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654. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 512-518

Les petites intrigues de société, les éloges mendiés des Journalistes, la gauche admiration de quelques zélateurs, l’aveugle protection de quelques Mécenes, l’autorité même, sont de foibles remparts contre les traits du goût & de la raison offensés. […] On voit, d’un côté, ces Apôtres de la tolérance ne prêcher dans leurs Ouvrages que la modération & la paix : de l’autre, on les voit, oubliant leurs préceptes, s’intriguer dans les sociétés, se rendre les ministres d’une persécution injuste, & devenir les Familiers du S.

655. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre I. La Restauration. »

Mais tandis que Descartes, au milieu d’une société et d’une religion épurées, ennoblies et apaisées, intronisait l’esprit et relevait l’homme, Hobbes, au milieu d’une société bouleversée et d’une religion en délire, dégradait l’homme et intronisait le corps. […] L’origine des grandes sociétés durables n’est pas la bienveillance mutuelle. […] Voilà l’honnête homme, œuvre de la société dans une race sociable. […] Ce sont des comédies de société, les plus amusantes qu’on ait jamais faites, mais ce ne sont guère que des comédies de société. […] C’est que la forme de société et d’esprit qui l’avait suscitée a disparu.

656. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Mémoires du général La Fayette (1838.) »

L’école dictatoriale et impérialiste (je la suppose éclairée) a pour principe de tout prendre sur soi et de se croire suffisamment justifiée à faire administrativement ce qui est de l’intérêt d’État, dans le sens de l’ordre et de la société. […] Une bonne part des prédilections et de la philosophie de la société actuelle paraît être de ce côté. […] D’autres inspirations, d’autres penchants plus ou moins nobles, sont venus à l’ensemble de la société, et, favorisés de toutes parts, agréés par les gouvernants comme des garanties, ils se développent avec une rapidité presque effrénée, qui ne permet pas le retour. […] Il est vrai que Washington, grand homme qui paraît avoir été de nature à pouvoir suffire à toutes les situations, n’a eu à opérer que chez des nations encore simples, au sein d’une société en quelque sorte élémentaire. […] La Fayette partage et devance le mouvement irrésistible et confiant qui poussait la société d’alors vers une révolution universelle.

657. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1892 » pp. 3-94

Vraiment, il y a dans le moment, en ce monde, trop de méchanceté, trop de méchanceté chez l’artiste, chez le jeune, chez l’homme politique, pour que ce ne soit pas la fin d’une société ! […] » Et elle racontait, que, tout dernièrement, une femme de la meilleure société, ayant deux enfants, au milieu de la pose, s’était couchée sur un divan, et s’était mise à dire de telles choses, que sortant de derrière un rideau, où elle était cachée, elle lui avait dit : « Madame, après la conversation que vous venez d’avoir avec mon mari, vous n’avez qu’à mettre votre chapeau, et à vous en aller. […] Et parlant du dessin, qu’il a publié ce matin, dans L’Écho de Paris, il me dit qu’il avait voulu exprimer, à propos de l’adultère, l’espèce de remords qu’une femme de la société éprouve devant le dégoût inspiré, dans une chambre d’hôtel, par la serviette posée sur le pot à l’eau, pour le bidet… Et en effet, il me montre un dessin, où la femme est douloureusement hypnotisée par ce pot à l’eau ; mais il n’avait pas trouvé la légende philosophique, montant de ce pot à l’eau. […] Parlant de la société future, je disais que les gens les plus intelligents ne peuvent concevoir les formes d’une société future, et que dans l’antiquité, il n’y aurait pas eu une cervelle capable de prophétiser la société du moyen âge, cette société à basiliques ténébreuses, au lieu de temples pleins de lumière, cette société aux danses des morts, remplaçant les théories des fêtes d’Adonis, cette société, avec sa constitution, ses vêtements, son moral si différent de l’autre, cette société, ou même les belles et classiques formes de la femme grecque ou romaine, semblent devenues des formes embryonnaires, telles que nous les voyons retracées par le pinceau de Cranach, dans des académies de femmes du temps. […] … au fond cette entorse me coûte 20 000 francs. » Et là-dessus, il se met à me parler de la crise qui sévit sur les théâtres, m’affirmant qu’à l’heure présente, personne ne veut payer sa place, qu’il arrive même ceci de phénoménal, que les rares payants demandent leurs coupons sur papier blanc, ainsi que des billets de faveur, et il me cite un monsieur de la société, dont il tait le nom, achetant pas mal de loges, qu’il donne, comme les tenant des auteurs.

658. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « M. de Pontmartin. Les Jeudis de Madame Charbonneau » pp. 35-55

M. de Pontmartin vient de même d’introduire toute une révolution dans sa manière : de critique aristocratique, de défenseur des hautes doctrines de la société, de chevalier avoué du trône et de l’autel, il s’est fait pamphlétaire satirique, auteur de Guêpes, diseur de vérités et de malices à tout prix ; les lauriers d’Alphonse Karr l’ont empêché de dormir. […] Un jour qu’il était ruiné, un libraire de Londres lui offrit je ne sais combien de guinées pour qu’il écrivît ses Mémoires et qu’il y dit une partie de ce qu’il savait sur la haute société anglaise avec laquelle il avait vécu. […] Je ne prends pas à la lettre tout ce qu’il fait semblant d’être dans son livre ; il se donne comme le plus désappointé des hommes ; selon lui, il aurait tout manqué dans sa carrière, et il n’aurait recueilli qu’ingratitude et mécomptes : littérateur, on ne lui aurait pas su gré des services qu’il aurait rendus à la société à une certaine heure ; on lui aurait fait mainte promesse qu’on n’aurait pas tenue ; homme de province et propriétaire, il n’aurait eu qu’ennuis dans l’exercice de ses honneurs municipaux ou communaux ; homme de qualité (il ne l’oublie jamais), comme il n’allait qu’en fiacre dans les soirées du noble faubourg, les laquais souriaient d’un certain air en le voyant traverser l’antichambre et lui demandaient à la sortie sous quel nom il fallait appeler ses gens. […] Ville heureuse où l’on est dispensé d’avoir du bonheur, où il suffit d’être et de se sentir habiter ; qui fait plaisir, comme on le disait autrefois d’Athènes, rien qu’à regarder ; où l’on voit juste plus naturellement qu’ailleurs, où l’on ne s’exagère rien, où l’on ne se fait des monstres de rien ; où l’on respire, pour ainsi dire, avec l’air, même ce qu’on ne sait pas, où l’on n’est pas étranger même à ce qu’on ignore ; centre unique de ressources et de liberté, où la solitude est possible, où la société est commode et toujours voisine, où l’on est à cent lieues ou à deux pas ; où une seule matinée embrasse et satisfait toutes les curiosités, toutes les variétés de désirs ; où le plus sauvage, s’il est repris du besoin des hommes, n’a qu’à traverser les ponts, à parcourir cette zone brillante qui s’étend de la Madeleine au Gymnase ; et là, en quelques instants, il a tout retrouvé, il a tout vu, il s’est retrempé en plein courant, il a ressenti les plus vifs stimulants de la vie, il a compris la vraie philosophie parisienne, cette facilité, cette grâce à vivre, même au milieu du travail, cette sagesse rapide qui consiste à savoir profiter d’une heure de soleil !

659. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [I] »

* La guerre a été le premier état naturel de l’homme à l’origine des sociétés : guerre contre les animaux de proie, guerre des hommes entre eux. […] Il devient évident que si la guerre a été le premier état naturel de l’homme barbare et sauvage, que si elle a été le triomphe et le jeu de quelques génies prééminents, l’élément nécessaire et l’instrument de grandeur des nations souveraines et des peuples-rois, la paix, avec tous les développements qu’elle comporte, est la fin dernière des sociétés humaines civilisées. […] On peut prévoir le moment où, au nom du travail et de l’industrie, la société tout entière se retournera pour marcher résolument dans cette direction unique ; mais la conversion, dont on a mieux que le pressentiment, n’est pas faite encore. […] Venu à Paris en 1796, placé dans la maison Mosselmann, puis agent de change pour son compte en société d’un de ses compatriotes, Rochat, il était en voie de faire son chemin dans les affaires, lorsque les premières campagnes de Bonaparte en Italie vinrent raviver toutes ses ardeurs et troubler son sommeil.

660. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — II. (Fin.) » pp. 206-223

Ce fut le dernier grand succès littéraire du xviiie  siècle, au moment où la société française tout entière sortait de son lac heureux et, en quelque sorte, de sa Méditerranée paisible, et s’engageait dans les détroits inconnus d’où le Génie des temps nouveaux allait, d’une main puissante, la lancer sur l’Océan. […] L’abbé Barthélemy ne pousse pas le scrupule si loin ; il est le Tillemont de la Grèce, en ce sens qu’il compose volontiers son texte de la quantité de ses petites notes mises bout à bout ; mais, cherchant de plus l’agrément et animé du désir de plaire, il a donné à tout cela le plus de liaison qu’il a pu ; il a dissimulé les sutures ; il a insinué avec sobriété les explications ingénieuses ; il y a mêlé, comme par un courant secret, une vague allusion continuelle, un tour de réflexion qui porte sur nos mœurs, sur notre état de société. […] On aurait voulu qu’au lieu de décrire minutieusement les constitutions et le gouvernement d’Athènes et des anciennes républiques, Barthélemy fît mieux sentir les différences tranchées qu’elles ont avec la société moderne, l’esclavage qui en était le fondement, l’oppression des races vaincues, les droits de citoyen exclusivement réservés à un petit nombre d’habitants, là même où il semble que la multitude domine. […] C’est ainsi que, vers la fin, dans le séjour à Délos, il n’a pu s’empêcher de se donner carrière : l’homme s’est révélé ; il a placé dans la bouche de Philoclès ses propres idées sur le bonheur, sur la société, sur l’amitié, et a introduit par extraits cet ancien petit Traité de morale qu’il avait composé bien des années auparavant pour le neveu de M. de Malesherbes.

661. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Th. Dostoïewski »

Des actes farouches s’accomplissent, une mort soudaine, une tentative de viol, le double assassinat d’une vieille usurière et d’une mûre mystique ; et ces faits se répercutent en d’infinis affolements ; l’on assiste au trouble naissant puis despotique et mortel que cause, en une pauvre cervelle de petite fille, le souvenir d’un passé de cruauté et de souffrance ; dans Crime et châtiment l’horrible fièvre du remords sévit, étreint le meurtrier, le relâche, l’endurcit, le rompt et le prosterne en une faiblesse mêlée de férocité et de désespoir, jusqu’à ce que, cerné par la société, retranché de sa famille et renié de lui-même, il trouve auprès d’une humble fille le secret oublié des larmes et la paix du châtiment. […] Le mystère du sort de Nelly, entrevu dès le début, est maintenu sans alternative pendant tout le livre, comme le problème de la constance du prince Alexis ; les Possédés, L’Idiot, d’autres nouvelles sont de même des œuvres immobiles, d’inutile et morne agitation ; quant à Crime et châtiment, il est d’un bout à l’autre la description merveilleusement monotone et saisissante de la lutte d’un inaccusable criminel contre toute la société, sans que ce duel ait d’autres phases que de durs assauts sans cesse donnés et repoussés. […] Malade de la névrose épileptique, ayant passé en sa jeunesse par le choc effroyable d’une condamnai ion à mort, et gracié les pieds sur l’échafaud, pour aller traîner des années dans un bagne en Sibérie avec toute la vermine d’une société primitive, il vécut ensuite sous le ciel, « saturé d’encre », de Saint-Pétersbourg, et promena dans cette sombre ville, dure aux pauvres, sa silhouette râpée. […] Et si l’on considère l’étendue et la pénétration de leur enquête, la façon neuve dont ils parlent de l’homme et à l’homme, leur art sincère et haut, la sérieuse ferveur de l’évangile de pitié qu’ils proposent, le plus déterminé partisan de l’art pour l’art peut se sentir hésiter et réfléchir, jusqu’à ce qu’il recomprenne que le problème de la société, de la vie de l’homme ne peut être résolu par le cri de passion des détracteurs d’intelligence, que l’évangile que prêchent les romanciers slaves a précédé de dix-huit cents ans les maux qu’ils dénomment, que l’enseignement fut la marque même de sa fausseté dans son emportement, que la vérité est paisible, persuade en paraissant et n’a nul besoin d’apôtres, que l’erreur seule parle violemment, que les œuvres d’art ne doivent pas tenter de tromper, qu’il leur suffit de contenir les préceptes latents et obéis, ceux-là du monde dont elles sont la lumineuse image.

662. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Gustave Droz » pp. 189-211

Et non seulement la femme du roman, l’héroïne du roman, n’aime point le prêtre qui est l’être supérieur du roman, comme elle en est l’être charmant ; mais elle aime son propre mari comme une honnête femme… qu’elle n’est pas cependant ; car pour être une honnête femme, dans la santé splendide de cœur et d’esprit que ce simple mot exprime, il ne faut pas mêler à son amour les idées et les dépravations qu’une société vicieuse a fait pénétrer dans les âmes ; or, c’est ainsi que madame de Manteigney aime son mari dans ce roman. […] À une certaine profondeur dans la société de Paris, quand on y est mêlée autant que l’héroïne de Droz, il n’y a pas d’innocence ! […] Rien enfin de tous ces affreux lieux communs qui traînent leurs haillons dans tous les livres de ces derniers vingt ans du xixe  siècle, rien de tout cela, mais une femme vraie et vivante, une femme prise au tas de la société dans laquelle nous avons le bonheur de vivre ! […] C’est un robuste, agreste et saint pasteur, heureux dans le devoir, jusqu’à l’heure où les Manteigney et leur société de Paris viennent habiter le vieux château.

663. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XV. Les jeunes maîtres du roman : Paul Hervieu, Alfred Capus, Jules Renard » pp. 181-195

Il ne se compose que de lettres échangées entre personnes d’une société. […] On ferait à la rigueur une honorable conférence sur Scarron, en racontant sa vie et en soulignant les renseignements que sa manière et sa matière nous donnent sur le mouvement littéraire et sur la société de son temps. […] Aussi bien l’homme (l’écornifleur) vivant en société, généralement à l’ironie de l’un correspond la naïveté, la peine ou l’ahurissement des autres.

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