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26. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’Empire Chinois »

Tous, à quelque pâturage d’opinion qu’ils appartiennent, ont senti l’importance de ce document qui leur tombait presque du ciel — car c’était de la main d’un pieux missionnaire — et qui brillait des deux qualités distinctives de tout document imposant : la probité et l’intelligence. […] Pour lui, comme pour nous, c’est, entre les autres symptômes de l’agonie des peuples à l’extrémité, le plus honteux indice de l’immense corruption qui gangrène la nation chinoise, — cette nation lymphatique et décrépite, dont la singularité (si grande soit-elle) ne va pas jusqu’à tomber en vertu de lois inconnues, et non plus en vertu des lois éternelles par lesquelles tous les peuples tombent dans l’Histoire ! […] Tout ce qui fit la Chine un jour, tout ce qui éleva et maintint ce peuple bizarre en équilibre sur ses bizarres institutions, est aujourd’hui tombé, pièce à pièce, dans le rationalisme, cette doctrine philosophique, tout unie, qui cache un gouffre comme les lacs, tout unis aussi, dans lesquels les Villes Maudites ont disparu. […] Nation cadavre, la Chine entrera dans sa tombe avec ce flambeau à la main. […] Tout grand écrivain, dans un pays, est bien plus un aérolithe qui y tombe qu’une plante qui y pousse.

27. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VI. M. Roselly de Lorgues. Histoire de Christophe Colomb » pp. 140-156

Le nom de l’homme, nous le savons bien, était lumineux, mais la lumière ne tombait pas assez à plein sur toute sa vie. […] Roselly de Lorgues a voulu l’y faire tomber. […] Tous les grains de poussière qu’avait fait tomber sur ce marbre blanc, la Philosophie, qui ne veut ni des hommes trop purs ni des hommes trop grands, il les a essuyés, il les a effacés, avec une piété jalouse, et cela nous a été une occasion d’apprendre les détails, inconnus jusque-là, du second mariage de Colomb. […] Dieu, qui ne doit à ses serviteurs que des épreuves, lui donna le bonheur du cœur aussi tard que la gloire, — cette gloire si triste, malgré son éclat, qui se lève sur nous, quand nous, nous baissons vers la tombe ! […] Ces détails enlevés et tombés, on verrait mieux l’édifice d’histoire que M. 

28. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre IX. Eugénie de Guérin »

Ces larmes ont fécondé la tombe sur laquelle elle pleure et en ont fait sortir cette fleur de gloire, plus rare que jamais pour les poëtes ! […] Lorsque nous publiâmes ses lettres, elle avait donc ce terrible demi-siècle qui met la dernière pierre à notre temps de jeunesse et de maturité, et la première à notre tombe. […] Dieu qui lui avait tant donné, devait lui épargner la douleur des créatures d’argile de y voir leur argile se fondre et tomber autour d’elles. […] c’est encore bien plus vrai quand, au milieu des éparpillements de la vie, il y a l’absorption dans une tombe… Telle fut la mort de Mme de Guérin avant de mourir. Elle ne fut plus que le fantôme d’elle-même autour de la tombe de son frère.

29. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Harmonies poétiques et religieuses — I »

Voilà ce que se demande le poète à une de ces heures où la grâce est en défaut, et où nous tombons dans le délaissement. […] On compte les pensées du poète comme les battements de l’artère à sa tempe, comme les gouttes de sueur froide qui lui tombent du front. […] Un moment, son désespoir est au comble ; l’ironie va le saisir, et, prenant l’existence pour l’amer sarcasme d’un maître jaloux, il est prêt à lui rendre mépris pour mépris, à le maudire et à le railler ; — ou bien, à d’autres instants, la défaillance le poussant à la mollesse, il se demande s’il n’est pas mieux de prolonger les voluptés jusqu’à la tombe et de se noyer l’âme sur des seins embaumés de roses. […] il est trop vrai, ton éclipse est bien sombre ; La terre sur ton astre a projeté son ombre ; Nous marchons dans un siècle où tout tombe à grand bruit. […] … Le poète, en finissant, s’écrie que, quoi qu’il advienne, le Dieu de son berceau sera celui de sa tombe ; et que, dût l’autel l’écraser en croulant, il embrassera la dernière colonne de ce temple où il a tout reçu et tout appris.

30. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « IX. Mémoires de Saint-Simon » pp. 213-237

Ils resteront encore un chef-d’œuvre, car, au fond, ils en sont un, malgré ces deux haines qui furent deux erreurs, mais le prestige du chef-d’œuvre sera tombé. […] » Assurément on ne chancela jamais davantage pour tomber plus à plat du côté où l’on ne voulait pas pencher. […] Mais en fait, elle se convertit avant de tomber dans la misère. […] Il l’immole avec la hache qui n’avilissait pas et dont les têtes orgueilleuses réclamaient le privilège pour tomber sans honte. […] Au milieu des autres morts qui tombent les uns sur les autres comme des capucins de cartes, le Régent meurt, dans ce volume, précédé par Dubois, ce valet-maître d’un maître-valet !

31. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre II. — De la poésie comique. Pensées d’un humoriste ou Mosaïque extraite de la Poétique de Jean-Paul » pp. 97-110

. — Il déborde de sensibilité131 : lorsque, planant sur le monde, il se balance dans sa légère nuée poétique, ses larmes brûlantes tombent comme une pluie d’été qui rafraîchit la terre. […] Danse sur la corde (À la fin la corde casse, et les danseurs tombent qui sur les pieds, qui sur la tête, au milieu du brouhaha général.) […] Ainsi Euripide débitait des maximes ; mais Aristophane, nouveau Moïse, fit tomber sur lui sa pluie de Grenouilles, pour le punir de sa morale affadissante167. — La tragédie française est non seulement terriblement froide, mais aussi froidement terrible. […] — Je pense, Monsieur, qu’il ne faut point tomber dans l’excès de William Schlegel. […] Le comique nous attache étroitement à ce qui est déterminé par les sens ; il ne tombe pas à genoux, mais il se met sur ses rotules, et peut même se servir du jarret , § 35.

32. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre iv »

L’aîné tombe au champ d’honneur. « Sa mort m’encourage, écrit le cadet ; désormais nous serons deux. » A son tour, il est frappé ; alors, le vieillard se présente au Temple et veut monter en chaire. […] Son fils tombé au champ d’honneur, il prêcha un sermon admirable de foi et de force d’âme. […] Leur solution parfaite, je la trouve dans une lettre d’Olivier Amphoux, docteur en droit, étudiant en théologie protestante, qui, peu avant Vassincourt, où il tomba le 5 septembre 1914, écrivait : « L’heure de la grande bataille approche. […] Henri Gounelle, qui devait tomber le 15 juin 1915 dans la tranchée de Galonné, écrit le 8 juin à son père :‌ Je pars demain aux tranchées. […] C’est très sensible dans les lettres de Roger Allier, tombé pour la France à Saint-Dié, à l’âge de vingt-quatre ans, et assassiné par les Allemands alors qu’il était prisonnier et sans défense.

33. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVIII. Souvenirs d’une Cosaque »

Les Cosaques peuvent tomber dans le Don et même s’y jeter la tête la première. Mais ici, nous tombons dans le pot d’encre de tout le monde. […] Ni les attitudes et les volontés masculines, ni l’indépendance absolue qui se soucie de la réserve et de la pudeur comme d’un vieux jeton, et qui fait de la femme, si charmante autrefois, le plus désagréable inconvénient qui puisse tomber maintenant dans la vie d’un homme, ne sont des choses essentiellement cosaques. […] Tout cela est tombé dans les idées communes, même au théâtre ! […] Demandez-vous où est maintenant le Glenarvon contre Byron, et dans quel mépris est tombé Lui et Elle, et toutes les Elles qui ont écrit contre leurs Lui !

34. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « L’Angleterre depuis l’avènement de Jacques II »

Il est des livres qui entrent si naturellement dans le torrent des idées et la civilisation générale que, quels que soient le pays et la langue dans lesquels on les publie, ils tombent forcément sous le regard de toute Critique qui n’a pas seulement pour objet les questions de forme littéraire, mais les questions d’idées… et telle est l’Histoire d’Angleterre 9 de Macaulay. […] Il est vrai que, sous le dernier des Stuarts, cette théorie, qui saignait encore du coup de hache qui avait fait tomber la tête de Charles Ier, fut définitivement mise en pièces, mais elle n’était pas tombée du ciel comme un bouclier salien, et, pour qu’elle se fût si souverainement posée, il fallait qu’elle répondît à des sentiments publics, à des idées qui avaient cours. […] La conscience du peuple n’eut pas raison de la conscience du Roi, mais le Roi tomba et devait tomber. Nous ajoutons qu’un historien impartial aurait dit que c’était sa gloire, et que, dans cette position suprême, le Roi, aurait-il même eu du génie, — si le génie n’avait pas ébloui la conscience, ce qui lui arrive quelquefois, ou si une ambition vulgaire ne l’avait pas éteinte, — le Roi, repoussé par celle de tout un peuple, n’avait d’autre ressource que de tomber dans la pureté immaculée de la sienne.

35. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. H. Wallon » pp. 51-66

Wallon l’appelle Saint Louis, comme si le coup indélébile de la canonisation était déjà tombé sur son nom et que le Saint eût rétroactivement dévoré l’homme ! […] Pour la première fois, ces barons, qui avaient inventé le mot méprisant, en parlant d’un État ou d’une terre : « tomber en quenouille », respectèrent celle-ci comme une masse d’armes, et ployèrent sous ce gouvernement d’une femme qui était mère du Roi et qui avait le sentiment de la Royauté de son fils. […] Wallon est trop sensé et trop savant pour tomber dans ces erreurs et dans ces impostures. […] Si le ciel fût tombé, ils l’auraient, disaient-ils, soutenu sur la pointe de leurs lances ! Un peu du ciel est tombé, par Saint Louis, sur la pointe de la plume de M. 

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