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533. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre deuxième »

Est-il vrai que le jour même de son arrivée, ayant suivi la foule qui allait assister à une thèse sur la botanique médicale, son mécontentement de la médiocrité des tenants se manifesta par des mouvements si expressifs et si étranges, qu’il fut invité par le doyen à entrer dans l’enceinte et à donner son avis, et que prenant la parole, après s’être excusé de son audace, il traita de la matière avec tant d’esprit et de savoir, qu’il fut dispensé des épreuves du baccalauréat ? […] Seulement le Dieu de Rabelais n’est pas celui de la théologie « C’est celluy grand bon piteux Dieu lequel créa les salades, harans, merlans, etc., etc., item les bons vins53. » C’est aussi le Dieu de Platon, « le grand plasmateur54  » ; c’est enfin le Dieu de l’Évangile, « qu’il convient servir, aimer et craindre, et dont la parole demeure éternellement55. » Pourquoi ne serait-ce pas surtout ce dernier ? […] » C’est la Renaissance qui dicte à Rabelais, encore tout ému de la lecture de Platon, ces belles paroles qu’il prête à Gargantua écrivant à son fils59, les premières peut-être qui aient été exprimées dans le grand style français, les premières beautés universelles de notre littérature : « Non doncques sans juste et équitable cause je rendz grâces à Dieu, mon conservateur, de ce qu’il m’ha donné pouvoir veoir mon anticquité chenue refleurir en ta jeunesse. […] La vérité ne périt pas on la retire de dessous cet entassement de paroles vaines, mais on n’en a pas grande reconnaissance à Rabelais. […] Rien, en effet, ne ressemble plus à l’abondance intarissable d’un homme aviné, que certains passages, en trop grand nombre, où Rabelais roule une multitude de mots forgés, parmi lesquels il balbutie quelques paroles d’or, d’une langue qui semble épaissie par le vin.

534. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « I »

Faut-il s’applaudir, comme on le fait généralement, de ne perdre aucune des paroles que prononce M. van Dyck ? […] C’est que si Tristan et Isolde avaient vraiment la prétention de nous enseigner la philosophie de Schopenhauer, il n’y aurait qu’à les renvoyer à l’école pour mieux apprendre leur leçon, car toute leur vie, tous leurs actes, toutes leurs paroles sont en contradiction flagrante avec la doctrine du philosophe. […] En voici un exemple, dans Opéra et Drame, dont le manuscrit fut envoyé à Dresde le 21 décembre 1851 (Das Orchester, 1855, 502) : « La musique, au lieu d’exprimer, comme la parole, ce qui n’est que pensé, exprime la réalité (ein Wirkliches) » (IV, 218). […] Nous passerons donc légèrement sur les détails de la cérémonie, pour arriver à l’exécution du Prométhée, vaste composition doublement lyrique, dont les paroles, écrites jadis par Herder, ont été mises en musique par Listz. […] Dans les paroles de cette scène, qui sont d’un vague admirable, il voit l’énoncé précis d’un système philosophique ; dans la musique, qui est une révélation inondant de lumière la vie de ces âmes, il voit « une page unique » mais « qui rend tout simplement les mouvements extérieurs des amants et leurs amoureux transport. »[NdA] 4.

535. (1863) Le réalisme épique dans le roman pp. 840-860

Tantôt, entraîné par cette gageure, il brouille le peu de notions qui nous restent, il confond les âges si divers du monde qu’il prétend reconstruire, il invente ce qu’il ignorera toujours, il décrit ce qui n’a jamais pu vivre, il donne la même valeur aux conjectures plausibles et aux imaginations hasardées, il noie quelques débris de vérités dans un océan d’erreurs, et, tâchant de tromper le lecteur, il finit par se tromper lui-même ; tantôt, dans cette lutte contre un sujet qui sans cesse lui échappe, il s’emporte, il s’enivre de sa parole, de ses images, de ses héros, de ses dieux, de ses monstruosités de toute espèce, il se livre au Dévorateur et devient comme un prêtre de Moloch. […] Les maîtres du commerce, les hommes qui possédaient les grandes îles de la Méditerranée, la Sicile, la Sardaigne, et qui, par les côtes d’Espagne, s’étendaient chaque jour vers le nord, pouvaient bien être rusés, cupides, corrompus, et trahir sans scrupule la parole jurée ; ce n’étaient pas certainement de stupides fanatiques enfermés à jamais dans des superstitions atroces. […] Chaque fois que Salammbô paraît, dans l’orgie des mercenaires, pendant ses conférences avec le prêtre-eunuque, sous la tente de Mâtho, sur la terrasse d’où elle contemple le supplice et l’agonie du malheureux qui l’a pressée dans ses bras, on peut répéter ces paroles que l’auteur lui-même applique à un des tableaux de son livre : « Une lasciveté mystique circulait dans l’air pesant. » Si l’héroïne de M.  […] Je détourne ces paroles trop sévères, je les applique à Salammbô, et voyez comme elles se transforment en vérités accablantes ! […] Qu’il relise Virgile, le chantre de la Phénicienne Didon, et le Carthaginois Térence, peintre si doux de la sympathie humaine ; qu’il songe à ces paroles si tendres, si profondes : sunt lacrymæ rerum , et qu’il achève le vers en le méditant : mentem mortalia tangunt .

536. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1856 » pp. 121-159

Nous avons déjeuné avec Paul Mantz, un petit brun, au clignement d’œil intelligent, à la parole monosyllabique ; avec Dussieux, professeur à Saint-Cyr, qui a quelque chose d’universitaire dans la tournure et de militaire dans la voix, et un coup d’œil scrutateur de commissaire de police dans le regard qu’il vous jette par-dessus ses lunettes bleues ; avec Eudore Soulié, aux traits sans âge, à la figure en chair d’un gibbon, à la chevelure pyramidale, ébouriffée et jouant la perruque, à la gaieté et à l’espièglerie gamines riant dans une voix de fausset. […] Et c’est un bourdonnement fêlé : des lèvres blanches versant dans la conque cireuse des oreilles, des idées en enfance, les marmottages et radotages du passé, hantant ces vieilles cervelles comme un revenant, des paroles édentées, étoupées, bavées entre deux gencives. […] » Et dans le dîner qu’il nous donne au Moulin-Rouge, apparaît, au fond de ses pensées et de ses paroles, comme une charge pesante, une responsabilité sérieuse, presque une tristesse effrayée de tant d’or inespéré. […] Et ce diable d’homme vous met dans le cerveau tant d’images de kaléidoscope et de lanterne magique, et un tel bruit de paroles, et un tel brouillamini de faits prédits, qu’il semble, avec la sonorité de sa voix et la fixité de ses yeux, vous verser de la confusion dans la cervelle et de l’étourdissement dans l’attention. […] Ce soir, dans une de ces fouilles qu’a provoquées la parole de l’un de nous, il nous fait un drolatique tableau de l’intérieur de Daumier, l’artiste, le grand artiste, nous dit-il, le plus indifférent au succès de son œuvre, qu’il ait rencontré dans sa vie.

537. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre II : Examen critique des méditations chrétiennes de M. Guizot »

Or Rome n’a pas jusqu’ici fait un pas dans cette voie d’accommodement raisonnable, et tant qu’elle n’a point parlé, ou plutôt tant qu’elle parle dans le sens contraire, les plus nobles paroles des plus nobles esprits sont absolument non avenues : aucun d’eux n’a mission pour traiter au nom de l’Église. […] Voici ses propres paroles : « Le docteur Chalmers dit vrai ; les limites du monde fini sont celles de la science humaine ; jusqu’où elle peut s’étendre dans ces vastes limites, nul ne saurait le dire. Le monde fini seul est à sa portée, et c’est le seul qu’elle puisse sonder… L’homme porte en lui-même des notions et des ambitions qui s’étendent au-delà ; … mais de cet ordre supérieur il n’a que l’instinct et la perspective, il n’en a pas, il n’en peut pas avoir la science… L’esprit sait qu’il y a des espaces au-delà de celui que les yeux parcourent ; mais les yeux n’y pénètrent pas. » Plus je médite ces belles paroles, moins je vois la différence qui les sépare de la pensée de M.  […] Vous appelez Dieu à votre propre tribunal ; vous jugez en dernier ressort de la parole sainte ! […] Littré, Paroles de philosophie positive, p. 52.

538. (1809) Quelques réflexions sur la tragédie de Wallstein et sur le théâtre allemand

Aucune tournure poétique ne permettrait de transporter ce détail sur notre théâtre ; l’emphase des paroles ne ferait que gâter le naturel de la situation, et ce qui est touchant en allemand ne serait en français que ridicule. […] Il avait, par ce ménagement mal entendu, dépouillé le chœur de l’impartialité qui donne à ses paroles du poids et de la solennité. […] Nul doute que, dans une tragédie grecque, le chœur n’eût alors pris la parole, pour réduire en maximes les sentiments qui se pressent en foule dans l’âme du spectateur. […] La force de ce talisman n’existe plus. » Le spectateur, qui sait que le poignard est suspendu sur la tête du héros, reçoit une impression très-profonde de ce présage que Wallstein méconnaît, et des paroles qui lui échappent, sans qu’il les comprenne. […] Chacun, dans le sanctuaire de sa pensée, s’explique cette voix comme il le peut ; chacun s’en tait avec les autres, parce qu’il n’y a point de paroles pour mettre en commun ce qui jamais n’est qu’individuel.

539. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’avenir du naturalisme »

La complexité due à l’existence d’un milieu organique intérieur est la seule raison des grandes difficultés que nous rencontrons dans la détermination expérimentale des phénomènes de la vie et dans l’application des moyens capables de la modifier… Si les phénomènes vitaux ont une complexité et une apparente différence de ceux des corps bruts, ils n’offrent cette différence qu’en vertu des conditions déterminées ou déterminables qui leur sont propres7. »‌ Paroles que Zola commente et résume très clairement, de la manière suivante : « … La spontanéité des corps vivants ne s’oppose pas à l’emploi de l’expérimentation. […] L’animal humain n’apparaît pas pour lui l’acteur isolé dans un site conventionnel, la terre et l’homme se communiquent la même chaude parole, échangent les mêmes fluides, participent au même souffle. […] Ce sont là évidemment les paroles de la force, des mots irréfutables et sans réponse. […] Je m’étonne d’avoir à prononcer de telles paroles sur une œuvre qui contient parfois de si riches intuitions, comme en témoignent des phrases semblables à celle-ci : « La nature est entrée dans nos œuvres d’un élan si impétueux, qu’elle les a emplies, noyant parfois l’humanité, submergeant et emportant les personnages, au milieu d’une débâcle de roches et de grands arbres17 ». […] Les Trois Villes toutefois, sa récente trilogie, marque un élargissement de la pensée qui conçut les Rougon-Macquart, élargissement qu’entrevoyait peut-être Zola, lorsqu’il prononçait ces paroles : « L’avenir appartiendra à celui où à ceux qui auront saisi l’âme de la société moderne, qui, se dégageant des théories trop rigoureuses, consentiront à une acceptation plus logique, plus attendrie de la vie.

540. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIIe entretien. Vie du Tasse (3e partie) » pp. 129-224

Tout proteste, dans les faits et dans les paroles, contre toute persécution du Tasse à cette époque. […] Il écrivit, au printemps de 1579, à son protecteur le cardinal Albano, pour lui retirer les paroles données et pour réclamer son intervention auprès du duc de Ferrare. […] Au son des paroles sacrées qu’il prononce, Clorinde se ranime ; elle sourit, une joie calme se peint sur son front et y éclaircit les ombres de la mort. […] Vous connaissez la gravité et la tenue du Tasse, combien il est digne dans sa parole, sa tournure, son maintien, dans chacun de ses gestes. […] Nous la traduisons comme la dernière parole échappée de son cœur.

541. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — I. » pp. 41-61

Mais comme il est dans le tempérament de Madame et dans son humeur d’outrer tout, même ses bonnes qualités, et d’y introduire quelque incohérence, elle va fort au-delà du but lorsqu’elle exprime le vœu de voir aux galères à la place des innocents ceux qu’elle suppose les persécuteurs, ou même d’autres moines quelconques, par exemple les moines espagnols qui furent les derniers à résister dans Barcelone à l’établissement du petit-fils de Louis XIV : « Ils ont prêché dans toutes les rues qu’il ne fallait pas se rendre ; si l’on suivait mon avis, on mettrait ces coquins aux galères, au lieu des pauvres réformés qui y pâtissent. » Voilà bien Madame dans sa bonté de cœur et dans ses excès de paroles, dans sa religion franche, sincère, mêlée de quelque bigarrure. […] Elle parle de tout indistinctement comme un homme, n’est jamais dégoûtée en paroles, et n’y va jamais par quatre chemins quand elle a à exprimer quelque chose qui serait difficile et embarrassant pour toute autre. […] Ce qui eût été incongruité chez toute autre prenait un certain sel dans sa bouche ; elle avait ses privilèges : Lorsqu’il répugnait au roi de dire quelque chose directement à une personne, c’était à moi qu’il adressait la parole ; il savait bien que dans la conversation je ne me contraignais point, et cela le divertissait. […] Quand le nom du roi fut hors de cause, Mme de Maintenon eut bientôt à parler pour son propre compte et à répondre aux reproches que lui faisait Madame d’avoir varié de sentiments à son égard : l’ayant laissée dire comme la première fois, l’ayant laissée s’avancer jusqu’au bout et s’enferrer en quelque sorte, elle lui découvrit tout d’un coup des paroles secrètes, particulièrement offensantes pour elle-même, qu’elle savait depuis dix ans et plus, qu’elle avait gardées sur le cœur, et que Madame avait dites à une princesse, morte depuis, laquelle les avait répétées dans le temps mot pour mot à Mme de Maintenon : « À ce second coup de foudre, Madame demeura comme une statue ; il y eut quelques moments de silence. » Puis ce furent des pleurs, des cris, des pardons, des promesses, et un raccommodement qui, fondé sur un triomphe froid pour Mme de Maintenon et sur une humiliation intime pour Madame, ne pouvait être de bien longue durée.

542. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — I. » pp. 473-493

La reine lui répondit en français (mai 1678), la remerciant en particulier de son Florus ; et, après quelques paroles de louanges pour cette admirable éducation du Dauphin, qui en devait profiter si peu, elle ajoutait : Mais vous, de qui on m’assure que vous êtes une belle et agréable fille, n’avez-vous pas de honte d’être si savante ? […] Ainsi d’abord elle dédie cet Anacréon au sévère M. de Montausier, comme plus tard son mari dédiera son Épictète au Régent avec toutes sortes de belles paroles de l’Écriture dans la dédicace et en ajoutant, de peur d’y manquer : « En effet, Monseigneur, sans la morale, que serait-ce que la politique ?  […] Pour peindre cette diction homérique dont elle est pénétrée et qui fait l’âme du poème, elle a des paroles qui sont d’un écrivain et des images qui portent sa pensée : « La louange, dit-elle, que ce poète donne à Vulcain, de faire des trépieds qui étaient comme vivants et qui allaient aux assemblées des dieux, il la mérite lui-même : il est véritablement cet ouvrier merveilleux qui anime les choses les plus insensibles ; tout vit dans ses vers. » Comment donc oser le traduire ? […] [NdA] Dion Chrysostome a dit d’Homère une parole excellente et qui se vérifierait encore aujourd’hui pour ceux que tenterait un commerce familier avec les anciens : « Homère est à la fois l’auteur du milieu et de la fin, et du commencement, d’une lecture également convenable à l’enfant, à l’homme fait et au vieillard ; il donne de son fonds à chacun autant que chacun en peut prendre. » 109.

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