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1120. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « L’abbé de Choisy. » pp. 428-450

Abbé tonsuré dès l’enfance, mais surtout voué à la cornette et aux chiffons, coquette comme une nonne de Vert-Vert et libertin comme un perroquet, tour à tour comtesse de Sancy dans la paroisse Saint-Médard, et comtesse des Barres en Berry, puis pénitent, mais toujours léger, une manière d’apôtre à Siam converti et convertisseur sans tristesse, écrivain agréable et même délicat, finalement historien de l’Église, et doyen de l’Académie française, sa carrière, qui dura quatre-vingts ans, compose une mascarade complète, et, dans chacun de ses rôles, il fut au naturel, au sérieux, avec sincérité, et à la fois avec un air d’amusement et de badinage. […] Sous air de missionnaire, il est tout à fait de cette race de Français d’autrefois, qui ne doutaient de rien, s’en allaient au bout du monde à l’étourdie, à l’aventure, que leur gaieté soutenait dans les traverses, et qui s’en remettaient de leur salut, en chaque occasion, à Dieu, à leur étoile, à la première inspiration du moment. « Nous faisons bien ce voyage-ci à la française », dit-il quelque part, donnant à entendre qu’on n’avait rien prévu à l’avance ; et il a raison. […] Constance, qui ne négligea rien pour l’attirer et l’éblouir, Choisy le résume très joliment : « En un mot, c’est un drôle qui aurait de l’esprit à Versailles. » Toujours la traduction à la française. […] L’Académie française nomma Choisy au nombre de ses membres en 1687 ; M. 

1121. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Henri Heine »

Mais le poète avait traversé dans son enfance l’époque de l’invasion française ; des souvenirs de l’épopée napoléonienne lui restèrent toute sa vie ; les sympathies de sa race et de sa famille durent le porter du côté de la nation qui la première traita les Juifs humainement. […] Il devint prosateur, journaliste, polémiste ; aussi quelques traits de l’esprit français sont-ils marqués dans toutes ses œuvres. […] Quel que soit le manque d’ordonnance de ses Reisebilder, c’est encore la seule œuvre prosaïque allemande qu’un Français puisse lire d’un bout à l’autre, sans avoir à user de sa volonté pour contraindre son attention. […] Heine eut des goûts divers, s’éprit et subit de nombreuses influences artistiques ; c’est-à-dire que beaucoup de choses et de différentes lui ont plu, ou encore que ses sentiments étaient assez variables pour être successivement satisfaits et charmés par des expressions artistiques dissemblables entre elles et pouvant varier de la rêverie vague des romantiques allemands, au rude réalisme de la poésie populaire, à la précision et à l’esprit des prosateurs français. […] Il a été Français et admirateur de Napoléon en Allemagne, patriote allemand en France, choisissant toujours, il faut le remarquer, le parti le plus hasardeux.

1122. (1874) Premiers lundis. Tome II « La Comtesse Merlin. Souvenirs d’un créole. »

Il y a quelque temps que, parcourant un de ces livres aimables et légers, les Souvenirs de madame Lebrun, je me plaisais à y retrouver tout ce monde facile, brillant, poliment mélangé d’avant la Révolution, gens de cour, gens d’esprit, Russes, Français, dont Delille était le poète favori, et madame Lebrun le peintre ordinaire. […] « Elle parlait pourtant assez bien espagnol, nous dit l’auteur du récit, mais elle n’en prononça pas un mot.Il semble que dans les grandes douleurs, on revient à la langue naturelle, comme on se réfugie dans le sein d’un ami. » L’arrivée de la jeune Mercedès à Cadix, puis à Madrid où elle retrouve sa mère, sa famille ; l’état de la société peu avant l’invasion des Français ; les accidents gracieux qui formaient de légers orages ou des intérêts passagers dans cette existence de jeune fille, puis l’invasion de Murat, la fuite de Madrid, le retour, la cour de Joseph, et le mariage ; tels sont les événements compris dans ces deux premiers volumes de Souvenirs.

1123. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rodenbach, Georges (1855-1898) »

[Anthologie des poètes français du xixe  siècle (1887-1888).] […] Georges Rodenbach est un des meilleurs écrivains belges qui soient venus se servir de notre langue, et l’acquisition pour la littérature française est bonne.

1124. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Restout » pp. 187-190

Si son Pluton et sa Proserpine sont mesquins, n’ont rien de majestueux et de redoutable ; si son Euridice est niaise ; si ses juges infernaux ont un faux air d’apôtres ; si son Orphée est plus froid qu’un ménétrier de village qui suit une noce pour un écu ; si ses Parques sont tournées à la française, il faut le lui pardonner ; le sujet était trop fort pour son âge. […] Ses Parques sont un peu françaises ; mais l’attitude en est variée, et elles ne sont pas sans caractère.

1125. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 36, de la rime » pp. 340-346

Rien n’aide un poëte françois à surmonter ces difficultez, que son génie, son oreille et sa perseverance. […] Vers le huitiéme siécle les vers leonins, qui sont des vers latins rimez comme nos vers françois furent en usage, et ils y étoient encore, quand on fit ceux-ci.

1126. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Madame de La Fayette ; Frédéric Soulié »

Le sujet du livre est la conversion d’une belle juive qui devient chrétienne pour épouser un seigneur français, ou qui épouse un seigneur français pour devenir chrétienne.

1127. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Quelques « billets du matin. » »

Ribadeneira, traduction française, revue par l’abbé E. […] Et il y a des naïfs, parmi ces malins, qui lèguent des prix à l’Académie française. […] Je ne prétends pas qu’il n’y ait jamais eu que des illettrés dans les Chambres françaises. […] Le français est, depuis plusieurs siècles, la langue des relations internationales. […] Est-ce habitude de « déblayer » pour des publics qui ne savent point le français ?

1128. (1898) Essai sur Goethe

En réalité, Goethe était tout rempli de sympathie pour la culture française et d’admiration pour Napoléon. […] Rien de plus « français », en effet, que les idées littéraires du jeune Goethe. […] C’est pourquoi toutes les tragédies françaises sont aussi des parodies d’elles-mêmes. […] Comme tous les princes allemands de l’époque, elle avait organisé sa cour sur le modèle de celle de Versailles : on s’y habillait, autant que possible, à la française, on y parlait le français plutôt que l’allemand, on applaudissait au théâtre des poètes français ou imités du français, on donnait des « redoutes » qui tâchaient de rappeler les fêtes de Versailles : de très loin, cela va sans dire, car les ressources étaient bornées : les comptes de la duchesse, de l’année 1776, accusent 30.783 thalers 16 groschen de revenu, et 28.982 thalers 21 groschen de dépenses. […] Dans ses Annales, il note à l’année 1789 que « la révolution française éclata et fixa sur elle l’attention du monde ».

1129. (1891) La bataille littéraire. Quatrième série (1887-1888) pp. 1-398

et de mal embouchés que subit la littérature française. […] Comme eux il a le trait, comme eux il est Français, éloquent, homme d’esprit, patriote et poète. […] quelle perte pour les lettres françaises ! […] Je jure alors, foi de Français ! […] Vices français. — 1887.

1130. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

La réponse sublime de ce magistrat français naît encore de la grandeur d’âme. […] Il ne conseillait doctoralement à Despréaux rien moins que de savoir sa langue et de parler français. […] On se pourrait dispenser de nous redire perpétuellement que Corneille est sublime, que Racine est parfaitement admirable : aucun Français n’en doute. […] Avouons que cette qualité précieuse est presque ignorée, ou mal à propos dédaignée par nos tragiques français. […] Cette restriction n’est en usage que chez les Français où l’art s’est le plus épuré.

1131. (1928) Les droits de l’écrivain dans la société contemporaine

Les faits contredisent ces préjugés traditionnels, qu’on inculque sagement aux enfants et qui servent de sujet à leurs dissertations françaises. […] Il l’offrira à son tour au Parti Communiste Français. […] Gide regrettait par ailleurs le texte de la traduction française, dû à H. […] Ce que confirma la lecture de Paul Claudel, avec sa célèbre définition (Nouvelle Revue Française, oct. 1912) de « mystique à l’état sauvage ». […] L’un des premiers graphologues français, Jules Crépieux-Jamin (1859-1940) était connu pour avoir défendu Alfred Dreyfus par des expertises d’écritures.

1132. (1925) Les écrivains. Première série (1884-1894)

Il se présente à l’Académie Française ; il obtient deux voix. […] About, ô Voltaire… Encore un an de Théâtre Libre, et la France ne sera plus la France, et les Français ne seront plus Français. […] Et sa race est française. […] … Tenez, une chose m’afflige… Lorsque, dans un journal français on parle de M.  […] Le bachelier dira : « Caro (Marie-Elme), né à Poitiers, paysan français.

1133. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 mai 1885. »

C’est un quatrième degré, auquel les Français arriveront, sans doute. […] Ainsi la noble Rome, vénérable, avait disparu, aux yeux du spectateur intelligent, recouverte par le style architectural jésuitique des deux derniers siècles ; ainsi s’était amollie et édulcorée la très glorieuse peinture italienne ; ainsi s’était dressée, sous la même influence, la Poésie Française classique, œuvre de mort intellectuelle, et dont les lois examinées présentent une précise analogie avec les lois de l’Opéra et de la Sonate. […] Dujardin retrace l’évolution de l’image que les français se font du compositeur allemand. […] Jean-Marie Mathias Philippe Auguste, comte de Villiers de L’Isle Adam (1838-1889) est un des écrivains français wagnériens de la première heure. […] La première rend le texte clair et lui donne même un caractère « français ».

1134. (1857) Cours familier de littérature. III « XIVe entretien. Racine. — Athalie (suite) » pp. 81-159

Si vous voulez sérieusement devenir un grand poète théâtral, vous en êtes le maître ; mais ne faites plus de tragédie, faites le drame ; oubliez l’art français, grec ou latin, et n’écoutez que la nature. […] Le règne de Louis XVI lui avait donné la politique littéraire et oratoire, dans cette foule d’écrivains dont Mirabeau avait été la dernière voix ; il lui avait donné enfin la Révolution, qui n’était au fond qu’une dernière explosion des lettres françaises. […] On se demandait surtout quelle serait la langue assez majestueuse, assez grave, assez prophétique, assez divine, pour proférer des paroles françaises dans ces portiques de David, d’Isaïe, de Jéhova. […] Quant à la langue, ce n’est plus du français, ce n’est plus du grec, ce n’est plus du latin comme dans ces autres pièces profanes et classiques : c’est de l’hébreu transfiguré en un idiome qui ne fut jamais parlé qu’entre Jéhova, ses prophètes et son peuple, parmi les éclairs du Sinaï. […] Ce français-là n’est d’aucune origine et n’aura aucune fin.

1135. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — II. (Fin.) » pp. 364-380

Marianne, un moment délaissée, raisonne là-dessus ; elle se dit en se donnant l’explication du volage : Homme, Français et contemporain des amants de notre temps, voilà ce qu’il était ; il n’avait, pour être constant, que ces trois petites difficultés à vaincre… Son cœur n’est pas usé pour moi, ajoutait-elle, il n’est seulement qu’un peu rassasié du plaisir de m’aimer, pour en avoir trop pris d’abord. […] Dans sa feuille périodique Le Spectateur français, parlant des Lettres persanes qui venaient de paraître, il les loue pour l’esprit, mais les critique sur un point. […] Marivaux fut du nombre des jeunes auteurs qui cherchèrent sur ce théâtre nouveau une variété et une légèreté de formes que ne leur permettait pas la scène française. […] Nommé à l’Académie française à la place de l’abbé de Houtteville, il fut reçu le 4 février 1743, le même jour que le duc de Nivernais, et par l’archevêque de Sens, M. 

1136. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Geoffroy de Villehardouin. — I. » pp. 381-397

Malgré les découvertes et les exhumations qu’on n’a cessé de faire dans cette étude de notre Moyen Âge, malgré les publications nombreuses dont il a été l’objet depuis quelques années, on peut dire encore avec l’ancien bénédictin don Brial et avec Daunou qu’à part quelques écrits de petite dimension, quelques textes de lois, quelques sermons, et sans parler des traductions de livres sacrés, la relation de Villehardouin est le premier ouvrage original étendu qu’on ait en prose française. […] Il y a pourtant plus de six cents ans qu’il a écrit dans le français qu’on jargonnait alors, et qu’il parlait, pour son compte, avec gravité et avec éloquence. […] Commynes, dans le temps de l’expédition et de la conquête de Charles VIII en Italie, fut envoyé à Venise pour tâcher d’y conjurer le mauvais vouloir, d’y maintenir la neutralité et d’empêcher d’y nouer la ligue formidable qui allait mettre, au retour, le monarque français à deux doigts de sa perte. […] Tant que les Vénitiens croient que le roi de France n’avancera pas en Italie et qu’il ne réussira pas dans ses projets de conquête, ils protestent volontiers de leur amitié et de leurs services désintéressés pour lui ; quand ils le voient s’avancer et vaincre au-delà de leurs prévisions, ils s’effrayent, travaillent à nouer la ligue et dissimulent, non pas si bien toutefois que Commynes, le jour où ils lui apprennent la reddition du château de Naples aux Français, ne lise la consternation sur le visage des principaux dans la chambre du doge : « Et crois que quand les nouvelles vinrent à Rome de la bataille perdue à Cannes contre Annibal, les sénateurs qui étaient demeurés n’étaient pas plus ébahis ni plus épouvantés qu’ils étaient. » Patience !

1137. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres de François Arago. Tome I, 1854. » pp. 1-18

Laplace appuya ce projet ; le Bureau des longitudes les en chargea ; l’Empereur ordonna l’expédition et accorda les fonds nécessaires ; le gouvernement espagnol adjoignit aux deux savants français deux commissaires, MM.  […] Biot qui rentrait en France, et s’étant rendu à l’île de Majorque pour y terminer l’opération entreprise, il y subit bientôt le contrecoup de l’effet produit par l’entrée de l’armée française en Espagne. […] Arago, introduisant une idée française au milieu de la société de nos voisins, s’étonne après cela que Watt n’ait pas été nommé en son temps pair d’Angleterre : « La pairie est en Angleterre, dit-il, la première des récompenses. […] Arago même la suite d’éloges et de témoignages décernés par toutes les classes et par tous les rangs de la société en l’honneur de Watt, on ne désire plus rien pour lui, et ce regret à la française, cet étonnement exprimé par le savant que la politique n’a pas trouvé insensible, amène un sourire.

1138. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — III. (Fin.) » pp. 162-179

Quant à Barneveld, il le goûte et l’estime bien davantage comme un homme dont les qualités patriotiques et civiles concordaient mieux avec les siennes ; il le justifie auprès de Henri IV qui le soupçonnait d’être plus Anglais que Français ; car le ministre de Jacques Ier, ainsi que son maître, bien qu’uni en apparence et allant de concert avec Henri IV, ne jouait pas un jeu très net et très franc. […] Le président avait quitté Paris le 31 juillet : « Plusieurs jeunes gentilshommes français, dit L’Estoile, l’ont accompagné par curiosité dans ce voyage. » La négociation de la paix rompit sur la prétention finale que démasqua le roi d’Espagne d’obliger par traité les Provinces-Unies à rétablir chez elles l’exercice public et libre de la religion catholique. […] Il se peut qu’il y ait en France des gens très bons Français, et même instruits, et qui n’aient jamais eu une idée nette du président Jeannin. […] Il me semble que Le Moniteur, à leur égard, pourrait être comme un Plutarque français continuel : tous les grands serviteurs publics y trouveraient tôt ou tard leur biographie ou leur portrait.

1139. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — I. » pp. 446-462

Les Anglais et les Allemands sont de mon sentiment, et cela ne prouve pas qu’il est mauvais : les Français sont d’un autre avis, et cela ne prouve point que le leur soit bon. […] Seulement ce n’étaient là que des aspirations d’une âme ardente et, par ce côté, plus germanique que française ; il manquait à cette muse novice et trop contrainte la première condition d’une poésie faite pour charmer, la grâce de ces heureux mortels qui sont nés avec un talisman dans leur berceau et avec la flûte d’ivoire sur les lèvres. […] [NdA] Coxe et lui furent les premiers guides des voyageurs en Suisse en ces années : Ceux-ci parcouraient à l’envi, nous dit Ramond, les routes que nous avions frayées, mais n’en frayaient guère d’autres ; et les lieux ignorés dont j’avais révélé le secret devenaient peu à peu une promenade publique où les Anglais rencontraient des Anglais, les Français des Français, et personne les Suisses.

1140. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — I » pp. 39-56

Il n’y dit jamais de mal de lui, mais dans le bien qu’il en raconte, dans ses récits les plus avantageux, il y a tant d’esprit, de gaieté, de bons mots joints à l’action, de belle et vaillante humeur française, il est si bien un héros de notre nation, que ses défauts cessent d’y déplaire. […] Les mœurs espagnoles, les usages de Madrid et de la cour, les bizarreries et les monotonies de cette vie si nouvelle pour une Française et une amie des La Fayette et des Sévigné, y sont touchées avec une discrète ironie. […] En même temps qu’il ne perdait point de vue les intérêts du roi et qu’il restait Français zélé à Vienne, il se conduisait à l’armée de Hongrie comme un fidèle sujet de l’empereur, et il prit part, en y contribuant de son conseil autant que de son bras, à une grande victoire contre les Turcs. […] Louis XIV, dans son jugement de maître, le nota donc et le tint en réserve comme l’homme nécessaire et indiqué, pour le cas où il faudrait à tout prix agir et remonter par quelque action hardie le moral des Français.

1141. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Tallemant et Bussy ou le médisant bourgeois et le médisant de qualité » pp. 172-188

La vanité dans l’amour, et comme principe de l’amour, c’était bien la marque du moment, et qui est celle en général de la galanterie française, où la passion, à l’origine, entre pour peu. […] Cet abbé Tallemant, qui est resté pour nous le sec traducteur du français d’Amyot, n’aimait pas notre Tallemant et lui portait envie. […] Et ce n’est pas seulement dans le genre bourgeois qu’il excelle, ce n’est pas seulement quand il nous exhibe et nous étale Mme de Cavoye ou Mme Pilou, ou Mme Cornuel, dans toute l’originalité et le copieux de leurs saillies ; Tallemant est encore le meilleur témoin de l’hôtel Rambouillet et de ce monde raffiné ; il le juge avec l’esprit français du bon temps, comme il sied à un ami de Patru, à quelqu’un qui a en lui du La Fontaine en prose et du Maucroix, en gaulois attique qui a passé par la place Maubert. […] Il a fait des traductions ; regardez le bel auteur qu’il a choisi : il a mis Perse en vers français.

1142. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — II » pp. 268-284

L’Académie française avait proposé pour sujet d’un prix, à décerner en 1855 « une étude critique et oratoire sur le génie de Tite-Live », ajoutant à cet énoncé un programme développé où se posaient les diverses questions relatives à l’auteur et aux circonstances de sa vie, aux sources et à l’autorité de son histoire, au caractère et à la beauté de son monument. […] Qu’on me permette un exemple bien disproportionné quant à la splendeur, mais non pas quant aux circonstances essentielles : supposez que de la grande Histoire de Mézeray on n’ait conservé que les premiers âges à demi fabuleux des Mérovingiens, et puis les règnes de Jean, de Charles V, de Charles VI, et, si l’on veut même, de Charles VII, les guerres des Anglais, et qu’on ait perdu tout le xvie  siècle, où Mézeray abonde et excelle, ces tableaux des guerres civiles religieuses, où il est le compilateur le plus nourri, le plus naïvement gaulois et le plus indépendant à la française, où il se montre le mieux informé et le plus sensé des narrateurs ; aura-t-on, je le demande, du talent de Mézeray et de sa nature d’esprit une idée entière, et surtout pourra-t-on pousser cette idée et la définition de cet esprit jusqu’à la rigueur d’une formule, jusqu’à en extraire le dernier mot ? […] Si ce n’était faire tort à un écrit si solide que d’en présenter des extraits de pages, je détacherais celle qui marque le caractère de Montesquieu dans son livre de la grandeur et de la décadence des Romains… Je la donnerai pourtant, parce que nous sommes Français et que nous aimons les morceaux, mais je n’en donnerai que le commencement ; tout lecteur sérieux voudra lire la suite : Dans ce livre, il (Montesquieu) oublie presque les finesses de style, le soin de se faire valoir, la prétention de mettre en mots spirituels des idées profondes, de cacher des vérités claires sous des paradoxes apparents, d’être aussi bel esprit que grand homme. […] L’ouvrage sur Les Philosophes français du xixe  siècle (1857) n’a été couronné par aucune académie ; l’auteur l’a essayé en articles successifs dans la Revue de l’Instruction publique, mais c’est d’aujourd’hui seulement qu’on en peut bien juger d’après l’ensemble.

1143. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Biot. Essai sur l’Histoire générale des sciences pendant la Révolution française. »

» — « Ils parlent allemand, et nous français ; ils nous tirent des coups de fusil, et nous leur répondons par des coups de canon. […] Ce n’est point d’ordinaire la chaleur ni aucune inspiration émue ou éloquente qui distingue les écrits littéraires sortis de cette plume de savant ; soignés, élégants, d’une justesse ornée, parfois d’une simplicité un peu coquette, ils sont en général destitués de mouvement et de vie : un seul de ses écrits fait exception, c’est le précis intitulé : Essai sur l’Histoire générale des Sciences pendant la Révolution française, qui avait été composé pour servir de préface à une nouvelle édition du Journal des Écoles normales, et qui fut publié séparément (1803). […] L’Éloge de Montaigne, qui obtint une mention dans le concours ouvert par l’Académie française en 1812, et où M.  […] Si l’Académie française, comme on peut l’espérer, donne pour successeur à M. 

1144. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, — Antiquité et Moyen Âge — Par M. J. Zeller. »

Français, mais d’origine allemande, élevé à Paris dans nos collèges et s’étant allé fortifier au-delà du Rhin, il a de bonne heure uni les deux esprits, celui de la recherche approfondie et de la science, celui de l’exposition nette, claire et précise. […] Je dois avertir que notre prédilection française pour Florus, qui date de Tanneguy Le Fèvre, de Mme Dacier, et qui se marque jusqu’à l’excès chez Montesquieu, est fort contrariée et rabattue par le travail récent de l’érudition allemande. […] L. d’un ton un peu piqué, sans doute, en France, nous sommes très-ignorants : il y a pourtant déjà quelque temps que nous nous doutons que Florus n’est point un génie original ; et quelques Français avaient devancé, sur ce point, l’éditeur allemand de 1852 : par exemple, MM.  […] Les curieux pourraient chercher dans le Recueil de plusieurs pièces d’éloquence et de poésie présentées à l’Académie française… une page du discours de M. de La Chapelle, directeur de l’Académie, répondant à M. de Valincour, qui venait y prendre séance à la place de Racine, le 27 juin 1699.

1145. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Gisors (1732-1758) : Étude historique, par M. Camille Rousset. »

On l’apaisa, et on dédommagea amplement son fils en le nommant colonel du régiment de Champagne, un des six vieux corps de l’infanterie française. […] Il était plus sérieux et plus appliqué à se perfectionner qu’aucun jeune Français de qualité que j’aie jamais vu. […] Frédéric, dans une lettre à l’abbé de Prades, avait dit peu de jours après son arrivée à Berlin : « Écrivez en lettres d’or qu’il est arrivé ici un jeune seigneur français, rempli d’esprit, de bon sens et de politesse. » À son départ pour la Suède, c’était le prince Henri qui écrivait à M. de Gisors en manière d’adieu : « Unir à la jeunesse le caractère et les talents, c’est être né avec des qualités rares ; les perfectionner, les embellir et les rendre utiles, mérite l’admiration de tout le monde. […] Il possédait ce qui a manqué bien longtemps à la plupart des Français de tout rang : il connaissait l’étranger, et il avait par devers lui des termes exacts de comparaison.

1146. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres choisies de Charles Loyson, publiées par M. Émile Grimaud »

L’auteur avait d’abord écrit ainsi cette phrase : « Les rois de France, Sire, ont toujours regardé l’amour des Français comme d’un prix égal à leurs plus grands bienfaits. » Cette Dédicace, avant d’être imprimée, fut soumise à Louis XVIII qui la lut et qui se donna le plaisir de faire remarquer que le mot de bienfaits, trop rapproché, rimait avec Français, et que de plus ce membre de phrase : comme d’un prix égal à leurs plus grands bienfaits, faisait un vers alexandrin dans une phrase de prose, ce qui est réputé un défaut. […] C’est en cela que Loyson est fort supérieur à Casimir Delavigne, son contemporain, et à côté de qui il débuta dans les concours de l’Académie française. […] On en pourrait détacher quelques paroles éloquentes et tristes sur l’état moral de la France à cette époque, état moral agité et fébrile, suspendu entre des fautes et des excès contraires, donnant d’un extrême à l’autre sans trêve ni raison, et que nous avons vu se renouveler tant de fois depuis : un mal à désespérer les sensés et les clairvoyants, à faire douter de l’avenir et du bon génie de la France, et qui est devenu proprement le mal français périodique.

1147. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Millevoye »

L’enfant avait annoncé sa vocation précoce par de petites fables en vers français, et les dignes professeurs, émerveillés, favorisèrent cette disposition plutôt que de la combattre. […] On m’apprenait dernièrement que cette Chute des Feuilles, traduite par un poëte russe, avait été de là retraduite en anglais par le docteur Bowring, et de nouveau citée en français, comme preuve, je crois, du génie rêveur et mélancolique des poëtes du Nord. […] Dumas, son biographe sous la Restauration, a essayé de faire de lui un pieux Français dévoué au trône légitime. […] Il a sa place assurée pourtant dans l’histoire de la poésie française, et sa Chute des Feuilles en marque un moment.

1148. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Légendes françaises. Rabelais par M. Eugène Noël. (1850.) » pp. 1-18

Légendes françaises. […] Sous ce titre, un écrivain peu connu encore, et que je crois jeune d’après la nature de quelques-unes de ses idées, vient de publier un petit travail assez agréable sur Rabelais, qu’il range dans une espèce de galerie de Légendes françaises. […] La prose française fait là aussi sa gymnastique, et le style s’y montre prodigieux pour l’abondance, la liberté, la souplesse, la propriété à la fois et la verve. […] Son français sans doute, malgré les moqueries qu’il fait des latinisants et des grécisants d’alors, est encore bien rempli et comme farci des langues anciennes ; mais il l’est par une sorte de nourriture intérieure, sans que cela lui semble étranger, et tout, dans sa bouche, prend l’aisance du naturel, de la familiarité et du génie.

1149. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse psychologique »

Son Traité des maladies mentales a été traduit en français dès sa parution en 1865 par le docteur Doumic. […] Lombroso [Cesare Lombroso (1835-1909), aliéniste, grande figure de l’école criminologique italienne, tenant d’une sociobiologie radicale aboutissant à la théorie du « criminel-né », venait de voir publier son Homme de génie (1877) en version française (Alcan, 1889). […] Les idées de Lombroso furent en particulier diffusées en France par Georges Sorel, tout en faisant l’objet de vives critiques de la part de criminologues comme Alexandre Lacassagne, ou Gabriel Tarde, à l’époque de la naissance de l’anthropologie criminelle française. […] Le modèle qu’il propose, spécificité française, est de nature pathologique.

1150. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Observations générales, sur, l’art dramatique. » pp. 39-63

Corneille, ancien Romain parmi les Français, a établi une école de grandeur d’âme ; et Molière a fondé celle de la vie civile. Les génies français formés par eux appellent du fond de l’Europe les étrangers, qui viennent s’instruire chez nous et qui contribuent à l’abondance de Paris. […] Un Américain ne doit être ni vêtu ni logé comme un Français, ni un Français comme un ancien Romain, ni même comme un Espagnol moderne.

1151. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une croisade universitaire » pp. 107-146

On est Français ou on ne l’est pas. […] Le Réalisme dit carrément leur fait à ces deux usurpateurs de renommée, et se mit en devoir de les corriger — à coups de fautes de français. […] Duchesne écrivit un jour qu’Henry d’Audigier avait manqué ses classes à l’École normale, et que, vu sa faiblesse notoire, il se faisait confectionner ses versions latines et ses discours français par toi ou ton copin Sarcey. […] Et vous savez que c’est aux Français seuls qu’il est interdit — de par Voltaire — de rêver, d’être mélancoliques et de faire de la fantaisie.

1152. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IV : M. Cousin écrivain »

. — Il contredit toutes les habitudes françaises, il dément toutes les siennes, il se fait disciple de Hegel, en déclarant que la méthode expérimentale ne convient pas à la philosophie de l’histoire, qu’il faut, pour la construire, trouver a priori les idées fondamentales de la raison, que ces idées ont dû passer dans les faits, que les grandes périodes de l’histoire les représentent, et qu’on ne peut trouver en histoire, comme en physique, que le fini, l’infini et leur rapport. — Il s’apprête des embarras graves, en jetant imprudemment à chaque page des phrases panthéistes ; en disant par exemple que la création25 est fort aisée à comprendre et que Dieu créa le monde comme nous créons nos actions, « qu’il crée parce qu’il est une force créatrice absolue, et qu’une force créatrice absolue ne peut pas ne pas passer à l’acte. » On se souvient encore de la manière dont il absolvait l’industrie, la guerre, la philosophie, la géographie, et beaucoup d’autres choses. […] Une Allemande, dit Gœthe, reconnut que son amant commençait à la tromper, parce qu’il se mettait à lui écrire en français. Un Français peut conclure qu’un philosophe commence à se tromper, lorsqu’il introduit en français des mots allemands.

1153. (1926) La poésie de Stéphane Mallarmé. Étude littéraire

Il conviendra de chercher la mesure dans laquelle fut ou non française l’œuvre de Mallarmé. Mais nul écrivain de son temps ne donnait mieux que lui, par son abord et ses manières, l’idée du Français cultivé d’ancien régime. […] Indicible n’est pas plus français pour qui tient la plume qu’impossible pour qui porte l’épée. […] — et la gaîté française conserve le total de ses droits. […] Ainsi le cartésianisme immodéré de Spinoza retire en un monde de glace géométrique une vivante philosophie française.

1154. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Appendice à l’article sur Joseph de Maistre »

Soyez bien persuadé, monsieur, que ceci est une illusion française. […] Vous ne m’en avez rien dit ; cependant des personnes en qui je dois avoir confiance prétendent qu’il ne passera pas, et je le crois de même. » Mais, de ces mots-là, quelques-uns ont passé par manière d’essai, pour tenter notre goût aussi, à nous lecteurs français, lecteurs de Paris : nous voilà bien prévenus. […] Si c’était une illusion française, de respecter les personnes en attaquant les choses, il faut reconnaître qu’elle s’est bien évanouie depuis peu.

1155. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Histoire de la Révolution »

Ni Ferrari, l’auteur des Révolutions d’Italie, un fataliste assez carré pourtant, mais qui a le luxe de son fatalisme, ni personne, n’approchent de la simplicité de fatalisme de Castille, qui ne croit à rien qu’à ceci peut-être, qui, du reste, est une assez jolie fatuité : de toute éternité l’univers fut créé en vue de la Révolution française et de son intégral accomplissement. […] La reine fut, en effet, ce qu’elle dut être, Autrichienne et Française à la fois, ce qui, sans les passions du temps, aurait fait la force de son double pays et de sa double maison. […] Il s’est fait historien de la Révolution française pour devenir homme d’État, et peut-être restera-t-il écrivain.

1156. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Si j’avais une fille à marier ! » pp. 215-228

Marier sa fille et la marier bien, l’élever, de longue main, en vue de ce grand fait du mariage qu’il croit la destinée la plus sublime de la femme, ce notable embarras qui a tant fait gauloiser l’esprit français, cette vieille difficulté que les moralistes de l’ancien temps, les moralistes anti-rêveurs, croyaient éternelle, — comme, du reste, ici-bas, toutes les manières d’être heureux, — Alexandre Weill a cru qu’il pourrait, en s’y prenant bien, la diminuer, ou complètement s’en rendre maître. […] Moitié artiste et moitié philosophe, moitié Français et moitié Allemand, Weill est confusément une foule de choses ; il n’est rien avec précision, avec la précision qui fait la nette, l’indéniable supériorité ! […] On dirait un flacon d’essence extrait de je ne sais combien de philosophies, — une eau de Mille fleurs philosophique, dans laquelle on reconnaît bien, quoique affadies les unes par les autres, toutes les erreurs qui portent aux têtes faibles et qui se confondent dans une petite infection très satisfaisante : ainsi le matérialisme français et le naturalisme du xviiie  siècle, et l’humanisme du xixe et l’idéalisme allemand et l’hégélianisme, mais l’hégélianisme en gouttelettes, dosé homéopathiquement, à peu près comme dans le petit flacon si bien bouché à l’émeri du baron de Feuchtersleben !

1157. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Victor Cousin »

Il avait les facultés nécessaires à cette besogne ; il avait le degré qu’il faut de sagacité, d’érudition, d’enthousiasme et même de duperie, pour aller chercher des idées dans des livres profonds et obscurs comme des puits, où elles se tiennent peut-être pour se faire croire la Vérité, et pour les verser dans les esprits qui les ignorent, après les avoir fait passer par cette langue française, qui est la langue universelle de la clarté, comme par un crible lumineux ! […] Il parla de l’infini et du fini et de leur rapport, trois choses qu’on n’avait pas jusque-là beaucoup entendu nommer dans une chaire de philosophie française. […] Or, je ne crains pas de le dire, malgré sa position, sa renommée, l’enseignement qu’il a fait peser sur toutes les Écoles de France pendant tant d’années, malgré, enfin, l’organisation d’un système dans lequel il a montré des facultés d’envahissement et de conservation qui n’ont rien de philosophique ou de littéraire, Cousin, le chef de la philosophie française, n’est pas un philosophe dans le sens créateur et imposant du mot.

1158. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Maurice de Guérin »

Avant Vigny, qui devina André Chénier par le génie, nous eûmes La Touche, qui le publia, et qui nous ébrancha ce beau platane grec avec sa petite serpette de jardinier français et d’homme de goût. […] Le grand anthropomorphiste qui a écrit L’Aveugle, Le Mendiant, tant de fragments grecs et aussi tant d’autres chefs-d’œuvre, — grecs encore quand il voulait le plus être du xviiie  siècle et français, — n’a rien de commun avec le panthéiste qui n’est pas panthéiste seulement que dans son étrange poème du Centaure. […] Quand il y sera bien établi une fois, ce beau revenant, qui n’est pas un fantôme, nous retournerons à lui et nous en parlerons à l’aise… Nous n’avons voulu que signaler par quelques mots l’entrée dans la littérature française d’un poète d’une distinction suprême, en train de dégager, quand il est mort, une ravissante personnalité.

1159. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. de Ségur : Mémoires, souvenirs et anecdotes. Tome III. »

Depuis que le tzar Pierre s’était imaginé que la perruque à la Louis XIV était une pièce essentielle de la civilisation européenne, la cour avait adopté l’étiquette et les modes françaises ; elle rougissait des mœurs du peuple, desquelles les siennes au fond se rapprochaient beaucoup. […] Mais le ministère français avait déjà d’autres soins plus pressants que ceux de la politique extérieure, et les embarras des finances ne lui permettaient pas de s’exposer aux chances d’une nouvelle guerre.

1160. (1874) Premiers lundis. Tome II « Li Romans de Berte aus Grans piés »

La pensée de notre jeune et savant collaborateur consistait à rechercher dans les anciennes épopées françaises, non pas seulement les imaginations plus ou moins gracieuses des conteurs et des poètes, non pas le mérite et l’agrément littéraire de leurs romans, mais les croyances diverses des populations, les récits historiques altérés, les invasions mythologiques qui avaient laissé des traces. […] Mais à prendre les choses par un côté plus exclusivement français et gaulois, plus littéraire, en abordant nos vieux romans suivant l’aspect plus familier à nos érudits, en venant modestement à la suite de Lamonnoye, de Bouhier, de Sainte-Palaye, des savants auteurs de l’Histoire littéraire, sans arriver de l’Allemagne ni s’être nourri des Æebelungen ou des Eddas, mais s’adressant tout simplement à M. de Monmerqué, il y a lieu, sous le rapport du goût et d’une critique soigneuse et délicate, de faire des travaux précieux sur les vieux monuments de notre langue.

1161. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre premier. Idée générale de la seconde Partie » pp. 406-413

Toutes les fois que je parle des modifications et des améliorations que l’on peut espérer dans la littérature française, je suppose toujours l’existence et la durée de la liberté et de l’égalité politique. […] J’ai tenté d’expliquer les contrastes singuliers de la littérature italienne, par les souvenirs de la liberté et les habitudes de la superstition ; la monarchie la plus aristocratique dans ses mœurs, et la constitution royale la plus républicaine dans ses habitudes, m’ont paru l’origine première des différences les plus frappantes entre la littérature anglaise et la littérature française.

1162. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre IV. De quelques poèmes français et étrangers. »

De quelques poèmes français et étrangers. […] Nous placerons dans ce chapitre, entre le Paradis perdu et la Henriade, quelques poèmes français et étrangers dont nous n’avons qu’un mot à dire.

1163. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre II. La poésie lyrique » pp. 81-134

Muchart a rendu admirablement le pittoresque de son pays ; il ne l’a pas pénétré de cette pointe spirituelle dont palpitent les œuvres françaises. […] Être bizarre, direz-vous, étroit, peu français, sans humanité. […] Nul n’est plus français. […] En effet nul n’a l’émotion plus facile et plus intense que le créateur des Ballades françaises : « c’est une manière de sentir autant qu’une manière de dire ». […] Joachim Gasquet écouta les voix des créateurs de la grâce et de la force française.

1164. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Proudhon » pp. 29-79

Dialecticien irrésistible, incomparable, quand il forge et scelle les uns dans les autres tous les anneaux de la chaîne d’un raisonnement, d’une propulsion à tout renverser dans l’ordre logique, Proudhon est certainement le polémiste le plus redoutable qu’ait eu la langue française. […] Il y a la Révolution française, et tous les publicistes du droit populaire et tous les systèmes et tous les gouvernements qui n’ont pas vécu et qu’elle a enfantés, cette mère Gigogne d’avortons ! […] De sentiment, cet homme, qui était chrétien quand il prenait ses filles sur ses genoux et qu’il soignait si tendrement leurs maladies (voir la Correspondance), a retrouvé, dans son livre de la Pornocratie, — dont, par parenthèse, je n’aime pas le titre, trop pédantesque, trop grec, pas assez français, — l’accent chrétien perdu par lui depuis si longtemps, et, chose particulièrement étonnante ! […] Pour trouver un accent pareil, il faut remonter jusqu’aux prédicateurs (les vrais moralistes français), et encore les plus austères et les plus tonnants parmi eux. […] Il faut le remercier, pour la langue française, d’avoir écrit sa Pornocratie.

1165. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre IV. Que la critique doit être écrite avec zèle, et par des hommes de talent » pp. 136-215

Tout ainsi, Le Festin de Pierre, commandé par le machiniste, devient le plus grand drame et le plus formidable de la scène française. […] Vous verrez par la comparaison de ces compositions anglaise et française que le sens commun ne peut être suppléé ni par le talent, ni par l’invention. […] un vieil arsenal de la lourde architecture française qui précède l’époque de François Ier . […] Non, pour un parterre français, cet homme-là n’est pas assez châtié. […] M. la reine des Français, six semaines après la Révolution, et nul ne trouvait à redire à ces respects qui allaient consoler cette touchante majesté dans son exil !

1166. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins » pp. 185-304

C’était le génie de la révolution française en action dans une histoire ; c’était en même temps le drame du siècle. […] Plus j’ai étudié les faits, les hommes, les événements de la Révolution française, plus ce livre a baissé dans mon esprit ; mais habent sua fata libelli . […] Sa popularité révolutionnaire me paraissait une récompense inique d’une participation contre nature du chef de cette maison à l’ingratitude du peuple français envers le plus innocent et le plus dévoué des rois, et au meurtre de ce roi sur l’échafaud de 1793. […] Dupin avait été nommé par la nature président perpétuel d’un sénat français. […] Je me retirai moi-même avec le pressentiment tragique d’une révolution que je ne désirais nullement pour mon pays ; je préférais, en bon Français, un règne désagréable à une anarchie.

1167. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1893 » pp. 97-181

Une femme de Bogora, en Algérie, éprise follement d’un vétérinaire français, ne trouvait rien de mieux pour lui attester sa tendresse passionnée, que de se faire tatouer sur la poitrine, les différents fers à cheval, pris dans un livre technique de la bibliothèque du vétérinaire, pendant une de ses absences. […] J’aurai voulu aussi lui demander, dans La Puissance des ténèbres, quand Nitika assis sur la planche fait craquer les os de l’enfant, et que l’on entend piauler le petit écrasé, s’il croyait que la pièce aurait été plus loin, si Tolstoï était Français, et s’il croyait encore, que les trois actes de Mademoiselle Julie auraient été joués, si Strindberg était Français. […] Villard m’entretenait d’un voyage qu’il avait fait en Norvège, où il était tombé dans une verrerie, qui était une colonie française, réfugiée là, à la suite de la révocation de l’édit de Nantes, ayant conservé très reconnaissable le type français, mais n’ayant gardé de leur ancienne langue, que le mot « Sacré nom de Dieu ». […] Une grande dame belge, tenant une haute position dans son pays, disait à un jeune Français de ma connaissance : « Il y a une chose sur laquelle je voudrais bien être éclairée. […] Je lis dans La Tunisie française, ceci : Un juge — et le récit est fait par le contrôleur civil de la région — dit à un Arabe assigné par un juif, en payement de 500 à 600 piastres.

1168. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre V. Comment finissent les comédiennes » pp. 216-393

était le fond de la langue française. […] M. l’impératrice des Français et du monde ! […] Ils manquent à la liste de l’Académie française l’un et l’autre. […] Il est le père du génie français. […] les Françaises de ce temps-là.

1169. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 5482-9849

Il est très à sa place dans un opéra françois, où d’ordinaire on effleure plus les passions qu’on ne les traite. […] ) On prononce aujourd’hui Français, & quelques auteurs l’écrivent de même ; ils en donnent pour raison, qu’il faut distinguer Français qui signifie une nation, de François qui est un nom propre, comme S. […] A la fin du dixieme siecle le françois se forma. On écrivit en françois au commencement du onzieme ; mais ce françois tenoit encore plus du romain rustique, que du françois d’aujourd’hui. […] On fut alors obligé de cultiver le françois ; mais la langue n’étoit ni noble, ni réguliere.

1170. (1866) Dante et Goethe. Dialogues

Nous autres Françaises, nous ne sommes pas habituées, comme l’étaient les dames italiennes, au professorat. […] Pourquoi donc semble-t-il ridicule à nos Français que les femmes enseignent ce qu’elles savent ? […] Que voilà bien une traduction française ! […] En quittant les Français, on quittait l’esprit de gaieté. […] Il se détourne de la révolution française qui troublerait, s’il y regardait, ses études de naturaliste.

1171. (1890) La bataille littéraire. Troisième série (1883-1886) pp. 1-343

Il s’agit encore de Sapho mais surtout de l’Académie française. […] ajouta le charmant homme, je me suis entêté, je suis revenu et je suis de l’Académie française ! […] Il n’aura pas le temps de se sauver, que le Français se souviendra qu’il a son fusil ! […] On parlait français. […] La scène se passe pendant la guerre ; notre soldat français se promène armé sur le sol envahi par l’ennemi.

1172. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XLV » pp. 176-182

 — Il y a eu l’inauguration de la statue de Molière au carrefour de la rue Richelieu et de la rue Traversière ; le préfet de la Seine, l’Académie en corps, la Comédie française, etc., ont composé la cérémonie ; on a fait des discours en plein air par un froid très-vif. […] Cette mort de Nodier fait une troisième vacance à l’Académie française : Campenon, Casimir Delavigne et Nodier.

1173. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mort de M. Vinet »

Vinet275 Le canton de Vaud et la Suisse française viennent de perdre leur écrivain le plus distingué, l’un de ceux qui faisaient le plus d’honneur à notre littérature. […] Chateaubriand, Mme de Staël, Lamartine, Victor Hugo, Béranger, plusieurs de nos historiens, enfin presque tous nos illustres ont tour à tour fixé l’attention du plus scrupuleux et du plus bienveillant des juges ; il a même consacré quelques-uns de ses Cours d’Académie à une suite de leçons régulières sur la littérature française du xixe  siècle.

1174. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de Dampmartin, Maréchal de camp »

Dès qu’il n’est plus sous les armes, le soldat ne résiste guère à la tentation de redevenir homme du peuple ; et si son amour-propre s’y croit une fois intéressé, il lui faudra une haute vertu pour ne pas forfaire à la consigne : les plus formelles résolutions des gardes françaises ne s’amollirent-elles pas devant le premier rassemblement du Palais-Royal ? […] A Berlin surtout, dans une cour timide, froide et naguère ennemie, en présence d’une Académie peut-être encore philosophique et frondeuse, en présence de cette colonie de réfugiés français qui n’avaient pas oublié les injures de leurs pères3, combien une noble contenance eût été séante, combien elle eût racheté de préjugés et d’erreurs !

1175. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bergerat, Émile (1845-1923) »

De ce nombre, il convient de citer les Cuirassiers de Reischoffen et le Maître d’école, ce dernier ouvrage surtout, dont un autre poète a dit qu’il était « le plus beau cri de douleur qu’ait poussé la patrie française pendant son martyre de 1870 ». […] [Anthologie des poètes français du xixe  siècle (1887-1888).]

1176. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Signoret, Emmanuel (1872-1900) »

Paul Souchon Issu d’une tige rustique, instruit de la belle antiquité sous un climat facile et comparable à celui qui régissait Athènes et Rome, ayant pris un long contact, à Paris, avec l’âme française et les jeunes hommes de sa génération, retiré maintenant dans la solitude et le bonheur, aux bords de la mer, M.  […] L’un d’eux, La Souffrance des eaux, a été remarqué par l’Académie française, qui a couronné son auteur en juillet 1899.

1177. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VI. Recherche des effets produits par une œuvre littéraire » pp. 76-80

Alternatives curieuses, qui non seulement démontrent la permanence des effets produits par l’œuvre de Corneille sur les Français, mais qui permettent d’en noter avec une précision presque mathématique et la nature et la puissance dans les différentes époques de notre histoire ! […] Les historiens qui ont vu dans Rousseau et les philosophes, ses contemporains, les précurseurs et, pour mieux dire, les préparateurs de la Révolution française ; les moralistes qui attaquent ou recommandent un livre, parce qu’il leur paraît susceptible de corrompre ou d’améliorer les mœurs ; les législateurs qui punissent les provocations au crime commises et propagées par le journal ; tous ces hommes ont reconnu implicitement la répercussion que les âmes ont sur d’autres âmes, l’espèce de suggestion qui s’opère par l’intermédiaire de la parole ou de l’écriture.

1178. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Préface » pp. -

Renan se fût réjoui des victoires allemandes ou qu’il les trouvât légitimes, mais j’ai dit qu’il considérait la race allemande, comme une race supérieure à la race française, peut-être par le même sentiment que Nefftzer, — parce qu’elle est protestante. Eh mon dieu, ce n’est un secret pour personne que l’engouement, pendant les deux ou trois années qui ont précédé la guerre, que l’engouement de nos grands penseurs français pour l’Allemagne, et les dîneurs de Magny ont eu, pendant ces années, les oreilles rebattues de la supériorité de la science allemande, de la supériorité de la femme de chambre allemande, de la supériorité de la choucroute allemande, etc., etc., enfin de la supériorité de la princesse de Prusse sur toutes les princesses de la terre.

1179. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « Préface »

Ce serait, en un mot, de faire pour la littérature du xixe  siècle ce que La Harpe, plus ambitieux que puissant, essaya de faire pour la littérature française tout entière et pour les deux littératures dont elle est issue. […] Cousin, par exemple, qui fut si longtemps le chef officiel de la Philosophie française, ne briller que par son absence et quelques-uns de ses élèves.

1180. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre ii »

Un jeune soldat a pu rencontrer un aumônier, et puis d’autres soldats, qui appartiennent comme lui à l’Association de la Jeunesse catholique française 1 ; il s’en réjouit : « C’est si bon de vivre un peu la vie de l’A. […] On parle du lendemain, de l’attaque, de la vie, de la mort, du bon Dieu, et l’on se sépare après avoir fait ensemble la prière du soir. » (Bulletin de l’Association de la jeunesse catholique française.)

1181. (1923) Paul Valéry

Il m’intéressait moins comme individu que comme pointe extrême de la poésie française dans une de ses directions de logique et de vie. […] Chez Gœthe, Byron, les romantiques français, ce sont généralement des états de sensibilité commune, sinon à tous les hommes, du moins à un groupe ou à une époque. […] Une telle préparation de la poésie avait été prédite et recommandée avec la plus grande précision par Edgar Poe. » Valéry en voit l’origine française chez Baudelaire. Je la verrai plutôt dans une conjonction du romantisme français et de la poésie anglaise. […] C’est bien l’élan général de toute la poésie française qu’il continue, et de la grande poésie romantique comme des autres.

1182. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. THIERS. » pp. 62-124

Thiers, disions-nous, n’est entré pleinement dans l’histoire de la révolution française qu’à son troisième volume : il y arrive, pour ainsi dire, avec les Marseillais eux-mêmes, à la veille du 10 août. […] Français qui avons vu depuis notre liberté étouffée, notre patrie envahie, nos héros fusillés ou infidèles à leur gloire, n’oublions jamais ces jours immortels de liberté, de grandeur et d’espérance !  […] L’historien de la révolution française faisait déjà ses adieux à ses amis et allait s’embarquer, quand le ministère Martignac tomba. — « Ah ! […] Le célèbre poëte, après une longue absence, était revenu se fixer à Paris au commencement de 1830 ; il publiait ses Harmonies poétiques et obtenait place enfin à l’Académie française. […] Revue française, novembre 1829.

1183. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1890 » pp. 115-193

En cette cuisine diplomatique, Oliphant se trouvait bien des petits services que lui rendait Blowitz, et le traité signé, quand Thiers pour remercier son remplaçant, lui offrait de le nommer grand-croix de la Légion d’honneur, celui-ci repoussait cet honneur, et lui demandait la nomination au consulat de Venise, du correspondant français du Times avant la guerre, qui, je crois, était Yriarte, — et Blowitz prenait sa place. […] Mardi 7 janvier En ces heures de mon abandon de la porcelaine de Chine et de la poterie du Japon, c’est une griserie amoureuse des yeux devant ces fleurettes, si riantes, si spirituelles, si xviiie  siècle français, du Saxe. […] » me parle d’un Constable, d’un Constable qui tue toute la peinture française de 1830, acheté 340 francs dans un Mont-de-piété à Londres, et d’autres, d’autres acquisitions… et de deux Péronneau, deux Péronneau, achetés à quatre ou cinq heures de Bordeaux… achetés dans une propriété à laquelle on n’arrivait qu’au moyen d’une mauvaise carriole… Et le marché conclu, et M.  […] Un jour qu’il s’était rencontré avec Gavarret, et qu’il s’était montré très causant, très charmant, quand il fut sorti, après un long silence, Royer-Collard s’écriait : « Un homme fatal cependant, l’homme qui sort d’ici, le premier ministre qui a acheté un député français à beaux deniers comptants !  […] M’entretenant de la rapidité des décès, il me conte qu’un ingénieur français, ayant fait là-bas son affaire, ayant gagné une petite fortune, partait le lendemain par le paquebot pour l’Europe avec sa femme et ses enfants.

1184. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Jouffroy »

Jouffroy sur les Lettres de Jacopo Ortis, inséré au Courrier Français en 1819, je trouve exprimé à nu, et avec une fermeté de style à la Salluste, ce sentiment d’opposition aux conquêtes et à la force militaire : « Un peuple ne doit tirer l’épée que pour défendre ou conquérir son indépendance. […] « L’amour de la liberté commença la Révolution française ; l’Europe, désavouant la politique de ses rois, nous accordait son estime et son admiration. […] L’épée française devait être plantée sur la frontière délivrée, pour avertir l’Europe de notre justice. […] Si je dis que M. l’abbé Delille est un homme de lettres distingué, est-il quelque Français qui s’avise de me demander par quoi ? […] Dans toutes les langues, et surtout dans les plus belles, les mots qui n’ont été employés d’abord qu’avec des régimes s’en séparent ensuite et conservent un sens très-précis, très-clair, même en restant tout seuls. » — Nous recommandons humblement cette note au Dictionnaire de l’Académie française.

1185. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIIIe entretien » pp. 223-287

J’étais protégé auprès de lui par quelques-uns de ses amis, entre autres par les deux maîtres de notre diplomatie française, M. de Reyneval et M. d’Hauterive, l’un jurisconsulte, l’autre la tradition vivante et la science de notre cabinet national depuis Louis XVI jusqu’à Louis XVIII, en passant par la République, le Directoire et Napoléon. […] Joseph Autran est un Grec mal francisé (heureusement pour lui et pour nous), qui, ayant abordé sur quelques débris de l’antique Phocée aux bords de la Provence, comme Reboul, Mistral, Méry, Barthélemy et cent autres, n’a pas pu se défaire encore de l’accent natal : il est de cette colonie grecque qui, avec des images grecques et une harmonie ionienne, reconstruit une poésie française plus colorée, plus harmonieuse et plus chaude surtout que la poésie du Nord ! […] On m’annonça une jeune fille parlant le français avec un accent étranger et demandant à m’entretenir ; j’ordonnai de la faire entrer. […] Ces vers semblaient avoir été pensés par Tacite et écrits par André Chénier ; quoique composés par elle dans une langue étrangère (le français), ils n’avaient ni l’embarras de construction d’une main novice à nos rythmes, ni la mollesse, ni la chair flasque des essais poétiques de l’enfance ou de l’imitation sous une jeune main ; ils étaient tout nerfs, tout émotion, tout concert de fibres humaines ; ils jaillissaient du cœur et des lèvres comme des flèches de l’arc intérieur allant au but d’un seul jet, et portant un coup droit au cœur sans se balancer sur un éther artificiellement sonore : Je sonne en tombant, non parce qu’on m’a mis une cloche aux ailes, mais parce que je suis d’or. […] Elle écrivait avec la même facilité en anglais, en allemand, en français, en italien, en grec, en hébreu, éloquente et poète sur dix instruments antiques ou modernes, sans distinction et presque sans préférence ; musicienne qui joue avec tous les claviers.

1186. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIe entretien. La passion désintéressée du beau dans la littérature et dans l’art. Phidias, par Louis de Ronchaud (1re partie) » pp. 177-240

Mais on ne le rencontre guère à la cour que fréquentait le Théophraste français ; on y est occupé d’intérêts plus terrestres et plus personnels. […] Entre les racines de ces hautes montagnes circulent des vallées et des plateaux qui furent la Franche-Comté, pays militaire de nature parce qu’il est pays frontière, pays républicain de caractère parce qu’il est à lui tout seul un peuple indépendant, le canton libre d’une Suisse française ; les Huns le peuplèrent au temps où les migrations orientales, puis germaniques franchirent le Danube et le Rhin, cherchant de l’espace à l’occident pour leurs troupeaux, et de la liberté dans des sites forts. […] « Excepté la Bretagne, il n’y a pas de race française qui ait plus de vertus civiles et militaires innées que ce Jura. » XII Le Paysan du Danube était un ancêtre des Francs-Comtois ; l’esprit, sous une apparence de naïveté rurale, y est aussi poétique que la montagne, et il y a de l’Ossian dans ces cimes et dans ces nuées. […] Il y a loin de là à Athènes, avec le Parthénon pour diadème, le ciel transparent de l’Attique pour dais, l’olivier pour ceinture, la mer étincelante pour horizon, et c’est là pourtant que l’adorateur d’Athènes, l’idolâtre de Phidias, le Winckelmann français, le lapidaire du beau dans la nature, dans la poésie, dans l’architecture, dans la statue, dans la pierre, dans la femme, dans toutes les réalités et dans tous les rêves, habite seul, jeune et grave comme un solitaire du mont Athos, dans son couvent tapissé de lambris de planches de sapin, ces lambris étant sculptés par les artistes autrefois si justement renommés de Saint-Claude pour leurs bustes de Voltaire, taillés au couteau dans la racine de buis. […] L’ermite de Saint-Lupicin s’enflamma pour elle d’une passion grecque, romaine, française, puisée dans Thucydide, dans Tacite, dans les Girondins.

1187. (1839) Considérations sur Werther et en général sur la poésie de notre époque pp. 430-451

Comment Werther et Faust ont-ils pu naître5 en 1774, immédiatement après Marivaux et Crébillon fils, et lorsque la littérature française en était à Marmontel, à La Harpe, et à Florian ? […] Goethe, qui apprit le français en même temps que sa langue maternelle ; qui, à dix ou douze ans, pendant l’occupation que les Français firent de Francfort, assistait tous les soirs aux représentations des drames français, et faisait lui-même à cet âge, génie précoce qu’il était, des pièces écrites en français ; qui, durant toute son éducation, achevée en France, lut et dévora avidement tous les écrits de la France ; Goethe, dis-je, appartient par mille liens à l’esprit général de la France et du Dix-Huitième Siècle. […] Je traduisis littéralement chaque phrase, et je trouvai qu’il en résultait un français fort correct.

1188. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Romans et nouvelles » pp. 3-80

Non vraiment, on ne peut nier aux auteurs un certain flair des goûts futurs de la pensée et de l’esprit français, en incubation dans l’air. […] cette pénalité du silence continu, ce perfectionnement pénitentiaire, auquel l’Europe n’a pas osé cependant emprunter ses coups de fouet sur les épaules nues de la femme, cette torture sèche, ce châtiment hypocrite allant au-delà de la peine édictée par les magistrats et tuant pour toujours la raison de la femme condamnée à un nombre limité d’années de prison, ce régime américain et non français, ce système Auburn, j’ai travaillé à le combattre avec un peu de l’encre indignée qui, au xviiie  siècle, a fait rayer la torture de notre ancien droit criminel. […] Puis toujours, toujours, ce romancier écrira en vue de ceux qui ont le goût le plus précieux, le plus raffiné de la prose française, et de la prose française de l’heure actuelle, et toujours il s’appliquera à mettre dans ce qu’il écrit cet indéfinissable exquis et charmeur, que la plus intelligente traduction ne peut jamais faire passer dans une autre langue. […] Taine, en faveur du Suédois ou du Canadien16, qui sait aux trois quarts le français ou l’a oublié à moitié, je ne ferai pas à cette théorie l’honneur de la discuter. […] La langue française, d’après le dictionnaire de l’Académie, est peut-être, de toutes les langues des peuples civilisés du monde, la langue possédant le plus petit nombre de mots.

1189. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre III. De la logique poétique » pp. 125-167

Chez les Français, du mot loi vient aloi, titre de la monnaie. […] Il ne nous reste aucune connaissance des langues que parlaient alors les Italiens, les Français, les Espagnols et les autres nations de ce temps. […] En français clerc voulait dire souvent lettré ; au contraire, chez les italiens, laico se disait pour illettré, comme on le voit dans un beau passage de Dante. […] Si l’on peut ajouter foi aux calculs de Héron dans son ouvrage sur la Langue Anglaise, l’Espagnol en aurait trente mille, le Français trente-deux mille, l’Italien trente-cinq mille, l’Anglais trente-sept mille. […] Ainsi les Grecs et les Français qui ont passé d’une manière prématurée de la barbarie à la civilisation ont conservé beaucoup de diphthongues.

1190. (1854) Causeries littéraires pp. 1-353

Ce premier succès l’a mis en goût, et, l’année suivante, il a publié, sur Nicolas Gogol, un de ces articles aujourd’hui à la mode où des écrivains français et très français se donnent la peine d’analyser, d’interpréter et de condenser les inventions du génie moscovite, anglais ou américain. […] Hermione, Roxane, Émilie, Camille, Phèdre, Monime, avaient retrouvé une interprète digne des plus belles époques de la scène française. […] Je ne crois pas que la littérature française compte beaucoup de pages plus limpides et plus fraîches que celles ou M.  […] — est entré, il y a près de trente ans, dans les Lettres et dans la vie publique par un livre sur la Révolution française. […] Albert de Broglie, des Considérations sur la Révolution française aux Études morales et littéraires.

1191. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger, 1833. Chansons nouvelles et dernières »

L’état moral où il a trouvé la population française prêtait beaucoup, il est vrai, à cette inoculation soudaine d’une poésie qu’aiguiserait le chant. […] Ce qui caractérise Béranger entre ceux de nos poëtes contemporains les plus justement célèbres, c’est d’avoir tous les traits purs du génie poétique français, de reproduire en plein ce génie dans tous les sens, d’y atteindre naturellement par tous les bouts : bon sens, esprit, âme, il réunit en lui ces qualités éminentes dans une mesure complète, auparavant inconnue, mais qui ne pouvait se rencontrer que chez nous. […] Aussi comptons-nous bien que quelque grand poëte succédera assez tôt pour ne pas laisser s’interrompre la postérité directe et si française de Rabelais, Régnier, Molière, La Fontaine et Béranger.

1192. (1874) Premiers lundis. Tome I « Walter Scott : Vie de Napoléon Bonaparte — I »

Sir Walter Scott a parfaitement compris que l’histoire de Napoléon ne commence pas, comme celle d’un individu obscur, le jour même de sa naissance, et qu’avant de l’introduire sur la scène du monde, il importe de décrire cette scène, destinée à le recevoir, ce XVIIIe siècle, dont il partagea les opinions, cette Révolution française dont il suspendit les effets. […] Parmi tant de graves découvertes, sir Walter Scott ne néglige pas les plus menus détails ; il affecte d’entremêler son style de locutions françaises y et n’est pas moins heureux investigateur sac ce point que dans le reste. « L’Assemblée (constituante) abolit toutes les distinctions honorifiques, toutes les armoiries, jusqu’aux titres insignifiante de monsieur et de madame, locutions de pure courtoisie, si l’on veut, mais qui, réunies à d’autres semblables, rendent plus douces les relations ordinaires de la vie, et entretiennent cette urbanité de mœurs que les Français désignaient par l’expression heureuse de petite morale. » Notez ce mot en passant, MM. de l’Académie ; et vous tous qui étudiez l’histoire, n’oubliez pas que l’Assemblée constituante abolit les titres de monsieur et de madame.

1193. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre II. Le dix-neuvième siècle »

Sans doute, Isaïe, Homère, Aristote, Dante, Shakespeare, ont été ou peuvent être de grands points de départ pour d’importantes formations philosophiques ou poétiques ; mais le dix-neuvième siècle a une mère auguste, la Révolution française. […] Le groupe grec a été la civilisation, étroite et circonscrite d’abord à la feuille de mûrier, à la Morée ; puis la civilisation, gagnant de proche en proche, s’est élargie, et a été le groupe romain ; elle est aujourd’hui le groupe français, c’est-à-dire toute l’Europe ; avec des commencements en Amérique, en Afrique et en Asie. […] Les penseurs de ce temps, les poètes, les écrivains, les historiens, les orateurs, les philosophes, tous, tous, tous, dérivent de la Révolution française.

1194. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre septième. »

Rien ne contribue autant à sauver la poésie française de l’espèce de monotonie qu’on lui reproche. […] quand pourront les Français, Se donner comme vous entiers à ces emplois ? […] Car emplois ne rime même plus aux yeux, depuis qu’on a adopté l’orthographe de Voltaire pour le mot Français.

1195. (1811) Discours de réception à l’Académie française (7 novembre 1811)

Étienne, ayant été élu par l’Académie française à la place vacante par la mort de M.  […] Et, en effet, Messieurs, qui pouvait mieux que lui tracer les règles de ce genre vraiment français ? […] La pastorale de Daphnis et Chloé fixa sa destinée ; elle lui valut la protection d’un des premiers personnages de l’État, que l’Académie française s’honore d’avoir compté parmi ses membres.

1196. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre III. Besoin d’institutions nouvelles » pp. 67-85

Il peut paraître hardi de nous présenter dans un tel état de dénuement sous le rapport des institutions : mais cela est exactement vrai ; car il ne faut point oublier que le peuple français est le représentant et le législateur de la grande société européenne. […] Burke, à l’origine de la révolution française, qui devait être une révolution européenne, prouvait, avec une, grande puissance de raisonnement, que les libertés de l’Angleterre étaient un héritage aussi ancien que la monarchie, et non point une conquête récente de l’ordre de choses qui porta Guillaume d’Orange au trône ; ni même une conquête de l’ordre de choses, de beaucoup antérieur, qui produisit la grande Charte du roi Jean. […] Des esprits superficiels, qui se sont arrêtés à la surface des choses, ou trop ardents et trop passionnés pour ne pas vouloir devancer le temps, ont cru que la révolution française n’avait acquis de la violence qu’en raison même de la résistance qui lui avait été opposée.

1197. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVIII. Souvenirs d’une Cosaque »

II Encore une fois, c’est la Cosaque promise dans le titre que je voudrais et que tout le monde voudra… C’est elle qui m’y fait faux bond et qui m’y manque, car une femme qui raconte publiquement ses amours n’est pas plus une merveille cosaque que française. […] Excepté une chasse aux loups, racontée presque avec la rapidité du traîneau sur lequel la dame est montée et avec des nerfs auxquels je reconnais la vraie femme, je n’aurais pas, littérairement, le moindre détail cosaque à me mettre sous la dent ; et encore le petit cochon de lait que je n’y mets pas, et qu’en cette chasse où les chasseurs sont chassés, on traîne au bout d’un cordon, derrière le traîneau, pour exciter les loups, qui finissent par le dévorer, ce petit cochon me gâte cette scène cosaque, avec son petit air français. […] IV Il en est d’autres qui valent mieux et qui sont peut-être à sa portée… On dit qu’elle a un grand talent de musicienne, — un vrai talent d’artiste, — et comme écrivain, — écrivain en français, — cette Cosaque n’en manque pas non plus.

1198. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Odysse Barot »

I En 1865 il parut, à la librairie de Germer-Baillière, un premier volume de l’Histoire de la Révolution française de Carlyle, traduit de manière à attirer l’attention… À cette époque, Thomas Carlyle, qui maintenant commence de faire sa gloire en France, — car la gloire est comme les chênes : elle vient lentement, — Thomas Carlyle était peu connu. […] Avec cette impayable légèreté française, qui ne doute de rien, et que ses études sur les Anglais ne lui ont pas désapprise, Barot ne s’est pas troublé une minute devant l’immensité du travail qu’il avait devant lui. […] … Lisez-le avec attention, et vous verrez que les hommes de génie, ou de talent, dont il parle dans son histoire, sont bien moins pour lui par la personnalité de leur génie ou de leur talent que par la tendance qu’ils expriment, Michelet a un jour, dans son Histoire de la Révolution française, décapité les chefs de cette révolution, ces cerveaux troublés, mais puissants, au profit de la masse acéphale.

1199. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le colonel Ardant du Picq »

Et voilà les raisons pour lesquelles je parlerai de ce livre, qui, tout en étant un livre de métier et d’instruction pratique pour les officiers de l’armée française, entre pourtant par l’esprit qui l’anime dans la philosophie du temps ; mais, Dieu merci ! […] Il est officier et commande par deux motifs ; l’officier français par un seul. […] Le Français est guerrier d’organisation et d’instinct.

1200. (1880) Goethe et Diderot « Note : entretiens de Goethe et d’Eckermann Traduits par M. J.-N. Charles »

Charles dans le titre même de sa publication, ce livre, autour duquel on veut émoustiller la pensée publique dans un sens favorable à Gœthe, était à peu près inconnu, mais avait paru en français. […] « Villemain — dit-il ailleurs — occupe dans la littérature française une place très élevée », et il s’imagine, et Eckermann aussi, et M.  […] , et qu’on ne saurait assez apprécier si on le compare à la mobilité française.

1201. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « MM. Jules et Edmond de Goncourt » pp. 201-216

Le xviiie  siècle a préparé et il a fini par accomplir la Révolution française et quand nous n’aurions pas d’autre raison que ce beau chef-d’œuvre, cette raison suffirait pour nous faire mépriser ce siècle vil, malgré l’éclat de ses talents et de ses vices, et dont on peut demander s’il fut plus criminel que lâche, ou plus lâche encore que criminel. […] On trouve dans l’histoire d’aujourd’hui de charmants détails, qui font rêver, sur la pureté du peuple français à cette époque de perdition. […] Seulement, la frivolité française ne change pas la nature de son crime pour l’abominable siècle qui a corrompu le cœur d’un roi avant de couper le cou à un autre.

1202. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVII. Saint-Bonnet »

C’est cette question des classiques grecs et latins, en apparence toute littéraire, mais dont le sens profond n’a frappé personne quand on l’a agitée, puisqu’elle cache, — et tout le monde l’a senti, — sous son intitulé modeste, cet énorme problème politique et social de l’éducation, qui déjà faisait sourciller le vaste et serein génie de Leibnitz bien avant que l’Europe n’eût vu le dix-huitième siècle et la Révolution française. […] Il se tient si loin de la forge aux réputations, il fait si peu antichambre dans les boutiques où nous brassons la renommée ; moitié aigle et moitié colombe, c’est un esprit si haut et si chaste dans la solitude de sa province, qu’on est obligé de rappeler qu’à vingt-trois ans il achevait son ouvrage de L’Unité spirituelle, trois volumes, étonnants d’aperçus, malgré leurs erreurs, et qui donnaient du moins la puissance de jet et le plein cintre de cet esprit qui s’élançait, et que plus tard il s’élevait d’un adorable Traité de la douleur, jusqu’à cette Restauration française, l’ouvrage le plus fort d’idées qu’on ait écrit sur notre époque. […] Aux yeux de ce double penseur, l’Anarchie, fille de la Révolution française, née dans le sang affreusement fécond qu’avait essuyé pourtant un grand homme, l’Anarchie, vaincue une seconde fois dans l’État, se réfugie actuellement dans la pensée, dans la philosophie, dans cette partie immatérielle et abstraite de l’homme, d’où, au premier jour, elle redescendra dans les faits, plus forte que jamais, plus armée et plus menaçante !

1203. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Achille du Clésieux »

Son esprit, à l’origine de sa vie, a dû être trempé dans cet attendrissement dont Lamartine pénétra tout son siècle, au temps de sa jeunesse, quand, après le sang qu’avait fait couler ce terrible poète de Napoléon Bonaparte, ce fut au tour des larmes de couler… A ce moment unique dans l’Histoire, toutes les imaginations faites pour la poésie s’imbibèrent de celle-là, inconnue dans la littérature française, car avant Lamartine, excepté La Fontaine, en quelques vers trop rares, mais divins, quel poète français avait vraiment rêvé ? […] Je constate seulement que cette langue n’est plus dans la préoccupation littéraire, et que s’il y a un contemporain qui la rappelle encore, mais en la faisant vibrer plus fort que Racine, c’est Lamartine, le souverain des poètes français du xixe  siècle, et peut-être de tous les temps.

1204. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Agrippa d’Aubigné »

Le xviie  siècle, fils de Richelieu et de Malherbe, le siècle de la Règle en tout, et le xviiie , le siècle, en tout, du Dérèglement, ne pouvaient avoir de mémoire au service de ce protestant fanatique, qui, après la mort de Henri IV, ne s’était pas rendu et s’en était allé guerroyer en Suisse, chef d’opinion religieuse et tellement protestant qu’il n’en était même plus Français ! […] Il a le tempérament qu’ont les hommes primitifs, les hommes qui commencent les races ; car il en a commencé une et il est un des primitifs de la Poésie française. […] je ne suis pas de ceux-là qui prétendent que la langue française commence aux Provinciales, — opinion ridicule de Villemain, cet eunuque littéraire opéré par le Goût, — quand, avant Pascal, on avait Rabelais d’abord, ce mastodonte, émergé radieusement du chaos dans le bleu d’un monde naissant, puis, après Rabelais, — qui suffisait seul, — Ronsard, Régnier, Racan et d’Aubigné lui-même.

1205. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules De La Madenène » pp. 173-187

Son roman, qu’il aurait pu écrire peut-être comme l’auteur de Miréio écrivit son poëme, dans le dialecte de sa terre natale, écrit en français exquis, n’a pas cependant que son titre de patois, et roule dans son flot de délicieux provincialismes que M. de La Madelène a trop de tact d’écrivain pour laisser mourir. […] Dans ce roman, — qu’on pourrait appeler une immense tragi-comédie à tiroirs, et à tiroirs pleins de choses, — il y a un amour jeté là, en passant, cet amour exigé dans toutes les pièces françaises par l’imagination du public, mais cet amour n’est qu’une visée secondaire dans la préoccupation de l’auteur, sous la main duquel le vaste cœur compliqué des foules palpite mieux que les cœurs grêles de moineau de ses amoureux ! […] M. de La Madelène est un de ces esprits qui n’ont pas besoin de l’amour, cette tyrannie des imaginations françaises, pour se montrer moraliste profond et peintre dramatique passionné.

1206. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre I. Les idées et les œuvres. » pp. 234-333

Il félicite les Français d’avoir repoussé l’Europe conservatrice qui s’était liguée contre eux. […] La révolution française, d’abord admirée comme une sœur, avait paru une furie et un monstre. […] J’oublie nos façons françaises insouciantes, notre habitude de laisser couler la vie. […] Ces termes légaux n’ont pas d’équivalent en français. […] Beckford, publié d’abord en français, 1784.

1207. (1883) Le roman naturaliste

Avec cela, l’un des pires écrivains qui jamais aient tourmenté cette pauvre langue française. […] C’est une date que Madame Bovary dans l’histoire du roman français. […] Et remarquez que de faire passer le portrait de l’anglais en français, c’est comme si nous en effacions la signature. […] Nos romanciers français la peindront-ils jamais des mêmes traits ? […] Mais il est certain, après cela, qu’un département français n’a pas la physionomie d’un comté d’Angleterre.

1208. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (1re partie) » pp. 397-476

C’est là et dans quelques autres chalets du haut Jura français que j’appris à apprécier ce mélange heureux d’une profession pastorale d’été et d’une profession mécanique d’hiver, qui donne l’aisance et l’occupation à toutes les saisons. […] « La maison de son père, disent ses biographes, M. de Lécluse, le Winckelmann des peintres français, et M.  […] Le peintre français Gérard l’avait déjà exécuté en homme d’esprit qu’il était. […] Aussi Léopold Robert, malgré son extrême désir de satisfaire son généreux patron, ne put-il jamais totalement plier son mâle et sauvage génie à ce programme de salon suisse ou français. […] Déportée avec sa famille au dépôt de Rome, elle y était libre, et elle posait comme modèle de beauté tragique devant les peintres étrangers ; le peintre français Schnetz, ami de Léopold Robert, directeur depuis de l’école de France à Rome, la protégeait et lui donnait asile ; elle le protégeait à son tour quand il allait explorer les montagnes des Abruzzes et chercher des sites pour ses compositions toutes romaines.

1209. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXIXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (1re partie) » pp. 241-314

Il naquit à une époque où la philosophie française passionnait l’Allemagne et où les excès de la révolution repoussaient les cœurs. […] Je vis aussi de brillants et jeunes étrangers avec lesquels Goethe causait en français. […] Oui, on a raison, je ne pouvais pas être un ami de la Révolution française, parce que j’étais trop touché de ses horreurs, qui, à chaque jour, à chaque heure, me révoltaient, tandis qu’on ne pouvait pas encore prévoir ses suites bienfaisantes. […] Il ajouta que j’avais fait des traductions du français, et entre autres que j’avais traduit Mahomet de Voltaire. […] Il avait vivement senti combien le théâtre français s’éloigne de la nature et de la vérité.

1210. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — II » pp. 71-89

Malgré les succès partiels et de détail des armes françaises en Italie, on était resté sur le souvenir de la grande défaite de Pavie : une vraie revanche, une bataille rangée, était chose désirée, et il semblait qu’il était temps enfin de remporter une victoire qui allât rejoindre celle de Marignan. […] » En sortant de la chambre du conseil, n’oublions pas que Montluc se voit entouré des meilleurs de la jeune noblesse, et qui brûlent, s’il y a combat, de courir en volontaires pour y être à temps ; il leur répond moitié en français, moitié en gascon, et les conviant de se dépêcher s’ils veulent « en manger » et être de la fête. […] Montluc fut particulièrement chargé de conduire toute l’arquebuserie, ce qui a fait dire à un auteur qu’on est orgueilleux de citer : Toute l’arquebuserie française avait été retirée des bataillons et mise sous le commandement de Montluc, qui l’accepta comme un grand honneur. […] Là-dessus Montluc assembla d’abord ses capitaines, tant français, qu’allemands et italiens, et leur exposa qu’il voulait diminuer la ration du pain de vingt-quatre onces à vingt ; il s’en remettait à eux de persuader à leurs soldats de le supporter, ce qui était difficile, surtout pour les Allemands.

1211. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — II » pp. 39-56

La traduction qui courut en vers français étendait et aggravait encore ces endroits. […] Arnauld eût triomphé des jésuites, ni en général de ceux qui l’avaient fait sortir de France, mais bien de Claude et Jurieu et des protestants ; cela n’avait pas été saisi par le traducteur en vers français, et le scandale venait de cette traduction vraiment séditieuse. « Veri defensor » ne se rapportait également qu’à l’ouvrage d’Arnauld De la perpétuité de la foi ; « arbiter aequi » n’était qu’un pléonasme poétique dont il ne fallait pas trop demander compte. […] Boivin jeune traduisait la pièce de Rollin en vers français, et dans le premier moment on disait que la traduction était de Racine. […] Les rieurs du dehors faisaient courir d’autre part des vers français, et pas trop mauvais, censés fait par les jansénistes courroucés : il était entre deux feux ; ou encore, comme on lui faisait dire en une métaphore gastronomique qui lui allait bien : « Que suis-je pour décider sur de si grands débats ?

1212. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — I » pp. 356-374

Cela tient, je l’ai déjà remarqué, à bien des causes : — à ce que la philosophie du xviiie  siècle, qui y est répandue et qui y donne le ton, n’est plus à la mode ; — à ce que la langue, cette langue française que Frédéric aimait et écrivait exclusivement, n’est pas sous sa plume des plus correctes et des plus pures, tellement que son faible même pour nous lui devient un titre de défaveur. […] Pourtant ce n’est pas à nous d’oublier les intentions bienveillantes du prince Henri, de celui duquel Mirabeau écrivait dans sa correspondance de Berlin en 1786 : « Encore une fois, ce prince est, il sera et mourra Français. » — Dans les deux voyages que fera le prince Henri en France, il en recevra assez de remerciements publics et de flatteuses louanges. […] Le prince Henri a du genre humain une bien meilleure opinion que Frédéric ; on n’a pas à beaucoup près toutes ses lettres, mais on en peut jusqu’à un certain point juger d’après les réponses qu’y fait son frère ; le prince Henri, qui n’est pas sans quelques-unes des idées françaises d’alors, et qui a de nos illusions à la Jean-Jacques, soutient volontiers que la vertu et le bonheur habitent dans les cabanes, et qu’il y a par le monde de vrais sages, de parfaits philosophes. […] Et toutefois il n’y a pas une de ces lettres qui soit, à proprement parler, agréable : il y en a de vraies, de fortes, de bien sensées ; j’en citerai une, la prochaine fois, qui est de tout point admirable de douleur et d’âme ; mais l’agrément proprement dit, il n’est pas là pour nous autres Français.

1213. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français (suite.) »

D’abord il se passe dans le sanctuaire et dans l’église, et est tout latin ; Puis, dans son premier mélange, à l’état de drame farci, c’est-à-dire dans son latin entrelardé de français, il se tient dans l’église encore ; Puis, tout en français, mais encore timide, s’écartant peu des textes, sacrés et, pour ainsi dire, attenant, à l’église, il se joue tout contre et devant. […] Cependant Dieu le Père parle de nouveau, mêlant un peu de latin au français : Hic est filius meus dilectus In quo mihi bene complacui. […] Au tome VI, page 295, de l’ouvrage intitulé : Les Manuscrits français de la Bibliothèque Au Roi, leur histoire, etc. — Depuis, des leçons de M. 

1214. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vie de Jésus, par M. Ernest Renan »

Français, nous avons, quand nous le voulons (et nous le voulons trop souvent), le privilège d’ignorer. […] Depuis quelques années cependant, le petit nombre d’esprits qui, chez nous, sont attentifs à ces questions, pouvaient profiter, sans trop de peine, des écrits français de MM.  […] La grande masse française restait peu informée et indifférente. […] A d’autres moments, à considérer notre sérieux dans les discussions et les recherches les moins attrayantes et les plus ardues, c’était à croire que notre légèreté française proverbiale était en défaut, et qu’un nouvel élément s’était introduit dans le caractère de la nation.

1215. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Œuvres de M. P. Lebrun, de l’Académie française. »

Lebrun, de l’Académie française. […] Celui-ci ne se vengea qu’en faisant une nouvelle ode, et très-belle, deux ans après, sur la mort du Pindare bourru. — Notre Lebrun reçut donc en plein le coup de soleil de l’Empire, et du premier jour il se consacra d’un cœur tout français et reconnaissant à en célébrer les gloires : Aigle, je m’attache à ton aile : Emporte-moi dans l’avenir ! […] Il avait dû à la protection de Français de Nantes un de ces postes qui alors n’obligeaient à rien (ou à bien peu), et qui se donnaient à des gens de lettres distingués auxquels on voulait faire des loisirs. […] Une telle poésie existe de droit et se justifie à elle seule. — Poésie modérée, bien que depuis lors nous en connaissions une autre, grande, magnifique, souveraine, et que nous nous inclinions devant, et que nous l’admirions en ses sublimes endroits ; — poésie d’entre-deux, moins vive, moins imaginative, restée plus purement gauloise ou française, plus conforme à ce que nous étions et avant Malherbe et après ; — poésie qui n’es pas pour cela la poésie académique ni le lieu commun, et qui as en toi ton inspiration bien présente ; qui, à défaut d’images continues, possèdes et as pour ressources, à ton usage, le juste et ferme emploi des mots, la vigueur du tour, la fierté du mouvement ou la naïveté du jet ; poésie qui te composes de raison et de sensibilité unies, combinées, exprimées avec émotion, rendues avec harmonie ; puisses-tu, à ton degré et à ton heure, à côté de la poésie éclatante et suprême, te maintenir toujours, ne cesser jamais d’exister parmi nous, et d’être honorée chez ceux qui t’ont cultivée avec amour et candeur !

1216. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « La Réforme sociale en France déduite de l’observation comparée des peuples européens. par M. Le Play, conseiller d’État. (Suite et fin.) »

Jusqu’à une époque que je fixerai vers l’an 1750, l’aisance du peuple français avait toujours augmenté, c’est-à-dire que la quantité des subsistances s’accroissait plus que celle des habitants, et que, pour le même travail, ils en obtenaient tous les jours une ration plus forte… » Paris, l’énorme capitale qui s’est accrue successivement de tant de richesses et aussi recrutée de tant de cupidités et de misères, cette cité-tête-monde et gouffre que nous définissait admirablement hier M. le baron Haussmann qui a si bien qualité pour cela32, était, on le conçoit, l’épouvante et le cauchemar de ce M.  […] Lui aussi, il rend justice au passé, à l’ancien ordre social disparu : il croit que ce sont les derniers règnes seulement et les vices de Cour, avant tout, qui ont tué l’ancienne monarchie ; il regrette que les passions, excitées et portées au dernier paroxysme par les abus et les scandales dont la tête de l’ancien régime donnait l’exemple, aient amené l’explosion finale et rendu la rupture aussi complète avec l’ancienne tradition, avec l’ancienne nationalité française. […] Autrefois, après la lutte, on trouvait dans l’atelier et dans la maison la paix et un repos réparateur : aujourd’hui la lutte est dans la maison même ; elle continue d’une manière sourde, lorsqu’elle n’éclate pas ouvertement ; elle mine donc incessamment la société en détruisant toute chance de bonheur domestique. » La Révolution française, en s’attaquant aux désordres des règnes antérieurs et, du même coup, à tout l’ordre ancien, a dû faire appel à la passion plus encore qu’à la vérité. […] L’intolérance, en effet, selon sa remarque, est un défaut français par excellence ; nous sommes prompts, nous sommes vifs et exclusifs ; nous portons notre prévention du moment dans toutes nos idées ; nous passons vite de la parole à l’acte35.

1217. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre II. L’éloquence politique »

La langue est molle, pâteuse, diffuse, elle se défait jusque chez les plus vigoureux orateurs ; le vocabulaire n’est pas pur, et je ne parle pas des néologismes nécessaires, des noms d’institutions ou d’opinions nouvelles, des abréviations pratiques du jargon politique : je parle de l’emploi des termes courants et communs de la langue française. […] Danton fait avec lui le plus parfait contraste : celui-ci sort grandi des plus récentes études sur la Révolution française. […] Mais là où cette puissante faculté oratoire apparaît le mieux, c’est dans les proclamations nombreuses qu’il adresse aux soldats et au peuple français, depuis la première campagne d’Italie jusqu’après Waterloo. […] Lemercier, Du second théâtre français.

1218. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — I. » pp. 441-459

Il est un de ceux qui contribuèrent à perpétuer quelque chose de l’esprit de la vieille magistrature française dans les Conseils d’un régime tout nouveau ; et, en même temps qu’il donne la main comme avocat et comme magistrat à ces dignes races des De Thou, des Pithou et des anciens parlementaires, il est le conseiller d’État modèle, de qui se sont honorés de relever tous ceux qui ont marqué depuis dans cette ferme et précise carrière. […] Il expose, dans sa remontrance et dans l’examen qui suivit, l’ancienne doctrine française parlementaire, l’utilité des vérifications d’édits par les cours souveraines, le bienfait même de certaines lenteurs, profitables au bon conseil et à la prudence, de telle sorte qu’une volonté du monarque, annoncée comme loi, n’ait pas son brusque effet immédiat aussi infailliblement qu’« une boule jetée contre une autre doit avoir le sien ». […] Portalis, rendant hommage dès le début à cette unité de l’empire et à cette patrie française commune, à laquelle il n’avait pas cru d’abord et qui venait de sortir, comme par miracle, du broiement de toutes les parties et de la confusion même, dénonçait à la Convention délivrée et humanisée l’incroyable proscription en masse de plus de dix-huit cents électeurs de la ville d’Arles, la prise d’assaut et de possession de cette innocente cité par les féroces Marseillais, la démolition des antiques murailles bâties sous Clovis, le pillage des rives du Rhône comme au temps des pirates sarrasins, l’impôt forcé de quatorze cent mille livres levé par les brigands et la lie de la populace sur tous les citoyens aisés, enfin des horreurs telles qu’au lendemain toute la politique se réduisait à dire avec lui : « On ne doit plus distinguer que deux classes d’hommes dans la République, les bons et les mauvais citoyens. » Cette histoire de l’oppression et de la dévastation de la commune d’Arles est un des épisodes les plus singuliers et les plus significatifs de la Terreur. […] S’élevant aux vrais principes de la liberté religieuse, il fait voir qu’au point de vue politique, il est impossible de ne pas appliquer « à une religion connue, ancienne, longtemps dominante et même exclusivement autorisée, professée par les trois quarts des Français, les principes de tolérance et de liberté que la Constitution proclame pour tous les cultes : Voudrions-nous aujourd’hui, s’écrie-t-il, que l’intolérance philosophique remplaçât ce que nous appelons l’intolérance sacerdotale ? 

1219. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « De la retraite de MM. Villemain et Cousin. » pp. 146-164

Il a du talent sur tout et à propos de tout ; soit qu’il reprenne pour la dixième fois ses Pères de l’Église et qu’il en découvre un encore auquel il n’avait point songé, soit qu’en parlant du concile de Nicée, il se ressouvienne un peu trop peut-être de la défunte Assemblée législative, soit surtout qu’il essaie, dans des morceaux d’une littérature exquise, de nous donner une flatteuse idée d’une histoire de l’Académie française pendant les deux derniers siècles, dans tous ces fragments qu’il ne tient qu’à lui de multiplier chaque matin avec fraîcheur, M.  […] L’an dernier, l’Académie française avait proposé un prix pour une traduction de Pindare : personne n’eut ce prix ; mais M.  […] Quelques mots, dont évidemment l’auteur s’est souvenu, et qui sont bien de Napoléon, sont enchâssés dans une trame habile, dont l’ensemble constitue le plus admirable discours d’un Conciones français. […] [NdA] La plupart de ces morceaux déjà anciens sont tirés ou des Annales de l’éducation, ou des Archives philosophiques, politiques et littéraires, ou de la Revue française, ou d’autres recueils auxquels M. 

1220. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Regnard. » pp. 1-19

Les Français, à travers toutes les formes de gouvernement et de société qu’ils traversent, continuent, dit-on, d’être les mêmes, d’offrir les mêmes traits principaux de caractère. […] C’est à Alger qu’on les transporte : la belle Elvire, donnée comme esclave au roi du pays, est respectée par lui et traitée mieux qu’à la française. […] Cependant, au moment même où il sortait des parades italiennes et où il allait aborder la scène française (1694), Regnard s’amusa à briser une lance, et ce fut contre le grand critique Despréaux. […] Attendez-moi sous l’orme n’est proprement qu’un petit proverbe avec des rôles très animés, et semé dans le dialogue de mots excellents : « En une nuit il arrive de grandes révolutions dans le cœur d’un Français. » — « Oh !

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