Il ne manque pas d’ajouter que « la lèpre de l’orgueil, de l’amour-propre et de toutes les autres passions de l’esprit, si nous n’étions point aveugles, nous paraîtrait bien plus horrible et plus contagieuse ». […] Fénelon, comme tous les vrais chrétiens, trouverait cette façon d’atteindre à la sagesse et au bonheur bien morne et bien insuffisante ; ce n’est point en se réfugiant et en se retranchant dans le moi qu’il croit possible de trouver la paix : car en nous, pense-t-il, et dans notre nature sont les racines de tous nos maux ; tant que nous restons renfermés dans nous-mêmes, nous offrons prise sous le souffle du dehors à toutes les impressions sensibles et douloureuses : Notre humeur nous expose à celle d’autrui ; nos passions s’entrechoquent avec celles de nos voisins ; nos désirs sont autant d’endroits par où nous donnons prise à tous les traits du reste des hommes ; notre orgueil, qui est incompatible avec l’orgueil du prochain, s’élève comme les flots de la mer irritée : tout nous combat, tout nous repousse, tout nous attaque ; nous sommes ouverts de toutes parts par la sensibilité de nos passions et par la jalousie de notre orgueil. […] [NdA] Ainsi, dans le Sermon pour la fête de l’Épiphanie, on trouve ce mot souvent cité : « L’homme s’agite, mais Dieu le mène. » Et dans le second point du même sermon, dans cette seconde partie qui est d’une grande beauté morale, il y a sur la corruption des mœurs et sur la décadence de la foi, de ces traits de vigueur qui sembleraient appartenir à Bossuet : Les hommes gâtés jusque dans la moelle des os par les ébranlements et les enchantements des plaisirs violents et raffinés ne trouvent plus qu’une douceur fade dans les consolations d’une vie innocente : ils tombent dans les langueurs mortelles de l’ennui dès qu’ils ne sont plus animés par la fureur de quelque passion. […] Les passions d’autrui paraissent infiniment ridicules et insupportables à quiconque est livré aux siennes.
Tel est l’effet que doivent produire sur un peuple des préjugés fanatiques, des gouvernements divers que ne réunissent point la défense et l’amour d’une même patrie, un soleil brûlant qui ranime toutes les sensations, et doit entraîner à la volupté lorsque cet effet n’est pas combattu, comme chez les Romains, par l’énergie des passions politiques. […] L’art d’exciter la terreur et la pitié par le seul développement des passions du cœur, est un talent dont la philosophie réclame une grande part ; mais l’effet du merveilleux sur la crédulité est d’autant plus puissant, que rien de combiné ni de prévu ne prépare le dénouement, que la curiosité ne peut se satisfaire à l’avance par aucun genre de probabilité, et que tout est surprise dans les récits que l’on entend. […] Si quelques passions profondes ne s’étaient pas conservées dans le Nord, sous cette atmosphère nébuleuse où la force de l’âme entretient seule la vie, les femmes n’auraient apporté dans l’existence des hommes qu’une galanterie flatteuse et recherchée qui aurait fini par étouffer pour toujours la simplicité des sentiments naturels. […] Ils n’ont point de romans, comme les Anglais et les Français, parce que l’amour qu’ils conçoivent n’étant point une passion de l’âme, ne peut être susceptible de longs développements. […] La vengeance est la passion la mieux peinte dans les tragédies des Italiens36.
Un vrai classique, comme j’aimerais à l’entendre définir, c’est un auteur qui a enrichi l’esprit humain, qui en a réellement augmenté le trésor, qui lui a fait faire un pas de plus, qui a découvert quelque vérité morale non équivoque, ou ressaisi quelque passion éternelle dans ce cœur où tout semblait connu et exploré ; qui a rendu sa pensée, son observation ou son invention, sous une forme n’importe laquelle, mais large et grande, fine et sensée, saine et belle en soi ; qui a parlé à tous dans un style à lui et qui se trouve aussi celui de tout le monde, dans un style nouveau sans néologisme, nouveau et antique, aisément contemporain de tous les âges. […] En ce sens, les classiques par excellence, ce seraient les écrivains d’un ordre moyen, justes, sensés, élégants, toujours nets, d’une passion noble encore, et d’une force légèrement voilée. […] Elle a du vrai, si l’on n’use qu’avec à-propos, si l’on n’abuse pas de ce mot raison ; mais il est évident qu’on en abuse, et que si la raison, par exemple, peut se confondre avec le génie poétique et ne faire qu’un avec lui dans une Épître morale, elle ne saurait être la même chose que ce génie si varié et si diversement créateur dans l’expression des passions du drame ou de l’épopée. […] Un jour que lord Bolingbroke écrivait au docteur Swift, Pope mit à cette lettre un post-scriptum où il disait : « Je m’imagine que si nous passions tous trois seulement trois années ensemble, il pourrait en résulter quelque avantage pour notre siècle. » Non, il ne faut jamais légèrement parler de ceux qui ont eu le droit de dire de telles choses d’eux-mêmes sans jactance, et il faut bien plutôt envier les âges heureux et favorisés où les hommes de talent pouvaient se proposer de telles unions, qui n’étaient pas alors une chimère. […] Nous n’avons eu que des ébauches de grands poètes, comme Mathurin Régnier, comme Rabelais, et sans idéal aucun, sans la passion et le sérieux qui consacrent.
Il n’excite maintenant ni l’enthousiasme ni la colère ; en sa présence, on n’éprouve plus de passion, on ne ressent que de la curiosité. […] Seules, elles peuvent être populaires, parce que seules elles peuvent être comprises sans peine ; seules, elles peuvent être traitées en beau style, parce qu’étant du domaine public, elles ne demandent pas un langage spécial ; seules, elles ouvrent une pleine carrière à l’orateur, parce qu’avec le devoir de convaincre, elles lui imposent l’obligation de toucher et de plaire ; seules, elles donnent des œuvres d’art, parce qu’avec la logique, elles ont à leur service la passion et le bon goût. […] De qui les hommes ont-ils reçu ces nobles principes : qu’il est plus beau de garder la foi donnée que de la trahir ; qu’il y a de la dignité à maîtriser ses passions, à demeurer tempérant au sein même des plaisirs permis ? […] Il s’agit des amours de Condé, autre soldat impétueux qu’il admire en frère, et dont il vient de raconter la passion pour Mlle du Vigean. « Depuis, il n’a plus connu que l’enivrement passager des sens, surtout celui de la guerre, pour laquelle il était né, et qui était sa vraie passion, sa vraie maîtresse, son parti, son pays, son roi, le grand objet de sa vie, et tour à tour sa honte et sa gloire. » Voilà ce que le style de M.
Cette société n’est point le chef-d’œuvre de l’histoire : c’est une certaine sorte de société, qui engendre de beaux sentiments en même temps que de laides passions ; c’est une aristocratie qui, perdant son indépendance et quittant la vie guerrière, devient une cour servile et fière sous la main d’un maître, et trouve ses nouveaux plaisirs dans les amusements de l’esprit et dans la vie de salon. Supposons qu’un historien accepte cette idée générale ou toute autre, et la développe, non pas en termes généraux, comme on vient de le faire, mais par des peintures, par un choix de traits de mœurs, par l’interprétation des actions, des pensées et du style, il laissera dans l’esprit du lecteur une idée nette du dix-septième siècle ; ce siècle prendra dans notre souvenir une physionomie distincte ; nous en discernerons le trait dominant, nous verrons pourquoi de ce trait naissent les autres ; nous comprendrons le système des facultés et des passions qui s’y est formé et qui l’a rempli ; nous le connaîtrons, comme on connaît un corps organisé après avoir noté la structure et le mécanisme de toutes ses parties. […] On ne sait plus ce qu’est devenue la raison raisonnante ; des formes, des couleurs se tracent sur le champ décoloré où la pensée abstraite ordonnait ses syllogismes ; on aperçoit des gestes, des attitudes, des changements de physionomie ; peu à peu le personnage ressuscite ; il semble qu’on l’ait connu ; on prévoit ce qu’il va faire, on entend d’avance le cri de sa passion blessée ; on ne le juge pas, on l’aime ou le hait, ou plutôt on sent avec lui et comme lui ; on quitte son siècle, on devient son contemporain, on devient lui-même. […] Mais dans cette passion nouvelle, il a gardé ses anciennes habitudes d’esprit ; il a loué sa dame comme il aurait loué Descartes ; et en galanterie, comme en philosophie, il est resté professeur. […] Cousin à La Rochefoucauld, ce n’est pas pour plaire à Mme de Longueville que vous vous êtes engagé dans la Fronde ; vous vous y êtes jeté de vous-même par la passion du mouvement et de l’intrigue. » — Voulez-vous des rentrées d’éloquence philosophique et de l’indignation vertueuse ?
Il est un homme qui s’est pris de passion pour l’Italie du seizième siècle, comme M. […] Toute vraie passion tombe dans l’excès. […] D’autres traits, quoique singuliers, font plaisir ; toute passion vraie est aimable. […] Le récit des ratures, des changements, des corrections que faisait Pascal, introduit le lecteur dans le laboratoire de l’éloquence : ce mot ajouté est un accès de passion impatiente ; cette phrase retournée est un redoublement de logique victorieuse. […] Il a l’amour des grands hommes du dix-septième siècle : après avoir recueilli les moindres fragments de son auteur et retrouvé son écrit sur les Passions de l’amour, il a poussé la dévotion jusqu’à faire un lexique de ses locutions remarquables.
Cette poésie qui plus tard a parcouru tant de climats, a réfléchi tant d’horizons divers, s’est colorée de tant de feux et nourrie de tant d’instincts profonds du cœur, est, avant tout, une poésie du Nord, éprise avec passion des beautés naturelles, et, sous son ciel natal, ni rassasiée de leurs douceurs, ni trop éblouie et comme fatiguée de leur éclat, mais s’élevant avec joie du monde visible vers l’infini, curieuse surtout de l’âme humaine, et tout à la fois contemplative et violente. […] Ni le spectacle des événements, ni la passion politique, ne la firent naître cette fois. […] Il ne fut qu’un contemplateur studieux ; il n’entretint jamais le beau monde de ses pensées ou de ses passions intimes, dans un temps où le génie faisait volontiers de ses petits secrets personnels des événements publics. […] Elle lui inspira son second chef-d’œuvre, le Barde, cette ode qu’il a lui-même nommée pindarique, et dont le sujet, la passion, les détails, sont tous empreints de ce goût d’antiquité indigène et de poésie du Nord qui partageait avec la littérature classique ses recherches assidues et sa contemplation rêveuse. […] On dirait même que, sans le vouloir et par instinct de poëte, il ne s’est souvenu des débats de la liberté anglaise et des passions de l’indépendance, qu’en leur donnant l’enfer pour séjour, et les démons pour interprètes.
Sous ce flegme du visage et du style bouillonnaient des passions furieuses. […] Il a le style d’un chirurgien et d’un juge, froid, grave, solide, sans ornement, ni vivacité, ni passion, tout viril et pratique. […] La passion et l’orgueil énorme, comme tout à l’heure l’esprit positif, ont assené tous les coups. […] Ses passions, comme son esprit, sont trop fortes. […] That ridiculous passion which has no being but in playbooks and romances.
Diderot n’avait pas que la passion du travail. […] Mais, s’il n’a pas la puissance de Voltaire, il en a la passion, qui fut celle de leur abominable siècle. Gœthe n’eut point de passion. […] Il a de la passion philosophique, mais il n’a point de philosophie. […] Tête de feu plus que de lumière, il avait, jointes à ses passions, les passions d’une époque enflammée de haine contre toute spiritualité, et, de tout cela, mêlé, confus et bouillonnant dans la cuve fumante de son cerveau, il ne devait guères sortir cette chose équilibrée, combinée, organisée, calme et redoutable qu’on nomme une philosophie.
« Ses premiers pas dans la vie furent guidés par l’instinct de la passion native. […] Elle leur disait : « C’est la seule (passion) dont je ne me repente pas ». […] C’est de la passion que tu m’exprimes ; mais ce n’est plus le saint enthousiasme de tes bons moments. […] Ce goût devint un besoin impérieux après sa grande passion. […] Les événements de ces longues années sont quelques petits voyages et beaucoup de passions pour rire.