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383. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre III. L’histoire réelle — Chacun remis à sa place »

C’est Junius Blesus qui soupe chez Tuscus Csecina ; l’empereur envoie à ces buveurs une coupe de poison, afin qu’ils sentent par cette fin sinistre d’une nuit trop gaie que Vitellius est vivant. […] Le jour a sur les choses de la nuit une puissance rongeante irrésistible. […] J’accepte dans la nuit l’autorité des flambeaux. […] Ils s’éteignent lentement, les voilà qui touchent l’horizon, ils sont mystérieusement attirés par l’obscurité ; ils ont des similitudes avec les ténèbres ; de là leur descente fatale ; leur ressemblance avec les autres phénomènes de la nuit les ramène à cette unité terrible de l’immensité aveugle, submersion de toute lumière.

384. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — I » pp. 39-56

Les principaux traits accusés par Saint-Simon sont bien en Villars ; mais il les a présentés sous un jour si contraire, si particulier, à la clarté de sa lampe de nuit et avec de telles rougeurs dans l’ombre, qu’on n’a devant soi qu’un monstre de vanité, de forfanterie et de fortune, une caricature. […] Villars, qui avait la charge de cornette des chevau-légers de Bourgogne, et qui n’avait rien à faire là comme cavalier, se jeta dans la tranchée sans en rien dire, une nuit où il prévoyait qu’il y ferait chaud ; avec quelques gendarmes de son corps mêlés aux grenadiers, il marcha des premiers à l’attaque d’une demi-lune, s’y logea, et y tint aussi longtemps qu’il put jusqu’au jour. […] À la frontière de Suisse, aux portes de Bâle, il tomba par une nuit sombre dans le fossé, et faillit y laisser sa vie.

385. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Biot. Essai sur l’Histoire générale des sciences pendant la Révolution française. »

Les sciences, « unies par une philosophie commune, » y sont montrées « s’avançant de front, les pas que fait chacune d’elles servant à entraîner les autres. » Plus de danger sérieux désormais pour l’ensemble des connaissances humaines ainsi liées étroitement et toutes solidaires entre elles, plus de période rétrograde possible depuis la découverte de l’imprimerie : « Lorsqu’au milieu d’une nuit obscure, perdu dans un pays sauvage, un voyageur s’avance avec peine à travers mille dangers ; s’il se trouve enfin au sommet d’une haute montagne qui domine un vaste horizon, et que le soleil, en se levant, découvre à ses yeux une contrée fertile et un chemin facile pour le reste du voyage, transporté de joie, il reprend sa route, et bannit les vaines terreurs de la nuit. […] Il se moque en passant d’une des belles descriptions du Génie du christianisme, description arrangée et symétrique, j’en conviens, dans laquelle l’auteur nous montre, pendant une traversée de l’Océan, le globe du soleil couchant qui apparaît entre les cordages du navire, — la lune, à l’opposite, qui se lève à l’orient, — et vers le nord, « formant un glorieux triangle avec l’astre du jour et celui de la nuit, une trombe brillante des couleurs du prisme… » M. 

386. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourgogne, par M. Michelet »

Poussez-le, vous lui ferez dire en plein jour qu’il est nuit ; car il n’y a plus ni jour ni nuit pour une tète démontée par son caprice. […] » Un autre jour qu’au réveil, après une nuit d’été où avait éclaté un violent orage, le jeune prince, les yeux encore tout endormis, était de mauvaise humeur, et que, sans pousser l’emportement jusqu’à mériter qu’on lui montrât le portrait de la Médaille, il avait tout simplement des nerfs, comme nous dirions, Fénelon écrivait la fable : Le Nourrisson des Muses favorisé du Soleil.

387. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Marie Stuart, par M. Mignet. (2 vol. in-8º. — Paulin, 1851.) » pp. 409-426

Darnley y périt étranglé avec son page, dans la nuit du 9 février 1567. […] Le crime eut de l’écho par-delà les mers : L’Hôpital, ce représentant de la conscience humaine en un siècle affreux, apprit, dans la retraite de sa maison des champs, l’égarement de celle dont il avait célébré le premier mariage et la grâce première ; il consacra son indignation par une nouvelle pièce de vers latins, dans laquelle il raconte les horreurs de cette nuit funèbre, et ne craint pas de désigner l’épouse et la jeune mère, meurtrière, hélas ! […] Que reprocher d’ailleurs à celle qui, après dix-neuf ans de supplice et de torture morale, dans la nuit qui précéda sa mort, chercha dans la vie des saints, que ses filles avaient coutume de lui lire tous les soirs, un grand coupable à qui Dieu eût pardonné ?

388. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Th. Dostoïewski »

Le nu délabrement des galetas, les maisons sordides, où sur l’ombre puante des escaliers claquent des portes pendantes, les entrées subites d’inconnus par des seuils béants, les cafés lumineux où, sous le jet des gaz et la vapeur traînante des alcools, s’exacerbe la virulence des maniaques, les hôtels borgnes qui logent entre des draps froids les dormeurs d’une dernière nuit, la toux hoquetante des phtisiques, le souffle nocturne du vent dans des cimes pliantes, — sont les vues et les bruits dont le caractère vaguement redoutable emplit encore d’appréhension des lieux plus sûrs, les rues, les appartements, les bureaux. […] Il n’est pas, dans tout le livre, de crise plus tragique et plus mystérieuse que la nuit précédant ce suicide, coupée de rêves obscènes, bruyante du souffle lourd du vent dans les arbres, et du lointain murmure du fleuve se gonflant ; ces longues heures, qui sont le raccourci de son trouble, de ses crimes et du puissant amour qui l’exalta à le rendre miséricordieux et désespéré, sont celles d’un demi-monstre luxurieux, dissolu, violent, rusé et gai, mais dont la chair aussi est souffrante, et désireuse de jouir et tendre à la douleur. […] Ainsi ces romans sont imbus de condoléance, depuis la scène où une petite enfant raconte à des parents endurcis pour leur fille, l’histoire de l’abandon de sa mère jusqu’à tous les actes évangélique de l’idiot, jusqu’à l’inoubliable entrevue de Raskolnikoff et de Sonia, irrités tous deux l’un contre l’autre, chargés des pires souillures et égaux dans le douloureux abandon de tout orgueil, qui tombent agenouillés l’un devant l’autre et pleurent sur leur souffrance et sur celle qui, diffuse dans la nuit du monde, fait sourdre de toute chair en toute terre, le même murmure de lamentations, et la même pluie lente de larmes.

389. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Introduction » pp. 3-17

Or, 1º la personne d’Alfred de Musset remplit son théâtre : il est l’amant de Camille, le neveu de Van Buch ; il montre trop d’esprit et trop de son esprit, quand il dispute contre son oncle ; 2º il rêve, il fait de la fantaisie sur la scène, de même que dans ses Nuits ou dans Rolla ; qu’est-ce qu’une comédie qui s’ouvre par le chant d’un chœur : « Doucement bercé sur sa mule fringante, Messer Blazius s’avance dans les bluets fleuris1 ?  […] Aristophane l’a réalisé, et il faut bien convenir que deux petites pièces telles que Le Songe d’une nuit d’été et Comme il vous plaira, de Shakespeare, sont deux chefs-d’œuvre, et deux chefs-d’œuvre essentiellement différents du Tartuffe et du Misanthrope.

390. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les petites revues » pp. 48-62

Mais leurs ventres éclats de la nuit des Tonnerres ! […] Jean Moréas et Paul Adam y publièrent le Thé chez Miranda où on lisait des truculences de ce genre : « C’est l’hiémale nuit et ses buées et leurs doux comas.

391. (1767) Salon de 1767 « Les deux académies » pp. 340-345

Vous croyez peut-être que la nuit survint et que tout s’appaisa. […] Après avoir travaillé dix-sept ans depuis la pointe du jour jusqu’à la nuit !

392. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Lefèvre-Deumier »

Ceux qui viendront demain ne seront peut-être pas fâchés, si l’hiver ou la nuit dure encore, de retrouver, pour rallumer leur falourde ou leur lampe, quelques charbons sous nos cendres…  » Certainement, tout cela est vrai, triste, bien tourné, joli dans sa tristesse, mais ne se verrait pas sans le commentaire préalable ; et dans ce Couvre-feu, puisque ainsi le livre est nommé, c’est le feu du titre qui serait couvert, c’est-à-dire sa lumière. […] Des voiles qu’il soulève, il rend sa nuit plus noire : Aussitôt qu’il s’éclaire, il désapprend à croire.

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