L’honnêteté de l’utopiste est dans sa tête ; elle y est comme une sorte d’ivresse dans laquelle il oublie ce que commande aux gens de bien l’honnêteté qui vient du cœur. […] Les peuples que Rousseau y a vus sont des peuples forts ; on n’y connaît que des droits, et dans les conventions qu’ils veulent bien faire, on ne stipule que des libertés et l’on oublie l’obéissance. […] Quel miel pour attirer les lecteurs que de leur dire à chaque instant : « N’allez pas vous piquer de me ressembler » ; et, pour varier : « N’oubliez pas que je vaux mieux que vous ! […] Dans ses promenades aux champs, la boîte de l’herboriseur au dos, il oublie son rôle, ses ennemis ; il s’oublie lui-même. […] Il a eu des jours heureux, parce qu’il a eu ces jours-là un goût naïf et la faculté de s’y oublier.
Je veux t’y soustraire. » Il ne faudrait pourtant pas oublier que des libretti ont été signés des plus grands noms de notre littérature. […] Notre siècle enfin, qui a fouillé l’histoire avec tant de zèle et de patience, qui a pris tant de plaisir à ressusciter les âges disparus, a eu les plus habiles restaurateurs de monuments anciens, si bien qu’à force de reproduire tous les styles il a presque oublié d’avoir le sien propre. […] L’histoire littéraire doit bénéficier à son tour de la faculté précieuse acquise par l’intelligence humaine ; et, pour commencer, elle ne peut pas oublier les liens qui rattachent la littérature à l’ameublement. […] On me pardonnera si j’oublie dans la liste quelques-uns de ces élégants bipèdes. […] Il sied encore de ne pas oublier les divertissements de toute espèce qui se lient d’une façon étroite à l’histoire de la langue et de la littérature.
Mais on n’oubliera jamais que c’est là une chose qui dépendait le plus souvent de circonstances tout extérieures et accidentelles, et que toute conclusion psychologique ou autre qu’on voudrait déduire de telles dates est donc sujette à caution. […] Mais tâchons d’oublier qu’il est question d’un théâtre wagnérien à Paris ou autre part ; il sera temps d’en parler plus tard, si on ne parvient pas à l’empêcher. […] Aussi ne faut-il point s’étonner si, dans ce manque de s’oublier soi-même, le respect même parfois a fait défaut. […] Le sillon de feu brillera d’un éclat de plus en plus vif ; sa lumière se propagera et exercera partout une influence bienfaisante sur le drame musical ; grâce à elle, les maîtres presque oubliés, mal compris ou méconnus seront remis en honneur et appréciés comme ils méritent de l’être. […] Chamberlain cite ici des œuvres de jeunesse de Wagner totalement oubliées aujourd’hui et restées à l’état d’ébauches.
Nous pouvons oublier le nom de tes montagnes ; Mais qu’en fouillant le sein de tes blondes campagnes, Nos regards tout à coup viennent à découvrir Quelque dieu de tes bois, quelque Vénus perdue… La langue que parlait le cœur de Phidias Sera toujours vivante et toujours entendue ; Les marbres l’ont apprise, et ne l’oublieront pas. […] Et ce retour amer et délicieux à l’âge de pureté et d’innocence par l’air oublié et retrouvé d’un orgue dans la rue, comme il est compris et rendu dans ces vers funèbres. […] Puisque l’oiseau des bois voltige et chante encore Sur la branche où ses œufs sont brisés dans le nid ; Puisque la fleur des champs entr’ouverte à l’aurore, Voyant sur la pelouse une autre fleur éclore, S’incline sans murmure et tombe avec la nuit ; Puisque au fond des forêts, sous les toits de verdure, On entend le bois mort craquer dans le sentier, Et puisque en traversant l’immortelle nature, L’homme n’a su trouver de science qui dure, Que de marcher toujours, et toujours oublier ; Puisque, jusqu’aux rochers, tout se change en poussière ; Puisque tout meurt ce soir pour revivre demain ; Puisque c’est un engrais que le meurtre et la guerre ; Puisque sur une tombe on voit sortir de terre Le brin d’herbe sacré qui nous donne le pain ; Ô muse ! […] Si vous oubliez votre histoire, Vos jeunes filles, sûrement, Ont mieux gardé notre mémoire ; Elles nous ont versé votre petit vin blanc, etc. […] S’ils ne le peuvent plus, que ces vers oubliés Aillent au moins frémir et tomber à tes pieds !
Ainsi, par exemple, de l’idolâtrie scientiste, où la masse par le plus hypocrite des jeux de mots trouvait illusion de progrès spirituel sans, toutefois, perdre de vue les fins utiles ni oublier les profits particuliers à tirer de nouvelles découvertes. […] L’être limite son existence, son pouvoir, pour être sûr de soi, oublier le mystère et nier l’infini dont Aragon fait si bien de nous annoncer la défense. […] Mais pas un propriétaire qui, dans sa mesquinerie, n’oubliât les avenues magnifiques du rêve. […] Ils essaient de se rattraper aux branches secondaires, de dessiner des arabesques, d’oublier le fond pour la forme, de ne plus penser au pourquoi, mais au plus simple, au plus facile comment. […] Le doute cartésien, selon Crevel, oublie de s’appliquer à ce qui fonde l’édifice, l’unité du sujet.
N’oublions jamais en le lisant qu’il y manque celui qui les animait de son action modérée et de sa personne, celui dont la voix avait tous les tons de l’âme, et dont le grand acteur Baron disait après l’avoir entendu : « Voilà un orateur ! nous ne sommes que des comédiens. » N’oublions jamais que, dans cette éloquence si copieuse et si redoublée, chacun des auditeurs trouvait, à cause de cette diversité même d’expressions sur chaque point, la nuance de parole qui lui convenait, l’écho qui répondait à son cœur ; que ce qui nous paraît aujourd’hui prévu et monotone parce que notre œil, comme dans une grande allée, dans une longue avenue, court en un instant d’un bout de la page à l’autre, était alors d’un effet croissant et plus sûr par la continuité même, lorsque tout cela, du haut de la chaire, s’amassait, se suspendait avec lenteur, grossissait en se déroulant, et, ainsi qu’on l’a dit de la parole antique, tombait enfin comme des neiges. […] Il a pourtant d’agréables et justes passages, comme celui-ci par exemple, qui peint Louis XIV dans son caractère de familiarité grave et de haute affabilité : De ce fonds de sagesse sortait la majesté répandue sur sa personne : la vie la plus privée ne le vit jamais un moment oublier la gravité et les bienséances de la dignité royale ; jamais roi ne sut mieux soutenir que lui le caractère majestueux de la souveraineté.
Les Sermons de Massillon ne sont pas de ces ouvrages qui s’analysent : on ne les réduit pas à plaisir, on ne coupe point à volonté dans ces beaux ensembles de mœurs traités si largement, dans ces vastes descriptions intérieures où rien de successif n’est oublié : on pourrait tout au plus en présenter des morceaux étendus et des lambeaux. […] car cette idée de mort, que les hommes oublient sans cesse et qu’ils essayent de tourner, les domine, quoi qu’ils fassent. […] [NdA] On voudra bien ne pas oublier que ces articles parurent d’abord dans Le Moniteur, le lieu le moins propre assurément à une discussion de ce genre sur les mœurs d’un prédicateur éloquent.
Daru, dans la retraite où il composait son Histoire de Venise, rendu tout entier à sa nature d’écrivain et se rouvrant, comme la plupart des esprits d’alors, à une impulsion d’idées qui sera bientôt universelle, n’oublie donc pas les résultats de l’expérience, laquelle a condamné souvent certains désirs que l’homme estimait plus conformes à sa dignité (t. […] Il faut toutefois, pour être juste, ne pas oublier une distinction essentielle : les observations et la statistique de M. […] Dans l’épilogue qui termine le chant VIe et que je veux citer pour exemple du ton, l’auteur se représente comme ayant passé la nuit à méditer sur ces astres sans nombre et sur tout ce qu’ils soulèvent de mystères, jusqu’au moment où l’aube naissante les fait déjà pâlir et quand, à côté de lui, l’insecte s’éveille au premier rayon du soleil : Ainsi m’abandonnant à ces graves pensées, J’oubliais les clartés dans les Cieux effacées : Vénus avait pâli devant l’astre du jour Dont la terre en silence attendait le retour ; Avide explorateur durant la nuit obscure, J’assistais au réveil de toute la nature : L’horizon s’enflammait, le calice des fleurs Exhalait ses parfums, revêtait ses couleurs ; Deux insectes posés sur la coupe charmante S’enivraient de plaisir, et leur aile brillante Par ses doux battements renvoyait tous les feux De ce soleil nouveau qui se levait pour eux ; Et je disais : « Devant le Créateur des mondes « Rien n’est grand, n’est petit sous ces voûtes profondes, « Et dans cet univers, dans cette immensité « Où s’abîme l’esprit et l’œil épouvanté, « Des astres éternels à l’insecte éphémère « Tout n’est qu’attraction, feu, merveille, mystère. » Ce sont là des vers français qui me font l’effet de ce qu’étaient les bons vers latins du chancelier de L’Hôpital et de ces doctes hommes politiques du xvie siècle s’occupant, se délassant avec gravité encore, dans leur maison des champs, comme faisait M.
Ainsi échouent, disait-il encore en y revenant après bien des années, et non toutefois sans quelque amertume, ainsi échouent les plus nobles entreprises, conçues par une minorité éclairée et généreuse qui a oublié de regarder sur ses derrières, a compté les hommes au lieu de les peser, et ne sait pas qu’en dernière analyse les nations ne seront jamais gouvernées que comme elles sont faites. […] Arrêté et livré enfin, détenu à Tarbes durant plus d’une année, mais oublié heureusement des triumvirs de Paris, il fut rendu à la liberté en novembre 1794, et il reprit à l’instant le cours de ses travaux, de ses explorations à la fois positives et passionnées. […] Et ce n’est que le centre et le pivot de la description ; il faut en suivre le détail et les circonstances chez l’auteur, sans oublier cette belle page sur l’absence totale de vie, sur la fuite ou l’anéantissement de tous êtres vivants dans ces mortelles solitudes dès cette époque de la saison : deux papillons seuls, non pas même des papillons de montagnes (ils sont trop avisés pour cela), mais de ceux des plaines, le Souci et le petit Nacré, aventuriers égarés on ne sait comment, avaient précédé les voyageurs jusqu’en ce vaste tombeau, « et l’un d’eux voletait encore autour de son compagnon naufragé dans le lac ».
S’il ne les avait pas lus lui-même, il s’était fait lire quelque chose de Tite-Live, de Langey, de Guichardin (dont il a oublié le nom, mais qu’il appelle un bon auteur) : « Il me semblait, dit-il quelque part, lorsque je me faisais lire Tite-Live, que je voyais en vie ces braves Scipions, Catons et Césars ; et quand j’étais à Rome, voyant le Capitole, me ressouvenant de ce que j’avais ouï dire (car de moi j’étais un mauvais lecteur), il me semblait que je devais trouver là ces anciens Romains. » Voilà le degré de culture de Montluc ; c’était assez, avec son esprit naturel et son amour de la gloire, pour le mener, sans imitation directe, à être l’émule de ces anciens qu’il connaît peu. […] C’est son mot favori ; et il n’oublie pas de nous dire qu’à ce moment où il parlait ainsi des grands coups de la bataille, il levait haut le bras et faisait le geste de vouloir frapper ; ce qui ne déplaisait pas au roi et redoublait la joie du Dauphin. […] » En sortant de la chambre du conseil, n’oublions pas que Montluc se voit entouré des meilleurs de la jeune noblesse, et qui brûlent, s’il y a combat, de courir en volontaires pour y être à temps ; il leur répond moitié en français, moitié en gascon, et les conviant de se dépêcher s’ils veulent « en manger » et être de la fête.