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486. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Jules Laforgue » pp. 36-47

« De taille moyenne et assez spontanément épanoui, il porte, pas trop haut, une longue tête enfantine ; cheveux châtains s’avançant en pointe sur un front presque sacré et retombant, plats et faibles, partagés par une pure raie droite, celer deux mignonnes oreilles de jeune fille ; masque imberbe sans air glabre, d’une pâleur un peu artificielle mais jeune ; deux yeux bleu-gris partout étonnés et timides, tantôt frigides, tantôt réchauffés par les insomnies ; un nez sensuel ; une bouche ingénue, ordinairement aspirante, mais passant vite du mi-clos amoureux à l’équivoque rictus des gallinacés… Il ne s’habille que de noir et s’en va, s’en va, d’une allure traînarde et correcte, correcte et traînarde5. » Il dit encore : Mon père (un dur par timidité) Est mort avec un profil sévère ; J’avais presque pas connu ma mère, Et donc vers vingt ans je suis resté. […] Il en sortit les joues en feu, la tête lourde ; et il confiait par lettre à sa sœur : « Si tu savais ce que c’est que cette nourriture bon marché, dont la cuisson est bâclée à la diable ! […] J’ai la tête si lourde que je m’endors de bonne heure. » Il traînait ainsi désemparé, songeant à la mort, abattu par une immense tristesse, lorsque la protection de M. 

487. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre III. Paradis perdu. »

Il regarde le firmament ; par un mouvement de désir, il veut s’élancer vers cette voûte, et il se trouve debout, la tête levée vers le ciel. […] (et il en a quelques autres qui ne sont point dans l’Énéide, comme le pressentiment du malheur, et cette tête qu’Andromaque échevelée avance à travers les créneaux). […] Cette mère qui, seule de toutes les Troyennes, a voulu suivre les destinées d’un fils ; ces habits devenus inutiles, dont elle occupait son amour maternel, son exil, sa vieillesse et sa solitude, au moment même où l’on promenait la tête du jeune homme sous les remparts du camp, ce femineo ululatu , sont des choses qui n’appartiennent qu’à l’âme de Virgile.

488. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Casanove » pp. 192-197

L’animal qui descend se piète. à droite sur le fond, ce sont des monticules ; au-delà de ces monticules défile une troupe de soldats dont on entrevoit les têtes par-dessous le ventre du cheval. […] Très-beau, très-large… et puis que votre tête fasse de cela ce qui lui conviendra ; elle est d’autant plus à son aise, qu’elle sait moins du faire et de l’ordonnance. […] Tu aurais dit d’un de tes combattans qu’il avait reçu à la tête ou au cou une énorme blessure ; mais le poëte dit : la flèche l’atteignit au-dessus de l’oreille, entra, traversa les os du palais, brisa les dents de la mâchoire inférieure, sortit par la bouche, et le sang qui coulait le long de son fer tombait à terre en distillant par la pointe… ces épithètes générales sont d’autant plus misérables dans le style français, que l’exagération nationale les appliquant usuellement à de petites choses les a presque toutes décriées.

489. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Alexandre Dumas fils » pp. 281-291

Épargne d’un sujet pour les têtes stériles, et, grâce à la publicité sans pareille du théâtre, pour le malheureux roman, qui pourrissait silencieusement dans le cimetière d’une boutique d’éditeur, écus et brouhaha… Tout profit ! […] Georges Dandin sterling qui, à force d’être dandinisé, à trois minutes d’Othello, tue sa femme, puis se constitue prisonnier, ni plus ni moins que tous les portiers et chapeliers du monde dans le même cas qui croient ainsi sauver leurs têtes, et, en attendant qu’on le juge, écrit son autobiographie pour servir de notes à son défenseur. […] Il se fait enfin une tête de Jean-Jacques à mettre dans un cerisier pour épouvanter les oiseaux !

490. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Louis Wihl »

La juive surtout : la nation à tête dure, que rien n’a pu amollir, ni la croix de Jésus-Christ tombée dessus, ni les ruines de Jérusalem, ni les coups du Romain, ni les coups du Moyen Age, ni les coups du Turc, et qui les a reçus comme l’enclume qui fait ressauter le marteau ! […] Lord Byron, qui avait pourtant assez de poésie dans sa tête bouclée, a essayé des imitations bibliques dans ses Heures de loisir, et c’est insupportable. […] Exilé de son pays, ce Louis Wihl, cet ami de Schelling, cet ami de Gutzkow, cet assistant de Heine à sa dernière heure, n’a pas trouvé peut-être dans notre pays le calme qu’il faut pour largement produire, et il est resté avec une tête pleine et des travaux commencés.

491. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pierre Dupont. Poésies et Chansons, — Études littéraires. »

I Dans une de nos Expositions des dernières années, on voyait, en montant le grand escalier du Louvre, au haut duquel il était placé, dans un coin, un buste qui n’avait guère que la tête et le cou, et dont la bouche ouverte était presque tout le visage. […] Et en effet, de génie spontané, d’impression première et même de nostalgie, de tête retournée vers les champs, M.  […] Pierre Dupont qui est, de tempérament, un élégiaque et même un idyllique ; mais cet élégiaque et cet idyllique a pris son talent naturel entre deux imitations, comme on prend sa tête entre deux portes, — l’imitation de ce Béranger qui est un bourgeois et de cet Hégésippe Moreau qui est un bohême, — et entre ces deux fils des villes, il a fourvoyé le paysan !

492. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VI. Les romanciers. » pp. 83-171

En effet, ce n’est point de sa réputation que de Foe est soigneux ; il a d’autres vues en tête ; nous ne les devinons pas, nous autres écrivains : c’est que nous ne sommes qu’écrivains. […] Adam, donnent et reçoivent une infinité de horions ; les coups de bâton trottent ; on leur jette à la tête des poêlons pleins de sang de porc ; les chiens mettent leurs habits en pièces ; ils perdent leur cheval. […] Décidément la vie est bonne, et avec Fielding nous ferons en riant le voyage, la tête cassée et le ventre plein. […] Chez un esprit bien bâti, les idées défilent en procession avec un mouvement ou une accélération uniforme ; dans cette tête bizarre, elles sautillent comme une cohue de masques en carnaval, par bandes, chacune tirant sa voisine par les pieds, par la tête, par un pan d’habit, avec le remue-ménage le plus universel et le plus imprévu. […] D’autres fois, dans l’embrasure d’une fenêtre, il remuait la tête, agitait son corps d’avant en arrière, avançait, puis retirait convulsivement la jambe.

493. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre II. Les Normands. » pp. 72-164

On tue un jeune Sarrasin frais et tendre, on le cuit, on le sale, le roi le mange et le trouve très-bon ; après quoi il veut voir la tête de son cochon. […] Richard fait décapiter trente des plus nobles, ordonne à son cuisinier de faire bouillir les têtes, et d’en servir une à chaque ambassadeur, avec un écriteau portant le nom et la famille du mort. […] gros de charnure et d’os, court, large d’épaules, épais comme un arbre noué », capable « de gagner partout le bélier à la lutte : point de portes dont il ne pût faire sauter la barre, ou qu’il ne pût en courant enfoncer avec sa tête. […] Ils ne mangent pas de viande, si ce n’est rarement un peu de lard, ou quelque chose des entrailles et de la tête des bêtes tuées pour les nobles et les marchands… Les gens d’armes leur mangent leurs volailles, tellement qu’il leur reste à peine les œufs, qui sont pour eux un très-grand régal. […] « Christ est notre tête, nous n’avons pas d’autre tête », dit un poëme attribué à Chaucer, et qui revendique avec d’autres l’indépendance pour les consciences chrétiennes169. « Nous aussi, nous sommes ses membres. —  Il nous a dit à tous de l’appeler notre père. —  Il nous a interdit ce nom de maître ; — tous les maîtres sont faux et méchants. » Point d’intermédiaire entre l’homme et Dieu ; les docteurs ont beau revendiquer l’autorité pour leurs paroles, il y en a une plus autorisée, celle de Dieu.

494. (1932) Le clavecin de Diderot

Dans ces constatations, les douteurs professionnels verraient autant de têtes de dilemme. […] Rien que du minéral sans souffle de vie contre quoi, se cogner la tête. […] Ils expliquaient comment d’imbéciles questions de préséance, des problèmes sans queue ni tête vous mangent, justement, et la queue et la tête. […] Mais, comme s’est plu à le rappeler Lénine, en tête d’une de ses études, le rossignol ne se laisse pas nourrir de fables. […] Le sylvestre personnage conserve tout son sang-froid, pour jouer avec une pomme sur la tête (autant dire avec la tête) de son fils.

495. (1856) À travers la critique. Figaro pp. 4-2

sommes-nous solidaires du cheval de fiacre qui, pataugeant dans la boue à nos côtés, nous en couvre de la tête aux pieds ? […] Le critique hochait la tête, le baryton souriait et la prima donna jouissait de son triomphe. […] Amédée Achard est un méridional à tête froide. […] Mais du moins, la main conserve la lucidité lorsque la tête divague. […] On ferait un dictionnaire rien qu’en ramassant et en collectionnant les adjectifs qu’il a lancés à la tête du malencontreux auteur.

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