Au temps déjà lointain où j’apprenais l’histoire de la littérature française sur les bancs du collège, un nom m’avait frappé parmi ceux des poètes de la Pléiade : Ponthus de Thyard. […] On dirait que le romantisme se replie sur soi et qu’après s’être épandu il se resserre pour exprimer en des œuvres plus travaillées et plus précises ses sentiments essentiels, affinés et développés par le temps. […] Chacun d’eux suppose une longue préparation, et que le poète a vécu des mois dans le pays, dans le temps, dans le milieu particulier que ces deux quatrains et ces deux tercets ressuscitent. […] Et pour passer du joli au grandiose, ce sonnet si connu des Conquérants n’est-il pas large comme une épopée, et n’éveille-t-il pas une vision complète de la plus grande aventure des temps modernes ?
Certains, donnés inédits, manquaient tout de même un peu trop d’originalité comme ces Marguerites du temps passé, de Mme James Darmesteter, dont les pages les plus savoureuses avaient un parfum un peu vif de Brantôme : les musiciens, n’est-ce pas, madame, ne sont point seuls exposés aux fâcheuses réminiscences… D’autres écrivaines, Mesdames Bertheroy, Judith Gautier, Stanislas Meunier, Augustine Filon, Andrée Theuriet, et Jane Dieulafoy accaparèrent la Collection que, jusque hier, le seul M. […] Si la caractéristique du roman historique est le respect qu’inspirent ses héros proportionné à leur distance ( major e longinquo reverentia ), Racine, préface de Bajazet, a décisivement observé que « l’éloignement des pays répare en quelque sorte la trop grande proximité des temps ». […] Il a pensé, senti, écrit assez hors notre temps pour demeurer. […] D’autres noms viennent : des grands poètes anglais du temps d’Élisabeth : Webster, Ben Jonson, Ford, Beaumont et Fletcher.
On en était encore au temps du premier précieux. […] Quand on lit, dans ce même Lamotte, le « suisse d’un jardin » pour une haie, le « voyage sédentaire » pour l’étude de la géographie, « l’hôte de la flatterie » pour un prince flatté, on se croit encore au bon temps où le miroir était « le conseiller des grâces », les statues « des muets illustres » ; où Cathos veut qu’au lieu de : « Voilà un laquais qui demande si vous êtes au logis », on dise : « Voilà un nécessaire qui demande si vous êtes en commodité d’être visible. » Il semble même qu’en cet art puéril de ne rien dire comme les autres, les beaux esprits du dix-huitième siècle aient renchéri sur ceux du dix-septième. […] Je vous donne à deviner ce qui s’appelait, en ce temps-là, tour à tour, « une bibliothèque vivante où l’on apprend tout sans peine et sans étude ; une salle de musiciens où l’on entend les plus savants concerts ; un théâtre magnifique où tout ce qui frappe les yeux étonne l’esprit et glace la voix ; une école toute céleste où les esprits, de quelque étage qu’ils soient, peuvent, en y arrivant, s’élever à tous moments, et, par l’approche et la communication d’un corps lumineux, acquérir tous les jours des clartés nouvelles ; un parterre orné de fleurs de toutes les couleurs ; un corps qui marche à frais communs et à pas égaux vers l’immortalité ; le sanctuaire et la famille des Muses ; une si haute région d’esprit, que l’on en perd la pensée, comme, quand on est dans un air trop élevé, on perd la respiration. » C’est l’Académie française à qui s’adressaient ces louanges à la fois si énigmatiques et si outrées, dans des discours de réception où les nouveaux élus se donnaient toute cette peine pour ne pas se dire simplement reconnaissants. […] Le précieux qui donne tant à chercher, ce précieux pensé, pour l’appeler d’un nom cher aux beaux esprits du temps, avait gagné jusqu’à Massillon.
Ceux-là ne méritent pas qu’on leur réponde ; c’est à eux plutôt qu’il conviendrait de demander à quoi bon accumuler tant de richesses et si, pour avoir le temps de les acquérir, il faut négliger l’art et la science qui seuls nous font des âmes capables d’en jouir, et propter vitam vivendi perdere causas. […] Elles doivent aider le philosophe à approfondir les notions de nombre, d’espace, de temps. […] Au contraire, nous avons consacré à l’étude du continu presque tout notre temps et toutes nos forces. Qui le regrettera ; qui croira que ce temps et ces forces ont été perdus ?
Selon le langage du temps, elle avait été possédée de sept démons 429, c’est-à-dire qu’elle avait été affectée de maladies nerveuses et en apparence inexplicables. […] Jésus accepta un dîner que lui offrit Lévi, et où il y avait, selon le langage du temps, « beaucoup de douaniers et de pécheurs. » Ce fut un grand scandale 471. […] Dissimulant la vraie cause de sa force, je veux dire sa supériorité sur ce qui l’entourait, il laissait croire, pour satisfaire les idées du temps, idées qui d’ailleurs étaient pleinement les siennes, qu’une révélation d’en haut lui découvrait les secrets et lui ouvrait les cœurs. […] Elle est restée célèbre, jusqu’au temps des croisades, sous le nom de Via maris.
Jésus comprit bien vite, en effet, que le monde officiel de son temps ne se prêterait nullement à son royaume. […] C’était là un de ces éléments d’utopie comme il s’en mêle toujours aux grandes fondations, et dont le temps fait justice. […] Loin qu’il cherchât à adoucir les murmures que soulevait son dédain pour les susceptibilités sociales du temps, il semblait prendre plaisir à les exciter. […] Nul, pendant le cours de cette magique apparition, ne mesura plus le temps qu’on ne mesure un rêve.
Dans la plus grande partie des Poèmes Saturniens, il échappe à l’influence parnassienne et nous chante, en toute simplicité, son âme mélancolique et charmante de ce temps-là. […] Qui braverait tout ensemble le pouvoir actuel que vaut à cette famille un demi-siècle d’intrigue et la rancune durable de trois aventuriers qui ont le temps devant eux ? […] Je viens de relire son œuvre, considérable par le temps qu’elle m’a pris. […] Quand le reste de ce groupe, riche en versificateurs et pauvre en poètes, sera effacé, deux resteront quelque temps reconnaissables : l’un, éclatant de force et de passion contenue, viril de puissance immobile, grand d’impassibilité apparente et de profondeur désespérée ; l’autre, triste, délicat et tendre ; l’un stoïquement beau d’une sévérité sans défaillance ; l’autre, charmant et un peu décevant comme un sourire de femme.
Du temps de La Harpe on était grammairien, du temps de Sainte-Beuve et de Taine on est historien. […] Dans la connaissance qu’on prend d’un beau livre, d’un beau morceau de musique, il y a trois périodes ; la première, quand le livre est encore inconnu, qu’on le lit ou qu’on le déchiffre, qu’on le découvre en un mot : c’est la période d’enthousiasme ; la seconde, lorsqu’on l’a relu, redit à satiété : c’est la fatigue ; la troisième, quand on le connaît vraiment à fond et qu’il a résonné et vécu quelque temps en notre cœur : c’est l’amitié ; alors seulement on peut le juger bien. […] Il garde pour un temps cette chose indéfinissable, si fragile et si profonde, l’accent de la personne, qui va le mieux au cœur de quiconque sait aimer.
Est-il bien vrai ce qu’on dit, que, chez les Romains, l’action théâtrale étoit partagée entre deux acteurs ; de manière que l’un faisoit les gestes dans le temps que l’autre récitoit. […] Il rapporte que Livius Andronicus, qui, suivant l’usage de ce temps-là, jouoit lui même dans ses pièces, s’étant enroué à force de répéter un morceau qu’on redemandoit, obtint la permission de faire chanter ses paroles par un jeune comédien, & qu’il se contenta de les accompagner du geste. […] Nous n’avons plus, il est vrai, Bourdaloue, La Rue, Massillon ; mais l’idée qui nous reste de leur débit peut tenir lieu de leçons : chacun avoit le sien propre, toujours assorti aux lieux, aux temps, aux circonstances, aux auditeurs, au stile, & au sujet du discours. […] Un grand seigneur, après l’avoir entretenue quelque temps, ayant rompu avec elle, & lui ayant envoyé une femme assez considérable, avec prière d’oublier son cher comte, elle confia son embarras à notre philosophe.
Chapitre VII Le langage et le cerveau La question des rapports du cerveau et de la parole a beaucoup agité le monde médical dans ces derniers temps et a même occupé plusieurs séances de l’Académie de médecine50. […] Trousseau (qui entre autres mérites a celui de citer des faits saillants, et, comme dirait Bacon, prorogatifs), il y en a un qui à toutes les questions répondait : « N’y a pas de danger » ; quelque temps après, il disait encore : « N’y a pas de doute » ; enfin, il fit un nouveau progrès, et disait de temps à autre : « Tout de même. » Il en est resté là53. — Un autre disait : « Coucici », et, quand on l’irritait : « Saccon. » Tels sont les cas d’aphasie simple, extrêmement rares, comme nous l’avons dit. […] On a vu d’ailleurs que les cas d’aphasie simple sont très-peu nombreux, et que la plupart du temps il y a complication.