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36. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces diverses — Préface du « Rhin » (1842) »

Le Rhin est le fleuve dont tout le monde parle et que personne n’étudie, que tout le monde visite et que personne ne connaît, qu’on voit en passant et qu’on oublie en courant, que tout regard effleure et qu’aucun esprit n’approfondit. […] Depuis douze ans, il a écrit ainsi force lettres sur la France, la Belgique, la Suisse, l’Océan et la Méditerranée, et il les a oubliées. Il avait oublié de même celles qu’il avait écrites sur le Rhin quand, l’an passé, elles lui sont forcément revenues en mémoire par un petit enchaînement de faits nécessaires à déduire ici. […] Il ne faut pas oublier que ces lettres, qui pourtant n’auront peut-être pas deux lecteurs, sont là pour appuyer une parole conciliante offerte à deux peuples. […] L’auteur oublie dans cette double occasion que Frédéric Ier ne s’est croisé que deux fois, la première n’étant encore que duc de Souabe, en 1147, en compagnie de son oncle Conrad III ; la seconde étant empereur, en 1189.

37. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre onzième. »

La Fontaine oublie qu’il s’en est moqué, lui-même, dans sa fable du chien qui veut boire la rivière. […] Quant à M. le duc du Maine, il est fâcheux que l’assemblée des dieux ait oublié à son égard un article bien important ; c’était de lui donner un peu de caractère ; cette qualité lui eût épargné bien des dégoûts. […] N’est-il pas plaisant de voir toujours La Fontaine oublier son mariage, sa femme et son fils ? […] voyez comme il s’efface, comme il est oublié, comme il a disparu !

38. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » p. 324

Deux Tragédies oubliées, quelques Poésies fugitives aussi oubliées, sont les présens qu’il a faits au Public, toujours ingrat pour ce qui porte le caractere de la médiocrité.

39. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 12, qu’un ouvrage nous interesse en deux manieres : comme étant un homme en general, et comme étant un certain homme en particulier » pp. 73-80

Il est vrai que le public oublie bientôt les livres qui n’ont d’autre merite que celui de prendre l’effort en certaines conjonctures : il faut que le livre soit bon dans le fonds pour se soutenir, mais s’il est tel, s’il merite de plaire à tous les hommes, l’interêt particulier le fait connoître beaucoup plûtôt. […] Par exemple, ceux qui s’étonnent que Cesar ait été déconcerté en écoutant l’oraison de Ciceron pour Ligarius, et que le dictateur se soit oublié lui-même jusqu’à laisser tomber par un mouvement involontaire des papiers qu’il tenoit entre ses mains. […] On concevra bientôt comment le vainqueur de Pharsale, qui sur le champ de bataille même avoit embrassé son ennemi vaincu comme son concitoïen, a pu se laisser toucher par la peinture de cet évenement que fait Ciceron, au point d’oublier qu’il fut assis sur un tribunal.

40. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article »

GREVIN, [Jacques] né à Clermont en Beauvoisis, mort à Turin en 1570, âgé de 29 ans, Poëte oublié & contemporain de Ronsard. […] Celles qu’on a faites depuis, devoient nécessairement faire oublier les siennes.

41. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIVe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 257-320

L’inspiration même, qui manquait quelquefois à la figure au repos, reparaissait en elle aussitôt qu’elle oubliait le monde pour s’abandonner à son génie plastique. […] Je n’ai jamais vu ailleurs que devant ces statues animées de madame de Bombelles le prodige des attitudes, et je ne l’ai jamais oublié. […] Vous oublier, c’est s’oublier soi-même : N’êtes-vous pas un débris de nos cœurs ? […] Nous auraient-ils oubliés sans retour ? […] Ce monde, monsieur, n’est qu’un grand oubli pour la plupart ; je ne dis pas cela pour toi, notre Fior d’Aliza, qui ne nous as jamais oubliés dans notre misère et qui as préféré la veste brune et le bonnet de laine de ton cousin aux plus riches habits et aux chapeaux galonnés des villes.

42. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article »

Serres ou Serranus, [Jean de] Ministre Protestant, né en Languedoc en 1538, mort en 1598 ; est un de ces Savans en es ou en us, dont on auroit oublié le nom, comme on a oublié leurs Ouvrages, si quelques charitables Lexicographes n'avoient eu l'indulgence de les placer dans leur Légende.

43. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Les poëtes français. Recueil des chefs-d’œuvre de la poésie française »

Le poëte sincère ne désire autre chose que de ne pas être oublié. […] Certes, et je ne l’ai pas oublié, tous les grands poëtes de la Renaissance ont fait des sonnets : qui ne connaît ceux de Dante, de Shakspeare, de Milton ? […] Depuis, quelques poëtes ont tenu à faire des recueils entiers tout en sonnets, Boulay-Paty le premier, qu’il ne faut pas oublier, puis M. de Gramont, M.  […] On l’a oublié ; on n’a pas assez remarqué dans le temps et signalé au passage deux recueils de lui (1840, 1847), pleins de fines galanteries, de rares et voluptueuses élégances.

44. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — George Sand. Cosima. »

Et d’abord, ceux qui sont si chauds partisans de ce qu’on appelle la réaction classique, et qui la comprennent peu, ceux qui y voient autre chose que le noble plaisir d’entendre une jeune tragédienne de talent et de rapprendre, grâce à elle, ce qu’il n’aurait jamais fallu oublier, ce qu’il faut moins que jamais reproduire, ceux-là, épris contre le drame moderne d’une ferveur novice de croisés, et qui ne daignent plus faire de différence de Hernani à Vautrin, étaient quelque peu disposés d’avance à y confondre Cosima. […] On oublie ce que c’est à un haut degré que le talent, cette fertilité d’un esprit multiple qui ne dépend pas des formes, qui sait s’y faire place bientôt, et, après un court apprentissage du métier, être partout lui-même, à l’aise et souverain. On oublie trop, dans le cas particulier, ce que c’est qu’un talent actif, généreux, dont le plaisir est surtout d’aller, de tenter, qui ne compte pas un à un les pas accomplis, qui n’est point à une œuvre ni à un succès près, qui se sent comme plein de lendemains ; un talent au-dessus des glorioles, et qui ne marchande pas la gloire. […] Celui-là a oublié le cœur humain depuis Hélène et Ariane jusqu’à la religieuse portugaise, jusqu’à l’amante du Giaour ; celui-là n’a jamais voyagé jeune en des pays lointains, et n’y a jamais cueilli sur une tige fragile son plus délicieux souvenir.

45. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’Âge héroïque du Symbolisme » pp. 5-17

C’étaient des poètes oubliés. […] Il dressait des poètes nouveaux une série de médaillons avec une sympathie si évidente qu’il achevait d’exaspérer le dernier rempart irréductible du Parnasse, le génial mais hargneux et vindicatif Leconte de Lisle, qui s’oublie jusqu’à déclarer en public : « Après Victor Hugo et Moi je ne vois pas ce qui reste à faire avec les vers. » — « De la poésie », lui hurlent en chœur les symbolistes vexés, et le public applaudit. […] Les échos mondains n’oublient pas de mentionner les réceptions de Verlaine et de Stéphane Mallarmé. […] Si douées d’attrait que fussent ces soirées chez un Verlaine en possession de la vogue et promu à la bruyante célébrité, elles n’arrivaient pas, à cause de leur pêle-mêle et de leur tohu-bohu, à me faire oublier les bonnes et paisibles soirées d’antan passées chez un Verlaine abandonné et méconnu et qui consentait à recevoir à l’improviste, autour de son lit de malade, quelques intimes privilégiés.

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