

Dans l’intervalle, et pendant le séjour qu’il fit en Lombardie, à Milan, à Brescia, à Bergame, à cet âge de moins de vingt ans ; au milieu de ces émotions de la gloire et de la jeunesse, de ces enchantements du climat, du plaisir et de la beauté, il acheva son éducation véritable, et il prit la forme intérieure qu’il ne fera plus que développer et mûrir depuis : il eut son idéal de beaux-arts, de nature, il eut sa patrie d’élection. […] Nous continuons de faire le même vœu, avec cette différence que, lui, il semblait accuser du retard tantôt le gouvernement d’alors avec sa censure, et tantôt le public français avec ses susceptibilités : « C’est cependant à ceux-ci, disait-il des Français de 1825, qu’il faut plaire, à ces êtres si fins, si légers, si susceptibles, toujours aux aguets, toujours en proie à une émotion fugitive, toujours incapables d’un sentiment profond.

634. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers (suite.) »

Enfin, mal guéri peut-être encore de ma passion pour Mme d’Houdetot, je sentis que plus rien ne la pouvait remplacer dans mon cœur, et je fis mes adieux à l’amour pour le reste de ma vie… « Mme de Boufflers, s’étant aperçue de l’émotion quelle m’avait donnée, put s’apercevoir aussi que j’en avais triomphé. […] Imaginez l’émotion et le coup de théâtre.

635. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Réminiscences, par M. Coulmann. Ancien Maître des requêtes, ancien Député. »

. — Il croyait aimer Mme de Staël, et il n’aimait que les émotions quelle lui donnait. […] « Oui, ma jeune amie, j’ai éprouvé une singulière émotion de la mort de Benjamin Constant.

636. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

La pièce commence : il écoute d’abord avec la physionomie la plus épanouie comme pour narguer ses voisins : l’intérêt peu à peu s’engage ; l’émotion gagne ; mais, quand vient la scène où Eulalie épanche son âme brisée dans le sein de la comtesse, on ose à peine respirer ; on n’y tient plus, on entend dans la salle quelques soupirs oppressés, puis des sanglots : la figure du mauvais plaisant s’altère elle-même ; il retire ses mouchoirs, et finit par s’en servir discrètement pour essuyer de vraies larmes. […] Cette veine d’émotion en elle n’excluait pas, à l’occasion, des accents de gaieté légère et d’enjouement.

637. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — M. de Sénancour, en 1832 »

Ce contemporain, dont le nom n’étonnera que ceux qui n’ont lu aucun de ses trois ouvrages caractéristiques, et qu’un instinct heureux de fureteur ou quelque indication bienveillante n’a pas mis sur la voie des Rêveries, d’Oberman et des Libres Méditations ; l’éloquent et haut moraliste qui débuta en 1799 par un livre d’athéisme mélancolique, que Rousseau aurait pu écrire comme talent, que Boulanger et Condorcet auraient ratifié comme penseurs ; qui bientôt, sous le titre d’Oberman, individualisa davantage ses doutes, son aversion sauvage de la société, sa contemplation fixe, opiniâtre, passionnément sinistre de la nature, et prodigua, dans les espaces lucides de ses rêves, mille paysages naturels et domestiques, d’où s’exhale une inexprimable émotion, et que cerne alentour une philosophie glacée ; qui, après cet effort, longtemps silencieux et comme stérilisé, mûrissant à l’ombre, perdant en éclat, n’aspirant plus qu’à cette chaleur modérée qui émane sans rayons de la vérité lointaine et de l’immuable justice, s’est élevé, dans les Libres Méditations, à une sorte de théosophie morale, toute purgée de cette âcreté chagrine qu’il avait sucée avec son siècle contre le christianisme, et toute pleine, au contraire, de confiance, de prière et de douce conciliation ; fruit bon, fruit aimable d’un automne qui n’en promettait pas de si savoureux ; cet homme éminent que le chevalier de Bouflers a loué, à qui Nodier empruntait des épigraphes vers 1804 ; que M. […] L’auteur de cet article a rencontré pour la première fois les deux volumes d’Oberman à une époque où il achevait lui-même d’écrire un ouvrage de rêverie individuelle qui rentre dans l’inspiration générale de son aîné ; il ne saurait rendre quelle étonnante impression il en reçut, et combien furent senties son émotion, sa reconnaissance envers le devancier obscur qui avait si à fond sondé le scepticisme funèbre de la sensibilité et de l’entendement.

638. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) «  Mémoires et correspondance de Mme d’Épinay .  » pp. 187-207

Trente ans de distance ont suffi pour laisser tomber bien des bruits et pour apaiser bien des émotions. […] À vingt ans, elle est vive, mobile, confiante et un peu crédule, tendre, avec un front pur, décent, des cheveux bien plantés, une fraîcheur qui passa vite, et volontiers avec des larmes d’émotion dans ses beaux yeux.

639. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon. » pp. 270-292

Cette longue nuit étant ainsi plus qu’à demi écoulée, chacun à bout d’émotion et de drame va se coucher enfin, et les plus affligés dorment le mieux ; mais Saint-Simon, encore enivré d’une telle orgie d’observation, dort peu. […] Irrassasiable d’émotions et infatigable à les exprimer, il ne tarde pas à pousser la langue jusqu’à ses dernières limites.

640. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Michaud, de l’Académie française. » pp. 20-40

Michaud n’a jamais le cri, il reste dans ses nuances ; il dit ce qu’il sent, il confesse ce qu’il est, et les émotions rêveuses ou pieuses qu’il exprime nous arrivent dans une sorte de douceur et de modération d’autant plus persuasives. […] Mais, quels que soient les motifs qui m’ont conduit, je n’ai point traversé cette Voie douloureuse sans éprouver une vive émotion et sans m’élever à de religieuses pensées.

641. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XX. Le Dante, poëte lyrique. »

Merveilleux et tendresse, sublimité des images et profonde émotion du cœur, il y aura donc là ce que la poésie la plus vraie, la plus naturelle, avait pu concevoir de plus grand, à la pensée de Dieu et sous les rayons de la plus éclatante nature ; et là devait se rencontrer aussi ce que l’âge plus avancé du monde, ce que l’expérience plus triste de la vie, ce que les malheurs réitérés des siècles, auront appris à l’âme humaine. […] Un de ces chants était, dit-on, de saint François lui-même, et n’en est pas indigne par la ferveur de l’émotion dans l’abondance négligée des paroles.

642. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française. Ve et VIe volumes. »

Thiers n’a pas prétendu répartir avec méthode ses émotions, et s’il lui arrive de jeter parfois une plainte sur les tombes entrouvertes de certains coupables immolés, cette plainte lui échappe sincère et légitime encore ; elle lui est arrachée, comme au lecteur, par quelque circonstance de leur supplice, et par cette conviction qu’ils n’ont été qu’égarés.

643. (1874) Premiers lundis. Tome I « Madame de Maintenon et la Princesse des Ursins — II »

C’est moi qui ai désiré ardemment l’archevêché de Paris : quelles terribles affaires avons-nous contre un prélat (le cardinal de Noailles) qui, étant irréprochable dans ses mœurs, tolère le plus dangereux parti qui pût s’élever dans l’Église ; qui désole sa famille, et afflige sensiblement le roi dans un temps où sa conservation est si nécessaire. » Il faut le dire, cependant, cette vénération excessive pour la personne du vieux monarque n’est souvent qu’un devoir d’épouse qui honore madame de Maintenon ; il semble que ce soit le seul sentiment capable d’enlever cette âme froide à elle-même, et d’en tirer des accents de véritable émotion.

644. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Réception à l’Académie Française »

Mais c’est quand M. de Lamartine, au terme de son discours, est venu à jeter un regard en arrière et autour de lui, quand il a porté sur le xviiie  siècle un jugement impartial et sévère, quand il s’est félicité de la régénération religieuse, politique et poétique de nos jours, qu’il appelle encore une époque de transition, et qu’il s’est écrié prophétiquement : « Heureux ceux qui viennent après nous ; car le siècle sera beau » ; — c’est alors que l’émotion et l’enthousiasme ont redoublé : « Le fleuve a franchi sa cataracte, a-t-il dit ; plus profond et plus large, il poursuit désormais son cours dans un lit tracé ; et, s’il est troublé encore, ce ne peut être que de son propre limon. » Puis il a insinué à l’Académie de ne pas se roidir contre ce mouvement du dehors, d’ouvrir la porte à toutes les illustrations véritables, sans acception de système, et de ne laisser aucun génie sur le seuil.

645. (1874) Premiers lundis. Tome I « Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme. Deuxième édition. »

Sainte-Beuve, dont la sensibilité est vraie et profonde, a cru que des émotions neuves ne pouvaient, pour ainsi dire, prendre consistance que dans un moule poétique tout nouveau.

646. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIV. De la plaisanterie anglaise » pp. 296-306

La gaieté et l’éloquence ne sont point les simples résultats des combinaisons de l’esprit ; il faut être ébranlé, modifié par l’émotion qui fait naître l’une ou l’autre, pour obtenir les succès du talent dans ces deux genres.

647. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre III. Buffon »

Mais Buffon seul a donné au sentiment de la nature toute sa profondeur ; il en a fait une émotion philosophique où l’impression des apparences s’accompagne d’une intuition de la force invisible, éternelle, qui s’y manifeste selon des lois immuables, où le spectacle de l’ordre actuel évoque par un mélancolique retour les vagues et troublantes images des époques lointaines dont le débris et la ruine ont été la condition de notre existence.

648. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Prosper Mérimée. »

Il put celer aux autres les émotions de son âme trop tendre ; mais, les renfermant en lui-même, il se les rendit cent fois plus cruelles.

649. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Contre une légende »

Mais l’accent était le même ; c’était le même sérieux, la même ardeur pieuse, la même émotion profonde de tout l’être attentif à la vérité.

650. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — K — Kahn, Gustave (1859-1936) »

Évidemment, il assigne à la poésie le rôle d’une musique spéciale, et la veut consacrée à l’expression d’états de l’âme spéciaux : de ces larges et troubles coulées d’images, par instants envahissant l’esprit, incapables d’être notées dans une prose, et constituant, pour la psychologie, l’essence même des émotions… La forme musicale de M. 

651. (1898) Inutilité de la calomnie (La Plume) pp. 625-627

Il n’a aucune émotion.

652. (1913) Le bovarysme « Troisième partie : Le Bovarysme, loi de l’évolution — Chapitre II. Bovarysme essentiel de l’être et de l’Humanité »

Ce vœu de l’existence se voit donc réalisé d’une façon concrète et saisissable selon deux modes dans l’humanité : sous son aspect le plus haut et le plus dramatique, ainsi qu’on l’a déjà montré, avec le héros qui, parvenu à l’émotion esthétique, se reconnaît le propre créateur de la suggestion qui lui fit accomplir sa destinée, sous un autre aspect moins mystique, avec le savant qui, désintéressé des applications déduites par les autres hommes de ses découvertes, fait sa joie du seul fait de connaître, du seul spectacle de toutes les choses créées par l’activité objective de l’être.

653. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Seconde Partie. De l’Éloquence. — Éloquence du barreau. » pp. 193-204

Point d’entassement, point de figures, point de pathos, point d’émotion empruntée, disoit-il ; ou, si l’on y a recours, c’est se rendre indigne de sa profession, c’est gâter sa propre cause & supposer les juges malhonnêtes gens.

654. (1867) Le cerveau et la pensée « Avant-propos »

Nous voyons les lésions de l’instrument compensées par le génie de l’exécutant, tel instrument malade et blessé devenir encore une source de merveilleuse émotion entre les mains d’un article ému et sublime.

655. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre VI. Conclusions » pp. 232-240

Les tendances générales nous semblent être : Le retour à la simplicité, à la tradition française qui compte autant avec l’avenir qu’avec le passé, au respect des formes syntaxiques ; l’abandon presque complet du vers-libre qui a pourtant donné de beaux poèmes ; le dédain des émotions factices ; le souci du fait social sans toutefois lui laisser la prédominance ; la Renaissance de la critique.

656. (1761) Salon de 1761 « Récapitulation » pp. 165-170

Le sujet est pathétique, et l’on se sent gagner d’une émotion douce en le regardant.

657. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XV. De Tacite. D’un éloge qu’il prononça étant consul ; de son éloge historique d’Agricola. »

Il semble que Tacite, fatigué des émotions douloureuses et profondes que lui a données l’indignation du crime et le spectacle de la cour d’un tyran, cherche, pour écarter ces images, à se reposer sur les sentiments les plus doux de la nature : c’est la sensibilité d’un grand homme qui tout à la fois vous attendrit et vous élève.

658. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 novembre 1886. »

Donc le vendredi 23 juillet, là-bas, en Bavière, sur cette colline, sur cette large terrasse sablée où le théâtre dresse sa modeste façade de briques et de bois, le Tout-Wagner parisien, le Tout-Wagner de Londres, de Vienne, d’Italie, du monde entier se sont jetés, avec émotion, dans les bras les uns des autres. […] « Des désirs impétueux, nous dit l’organe du wagnérisme, grandissent en elle … Les deux héros (érotiques vaudrait mieux) se regardent en face suffoqués d’émotion … Tristan porte la main à son front », « Iseult porte la main à son cœur ». […] En ce qui concerne ces deux artistes hors ligne, on ne vit jamais, paraît-il, une telle identification des acteurs avec leurs personnages : c’était à craindre, ce certains endroits, de les voir succomber à leurs émotions presque surhumaines.

659. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « IV »

L’artiste en cheveux se trouvait être un mélomane fort au courant des choses et sachant son monde ; il reconnut le grand homme, et tout en faisant effort pour dominer son émotion : —  N’ai-je pas, en ce moment, demanda-t-il, l’insigne honneur de tenir en mes mains la tête illustre qui a conçu Lohengrin ? […] Or, les sensations intimes, les émotions vraies, les croyances, nous les gardons imo in pectore. […] Lamoureux, circonvenu, harcelé, a résisté de son mieux, mais il a fini par s’incliner devant la volonté ministérielle… Le lendemain, nouvelle note : L’ajournement de Lohengrin a produit, comme on le devine, une grande émotion dans le personnel qui répétait, depuis plusieurs semaines, l’opéra de Wagner.

660. (1856) Mémoires du duc de Saint-Simon pp. 5-63

Quand un homme nous met le feu au cerveau, nous nous sentons presque du génie sous la contagion de sa verve ; par la chaleur notre esprit arrive à la lumière ; l’émotion l’agrandit et l’instruit. […] Il note les émotions comme elles viennent, violemment, puisqu’elles sont violentes, et que, l’occupant tout entier, elles lui bouchent les oreilles contre les réclamations du bon style et du discours régulier. […] Ajoutez des expressions vieillies, populaires, de circonstance ou de mode ; le vocabulaire fouillé jusqu’au fond, les mots pris partout, pourvu qu’ils suffisent à l’émotion présente, et par-dessus tout une opulence d’images passionnées digne d’un poète.

661. (1902) Symbolistes et décadents pp. 7-402

Hervieu, ni la discrète émotion de M.  […] À l’art il demanderait plus d’émotion et de vie, et non point la fourniture donnée aux loisirs ou aux besoins de comparaison de telle classe assez riche pour acheter les livres, et certes il a raison. […] Voilà une des caractéristiques du poète : assez peu difficile sur le choix de son sujet, et sur l’ordre de l’émotion, il sait colorer d’expression son fond un peu terne et il sait dominer, et concréter sobrement une sentimentalité sans grand raffinement, au moins à ce début de sa vie littéraire. […] En bon symbolisme, on tenterait de se mettre au point de vue même des auteurs de chansons populaires et d’extraire l’essence du dict qu’on leur supposerait ; il faudrait donner le charme et l’émotion d’une chanson du vieux temps, sans en traduire les rides, sans reproduire les tics. […] À la Bonne Franquette s’ouvre par vingt-cinq de ces amusettes ; on ne voit pas pourquoi ce poète ému, à qui l’émotion réussit si bien, s’amuse à rechercher de ces vers simples et bêtas dont on dit qu’ils sont de bons refrains de ballades.

662. (1892) Sur Goethe : études critiques de littérature allemande

Si Goethe ne pouvait relire son poème sans être touché, c’est que, pour l’écrire, il était en effet remonté à la source de toutes les émotions naturelles. […] Entre les émotions à demi effacées de l’enfance et les soins encore inconnus de l’âge mûr, le poète nous raconte enfin cette joie suprême de la jeunesse : l’amour et l’éternelle union dans l’amour. […] si réservées, malgré la douce émotion qui y règne ! […] adieu les émotions suaves, compagnes de la simplicité de cœur ! […] Ce livre a été écrit comme il sera lu, avec une émotion de révolte contre les Pharisiens.

663. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre premier. Les fonctions des centres nerveux » pp. 239-315

« Un certain bruit d’appel fait avec les lèvres, ou un souffle brusque imitant celui qu’émettent les chats en colère, excitent surtout chez le rat intact une vive émotion. […] Tous ceux d’entre vous qui ont examiné les effets de l’émotion chez le rat intact doivent reconnaître qu’ils offrent complètement ici les mêmes caractères. » — Enfin l’action de la protubérance est encore la condition nécessaire et suffisante des sensations du goût121. […] À plus forte raison, ces sensations isolées n’éveillent plus les images associées qui constituent la mémoire, la prévision, par suite les jugements, et tout ce cortège d’émotions, désirs, craintes, volontés, que développe la notion du danger prochain ou du plaisir futur. […] La preuve de sa persistance secrète est dans l’émotion, dans le malaise, dans les sollicitations sourdes que vous avez ressenties pendant tout l’intervalle et que sa présence obscure excitait en vous. — De même, vous recevez une bonne ou une mauvaise nouvelle, et, au bout d’une heure, vous cessez d’y penser ; et néanmoins, au bout de cette heure et souvent pendant toute la journée, vous éprouvez encore un bien-être ou une inquiétude mal définis, que vous ne savez d’abord comment expliquer, et que vous ne comprenez qu’après réflexion, lorsque vous revient le souvenir de la nouvelle. — Parmi les images ou idées latentes, il faut aussi compter toutes celles des actions que l’on exécute, l’esprit occupé par une autre image ou idée prépondérante. […] La règle est générale, qu’il s’agisse des muscles qui jouent pour proférer la parole, ou des muscles qui travaillent pour remuer les membres, pour exprimer les émotions, pour opérer ou aider les perceptions.

664. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1892 » pp. 3-94

Daudet me dit qu’il n’a plus l’émotion du théâtre, qu’il n’en a que la nervosité agacée. […] Samedi 2 avril Le vrai bon théâtre, c’est une émotion ou une gaîté procurée n’importe comment. […] » Et l’émotion, la suée de Lafontaine fut telle, qu’il soutient que la couleur de ses gants avait changé. […] Puis un volume manuscrit de pièces sur les prisonniers du donjon de Vincennes, et c’est avec une véritable émotion, que je lis la lettre d’incarcération de Diderot, et la lettre qui lui donne la clef des champs. […] Émotion.

665. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

C’est qu’elle lui représente ses propres formes exprimées par des traits, ses différents âges et sa vie, par des couleurs, ses émotions, par le choix des attitudes, les lieux et l’action des hommes, par les groupes et la perspective. […] Ces seules paroles font éclater à la fois le sacrifice des droits de sa majesté méconnue, et l’émotion de ses entrailles paternelles. […] Il faut au dessein prémédité, des obstacles qui le traversent ; aux personnages, des variations de fortune : sans cela, point d’émotions, point de surprise. […] Les bontés du tyran pour Cinna, la rivalité de Maxime qu’il croit son ami, les fluctuations des volontés contraires, le développement des intérêts privés et publics, les alternatives du sort des personnages, soutiendront sans cesse les mouvements de l’esprit et du cœur, et prépareront à chaque acte, à chaque scène, de nouvelles émotions qui parviendront à leur comble au dénouement. […] Or le rhéteur de Stagireah énonce expressément ces deux maximes très recommandables, que la tragédie ne doit pas exciter toutes sortes d’émotions, ni faire couler des larmes vulgaires.

666. (1854) Causeries littéraires pp. 1-353

Sans adopter tout à fait cette façon singulière d’admirer madame de Girardin, on peut se demander si, dans les œuvres d’art, dans le roman et le drame par exemple, cette poésie de convention, cette élégance de marqueterie, cette intervention perpétuelle d’une femme d’infiniment d’esprit derrière ses personnages, sont bien favorables à l’illusion, à l’émotion, à l’entraînement pathétique et sincère, et finalement au succès. […] Alix, la Crise, Rédemption montrèrent, vers cette époque, toutes les ressources de cette plume délicate, de cette observation pénétrante et flexible, qui, dégagée des combinaisons vulgaires et de l’attirail matériel du théâtre, n’en arrivait que plus sûrement à l’émotion et à l’effet. […] le poëte, c’est l’homme qui a, mieux que nous tous, la rêverie et l’image, le sentiment et l’émotion, la faculté de vibration intime, dont nous possédons tous le germe ; c’est l’homme qui sait faire de son impression individuelle une partie de la nôtre, et qui, placé en face des spectacles extérieurs ou des phénomènes de l’âme, interprète ce que nous voyons par ce qu’il voit, ce que nous ressentons par ce qu’il ressent. […] Autran, trois sources d’inspiration principales : les souvenirs, le paysage et le drame ; les images du passé qui se mêlent à l’histoire de la mer ; les aspects toujours nouveaux, toujours infinis, qu’elle présente à qui sait la regarder ; et enfin cette portion des joies, des douleurs, des émotions humaines, qu’elle voit passer sur ses bords ou qu’elle engloutit sous ses flots. […] Nous le répétons, cet ensemble ne manque ni d’intérêt, ni d’émotion, ni de vérité ; mais il n’y a pas là de comédie.

667. (1933) De mon temps…

Qui ne se souvient de l’émotion heureuse qui en accueillit le premier recueil ? […] Elle en a partagé fiévreusement les passions, les illusions, les émotions heureuses ou tragiques. […] Je le revois, à la fois joyeux et intimidé, très beau avec ses longs cheveux blancs, son pâle visage, ses yeux au noir regard, écoutant avec une émotion souriante l’hommage tardif, mais enthousiaste, rendu à sa glorieuse et haute vieillesse, à son œuvre, à sa noble vie. […] Promise aux démolisseurs, à l’abandon dans son mélancolique jardin désert, elle n’était plus qu’une fragile ruine qui rappelait le souvenir d’une magnifique et misérable destinée, et nous écoutions le poète de l’Après-midi d’un Faune nous parler avec émotion du poète de La chute d’un Ange, dont les derniers jours avaient été le crépuscule d’un dieu. […] Son vers concentre avec une précise concision l’émotion d’un sentiment ou la couleur d’une image.

668. (1805) Mélanges littéraires [posth.]

Ce que l’on conçoit bien, a dit Despréaux, s’énonce clairement  : j’ajoute, ce que l’on sent avec chaleur, s’énonce de même, et les mots arrivent plus aisément pour rendre une émotion vive, qu’une idée claire. Le soin froid et étudié-que l’orateur se donnerait pour exprimer une pareille émotion, ne servirait qu’à l’affaiblir en lui, à l’éteindre même, ou peut-être à prouver qu’il ne la ressentait pas. […] Le sentiment dont l’orateur doit être rempli, est, comme je l’ai dit, un sentiment profond, fruit d’une sensibilité rare et exquise, et non cette émotion superficielle et passagère qu’il excite dans la plupart de ses auditeurs ; émotion qui est plus extérieure qu’interne, qui a pour objet l’orateur même plutôt que ce qu’il dit, et qui, dans la multitude, n’est souvent qu’une impression machinale et animale produite par l’exemple et par le ton qu’on lui a donné. L’émotion communiquée par l’orateur, bien loin d’être dans l’auditeur une marque certaine de son impuissance à produire des choses semblables à ce qu’il admire, est au contraire d’autant plus réelle et d’autant plus vive, que l’auditeur a plus de génie et de talent : pénétré au même degré que l’orateur, il aurait dit les mêmes choses, tant il est vrai que c’est dans le degré seul du sentiment que l’éloquence consiste. […] L’éloquence ne consiste proprement que dans des traits vifs et rapides ; son effet est d’émouvoir vivement, et toute émotion s’affaiblit par la durée.

669. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid (suite.) »

Mais ce n’étaient que fleurs peintes et lustrées, printemps artificiel ; tout cela laissait froid et sans émotion, et ne s’adressait qu’aux lettrés. […] Je voudrais ressaisir et rendre ici le plus que je pourrai de l’émotion du Cid, de l’étincelle électrique qu’en reçut le public d’alors.

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