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1166. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIe entretien. Biographie de Voltaire »

Elle tenait du roman par les aventures, de la conversation par la vivacité, de la critique par la clarté, de la comédie par les caractères, de l’érudition par la science des événements et des textes, de la philosophie par la haute moralité des conclusions et par le mépris pour les sottises humaines. […] La composition de tragédies, de comédies, de romans philosophiques, tels que Candide, Zadig, et d’épîtres, de satires, de contes plus chastes et plus spirituels que ceux de Boccace et de La Fontaine, enfin une correspondance immense et qui s’étendait à tous les sujets et à toute l’Europe, remplissaient les jours et les nuits de travail, d’amusements, de bruit, d’amitié et de félicité. […] Tout ce qu’il y a de plus immortel en lui, comme talent et comme caractère, date de Ferney, à l’exception de Zaïre et de Mérope ; mais le Siècle de Louis XIV, le Dictionnaire philosophique, l’Essai sur l’histoire et sur les mœurs des nations, cette véritable histoire universelle en fragments retrouvés sous des ruines, l’Orphelin de la Chine, Tancrède, les romans philosophiques, les contes en prose et en vers, les articles improvisés pour l’Encyclopédie, les épîtres horatiennes, les satires légères sans modèle dans l’antiquité, les stances reposées comme une eau limpide dans une coupe d’or, les lettres familières, où le vers accidentel se mêle involontairement à la prose comme l’écume pétillante au vin généreux sur les bords du verre, les Commentaires sur Corneille et Racine, la Correspondance enfin, cette véritable encyclopédie du cœur, de l’âme, de l’esprit, du bon sens, de l’amitié, du charme, des passions de ce grand homme universel, tout cela date du bord du Léman, tout cela est le fruit de ce qu’on appelle la caducité dans les hommes vulgaires.

1167. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre IV. Le Séminaire d’Issy (1881) »

Gottofrey un roman secret, quelque erreur héroïque sur l’amour. […] Le Comte de Valmont ou les Égarements de la Raison est un roman de l’abbé Gérard, où, sous le couvert d’une intrigue des plus innocentes, l’auteur réfute les doctrines du xviiie  siècle et inculque les principes d’une religion éclairée. […] L’abbé Gérard ne voulait pas qu’on appelât ce livre un roman.

1168. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — IV. La Poësie dramatique. » pp. 354-420

Mais l’amour qu’il veut bien tolérer au théâtre, est un amour peint de ses propres couleurs & non du faux coloris de nos opéra, de nos romans & de la plupart de nos tragédies modernes ; un amour accompagné de tous ses effets tragiques, du trouble, du crime, des remords, de l’état le plus affreux & le plus capable de guérir de cette passion. […] Nos comédies deviendront toutes des romans dialogués : on abandonnera l’ancien goût, par la facilité & l’abondance du nouveau. […] Nanine fait la même sensation au théâtre, que Pamela dans le roman de son nom.

1169. (1856) Mémoires du duc de Saint-Simon pp. 5-63

« Escalona, mais qui plus ordinairement portait le nom de Villena, était la vertu, l’honneur, la probité, la foi, la loyauté, la valeur, la piété, l’ancienne chevalerie même, je dis celle de l’illustre Bayard, non pas celle des romans et des romanesques. […] Le jeune homme pousse en avant avec la verve d’un poète qui conçoit un roman et sur-le-champ passe la nuit à l’écrire. […] Balzac courait comme lui après des romans pratiques ou non pratiques.

1170. (1856) À travers la critique. Figaro pp. 4-2

La littérature a les siens, mais ils sont d’une autre sorte, et le plus glorieux de tous, celui qui use sur le macadam des frivolités présentes un sabot fait pour courir peut-être sur le grand chemin de la postérité, n’est-ce pas cet Alcide du roman qui semble avoir une plume fixée au bout de chacun de ses dix doigts ? […] Les acteurs de son roman de Belle-Rose sont les personnages des Mousquetaires découpés aux ciseaux ; mais il a fourni le verre. […] La Revue des Deux-Mondes a fini par accepter le jeune écrivain ; seulement, après y être entré par la grande porte, avec deux romans médiocres, il a tâté son talent et s’est rendu justice. […] Le Coq et Théodore Pavie : mais enfin, je trouve ces messieurs médiocrement gais ; et d’ailleurs, charabia pour charabia, à quoi bon courir bien loin, à la recherche du style Hindou, lorsqu’on a sous la main le pur auvergnat du Filleul du Roi, un roman feuilleté par M. le vicomte Ponson du Terrail, et des phrases comme celles-ci : « Une agitation pleine de mystère, et que nous appellerions volontiers silencieuse, régnait au palais du Roi. » Puis vient l’héroïne du roman, qui scelle une lettre de ses larmes. […] About, que Guillery, — en sa qualité d’amoureux de toutes les femmes, — est un « Alcide… Tousez. » Voyez jusqu’où la lecture d’un roman de l’Indépendance peut conduire un homme d’esprit !

1171. (1826) Mélanges littéraires pp. 1-457

Dans ces derniers temps, le catholicisme apporté à Londres, par les prêtres exilés de France, se montre aux Anglais précisément comme dans leurs romans, à travers le charme des ruines et la puissance des souvenirs. […] Il va jusqu’à excuser la bassesse de quelques-uns des caractères du tragique anglais, par cette ingénieuse comparaison : « Dans ces cas-là, dit-il, son génie est comme un héros de roman déguisé sous l’habit d’un berger : une certaine grandeur perce de temps en temps, et révèle une plus haute extraction et de plus puissantes destinées. » MM.  […] Je ne sais d’ailleurs s’il était bien versé dans la connaissance de la langue grecque et dans l’étude des belles-lettres ; il ne paraît pas au moins en faire assez de cas. » C’est en effet à l’ouvrage de Locke sur l’éducation qu’on peut faire remonter la date de ces opinions systématiques, qui tendent à faire de tous les enfants des héros de roman ou de philosophie. […] On peut trouver plusieurs causes du succès prodigieux des romans, pendant ces dernières années : il y en a une principale, indépendante du goût et des mœurs. […] Mais l’esprit humain tourne sans cesse dans le même cercle, et les romans nous ramèneront aux ouvrages sérieux, comme les ouvrages sérieux nous ont conduits aux romans.

1172. (1914) En lisant Molière. L’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

On sait que Psyché est tirée du roman de La Fontaine donné l’année précédente, roman que La Fontaine avait tiré lui-même d’Apulée. Le roman de La Fontaine, « aimable, quoique beaucoup trop allongé », comme dit très bien Voltaire, a des grâces naïves qui laissent bien loin derrière elles la sécheresse d’Apulée. […] Que de jeunes hommes lecteurs de roman ont cru que la déclaration est un rite, dont on ne peut pas se dispenser ! Voyez le programme du parfait amant tracé par Magdelon, grande lectrice des romans du temps, dans les Précieuses ridicules : « Il faut que la recherche soit dans les formes. […] Dans certains romans modernes, à mesure qu’une femme s’aperçoit que celui qu’elle aime devient davantage un coquin, elle l’aime aussi davantage.

1173. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — II » pp. 112-130

Il nous apprend qu’on lui faisait l’honneur de dire de lui « que comme don Quichotte avait eu la tête tournée par la lecture des romans, il lui était arrivé la même chose par celle de Plutarque. » Il n’est que bizarre, et il montre plus de bonhomie que de tact et de goût (de ce goût qu’avait si fort son ami Voltaire, et qui est avant tout sensible au ridicule), lorsqu’il écrit de lui-même à la date de juin 1743, environ un an avant de devenir ministre : Je me sens doux et sévère, je tiens beaucoup de Paméla et de Marcus Porcius Caton. Le roman de Paméla, traduit en français, était alors dans sa nouveauté.

1174. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine »

Il y a bien de la grandeur dans son volume de 1820 ; il est merveilleusement composé sans le paraître ; le roman s’y glisse dans les intervalles de la religion ; l’Élégie éplorée y soupire près du Cantique déjà éblouissant. […] Le roman n’a pas disparu, la nacelle flotte toujours ; mais nous sommes à Ischia, mais ce n’est plus le nom d’Elvire que la brise murmure.

1175. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. CHARLES MAGNIN (Causeries et Méditations historiques et littéraires.) » pp. 387-414

Ou bien c’est le roman qui nous séduit et nous appelle ; on veut se loger dans les plus tendres cœurs et être lu des plus beaux yeux. […] Marmontel n’est compromis aujourd’hui, dans sa renommée littéraire, que par ses ouvrages de poésie, de théâtre, par ses contes et ses romans ; s’il n’avait laissé que sa critique, il serait un nom des plus respectés.

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