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39. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIII. Dernière semaine de Jésus. »

Le murmure qui lui échappe à Béthanie semble supposer que parfois il trouvait que le maître coûtait trop cher à sa famille spirituelle. […] Ce n’était pas le festin rituel de la pâque, comme on l’a supposé plus tard, en commettant une erreur d’un jour 1074 ; mais pour l’Église primitive, le souper du jeudi fut la vraie pâque, le sceau de l’alliance nouvelle. […] Partant de l’hypothèse que Jésus savait d’avance avec précision le moment de sa mort, les disciples devaient être amenés à supposer qu’il réserva pour ses dernières heures une foule d’actes importants. […] Les passages Matth., XXI, 1, Marc, XI, 1, Luc, XIX, 29, n’impliquent pas nettement que Bethphagé fût un village, comme l’ont supposé Eusèbe et S. […] Mais Jean, dont le récit a pour cette partie une autorité prépondérante, suppose formellement que Jésus mourut le jour même où l’on mangeait l’agneau (XIII, 1-2, 29 ; XVIII, 28 ; XIX, 14, 34).

40. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre II : Partie critique du spiritualisme »

Supposons qu’il y ait en dehors de nous une certaine chose appelée matière, — ce qui peut être mis en doute ; — écartons l’idée de cette chose considérée dans son essence, laquelle nous est aussi inconnue que celle de l’âme ; prenons enfin l’idée de la matière telle que l’expérience nous la donne et telle qu’elle est représentée par les sens et par l’imagination, à savoir comme une pluralité de choses coexistant dans l’espace, quelles que soient d’ailleurs ces choses (atomes, phénomènes ou monades) ; — on peut affirmer qu’une telle pluralité, et en général toute pluralité, est hors d’état de se connaître intérieurement comme être, puisque cette pluralité n’a pas d’intérieur. […] Les sceptiques, en parlant des contradictions humaines, supposent par là même qu’il y a plusieurs esprits différant les uns des autres. […] Supposez l’être infini, un et homogène, supposez-le affecté de phénomènes multiples, supposez enfin qu’il ait conscience de lui-même, je le répète, il y aura en lui une seule conscience, une conscience totale et unique, mais non une pluralité de consciences fermées les unes aux autres, comme le sont les consciences humaines : d’où je conclus qu’entre l’unité primitive, s’il y a une telle unité, et la multitude infinie des phénomènes, il doit y avoir des principes d’unité distincts, des points de conscience. […] La distinction des deux sujets est le seul point fondamental ; quant à la participation de l’un et de l’autre (selon l’expression de Platon), vous pouvez la supposer aussi intime qu’il vous plaira, pourvu qu’elle n’aille pas jusqu’à l’absorption.

41. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « De la tragédie chez les Anciens. » pp. 2-20

Il y a lieu de croire que, bien qu’un seul acteur parût et récitât, il supposait une action réelle, et qu’il venait, dans les intervalles du chœur, en rendre compte aux spectateurs, soit par voie de narration, soit en jouant le rôle d’un héros, puis d’un autre, et ensuite d’un troisième. Je suppose, par exemple, que Thespis, ou quelque autre de ses successeurs, eût pris pour sujet, comme Homère, la colère d’Achille : je m’imagine, que son acteur, représentant le prêtre d’Apollon, venait dire que vainement il avait tâché de fléchir Agamemnon par des prières et des présents ; que ce roi inflexible s’était obstiné à ne lui pas rendre sa fille Chryséide ; que sur cela Chrysès implorait le secours du dieu pour se venger. […] Je vais encore plus loin, et je suppose qu’Eschyle n’ait pas connu tout d’un coup que le but de la tragédie était de corriger la crainte et la pitié par leurs propres effets : du moins on doit convenir que, puisqu’il a tâché de les exciter dans ses pièces, il a eu en vue de réjouir ses spectateurs par l’imitation de la crainte et de la pitié, et que par conséquent il a senti le prix de ces passions mises en œuvre. […] Mais pour ces mouvements, il faut des changements de fortune, des reconnaissances, des intrigues ; et tout cela suppose une ou plusieurs actions. […] Les parties principales de toute tragédie sont l’exposition, le nœud ou intrigue, et le dénouement ou catastrophe : mais ces mêmes parties, qu’Aristote appelle les parties d’extension ou de quantité, en supposent plusieurs autres qui font corps avec elles, et que le même poète nomme parties intégrantes.

42. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre V. Les figures de lumière »

Dès que nous le supposons en mouvement, les deux figures se dissocient. […] Supposons (nous reviendrons bientôt sur ce point) que l’observateur en S ait coutume de mesurer son temps par une ligne de lumière, je veux dire de coller son temps psychologique contre sa ligne de lumière OB. […] Alors, par extension, on appelle encore temps les lignes de lumière, cette fois allongées, du système supposé en mouvement, en se contraignant soi-même à oublier qu’ils tiennent tous dans la même durée. […] Or, que l’observateur intérieur au système S suppose son système en repos ou en mouvement, sa supposition, simple acte de sa pensée, n’influe en rien sur les horloges du système. […] Seule fait exception, naturellement, la figure de lumière du système supposé immobile : ainsi, dans notre première figure, OB et OA sont à la fois lignes souples de lumière et lignes rigides d’espace, l’appareil BOA étant censé au repos.

43. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre II. De la reconnaissance des images. La mémoire et le cerveau »

Il faudra donc supposer que le mécanisme cérébral, médullaire ou bulbaire, qui sert de base à l’habitude motrice, est en même temps le substrat de l’image consciente. […] Si, après avoir fixé un objet, nous détournons brusquement notre regard, nous en obtenons une image consécutive : ne devons-nous pas supposer que cette image se produisait déjà quand nous le regardions ? […] On suppose, il est vrai, que les souvenirs auditifs des mots, accumulés dans la mémoire, répondent ici à l’appel des impressions sonores et viennent en renforcer l’effet. Mais si la conversation que j’entends n’est pour moi qu’un bruit, on peut, autant qu’on voudra, supposer le son renforcé : le bruit, pour être plus fort, n’en sera pas plus clair. […] On suppose ici une lésion sous-corticale qui empêcherait les impressions acoustiques d’aller retrouver les images verbales auditives dans les centres de l’écorce où elles seraient déposées.

44. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre II : Variations des espèces à l’état de nature »

— Il est encore des différences légères, qu’on peut appeler différences individuelles, et qu’on voit souvent se produire dans la postérité des mêmes parents, ou entre des individus auxquels on peut supposer une souche identique, comme représentants de la même espèce dans une même localité fermée. Personne ne suppose que tous les individus de la même espèce soient jetés absolument dans le même moule. […] Qui aurait jamais supposé, par exemple, que les bifurcations du nerf principal, près du grand ganglion central d’un insecte, fussent variables dans une même espèce ? […] Il arrive même souvent qu’une forme est considérée comme variété d’une autre, non parce que les liens intermédiaires sont actuellement connus, mais parce que l’analogie conduit l’observateur à supposer, ou qu’ils existent quelque part, ou qu’ils peuvent avoir existé jadis : une large porte s’ouvre alors aux doutes et aux conjectures. […] Il n’est pas besoin, du reste, de supposer que toutes les variétés ou espèces naissantes atteignent nécessairement le rang d’espèce.

45. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Mignet : Histoire de la Révolution française, depuis 1789 jusqu’en 1814. 3e édition. »

Il est pourtant des esprits plus fortement doués pour lesquels la raison des choses est l’objet constant et fixe d’une véritable passion et d’un violent besoin ; ils la poursuivent en toute recherche, la demandent à chaque circonstance, et, obsédés du tourment de l’atteindre, plutôt que de s’en passer, la supposent. […] Un pas de plus encore ; que cette force soit supposée émanée d’en haut, qu’elle ne soit que la voix humaine par laquelle se promulgue une volonté supérieure, l’instrument par lequel elle s’accomplit, et voilà que d’un seul coup on est transporté dans le système de Bossuet. Lui aussi ne voit dans une révolution qu’un acte unique et fatal régulièrement accompli en plusieurs temps marqués ; seulement, au lieu d’en mesurer la durée d’après la succession naturelle des passions humaines, il la mesure d’après la succession supposée des pensées divines. […] Que la fièvre inflammatoire, je le suppose, n’eût pas saisi Mirabeau, qu’une tuile un coup de sang eût tué Robespierre, qu’une balle eût atteint Bonaparte, la face des choses n’aurait-elle pas changé ?

46. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre deuxième. Le développement de la volonté »

Mais, selon nous, une telle conclusion dépasse les prémisses du simple mécanisme et suppose un point de départ psychique. […] Il ne faut pas confondre le réflexe psychique, qui suppose une sensation et émotion plus ou moins conscientes, avec les réflexes purement mécaniques, où il n’y a plus aucune sensation appréciable. […] On a supposé là un mode de détermination tout à fait particulier, consistant à être mû par des idées pures sans images et par des rapports tout abstraits. […] La continuelle réaction des facteurs personnels dans le jugement et dans la délibération ne suppose donc en rien l’indéterminisme. […] On y suppose, en effet, des forces indépendantes, dont chacune agit comme si les autres n’existaient pas.

47. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. John Stuart Mill — Chapitre III : Théorie psychologique de la matière et de l’esprit. »

Nous oublions qu’elles ont leur fondement dans la sensation, et nous supposons qu’elles en sont intrinsèquement distinctes. […] Supposez que je considère l’Esprit divin simplement comme la série des pensées divines prolongée pendant l’éternité, ce serait assurément considérer l’existence de Dieu comme aussi réelle que la mienne ; ce serait faire ce qu’au fond on fait toujours, c’est-à-dire se fonder sur la nature humaine pour en inférer la nature divine. […] Laissez-nous donc simplement faire disparaître par la pensée ce support et supposer que les phénomènes restent, et forment les mêmes groupes et les mêmes séries, grâce à quelque autre agent ou même sans aucun agent, si ce n’est une loi interne, et nous arriverons, sans substance, aux conséquences en vue desquelles la substance était supposée. […] Descartes supposait un medium matériel entre le soleil et la terre pour expliquer leur action réciproque ; mais la loi d’attraction universelle l’explique beaucoup mieux que les tourbillons124.

48. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XII : Distribution géographique (suite) »

Pourquoi les espèces qu’on suppose créées dans l’archipel Galapagos, et nulle autre part, portent-elles l’empreinte d’une parenté étroite avec celles que l’on croit spécialement créées en Amérique ? […] Mais nous nous formons souvent une opinion fort erronée, lorsque nous supposons que des espèces proche-alliées envahissent nécessairement le territoire l’une de l’autre dès que de libres communications s’établissent entre elles. […] Supposons maintenant que le Merle moqueur de l’île Chatham soit poussé par le vent dans l’île Charles qui a son Merle moqueur spécial, pourquoi réussirait-il à s’y établir ? […] Notre première édition portait : « Pourtant l’on m’a assuré qu’une grenouille vit sur les montagnes de la Nouvelle-Zélande, et je suppose que cette exception, si elle est réelle, peut s’expliquer par l’action glaciaire. […] L’hypothèse que d’anciennes terres continentales auraient existé entre des îles aujourd’hui isolées n’a rien de plus improbable que celle qui suppose l’existence antérieure d’îles ou d’archipels parsemés.

49. (1894) Propos de littérature « Chapitre III » pp. 50-68

En effet, la nature ne nous montre que des masses lumineuses ; le trait n’existe pas en soi et suppose l’effort de l’homme qui l’abstrait du milieu ambiant, — je ne prétends pas donner cela comme une découverte ; — le trait implique un geste caché. […] Si nous supposons deux peintres maîtres de leur art, usant de la même technique — car il ne s’agit pas ici de la « manière » — et placés devant le même site ou devant le même groupe de personnages, ils en restitueront également les proportions et dans leurs tableaux les rapports des tons lumineux, les « valeurs » seront identiques ; mais les deux œuvres différeront par les qualités du trait et par le coloris. […] Mais la poésie contemporaine (et je suppose ici réalisées toutes les promesses, sans doute inconscientes, qu’elle contient), a pris conscience de sa véritable nature. […] Supposons qu’une fantaisie du goût eût, pendant des années, contenu le ballet dans l’immobilité du « tableau vivant », par exemple. […] Vielé-Griffin — mais n’y a-t-il pas lieu de s’étonner que la pensée de ce poète, tendue vers l’énergie, se complaise en un pays de vie facile où l’action ne suppose pas l’effort ?

50. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Première partie — Chapitre III. Les explications anthropologique, idéologique, sociologique »

— Certes elle rend compte de bien des similitudes, mais n’en suppose-t-elle pas d’abord ? […] S’agit-il surtout de la transmission d’un système d’idées, supposez deux esprits idéalement différents que peut l’un sur l’autre ? […] Elle suppose chez les êtres qui imitent un désir en même temps qu’une capacité d’imiter dont il faut à chaque fois rendre compte. […] Supposons que l’histoire nous permette de constater par exemple, que toutes les sociétés centralisées égalitaires et inversement que nulle société non centralisée n’est égalitaire, et enfin que les plus égalitaires sont aussi les plus centralisées. […] Mais ce ne serait encore qu’une loi empirique. — Supposons donc que nous ayons montré comment, lorsque les sociétés affectent une forme centralisée, les esprits qui les composent se trouvent naturellement amenés, en vertu des lois de la formation des idées, à penser, non par classes, mais par individus, et à mettre, vis-à-vis du centre unique, tous les individus sur le même plan, alors nous aurions pleinement compris la relation établie.

51. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre III. De la signification de la vie. L’ordre de la nature et la forme de l’intelligence. »

Mais comment ne pas voir qu’on suppose l’intelligence dès qu’on pose les objets et les faits ? […] La faculté de connaître étant supposée coextensive à la totalité de l’expérience, il ne peut plus être question de l’engendrer. […] Mais supposons, un instant, que la matière consiste en ce même mouvement poussé plus loin, et que le physique soit simplement du psychique inverti. […] Mais supposons que l’ordre soit partout de même espèce, et comporte simplement des degrés, qui aillent du géométrique au vital. […] Il dit que, dans un système supposé clos, l’énergie totale, c’est-à-dire la somme des énergies cinétique et potentielle, reste constante.

52. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Sieyès. Étude sur Sieyès, par M. Edmond de Beauverger. 1851. » pp. 189-216

Je suppose que la raison tardive va présider à l’établissement d’une société humaine, et je veux offrir le tableau analytique de sa Constitution. […] Il suppose de grands progrès depuis leur premier âge. […] Et si, dans quelque séance pareille, il suppose cette question qui revient si souvent à son sujet : « Vous vous taisez ?  […] Il suppose que quelqu’un lui adresse ce reproche : On abuse de tout. […] parce que vous êtes des misérables, des hommes vils, vous supposiez bien aisément qu’on vous ressemble !

53. (1890) L’avenir de la science « XVII » p. 357

La philosophie à notre manière suppose une longue culture et des habitudes d’esprit dont très peu sont capables. […] Non ; ce serait la faute des barbares qui ne les peuvent comprendre, ou plutôt la faute de la société, qui suppose fatalement des barbares. […] Supposé que nous eussions encore quelque influence sur le peuple, supposé que notre recommandation fût de quelque prix à ses yeux et n’excitât pas plutôt ses défiances, imaginez de quel air, nous, incrédules, nous irions prêcher le christianisme, dont nous reconnaissons n’avoir plus besoin, à des gens qui en ont besoin pour notre repos. […] Il est d’un petit esprit de supposer un ordre absolument légal, contre lequel il n’y a pas d’objection et qui s’impose absolument. […] La masse n’a droit de gouverner que si l’on suppose qu’elle sait mieux que personne ce qui est le meilleur.

54. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre VII »

Sa naissance a été latine ; son éducation a été latine ; et jusque pendant sa maturité, si on doit supposer qu’il la vit depuis trois siècles, l’appui et les conseils du latin l’ont suivi pas à pas : le latin a toujours été la réserve et le trésor où il a puisé les ressources qu’il n’osait pas toujours demander à son propre génie. […] Les langues une fois formées peuvent se suffire à elles-mêmes ; quoique l’on n’ait pas d’exemple certain, parmi les parlers civilisés, d’une telle scission et d’un tel isolement, on supposera très logiquement que le dialecte de l’Ile-de-France, tout d’un coup privé du latin, se soit développé et ait atteint sa parfaite virilité à l’abri de l’influence extérieure. […] Sous cette forme supposée, la langue française aurait eu un caractère très original, très pur, et peut-être faut-il regretter la longue tutelle qu’elle a subie au cours des siècles.

55. (1894) Propos de littérature « Chapitre IV » pp. 69-110

L’Harmonie ne peut être en mouvement que selon un rythme, et le Rythme est le mouvement lui-même ; il est inutile, je suppose, de développer ce pléonasme ! […] Bien plus, le typographe qui dispose les lignes d’un titre ou d’une affiche s’y conforme jusqu’à un certain point, — quoique sans trop de délire poétique, on peut le supposer. […] Nous l’avons vu, il use assez souvent de la forme didactique ; il s’adresse au lecteur et l’interpelle, ce qui suppose la présence de l’interpellateur. […] — se reflète en son esthétique et fasse de celle-ci non pas la doctrine du self-government, qui est la plus féconde et suppose d’ailleurs des lois, mais celle d’une parfaite Anarchie. […] Une société anarchique supposerait que l’altruisme est devenu la règle de tous les hommes, qu’ils appliquent cette règle même sans le vouloir, comme, pour les stoïciens, un homme vertueux pratique la vertu.

56. (1911) La valeur de la science « Première partie : Les sciences mathématiques — Chapitre II. La mesure du temps. »

Je m’explique ; je suppose qu’en un certain point du monde se passe le phénomène α, amenant pour conséquence au bout d’un certain temps l’effet α′. […] Je suppose que l’effet α′ ait lieu sensiblement avant l’effet β′. […] Mais supposer cette vitesse de rotation constante, c’est supposer qu’on sait mesurer le temps. » Notre définition n’est donc pas encore satisfaisante ; ce n’est certainement pas celle qu’adoptent implicitement les astronomes dont je parlais plus haut, quand ils affirment que la rotation terrestre va en se ralentissant. […] Si nous supposons maintenant que l’on adopte une autre manière de mesurer le temps, les expériences sur lesquelles est fondée la loi de Newton n’en conserveraient pas moins le même sens.

57. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre IX. La pensée est-elle un mouvement ? »

Une même force peut donc se manifester sous deux formes différentes, et il n’y a pas de contradiction à supposer que les mouvements du cerveau se transforment en pensées. — Ceux qui se servent de ces comparaisons ne s’aperçoivent pas qu’ils tombent dans ce genre de sophisme qui consiste à prouver le même par le même (idem per idem) : c’est ce qu’il n’est pas difficile d’établir. […] Sans doute il se passe quelque chose dans les nerfs et dans le cerveau, et ce quelque chose peut être supposé analogue aux vibrations extérieures de l’éther ; mais ce mouvement, quel qu’il soit, n’est pas encore la lumière : il ne devient lumière que lorsque le moi est apparu et avec lui la sensation consciente. […] Quant à ce point que l’unité de conscience suppose une unité effective, nous ne pouvons que renvoyer à ce que nous avons écrit ailleurs74. […] Il suit de là que la perception suppose précisément le conflit dont on demande l’explication entre un sujet simple et un objet composé. […] Nous la reproduisons ici, laissant aux géomètres le soin de la discuter : « Supposons une sphère englobant une série d’autres sphères concentriques de plus en plus petites.

58. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Introduction »

On distingue à peine l’une de l’autre dans Aristote ; elles se font suite ; elles se supposent mutuellement et se complètent. […] Mais l’économie politique s’en tient aux faits, et quoiqu’elle supposé des principes philosophiques, elle ne les discute pas. […] Supposez en chimie quelque découverte analogue. […] Supposez résolues toutes nos questions sur Dieu, la nature, et nous-mêmes, que resterait-il à faire à l’intelligence humaine ? […] Supposons que par une accumulation d’expériences sûres et variées on en soit venu à constater, par exemple, que telle manière de sentir suppose elle-même telle variété d’imagination, qui suppose elle-même telle façon de juger et de raisonner, qui suppose telle manière de vouloir et d’agir, etc., etc, que cette détermination soit aussi précise que possible, on pourrait à l’aide d’un seul fait reconstituer un caractère, puisque le problème se réduirait à ceci : Etant donné un membre de la série, retrouver la série tout entière.

59. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre X : De la succession géologique des êtres organisés »

Il y a quelques raisons pour supposer que les organismes assez élevés dans l’échelle naturelle se modifient plus rapidement que les organismes inférieurs, bien que pourtant il y ait des exceptions à cette règle. […] Quelques auteurs ont été jusqu’à supposer que, comme l’individu n’a qu’une existence d’une longueur déterminée, de même les espèces ont une durée limitée. […] Pendant ces longs intervalles négatifs, je suppose que les habitants de chaque partie du monde supportèrent une somme considérable de modifications et d’extinctions, et qu’il y eut aussi de fréquentes migrations d’une région dans l’autre. […] Pour en rendre compte, il faudrait supposer qu’un isthme a séparé deux mers, habitées par deux faunes contemporaines, mais bien distinctes. […] Nous pouvons supposer que les lettres numérotées sont des genres, et que les lignes pointées qui s’en écartent en divergeant sont les espèces de chacun de ces genres.

60. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre II. Les couples de caractères généraux et les propositions générales » pp. 297-385

Qu’il prenne un fort microscope ; en bien peu de cas il trouvera ces conditions remplies, et il doit supposer que, si le microscope était plus fort, il ne les trouverait remplies en aucun cas. […] Mais, si nous supposons la distance égale à la ligne qui joint une étoile fixe à la terre, en même temps que l’inclinaison réduite à un cent-millionième de seconde, nos yeux ne nous renseignent plus, notre imagination défaille, nous sommes troublés. […] Sous le travail de l’œil externe ou interne, il y a un sourd travail mental, la reconnaissance répétée ou continue d’une circonstance qui, supposée dans la construction primitive, persiste ou reparaît toujours la même aux divers moments successifs de notre opération. […] Soit une droite inflexible AB ; supposons qu’elle remonte tout entière et de façon à rester toujours parallèle à sa première position ; au bout d’un certain temps elle devient A′B′ parallèle à AB, et nous convenons que ce laps de temps est une seconde. […] Nous sommes donc tenus de les employer avec précaution quand nous les appliquons à la nature, et, pour les appliquer avec profit, nous devons toujours nous reporter à leur origine. — Par exemple, pour construire l’espace, nous avons d’abord supposé un point qui se meut vers un seul et unique autre point, et nous avons ainsi fabriqué la ligne droite ; nous avons ensuite supposé que cette droite se mouvait en traçant par tous ses points des droites égales entre elles, et nous avons ainsi fabriqué la surface plane ; nous avons enfin supposé que cette surface se mouvait en traçant par tous ses points des droites égales entre elles, et nous avons ainsi fabriqué le solide géométrique ou l’espace complet.

61. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre huitième. »

Au surplus, il faut toujours supposer qu’il s’agit de la science unie au bon sens ; car, comme a dit Molière : Un sot savant est sot, plus qu’un sot ignorant. […] Il faut supposer que le chapon s’envole de la basse-cour pour n’y plus revenir, ce que pourtant La Fontaine ne dit pas. […] Il est plaisant d’avoir supposé que nos chiens appelés tourne-broches viennent de cette belle origine, comme d’avoir fait honneur au marmiton du surnom de son élève. […] Il faut supposer que ce sont les ambassadeurs qui pleurent ; car on ne pleure pas en écrivant, en envoyant des ambassadeurs pour une affaire de cette espèce.

62. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre V. »

Les poésies homériques, incontestables d’antiquité et de génie, quel qu’en soit l’auteur, supposent, avant elles, un monde déjà poétique, des fêtes religieuses, des chants, des oracles, tout ce mouvement lyrique naturel à l’âme humaine quand elle s’élève ou se passionne. […] « Dans le bois sacré près de l’Hélicon, dit-il, après les statues des Muses, après celles d’Apollon et de Mercure, de Thamyris aveugle, la main sur une lyre brisée, on voyait une statue d’Orphée, ayant près de lui debout Télète, comme symbole de l’initiation aux mystères, et entouré d’animaux en marbre et en bronze, attentifs à ses chants55. » D’après ces monuments, Pausanias, sans croire qu’Orphée ait été le fils de la Muse Calliope, ni qu’il soit descendu vivant aux enfers pour redemander sa femme, suppose du moins qu’il avait surpassé dans l’art des vers tous ses devanciers, et qu’il avait acquis un grand pouvoir par la science des mystères divins et des expiations, des maladies et des remèdes qui détournent la colère des dieux. […] Apparemment, le poëte eut deux époques dans sa vie et dans son art ; ou bien il faut supposer que, son nom étant devenu célèbre, on le chargea dans les siècles suivants de vers qui ne lui appartenaient pas. […] Il avait dans ses hymnes chanté la Fortune, divinité inconnue au temps d’Homère ; mais il l’avait supposée fille de la Prudence et sœur du Bon Gouvernement.

63. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre III : La science — Chapitre II : De la méthode expérimentale en physiologie »

Je ne condamne pas une telle réduction quand elle est possible : je dis seulement qu’il ne faut pas la supposer d’avance contre les données de l’expérience elle-même. […] Les hommes aiment tellement le pouvoir arbitraire, qu’ils sont toujours tentés de le supposer partout : ils l’imaginent dans la force vitale lorsqu’ils lui attribuent la faculté de troubler et d’embrouiller les phénomènes par son activité désordonnée ; ils le supposent dans l’homme lorsqu’ils imaginent un libre arbitre absolument indifférent entre le oui et le non, et décidant entre les deux sans savoir pourquoi. […] Toutefois, s’il est imprudent de dire qu’une telle réduction n’aura pas lieu, il est imprudent aussi de dire qu’elle aura lieu nécessairement, car il n’y a aucune contradiction dans les termes à supposer qu’il puisse y avoir dans la nature plusieurs causes distinctes, et on est autorisé à reconnaître la distinction des causes jusqu’à démonstration du contraire. […] Le fatalisme suppose une force aveugle, capricieuse, indéterminée, agissant au hasard, sans raison, sans règle, sans loi : c’est donc tout l’opposé du déterminisme, qui admet la liaison des phénomènes suivant des lois fixes et rationnelles. […] Claude Bernard, au domaine des causes occultes et des causes premières, peut s’entendre sans doute dans un bon sens ; mais je fais observer que les causes efficientes des phénomènes physiques sont aussi des causes occultes, dont le mode d’action interne nous est inconnu, et cependant nous ne supposons pas que ces causes soient libres.

64. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Plan, d’une université, pour, le gouvernement de Russie » pp. 433-452

— Oui, la vertu, parce qu’il faut plus de raison, plus de lumières et de force qu’on ne le suppose communément pour être vraiment homme de bien. […] La variété des connaissanees primitives qui lui sont nécessaires, suppose donc qu’il s’est avancé fort loin dans la carrière des écoles publiques. […] Je suppose que celui qui se présente à la porte d’une université sait lire, écrire et orthographier couramment sa langue ; je suppose qu’il sait former les caractères de l’arithmétique, ce qu’il doit avoir appris ou dans la maison de ses parents ou dans les petites écoles. Je suppose que son esprit n’est pas assez avancé, et que la porte de l’université ne lui sera pas encore ouverte, s’il n’est pas en état de saisir les premiers principes de l’arithmétique, de toutes les sciences la plus utile et la plus aisée. Je suppose que ce n’est pas sur le nombre des années, mais sur les progrès de l’entendement qu’il faut admettre ou éloigner un enfant d’une école publique des sciences.

65. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 4, objection contre la proposition précedente, et réponse à l’objection » pp. 35-43

Section 4, objection contre la proposition précedente, et réponse à l’objection On me dira que je n’ai pas une idée juste de ce qui se passe dans la societé, quand je suppose que tous les génies remplissent leur vocation. […] Supposé qu’un pere soit assez dénué de toute protection, pour être hors d’état de procurer l’éducation convenable à son enfant, qui témoigne une inclination plus noble que celle de ses pareils, un autre en prend soin. […] Quand la malignité des conjonctures auroit asservi l’homme de génie à une profession abjecte avant qu’il eut appris à lire, voilà ce qu’on peut supposer de plus odieux contre la fortune, son génie ne laisseroit pas de se manifester.

66. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — II »

Il est une molécule vivante, incessamment excitée et modifiée par l’organisme social dont elle fait partie intégrante ; arrêter la molécule, la monade, au point où on la trouve, la détacher du tout, la soumettre au microscope ou au creuset expérimental, la retourner, la décomposer, la dissoudre, et conclure de là à la nature et à la destinée du tout, c’est absurde ; conclure seulement à la nature et à la destinée de la molécule, c’est encore se méprendre étrangement ; c’est supprimer d’abord, dût-on y revenir plus tard et trop tard, c’est supprimer le mode l’influence que l’individu reçoit du tout, à peu près comme Condillac faisait pour les détails organiques de sa statue, qu’il recomposait ensuite pièce à pièce sans jamais parvenir à l’animer ; c’est, comme lui, par cette suppression arbitraire, rompre l’équilibre dans les facultés du moi et se donner à observer une nature humaine qui n’est plus la véritable et complète nature ; c’est décerner d’emblée à la partie rationnelle de nous-mêmes une supériorité sur les facultés sentimentale et active, une souveraineté de contrôle qu’une vue plus générale de l’humanité dans ses phases successives ne justifierait pas ; c’est immobiliser la monade humaine, lui couper la source intarissable de vie et de perfectibilité ; c’est raisonner comme si elle n’avait jamais été modifiée, transformée et perfectionnée par l’action du tout, ou du moins comme si elle ne pouvait plus l’être ; c’est supposer gratuitement, et le lendemain du jour où l’humanité a acquis la conscience réfléchie de sa perfectibilité, que l’individu de 1830, le chrétien indifférent et sans foi, ne croyant qu’à sa raison personnelle, porte en lui, indépendamment de ce qui pourrait lui venir du dehors, indépendamment de toute conception sociale et de toute interprétation nouvelle de la nature, un avenir facile et paisible qui va découler, pour chacun, des opinions et des habitudes mi-partie chrétiennes, mi-partie philosophiques, mélangées à toutes doses. […] Quand elle se hasarde à des inductions sur l’avenir de l’homme, ce ne sont que des inductions sur l’avenir du moi, et ces inductions supposent toujours que la dernière grande évolution sociale est accomplie en ce monde ; c’est toujours d’après cette hypothèse que la psychologie s’enquiert des conséquences probables de destinée personnelle auxquelles l’individu est sujet, et dans cette recherche elle ne sort pas un seul instant du point de vue chrétien ; elle se pose l’âme comme substance distincte de la matière, Dieu comme un pur esprit, et l’autre vie comme n’étant pas de ce monde. […] Si nous devons enfin sortir de ce point de vue pour nous élever à une conception plus compréhensive, la psychologie est impuissante pour le savoir et pour nous le dire ; car elle suppose l’égalité essentielle des moi contemporains ; car elle opère sur un moi quelconque actuel ; et ce n’est jamais dans un moi quelconque que se découvre l’idée d’un progrès futur de l’humanité. […] Vous la supposez dès l’abord à votre insu, et vous serez ensuite tout heureux de la découvrir ; mais prenez-y garde, et ne croyez pas avoir saisi la clef des choses, car c’est vous qui l’y aurez mise. Vous supposez dès le début que l’homme est condamné à chercher ici-bas la vérité, seul, par lui-même, à la sueur de son front ; et tout cet effort infatigable de l’humanité pendant des siècles, ce sang, ces larmes répandues à travers ses diverses servitudes, ces joies quand elle se repose et se développe harmonieusement, ces religions qui fondent, ces philosophies qui préparent ou détruisent, cette loi de perfectibilité infinie et d’association croissante, tout cela n’aura abouti pour vous qu’à la conception mélancolique et glacée d’un ensemble d’êtres rationnels avant tout, destinés à s’observer, à se connaître, s’ils en ont la capacité et le loisir, à chercher concurremment ce qu’aucun ne sait, ce qu’aucun ne saura ; honnêtes gens tristes et solitaires, sortis d’un christianisme philosophique d’où la foi et la vie ont disparu, ayant besoin d’espérer, s’essayant à croire, oubliant et rapprenant la psychologie tous les ans, pour s’assurer qu’ils ne se sont pas trompés, et pour vérifier sans cesse les résultats probables de leur observation personnelle.

67. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre III : Règles relatives à la distinction du normal et du pathologique »

De plus, un groupe de cette nature est bien difficile à constituer et à isoler de tous les autres, comme il serait nécessaire, pour que l’on pût observer la constitution organique dont il a le privilège et qui est la cause supposée de cette supériorité. […] Mais, à supposer même qu’il engendre en effet cette conséquence, il peut se faire que les inconvénients qu’elle présente soient compensés, et au-delà, par des avantages que l’on n’aperçoit pas. […] Mais une telle preuve suppose le problème déjà résolu ; car elle n’est possible que si l’on a déterminé au préalable en quoi consiste l’état normal et, par conséquent, si l’on sait à quel signe il peut être reconnu. […] Aussi supposent-elles acquises des propositions qui, vraies ou non, ne peuvent être prouvées que si la science est déjà suffisamment avancée. […] Or, s’il n’y avait pas de crimes, cette condition ne serait pas remplie ; car une telle hypothèse suppose que les sentiments collectifs seraient parvenus à un degré d’intensité sans exemple dans l’histoire.

68. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre II. Les directions divergentes de l’évolution de la vie. Torpeur, intelligence, instinct. »

Ainsi, tout nous fait supposer que le végétal et l’animal descendent d’un ancêtre commun qui réunissait, à l’état naissant, les tendances de l’un et de l’autre. […] Aussi nous paraît-il douteux qu’on découvre jamais à la plante des éléments nerveux, si rudimentaires qu’on les suppose. […] Supposons, en effet, que le système sensori-moteur soit un système comme les autres, au même rang que les autres. […] Supposons, au contraire, que le système sensori-moteur soit vraiment dominateur. […] On supposera que c’est par un effort plus ou moins conscient que l’être vivant développe en lui un instinct supérieur.

69. (1881) La psychologie anglaise contemporaine «  M. Georges Lewes — Chapitre II : La Psychologie »

Coupons un polype ou un ver en plusieurs morceaux, chaque morceau continuera à vivre et à se développer ; et cependant nous ne pouvons supposer qu’en pareil cas nous avons coupé le principe vital eu plusieurs principes. […] Lewes, que de supposer que je ne considère pas le cerveau comme l’organe principal et dominateur de toute la vie psychique. […] Mais supposer que ces subordonnes n’ont pas aussi leurs fonctions indépendantes, c’est une erreur. […] Il en est de même pour la transformation supposée du processus nerveux en sensation. […] D’un autre côté, le physiologiste suppose que le mouvement se transforme en sensation, sans spécifier où le nouveau phénomène se produit ; il le laisse flottant dans le vague et se contente de l’appeler un mystère.

70. (1707) Discours sur la poésie pp. 13-60

Il est vrai que comme cet art demande beaucoup d’imagination, et que c’est ce caractére d’esprit qui détermine le plus souvent à s’y appliquer, on ne suppose point aux poëtes un jugement sûr, qui ne se rencontre gueres avec une imagination dominante. […] Si on les en croit, l’essence de l’enthousiasme est de ne pouvoir être compris que par les esprits du premier ordre, à la tête desquels ils se supposent, et dont ils excluent tous ceux qui osent ne les pas entendre. […] Il décrit plusieurs songes agréables, malheureusement interrompus : pour l’imiter, je substitue à la narration la chose même, et je me suppose dans l’illusion d’un songe qu’on détruit en me réveillant. […] C’est ce repos que suppose la séparation des strophes ; et l’on comprend assez par-là qu’il y faut autant que l’on peut, et sans préjudice du bon sens, ménager une espéce de chûte capable de causer quelque surprise, et de donner quelque exercice à l’esprit. […] J’ai avancé au commencement de ce discours que le poëme n’avoit essentiellement d’autre fin que de plaire ; au lieu que dans l’ode je lui suppose le dessein d’instruire.

71. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid(suite et fin.)  »

Corneille, resserré comme il était par les règles de notre scène, a dû s’ingénier, trouver un expédient et prendre ses licences d’un autre côté : il a imaginé un fleuve près de son embouchure, par le besoin qu’il avait d’une marée à son service dans les vingt-quatre heures ; et ce fleuve imaginaire l’a conduit à supposer que le roi de Castille régnait à Séville sur le Guadalquivir, deux cents ans avant que cette ville fût reprise sur les Maures. […] Je suppose toujours cet ancien public français avec ses habitudes, et à qui deux heures de spectacle sérieux suffisaient. […] Il éloigne Rodrigue, le fait passer dans une autre pièce, et l’on va supposer qu’il a été atteint d’une blessure mortelle et qu’il a péri dans sa victoire. […] Je suppose qu’il est environ neuf ou dix heures du matin : Rodrigue étant supposé se donner un couple d’heures de repos, le combat singulier pourra encore avoir lieu vers midi, avant l’expiration du terme fatal et sacramentel. […] Viguier a fait plus : dans un travail comparatif d’une exquise finesse, et qui suppose la connaissance la plus délicate des deux idiomes, il a essayé de nous faire pénétrer dans le mystère de la végétation et de la transfusion de la sève ; il a étudié et injecté à l’origine jusqu’aux moindres fibres et aux moindres vaisseaux capillaires.

72. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre II : Rapports de l’histoire de la philosophie avec la philosophie même »

Un autre genre d’explication très répandu (et c’est de tous le plus contraire à l’éclectisme) consiste à supposer que parmi les systèmes il y en a un qui est vrai, et que tous les autres sont faux. […] Sans doute, si un tel a tort, c’est un esprit faux ; mais la question est de savoir s’il a tort, et vous ne pouvez pas en préjuger la solution par une qualification qui la suppose. […] Supposer, encore une fois, que parmi tous ces systèmes un seul est vrai et que tous les autres sont faux, c’est, nous venons de le voir, une hypothèse remplie de difficultés. Supposer, d’un autre côté, que tous sont faux et ne sont que des conceptions absolument chimériques est également un fait bien difficile à comprendre, car prétendre que l’homme cherche le secret des choses, mais qu’il ne peut le trouver en aucune façon, c’est presque, si je ne me trompe, une contradiction. […] Il n’y a donc qu’une seule manière d’expliquer la diversité des systèmes sans tomber dans la déclamation et dans l’intolérance : c’est de supposer que chacun de ces systèmes représente un des aspects, une des formes de la vérité.

73. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre II. Définition. — Énumération. — Description »

Il faut donc que Bourdaloue détermine exactement son objet ; il ne manque pas de le faire, et voici comme il s’y prend : N’entrons point, je le veux, chrétiens, dans la discussion de vos états ; supposons-les tels que vous les imaginez, tels que votre présomption vous les fait envisager ; voyons seulement ce qu’il y a dans ces états ou de nécessaire pour vous ou de superflu. […] J’ai vu la matière d’un devoir où l’on supposait qu’un voyageur entrait dans une caverne pour échapper à l’orage, et s’y endormait : à son réveil, il voyait la voûte toute tapissée de serpents à sonnettes. […] « Supposez-vous, leur disait-on, dans une pareille situation, et vous n’aurez pas de peine à exprimer ce que le malheureux éprouve. » Le malheur, c’est que ni vous ni moi, nous ne pouvons-nous supposer vraiment, et du fond du cœur, sérieusement, dans une pareille situation : nous ne nous y voyons pas, et, dans la froide et tout intellectuelle hypothèse que nous faisons, nous n’apercevons qu’une chose : nous aurions peur, grand’peur.

74. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Conclusion. »

D’ailleurs, on peut trouver dans la vie un intérêt, un mobile, un but, sans être la proie des mouvements passionnés ; chaque circonstance mérite une préférence sur telle autre, et toute préférence motive un souhait, une action ; mais l’objet des désirs de la passion, ce n’est pas ce qui est, mais ce qu’elle suppose, c’est une sorte de fièvre qui présente toujours un but imaginaire qu’il faut atteindre avec des moyens réels, et mettant sans cesse l’homme aux prises avec la nature des choses, lui rend indispensablement nécessaire ce qui est tout à fait impossible. […] J’aurai rempli mon but, si j’ai donné quelque espoir de repos à l’âme agitée ; si, en ne méconnaissant aucune de ses peines, en avouant la terrible puissance des sentiments qui la gouvernent, en lui parlant sa langue, enfin, j’ai pu m’en faire écouter ; la passion repousse tous les conseils qui ne supposent pas la douloureuse connaissance d’elle-même, et vous dédaigne aisément comme appartenant à une autre nature : je le crois cependant, mon accent n’a pas dû lui paraître étranger ; c’est mon seul motif pour espérer qu’à travers tant de livres sur la morale, celui-ci peut encore être utile. […] Ce n’est pas le nombre des individus, mais les douleurs qu’il faut compter ; et si l’on pouvait supposer la possibilité de faire souffrir un innocent, pendant plusieurs siècles, il serait atroce de l’exiger pour le salut même d’une nation entière ; mais ces alternatives effrayantes n’existent point dans la réalité. […] Une belle cause finale dans l’ordre moral, c’est la prodigieuse influence de la pitié sur les cœurs ; il semble que l’organisation physique elle-même soit destinée à en recevoir l’impression ; une voix qui se brise, un visage altéré, agissent sur l’âme directement comme les sensations ; la pensée ne se met point entre deux, c’est un choc, c’est une blessure, cela n’est point intellectuel, et ce qu’il y a de plus sublime encore dans cette disposition de l’homme, c’est qu’elle est consacrée particulièrement à la faiblesse ; et lorsque tout concourt aux avantages de la force, ce sentiment lui seul rétablit la balance, en faisant naître la générosité ; ce sentiment ne s’émeut que pour un objet sans défense, qu’à l’aspect de l’abandon, qu’au cri de la douleur ; lui seul défend les vaincus après la victoire, lui seul arrête les effets de ce vil penchant des hommes à livrer leur attachement, leurs facultés, leur raison même à la décision du succès ; mais cette sympathie pour le malheur est une affection si puissante, réunit tellement ce qu’il y a de plus fort dans les impressions physiques et morales, qu’y résister suppose un degré de dépravation dont on ne peut éprouver trop d’horreur. […] Smith, dons son excellent ouvrage de la théorie des sentiments moraux, attribue la pitié à cette sympathie qui nous fait nous transporter dans la situation d’un autre, et supposer ce que nous éprouverions à sa place.

75. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre II. Rapports des fonctions des centres nerveux et des événements moraux » pp. 317-336

Des cellules, constituées par une membrane et par un ou plusieurs noyaux, sont semées dans une matière granuleuse, sorte de pulpe mollasse ou de gelée grisâtre composée de noyaux et d’innombrables fibrilles ; ces cellules se ramifient en minces prolongements qui probablement s’unissent avec les fibres nerveuses, et l’on suppose que par ce moyen elles communiquent entre elles et avec les parties blanches conductrices. Remplissez-vous les yeux et la mémoire des préparations anatomiques et des planches micrographiques qui nous montrent cet appareil ; supposez la puissance du microscope indéfiniment augmentée et le grossissement poussé jusqu’à un million ou un milliard de diamètres. Supposez la physiologie adulte et la théorie des mouvements cellulaires aussi avancée que la physique des ondulations éthérées ; supposez que l’on sache le mécanisme du mouvement qui, pendant une sensation, se produit dans la substance grise, son circuit de cellule à cellule, ses différences selon qu’il éveille une sensation de son ou une sensation d’odeur, le lien qui le joint aux mouvements calorifiques ou électriques, bien plus encore, la formule mécanique qui représente la masse, la vitesse, et la position de tous les éléments des fibres et des cellules à un moment quelconque de leur mouvement. […] Supposez un livre écrit dans une langue originelle et muni d’une traduction interlinéaire ; le livre est la nature, la langue originale est l’événement moral, la traduction interlinéaire est l’événement physique, et l’ordre des chapitres est l’ordre des êtres. — Au commencement du livre, la traduction est imprimée en caractères très lisibles et tous bien nets.

76. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre III : La science — Chapitre I : De la méthode en général »

N’est-ce pas lui qui a conseillé de renverser l’expérience, c’est-à-dire précisément de supprimer la cause supposée, afin de voir si le phénomène aura lieu encore ? […] Il cite encore l’anneau de Saturne, deviné et supposé par Huyghens sans aucun fait analogue, et qui est l’une des découvertes les plus brillantes de l’astronomie. Reid et d’Alembert, très-ennemis des hypothèses, supposent toujours qu’il s’agit de conjectures absolument gratuites, sans aucun fondement dans l’expérience. […] Lorsque Franklin supposait que la foudre pouvait bien n’être qu’une étincelle électrique, il faisait une hypothèse prochaine, c’est-à-dire qu’il passait d’un fait à un autre tout voisin. Lorsque Descartes au contraire supposait que le monde planétaire était mû par des tourbillons, il s’élançait immédiatement et sans intermédiaire à une généralité plus ou moins vraisemblable.

77. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IV : M. Cousin écrivain »

On appelle raison la connaissance des vérités universelles et nécessaires, par exemple : toute qualité suppose une substance ; tout événement suppose une cause. […] En même temps tous ces grands mots, relativité, subjectivité, réflexivité, spontanéité, font un cliquetis qui berce agréablement l’oreille, étourdit la pensée, et fait supposer au lecteur qu’il écoute un concert chinois. […] Cousin réfute : « Nous connaissons plusieurs axiomes ou propositions nécessaires : par exemple, toute qualité suppose une substance ; et nous ne pouvons imaginer un cas où cet axiome ne soit pas vrai. […] Je prends une phrase très-courte, je suppose qu’un analyste du dix-huitième siècle soit ici et veuille la comprendre : comptez toutes les tranformations qu’il devra lui faire subir, et jugez par le nombre des traductions à quelle distance la pensée philosophique de M. 

78. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre premier. Existence de la volonté »

La classification distincte en mien et tien, moi et toi, suppose sans doute un jugement réfléchi, avec la conception de deux centres opposés, si bien que les idées du moi et du non-moi sont des produits tardifs de la réflexion ; mais le sentiment du passif et de l’actif est immédiat, universel. […] Cette théorie spencérienne suppose que nous enregistrons passivement par la sensation les séquences et coexistences extérieures, alors qu’en réalité nous réagissons par notre organisme : nous ne reproduisons pas exactement les séries externes, mais nous les combinons avec nos appétits, avec nos plaisirs et nos peines, avec nos habitudes, etc. […] Nous avons dit qu’un acte volontaire, du côté mental, suppose la représentation d’un mouvement déterminé et un désir de ce mouvement ; or on ne peut se représenter un mouvement déterminé dans tel membre que par le souvenir des sensations musculaires, tactiles, etc., qui se produisent pendant que ce membre est mû : nous accordons donc que toute volition enveloppe des souvenirs de sensations afférentes, qui représentent le point d’arrivée et même le chemin des cordons nerveux à partir du cerveau. […] Quand nous voulons mouvoir notre petit doigt, dit M. de Hartmann, nous devons supposer, en sus de la volition consciente, une volonté inconsciente : la première, en effet, ne connaît pas la place du cerveau où elle peut agir, ni le moyen d’y agir pour produire le mouvement ; il faut donc qu’il y ait une volition inconsciente qui agit sur le point P du cervelet où le nerf moteur prend naissance, et, pour cela, il faut encore que cette volition ait la représentation du point P. […] M. de Hartmann a beau dire qu’il n’y a point de connexions mécaniques concevables à l’aide desquelles le mouvement puisse se transmettre d’un point du cerveau à l’autre, nous ne trouvons là, une fois le premier mouvement supposé, qu’un problème de propagation mécanique.

79. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre IX. L’avenir de la Physique mathématique. »

Ainsi au lieu de supposer que les corps en mouvement subissent une contraction dans le sens du mouvement et que cette contraction est la même quelle que soit la nature de ces corps et les forces auxquelles ils sont d’ailleurs soumis, ne pourrait-on pas faire une hypothèse plus simple et plus naturelle ? […]   Les conventions devant l’expérience. — Supposons maintenant que tous ces efforts échouent, et, tout compte fait, je ne le crois pas ; que faudra-t-il faire ? […] On a supposé que le radium n’était qu’un intermédiaire, qu’il ne faisait qu’emmagasiner des radiations de nature inconnue qui sillonnaient l’espace dans tous les sens, en traversant tous les corps, sauf le radium, sans être altérées par ce passage et sans exercer sur eux aucune action.

80. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre V : Rapports du physique et du moral. »

Bain lui adresse plusieurs reproches : 1° Cette doctrine suppose que nous avons le droit de considérer l’esprit comme isolé du corps et d’affirmer que, comme tel, il a encore des facultés et propriétés. […] Il est contraire à tout ce que nous savons de l’action du cerveau de supposer que la chaîne matérielle des actions nerveuses se termine brusquement à un vide occupé par une substance immatérielle ; que là cette substance agisse seule, puis communique les résultats de cette action à la substance matérielle : « il y aurait ainsi deux rivages matériels séparés par un océan immatériel. » — En fait, les choses ne se passent pas ainsi et lorsque nous parlons d’une action de l’esprit, nous avons toujours une cause à deux faces ; l’effet est produit non par l’esprit seul, mais par l’esprit associé au corps. […] Nous avons des raisons de le supposer.

81. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre VIII. La crise actuelle de la Physique mathématique. »

Supposons deux corps électrisés ; bien qu’ils nous semblent en repos, ils sont l’un et l’autre entraînés par le mouvement de la Terre ; une charge électrique en mouvement, Rowland nous l’a appris, équivaut à un courant ; ces deux corps chargés équivaudront donc à deux courants parallèles et de même sens et ces deux courants devront s’attirer. […] Supposons, par exemple, que la station A envoie son signal quand son horloge marque l’heure zéro, et que la station B l’aperçoive quand son horloge marque l’heure t. […] On peut supposer aussi que les mouvements de la matière proprement dite sont exactement compensés par ceux de l’éther, mais cela nous amènerait aux mêmes réflexions que tout à l’heure. […] Eh bien, ainsi que nous l’avons vu plus haut, pour rendre compte de ces résultats, Lorentz a été obligé de supposer que toutes les forces, quelle que soit leur origine, étaient réduites dans la même proportion dans un milieu animé d’une translation uniforme ; ce n’est pas assez, il ne suffit pas que cela ait lieu pour les forces réelles, il faut encore qu’il en soit de même pour les forces d’inertie ; il faut donc, dit-il, que les masses de toutes les particules soient influencées par une translation au même degré que les masses électro-magnétiques des électrons.

82. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre II. Le rôle de la morale » pp. 28-80

Nous devons donc non seulement nous y conformer, s’il est possible, mais supposer que les autres s’y conforment et leur demander d’admettre que nous nous y conformons aussi. […] Le rôle de l’homme doué du génie de la volonté peut être immense, mais il suppose peut-être autant de souplesse que de force. […] Il suppose un rapport de convenance et de finalité. […] Mais ce que l’on admire en ces cas-là, ce n’est pas réellement l’individu lui-même, c’est ce qu’il y a, encore et toujours, de social en lui, c’est sa lutte contre une société criminelle ou trompée au nom d’une autre société supposée meilleure. […] J’ai éliminé tous les facteurs de la morale autres que l’instinct social, et j’en ai supposé l’action plus unie, plus éclairée, plus régulière qu’elle ne le fut jamais.

83. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Introduction, où l’on traite principalement des sources de cette histoire. »

Supposons qu’il y a dix ou douze ans, trois ou quatre vieux soldats de l’empire se fussent mis chacun de leur côté à écrire la vie de Napoléon avec leurs souvenirs. […] Supposons qu’en restaurant la Minerve de Phidias selon les textes, on produisît un ensemble sec, heurté, artificiel ; que faudrait-il en conclure ? […] L’ordre adopté avec un tact extrêmement fin par les synoptiques suppose une marche analogue. […] Strauss suppose le caractère individuel de Jésus plus effacé pour nous qu’il ne l’est peut-être en réalité. […] ., III, 39) implique, en effet, une critique bienveillante, ou, pour mieux dire, une sorte d’excuse, qui semble supposer que les disciples de Jean concevaient sur le même sujet quelque chose de mieux.

84. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XIV : Récapitulation et conclusion »

Comme la géologie démontre clairement que chaque contrée a subi de grands changements physiques, nous pouvons supposer que les êtres organisés ont varié à l’état de nature de la même manière qu’ils varient généralement sous les conditions changeantes de la domesticité. […] Quelles limites peut-on supposer à ce pouvoir, lorsqu’il agit pendant de longs âges et scrute rigoureusement la structure, l’organisation entière et les habitudes de chaque créature, pour favoriser ce qui est bien et rejeter ce qui est mal ? […] Pourquoi, par exemple, la couleur d’une fleur serait-elle plus sujette à varier dans certaines espèces d’un genre, si les autres, qu’on suppose avoir été créées séparément, ont des fleurs de couleurs diverses, que sitoutes les espèces du genre n’ont que des fleurs de même couleur ? […] J’ai déjà fait remarquer, à propos de l’unité des centres de création spécifiques, qu’il serait bien rigoureux d’entendre, par ce terme d’ancêtre unique, un seul individu ou un seul couple Il serait encore plus incroyable de supposer que la forme primordiale, l’ancêtre commun et archétype absolu de la création vivante, n’eût été représenté que par un seul individu. […] Darwin, puisqu’il ne serait plus nécessaire de supposer une série incalculable d’époques anté-siluriennes, et que le peu de variabilité que l’on constate aujourd’hui se trouverait expliqué par l’accroissement de la force d’atavisme en raison des temps écoulés.

85. (1890) L’avenir de la science « XVI »

Rien ne se ressemble plus que le syncrétisme et la synthèse ; rien n’est plus divers : car la synthèse conserve virtuellement dans son sein tout le travail analytique ; elle le suppose et s’y appuie. […] Si l’on suppose que les cordelles, tout en restant distinctes, soient ensuite entrelacées pour former une corde, on aura la synthèse, qui diffère du syncrétisme primitif en ce que les individualités, bien que nouées en unité, y restent distinctes. […] L’homme ne saura réellement que quand, en affirmant la loi générale, il aura la vue claire de tous les faits particuliers qu’elle suppose. […] Certains linguistes supposent qu’à l’origine il y avait une seule langue sémitique, dont tous les dialectes sont dérivés par altération ; d’autres supposent tous les dialectes également primitifs.

86. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre III : Les Émotions »

Une classification naturelle suppose deux choses : une comparaison des phénomènes, et une analyse rigoureuse qui, sans s’arrêter aux caractères accidentels, pénètre jusqu’à ce qui est fondamental. […] Une seconde, plus grave, c’est qu’une bonne classification psychologique supposerait résolues un certain nombre de questions biologiques, qui, dans l’état actuel de la science, ne le sont point. […] Supposer un vrai ou un bien indépendant des jugements individuels, c’est ressembler à l’homme qui, entendant chanter en chœur, supposerait une voix abstraite universelle, distincte et indépendante des voix particulières. […] En son absence, on peut dire que l’uniformité supposée des décisions morales se résout dans les deux éléments suivants : Les devoirs qui tendent à conserver la sécurité publique, laquelle renferme la sécurité individuelle.

87. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « Remarques finales. Mécanique et mystique »

A supposer que ce soit exact, il faudrait expliquer pourquoi c’est à partir d’un certain moment qu’on n’a plus voulu « crever de faim ». […] Comme tous les grands optimistes, ils ont commencé par supposer résolu le problème à résoudre. […] Supposons qu’elles aient tout juste de quoi se nourrir. […] Peut-être est-elle plus près du but qu’elle ne le suppose elle-même. […] Supposons qu’une lueur de ce monde inconnu nous arrive, visible aux yeux du corps.

88. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre I. De la sélection des images, pour la représentation. Le rôle du corps »

Mais j’ai supposé que le rôle de l’image que j’appelle mon corps était d’exercer sur d’autres images une influence réelle, et par conséquent de se décider entre plusieurs démarches matériellement possibles. […] Si courte qu’on suppose une perception, en effet, elle occupe toujours une certaine durée, et exige par conséquent un effort de la mémoire, qui prolonge les uns dans les autres une pluralité de moments. […] Supposons cette question résolue. […] Et à supposer qu’il faille distinguer, en chacun de nous, l’esprit et le corps, on ne peut rien connaître ni du corps, ni de l’esprit, ni du rapport qu’ils soutiennent entre eux. […] Notre perception pure, en effet, si rapide qu’on la suppose, occupe une certaine épaisseur de durée, de sorte que nos perceptions successives ne sont jamais des moments réels des choses, comme nous l’avons supposé jusqu’ici, mais des moments de notre conscience.

89. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre III. Le lien des caractères généraux ou la raison explicative des choses » pp. 387-464

Mais ces molécules, personne ne les a vues ni ne peut les voir ; on ignore leur forme, leur poids, leur distance, leur situation mutuelle, la grandeur des forces attractives et répulsives qui les maintiennent en équilibre, l’amplitude et la vitesse des vibrations qu’on leur suppose autour d’un centre d’oscillation supposé. […] Nous supposons ses éléments assemblés suivant la façon requise, et nous expliquons par leurs propriétés les propriétés de la construction ainsi faite, sans nous embarrasser de savoir par quelles forces ils ont eux-mêmes été assemblés. […] Étant donné un phénomène quelconque, ils lui supposent d’avance et toujours des conditions qui sont sa raison d’être et dont la réunion suffit pour le provoquer, en sorte qu’il ne peut manquer dans aucun des cas où elles sont réunies. […] Nous supposons par cela même que le caractère est donné avec d’autres qui sont ses précédents ou ses accompagnements, en d’autres termes ses conditions. […] Ainsi, partout et toujours, dès que le groupe est donné, le caractère est présent ; non seulement il est présent, mais encore il ne peut pas être absent : car la loi posée est absolue et sans exception ; une fois qu’on l’a énoncée, on ne peut plus, sans la contredire, supposer un cas où le groupe existe sans le caractère qu’on lui a constaté, de même qu’on ne peut, sans se contredire, supposer un cas où le triangle serait donné sans les propriétés qu’on lui a découvertes.

90. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre II. De l’amitié. »

Deux hommes, distingués par leurs talents, et appelés à une carrière illustre, veulent se communiquer leurs desseins, ils souhaitent de s’éclairer ensemble ; s’ils trouvent du charme dans ces conversations où l’esprit goûte aussi les plaisirs de l’intimité, où la pensée se montre à l’instant même de sa naissance, quel abandon d’amour-propre il faut supposer pour croire qu’en se confiant, on ne se mesure jamais ! […] Les passions causent tant de malheurs par elles-mêmes, qu’il n’est pas nécessaire, pour en détourner, de peindre leurs effets dans les âmes naturellement vicieuses ; nul homme, à l’avance, ne se croyant capable de commettre une mauvaise action, ce genre de danger n’effraye personne, et lorsqu’on le suppose, on se donne seulement pour adversaire l’orgueil de son lecteur. […] Les anciens avaient une idée exaltée de l’amitié, qu’ils peignaient sous les traits de Thésée et de Pirithoüs, d’Oreste et de Pilade, de Castor et de Pollux ; mais, sans s’arrêter à ce qu’il y a de mythologique dans ces histoires, c’est à des compagnons d’armes que l’on supposait de tels sentiments, et les dangers que l’on affronte ensemble, en apprenant à braver la mort, rendent plus facile le dévouement de soi-même à un autre.

91. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion statique »

L’expérience ne dit rien de semblable, et la sociologie ne nous paraît avoir aucune raison de le supposer. […] Il n’y aurait aucune raison de le supposer si l’on s’en tenait à elle. […] Il faut d’abord supposer abolie toute notre science. […] Certains ont supposé en effet qu’un vague panthéisme hantait la pensée des non-civilisés. […] Elle suppose d’abord, elle constate ensuite que l’univers est régi par des lois mathématiques.

92. (1858) Du vrai, du beau et du bien (7e éd.) pp. -492

Par exemple, dans le principe, tout phénomène suppose une cause, et dans cet autre, toute qualité suppose une substance, à côté des idées de qualité et de phénomène se rencontrent les idées de cause et de substance qui semblent le fond de ces deux principes. […] À quel titre l’idée de substance pourrait-elle être antérieure à ce principe : Toute qualité suppose une substance ? […] Nous accordons que dans l’état réfléchi tout jugement affirmatif suppose un jugement négatif, et réciproquement. […] Il suppose donc en celui qui l’éprouve un manque, un défaut, et jusqu’à un certain point, une souffrance. […] Et il ne faut pas croire que la grandeur des effets suppose ici des moyens très compliqués.

93. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre troisième. La connaissance de l’esprit — Chapitre premier. La connaissance de l’esprit » pp. 199-245

Supposez qu’elles renferment des idées étranges, parfois terribles, que le malade ne puisse les provoquer à son choix, qu’il les subisse, qu’il en soit obsédé73. Supposez enfin que ces discours soient bien liés, indiquent une intention, poussent le malade dans un sens ou dans un autre, vers la dévotion ou vers le vice. […] Supposez un esprit prévenu et assiégé de craintes ; admettez que la voix prononce, non pas une phrase unique et monotone, mais une suite de discours menaçants et appropriés ; c’est le cas de Luther à la Wartbourg, lorsqu’il discutait avec le diable. […] Règle générale, non seulement toute image précise et détaillée suppose une sensation antécédente, mais toute image précise et détaillée, qui, en apparence, en soude une autre derrière elle, suppose que la sensation d’où elle dérive était soudée de la même façon, mais cette fois réellement, à la sensation que l’autre répète. […] À présent, supposez que la sensation cesse, qu’il n’en subsiste que l’image avec les appendices, c’est-à-dire une représentation de la bille, et admettez qu’une sensation différente naisse en même temps avec son cortège propre.

94. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre I : Variations des espèces à l’état domestique »

Ces divers cas montrent aussi que la variabilité n’est pas en connexion nécessaire avec l’acte générateur, ainsi que quelques auteurs l’ont supposé. […] On a souvent supposé que l’homme avait choisi pour les dompter des animaux et des plantes doués d’une tendance extraordinaire, mais naturelle et innée, à varier, comme aussi à supporter des climats très divers. […] Quelques auteurs supposent qu’une longue domesticité diminue cette forte tendance à la stérilité. […] Personne ne suppose que plusieurs de nos produits les plus délicats sont le résultat d’une seule déviation de la souche originale ! […] Il n’est à supposer pour personne que le propriétaire de l’un ou de l’autre troupeau ait jamais mélangé le pur sang de la race Bakewell ; et cependant la différence entre les Moutons de M. 

95. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (2e partie) » pp. 417-487

Le droit de la société ne vient point de la nature. » Cet axiome suppose de deux choses l’une : ou que l’obéissance, dénuée de toute raison d’obéir et de toute moralité dans l’obéissance, n’est que la contrainte et la force brutale, sans autorité morale, et alors l’autorité morale de la loi sociale est entièrement niée par ce singulier législateur de l’illégalité ; ou cet axiome suppose que le joug des lois est une autorité morale, et alors ce cri d’insurrection personnelle contre toutes les lois est en même temps le cri de guerre légitime, perpétuel contre toute autorité. […] VII Quant à la souveraineté, c’est-à-dire à ce pouvoir légitime qui régit avec une autorité sacrée les empires, Rousseau la place, la déplace métaphysiquement ici ou là, dans un tel labyrinthe d’abstractions, et lui suppose des qualités tellement abstraites, tellement contradictoires, qu’on ne sait plus à qui il faut obéir, et contre qui il faut se révolter ; tantôt lui donnant des limites, tantôt la déclarant tyrannique ; ici la proclamant indivisible, là divisée en cinq ou six pouvoirs, pondérés, fondés sur des conventions supérieures à toute convention ; collective, individuelle, existant parce qu’elle existe, n’existant qu’en un point de temps métaphysique que la volonté unanime doit renouveler à chaque respiration ; déléguée, non déléguée, représentative et ne pouvant jamais être représentée ; condamnant le peuple à tout faire partout et toujours par lui-même, lui défendant de rien faire que par ses magistrats ; déclarant que le peuple ne peut jamais vouloir que le bien, déclarant quelques lignes plus loin la multitude incapable et perpétuellement mineure. […] Mais, répondrons-nous aux sophistes, indépendamment de ce que cette volonté, supposée unanime, n’est jamais unanime, qu’il y a toujours majorité et minorité, et que la supposition d’une volonté unanime, là où il y a majorité et minorité, est toujours la tyrannie de la volonté la plus nombreuse sur la volonté la moins nombreuse ; Indépendamment encore de ce que le moyen de constater cette majorité n’existe pas, ou n’existe que fictivement ; Indépendamment enfin de ce que le droit de vouloir, en cette matière si ardue et si métaphysique de législation, suppose la capacité réelle de vouloir et même de comprendre, capacité qui n’existe pas au même degré dans les citoyens ; Indépendamment de ce que ce droit de vouloir, juste en matière sociale, suppose un désintéressement égal à la capacité dans le législateur, et que ce désintéressement n’existe pas dans celui dont la volonté intéressée va faire la loi ; Indépendamment de tout cela, disons-nous, si la souveraineté n’était que la volonté générale, cette volonté générale, modifiée tous les jours et à toute heure par les nouveaux venus à la vie et par les partants pour la mort, nécessiterait donc tous les jours et à toute seconde de leur existence une nouvelle constatation de la volonté générale, tellement que cette souveraineté, à peine proclamée, cesserait aussitôt d’être ; que la souveraineté recommencerait et cesserait d’être en même temps, à tous les clignements d’yeux des hommes associés, et qu’en étant toujours en problème la souveraineté cesserait toujours d’être en réalité ? […] La mère et le père vieillis et infirmes par l’usure du temps, devenus incapables de se nourrir et de se protéger eux-mêmes, que deviendraient-ils si les enfants, dénués, comme ceux que suppose Rousseau, de tout spiritualisme, de toute reconnaissance, de toute piété filiale, cessaient de former avec les auteurs de leurs jours la sublime et douce société de la famille ? […] Supposez, en effet, que le père en mourant emporte avec lui tout son droit de propriété dans la tombe, et que la propriété soit viagère dans le chef de cette société naturelle de la famille ; le père mort, que devient l’épouse, la veuve, la mère ?

96. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre I. Du comique en général »

Si franc qu’on le suppose, le rire cache une arrière-pensée d’entente, je dirais presque de complicité, avec d’autres rieurs, réels ou imaginaires. […] On ne rirait pas de lui, je pense, si l’on pouvait supposer que la fantaisie lui est venue tout à coup de s’asseoir par terre. […] Supposons donc, pour prendre un exemple précis, qu’un personnage ait fait des romans d’amour ou de chevalerie sa lecture habituelle. […] Si régulière que soit une physionomie, si harmonieuse qu’on en suppose les lignes, si souples les mouvements, jamais l’équilibre n’en est absolument parfait. […] Mais supposons qu’on appelle notre attention sur cette matérialité du corps.

97. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre premier. La sélection et la conservation des idées dans leur relation à l’appétit et au mouvement. »

La mémoire à son tour suppose, de l’aveu de tous, trois fonctions dont il faut rendre compte. […] L’habitude suppose, en effet, soit de nouveaux nerfs, soit des relations nouvelles entre les nerfs, et ces relations une fois établies sont de véritables organes, comme le sont nos yeux et nos oreilles : le pianiste s’est fait un organe pour parcourir le clavier, le calculateur pour accomplir ses opérations. […] Le mouvement le plus simple, qui suppose une répétition de soi-même au moins pendant deux instants consécutifs, est déjà une mémoire ; bref, la conservation de la force et, comme conséquence, du mouvement avec une intensité, une direction et une forme déterminées, la somme des produits restant constante malgré la variation possible des facteurs, voilà le fond de l’habitude et aussi de la mémoire, quand on n’en considère par abstraction que le coté extérieur et mécanique. […] Reconnaître avec Mausdley et Ribot que la mémoire est une fonction biologique et non seulement mécanique, ce n’est donc pas assez ; elle est encore et par cela même psychologique, c’est-à-dire qu’elle suppose le phénomène mental élémentaire : l’émotion suivie de réaction motrice, la sensation suivie d’appétition, dont l’acte réflexe n’est que la manifestation extérieure. […] Les amnésies partielles montrent que des séries entières d’idées et de connaissances peuvent disparaître alors que le reste demeure intact, ce qui suppose qu’elles sont attachées au fonctionnement régulier de certaines parties du cerveau et à la division du travail entre les cellules diverses.

98. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre II : Règles relatives à l’observation des faits sociaux »

Or, à supposer que cette évolution existe, la réalité n’en peut être établie que la science une fois faite ; on ne peut donc en faire l’objet même de la recherche que si on la pose comme une conception de l’esprit, non comme une chose. […] Elles sont naturelles, si l’on veut, en ce sens qu’elles énoncent les moyens qu’il est ou qu’il peut paraître naturel d’employer pour atteindre telle fin supposée ; mais elles ne doivent pas être appelées de ce nom, si, par loi naturelle, on entend toute manière d’être de la nature, inductivement constatée. Elles ne sont en somme que des conseils de sagesse pratique et, si l’on a pu, plus ou moins spécieusement, les présenter comme l’expression même de la réalité, c’est que, à tort ou à raison, on a cru pouvoir supposer que ces conseils étaient effectivement suivis par la généralité des hommes et dans la généralité des cas. […] Il est possible que la vie sociale ne soit que le développement de certaines notions ; mais, à supposer que cela soit, ces notions ne sont pas données immédiatement. […] Cette élimination, en effet, ne peut être faite que d’après une idée préconçue, puisque, au début de la science, aucune recherche n’a pu encore établir la réalité de cette usurpation, à supposer qu’elle soit possible.

99. (1894) Propos de littérature « Chapitre V » pp. 111-140

Pour tout ce qui est forme, M. de Régnier ne doit se défier que de sa facilité même, si elle est bien telle que je l’ai supposée ici — et rendre parfait ce qui l’est presque. […] On le supposerait volontiers contemporain d’une autre époque (disons un frère cadet du vieux Chrestien de Troyes), s’il ne se liait à celle-ci par la modernité de son art dont la noblesse quasi féodale rappelle pourtant l’or et l’argent, l’hermine et le vair et les quatre émaux héraldiques ; — mais tout notre art ne regarde-t-il pas sur la route, derrière soi, autant qu’il discerne les choses attendues et qui viendront ? […] Même lorsqu’il parle de son âme — ce qui arrive trop fréquemment, — il semble impossible qu’il ne s’agisse pas d’une âme supposée. […] La première affirme, ordonne et convainc, la seconde suppose et persuade ; l’une parle et s’écrie, l’autre chuchotte. […] Mais la suprême Beauté ne suppose point qu’on les sépare : De tout notre instinct et de toute notre énergie nous devons aimer et poursuivre le premier, — admirer le second par tout ce que notre esprit contient de jugement et de lumineuse raison, — mais infrangiblement les unir si nous voulons que notre œuvre soit vivante et sacrée, tressaillante et surnaturelle.

100. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. John Stuart Mill — Chapitre II : La Psychologie. »

Pour l’empirisme, l’induction est tout, parce qu’elle part des faits et qu’elle est le procédé expérimental ; la déduction la suppose et n’en est à beaucoup d’égards que la vérification. […] Quand nous nous représentons par hypothèse ayant agi autrement que nous avons agi, nous supposons toujours une différence dans les antécédents de l’acte. […] Supposez, dit-il, deux races particulières d’êtres humains, — l’une ainsi constituée dès l’origine, que de quelque façon qu’on l’élève et la traite, elle ne pourra s’empêcher de penser et d’agir de manière à être une bénédiction pour tous ceux qui en approchent ; — l’autre d’une nature originelle si perverse, que ni éducation, ni châtiment n’ont pu lui inspirer quelque sentiment de devoir ni l’empêcher de mal faire. […] Si la volonté est supposée capable d’agir contre des motifs, la punition reste sans objet et sans justification115. […] Mill, suppose donc en nous la spontanéité et même la possibilité d’en régler le développement.

101. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — II. (Fin.) » pp. 322-341

» Et il continue à rêver, à supposer : Par malheur, se dit-il, il n’y a pas de hautes montagnes auprès de Paris : si le ciel eût donné à ce pays un lac et une montagne passables, la littérature française serait bien autrement pittoresque. […] Cette lecture, plus ou moins fidèlement rapportée, excita les imaginations au-dehors, et il y eut une sorte de concours malicieux sur le sujet qu’on supposait être celui d’Olivier m. […] Je suppose qu’il fait ses romans en deux temps ; d’abord raisonnablement, puis il les habille en beau style néologique, avec les patiments de l’âme, il neige dans mon cœur, et autres belles choses. […] Je suppose que M.  […] Cette lecture, mal rapportée, excita les imaginations au-dehors, et il y eut une sorte de concours malicieux sur le sujet qu’on supposait faussement être celui d’Olivier.

102. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XI. L’antinomie sociologique » pp. 223-252

Le bonheur suppose, lui aussi, la diversité des goûts et des préférences. […] La division du travail ne suppose pas telle ou telle individualité en particulier : elle ignore les personnalités. […] Par exemple, un homme fait partie, comme fonctionnaire, d’une administration de l’État ; de l’Université, je suppose. […] L’individu qui s’est attiré la malveillance ou les rancunes plus ou moins intelligentes d’une de ces sociétés — tout en étant contraint par des raisons économiques, je suppose, d’y rester attaché — cet individu aura beau changer de résidence ; il retrouvera dans sa nouvelle résidence les mêmes hostilités, la même mauvaise note administrative, sociale et mondaine qui l’aura suivi ; la même défiance, le même mot d’ordre hostile, la même mise en quarantaine. […] Mais le fait même de recourir à cette tactique suppose chez l’individu une volonté antécédente (biologique et présociale) d’indépendance.

103. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre premier. De la première époque de la littérature des Grecs » pp. 71-94

L’origine des sociétés, la formation des langues, ces premiers pas de l’esprit humain nous sont entièrement inconnus, et rien n’est plus fatigant, en général, que cette métaphysique qui suppose des faits à l’appui de ses systèmes, et ne peut jamais avoir pour base aucune observation positive. […] Par exemple, la théorie d’une langue, celle du grec, suppose une foule de combinaisons abstraites fort au-dessus des connaissances métaphysiques que possédaient les écrivains, qui parlaient cependant cette langue avec tant de charme et de pureté ; mais le langage est l’instrument nécessaire pour acquérir tous les autres développements ; et, par une sorte de prodige, cet instrument existe, sans qu’à la même époque, aucun homme puisse atteindre, dans quelque autre sujet que ce soit, à la puissance d’abstraction qu’exige la composition d’une grammaire ; les auteurs grecs ne doivent point être considérés comme des penseurs aussi profonds que le ferait supposer la métaphysique de leur langue. […] L’amour, tel qu’ils le peignaient, est une maladie, un sort jeté par les dieux, un genre de délire, qui ne suppose aucune qualité morale dans l’objet aimé.

104. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre VI. Les localisations cérébrales »

Chapitre VI Les localisations cérébrales Certains savants, persuadés que le cerveau est l’organe de la pensée, mais frappés des démentis bizarres que l’expérience semble donner à cette théorie, ont été par là conduits à supposer que la plupart des erreurs commises venaient de ce que l’on voulait toujours considérer le cerveau en bloc, au lieu d’y voir un assemblage d’organes différents, associés pour un but commun. […] Le docteur Castle n’hésite pas à lui donner raison sur les points les plus importants ; il reconnaît qu’une bonne organologie suppose préalablement une psychologie bien faite, et que la psychologie elle-même ne peut se faire sans l’observation de la conscience. […] Enfin le système de Gall supposerait que le siège des facultés serait situé à la surface du cerveau. […] « Les sens, disait-il (Anatomie comparée du système nerveux, p. 403), sont moins simples qu’on ne l’avait supposé, et il est probable que les nerfs d’un même sens contiennent plusieurs variétés de filaments élémentaires.

105. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — I » pp. 143-149

Je note ce point, et je ne l’invente ni ne le suppose. […] En juin 1715 il écrit une autre Lettre critique, qui fut insérée dans Le Mercure et qu’il adressait à Du Fresny sur sa comédie nouvelle, Le Lot supposé ou la coquette de village. […] Celui-ci lui ayant lu sa pièce du Lot supposé avant la représentation, il l’avait approuvée, et il se croyait comptable devant l’auteur et devant tous de son premier jugement : Il me semble, disait-il, que lorsqu’un ouvrage livré à notre censure nous a semblé bon, nous devons à l’auteur l’hommage public du jugement avantageux que nous en avons porté… Quand il me serait arrivé de trouver bon un ouvrage que le public aurait ensuite jugé mauvais, il n’y aurait pas grand mal à cela, et j’ose assurer que je serais en ce cas moins mécontent de moi, que si, dissimulant lâchement mon estime, je m’étais épargné cette espèce d’humiliation.

106. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XX » pp. 215-219

« On eut lieu, dit Saint-Simon, d’être surpris de ce qu’un élève de l’hôtel de Rambouillet, et pour ainsi dire l’hôtel de Rambouillet en personne, et la femme de l’austère Montausier, succédât à madame de Navailles si glorieusement chassée. » Le reproche d’avoir succédé à madame de Navailles, si glorieusement chassée pour avoir fermé au roi la porte des visites nocturnes, est absolument dénué de fondement, cette clôture, vraie ou supposée, n’a point été la cause de la disgrâce de madame de Navailles : ce fut l’imputation d’un fait qui, par sa gravité, était de nature à motiver la disgrâce et non à la rendre glorieuse. […] Voulant éloigner madame de La Vallière qui s’était refusée à solliciter des faveurs pour eux, ils composèrent ensemble une lettre en espagnol, par laquelle le roi d’Espagne était supposé instruire la reine de France de l’infidélité du roi.

107. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 109-114

Supposons même qu'il fût dépourvu, en naissant, de tout germe de droiture & d'équité, que ces deux sentimens ne fussent jamais que l'effet de ses lumieres acquises & de sa raison ; au moins ne peut-on pas assurer qu'il naisse injuste ou méchant. […] C'est cependant ce que M. de la Rochefoucauld suppose impossible.

108. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VI : Difficultés de la théorie »

Je dirai seulement ici que je crois ces documents beaucoup moins complets qu’on ne le suppose généralement ; et c’est la meilleure réponse qu’on puisse faire. […] Nous pouvons supposer encore que cet instrument a été multiplié par un million sous chacun de ces états successifs de perfection, et que chacune de ces formes s’est perpétuée jusqu’à ce qu’une meilleure étant découverte, l’ancienne fût presque aussitôt abandonnée et détruite. […] Ainsi, l’on admet que le Serpent à sonnettes a des crochets à venin pour se défendre et pour tuer sa proie : mais quelques auteurs supposent qu’en même temps la sonnette de sa queue lui a été donnée à son détriment pour avertir cette même proie du danger qui la menace. […] De cette manière l’absence actuelle de variétés intermédiaires se trouve encore plus complétement justifiée ; mais il faut supposer en ce cas de plus grandes et plus nombreuses lacunes dans la série de nos documents zoologiques. […] Quelle que soit donc la diversité actuelle des organes électriques des poissons, on peut supposer que cette diversité a pu être encore beaucoup plus grande autrefois, et que plusieurs d’entre ces anciennes organisations électriques se sont éteintes.

109. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre II. La parole intérieure comparée à la parole interieure »

Sans doute, un état très faible et, en cette qualité, inobservable, peut être supposé nécessairement par un autre état, et affirmé à titre d’hypothèse légitime ; mais est-ce le cas ici ? […] Nous disions tout à l’heure que, l’image buccale étant inobservable, il faut ou la déduire ou la nier ; ne tenons-nous pas maintenant le fait qui la suppose nécessairement et au nom duquel nous pouvons, nous devons peut-être l’affirmer ? […] On peut du moins supposer que tel est le processus générateur de cette opinion universellement répandue qui fait du mot tête le synonyme populaire d’esprit. […] On peut supposer que d’autres locutions encore contiennent une allusion à la parole intérieure. « Qu’en dites-vous ?  […] Cette localisation ne peut résulter d’une sorte d’intuition a priori des rapports de la pensée avec le cerveau : il est absurde de supposer le cerveau sentant lui-même sa situation dans le corps ; il ne l’est guère moins de supposer l’âme sentant le cerveau, prenant connaissance de ses relations avec lui, et localisant le cerveau directement, elle-même par association.

110. (1908) Promenades philosophiques. Deuxième série

L’aiguille suppose la couture ; la couture suppose le vêtement, au moins de peau, ou la tente ; elle suppose aussi le fil, très mince lanière de cuir ou fibres végétales. […] L’idée générale qui suppose le désintéressement, la liberté de l’esprit, suppose la civilisation, la sécurité relative. […] Je suppose que le cas de l’ancien gendarme se compliquait de quelques menus crimes accessoires ; je suppose qu’il était en même temps un peu faussaire, un peu voleur, un peu assassin : je suppose que ce bigame était un être affreux, un dangereux personnage ; je suppose tout cela, car sans tout cela je ne comprendrais pas, et j’aime à comprendre. […] Il n’y a jamais en eux les intentions perverses qu’on leur suppose. […] Tous les raisonnements, toutes les expériences scientifiques supposent des lois de constance.

111. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Indiana (1832) »

puis sa flamme rapide, son naïf et irrésistible abandon, son attache soudaine et forcenée ; le caractère de Raymon surtout, ce caractère décevant, mis au jour et dévoilé en détail dans son misérable égoïsme, comme jamais homme, fût-il un Raymon, n’eût pu s’en rendre compte et ne l’eût osé dire ; une certaine amertume, une ironie mal déguisée contre la morale sociale et les iniquités de l’opinion, qui laisse entrevoir qu’on n’y a pas échappé ; tout,  selon nous, dans cette production déchirante, justifie le soupçon qui a circulé, et en fait une lecture doublement romanesque, et par l’intérêt du récit en lui-même, et par je ne sais quelle identité mystérieuse et vivante que derrière ce récit le lecteur invinciblement suppose[…] Si les Raymon de Ramière au complet sont assez rares, grâce à Dieu, parce qu’une si agréable corruption suppose une réunion délicate d’heureuses qualités et de dons brillants, la plupart des hommes dans la société, à la manière dont ils prennent les femmes, se l’approchent autant qu’ils le peuvent de ce type favorisé. […] Dans le monde, le visage de ces hommes se compose et sourit invariablement par habitude, par artifice : dans la solitude, dans les moments de réflexion, en robe de chambre et en pantoufles, surprenez-les, ils sont sourcilleux, sombres ; ils se font, à la longue, un visage dur, mécontent et mauvais. — J’aurais autant aimé, de plus, qu’en accordant à Raymon de Ramière de grands talents et un rôle politique remarquable, on insistât moins sur son génie et sur l’influence de ses brochures : car, en vérité, comme les hommes de génie ou de talent qui écrivent des brochures en France, qui en écrivaient vers le temps du ministère Martignac ou peu auparavant, dans le cercle sacré de la monarchie selon la Charte, ne sont pas innombrables, je n’en puis voir qu’un seul à qui cette partie du signalement de Raymon convienne à merveille ; le nom de l’honorable écrivain connu vient donc inévitablement à l’esprit, et cette confrontation passagère, qui lui fait injure, ne fait pas moins tort à Raymon : il ne faut jamais supposer aux simples personnages de roman une part d’existence trop publique qui prête flanc à la notoriété et qu’il soit aisé de contrôler au grand jour et de démentir.

112. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre X. L’antinomie juridique » pp. 209-222

Auguste Comte a bien exprimé l’antinomie entre ces deux façons d’entendre le droit quand il a prononcé sa fameuse condamnation du droit individuel : « L’idée du droit, dit-il, est fausse autant qu’immorale, parce qu’elle suppose l’individualité absolue. » Auguste Comte veut dire que l’idée du droit individuel est une idée antisociale parce qu’elle est un principe au nom duquel l’individu se tient en état de révolte virtuelle constante contre tout ordre social, en état de mécontentement virtuel à l’endroit de toute législation existante. — Et sans doute ces deux idées du droit : l’idée du droit social et celle du droit individuel ont des points de contact et réagissent l’une sur l’autre. Le droit comme institution sociale n’est pas sans fortifier l’idée du droit individuel, en ce sens du moins qu’on conçoit difficilement ce droit individuel désarmé et démuni de tout pouvoir de se faire respecter, pouvoir qui suppose une coercition sociale. […] Ainsi, en un sens, les deux idées se supposent et s’entr’influencent : mais en même temps elles s’opposent, comme Auguste Comte l’a bien vu et cette opposition se retrouve dans tous les problèmes juridiques de l’heure présente.

113. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXVIII » pp. 305-318

Il convint donc à Molière de supposer que des femmes, qui joignaient à quelque instruction la pureté et la décence des mœurs, étaient nécessairement une transformation de ces précieuses qui professaient l’amour platonique,                               où l’on tient la pensée Du commerce les sens nette et débarrassée, Cette union des cœurs où les corps n’entrent pas. […] Les Femmes savantes, ai-je dit, sont Les Précieuses ridicules reproduites avec un ridicule de plus, celui de la science supposée par le poète dans une condition qui ne laisse point de loisir pour les études scientifiques, ce qui était absolument contraire à la réalité. […] Quand un auteur n’a pas déclaré lui-même son ouvrage allégorique, on n’est pas autorisé à le supposer tel, par quelques rapprochements arbitraires ; et même quand if donne son ouvrage pour allégorique, il a seul le droit d’en donner la clef.

114. (1828) Introduction à l’histoire de la philosophie

Toute histoire suppose donc un développement, un progrès. […] L’une suppose l’autre dans l’ordre d’acquisition de nos connaissances. […] Or, évidemment l’harmonie suppose l’unité, mais non pas l’unité seule. […] Supposez qu’il soit réellement sans limites, savez-vous ce qui en arriverait ? […] Non certes, car une négation suppose une affirmation à nier, comme la réflexion suppose quelque chose d’antérieur à quoi elle s’applique.

115. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Herbert Spencer — Chapitre II : La psychologie »

A première vue, on peut supposer que cela constitue une distinction telle, que le passage de l’une à l’autre n’est plus possible. […] Mais en parlant de lui, comme de quelque chose distinct du groupe d’états psychiques, qui a produit l’impulsion, il tombe dans l’erreur de supposer que ce n’est pas l’impulsion qui a déterminé l’action. […] S’il est vrai de dire que tout raisonnement est une classification, il est également vrai que toute classification suppose un raisonnement. […] Toute classification suppose la perception et toute perception est une classification. […] Cela a produit naturellement un culte de la raison qui conduit quelques gens à supposer faussement que sa portée est sans bornes, et d’autres, qui reconnaissent des bornes à cette portée, à supposer faussement que, dans ses bornes, ses données sont indubitables.

116. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers (suite.) »

Cette délicatesse peut paraître excessive, mais elle n’a rien de criminel, et même elle suppose  des sentiments élevés. […] Je veux néanmoins supposer un moment qu’il en existe ; je veux de plus supposer que M.  […] Mme du Deffand, dans son esprit de dénigrement et sa sévérité habituelle pour « la divine comtesse », suppose dès le commencement de la querelle, en la voyant rester neutre et s’abstenir, qu’elle attend d’où le vent viendra et qu’elle sera pour le parti « duquel il résultera le plus de célébrité. » Elle se trompe : Mme de Boufflers est meilleure que Mme du Deffand ne le suppose.

117. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

Enfin la plupart de ses écrits supposent des institutions toujours contraires à la raison, et des institutions assez puissantes pour donner à la plaisanterie qui les attaque le mérite de la hardiesse. […] L’on ne peut avoir ni le talent, ni l’occasion de ce genre de gaieté légère dans un gouvernement fondé sur la raison, et les esprits doivent plutôt se tourner vers la haute comédie, le plus philosophique de tous les ouvrages d’imagination, et celui qui suppose l’étude la plus approfondie du cœur humain. […] La splendeur de la puissance, le respect qu’elle inspire, la pitié qu’on ressent pour ceux qui la perdent quand on leur suppose un droit à la posséder, tous ces sentiments agissent sur l’âme, indépendamment du talent de l’auteur, et leur force s’affaiblirait extrêmement dans l’ordre politique que je suppose. […] Les expressions voilées, les sentiments contenus, les convenances ménagées supposent un genre de talent très remarquable ; mais les passions ne peuvent être peintes au milieu de toutes ces difficultés, avec l’énergie déchirante, la pénétration intime que la plus complète indépendance doit inspirer.

118. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre III : Concurrence vitale »

En pareils cas, et l’on pourrait multiplier sans fin les exemples, nul n’a jamais supposé que la fécondité de ces plantes ou de ces animaux se fût soudainement et temporairement accrue d’une manière sensible. […] Néanmoins, notre ignorance est si profonde, et notre présomption si haute, que nous nous émerveillons d’apprendre la destruction d’une espèce ; et parce que nous n’en voyons pas la cause, nous supposons des cataclysmes pour désoler le monde, ou inventons des lois sur la durée des formes vivantes. […] La quantité de substance nutritive contenue dans les graines de beaucoup de plantes, comme par exemple les Pois et les Fèves, semble d’abord indifférente et sans aucune relation directe avec leurs succès sur les autres plantes ; mais la vigueur de sève que manifestent les jeunes sujets issus de telles graines, lorsqu’ils germent et lèvent au milieu de hautes herbes, peut faire supposer que la nourriture contenue dans la graine a principalement pour but de favoriser la jeune plante, pendant qu’elle lutte avec d’autres espèces qui croissent vigoureusement autour d’elle. […] Mais, en pareil cas, il est évident que, si notre imagination suppose à une plante le pouvoir de s’accroître en nombre, elle devra lui supposer aussi quelque avantage sur ses concurrents ou sur les animaux qui s’en nourrissent.

119. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre III. “ Fantômes de vivants ” et “ recherche psychique ” »

Je suppose, un instant, que ce phénomène soit dû à l’action de l’une des deux consciences sur l’autre, que des consciences puissent ainsi communiquer sans intermédiaire visible et qu’il y ait, comme vous dites, « télépathie ». […] Une conscience qui ne serait qu’un duplicatum, et qui n’agirait pas, aurait depuis longtemps disparu de l’univers, à supposer qu’elle y eût jamais surgi : ne voyons-nous pas que nos actions deviennent inconscientes dans la mesure où l’habitude les rend machinales ? […] Ni pour le jugement, ni pour le raisonnement, ni pour aucun autre acte de pensée nous n’avons la moindre raison de les supposer attachés à des mouvements intra-cérébraux dont ils dessineraient la trace. […] Je suppose alors que dans un pays inconnu — en Amérique par exemple, mais dans une Amérique non encore découverte par l’Europe et décidée à ne pas entrer en relations avec nous — se fût développée une science identique à notre science actuelle, avec toutes ses applications mécaniques. […] Mais, à supposer que c’eût été possible, il n’était pas désirable, pour la science psychologique elle-même, que l’esprit humain s’appliquât d’abord à elle.

120. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre deuxième. La connaissance des corps — Chapitre premier. La perception extérieure et les idées dont se compose l’idée de corps » pp. 69-122

Supposez cette représentation très intense, on est près d’une hallucination ; elle devient hallucination complète, si le sommeil approche ; en effet, c’est là son terme naturel ; on a vu que, si elle avorte, c’est grâce à une répression ou rectification qui survient et manquait au premier instant. […] Supposons que, après avoir répété plusieurs fois cette expérience, nous ayons tout d’un coup une expérience différente ; la série des sensations qui accompagnent le mouvement reçoit, sans intention ni attente de notre part, une terminaison abrupte. […] Les sensations conçues ne se présentent pas habituellement à nous comme des sensations actuellement éprouvées, car non seulement une quelconque d’elles ou une quantité quelconque d’entre elles peut être supposée absente, mais encore aucune d’elles n’a besoin d’être présente. […] Le fondement qu’elles ont dans la sensation est oublié, et nous supposons qu’elles sont quelque chose qui, intrinsèquement, en diffère. […] Entre les diverses classes d’événements par lesquels on peut définir les choses, l’homme en choisit une, y ramène la plupart des autres, suppose qu’il pourra un jour y ramener le reste.

121. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — III. (Fin.) » pp. 246-261

Ce n’est pas qu’à l’Académie il n’eût rendu des services, et plus même qu’on ne supposerait d’après cette ligne de conduite que j’ai indiquée ; mais chez Duclos il faut s’attendre à une ligne toujours très brisée et pleine de saccades. […] C’est là un rôle d’honnête homme austère et impitoyable qu’il est bien ambitieux de prétendre tenir, qui suppose dans celui qui l’exerce de bien stoïques vertus, et auquel suffisent à peine l’intégrité exemplaire et l’autorité proverbiale d’un Caton ou d’un Montausier. […] Il savait de l’Angleterre et de son gouvernement beaucoup plus de choses qu’on ne supposerait, et que Bolingbroke lui avait apprises durant plusieurs séjours que Duclos avait faits à sa campagne près d’Orléans. Je vois que Duclos était à Londres dans le printemps de 1763 ; il alla faire une visite chez Horace Walpole à Strawberry Hill, un jour où il y avait brillante compagnie, et entre autres la comtesse de Boufflers : « Ce dernier, dit Horace Walpole en parlant de Duclos, est auteur de laVie de Louis XI, se met comme un ministre dissident, ce qui est, je suppose, la livrée d’un bel esprit, et est beaucoup plus impétueux qu’agréable. » Le voyage de Duclos en Italie (novembre 1766-juin 1767) a laissé plus de traces et de meilleurs souvenirs.

122. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens III) Henri Rochefort »

Quand un homme passe son temps à attiser les haines des souffrants, à provoquer la révolution sociale, à faire tout, sous prétexte que le monde va mal, pour qu’il aille plus mal encore, il faut qu’il soit bien persuadé de la justice de son œuvre, et cette foi ne suppose pas un très grand fond de gaieté ni surtout une humeur de plaisantin. […] La phrase de Giboyer sur Déodat « tirant la canne et le bâton devant l’arche » et « appliquant la facétie à la défense des choses saintes », si vous supposez un moment qu’il s’agit de l’arche de la Révolution, croyez-vous cette phrase conviendrait si mal à M.  […] Puis, les idées dont il s’est fait le champion violent et facétieux supposent en même temps certaines croyances et certaines haines. […] Nous lui reprochions tout à l’heure, assez ingénument, de n’être jamais grave en exprimant des opinions qui supposent pourtant beaucoup de sérieux.

123. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — III »

Elle ne laisse apparaître un objet qu’autant qu’on la suppose appliquée à un principe immobile qui, sous l’action du mouvement, est contraint de se déplacer d’un lieu dans un autre. […] L’état de conscience, qui suppose pour se constituer l’intervention de ce principe d’arrêt, persiste, se perfectionne et s’amplifie par l’exercice du même principe.

124. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XVI. Le Paradis. »

D’après ces considérations sur l’usage du merveilleux chrétien dans la poésie, on peut du moins douter que le merveilleux du paganisme ait sur le premier un avantage aussi grand qu’on l’a généralement supposé. On oppose toujours Milton, avec ses défauts, à Homère avec ses beautés : mais supposons que le chantre d’Éden fût né en France, sous le siècle de Louis XIV, et qu’à la grandeur naturelle de son génie il eût joint le goût de Racine et de Boileau ; nous demandons quel fût devenu alors le Paradis perdu, et si le merveilleux de ce poème n’eut pas égalé celui de l’Iliade et de l’Odyssée ?

125. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre IV. L’ironie comme attitude morale » pp. 135-174

Comme d’ailleurs nous ignorons tout de cette évolution supposée, nous n’en saurions rien déduire quant à l’attitude de l’homme. […] Elle suppose, comme tout mensonge, une contradiction entre l’expression et une partie au moins de la pensée. […] Elle suppose que nous pouvons apprécier le contraste des réalités et des apparences, de la nature des choses et des conventions sous lesquelles nous les voilons aux autres et à nous-mêmes. […] Par le jeu des tendances et des idées adversaires qu’elle suppose, elle est opposée à l’emballement et à l’irréflexion. […] L’ironie même le suscite et le développe, mais elle le suppose, et tout au moins il naît avec elle, se dégageant des luttes et des contradictions de la vie.

126. (1898) Les personnages de roman pp. 39-76

Soustraits à certaines obligations, aux travaux absorbants, aux luttes pour le pain quotidien où une grande part de l’attention et de la volonté humaine se dépense, on peut supposer qu’ils ont, mieux que d’autres, le loisir de goûter ce que la vie a d’amer et de doux quand elle est la vie pleine, la vie calme. […] Il s’en faut que le peuple soit tout épais, tout grossier ; qu’il n’exprime une idée qu’après avoir juré, comme on le supposerait d’après certains livres ; qu’on ne puisse assister à une réunion de famille ouvrière sans découvrir une tare nouvelle chez des gens déjà soupçonnés. […] Cet élément ne saurait être négligé, puisque, à moins de supposer un mauvais prêtre, il faut donner à celui-ci une vocation qui est précisément à l’opposé de nos entraînements et de nos mobiles terrestres. […] Celle-ci suppose un long travail et une longue réflexion. […] Supposez un taillis de jeunes chênes qui auraient conscience du développement graduel et de l’épanouissement de leurs bourgeons ; qui sentiraient grandir en eux la feuille, la branche, l’arbre que personne n’aperçoit, et qui penseraient : « Ah !

127. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre II. L’âme et le corps »

Son corps l’accompagne de la naissance à la mort, et, à supposer qu’elle en soit réellement distincte, tout se passe comme si elle y était liée inséparablement. […] Alors, tout naturellement, le savant s’est dit : « Puisque la philosophie ne me demande pas, avec faits et raisons à l’appui, de limiter de telle ou telle manière déterminée, sur tels et tels points déterminés, la correspondance supposée entre le mental et le cérébral, je vais faire provisoirement comme si la correspondance était parfaite et comme s’il y avait équivalence ou même identité. […] Quand on ne connaît pas la limite de son droit, on le suppose d’abord sans limite ; il sera toujours temps d’en rabattre. » Voilà ce que s’est dit le savant ; et il s’en serait tenu là s’il avait pu se passer de philosophie. […] Supposons, comme cela paraît vraisemblable, que la maladie soit causée par une intoxication de la substance cérébrale. […]   Mais c’est dire aussi que la vie de l’esprit ne peut pas être un effet de la vie du corps, que tout se passe au contraire comme si le corps était simplement utilisé par l’esprit, et que dès lors nous n’avons aucune raison de supposer que le corps et l’esprit soient inséparablement liés l’un à l’autre.

128. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IV. Des femmes qui cultivent les lettres » pp. 463-479

En effet, les hommes peuvent toujours cacher leur amour-propre et le désir qu’ils ont d’être applaudis sous l’apparence ou la réalité de passions plus fortes et plus nobles ; mais quand les femmes écrivent, comme on leur suppose en général pour premier motif le désir de montrer de l’esprit, le public leur accorde difficilement son suffrage. […] Or, sans les femmes, la société ne peut être ni agréable ni piquante ; et les femmes privées d’esprit, ou de cette grâce de conversation qui suppose l’éducation la plus distinguée, gâtent la société au lieu de l’embellir ; elles y introduisent une sorte de niaiserie dans les discours et de médisance de coterie, une insipide gaieté qui doit finir par éloigner tous les hommes vraiment supérieurs, et réduirait les réunions brillantes de Paris aux jeunes gens qui n’ont rien à faire et aux jeunes femmes qui n’ont rien à dire. […] L’amour-propre aussi de nos jours veut attribuer ses revers à des causes secrètes, et non à lui-même ; et ce serait l’empire supposé des femmes célèbres qui pourrait, au besoin, tenir lieu de fatalité.

129. (1890) L’avenir de la science « Sommaire »

La philosophie suppose l’érudition. […] La vraie esthétique suppose la science. […] Combien elle suppose de désintéressement et de vertu scientifique.

130. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre premier. L’idée force du monde extérieur »

J’arrive ainsi à distinguer mon corps de tout autre et à supposer dans les autres corps tantôt volonté et douleur, tantôt simplement activité, pression, résistance, impénétrabilité, force motrice. […] Ils partent d’abord d’un moi qu’ils supposent tout formé, et fermé, d’une monade en possession de soi par la conscience ; ils prêtent même à ce moi une conscience de son unité, de son identité ; puis, après avoir ainsi clos toutes les portes et fenêtres du moi sur le dehors, ils se demandent comment le moi pourra sortir de soi. […] Nous avons rappelé tout à l’heure que Fichte n’invoquait rien moins que le devoir pour être certain de l’existence d’autres hommes, parce qu’il partait d’un moi supposé seul et ayant le privilège de se concevoir dans son indépendance.

131. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La Société française pendant la Révolution »

Supposez que ce style se lave et se purifie, qu’il se dégage des mièvreries de la manière et de l’étrangeté des inversions, car, le croirait-on ? ces frères siamois de la littérature — comme on les appelle déjà — sont aussi les neveux siamois de l’auteur du Solitaire (ils tiennent par le mauvais côté à d’Arlincourt comme parle bon à Jules Janin) ; supposez donc qu’ils se résolvent à parler simplement et virilement cette belle langue française que nous devrions tous respecter comme la parole de notre mère, et qui semble, sous leur plume, contracter quelquefois l’accent des Incroyables du temps de Garat (serait-ce pour se faire mieux accepter comme les Alcibiades de l’histoire ?) ; supposez enfin que toute cette gourme d’esprits faussés, mais non pas faux, qui est en eux, tombe un jour comme elle doit tomber sous peine de perdre le talent dont ils ont le germe, et vous aurez deux écrivains, — ou un écrivain à deux têtes, comme l’aigle d’Autriche — d’une expression étincelante, et chez qui la race mettra son feu !

132. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre I. Après la mort — Shakespeare — L’Angleterre »

Supposez un monument. Supposez-le splendide, supposez-le sublime. […] Supposez le monument, supposez l’inauguration.

133. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome II

Il se plaît, en revanche, à organiser des fêtes qui supposent une assistance raffinée et comblée. […] Solidaires, car toute richesse individuelle suppose la communauté. […] Mais cette lutte, qui est la vie même, suppose une coexistence. […] Mais connaître suppose de longues et patientes recherches. Accepter suppose l’attente et le renoncement.

134. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourg, par M. Michelet. (suite.) »

Mesnard y oppose les Plans de Gouvernement de Fénelon qui en diffèrent en plusieurs points essentiels, et notamment par l’esprit bien plus chrétien et évangélique qu’aristocratique : et c’est cependant ces Plans de Fénelon qu’il serait plus vraisemblable de supposer sanctionnés in petto par son royal élève18. […] Je le suppose sur le trône et vivant son cours de nature : vingt ans s’écoulent ; la génération dont est Diderot s’élève et grandit, et l’on est en présence de cette armée de jeunes savants désœuvrés et travailleurs, qui, à chaque recommandation, à chaque sommation de se disperser et de se ranger, répondent et s’écrient par la bouche ardente de leur chef : « Je ne veux rien être dans la société ; je ne veux être ni homme en place, ni médecin, ni homme de loi… je ne veux être que le serviteur et l’artisan de l’intelligence humaine !  […] Je le suppose roi. […] honneur à Machault, tant célébré de Droz pour les projets qu’on lui suppose ou qu’on lui prête ; à Mirabeau père, provocateur et précurseur, à son insu, de son puissant et glorieux fils !

135. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « La comtesse Diane »

Par la forme même de son livre, par la disposition typographique qui, isolant chaque pensée, nous la présente comme souverainement importante et nous la propose pour sujet de méditation, l’auteur semble prendre envers nous cet engagement que chacun de ces brefs alinéas supposera et résumera une masse considérable d’observations particulières, en contiendra tout le suc, sera l’équivalent d’un roman, d’une comédie, tout au moins d’un sermon ou d’une chronique. […] Vous marmottez : Il y a des larmes…, il y a des larmes et, comme vous ne voulez rien dire de commun, vous trouvez d’abord, je suppose : Il y a des larmes qui remercient. […] Comme ce genre supporte et même suppose une psychologie très fine on ne craindra pas, au besoin, d’allonger un peu la pensée, en la tarabuscotant. […] L’indulgence qui excuse le mal est moins rare que la bienveillance qui ne le suppose même pas ; parce qu’on se fait moins d’honneur en ne soupçonnant rien qu’en pardonnant tout.

136. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre I : Principe de la métaphysique spiritualiste »

Un être qui se connaît soi-même se connaît-il de la même manière que les choses externes, à savoir par des manifestations, par des apparences derrière lesquelles il y aurait une inconnue, un x, supposé et conclu par une induction soit directe, soit discursive, comme pour les choses externes ? […] Or, la fatigue suppose l’action. […] Il a bien conscience que ses phénomènes supposent une activité interne, que cette activité suppose un être : il plonge dans l’être, avons-nous dit, — et c’est par là que la doctrine de Biran se sépare du pur empirisme, — mais jusqu’où y plonge-t-il ?

137. (1890) L’avenir de la science « VI »

La conquête et la découverte supposent un éveil et amènent une exertion de force que ne peuvent connaître ceux qui n’ont qu’à marcher dans une voie déjà tracée. […] Mais l’école ayant en général chez nous un but pédagogique ou pratique, réduire la science à ces étroites proportions, supposer par exemple que la philologie ne vaut quelque chose que parce qu’elle sert à l’enseignement classique, c’est la plus grande humiliation qui se puisse concevoir et le plus absurde contre-bon sens. […] Cela suppose chez nos voisins un goût merveilleux pour les choses sérieuses, et peut-être aussi quelque courage à s’ennuyer bravement, quand cela est de règle.

138. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIII » pp. 109-125

On ne voit pas la possibilité du déchaînement supposé de l’hôtel Rambouillet en représaille des épigrammes et satires de Boileau, durant les derniers jours d’une femme de 82 ans. […] En 1661, quand Louis XIV fit arrêter Fouquet, on saisit une cassette où l’on supposait renfermées des preuves des délits qui lui étaient imputés. […] Le duc de Saint-Simon parle de l’hôtel d’Albret comme d’une maison somptueuse, où affluait la meilleure compagnie, et il en suppose l’existence du vivant de Scarron, mort en 1660.

139. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Jules Soury. Jésus et les Évangiles » pp. 251-264

Soury, d’expliquer le Sauveur des hommes par les plus hideuses et les plus déshonorantes maladies… II Je ne supposais pas — à distance — que M.  […] Soury : « On doit supposer que, parmi ses ascendants et ses collatéraux, Jésus avait des parents atteints de quelques affections du système nerveux central ou périphérique, des maniaques, des épileptiques, des suicidés ou des ivrognes. » Pourquoi doit-on le supposer ?

140. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 6, que dans les écrits des anciens, le terme de chanter signifie souvent déclamer et même quelquefois parler » pp. 103-111

Ainsi je suppose que les choeurs aïent chanté en musique harmonique une partie de leurs rôlles, mais il ne s’ensuit pas que les acteurs y chantassent aussi. […] Quoiqu’il en soit, supposé qu’il fallut entendre le terme de chanter au propre, quand il s’agit du chant des choeurs, il ne s’ensuivroit pas qu’il fallut entendre ce mot dans la même acception où il s’agit des recits.

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