Rivarol disait, avec la belle voix d’or de son esprit : « La grandeur de nos facultés dépend de Dieu, mais de nous dépend leur harmonie. » Quel que soit donc celui des trois systèmes sur la nature humaine que l’on adopte, il est d’observation indéniable qu’il y a au fond de nous-mêmes une tendance prononcée à nous croire le centre de tout, à ne juger les choses que par rapport à nous, à traverser incessamment et dans tous les sens le plan de l’ordre avec mépris, et même les armes à la main. […] Mais, au lieu d’être madame d’Alonville et d’avoir le sens des petites choses, elle aurait pu être une madame de Créqui, par exemple, et avoir le sens des plus grandes, s’il l’avait voulu et s’était moins perdu dans les vagues aspirations de son temps.
Ils ont cru qu’elle datait de la Régence et de ses libertinages d’esprit et de sens, du règne de Louis XV qui la surpassa en cette double espèce de libertinage, et surtout de cette Philosophie — autre libertinage aussi mais dans l’ordre de la pensée — qui acheva l’œuvre de destruction commencée, et donna, de sa plume, le coup de balai final ! […] croyez-le bien, la sagacité des hommes n’est pas plus grande quand il s’agit du passé que quand il s’agit de l’avenir, et, dans tous les sens, leur vue est courte… Mais puisque après toutes les histoires sur la Révolution française, et Dieu sait s’il y en a eu déjà et s’il y en aura encore ! […] Il n’est pas douteux pour qui que ce soit que si cet historien avait vécu dans la mêlée du temps qu’il raconte, il n’eût parlé, écrit, agi, dans la mesure de sa force, qui n’est pas grande, il est vrai, mais dans le sens de tous ceux-là dont il nous répète les observations, les opinions et les maximes.
Par exemple, il se trompe complètement sur les commencements de Beaumarchais, mais il le reconnaît : « J’ai été bête », dit-il simplement, « ce qui prouve l’enfant », ajoute son éditeur, lequel a toujours le chansonnier à califourchon sur le nez, mais ce qui, à mon sens, prouve l’homme ! […] Sans doute, il y a dans ce volume d’autres conseils, d’autres enseignements, marqués, tous, soit au coin du goût littéraire soit à celui de l’observation humaine, du sens réel et positif, mais le fond de l’enseignement de Collé c’est la flatterie, la flatterie sur le plus grand pied, infatigable, continue, multiple, perpétuelle ! […] Collé est un Mentor aimable et un Machiavel sans inconvénient, mais parce qu’il donne ses leçons de séduction le rire de Démocrite aux lèvres il n’en est pas moins un moraliste dans le sens le plus réfléchi et le plus méprisant du mot.
Versé dans la connaissance de cinq langues et de cinq littératures en dehors de la langue et de la littérature maternelles ; d’un autre côté, helléniste à la manière des Boissonade et des Hase, ayant prouvé par des publications de manuscrits qu’il a vécu longtemps avec les philologues et les paléontographes, il a pu aiguiser son sens esthétique sur plus d’un chef-d’œuvre. […] Dans le poème dont il a commencé la traduction, et qui, nous le reconnaissons, est un travail cyclopéen de philologie et de difficulté d’expression, il n’a pas su distinguer ce qui appartenait à l’esprit hindou de ce qui ne lui appartenait pas, et, cette distinction faite, combien il restait peu à Valmiki de puissance réelle, de sens des choses de l’âme, de vrai génie ! […] de passage pareil, pour l’émotion, la main plongée au cœur, le secret de la passion, l’empire enfin sur la sensibilité humaine, vous n’en trouverez pas dans tout le long poème de Valmiki, lequel peut bien être un mystagogue, un fakir, un thériaki, tout ce qu’il y a de plus prisé et de plus estimé aux Indes, mais qui n’est pas un poète, du moins dans le sens inspiré que les hommes, depuis qu’on chante leur bonheur, leur gloire et leur misère, ont donné à ce titre-là.
Le talent a très peu orné son histoire ; l’opinion qui y interprète les événements et veut y marquer le sens des choses et des hommes est ce qu’on peut nommer, en ce moment, l’opinion parlementaire éplorée, et la passion qui se sert de cette histoire… n’est pas l’amour des institutions actuelles de la France. […] Ce n’est pas en ce sens qu’il a été dit aux vaincus que le salut pour eux était de n’espérer aucun salut. […] III Ainsi, de l’histoire, non pour le noble plaisir désintéressé d’écrire de l’histoire et d’en faire briller les leçons, mais de l’histoire dans un but de comparaison malhonnête pour notre pays, voilà le sens de ce livre intitulé l’Angleterre au xviiie siècle !
l’écrivain dénué de sens moral qui, dans sa jeunesse composait un volume où l’on a remarqué surtout les situations scabreuses ? […] L’acuité du sens critique, le détestable et dissolvant esprit d’analyse l’enveloppent de façon qu’il ne peut plus éprouver ni sensation ni sentiment. […] Son audace montre « combien l’esprit qui l’anime est favorable aux essais, aux tentatives dans les sens les plus divers ». […] Par un effet assimilable à celui de la loi physique qui veut que l’atrophie d’un de nos sens suractive le développement du sens le plus proche, l’inertie des facultés créatrices dans son cerveau devait l’obliger fatalement de suppléer à cette défaillance, et elle contribua, sans aucun doute, à aiguiser sa puissance d’observation. […] et l’hypothèse n’est-elle pas inadmissible de huit ou dix volumes, composés de phrases plus ou moins harmonieuses, mais absolument dénuées de sens ?
(Entendez « sauver » dans un sens mystique. ) — Ce serait tant pis pour lui, réplique le médecin. […] ou mon œil vaut tous mes sens à la fois ! […] C’est que la pièce n’a aucun sens, ou, pour parler plus exactement (car combien de très jolis vaudevilles n’ont aucun sens ! […] Taine, mais parce que je le sens et que tout mon cœur se soulève contre cet esprit-là. […] que les hommes sont bons », et aussi, dans un autre sens : « Mon Dieu !
Un troisième caractère en dérive, ou s’en compose, explique les autres et s’explique par eux, qui est qu’en même temps que du désir de plaire, toutes ces œuvres sont animées de l’ambition d’instruire, didactiques ou morales, dans le sens élevé, dans le sens large de l’un et l’autre de ces deux mots. […] Peut-on dire que les idées de Pascal ou celles de Bossuet, par exemple, fussent « dans le sens du mouvement général de l’Europe » ? […] II] ; — de Boileau [Réflexions sur Longin, VII]. — L’influence de Balzac, presque contemporaine de celle de Malherbe, a été bien plus considérable ; — et en un certain sens plus heureuse, comme n’ayant rien dû détruire pour trouver à s’exercer. — Qu’elle a d’ailleurs agi dans le même sens ; — et qu’ils ont bien pu médire l’un de l’autre ; — mais ils ont eu mêmes disciples et même admirateurs. […] I]. — Premiers travaux de l’Académie ; — services généraux rendus par l’Académie française ; — et dans quel sens on peut dire qu’elle a vraiment fixé la langue. […] Cousin, Études sur Pascal ; et en sens opposé, Droz, Étude sur le scepticisme de Pascal, p. 18 et suiv.], — et, à ce propos, de la quantité d’idées fausses que V.
Si Marivaux admire médiocrement les anciens, il admire fort en revanche son contemporain La Motte, homme d’infiniment d’esprit, mais qui était, en quelque sorte, privé de plusieurs sens. […] Ici il y a une véritable erreur à mon sens, et que tout l’esprit de Marivaux ne saurait masquer. […] C’est en ce sens qu’il y a vraiment des grands hommes, toujours rares, toujours possibles, reconnus et salués bientôt (malgré les contradictions) quand ils apparaissent. […] Nul ne sait aussi bien que Marivaux le monde de l’amour-propre ; il en a fait le tour et l’a traversé dans tous les sens, et, remplissant la maxime de La Rochefoucauld, il y a peut-être découvert quelques terres inconnues. […] Quand il a une vue, il la dédouble, il la divise à l’infini, il s’y perd et nous lasse nous-mêmes en s’y épuisant : « Un portrait détaillé, selon lui, c’est un ouvrage sans fin. » On voit à quel point il procède à l’inverse des anciens, qui se tenaient dans la grande ligne, dans le portrait fait pour être vu à quelque distance, et combien il abonde dans le sens et l’excès moderne, dans l’usage du scalpel et du microscope.
Burlamaqui, en découvrant à Saint-Martin les bases naturelles de la raison et de la justice dans l’homme, pourrait toutefois s’étonner d’avoir été un initiateur dans le sens particulier dont il s’agit ici. […] Il n’en tenait compte : « Les femmes même les plus honnêtes, dit-il, n’ont pas pu deviner ce que c’était que mon cœur ; voilà pourquoi elles n’ont pas pu se l’approprier. » Et il en donnait pour raison que ce cœur était « né sujet du royaume évangélique » ; et sur ces cœurs-là les sens ni la tête n’y peuvent rien ; il ne leur faut que le pur amour. […] On ne pouvait être moins propre à l’état militaire que ne l’était Saint-Martin : « J’ai reçu de la nature, disait-il, trop peu de physique pour avoir la bravoure des sens. — J’abhorre la guerre, j’adore la mort. » En restant quelque temps au service, il faisait le plus grand sacrifice aux volontés de son père. […] Quand ses pensées viennent bien, c’est élevé, distingué et fin ; ce n’est point au sens commun qu’il vise, c’est au sens distingué ; c’est celui-là seul qui convient à ses inclinations et à la mesure qui lui a été donnée : J’ai vu que les hommes étaient étonnés de mourir et qu’ils n’étaient point étonnés de naître : c’est là cependant ce qui mériterait le plus leur surprise et leur admiration. […] [NdA] Ainsi encore, il a lu dans un Discours sur les ordres sacrés, de Godeau, évêque de Vence, que la première division des temples, celle qui contenait l’autel, s’appelait βῆμα : « Ce nom Béma, dit-il aussitôt, sonne trop bien à mon oreille par ses rapports avec mon chérissime Boehm, pour que je ne m’expose pas au ridicule d’en faire la remarque. » Si ce n’est qu’une rencontre fortuite et une assonance qu’il prend plaisir à noter à la façon des poètes et rimeurs, il n’y a rien à dire, mais je crains qu’il n’y ait vu des sens profonds.