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2015. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Maintenon. » pp. 369-388

Tous les témoins du même temps s’accordent sur cette beauté, cette taille aisée, cet esprit, et sur ce coin de l’enjouement : « Tous ceux qui la connaissent, dit Le Grand Dictionnaire des précieuses, sont assez persuadés que c’est une des plus enjouées personnes d’Athènes. » Et elle-même, vers la fin de sa vie, se représente comme « gaie par nature et triste par état ». […] Et encore, à propos de cette contrainte qu’elle s’imposa de tout temps, et de cette contradiction de tous ses goûts où elle comprima sa nature : Mais cela me coûtait peu, quand j’envisageais ces louanges et cette réputation qui devaient être les fruits de ma contrainte. […] Elle est le contraire d’une nature sympathique.

2016. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. » pp. 103-122

Mme Suard, qui lui avait voulu du bien dans un temps, a dit de lui : « Il avait une belle tête et d’une expression aimable ; mais sa taille était petite et sans aucune élégance. » Certaine inégalité d’épaule semblait même indiquer une vague intention première de la nature de pousser plus loin l’irrégularité ; mais cette velléité primitive s’était arrêtée à temps. […] Voltaire le plus souvent cédait et criait de sa place, en s’apercevant du changement : « Le petit a raison ; c’est mieux comme cela. » Tel il était jeune à Ferney près de Voltaire, tel près de Chateaubriand à la fin de sa carrière, quand il disait à l’auteur du Génie du christianisme : « Enfermez-vous avec moi pendant quelques matinées, et nous ôterons tous ces défauts qui les font crier, pour n’y laisser que les beautés qui les offensent. » Je tiens à bien marquer en La Harpe cette nature essentielle de critique qui, à travers tous ses écarts, est son titre respectable ; qui fait que Voltaire a pu l’appeler à un certain moment « un jeune homme plein de vertu » (ce que les Latins auraient appelé animosus infans), et qui fait aussi que Chateaubriand l’a défini, « somme toute, un esprit droit, éclairé, impartial au milieu de ses passions, capable de sentir le talent, de l’admirer, de pleurer à de beaux vers ou à une belle action ». […] Avec tous ses défauts et toutes ses imperfections de nature, donnant en mourant la main à Chateaubriand, à Fontanes, à tout ce jeune groupe littéraire en qui était alors l’avenir, il transmit le flambeau vivant de la tradition, et il justifia le premier pronostic de Voltaire à son égard : « Quelque chose qui arrive, je vous regarde comme le restaurateur des belles-lettres. » C’est le mot magnifique, mais juste après tout (si l’on considère l’ensemble du rôle et de l’influence), qu’il faudrait graver sur son tombeau.

2017. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Charles Perrault. (Les Contes des fées, édition illustrée.) » pp. 255-274

Perrault, comme Desmarets de Saint-Sorlin et comme d’autres adversaires de Boileau, pensait que la religion chrétienne est de nature à prêter à la poésie, et qu’elle fournit même son vrai fonds à l’imagination moderne. […] Il y exprimait pourtant une idée très philosophique, c’est qu’il n’y a pas de raison pour que la nature ne crée pas aujourd’hui d’aussi grands hommes qu’autrefois, et qu’il y a place, dans sa fertilité inépuisable, à un éternel renouvellement des talents. Voici en ce sens quelques vers qui ne me semblent nullement méprisables : À former les esprits comme à former les corps, La Nature en tous temps fait les mêmes efforts ; Son Être est immuable, et cette force aisée Dont elle produit tout ne s’est point épuisée : Jamais l’astre du jour qu’aujourd’hui nous voyons N’eut le front couronné de plus brillants rayons ; Jamais dans le printemps les roses empourprées, D’un plus vif incarnat ne furent colorées : Non moins blanc qu’autrefois brille dans nos jardins L’éblouissant émail des lis et des jasmins, Et dans le siècle d’or la tendre Philomèle, Qui charmait nos aïeux de sa chanson nouvelle, N’avait rien de plus doux que celle dont la voix Réveille les échos qui dorment dans nos bois : De cette même main les forces infinies Produisent en tout temps de semblables génies.

2018. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le cardinal de Richelieu. Ses Lettres, instructions et papiers d’État. Publiés dans la Collection des documents historiques, par M. Avenel. — Premier volume, 1853. — II. (Fin.) » pp. 246-265

Les favoris, les Luynes sont là qui ont l’œil à tout et qui surveillent entre le roi et sa mère l’élan de la nature. […] Richelieu serait fort d’avis que la reine, pour déjouer ces intrigues, allât droit à la Cour, qu’elle fît parler la nature dans le cœur du roi, et mît hardiment au néant la malveillance. […] il ne le croyait certes pas lorsqu’il a écrit : « Ceux qui sont vindicatifs de leur nature, qui suivent plutôt leurs passions que la raison, ne peuvent être estimés avoir la probité requise au maniement de l’État.

2019. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre III. L’art et la science »

Dans la nature. […] II Il ne saurait y avoir deux lois ; l’unité de loi résulte de l’unité d’essence ; nature et art sont les deux versants d’un même fait. […] La nature, plus l’humanité, élevées à la seconde puissance, donnent l’art.

2020. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 33, que la veneration pour les bons auteurs de l’antiquité durera toujours. S’il est vrai que nous raisonnions mieux que les anciens » pp. 453-488

Premierement, on ne me reprendra point de dénier aux philosophes et aux sçavans qui recherchent méthodiquement les secrets de la nature, toutes les inventions dont ils ne sont pas reconnus les auteurs. […] Ainsi je puis refuser aux philosophes d’être les inventeurs des sas des écluses trouvées il y a deux cens ans, et qui sont non-seulement d’une utilité infinie dans le commerce, mais qui ont encore donné lieu à tant de remarques sur la nature et sur la pente des eaux. […] Ce ne sont point eux non plus qui ont trouvé la poudre à canon, qui a donné lieu à tant d’observations sur la nature de l’air, ni plusieurs autres inventions dont on ne connoît pas certainement les auteurs, mais qui ont beaucoup contribué à perfectionner les sciences naturelles.

2021. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Saint-Bonnet » pp. 1-28

Un penseur immense et charmant, un charmant et immense artiste, voilà la double nature de cet homme qui a fait des livres trop gros, dit-on, et les intitulait de ce grand mot sec, qui ne l’était pas pour lui : L’Infaillibilité ! […] Mais il faut rentrer dans l’Infini sans s’y confondre, et cependant il faut en avoir la nature, pour en posséder le bonheur. […] … Jamais de plus belles et de plus profondes paroles n’ont été écrites sur la destinée et la nature humaines.

2022. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « J. de Maistre » pp. 81-108

l’esprit cruel entré dans une doctrine cruelle, comme il arrive toujours, — car nos doctrines sont faites par la nature de notre esprit, — c’est Calvin, le froid, le raide, l’étroit Calvin, mais ce n’est pas Joseph de Maistre. […] Même en les exprimant, du reste, notez bien que ces principes ne sont jamais, pour ce solide esprit, appelé paradoxal par les esprits fragiles, que des conclusions historiques, des empêchements de circonstances et de nature des choses, dans le détail desquels, en ces lettres sur la Russie, il court et passe, comme la lumière, avec une rapide splendeur. […] Et, en effet, écoutez-le, cet homme du fait et de l’expérience, calomnié jusque dans son esprit : « Si l’affranchissement » — (dit-il, en finissant un examen hostile à cet affranchissement pour des raisons d’État,) — « si l’affranchissement doit avoir lieu en Russie, il s’opérera par ce qu’on appelle la nature.

2023. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Jean Richepin »

On sent, sous l’imitation, une nature, — et il faut le lui rappeler aujourd’hui, car M.  […] ce sont des gueux spéciaux : — tous les Meurt-de-faim, tous les Stropiats, tous les Béquillards, tous les tronçons de l’effroyable guerre de Trente Ans ; une page plus d’Histoire que de nature humaine. […] Non, cependant, que le lyrique qui débuta par La Chanson des Gueux et qui écrivit Les Caresses en soit réduit, de nature, à la stérilité d’une seule inspiration, mais il n’en a qu’une dans Les Blasphèmes.

2024. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXIII. »

Il y continua les mêmes accents sous un ciel plus favorable et dans l’ardeur d’un apostolat plus impérieux : mais en même temps il y fut poëte de la nature et de la vie privée ; il y fut poëte inspiré par les lieux comme par les souvenirs, mêlant ses joies de famille à ses épreuves de missionnaire, son amour humain à ses espérances célestes. […] Le venimeux serpent ne s’abrite pas sous un si frais bocage : fils du soleil, il aime à reposer sur une couche de feu allumé par la nature, un sol sec et brûlant, entre quelques débris de tours écroulées, au-dessus desquels le pepel étend son ombre ; ou bien, autour d’une tombe, il enlace ses écailles, gardien naturel des portes de la mort. […] « Ô vous, souffles des vents, portez ce souvenir, et vous, vagues roulantes, entraînez-le dans votre cours, de sorte qu’il s’étende, comme une surface lumineuse, d’un pôle à l’autre, jusqu’au moment où l’Agneau immolé pour les pécheurs, le Rédempteur, le Roi, le Créateur, rétablira sur notre nature sauvée son règne béni ! 

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