Ils n’obéissaient, eux, qu’à des sentiments. […] Clément XIII avait le sentiment du droit de l’Église et de la justice, et il est mort en résistant noblement parce qu’on opprimait ce double sentiment dans son âme, mais ce qu’il fallait, dans ces temps néfastes, c’était l’omnipotence du caractère. […] Elle accueillit l’abolition d’un Ordre qui représentait à ses yeux le principe exécré de l’obéissance, avec le sentiment révolutionnaire qui, plus tard, posa comme un dogme que l’insurrection est le plus saint des devoirs. […] Son âme trop sèche n’avait pas le sentiment des idées religieuses, mais, même en dehors de ces idées, si l’on peut s’y mettre par hypothèse en parlant de l’Institut de Loyola, cet Institut n’est-il pas avec la République romaine et le gouvernement anglais depuis Cromwell, les trois plus belles choses qu’on ait jamais vues sur la terre ? […] D’ailleurs, il y a mieux encore : élevons-nous une bonne fois par le sentiment théologique au-dessus des jugements humains de l’histoire, et finissons par une de ces considérations profondes qui finissent tout.
Oui, les gens aux sentiments vulgaires. […] Et aussi quel charme, quelle force, quel sentiment exquis ! […] Vous êtes jeune et vous semblez en proie à un sentiment vrai. […] Car en somme l’amour est un sentiment égoïste, et la preuve c’est qu’on est plus heureux d’aimer que d’être aimé. […] Mais ce délai est nécessaire pour nous édifier sur la situation de nos sentiments réciproques.
La poésie eut de bonne heure sa place dans ce concours universel : elle sut se rajeunir et par le sentiment et par la forme. […] C’est par une sorte d’abus, mais qui avait sa raison, que l’on a compris encore sous le nom de romantiques les poètes, comme André Chénier, qui sont amateurs de la beauté grecque et qui, par là même, sembleraient plutôt classiques ; mais les soi-disant classiques modernes étant alors, la plupart, fort peu instruits des vraies sources et se tenant à des imitations de seconde ou de troisième main, ç’a été se séparer d’eux d’une manière tranchée que de revenir aux sources mêmes, au sentiment des premiers maîtres, et d’y retremper son style ou son goût. […] C’est ce sentiment qui vit dans leurs cœurs, et que moi-même (si je puis me nommer) j’ai embrassé à mon heure et nourri dans le mien, que je voudrais maintenir, expliquer et confesser encore une fois devant ceux qui ne paraissent point l’admettre et le comprendre. […] , un sentiment sincère, profond, passionné, qui, pour s’appliquer aux seules choses de l’art, n’en avait que plus de désintéressement et de hauteur, et n’en était que plus sacré.
Chaque régime qui a ses raisons d’être amène à sa suite et fait plus ou moins surgir son cortège naturel, les générations nées en même temps, éveillées au même signal, qui en ont l’esprit, le sentiment, l’intelligence, les espérances d’abord avec les ambitions, et plus tard, s’il tombe, les regrets. […] Dès la fin de l’année 1814, nous dit M. de Viel-Castel, dont l’opinion compte d’autant plus qu’il ne se montre point favorable au régime impérial antérieur, il était évident pour tout le monde que les gouvernants n’étaient pas en accord avec le sentiment public, que les lois, les institutions qu’ils appliquaient avec plus ou moins de fidélité n’avaient pas leurs sympathies, et qu’un penchant irrésistible les entraînait, sinon à les violer, au moins à en éluder l’esprit. […] Le sentiment qu’ils inspiraient n’était pas celui d’une haine vive et passionnée que leurs actes n’auraient pas justifiée, mais d’une aversion profonde, mêlée de dédain et de dérision. […] Pour moi, après cette lecture patiente, suivie, instructive, lorsque j’arrive aux événements du 1er mars, au débarquement de Napoléon à Cannes, quand j’entends vibrer les paroles aiguës, vengeresses, de sa proclamation, de son adresse à l’armée, j’éprouve un soulagement, un sentiment de délivrance, coûte que coûte, après tant d’affronts et d’inepties ; je suis entraîné, je suis peuple, je sens comme le peuple, et, sans plus de théorie, 1815 m’est expliqué.
André Lemoyne renferment des pièces parfaites de limpidité et de sentiment : j’ai des raisons pour recommander celle qui a pour titre l’Étoile du berger. […] Dans ces nombreux recueils que j’ai sous les yeux, il y en a qui, à mesure que j’y entre davantage, me font entrevoir tout un monde, un ordre de sentiments, d’amitiés, d’idées, dans lequel le poëte habite, où il a vécu, et qui mériterait sans doute d’être étudié d’un peu plus près ; car il n’y a rien de plus distinct et de moins fait pour être confondu avec un autre qu’un talent, même secondaire, de vrai poëte. […] Dans un premier recueil, la Flûte de Pan, il s’est livré à des études de poésie en quelque sorte plastique et sculpturale ; il avait demandé à la nature extérieure le sens confus de ses harmonies et de ses symboles : aujourd’hui, sous le titre de la Lyre intime 46, il aborde le monde du cœur ; il se détache, non sans peine et sans effort, du grand Pan pour en venir à un sentiment plus distinct, plus défini, qui a pour objet la personne humaine. […] E. de Montlaur, esprit élégant, cultivé, nourri du suc des poëtes, et qui, sous ce titre : la Vie et le Rêve 49, a recueilli des impressions légères ou touchantes, des esquisses de voyage, des lettres en vers, tout un album, image des goûts et des sentiments les plus délicats ?
Après s’être fait d’abord tout grec et tout latin, on s’est jeté ensuite dans un excès opposé, et chez nous, par exemple, on était venu à tout franciser, sentiments et costume : les érudits eux-mêmes, comme l’abbé Barthélemy, trouvaient moyen de placer leur Chanteloup dans le pèlerinage d’Athènes. […] Mais nul ne fit plus alors pour ce renouvellement et, en quelque sorte, cette création moderne du sentiment antique que l’illustre auteur du Génie du Christianisme ; aucun de nos écrivains, depuis Fénelon, n’avait eu à ce degré l’intelligence vive du génie grec, et si Fénelon en avait goûté et rendu surtout les grâces simples et l’attique négligence, il était réservé à notre glorieux contemporain d’en exprimer plutôt les lignes grandioses et la sublimité primitive. […] Cependant, au milieu de ces développements pleins d’éclat et de cette restitution opérée dans les dehors de la littérature, il restait beaucoup à faire au dedans pour les études positives, et chez un grand nombre d’esprits, comme il arrive si souvent en France, le sentiment allait plus vite que la connaissance et le labeur. […] Mais en même temps que cette force intérieure s’est redoublée et que, dans les directions diverses, on poursuit des travaux curieux et profonds, le sentiment littéraire des beautés, faut-il le dire ?
Leçon d’ouverture du Cours d’éloquence française faite à l’Université de Paris le samedi 9 janvier 1904 (Extraits) … Je voudrais aujourd’hui, Messieurs, donnant congé à Voltaire, vous dire pourquoi je ne puis espérer de remplacer Larroumet qu’en le continuant ; je voudrais, non pas par formalité ni pour satisfaire à une tradition de politesse universitaire, mais par un sentiment profond de sa valeur et de son rôle, vous entretenir de ce professeur à qui vous avez donné si longtemps, et jusqu’au bout, toutes vos sympathies. […] Il discutait régulièrement toutes les opinions, rejetant avec liberté ce qu’il avait des raisons de rejeter, content chaque fois qu’il pouvait constater la conformité de son sentiment personnel avec une tradition collective ou avec le sentiment d’un autre esprit individuel. […] Il leur donna le sentiment de la beauté littéraire et de la vertu morale qu’elle recèle souvent. « Il nous formait à la précision et à la simplicité ; il nous donnait le goût du style net et franc, la haine de l’emphatique et du tortillé. » M.
Rien de si naturel que ce sentiment et la réflexion qui le suit. […] Après le sentiment de la douleur physique, vient celui de l’injustice qui lui fait subir un pareil traitement ; et puis l’indignation contre l’ingratitude ; enfin l’amour-propre a son tour. […] L’amour, dans des mœurs simples, n’est composé que de lui-même, ne peut être payé que par lui, s’offense de ce qui n’est pas lui ; mais dans des mœurs raffinées, c’est-à-dire, corrompues, ce sentiment laisse entrer dans sa composition une foule d’accessoires qui lui sont étrangers. […] Nous avons, contre l’usage, adopté le sentiment de l’académie pour l’orthographe de ce mot, appuyés aussi sur son origine, eremus, désert.
Avec une expression incomparable, Lamartine ne s’adressait qu’à l’âme humaine, dans ses sentiments primitifs et éternels. […] tous les sentiments de l’âme humaine, épanouis ou concentrés dans sa personne… Il chanta et pleura, et il fit de l’Élégie — car les classificateurs l’auraient appelé un élégiaque — quelque chose de si splendide et de si grandiose, qu’un poète épique, impossible, dit-on, en France, y aurait paru et s’y serait emparé subitement de l’imagination française, qu’il n’aurait pas produit d’effet plus grand ! […] Les reproches que l’Histoire fera à Lamartine seront, pour la postérité, — oublieuse des fautes politiques parce que la politique est chose de passage, — noyés dans le sentiment de ses œuvres, qui donneront toujours à ceux qui les liront un bonheur qu’aucune forme de gouvernement ne peut donner, et elles ne feront pas plus de bruit, à quelques siècles de distance, que les gouttelettes d’eau des avirons soulevés quand la barque touche au rivage ! […] J’ai dit la pensée et les sentiments de ce livre : en voici maintenant le talent.
Mais Madame Bovary est un roman de mœurs, et de mœurs actuelles, et, bien que le sentiment s’y montre horriblement abaissé sous les corruptions qui envahissent une âme faible et qui finissent par la putréfier, c’est du cœur d’une femme qu’il y est question, et l’imagination s’attend à autre chose qu’à une main de chirurgien, impassible et hardie, qui rappelle celle de Dupuytren, fouillant le cœur de son Polonais, quand il lui eut rejeté la tablette de la poitrine sur la figure, dans la plus étonnante de ses opérations… M. […] La Madame Bovary du roman manque du sentiment maternel, et c’est un des caractères de son type. […] Ce n’est pas un roman, comme nous en faisons toujours dans la première partie de notre vie, car le roman étant le plus souvent de l’observation personnelle appliquée aux choses de sentiment, nous voulons tous avoir plus ou moins l’expérience des choses du cœur. […] Son style a, comme son observation, le sentiment le plus étonnant du détail, mais de ce détail menu, imperceptible, que tout le monde oublie, et qu’il aperçoit, lui, par une singulière conformation microscopique de son œil.