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350. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 211-219

Phrixus échappé au danger, aborde au rivage, & bientôt acquittant ses vœux, il allume le bûcher sacré : sur l’autel enflammé de Jupiter, il immole le Belier qui le porta, & suspend à la voûte du Temple sa riche toison. […] « Près de lui les Dieux ont placé ce Taureau également fameux, qui mérita d’être transporté parmi les astres, pour avoir porté sur les eaux une Vierge plus chérie de Jupiter, & favorisée d’un sort plus heureux.

351. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville (suite et fin.) »

L’activité presque fébrile, qui nous caractérisa en tout temps, quitte la politique pour se porter vers le bien-être matériel : ou je me trompe fort, ou nous allons voir d’ici à peu d’années d’immenses progrès dans ce sens. […] Toutes ces réflexions, je pourrais dire toutes ces agitations d’esprit, m’ont naturellement porté, dans la solitude où j’habite, à rechercher plus sérieusement et plus profondément l’idée-mère d’un livre, et j’ai senti le goût de te communiquer ce qui m’est venu dans l’imagination et de te demander ton avis. […] Et puis, il y avait de lui à moi, de tout temps et bien avant les événements de dernière date, un certain nœud de séparation : il était de nature croyante, c’est-à-dire que, même dans l’ordre des idées, il portait une certaine religion, une certaine foi. […] En effet, le jour de son enterrement (mai 1857), son cercueil, déjà porté en pompe et déposé à l’église Saint-Louis-d’Antin, dut en être subitement retiré par ordre de son exécuteur testamentaire, M. de Chabrier, informé un peu tard de la volonté expresse du mort. […] « Permettez-moi, Monsieur, d’attacher à quelque chose plus d’importance encore qu’au jugement que vous portez sur la Démocratie américaine, c’est à voir continuer et devenir plus fréquents les rapports qui se sont établis entre nous.

352. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger en 1832 »

Un jugement, même implicite, même privé des motifs particuliers qu’il suppose, mais porté en plein sur un point de caractère par un proche témoin circonspect et véridique, peut démentir décidément et ruiner bien des anecdotes futures, que de gauches récits voudraient autoriser. […] Celui des jeunes garçons offrait l’image d’un club et d’un camp : on portait le costume militaire ; à chaque événement public, on nommait des députations, on prononçait des discours, on votait des adresses ; on écrivait au citoyen Robespierre ou au citoyen Tallien. […] Reçu au Caveau en 1813, condamné à sa part d’écot en couplets, il ne put s’empêcher d’y porter sa curiosité et son imagination de style, sa science de versification, la richesse de son vocabulaire. […] En tête de ce volume, Béranger portera sur lui-même, sur l’ensemble de son œuvre, sur la nature de son rôle et de son influence durant ces quinze années, un jugement qu’il nous serait téméraire de devancer ici pour notre compte. […] Ces Petits-Poucets de la littérature, comme il les appelle, portèrent aussitôt par mille chemins les messages retentissants de sa grande àme.

353. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. NISARD. » pp. 328-357

Le nombre des hommes qui se croient centre, et qui se portent pour chefs d’un mouvement, augmente chaque jour. […] Nisard, ne s’y portait guère. […] Sans me porter ici pour un défenseur de Stace comme l’était Malherbe, sans me donner du tout les airs d’avoir lu jusqu’au bout sa Thébaïde, il me semble que, dans les Sylves, plus d’une de ces pièces improvisées, non pas à la manière de Sgricci, mais comme le sont beaucoup de pièces de Hugo et de Lamartine, c’est-à-dire en deux matinées, méritait quelque distinction pour de charmants vers qui s’y trouvent. […] Mon ami, qui est sagace et quinteux, et plus porté à saisir le mal que le bien, a couvert les marges de son exemplaire de petites notes pareilles sur les faux sens, les traductions infidèles et onéreuses au pauvre auteur traduit : Un silence âcre (silentium acre), un royaume bien portant (regnum salubre), etc., etc. ; méthode d’avocat pour faire rire aux dépens de la partie adverse. […] En prêchant votre tradition stricte, en l’appuyant surtout d’exemples et de détails plus féconds, vous empêcherez quelques défauts dans d’estimables esprits ; vous les empêcherez, s’il se peut, de porter dans des genres sérieux et sobres, philosophie, histoire, etc., la recherche de qualités étrangères au genre et à leur esprit même.

354. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — I »

Son ode aux Nymphes de la Seine pour le mariage du roi était remise à Chapelain, qui la recevait avec la plus grande bonté du monde, et, tout malade qu’il était, la retenait trois jours, y faisant des remarques par écrit : la plus considérable de ces remarques portait sur les Tritons, qui n’ont jamais logé dans les fleuves, mais seulement dans la mer. […] Il trouve les passions du Midi violentes et portées à l’excès ; pour lui, sensible et tempéré, il vit de réflexion et de silence ; il garde la chambre et lit beaucoup, sans même éprouver le besoin de composer. […] Sans doute ses deux dernières pièces, Iphigénie et Phèdre, avaient excité contre l’auteur un redoublement d’orage : tous les auteurs siffles, les jansénistes pamphlétaires, les grands seigneurs surannés et les débris des précieuses, Boyer, Leclerc, Coras, Perrin, Pradon, j’allais dire Fontenelle, Barbier-d’Aucourt, surtout dans le cas présent le duc de Nevers, madame Des Houlières et l’Hôtel de Bouillon, s’étaient ameutés sans pudeur, et les indignes manœuvres de cette cabale avaient pu inquiéter le poëte : mais enfin ses pièces avaient triomphé ; le public s’y portait et y applaudissait avec larmes ; Boileau, qui ne flattait jamais, même en amitié, décernait au vainqueur une magnifique épître, et bénissait et proclamait fortuné le siècle qui voyait naître, ces pompeuses merveilles. […] A cela près, ou plutôt même à cause de l’omission, ce délicieux poëme, si parfait d’ensemble, si rempli de pudeur, de soupirs et d’onction pieuse, me semble le fruit le plus naturel qu’ait porté le génie de Racine. […] Si les esprits supérieurs, les génies à pic, ne prêtent pas pied à divers degrés aux esprits inférieurs, ils en portent un peu la peine, et ne distinguent pas eux-mêmes les différences d’élévation entre ces esprits estimables, qu’ils voient d’en haut tous confondus dans la plaine au même niveau de terre.

355. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre III. Littérature didactique et morale »

Le fondement du plaisir ; que procurent ces pièces, c’est qu’elles évoquent pour l’auditeur l’image des choses familières : elles utilisent la vie réelle en jouissances d’art, et portent vilains ou bourgeois à la contemplation désintéressée du monde vulgaire où leur existence de désirs et de peines est enclose. […] Les clercs portèrent naturellement dans la matière de l’amour toutes leurs habitudes d’esprit. […] Il faut voir notre poète peindre largement, gravement, avec une sympathie chaude et joyeuse, la vie des ribauds qui « portent sacs de charbon en grève » : Ils travaillent en patience. […] Et vont à Saint-Marcel aux tripes, Ni ne prisent trésor deux pipes : Mais dépensent à la taverne  Tout leur gain, toute leur épargne, Puis revont porter les fardeaux Joyeusement, non pas par deuil. […] Mais presque toutes tes saintes Qui aux églises sont priées, Vierges chastes, et mariées Qui maints beaux enfants enfantèrent, Les habits du siècle portèrent ; Et en ceux-là même moururent, Qui saints sont, seront et furent.

356. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre huitième »

Les mêmes hommes de génie qui ont relevé l’esprit français d’un commencement de décadence, le soutiennent à la hauteur où ils l’ont porté d’abord, ou le portent plus haut. […] Il en est une autre plus destructive encore, sur laquelle il est singulier qu’il se taise : c’est le coup porté à la constitution romaine par les Gracques. […] Les Considérations, sans nous enseigner le contraire, nous cachent souvent nos torts ou diminuent notre part de devoirs dans les fortunes de notre patrie : elles nous disposent à juger, du haut de notre innocence, ceux qui portent le fardeau des affaires publiques. […] Si on lui parle des sociétés, il ne s’agit pas des sociétés politiques, ni de lui en faire porter des jugements inutiles au grand objet de la connaissance de soi-même ; il s’agit des sociétés purement civiles et des devoirs que chacun est tenu d’y remplir pour être heureux en contribuant au bonheur public.

357. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1861 » pp. 361-395

De cette folie générale, de cette manie partout répandue dans le bas de la société de jeter ses enfants par-dessus soi, de les porter au-dessus de son niveau, comme on porte les enfants au feu d’artifice, il s’élève une France de plumitifs, d’hommes de lettres et de bureau, une France où l’ouvrier ne sortant plus de l’ouvrier, le laboureur du laboureur, il n’y aura bientôt plus de bras pour les gros ouvrages d’une patrie. […] Les mots que portent les dos ont quelque chose de solennel : Naissances, Décès, Mariages, Abjurations. […] » Un doux maniaque qu’on n’a jamais pu décider à porter un gilet, un original, à la tendre et honnête tête, annonçant l’homme qui s’est fait médecin pour soigner sa mère, attaquée d’une maladie mortelle. […] » De là, la parole de Sainte-Beuve saute à Flaubert : « On ne doit pas être si longtemps à faire un livre… Alors on arrive trop tard pour son temps… Pour des œuvres comme Virgile, ça se comprend… Et puis après Madame Bovary, il devait donner des œuvres vivantes… des œuvres, où l’on sente l’auteur touché personnellement… tandis qu’il n’a fait que recommencer Les Martyrs de Chateaubriand… S’il avait fait cela, son nom serait resté à la bataille, à la grande bataille du roman, au lieu que j’ai été forcé de porter la lutte sur un moins bon terrain, sur Fanny… Alors, Sainte-Beuve s’étend sur l’ennui de sauter de sujet en sujet, de siècle en siècle… On n’a pas le temps d’aimer… Il ne faut pas s’attacher… Cela brise la tête : c’est comme les chevaux dont on casse la bouche en les faisant tourner à gauche, à droite, — et il fait le geste d’un homme qui tire sur un mors. — « Tenez, me voilà engagé pour trois ans… à moins d’un accident. […] * * * — Parfois, je pense qu’il viendra un jour, où les peuples modernes jouiront d’un dieu à l’américaine, d’un dieu qui aura été humainement, et sur lequel il y aura des témoignages de petits journaux : lequel dieu figurera dans les églises, son image non plus élastique et au gré de l’imagination des peintres, non plus flottante sur le voile de Véronique, mais arrêtée dans un portrait en photographie… Oui, je me figure un dieu en photographie et qui portera des lunettes.

358. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre III. La complication des sociétés »

Et c’est une des raisons qui empêchent celle-ci de porter nécessairement les conséquences anti-égalitaires qu’on lui attribue. […] Les modernes sont portés à demander, à tous les groupements, même à l’État, ce pour quoi ils sont constitués, et à mesurer en conséquence la part de liberté qu’ils leur aliènent. […] Qui vit au contraire dans la complication de notre civilisation moderne, habitué à rencontrer les individus les plus nombreux et les plus divers dans les mêmes associations, et inversement les mêmes individus dans les associations les plus nombreuses et les plus variées, est porté à se représenter ce nombre et cette variété comme susceptibles de s’accroître indéfiniment, se figure aisément, au-dessus de ces groupements réels, les groupements possibles, et arrive ainsi à concevoir sans répugnance une sorte de vaste société idéale dont tous les hommes, à quelque société partielle qu’ils pussent appartenir par ailleurs, seraient également les membres. […] Ne serait-on pas, au contraire, porté à juger a priori, indépendamment de ses actes propres, de la valeur d’un individu par la place qui lui paraît marquée d’avance dans toutes les sociétés, et à le tenir, avant toute expérience, comme digne de respect ou de dédain, suivant la hauteur de ce rang toujours le même ? […] En résumé la complication sociale, multipliant le nombre des associations dont peut faire partie, à des titres divers, un même individu, permet à chacun d’eux de se détacher de chacune d’elles, et de poser, en face des collectivités quelles qu’elles soient, sa personnalité : brouillant les distinctions collectives au profit des distinctions individuelles, elle prépare les hommes à obéir, pour porter les uns sur les autres ces jugements d’estimation qui règlent leur conduite, aux prescriptions de l’égalitarisme.

359. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre premier. »

Naturellement, ce n’est pas lui, mais Moïse, David, Isaïe et tout le chœur des prophètes, que prit pour modèles Racine, si harmonieux lyrique, mais n’osant pas imiter la grande poésie d’Athènes jusqu’à porter sur notre théâtre, même dans les sujets grecs, avec la mélopée tragique, les intermèdes chantés de Sophocle et d’Euripide. […] Quoique très familière avec l’antiquité, elle n’y portait pas l’investigation méthodique et la pénétrante curiosité de la philologie moderne. […] On ne craindrait nullement de conserver, dans la traduction de cette ode grecque il la Fortune, l’image des vicissitudes que voyait t’œil du poëte, et de porter dans l’expression cette alternative de haut et de bas qui fait le sujet même. […] Va, maintenant, Écho, dans la noire demeure de Plu ton, porter au père une glorieuse nouvelle ; et voyant Cléodème, dis-lui son fils, et comment, aux vallons de la célèbre Pise, il a couronné sa jeune chevelure des ailes de la victoire athlétique. » Dans ce mot à mot qui ne déplaît pas, on aperçoit du moins quelque chose de l’original, son trait court et rapide, son mouvement facile et sa brièveté, sinon sa grâce. […] » Puis, dans un retour aux mouvements impétueux de la vie, est-ce Pindare, est-ce Bossuet, qui, frappé du sillon d’éclair de l’aigle, que sa pensée a tant de fois suivi dans les cieux, dit d’un guerrier qu’il admire : « Comme une aigle qu’on voit toujours, soit qu’elle vole au milieu des airs, soit qu’elle se pose sur quelque rocher, porter de tous côtés ses regards perçants et tomber si sûrement sur sa proie qu’on ne peut éviter ses ongles non plus que ses yeux ; aussi vifs étoient les regards, aussi vite et impétueuse était l’attaque, aussi fortes et inévitables étaient les mains du prince de Condé. » Un seul mot vient ici littéralement de Pindare, et avant lui, d’Homère : χεῖρας ἀφύκτους.

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