Qu’on me permette un exemple : en passant le soir auprès d’un cimetière, j’ai été poursuivi par un feu follet ; en racontant mon aventure, je m’exprimerai de la sorte : « Le soir, en passant auprès du cimetière, j’ai été poursuivi par un feu follet. » Une paysanne, au contraire, qui a perdu son frère quelques jours auparavant, et à laquelle sera arrivée la même aventure, s’exprimera ainsi : « Le soir, en passant auprès du cimetière, j’ai été poursuivie par l’âme de mon frère. » Voilà deux narrations du même fait, parfaitement véraces. […] Au fond, toute création mythologique, comme tout développement religieux, traverse deux phases bien distinctes, l’âge créateur, où se tracent au fond de la conscience populaire les grands traits de la légende, et l’âge de remaniement, d’ajustage, d’amplification verbeuse, où la grande veine poétique est perdue, où l’on ne fait que réchauffer les vieilles fables poétiques, d’après des procédés donnés et qu’on ne dépasse plus. […] Tout se resserre et se rapetisse ; les pratiques perdent leur sens et se matérialisent ; la prière devient un mécanisme, le culte une cérémonie, les formules une sorte de cabalisme, où les mots opèrent, non plus comme autrefois par leur sens moral, mais par leur son et leur articulation ; les prescriptions légales, à l’origine empreintes d’une si profonde moralité, deviennent de pures prohibitions incommodes que l’on cherche à éluder, jusqu’au jour où l’on trouvera une subtilité pour s’en débarrasser 145. […] Ce serait pourtant peine perdue que de chercher à le démontrer à ceux qui refusent de se placer à ce point de vue.
Ce fut au lendemain d’une époque où la musique avait suscité des admirations et des querelles ardentes ; ce fut aussi dans un temps où les âmes, troublées et désorientées, se plongeaient à s’y perdre dans la pénombre des sciences occultes et dans la grisante atmosphère du mysticisme ; ce fut enfin à un moment où le culte de l’art pour l’art rendait les écrivains plus sensibles au vêtement de l’idée qu’à l’idée même, plus attentifs à l’extérieur de la phrase qu’à son contenu. […] Il perdait son rythme pour se mouler sur celui de la phrase musicale, et, comme la rime le gênait encore dans ce travail d’assimilation, il finissait par s’anéantir dans une prose chantante qui n’était plus qu’une mélodie continue. […] Suivant lui, la poésie et la musique se nuisent en s’associant, perdent chacune quelque chose de leur puissance et de leur beauté. […] Théophile Gautier, un soir qu’il rêve à son existence passée, se représente visitant « le Château du Souvenir131 », un vieux manoir perdu dans les broussailles, rongé par le temps et les orages, meublé de vieilles tapisseries et de portraits effacés, peuplé d’ombres grises et roses qui disparaissent avec le soleil levant.
Plus une phrase est remplie de rimes, dans Tristan, et plus celles-ci deviennent pleines et sonores, plus, toujours, la phrase perd en précision, et plus sa portée devient vague et flottante. […] Mais pour eux il n’a rien de commun avec la religion vulgaire : « Les résultats moraux du Christianisme, on les trouve chez moi expliqués par l’étude de la nature et basés sur elle, tandis que dans le Christianisme ils ne le sont que par de simples fables (Parerga, I, 143) », et autre part : « Pour faire entrer ce principe (délivrance de la vie), le Christianisme dut se servir de véhicules mystiques (Mysthichen vehikels) comme par exemple du calice qui devait sauver les hommes. » Wagner (1880, 273) : « Ce qui devait perdre l’Eglise chrétienne fut l’assimilation de cet être divin sur la croix avec le créateur juif du ciel et de la terre, et de joindre avec ce Dieu colère et vengeur, le sauveur des pauvres, qui s’est sacrifié par amour de tout ce qui existe. […] Elu pour moi — perdu pour moi. […] « Pour moi élu, /pour moi perdu, /superbe et vivant, /hardi et fuyant !
Les animaux inférieurs, pour se propager, doivent se détruire eux-mêmes : le corps se séparant en deux ou plusieurs, l’individualité du parent se perd dans celle des descendants. […] Plus tard seulement, quand le sentiment de la « résistance » mécanique aura perdu par l’habitude tout caractère douloureux pour devenir presque indifférent à la sensibilité, la pensée se développera, la pensée en apparence indifférente elle-même, qui est pourtant inséparable de la sensibilité et de la motilité. […] alors la cloche des morts peut sonner ; que le cadran s’arrête, que l’aiguille tombe et que le temps soit accompli pour moi. » L’activité ne change que pour se maintenir, pour s’adapter progressivement à un milieu qui change lui-même, pour accroître enfin ses conquêtes sans perdre ses acquisitions. […] S’il y a concours, « synergie », il y a plaisir, puisque notre force s’augmente alors par le concours même des autres forces ; s’il y a conflit, manque d’adaptation aux conditions d’existence, il y a pour nous conscience d’une diminution de notre énergie, employée à vaincre les résistances, comme une machine imparfaite qui perd sa force dans des frottements.
Ces articles se perdent, s’oublient, et lorsque quelqu’un les cite de mémoire, on ne veut pas y croire. […] Je me demande, si la persistance de ce rêve, n’est pas un symptôme, une indication dissimulée d’une mémoire qui se perd. […] Daudet raconte qu’à l’âge de douze ans, après une absence de chez lui — c’était, je crois, sa première frasque amoureuse — rentrant à la maison, la tête perdue, et s’attendant à une terrible raclée, la porte ouverte par sa mère, il lui venait soudainement l’inspiration de lui jeter : « Le pape est mort ! […] Un moment il parle, sans que nous puissions le comprendre, d’un alphabet, que lui avait recommandé de lire, sa bonne Augustine, alphabet dont il avait perdu l’u et l’y, et ne pouvait les retrouver.
Comme Marguerite Bonnet l’a montréc le ralliement de René Crevel au surréalisme ne fut pas une adhésion immédiate, loin s’en faut ; dans le n°36 des Feuilles libres de mars-juin 1924, il fustige Les Pas perdus d’André Breton, un recueil d’essais critiques entaché d’un suprême péché à ses yeux, celui de Littérature. […] Ainsi, par exemple, de l’idolâtrie scientiste, où la masse par le plus hypocrite des jeux de mots trouvait illusion de progrès spirituel sans, toutefois, perdre de vue les fins utiles ni oublier les profits particuliers à tirer de nouvelles découvertes. […] « À la lueur de leur découverte, la Saison en enfer perd ses énigmes, la Bible et quelques autres aveux de l’homme sont leurs loups d’images, mais nous sommes à la veille de Dada. […] Lafuma, 587].Crevel oppose ici la poésie ornement à la poésie vitale, retrouvant la thèse de « Clairement » : « Il est inadmissible que le langage triomphe insolemment de difficultés voulues (prosodie), que l’ambition du poète se borne à savoir danser dans l’obscurité parmi des poignards et des bouteilles. » repris dans Les Pas perdus, O.C. t.
Une étude complète sur Massillon deviendrait naturellement celle de l’éloquence même dans la dernière moitié du règne de Louis XIV ; on y suivrait ce beau fleuve de l’éloquence sacrée, on le descendrait dans toute la magnificence de son cours ; on en marquerait les changements à partir de l’endroit où il devient moins rapide, moins impétueux, moins sonore, où il perd de la grandeur austère ou de l’incomparable majesté que lui donnaient ses rives, et où, dans un paysage plus riche en apparence, plus vaste d’étendue, mais plus effacé, il s’élargit et se mêle insensiblement à d’autres eaux comme aux approches de l’embouchure. […] En attendant, et sauf quelques taches qui se perdent dans la richesse du tissu et comme dans les plis de l’étoffe, nous possédons un Massillon assez entier et assez accompli pour en jouir avec confiance et avec plénitude.
Qui l’eût voulu retenir y eût perdu sa peine : « Car lors étoit tel mon vouloir que Plaisance étoit ma loi. » Nous connaissons La Fontaine et ses aveux. […] ci vous ne les perdrez pas, car toutes seront mises en mémoire, en récit et chronique dans l’histoire que je poursuis, si Dieu m’accorde que je puisse retourner sain et sauf dans la comté de Hainaut et en la ville de Valenciennes dont je suis natif.
Cette république noble et marchande, dont l’origine se perd dans les plus anciens débris de l’Empire romain ; qui eut la première en Italie, en face et à côté de la nouvelle politique romaine, une politique à elle, profonde, suivie, consommée, indépendante ; qui eut ses épisodes de grandeur héroïque et de chevalerie maritime, bien qu’un intérêt de commerce fût toujours au fond ; qui, dans le cours de sa longue et séculaire décadence, sut trouver tant de degrés encore brillants et des temps d’arrêt si glorieux ; qui ne s’abaissa véritablement que depuis la fin du xviie siècle ; ce gouvernement jaloux, mystérieux, si longtemps sage, de qui la continuelle terreur était tempérée par un carnaval non moins continuel, comme en France la monarchie absolue l’était par des chansons ; cette cité originale en tout, et qui le fut hier encore jusque dans l’insurrection dernière par laquelle, déjà si morte, elle essayait d’un réveil impossible ; cet ensemble d’institutions, d’intérêts, d’exploits et de prouesses, de conjurations, d’espionnages et de crimes ; tant de majesté, de splendeur et d’austère vigilance, se terminant en douceurs molles et en plaisirs, tout cela se suit et se comprend d’autant mieux dans le récit de M. […] Cependant, ce n’était pas là du temps tout à fait perdu ; car cet exercice m’apprenait à manier ma langue, et à me servir avec aisance d’un instrument dont j’ai eu plus tard grand besoin.
Rousseau (avril 1715), me mande que toute la jeunesse est déclarée contre le divin poète, et que si l’Académie française prenait quelque parti, la pluralité serait certainement pour M. de La Motte contre Mme Dacier. » Le xviiie siècle fut puni de cette partialité ; en perdant tout sentiment homérique, il perdit aussi celui de la grande et généreuse poésie ; il crut, en fait de vers, posséder deux chefs-d’œuvre, La Henriade et La Pucelle ; il faudra désormais attendre jusqu’à Bernardin de Saint-Pierre, André Chénier et Chateaubriand pour retrouver quelque chose de cette religion antique que Mme Dacier avait défendue jusqu’à l’extrémité, et la dernière du siècle de Racine, de Bossuet et de Fénelon. […] Quant à ce qui est de sa personne et de son caractère dans la société, un certain abbé Cartaud de La Vilate nous la représente sous une forme grotesque et ridicule qui ne fut jamais la sienne : « J’ai ouï dire, prétend-il facétieusement, à une personne qui a longtemps vécu avec elle, que cette savante, une quenouille à son côté, lui récita l’adieu tendre d’Andromaque à Hector avec tant de passion qu’elle en perdit l’usage des sens. » Ce sont là des exagérations et des caricatures sans vérité ; il ne faudrait pas croire que Mme Dacier fût devenue en vieillissant une demoiselle de Gournay, une sorte de sibylle qui représentait avec emphase et solennité le bon vieux temps.