Ceux même qui ne bornent pas leur vue aux horizons terrestres et qui voient par-delà un avenir immortel ne sont nullement insensibles, comme autrefois, aux beautés et aux jouissances naturelles et légitimes : ils ne ferment pas les yeux à ce qui enchante et à ce qui plaît sur cette terre d’exil ; ils ne parlent plus même d’exil, mais seulement de préparation ; ils ne prétendent pas que la pauvreté et la misère soient tellement préférables à leurs contraires qu’il faille hésiter dès ici-bas à les combattre et à les détruire. […] Qui n’a pas vu cette taille mince, élevée, restée jeune, ce port ferme et résolu, cette démarche allègre, ce front haut légèrement dépouillé, aux cheveux clairsemés grisonnant à peine, cet œil surtout encadré d’un sourcil noir ardent, cette prunelle élargie et comme avide d’absorber le monde entier dans son orbite, ce regard qui vous perce et qui plonge en vous, ne connaît point l’homme. […] Duveyrier n’ait pas eu présentes, à ce moment, d’admirables pages de Napoléon qui sont, à mes yeux, la définition la plus vivante et la plus imagée que j’aie vue nulle part de la civilisation à l’œuvre et en marche. […] Dans ce laps de temps, les fortifications d’Alexandrie seraient achevées ; cette ville serait une des plus fortes places de l’Europe ; … l’arsenal de construction maritime serait terminé ; par le moyen du canal de Rahmaniéh, le Nil arriverait toute l’année dans le port vieux, et permettrait la navigation aux plus grandes djermes ; tout le commerce de Rosette et presque tout celui de Damiette y seraient concentrés, ainsi que tous les établissements civils et militaires ; Alexandrie serait déjà une ville riche ; l’eau du Nil, répandue autour d’elle, fertiliserait un grand nombre de campagnes, ce serait à la fois un séjour agréable, sain et sûr ; la communication entre les deux mers serait ouverte ; les chantiers de Suez seraient établis ; les fortifications protégeraient la ville et le port ; des irrigations du canal et de vastes citernes fourniraient des eaux pour cultiver les environs de la ville… Les denrées coloniales, le sucre, le coton, le riz, l’indigo, couvriraient toute la Haute-Égypte et remplaceraient les produits de Saint-Domingue. » Puis, de dix années de domination il passe à cinquante ; l’horizon s’est étendu ; l’imagination du guerrier civilisateur a pris son essor, et les réalités grandioses achèvent de se dessiner, de se lever à ses yeux de toutes parts : « Mais que serait ce beau pays, après cinquante ans de prospérité et de bon gouvernement ?
Mais il est évident qu’il y a eu des parties non imprimées et auxquelles il est référé même dans ce qu’on a donné et qui est aujourd’hui sous les yeux du lecteur. […] Ce fantôme de la Bastille était sans cesse devant ses yeux et troublait ses nuits. […] Ainsi en mesure et en règle à ses propres yeux, il le faisait bien vite payer aux autres ; il en est quitte pour se rattraper sur autrui : et, par exemple, le pauvre avocat, Me Doitot, qui, à son refus, accepte la défense de Mme de Lamotte, se voit drapé par lui de la belle manière. […] Cependant l’observateur, en lui, avait de quoi désennuyer le ministre d’État honoraire, en exerçant son mépris des hommes et sa critique des gouvernements : exclu de la scène, il ne cessait d’avoir l’œil dans les coulisses de la politique, et il se riait du jeu des acteurs.
En revanche, j’ai sous les yeux une suite de réflexions et de retours de Sénancour sur lui-même, qui, tout en laissant à désirer pour la précision du détail, ne sont autre chose qu’une autobiographie morale. Déjà, en 1848, lorsque je fis à Liège mon cours sur Chateaubriand, j’avais pu citer quelques pensées inédites, tirées de ce morceau, qui m’avaient été transcrites par Mlle de Sénancour ; mais aujourd’hui que cette respectable dame, solitairement vouée à la mémoire de son père, a bien voulu mettre sous mes yeux le morceau même en son entier, je ne craindrai pas de l’insérer ici. […] L’imagination voit un ciel d’une pureté parfaite ; mais quand l’œil veut en faire l’épreuve en quelque sorte, on découvre par degrés dans toutes ses parties ces vapeurs plus ou moins épaisses qui affaiblissent et décolorent les plus beaux jours, et qui les décolorent précisément afin que l’œil puisse trouver quelque repos.
XII À mes yeux, le seul moyen de faire l’apologie des sciences philologiques et, en général, de l’érudition est donc de les grouper en un ensemble, auquel on donnerait le nom de sciences de l’humanité, par opposition aux sciences de la nature. […] Les rares savants et penseurs, qui, à cette époque, ont cherché par la vraie méthode, alors inaperçus ou per-sécutés, sont à nos yeux sur le premier plan ; car seuls ils ont été continués ; seuls ils ont eu de la postérité. […] L’attraction du succin n’était aux yeux des anciens physiciens qu’un fait curieux, jusqu’au jour où, autour de ce premier atome, vint se construire toute une science. […] On a soin qu’elle soit tellement disposée à l’intérieur que l’œil seul se montre à la lucarne.
Or, je ne saurais recevoir cette impression-là, quand l’auteur, dans la traduction qu’il nous donne du portrait du peintre, s’épuise à nous décrire ces yeux, « qui sont, dit-il, imbibés de lumière jusqu’au fond, mais un peu humides des rayons délayés dans la rosée ou dans les larmes. » Je sens là une intention voluptueuse qui ne ressort pour moi d’aucune figure peinte par Raphaël, pas même de la sienne. […] Dans cette admirable élégie du Lac, qui vaut mieux, à mon sens, que tout Raphaël, le poète ne prenait encore les objets que pour ce qu’ils étaient un peu indistinctement à ses yeux, pour les témoins confus, pour les confidents et les dépositaires de son bonheur : Ô lac, rochers muets, grottes, forêt obscure, Vous que le temps épargne ou qu’il peut rajeunir, Gardez de cette nuit, gardez, belle Nature, Au moins le souvenir ! […] » Et, si épris, si enivré que fût son amant, il ne s’exprimait point encore alors comme il fait aujourd’hui : J’ouvrais les bras à l’air, au lac, à la lumière, comme si j’eusse voulu étreindre la nature et la remercier de s’être incarnée et animée pour moi dans un être qui rassemblait, à mes yeux, tous ses mystères, toute sa bonté, toute sa vie, tout son enivrement ! […] Joubert, parlant de ces défauts, bien moins développés, mais déjà sensibles, chez Bernardin de Saint-Pierre, disait : Il y a dans le style de Bernardin de Saint-Pierre un prisme qui lasse les yeux.
Alors il descendra dans la tombe avec moins de douleur, et ses yeux prêts à se fermer pourront n’être pas condamnés à verser des larmes. […] Sera-ce alors que l’on descendra dans soi-même, que l’on interrogera sa vie, que l’on se demandera ce que l’on a fait de grand ou d’utile, que l’on prendra la résolution de se consacrer enfin à des travaux pour l’État ou pour soi-même, que le fantôme de la postérité qui n’existait point pour l’âme indifférente, se réalisera enfin à ses yeux, et qu’elle consentira à mépriser la fortune, à irriter l’envie ? […] Ne verra-t-on pas quelquefois sur vos lignes tracées en désordre l’empreinte des larmes que votre œil aura laissé tomber en les écrivant ? […] D’ailleurs, son ton, ses yeux, sa voix, tous ses mouvements, de concert avec la passion qui l’anime, persuadent que cette passion est vraie.
« Pourquoi cette soudaine frayeur et ces yeux enflammés ? […] La meilleure postérité de Priam, à tes yeux, c’est une autre que moi : ma douleur, c’est que je sois importune et eux utiles, que je gêne et qu’ils plaisent. » Bientôt, d’une douleur en apparence résignée, la jeune fille, emportée par sa terreur prophétique, s’élève à ce langage : « La voici, la voici la torche enveloppée de flamme er et de sang : elle resta cachée, longues années. […] On sent ce contrecoup et cette puissance dans le trouble avoué de Cicéron, à qui ces vers remettent aussitôt sous les yeux la défaite de Pharsale, la fuite de ses amis, le pillage de Dyrrachium et la république abandonnée par ses défenseurs et ses alliés. […] « Sur la nouvelle du sénatus-consulte de rappel, qui venait de passer au sénat réuni dans le temple de la Vertu, ce grand artiste, dit Cicéron165, toujours au niveau des premiers rôles dans la république comme sur la scène, les yeux en pleurs, avec un rayon de joie mêlé de douleur et de regret, défendit ouvertement ma cause, par des paroles plus puissantes que je n’aurais pu en trouver moi-même.
Il avait sous les yeux et dans la mémoire tous les chants du poëte thébain, tous les modes variés de sa lyre. […] Le mépris des anciennes mœurs dans ce qu’elles avaient eu de simple et d’austère, la dérision de toute croyance à la loi morale, le recours suprême à la force, l’ambition impitoyable dans les chefs, toutes les convoitises serviles, le parjure, la perfidie, la bassesse dans les instruments, c’était le spectacle qu’avait eu devant les yeux le jeune Octave ; c’était l’école où il se forma pour l’empire. […] Cela, sans doute, n’aurait pas dû absoudre la domination d’Auguste aux yeux du philosophe, et encore moins du partisan de l’ancienne république ; mais le poëte pouvait prendre cette joie ou cette ignorance publique pour une excuse des louanges qu’il prodiguait à l’ancien prescripteur, dont lui-même n’avait éprouvé que les bienfaits. […] Pour éblouir et pour émouvoir, pour plaire à l’imagination, parfois même pour élever et fortifier l’âme, il n’a pas besoin des souvenirs de Delphes et d’Olympie, ni de ces fêtes romaines qu’il avait sous les yeux.
Et ainsi c’est le monde entier, c’est l’ensemble des réalités humaines que Shakespeare reproduit dans la tragédie, théâtre universel, à ses yeux, de la vie et de la vérité. […] La vérité est toujours là, devant les yeux du poëte : il les baisse et il écrit. […] Cette figure avait été dans l’origine, selon l’usage du temps, peinte des couleurs de la vie, les yeux d’un brun clair, la barbe et les cheveux plus foncés. […] Dans la secousse littéraire qui l’agite, l’Europe continentale tourne les yeux vers Shakespeare. […] La conspiration est sous nos yeux ; nous n’avons fait qu’entendre parler de la tyrannie.
On était frappé de la puissance et de la largeur de son front ; ses yeux pétillaient de vie et d’esprit et avaient pourtant une douceur caressante. […] C’était là, à ses yeux, le credo laissé par la Révolution. […] Le génie à ses yeux était peu de chose, ou pour mieux dire, n’existait pas sans la bonté, et la bonté à elle seule tenait lieu de tout. […] C’est un spectacle plus touchant, plus émouvant à ses yeux que celui d’une mère surveillant le premier pas de son enfant. […] La Grâce représentait à ses yeux le libre arbitre en opposition à la loi qui était la fatalité.