Des fenêtres du salon le regard descend d’abord sur un petit parterre entouré d’un mur à hauteur d’appui, planté de légumes domestiques et d’arbres fruitiers, plus animé, selon moi, que des pelouses monotones et des fleurs stériles ; de là le regard s’étend sur une prairie en pente bordée d’immenses noyers, ces oliviers gigantesques du Nord, qui distillent une huile moins limpide, mais plus parfumée que celle de l’Attique. […] Du haut de ses rochers il a le regard de l’aigle ; il voit plus loin que le vulgaire, mais il ne voit pas toujours vrai. […] Cet écrivain qui embrassait le monde d’un regard ne pouvait se résigner à l’étroitesse d’horizon d’une petite cour insulaire sur un écueil de la Méditerranée, peuplé d’habitants presque sauvages.
Cette ravissante tête de femme, égale aux plus gracieuses figures antiques du musée du Vatican, frappa du même rayon le regard déjà refroidi de M. de Chateaubriand. […] Nous nous souvenons de quelque chose de semblable à cette amitié vigilante et habile pour un vieillard jadis aimé, quand Saint-Évremond, qui avait suivi à Londres la belle duchesse de Mazarin (Hortense Mancini), trouvait à quatre-vingt-dix ans auprès d’elle un visage d’ange, une humeur d’enfant, des soins de sœur, des attentions de fille, et qu’il passait sous les beaux regards d’Hortense de la vie à la mort avec les illusions de l’amour et les réalités de l’amitié. […] Presque tous les amis de madame Récamier entrèrent, en effet, successivement à l’Académie ; ce n’était pas qu’elle en ouvrît les portes, mais c’est que l’élite des bons et grands esprits aimables était attirée tour à tour par le charme grave de son salon ; ils croyaient se consacrer aux regards de la postérité en illuminant leurs fronts d’un rayon du front olympien de M. de Chateaubriand. […] Puis M. de Chateaubriand mourut lui-même sous les yeux de madame Récamier et en tournant vers elle ses derniers regards.
Tous les jours, quand je passe triste devant cette place vide des Champs-Élysées, où fut sa maison, plus semblable à un temple démoli par la mort, je pâlis, et mes regards s’élèvent en haut. […] Il me jeta un regard vif, pressé, gracieux, d’une extrême bienveillance. […] Cette parlante figure, dont on ne pouvait détacher ses regards, vous charmait et vous fascinait tout entier. […] Honoré combattit éloquemment les puissantes raisons qu’on lui donnait, et ses regards, ses paroles, son accent, révélaient une telle vocation que mon père lui accorda deux ans pour faire ses preuves de talent.
Qu’avec cette abondance sans superflu, cet éclat sans faux brillants, tant de traits hardis, de figures vives et naturelles, tant d’art pour attirer l’imagination aux subtilités de la théologie ; qu’avec d’éminentes qualités extérieures, une physionomie noble, un regard doux et perçant, un accent passionné, un geste imposant, Bossuet, à l’apparition de Bourdaloue, ait cessé de passer pour le premier prédicateur, comment l’expliquer, sinon parce que le génie de Bourdaloue le tenait plus près de l’auditoire et que Bossuet lui parlait de trop haut ? […] Il n’y a d’évanoui que le geste ; le regard brille encore derrière tant d’expressions ou touchantes ou véhémentes, et si le son de la voix n’arrive pas à mes oreilles, l’accent pénètre jusqu’à mon cœur. […] Il semble qu’il n’ait pas osé élever ses regards jusqu’à elles, et qu’il n’ait pas cru permis au chrétien de s’en faire des images trop sensibles. […] Qui sait même si ces premiers regards de la gloire, dont Vauvenargues compare la douceur à celle des premiers rayons de l’aurore, ne sont pas le premier coup d’œil que jeta Voltaire étonné et charmé sur les Réflexions critiques du jeune écrivain ?
C’est ainsi que l’endroit frappait le regard, le 9 juin, à l’ombre. […] Le volume imprimé évoque des figures, des scènes entières devant les regards de l’illustrateur et c’est par centaines qu’on nommerait ceux qui de nos jours ont excellé à traduire par des lignes ou des couleurs la pensée ou les rêves d’autrui. […] Changement de couleurs aussi dans les tentures : on n’aime plus que les nuances tendres : le mauve, le vert d’eau, le jaune soufre, le rose passé plaisent aux regards raffinés par la délicatesse de leurs teintes. […] Pendant que la mère s’étale avec éclat et fracas, la fille, malgré des succès qui la désignent aux regards, apparaît modeste, vêtue de blanc, le front grave, l’air inspiré, tenant le milieu entre l’ange et la muse.
Samedi 22 août Ce matin, l’embarcadère de Giessbach s’offrait aux regards, comme le plus charmant tableau de genre, comme un tableau digne de la touche spirituelle de Knaus. […] Elles formaient un cercle de femmes, se regardant avec des regards vagues, et un peu exaltés, — les regards qu’elles ont à l’église. […] C’était une créature blonde et bovine, avec des tons d’ambre dans le lait de sa chair, des sourcils fauves, de longs cils roux, faisant comme un battement d’ailes de guêpes, au-dessus de la pâmoison de son regard.
Leur intelligence voit les choses de plus haut et de plus loin, avec plus de détachement ; pour eux, il n’y a plus à mériter le regard que ce qui est vraiment beau et bon : Orages, passions, taisez-vous dans mon âme ; Jamais si près de Dieu mon œil n’a pénétré. […] S’il y a une manière légitime de s’occuper de soi, de s’analyser, de se livrer aux regards d’autrui, il y en a une illégitime. […] Prendre ainsi le moi pour centre et pour but, c’est méconnaître, somme toute, sa réelle grandeur ; y borner son regard, c’est enfermer la pensée et l’existence dans un cerveau humain, c’est oublier que la loi fondamentale des êtres et des esprits est un perpétuel rayonnement. « Connais-toi toi-même », dit l’antique sagesse ; oui, car se connaître, c’est s’expliquer à soi-même, par conséquent comprendre aussi les autres et se rapprocher d’eux ; le seul moyen que nous ayons de voir, c’est assurément de recourir à nos propres yeux et à notre propre conscience : nous sommes nous-mêmes notre flambeau, et nous ne pouvons que veiller à ce que tout serve en nous à alimenter la petite flamme qui éclaire le reste. […] Puisqu’ils doivent mourir, les êtres seront tout entiers dans leur regard, dans leur sourire, dans une simple parole, signes fuyants qui ne se reproduiront pas.
Que l’on considère qu’en l’un de ces livres, vingt ans de l’histoire de l’Europe figurent, vingt années qui sont tout le sanglant accouchement du monde moderne, que pour ce temps rendu par ses événements et ses personnages marquants, l’auteur entreprend de décrire toute l’existence sociale de sa nation, des paysans au czar, des enfants aux vieilles femmes, des jeunes filles aux soldats, qu’on y trouve le bivouac, le champ de bataille, la cour, le club, la famille, la hutte, le palais, les masses, les armées, les conseils, les sommités pensantes et isolées, les mariages, les adultères, les naissances, la vie surtout, la lente évolution de tous ces corps mous de jeunesse, s’endurcissant en l’âge mur, faiblissant de décrépitude, de toutes ces âmes légères, puis sérieuses, puis ternies et vacillantes, jusqu’à ce que vienne, tôt ou à son heure, sur la terre nue ou sur la douceur d’une couche, le terme suprême, la mort, ce mystérieux moment où, en dépit de l’horreur distraite des vivants, certains êtres existants comme ceux qui les contemplent, cessent étrangement d’être, problème et spectacle sur lequel aucun romancier n’a fixé un plus ferme et pénétrant regard que le comte Tolstoï. […] Il décrit l’influence du séjour d’un beau cavalier dans le château des Bolkonsky sur la sœur recluse, laide et pure du prince André, ou l’émoi profond dans lequel la présence de cet homme à bonnes fortunes jette Natacha fiancée, mais délaissée et tendue à se briser dans l’impuissant désir de son fiancé absent ; le romancier marque la bizarre jouissance de Nicolas Rostow, ruiné au jeu, rentrant dans le salon de sa famille et entendant sa sœur chanter une note particulièrement claire ; toujours est révélée la merveilleuse faculté de l’âme humaine à se prêter aux formes que lui imposent les variations de son ambiance ; en de plus hautes conjonctures, c’est le prince André, dangereusement blessé à Austerlitz, et qui, tombant, distingue de son regard distrait des férocités humaines la profondeur de l’inaltérable ciel bleu, développant sa silencieuse voûte au-dessus du fracas fumeux de la canonnade dans la haute paix de l’infini ; c’est le prince Pierre résolu à assassiner. […] Et que l’on mette en regard de ces personnages douteux toute la masse des hommes et des femmes qui peuplent les grands romans de Tolstoï ; que l’on se rappelle cet ensemble de physionomies gracieuses, mâles, vieillottes, vénérables, nobles ou basses, du capitaine, Timokhine à Sonia, du colonel Berg à la princesse Bolkonsky, que l’on énumère Karénine, Drone Dologhof, le prince Basile, la princesse Hélène, qu’on les mette en regard des types usuels de la jeune fille, de l’officier, de la femme corrompue, de l’intendant, du joueur, du fonctionnaire, tels que les aurait conçus par exemple Victor Hugo, et que l’on ressaisisse du même coup la différence de deux arts, et celle qui sépare un être véritablement existant à part lui, d’une personnification fictive de catégorie qui n’a en somme d’autre titre à la vie que le mot même qui la désigne. […] Sur la foule de nos frères et de nos ennemis, Tolstoï a attaché le regard limpide et tranquille le plus aigûment pénétrant qu’ils aient souffert, et y portant ses larges et calmes mains, il a jeté dans son œuvre le groupe d’êtres d’âmes et de chairs dont elles étaient pleines, un morceau de création soustrait en sa forme mentale à la ruine du transitoire, tel quel, moite encore de la vie surprise, mou, ductile, coloré et bruissant ; tendrement saisie, conservée toute comme le commandait son prix, et laissée emmêlée comme le commandait sa mollesse, cette pêche miraculeuse d’êtres vivants a déterminé la beauté même et la forme de l’œuvre dans laquelle expire leur souple animation.
Quand le soleil se lève et quand son disque, suspendu un moment au-dessus des Alpes, éblouit le premier regard du voyageur matinal, le soleil paraît un million de fois plus étincelant qu’à midi, quand sa pluie de lumière s’infiltre jusqu’au fond des gorges les plus ténébreuses et noie tout un hémisphère dans un océan uniforme de clarté. […] Je voyais le monde et l’Italie du même premier regard ; je savourais l’air respirable et l’air d’Italie de la même première aspiration. […] Je sortais des livres, et je ne voyais, dans tout ce qui frappait mes regards, qu’un autre grand livre vivant à lire. […] XXVI Un monument plus élevé et plus vaste que les autres attirait depuis quelques instants mes regards à droite vers le centre de l’église.
Qu’a donc à désirer de plus ce Marans ainsi décrit, mis en regard des sites du dehors les plus consacrés et les plus célèbres ? […] je dis pour votre regard.