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622. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres mêlées de Saint-Évremond »

Il savait la littérature latine, peu ou point de grec ; il avait du goût pour les lettres, de la curiosité pour la philosophie, et aimait la conversation des gens d’esprit et de pensée. […] Je me servirai de l’un et de l’autre selon que j’en jugerai à propos, et, s’ils font leur devoir, comme je suis persuadé qu’ils feront, j’espère que Votre Majesté aura la bonté de les ouïr nommer et permettre qu’ils méritent par leurs services qu’Elle leur pardonne, après une pénitence conforme à la faute. » Mais, après s’être galamment conduit en bon Français à l’occasion, Saint-Évremond rentrait dans sa philosophie et dans sa tranquillité. […] que Voltaire visitant rapidement l’Angleterre et emportant de là tout ce qu’il pouvait de notions et d’idées, tout un butin de philosophie et de littérature pour en gratifier la France, avait plus noblement le démon en soi et ce que je ne crains pas d’appeler le diable au corps ! […] C’est que peut-être aussi, pour bien apprécier Saint-Évremond, il faut être soi-même quelque peu de la philosophie de Saint-Évremond.

623. (1890) L’avenir de la science « XVIII »

XVIII La fin de l’humanité, et par conséquent le but que doit se proposer la politique, c’est de réaliser la plus haute culture humaine possible, c’est-à-dire la plus parfaite religion, par la science, la philosophie, l’art, la morale, en un mot par toutes les façons d’atteindre l’idéal qui sont de la nature de l’homme. […] Plusieurs, en effet, dans des intentions opposées, soutiennent que le socialisme est la filiation directe de la philosophie moderne. D’où les uns concluent qu’il faut admettre le socialisme, et les autres qu’il faut rejeter la philosophie moderne. […] Je me garderai de suivre l’économie politique dans ses déductions ; les économistes attribueraient sans doute à mon incompétence les défiances que ces déductions m’inspirent ; mais je suis compétent en morale et en philosophie de l’humanité.

624. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre III. L’histoire réelle — Chacun remis à sa place »

Étalages de princes, de « monarques », et de capitaines ; du peuple, des lois, des mœurs, peu de chose ; des lettres, des arts, des sciences, de la philosophie, du mouvement de la pensée universelle, en un mot, de l’homme, rien. […] Après ce poëte, qui contient et résume toute la philosophie, les philosophes, Pascal, Descartes, Molière, Lesage, Montesquieu, Rousseau, Diderot, Beaumarchais, peuvent venir. […] Dans l’histoire, telle qu’elle se fera sur le patron du vrai absolu, cette intelligence quelconque, cet être inconscient et vulgaire, le Non pluribus impar, le sultan-soleil de Marly, n’est plus que le préparateur presque machinal de l’abri dont a besoin le penseur déguisé en histrion et du milieu d’idées et d’hommes qu’il faut à la philosophie d’Alceste, et Louis XIV fait le lit de Molière. […] De là une nouvelle philosophie des causes et des résultats.

625. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre III. De la nature du temps »

On pressent qu’une philosophie où la durée est tenue pour réelle et même pour agissante pourra fort bien admettre l’Espace-Temps de Minkowski et d’Einstein (où d’ailleurs la quatrième dimension dénommée temps n’est plus, comme dans nos exemples de tout à l’heure, une dimension entièrement assimilable aux autres). […] Nous devrions, en outre, distinguer entre le point de vue de la philosophie et celui de la science : celle-là considère plutôt comme réel le concret, tout chargé de qualité ; celle-ci extrait ou abstrait un certain aspect des choses, et ne retient que ce qui est grandeur ou relation entre des grandeurs. […] Dans ces conditions, il nous sera facile de suivre la règle que nous nous sommes imposée dans le présent essai : celle de ne rien avancer qui ne puisse être accepté par n’importe quel philosophe, n’importe quel savant, — rien même qui ne soit impliqué dans toute philosophie et dans toute science. […] Cet ouvrage (qui tient compte de la théorie de la Relativité) est certainement un des plus profonds qu’on ait écrits sur la philosophie de la nature.

626. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre I. La conscience et la vie »

Mais, entre ces questions et nous, une philosophie trop systématique interpose d’autres problèmes. « Avant de chercher la solution, dit-elle, ne faut-il pas savoir comment on la cherchera ? […] Mais supposons même que le métaphysicien ne lâche pas ainsi la philosophie pour la critique, la fin pour les moyens, la proie pour l’ombre. […] Combien serait préférable une philosophie plus modeste, qui irait tout droit à l’objet sans s’inquiéter des principes dont il paraît dépendre ! […] Car la philosophie ne sera plus alors une construction, œuvre systématique d’un penseur unique.

627. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — II » pp. 268-284

Cousin, par ses expositions éloquentes et lucides, par les publications multipliées qu’il a faites avec tant de zèle, comme aussi par celles qu’il provoque sans cesse de la part même des survenants qui ne sont pas de son école, par toute son impulsion enfin, aura rendu dans sa longue carrière les plus éminents services à l’histoire de la philosophie, c’est-à-dire à ce qui dure plus que telle ou telle philosophie particulière. — Inventeur ou non en philosophie, il en est du moins le grand bibliothécaire.

628. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — I » pp. 417-434

Il le manqua (indépendamment même des grands événements qui vinrent à la traverse) par l’éducation qu’il reçut et qu’il se donna, par son esprit novateur, ses lumières trop libérales, par ses goûts et ses vues de philosophie, de littérature et de poésie qui le promenaient en tous sens, et qui faisaient de lui un patricien bernois par trop infidèle à l’esprit du vieux sénat cantonal. […] les La Fayette, les La Rochefoucauld, les Broglie, les Montmorency étaient atteints de la philosophie du siècle et touchés de l’esprit nouveau. […] Croissez, comme j’ai vu ce palmier de Latone, Alors qu’ayant des yeux je traversai les flots ; Car jadis, abordant à la sainte Délos, Je vis près d’Apollon, à son autel de pierre, Un palmier, don du ciel, merveille de la terre : Vous croîtrez comme lui… Après avoir tenté inutilement de l’acclimater à Berne, le trésorier de Bonstetten permit à son fils de se rendre en Hollande à l’université de Leyde, mais sous la condition expresse qu’il n’y étudierait pas la philosophie : il craignait que ce regard aux choses du dedans ne nuisît à l’observation des faits du dehors ; mais Bonstetten était assez éveillé pour suffire aux deux sortes de vue.

629. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Biot. Essai sur l’Histoire générale des sciences pendant la Révolution française. »

Les sciences, « unies par une philosophie commune, » y sont montrées « s’avançant de front, les pas que fait chacune d’elles servant à entraîner les autres. » Plus de danger sérieux désormais pour l’ensemble des connaissances humaines ainsi liées étroitement et toutes solidaires entre elles, plus de période rétrograde possible depuis la découverte de l’imprimerie : « Lorsqu’au milieu d’une nuit obscure, perdu dans un pays sauvage, un voyageur s’avance avec peine à travers mille dangers ; s’il se trouve enfin au sommet d’une haute montagne qui domine un vaste horizon, et que le soleil, en se levant, découvre à ses yeux une contrée fertile et un chemin facile pour le reste du voyage, transporté de joie, il reprend sa route, et bannit les vaines terreurs de la nuit. Nous, à la vive lumière de la philosophie, oublions donc aussi ces craintes chimériques du retour de l’ignorance, et marchons d’un pas ferme dans l’immense carrière désormais ouverte à l’esprit humain. » Ainsi parlait le jeune savant ; et plein d’un profond sentiment d’horreur pour le régime oppressif et ignare qu’on avait subi, pour ce retour inouï de barbarie en pleine civilisation, il montrait pourtant avec une satisfaction élevée le rôle honorable et indispensable des savants au fort de la crise et leur empressement courageux à répondre à l’appel de la patrie, tout décimés qu’ils étaient alors par l’échafaud. […]  » Et il en prend occasion d’exprimer à ce sujet ses propres idées et les conditions qu’il estime indispensables au progrès, à savoir : — alliance et union étroite des sciences et des lettres : « Sans les sciences la nation la plus lettrée deviendrait faible et bientôt esclave ; sans les lettres la nation la plus savante retomberait dans la barbarie ; » — enchaînement des sciences les unes aux autres : « Cette union fait leur force et leur véritable philosophie ; elle seule a été la cause de tous leurs progrès » ; — une certaine liberté et latitude laissée aux professeurs dans la pratique : « Il faut, disait-il, que les professeurs soient guidés et non pas asservis.

630. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourg, par M. Michelet. (suite.) »

L’abbé de Polignac eut même, à l’occasion et à la suite de son livre, des conférences de philosophie avec le jeune prince, et Fénelon se plut à laisser faire cet auxiliaire brillant dont la métaphysique, toute vouée aux causes finales, était proche parente de la sienne. […] Ce n’était nullement un génie dans le vrai sens du mot, ce n’était qu’un élève, le plus brillant des élèves ; il eût été le premier au collège dans toutes les facultés, humanités, rhétorique, philosophie, et même plus tard un des premiers en théologie, s’il avait composé avec les élèves du séminaire. […] Tout orné en effet et même tout chargé qu’il était de connaissances particulières, ce prince avait la science proprement dite, la philosophie, en aversion ; il en avait peur.

631. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Sainte-Hélène, par M. Thiers »

Il était tout à fait sorti de l’action, ai-je dit, et il jugeait avec impartialité, avec philosophie, les hommes et les choses ; mais quelle philosophie ? […] Sa philosophie, à lui, restait toute pratique, non critique, non ironique, nullement pessimiste, mais toute en vue de l’usage qu’on peut faire, du parti qu’on peut tirer de ce merveilleux instrument qui s’appelle l’homme, dans une société, dans une nation.

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