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959. (1908) Promenades philosophiques. Deuxième série

Ne voit-on pas déjà, du Noir au Blanc, la dentition s’affaiblir ? […] C’est la physiologie de Galien, qui expliquait qu’il y a deux sortes de sang ; le rouge, partant du cœur et allant au poumon ; le noir, partant du foie et allant vers les autres parties. […] On est enlevé le long d’un tunnel, d’un boyau noir, et souvent, arrivés en haut, les joyeux touristes ne voient rien qu’un immense nuage blanc. […] Cela court, cela chante, cela rit, cela brille au soleil et cela devient tout noir sous les arbres. […] Tybert, né à Paris, est fils d’un chat de gouttière et d’une chatte angora ; il est d’un noir brunâtre et ses oreilles sont un peu trop longues.

960. (1888) Portraits de maîtres

Stello, qui nous semble le portrait de Vigny même avec ses souffrances sans chagrin », sa tristesse impérissable, son désespoir sans transports, en proie aux diables bleus plus que d’habitude, demande une consultation à son médecin le Docteur noir, plein d’expérience narquoise et profonde. […] Ici la Beauté pure est déesse, mais déesse dans un temple de marbre noir. […] Elle s’allie au tambourin Du dieu de la vendange, Quand pour guérir un noir chagrin Coule un vin sans mélange. […] Nous devons à ce souci des pages délicieuses, tantôt sur un petit mulet noir « hôte du foyer », tantôt sur des lézards, « compagnons de Midi » qui étaient devenus des amis pour Michelet. […] Il émerge enfin des noires profondeurs ; avec lui les peuples, les héros sortent du sommeil et du sépulcre ; la Justice domine sur la terre, et, selon le mot de Mirabeau, le Droit devient le souverain du monde.

961. (1902) Le problème du style. Questions d’art, de littérature et de grammaire

Tant d’autres insectes vivent sur les feuilles et vivent de feuilles, qui sont demeurés de petites boules rouges ou noires ! […] Il énumère les souvenirs que lui ont laissés ses sensations avec ordre et mesure, sans être jamais troublé par aucune synesthésie ; chaque figure de son dessin, chaque plante, chaque bête est entourée d’un trait noir qui la sépare du reste ; les sens n’empiètent pas les uns sur les autres ; tout est correct et propre. […] Dans ce royaume des confusions supérieures et volontaires, les sages distinguent parfaitement les deux couleurs, le blanc, le noir ; mais ils savent que l’une est la totalité du spectre et l’autre la somme des trois fondamentales et ils savent aussi que, quoique le blanc soit à l’opposé du noir, il le contient, et la réciproque. […] La sortie d’une boule blanche, d’une urne, qui, sur un million de boules, n’en contient qu’une seule de cette couleur, les autres étant noires, nous paraît encore extraordinaire ; parce que nous ne formons que deux classes d’événements, relatives aux deux couleurs. […] Nal-des vaudrait deux noires, équivalent exact de la blanche représentée par le nal du premier vers.

962. (1924) Intérieurs : Baudelaire, Fromentin, Amiel

Et tout, même la couleur noire, Semblait fourbi, clair, irisé ; Le liquide enchâssait sa gloire. […] Leur source est aussi profonde que la source des vers qui disent la Vénus noire, mais plus facile à exposer au jour. […] Ses lettres révèlent, comme toutes celles du temps, la plus noire tristesse, et il s’y joint un froid découragement qui l’empêche quelque temps de travailler. […] Debout dans cette ombre grise, et dominant tout le paysage de leur longue taille, Si-Djilali, son frère et leur vieux père, tous trois vêtus de noir, assistaient en silence au repas. […] à penser librement, solitairement, avec une plume, à voir sa pensée plus nette dans le miroir blanc qui la reflète en petits signes noirs.

963. (1936) Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours pp. -564

Ce qui fut neuf en son temps est devenu cliché, et qu’on pense par exemple à l’effort qu’il faut et que bien peu font, pour nettoyer de ce noir du temps le songe d’Athalie ! […] Les noms des deux grands disciples des idéologues, Stendhal et Taine, suffisent à nous montrer qu’elles ne pouvaient prendre forme, voix, troisième dimension, qu’en buvant le sang noir, en s’incorporant un romantisme. […] Et Flaubert n’aurait même pas osé mettre dans la bouche d’Homais les propos sous-pharmaceutiques et sous-vétérinaires du discours de Chambord sur les lubricités royales et les méfaits de la bande noire.

964. (1921) Esquisses critiques. Première série

Ils signaleraient ses attaches avec le mouvement naturaliste, qui menait, chacun le sait, au plus noir pessimisme, et qui était en plein épanouissement quand il commença d’écrire. […] Il est beaucoup moins ambitieux qu’il n’avait paru d’abord, — c’est ce qui lui permet de demeurer optimiste et souriant tout en nous offrant des peintures assez noires. […] Les nôtres se tiennent pour satisfaits quand ils ont dépeint sous des couleurs fort noires les choses du jour et le train dont elles vont. […] On songe en le considérant à certaines œuvres d’une autre catégorie, où les données d’un art aboli servent de point de départ à des réalisations modernes, à Beardsley par exemple, quand il s’inspirait de Marillier ou de Moreau le jeune pour composer ses curieuses illustrations noires et blanches, ou bien à Debussy — que nous ne nommons point ici par hasard — quand, en l’honneur de Rameau, il composait des hommages imprévus. […] Non, les ondulations du fleuve Océan, ni les nœuds de la vipère ivre de chaleur qui dort au soleil, toute noire, ne sont plus perfides que ses étreintes.

965. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIe entretien. Le Lépreux de la cité d’Aoste, par M. Xavier de Maistre » pp. 5-79

Tantôt il me semble qu’une force irrésistible m’entraîne dans un gouffre sans fond ; tantôt je vois des taches noires devant mes yeux ; mais, pendant que je les examine, elles se croisent avec la rapidité de l’éclair, elles grossissent en s’approchant de moi, et bientôt ce sont des montagnes qui m’accablent de leur poids. […] J’employai le reste de la nuit à lire le livre de Job, et le saint enthousiasme qu’il fit passer dans mon âme finit par dissiper entièrement les noires idées qui m’avaient obsédé.

966. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre III. La poésie romantique »

Un voyage à Naples en 1811, un séjour aux gardes du corps en 1814, des excursions en Savoie et dans les Alpes, et le voici aux eaux d’Aix en 1816 : là il fait la connaissance de Mme Charles, la jeune femme d’un vieux physicien, phtisique et nerveuse, point vaporeuse ni exaltée, semble-t-il, charmante « avec ses bandeaux noirs et ses beaux yeux battus » ; elle mourut en 1818, chrétienne, le crucifix aux mains. […] Il avait fait des niches aux classiques à perruque de 1830 ; il aimait les grands classiques de 1660, y compris Racine, la bête noire en ce temps-là des esprits larges ; il ne se gêna pas pour se moquer des romantiques, du pittoresque plaqué, des désespoirs byroniens, des pleurnicheries lamartiniennes775.

967. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — II. (Fin.) » pp. 296-311

Vicq d’Azyr, lié avec un grand nombre des promoteurs et des meneurs de la Révolution, ne se rendait à l’évidence qu’à l’extrémité ; il persistait à ne pas voir les choses aussi en noir qu’elles se prononçaient et éclataient de toutes parts à bien des yeux, et il ne désespérait qu’à son corps défendant pour ainsi dire.

968. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Fanny. Étude, par M. Ernest Feydeau » pp. 163-178

Effaré par le grincement des verres, par le cliquetis de l’argenterie, par le frottement des porcelaines ; ébloui par la réverbération des touches de lumière sur les cloches bombées qui couvraient les plats ; ahuri par le va-et-vient des valets empressés qui servaient chacun, sans mot dire, glissant sans bruit sur les tapis, comme des ombres noires gantées de blanc ; suffoqué par la chaude atmosphère de la salle empreinte (imprégnée ?)

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