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612. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Confessions de J.-J. Rousseau. (Bibliothèque Charpentier.) » pp. 78-97

Tour à tour bruyant et joyeux, silencieux et triste, je rassemblais autour de moi mes jeunes compagnons ; puis, les abandonnant tout à coup, j’allais m’asseoir à l’écart, pour contempler la nue fugitive, ou entendre la pluie tomber dans le feuillage… Et encore : Jeune, je cultivais les Muses ; il n’y a rien de plus poétique, dans la fraîcheur de ses passions, qu’un cœur de seize années. […] S’étant allé promener seul hors de la ville un jour de grande fête, pendant qu’on était à vêpres : Le son des cloches, dit-il, qui m’a toujours singulièrement affecté, le chant des oiseaux, la beauté du jour, la douceur du paysage, les maisons éparses et champêtres dans lesquelles je plaçais en idée notre commune demeure, tout cela me frappait tellement d’une impression vive, tendre, triste et touchante, que je me vis comme en extase transporté dans cet heureux temps et dans cet heureux séjour où mon cœur, possédant toute la félicité qui pouvait lui plaire, la goûtait dans des ravissements inexprimables, sans songer même à la volupté des sens.

613. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le président de Brosses. Sa vie, par M. Th. Foisset, 1842 ; ses Lettres sur l’Italie, publiées par M. Colomb, 1836. » pp. 85-104

Non plus dans ses Lettres d’Italie, mais dans d’autres lettres écrites de Paris en 1754, il disait de l’opéra de Rameau, Castor et Pollux : « Pièce à la française, noble, belle, triste, assez ennuyeuse » ; et il met en regard la musique italienne des Bouffons : Combien tout ceci est au-dessus de notre musique française ! […] Dante, au contraire, lui est pénible et difficile ; il le trouve d’un sublime dur : « Il me paraît plein de gravité, d’énergie et d’images fortes, mais profondément tristes ; aussi je n’en lis guère, car il me rend l’âme toute sombre. » Le Moyen Âge répugne à de Brosses ; il lui refuse le nom d’antiquité ; il visite au retour, à la bibliothèque de Modène, le docte Muratori, avec ses quatre cheveux blancs et sa tête chauve, travaillant malgré le froid extrême, sans feu et nu-tête, dans cette galerie glaciale, au milieu d’un tas d’antiquités ou plutôt de vieilleries italiennes : « Car, en vérité, dit-il, je ne puis me résoudre à donner le nom d’antiquités à tout ce qui concerne ces vilains siècles d’ignorance… Sainte-Palaye, au contraire, s’extasiait de voir ensemble tant de paperasses du xe  siècle. » — Tous ces jugements se tiennent, on le sent, et s’accordent soit en littérature, soit en peinture ou en musique ; et celui qui aime tant l’Arioste pourra se déclarer de la sorte en faveur de Pergolèse : Parmi tous ces musiciens, mon auteur d’affection est Pergolèse.

614. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Saint François de Sales. Son portrait littéraire au tome Ier de l’Histoire de la littérature française à l’étranger par M. Sayous. 1853. » pp. 266-286

Il s’était attaché d’abord à étudier les écrivains français que la Réformation a produits au xvie  siècle, et qui relevaient plus ou moins de Genève ; mais aujourd’hui il sort de ce point de vue qui avait son uniformité un peu triste et sa particularité trop exclusive : son coup d’œil se porte avec plus de liberté et d’étendue sur tout ce qui a parlé ou écrit en français avec quelque distinction en dehors de la France. […] Sayous ; il lui trouve, à défaut d’une littérature nationale, un certain génie littéraire qui se marque volontiers dans les productions de tout enfant du pays : Ce génie chez les Savoyards, dit-il, a pour caractères essentiels la grâce et l’enjouement, une sensibilité qui n’a rien de triste, et une bonhomie qui n’est pas exempte de malice.

615. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre deuxième. La force d’association des idées »

Aussi les mêmes objets ne réveillent-ils pas les mêmes souvenirs quand nous sommes gais ou quand nous sommes tristes. […] Enfin je remarque que la vue du cadavre m’avait causé alors une profonde tristesse et que tout à l’heure aussi j’étais triste. » C’est donc la similarité d’émotion, c’est l’état de la sensibilité qui a été la puissance dominatrice et déterminante ; ici encore les idées empruntent leur principale force aux sentiments ou appétitions qui les animent, et la conscience, loin de refléter passivement les impressions, agit pour les accepter ou les repousser.

616. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1873 » pp. 74-101

Il est triste de la tristesse de l’anémie. […] Je me promène aujourd’hui dans cette maison qui s’arrange, fait sa toilette, devient un nid d’art, et mon plaisir est tout triste, qu’il ne soit pas là, pour en jouir, pour lui aussi promener, dans ces pierres reluisant neuf, sa jolie gaîté d’autrefois.

617. (1889) Émile Augier (dossier nécrologique du Gaulois) pp. 1-2

À Paris, la triste nouvelle ne s’étant répandue que vers quatre heures du soir, peu de personnes ont pu partir à temps pour se rendre à Croissy. […] monsieur, je reçois votre triste lettre, mais je n’ai ni le temps ni le courage de répondre à l’appel que vous voulez bien m’adresser.

618. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une préface abandonnée » pp. 31-76

Au-delà du vestibule, rien : des murs tristes et nus, condamnés à espérer éternellement les rouleaux de papier peint qui gisent à terre, dans l’embrasure d’une fenêtre, — d’une fenêtre sans carreaux ! […] Quel souffle de poésie douce et triste agite les pages de son œuvre, à cette heure terrible où les illusions sont brutalement biffées, — comme des fautes d’orthographe, par le coup de plume de la Réalité !

619. (1824) Discours sur le romantisme pp. 3-28

Le moment approche sans doute, où les Français, oubliant leurs tristes dissentiments, confondront dans une même affection le prince et la patrie. […] Soyez religieux et graves dans vos écrits ; mais ne soyez pas éternellement tristes : rappelez-vous que, dans les livres sacrés, tout n’est pas du ton des lamentations de Jérémie, ou des plaintes de Job, et qu’on y trouve aussi des hymnes de bonheur ou des cantiques d’allégresse.

620. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Édelestand du Méril »

… Mesure circonscrite d’une chose circonscrite, histoire de peu, qu’il devait écrire avec le sang-froid d’un homme calmé qui sait bien qu’il n’y a pas de quoi exciter le moindre enthousiasme dans cette besogne, car de toutes les histoires de l’esprit humain, toutes si tristes et si vite finies, la plus triste et la plus vite finie c’est encore celle-là !

621. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Prosper Mérimée »

Dans cette situation, vous voyez le bec que fait notre triste héron littéraire, qui ne prend plus rien dans ces eaux-ci. […] Avant celles-ci, les deux volumes à des Inconnues avaient donné déjà une triste idée de l’âme d’un écrivain surfait par une admiration surprise, et qui, pour ne pas croire à l’âme, méritait bien, du reste, de n’en pas avoir !

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