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11. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 34, du motif qui fait lire les poësies : que l’on ne cherche pas l’instruction comme dans d’autres livres » pp. 288-295

L’important c’est le stile, parce que c’est du stile d’un poëme que dépend le plaisir de son lecteur. […] Si nous tombons sur une faute grossiere et sensible, notre plaisir est bien interrompu. […] Ceux qui ont lû la critique du cid n’en ont pas moins de plaisir à voir cette tragedie. […] L’attrait du plaisir a-t-il tant de peine à étouffer la voix de la raison. […] Or nous sentons bien quel est celui de deux poemes qui nous fait le plus grand plaisir.

12. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 9, comment on rend les sujets dogmatiques, interessans » pp. 64-66

Supposé même que l’objet, qu’un poëme dogmatique nous présente, fût si curieux qu’on le lût une fois avec plaisir, on ne le reliroit pas avec la même satisfaction qu’on relit une églogue. L’esprit ne sçauroit joüir deux fois du plaisir d’apprendre la même chose, comme le coeur peut joüir deux fois du plaisir de sentir la même émotion. Le plaisir d’apprendre est consommé par le plaisir de sçavoir. […] Quel que soit le merite de ces poëmes, on en regarde la lecture comme une occupation serieuse, et non pas comme un plaisir. […] Comme l’ennui leur est plus à charge que l’ignorance, ils préferent le plaisir d’être émus au plaisir d’être instruits.

13. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre I : Une doctrine littéraire »

Point de loi, point de doctrine, l’instinct est le seul juge ; le sentiment et le goût individuel, les seules autorités ; mon plaisir est la loi suprême. Sans vouloir discuter cette esthétique très-répandue, je me contente de faire observer que même admit-on le principe que je viens de dire, à savoir le principe du plaisir, encore faudrait-il distinguer entre les différents genres de plaisir que les écrits peuvent nous procurer : par exemple, entre le plaisir des sens et le plaisir de l’esprit, le plaisir de l’imagination et le plaisir du cœur, le plaisir de quelques-uns et le plaisir de tous, le plaisir des ignorants et des grossiers et le plaisir des esprits éclairés, enfin entre le plaisir d’un jour et le plaisir de plusieurs siècles. Or, pour peu que l’on fasse ce partage entre les plaisirs, on s’aperçoit que, parmi les œuvres de l’esprit, il en est précisément qui plaisent toujours, qui plaisent à tous, ou au moins aux esprits éclairés, capables de les comprendre, qui plaisent à l’esprit et au cœur, et non aux sens : ce sont ces œuvres que l’on nomme belles, et elles le sont plus ou moins, suivant qu’elles se rapprochent plus ou moins du modèle que je viens de tracer. […] C’est de chercher dans les œuvres littéraires les raisons du plaisir qu’elles nous procurent.

14. (1912) L’art de lire « Chapitre II. Les livres d’idées »

. — Vous vous trompez peut-être ; mais vous avez comparé, rapproché, contrôlé une idée par l’autre, limité ou rectifié une idée par l’autre, et vous avez goûté le plaisir qui est celui que l’on doit aller chercher chez un penseur, qui est le plaisir de penser. […] Dire que nous agissons toujours en vue de notre intérêt, c’est dire que nous n’agissons jamais par bonté, mais c’est dire aussi que nous n’agissons jamais par méchanceté, que l’homme ne fait jamais le mal pour le plaisir de faire le mal, qu’en un mot la méchanceté n’existe pas ! […] Probablement cette vérité, elle aussi, nous fuit d’une fuite éternelle ; probablement les auteurs sont inépuisables en raison de ce qu’ils ont et en raison de ce qu’en les lisant, nous mettons en eux ; mais l’essentiel est de penser, le plaisir que l’on cherche en lisant un philosophe est le plaisir de penser, et ce plaisir nous l’aurons goûté en suivant toute la pensée de l’auteur et la nôtre mêlée à la sienne et la sienne excitant la nôtre et la nôtre interprétant la sienne et peut-être les trahissant ; mais il n’est question ici que de plaisir et il y a des plaisirs d’infidélité et l’infidélité à l’égard d’un auteur est un innocent libertinage. […] En fait de contradiction, le premier plaisir du lecteur est d’en trouver, et le second plaisir du lecteur est de les résoudre. […] Avec les philosophes, la lecture est une escrime où, quelques précautions prises, que nous avons indiquées, l’esprit prend incessamment des forces nouvelles qui peuvent être utiles de toutes sortes de façons et qui, par elles-mêmes et pour le seul plaisir de les posséder, valent qu’on les possède.

15. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 43, que le plaisir que nous avons au théatre n’est point produit par l’illusion » pp. 429-434

Section 43, que le plaisir que nous avons au théatre n’est point produit par l’illusion Des personnes d’esprit ont crû que l’illusion fut la premiere cause du plaisir que nous donnent les spectacles et les tableaux. Suivant leur sentiment, la représentation du cid ne nous donne tant de plaisir que par l’illusion qu’elle nous fait. […] La preuve est que le plaisir continuë, quand il n’y a plus de lieu à la surprise. Les tableaux plaisent sans le secours de cette illusion, qui n’est qu’un incident du plaisir qu’ils nous donnent, et même un incident assez rare. […] Le plaisir que les tableaux et les poëmes dramatiques excellens nous peuvent faire, est même plus grand lorsque nous les voïons pour la seconde fois, et quand il n’y a plus lieu à l’illusion.

16. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre premier. Existence de la volonté »

Qui dit plaisir ou peine dit non-seulement sensation, mais sensation favorable ou défavorable à l’ensemble des mouvements vitaux et des états de conscience corrélatifs à ces mouvements. […] Cette admission et ce rejet n’est plus simplement plaisir ou peine, mais une tendance à maintenir le plaisir et à changer la peine en plaisir : c’est l’appétition. […] Déplus, pourquoi le plaisir ou la douleur seraient-ils reconnus réels, tandis que le vouloir-vivre ne le serait pas, du moins en tant qu’activité véritable ? […] Mais que devient alors l’appétition, que deviennent même le plaisir et la peine ? […] On pourrait dire aussi : « L’idée d’un plaisir ou d’une peine est faible, donc le plaisir et la peine ne sont pas des états originaux. » Mais, au moment où nous jouissons et souffrons, l’état est intense ; si l’idée, au contraire, est tellement faible, c’est que le plaisir et la douleur, comme tels, ne sont pas des représentations d’objets, mais des états subjectifs ; et il en est de même du vouloir, de l’appétition, qui est le subjectif par excellence.

17. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 1, de la necessité d’être occupé pour fuir l’ennui, et de l’attrait que les mouvemens des passions ont pour les hommes » pp. 6-11

Plus le besoin est grand, plus le plaisir d’y satisfaire est sensible. Dans les festins les plus delicieux, où l’on n’apporte qu’un appetit ordinaire, on ne sent pas un plaisir aussi vif que celui qu’on ressent en appaisant une faim veritable avec un repas grossier. L’art supplée mal à la nature, et tous les rafinemens ne sçauroient apprêter, pour ainsi dire, le plaisir aussi bien que le besoin. […] Le changement de travail et de plaisir remet en mouvement les esprits qui commencent à s’appesantir : ce changement semble rendre à l’imagination épuisée une nouvelle vigueur. […] Voilà ce qui les porte à courir avec tant d’ardeur après ce qu’ils appellent leur plaisir, comme à se livrer à des passions dont ils connoissent les suites fâcheuses, même par leur propre experience.

18. (1905) Pour qu’on lise Platon pp. 1-398

Ce sont par exemple les plaisirs esthétiques et les plaisirs moraux. […] Un plaisir de ce genre n’est pas un plaisir. […] Donc, ce nous semble, dans les plaisirs bas : voisinage immédiat de la souffrance, puisque le plaisir en naît ; dans les plaisirs nobles : mélange de souffrance et de plaisir ; dans le plaisir sublime : identité de la souffrance et du plaisir. […] Mais n’y aurait-il pas un bien par-delà le plaisir, par-delà toute espèce de plaisir et ignorant le plaisir comme s’il n’existait pas ? […] La beauté est une promesse de plaisir.

19. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre III. De l’étude. »

La philosophie ne fait du bien que par ce qu’elle nous ôte ; l’étude rend une partie des plaisirs que l’on cherche dans les passions. […] Soit qu’on lise, soit qu’on écrive, l’esprit fait un travail qui lui donne à chaque instant le sentiment de sa justesse ou de son étendue, et sans qu’aucune réflexion d’amour-propre, se mêle à cette jouissance, elle est réelle, comme le plaisir que trouve l’homme robuste dans l’exercice du corps proportionné à ses forces. […] Plusieurs traits de la vie des anciens philosophes, d’Archimède, de Socrate, de Platon, ont dû même faire croire que l’étude était une passion ; mais si l’on peut s’y tromper par la vivacité de ses plaisirs, la nature de ses peines ne permet pas de s’y méprendre. Le plus grand chagrin qu’on puisse éprouver c’est l’obstacle de quelques difficultés qui ajoutent au plaisir du succès. […] Dans cette sorte de goût, il n’y a de naturel que ses plaisirs.

20. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 49, qu’il est inutile de disputer si la partie du dessein et de l’expression, est préferable à celle du coloris » pp. 486-491

Le plus grand peintre pour nous, est celui dont les ouvrages nous font le plus de plaisir. […] Un autre homme, dont les yeux ne sont point conformez aussi heureusement, mais dont le coeur est plus sensible que celui du premier, trouve dans les expressions touchantes un attrait superieur au plaisir que lui donnent l’harmonie et la verité des couleurs locales. […] Celui qui défend la superiorité du Poussin, ne conçoit pas donc qu’on puisse mettre au-dessus d’un poëte, dont les inventions lui donnent un plaisir sensible, un artisan qui n’a sçû que disposer des couleurs, dont l’harmonie et la richesse lui font un plaisir médiocre. […] Vouloir persuader à un homme qui préfere le coloris à l’expression en suivant son propre sentiment, qu’il a tort, c’est lui vouloir persuader de prendre plus de plaisir à voir les tableaux du Poussin, que ceux du Titien. […] L’homme, qui durant son enfance, trouvoit plus de plaisir à lire les fables de La Fontaine, que les tragédies de Racine, leur préfere à trente ans ces mêmes tragédies.

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