Quand les difficultés des premiers pas sont vaincues, il se forme à l’instant deux partis sur une même réputation ; non, parce qu’il y a deux manières de la juger, mais parce que l’ambition parle pour ou contre : celui qui veut être l’adversaire des grands succès reste passif, tant que dure leur éclat, et c’est pendant ce temps, au contraire, que les amis ne cessent d’agir en votre faveur ; ils arrivent déjà fatigués à l’époque du malheur, lorsqu’il suffit au public du mobile seul de la curiosité, pour se lasser des mêmes éloges ; les ennemis paraissent avec des armes toutes nouvelles, tandis que les amis ont émoussé les leurs, en les faisant inutilement briller autour du char de triomphe. […] En étudiant le petit nombre d’exceptions à l’inconstance de la faveur publique, on est étonné de voir que c’est à des circonstances, et jamais au talent seul, qu’on doit les rapporter. […] Les événements du hasard, ceux qu’aucune des puissances de la pensée ne peuvent soumettre, sont cependant placés, par la voix publique, sur la responsabilité du génie. […] Le public se plaît à donner à celui qui possède ; et, comme ce sultan des Arabes, qui s’éloignait d’un ami poursuivi par l’infortune, parce qu’il craignait la contagion de la fatalité ; les revers éloignent les ambitieux, les faibles, les indifférents, tous ceux enfin qui trouvent, avec quelque raison, que l’éclat de la gloire doit frapper involontairement ; que c’est à elle à commander le tribut qu’elle demande ; que la gloire se compose des dons de la nature et du hasard, et que personne n’ayant le besoin d’admirer ; celui qui veut ce sentiment ne l’obtient point de la volonté, mais de la surprise, et le doit aux résultats du talent, bien plus qu’à la propre valeur de ce talent même. […] n’est plus un bonheur accordé à celui que la passion de la gloire a dominé longtemps ; ce n’est pas que son âme soit endurcie, mais elle est trop vaste pour être remplie par un seul objet ; d’ailleurs, les réflexions que l’on est conduit à faire sur les hommes en général, lorsqu’on entretient avec eux des rapports publics, rendent impossible la sorte d’illusion qu’il faut, pour voir un individu à une distance infinie de tous les autres : loin aussi que de grandes pertes attachent au genre de bien qu’il reste, elles affranchissent de tout à la fois ; on ne se supporte que dans une indépendance absolue, qui n’établit aucun point de comparaison entre le présent et le passé.
Si nous eussions intitulé le nôtre Cours de littérature ou Manuel de style, le public ne l’eût pas ouvert et l’eût confondu avec les nombreux traités similaires, discrédités depuis longtemps. […] Nous relevons du public et de la critique, et ni M. X… ni moi ne sommes tout le public et toute la critique. […] Revue de l’instruction publique. […] Revue de l’instruction publique.
» Lorsqu’il s’agit d’un philosophe du dix-septième siècle, il se croit dans son domaine : il revendique l’homme ; grand ou petit, exhumé par lui ou exhumé par d’autres, il veut à toute force le présenter au public. […] Le public compta les piqûres et jugea que la province littéraire disputée était assez grande pour recevoir deux habitants. […] Ont-elles péri, ou n’ont-elles fait que s’égarer entre des mains qui les retiennent au détriment du public ? […] André a écrit la vie et rassemblé la correspondance de Malebranche, mais que cet écrit égaré est maintenant retenu en des mains inconnues, il s’indigne contre l’enfouisseur et le somme de restituer son trésor : Avant de quitter cet important sujet, nous voulons adresser encore une fois avec toute la force qui est en nous, notre publique et instante réclamation à celui qui possède encore aujourd’hui les matériaux de ce grand ouvrage. […] Tout ce qui se rapporte à un homme de génie n’est pas la propriété d’un seul homme, mais le patrimoine de l’humanité… Retenir, altérer, détruire la correspondance d’un tel personnage, c’est dérober le public, et, à quelque parti qu’on appartienne, c’est soulever contre soi les honnêtes gens de tous les partis.
Si, dans les actes publics, le roi semble accepter franchement quelques-unes des conditions de la société nouvelle, Monsieur s’empresse de rassurer ses amis plus impatients et qui réclament l’Ancien Régime tout pur : « Jouissons du présent, Messieurs, leur dit-il, je vous réponds de l’avenir. » Chaque ministre fonctionne à part sans s’inquiéter de ses collègues, sans se concerter avec eux. […] L’esprit public est choqué, à tout instant, par des mesures dont ceux même qui les ont prises n’ont point calculé ni soupçonné l’effet. […] L’impression du public fut si forte contre ces deux ordonnances qu’elles restèrent sans exécution. Dès la fin de l’année 1814, nous dit M. de Viel-Castel, dont l’opinion compte d’autant plus qu’il ne se montre point favorable au régime impérial antérieur, il était évident pour tout le monde que les gouvernants n’étaient pas en accord avec le sentiment public, que les lois, les institutions qu’ils appliquaient avec plus ou moins de fidélité n’avaient pas leurs sympathies, et qu’un penchant irrésistible les entraînait, sinon à les violer, au moins à en éluder l’esprit. […] Malgré le budget déjà équilibré et les justes combinaisons financières du baron Louis, malgré les succès diplomatiques de M. de Talleyrand à Vienne, les deux côtés honorables de 1814, et qu’il nous fait si bien connaître ; malgré ces compensations qui n’étaient pas sensibles aux yeux du public, l’historien nous montre la situation intérieure comme s’étant peu à peu délabrée d’elle-même et comme étant devenue par degrés désespérée.
Il doit se trouver dans les cartons du ministère de l’Instruction publique des rapports exquis de M. […] Une première édition à cent exemplaires en amènerait peut-être une seconde, réclamée du public lettré, comme pour Joubert. […] Nature d’ailleurs indulgente et bénigne s’il en fut, exempte de tout sentiment d’envie, lorsque tant de demi-habiles et de demi-savants se pavanent et triomphent, content de son sort et oubliant de se comparer, il n’éprouvait aucune amertume de n’avoir point donné au public toute sa mesure. […] Mes vieilles oreilles un peu dures ne perdent pas une syllabe de votre débit, dont le mouvement vif et naturel captive l’attention du public sans la fatiguer un seul instant… « Quant à votre coquin de Voltaire, vous l’avez très-joliment prêché ; je vous dirais, comme les Italiens, salvo il vero, — c’est-à-dire réserve faite de tous les contraires inhérents à l’exercice des grandes facultés, des ambitions et des activités prodigieuses. […] C’est un bâtiment parfaitement accommodé pour une cinquantaine de cours de diverses facultés. — Je n’ai que l’embarras du choix tous sont ouverts sans nulle façon. — Sur la même place est un grand bâtiment dit Muséum qui est le casino des professeurs et des étudiants, des bourgeois et des étrangers, immense collection de journaux où règne le silence dans les salons de lecture, et qui contient une bibliothèque libéralement servie, des salles de conversation paisible, un vaste salon de concerts, institution des plus honorables (j’omets la fameuse bibliothèque de Heidelberg qui est à la disposition du public). — Enfin je me trouve ici sollicité par une prodigieuse envie de tout lire, de tout entendre, de tout voir et de tout dire, — de m’emparer de la langue la plus familière, de tous les cours, de tous les professeurs, de tous les journaux, de tous les livres, de tous les paysages et de toutes les montagnes.
Un savant617 peut alors concevoir le projet de ramasser dans un ouvrage de vulgarisation toute la civilisation grecque, telle que la science du temps l’a restituée, vie publique et vie privée, religion et philosophie, poésie et art, monuments et paysages. Il propose au public de lire cela : et le public lit, le public est charmé. […] Barthélémy répand sur sa solide érudition, sont pour quelque chose dans le succès du Voyage du Jeune Anacharsis : mais le goût du public y a été pour beaucoup aussi ; le livre est venu à son heure.
Agir différemment, ne serait-ce pas dérouter le public, livrer la réalité même du voyage aux doutes et aux conjectures, et par conséquent diminuer la confiance ? […] Tels sont les motifs impérieux, à ce qu’il lui semble, qui ont déterminé l’auteur à mettre au jour ces lettres et à donner au public deux volumes sur le Rhin au lieu de deux cents pages. Si l’auteur avait publié cette correspondance de voyageur dans un but purement personnel, il lui eût probablement fait subir de notables altérations ; il eût supprimé beaucoup de détails ; il eût effacé partout l’intimité et le sourire ; il eût extirpé et sarclé avec soin le moi, cette mauvaise herbe qui repousse toujours sous la plume de l’écrivain livré aux épanchements familiers ; il eût peut-être renoncé absolument, par le sentiment même de son infériorité, à la forme épistolaire, que les très grands esprits ont seuls, à son avis, le droit d’employer vis-à-vis du public. […] Il dit « à peu près », car il ne veut point cacher qu’il a néanmoins fait quelques suppressions et quelques changements ; mais ces changements n’ont aucune importance pour le public. […] Il importe peu au public, par exemple, que toutes les fins de lettres, consacrées à des détails de famille, aient été supprimées ; il importe peu que le lieu où s’est produit un accident quelconque, une roue cassée, un incendie d’auberge, etc., ait été changé ou non.
Je ne parle pas ici de ceux qui, vivant de la critique, y trouvent une incontestable utilité : Je sais qu’un noble esprit peut, sans honte et sans crime, Tirer de son travail un profit légitime ; mais je voudrais savoir si elle rend quelque service au public, si elle l’élève vers l’art, comme elle le prétend. […] La critique n’a pas de prise sur le public si elle ne flatte ses penchants. […] L’exemple seul est puissant sur l’esprit public. […] Non, ils sont au-dessus de cette passion basse ; et, ce qui le prouve, c’est que presque tous travaillent à éveiller l’admiration paresseuse du public. […] Elle ne forme ni ne guide l’esprit public, elle le suit, et c’est pourquoi chaque siècle a sa critique.
Ballanche, il ne faut pas abandonner ses enfants à la charité publique : c’est bien assez qu’après nous il en doive être forcément ainsi. » II. […] Tel doit être l’esprit du critique par rapport au jugement du public. […] cinq minutes d’avance sur le public, c’est déjà beaucoup. […] Je ne me crois appelé à aucune grande vocation d’utilité, et la chimère du bien public ne me soutient pas.
Comme il résulte des tables de mortalité d’alors, que la majorité des adultes qui existent à un moment donné, doit avoir quitté la vie au bout de dix-neuf ans environ, de telle sorte qu’à la fin de cette période une majorité nouvelle remplace la première, Jefferson conclut que toute dette publique dont le remboursement ne se fait pas avant la dix-neuvième année, à partir du jour de l’emprunt, tombe sur des générations qui ne l’ont pas contractée, et qui réellement ont le droit de ne pas se croire obligées en bonne morale. […] En somme, le système de crédit public de Jefferson ne diffère pas de ce précepte privé, qu’il donne à l’un de ses petits-fils encore enfant : « Ne dépensez jamais votre argent avant de l’avoir dans vos mains. » Quelque médiocre valeur qu’on attribue à cette doctrine prudente d’économie domestique, appliquée au gouvernement d’un grand État, il faut reconnaître qu’elle était à la fois possible et sage pour les États-Unis d’Amérique, et qu’elle a porté ses fruits. […] N’oublions pas, pour nous expliquer et nous justifier cette susceptibilité ombrageuse, que les pouvoirs souverains des divers États sont assez éclairés et intéressés sur ce chapitre des grands travaux publics, pour se passer du Congrès. […] Avec un chef héréditaire, mais renfermé dans d’étroites limites ; avec un Corps législatif investi du droit de déclarer la guerre, une rigide économie des contributions publiques, l’interdiction absolue de toutes dépenses inutiles, on peut réaliser à un très haut degré les conditions d’un gouvernement honnête et éloigné de toute oppression ; mais la seule garantie de tout cela est une presse libre. » Si Jefferson vivait en ce moment ; si, âgé de 90 ans, et de son poignet de plus en plus perclus, il écrivait à son même ami, après une expérience nouvelle, ne lui manderait-il point, par hasard, que cet autre accommodement qu’il se figurait possible ne l’était guère plus en réalité que celui qu’il conseillait en 89 ?