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500. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Verhaeren, Émile (1855-1916) »

C’est qu’Émile Verhaeren a le don d’incruster sa pensée, il crée dans l’âme un monde d’impressions étranges dont l’esprit se ressouvient avec une netteté jamais atténuée ; elles s’imposent, revivent ainsi que des flammes soudaines ou bien encore font dévier vos sensations originales. […] Désormais ses yeux sondent l’immensité des cieux mornes : Vers tes éternités mes yeux lèvent leurs flammes… Le farouche s’immobilise en des pensées pleureuses d’anciens rêves, et ce Faust dont chaque poème est un prestigieux monologue, incarne l’esprit d’un demi-siècle. […] Voici le carrefour où les grand-routes des sentiments et des pensées — et du destin se rejoignent. […] Voici un drame de pensée, d’humanité et de psychologie. […] Son vers se martèlera, puis, prompt à exprimer toute sa pensée, se disloquera, se repliera sur lui-même pour repartir d’un élan prodigieux.

501. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Dante »

Seulement, si la pensée pédantesque et intéressée qui anime tous les commentaires sur le Dante continuait d’aller le train qu’elle va, Byron lui-même ne serait bientôt plus Byron, mais le xixe  siècle, comme le Dante n’est que le xiiie , et on le prouverait à l’aide des mêmes procédés ! […] Les souvenirs de l’enseignement par lequel l’auteur du mémoire sur Dante a passé n’ont pas opprimé sa pensée, s’ils ont joué dans quelques détails de son livre. […] Dans un sujet comme celui-ci, où des phrases brillantes à faire étinceler devaient tenter sa pensée, il n’a pas succombé à cette tentation vulgaire, et il s’est plus préoccupé d’être critique que de se montrer écrivain. […] Quelle que soit la grandeur du maître en poésie qu’il a devant lui, le jeune homme obscur a dit avec une virilité prématurée ce qui lui semblait le vrai sur le Dante tout entier, auteur et homme, et bien loin de le mesurer avec le mètre enflammé de ceux qui en font un génie complexe et presque universel, et un double grand homme aussi auguste par la force du caractère que par la force de la pensée, le critique à ses premières armes a dédaigné ces exagérations, ces italianismes de l’enthousiasme, et il n’a vu dans l’auteur de la Divine Comédie qu’un poète à la manière des plus grands, mais, notez-le bien ! […] Il n’a été que cela, en effet, cet homme qu’on a voulu bâtir de plusieurs hommes, dans lequel on s’est acharné à supposer toutes les facultés humaines réunies dans je ne sais quel chimérique et éblouissant faisceau ; il n’a été qu’un poète : mais c’est suffisant pour la gloire, un poète, cette prodigieuse anomalie entre la vie et la pensée, mené par ses passions comme tous les poètes, et dont l’existence fut d’une tristesse et d’une misère à faire pitié.

502. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Paul Bourget »

Malgré ses liaisons avec les Parnassiens, qui sont presque tous ses amis, et quoiqu’on porte toujours un peu sur sa pensée la peine de ses intimités, quoiqu’il ait même payé son passage chez Lemerre de l’obole de quelques sonnets, évidemment M.  […] Paul Bourget est bien plus homme et bien plus poète quand il ne parle que de lui, de sa propre pensée, de ses propres sentiments, quand il ne chante que pour son propre compte, et quand lui, lui seul, s’agite dans les mystérieuses et prophétiques anxiétés de la destinée. […] Il met au-dessus de tout le sentiment et la pensée, — dons de Dieu ! […] Leur pensée éveillée a-t-elle en sa tristesse Devancé chaque coup qui les frappe et les blesse ? […] Il faut toujours, pour faire un grand poète, du passé sur le cœur et sur la pensée

503. (1870) La science et la conscience « Chapitre III : L’histoire »

Assurément c’est bien là une histoire sérieuse où la pensée politique de l’auteur se fait jour sous les ornements de la plus belle rhétorique. […] Là on assiste aux pensées, aux sentiments, aux passions qui ont déterminé les actes extérieurs des personnages. […] Son chant n’a rien de commun avec les sentiments et les pensées des hommes ; il ne se ressent pas davantage des impressions de la nature. […] Ce qui en fait l’immortelle beauté, ce n’est pas seulement la langue, le style, l’art de la composition ; c’est la pensée, l’esprit dans lequel elle est écrite. […] Renan, on n’y rencontre guère d’adorateurs du succès, du moins dans les hautes régions de la pensée.

504. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « GLANES, PÖESIES PAR MADEMOISELLE LOUISE BERTIN. » pp. 307-327

Connu déjà par son grand essai de musique sévère et haute, l’auteur, ce me semble, a dû naturellement chercher à ses intimes pensées une expression plus précise et plus voisine encore de l’âme. […] Victor Hugo les a, depuis longtemps, consacrées par l’opéra de la Esméralda, surtout par les quatre beaux chants qui, dans ses quatre derniers recueils de poésie, à partir des Feuilles d’Automne, se sont venus rattacher au nom et à la pensée de mademoiselle Bertin. […] Une pensée religieuse, élevée, sincère, parfois combattue et finalement triomphante, a inspiré un bon nombre de pièces, qui ne sont pas un indigne pendant ni une contre-partie dérogeante de ces graves rêveries que M. […] A cette contradiction inévitable ici-bas, et à laquelle se heurte toute sérieuse pensée, le poëte, à ses heures meilleures, répond par croire, adorer sans comprendre, et surtout aimer. […] Je ne comprends pas que la pensée y gagne.

505. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mémoires de madame de Staal-Delaunay publiés par M. Barrière »

Jamais sa plume ne tâtonne, jamais elle n’essaie sa pensée ; elle l’arrête et l’emporte du premier tour. […] et ce caractère indélébile de femme de chambre , comme elle le qualifie amèrement, est-il donc si indélébile qu’il la suive jusque dans les productions de sa pensée ? […] Mais chez Mlle Delaunay la gradation finit par la pensée . Cette absence de la pensée est le plus violent symptôme, en effet, pour une âme de philosophe, pour quiconque a commencé par dire : Je pense, donc je suis. […] Elle n’a point été aimée de qui elle aurait voulu, elle n’a pas eu sa jeunesse remplie à souhait, elle a souffert : beaucoup d’autres sont ainsi, mais elle a eu avec les années la satisfaction de la pensée et les jouissances réfléchies de l’observation ; elle a vu juste, et il lui a été donné de le rendre.

506. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Raphaël, pages de la vingtième année, par M. de Lamartine. » pp. 63-78

Après tout, ôtez le ciel d’Italie et le costume de Procida, ce n’est qu’une aventure de grisette, embellie et idéalisée par l’artiste, élevée après coup aux proportions de la beauté, mais une de ces aventures qui ne laissent que trop peu de traces dans la vie, et qui ne se retrouvent que plus tard dans les lointains de la pensée, quand le poète ou le peintre sent le besoin d’y chercher des sujets d’élégie ou de tableau. […] On ne saurait donc s’étonner si, en lisant ces pages, à côté de touches charmantes et de pensées toutes faites pour émouvoir, on en rencontre beaucoup d’autres artificielles, et si l’on n’y sent pas tout l’homme. […] Ce sont celles avec lesquelles on achève la pensée de la veille et l’on commence le rêve d’aujourd’hui, celles dont on s’entretient d’abord en se revoyant, dont on se conseille la lecture, qu’on marque légèrement du doigt dans le volume qu’un autre lira tout à l’heurec. […] Allons au fond de notre critique et dégageons toute notre pensée : l’auteur de Raphaël, dans cette partie délicate de son récit, a voulu tout nous dire, et il n’a pas osé. […] Mais ne pourrait-on pas lui répondre : Il y aura quelque chose de plus triste pour vous, pour la mémoire de ces heures immortelles, que d’être reléguée comme un point à peine visible dans le lointain du passé : ce sera de n’être prise un jour, de n’être étalée et exposée aux yeux de tous que comme un prétexte à des rêves nouveaux, comme un canevas à des broderies et à des pensées nouvelles.

507. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre premier. Considérations préliminaires » pp. 17-40

Cependant, et il n’est pas inutile de le remarquer, des pensées, à quel point qu’elles puissent être le résultat de méditations isolées, sont toujours un ordre de faits qui mérite aussi quelque attention. […] Aura-t-il, du fond de sa retraite, su connaître et apprécier la pensée intime qui travaille les hommes dans ce moment ? […] Cette pensée magnanime fut mal interprétée par les uns, ne fut pas comprise par les autres ; et nous eûmes le 20 mars, terrible rechute qui faillit coûter la vie au corps social. […] Fermons un instant les yeux sur le funeste vertige des cent jours, et transportons-nous par la pensée à l’époque où nous revîmes enfin, après tant d’années, le père de la patrie. […] Ainsi, lorsque la nation française vint à tourner les yeux du côté de la terre de l’exil, elle sembla proclamer la pensée généreuse, de revenir au culte si moral des aïeux, de renoncer à l’idolâtrie.

508. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VI : M. Cousin philosophe »

Ce fut le premier âge de sa pensée, et c’est alors qu’il fut pris par la philosophie allemande. […] Faute d’invention personnelle, il s’abandonnait au mouvement de la pensée publique ; or la pensée publique aboutissait à ce système le plus audacieux et le dernier du siècle. […] c’est la pensée en soi, la pensée absolue avec ses moments fondamentaux37. » Toutes formules panthéistes. […] Repoussez cette littérature énervante, tour à tour grossière et raffinée, qui se complaît dans la peinture des misères de la nature humaine, qui caresse toutes nos faiblesses, qui fait la cour aux sens et à l’imagination, au lieu de parler à l’âme et d’élever la pensée. […] Les forces qui gouvernent l’homme sont semblables à celles qui gouvernent la nature ; les nécessités qui règlent les états successifs de sa pensée sont égales à celles qui règlent les états successifs de la température ; la critique imite la physique, et n’a autre objet que les définir et de les mesurer.

509. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXV » pp. 97-99

« Créer un journal des masses, quotidien, à grand format, à un prix d’abonnement qui ne dépasse pas cinq journées de travail… Voilà, dit-il, cette pensée ! […] Oui, il suffirait qu’un million de citoyens bien intentionnés souscrivissent à ce subside des masses pour un franc par an seulement, pour une de ces petites pièces de monnaie qui glissent entre les doigts sans qu’on la retienne… et cette pensée se réaliserait. […] Que les bons citoyens trouvent le million, moi je me charge de trouver les hommes… » Ces hommes (les collaborateurs du journal) seraient au fond le véritable pouvoir moral de la nation, les administrateurs de la pensée publique, le concile permanent de la civilisation moderne… Il y a en ce temps-ci quelque chose de plus beau que d’être ministre de la Chambre ou de la Couronne, c’est d’être ministre de l’opinion !

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