/ 3580
808. (1904) En lisant Nietzsche pp. 1-362

Au sens vrai du mot, le Christianisme est corrupteur. […] Science et foi, a-t-on assez souvent opposé ces deux mots et ces deux choses ? […] En un mot, « la cruauté est une des plus anciennes réjouissances de l’humanité ». […] La morale est une succession méthodique de sacrifices dans le sens très précis du mot. […] Le grand mot de la morale, n’est-ce pas ?

809. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [1] Rapport pp. -218

Ce n’est pas sans raison que j’écris ce mot « ennui », en l’employant dans son sens moderne. […] ce mot lui-même est terrible ; il dit naître une seconde fois, comme on était né. […] En un mot, il admettait le moment, ne rougissait pas d’être un homme, en attendant mieux. […] J’ai eu tort, au reste, d’écrire ce mot : doute. […] Jean Moréas, ces mots : « grand poète ».

810. (1874) Histoire du romantisme pp. -399

Ce mot Remember au bas de la lettre était placé d’une façon impérative et mystérieuse. […] Ne croyez donc pas un mot de ces histoires. […] quoi, dès le premier mot l’orgie en est déjà là ! […] Dans le vrai sens du mot, « il était du théâtre ». […] À ce mot, les réalistes sourient et murmurent : « La bonne lame de Tolède ! 

811. (1905) Études et portraits. Sociologie et littérature. Tome 3.

L’erreur a commencé quand, voulant préciser ce mot : naturels, ils l’ont traduit par cet autre : vivants. […] J’écrivais tout à l’heure les deux mots de scientifique et de positif. […] Et soudain ils se heurtaient à un Balzac monarchiste et catholique, osons dire le mot, clérical. […] C’est la plus conforme à l’étymologie du mot démocratie. […] Barrès eut prononcé ce mot, le traditionaliste était né en lui.

812. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXVI » pp. 100-108

On se rappelle à Paris la malencontreuse journée où il essaya de répondre à Lamartine au moment de la grande défection de celui-ci : c’était, nous assuraient les témoins, un singulier et triste spectacle que, dans une situation où pourtant il y avait, rien qu’avec du bon sens, tant et de si bonnes choses à dire, de voir un orateur aussi habile, une langue aussi dorée et aussi fine que l’est Villemain, balbutier, chercher ses mots et ses raisons ; on aurait cru qu’il n’osait frapper par un reste de respect pour le génie littéraire ; que l’ombre de ce génie, un je ne sais quoi, le fantôme d’Elvire debout aux côtés du poëte et invisible pour d’autres que pour l’adversaire, fascinait son œil et enchaînait son bras. […] A force d’esprit, en un mot, et de souplesse, Villemain aura toujours toutes les qualités qu’on lui contestera. […] A les juger impartialement, et en n’attachant aux mots aucune défaveur, mais en y mettant tout le sens précis, on reste vrai en disant : Cousin n’est pas un vrai philosophe, pas plus que Guizot n’est un grand historien : ce sont deux très-grands professeurs, l’un d’histoire et l’autre de philosophie. Et de plus encore, si l’on ôte le vernis et le prestige du génie moderne, Cousin pourrait sembler proprement un sophiste, le plus éloquent des sophistes dans le sens antique et favorable du mot, comme Villemain serait le plus éloquent rhéteur dans le sens antique et favorable aussi.

813. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — De la langue Latine. » pp. 147-158

En un mot, ses exclamations & ses invectives ne furent pas moindres que celles dont Cicéron se servit à la vue d’une horrible conspiration contre l’état. » Ce discours parut en 1531 ; il fut bientôt suivi d’un autre dans le même goût. […] La fureur de montrer de l’esprit, & de jouer sur les mots, a gagné nos latinistes, autant que les écrivains François. […] Outre cette signification propre des termes, il y avoit une signification accessoire & dépendante de l’arrangement des mots & des phrases, & du ton de celui qui parloit. L’un & l’autre n’ont souvent rien de commun avec les idées que les mots représentent littéralement.

814. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre cinquième. La Bible et Homère. — Chapitre III. Parallèle de la Bible et d’Homère. — Termes de comparaison. »

« Mettez la main sur ma cuisse99, dit Abraham à son serviteur, et jurez d’aller en Mésopotamie. » Deux mots suffisent pour conclure un mariage au bord de la fontaine. […] Les comparaisons de la Bible sont généralement exprimées en quelques mots : c’est un lion, un torrent, un orage, un incendie, qui rugit, tombe, ravage, dévore. […] Dans Homère, le sublime se compose encore de la magnificence des mots en harmonie avec la majesté de la pensée. Dans la Bible, au contraire, le plus haut sublime provient souvent d’un contraste entre la grandeur de l’idée et la petitesse, quelquefois même la trivialité du mot qui sert à la rendre.

815. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre VI. Suite des Moralistes. »

Une des choses les plus fortes que Rousseau ait hasardées en politique, se lit dans le Discours sur l’inégalité des conditions : « Le premier, dit-il, qui, ayant clos un terrain, s’avisa de dire : Ceci est à moi, fut le vrai fondateur de la société civile. » Or, c’est presque mot pour mot l’effrayante idée que le solitaire de Port-Royal exprime avec une tout autre énergie : « Ce chien est à moi, disaient ces pauvres enfants ; c’est ma place au soleil : voilà le commencement et l’image de l’usurpation de toute la terre. » Et voilà une de ces pensées qui font trembler pour Pascal. […] En un mot, le siècle de Louis XIV est resté paisible, non parce qu’il n’a point aperçu telle ou telle chose, mais parce qu’en la voyant, il l’a pénétrée jusqu’au fond ; parce qu’il en a considéré toutes les faces et connu tous les périls. […] Comment se fait-il que notre prodigieux amour de la patrie aille toujours chercher ses mots dans un dictionnaire étranger ?

816. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XV. De Tacite. D’un éloge qu’il prononça étant consul ; de son éloge historique d’Agricola. »

On se rappelle le mot d’un officier français qui, à la tête d’une compagnie de gardes, venait d’assister à la dédicace d’une des statues de Louis XIV ; en revenant, il passa avec sa troupe devant la statue de Henri IV : « Mes amis, dit-il, saluons celui-ci, il en vaut bien un autre, et en même temps il fit baisser les drapeaux jusqu’à terre. […] J’ai parlé de son éloquence, elle est connue ; en général ce n’est pas une éloquence de mots et d’harmonie, c’est une éloquence d’idées qui se succèdent et se heurtent ; il semble partout que la pensée se resserre pour occuper moins d’espace ; on ne la prévient jamais, on ne fait que la suivre ; souvent elle ne se déploie pas tout entière, et elle ne se montre, pour ainsi dire, qu’en se cachant. Qu’on imagine une langue rapide comme les mouvements de l’âme ; une langue qui, pour rendre un sentiment, ne se décomposerait jamais en plusieurs mots ; une langue dont chaque son exprimerait une collection d’idées : telle est presque la perfection de la langue romaine dans Tacite. […] À l’égard du style, il est hardi, précipité, souvent brusque, toujours plein de vigueur ; il peint d’un trait ; la liaison est plus entre les idées qu’entre les mots ; les muscles et les nerfs y dominent plus que la grâce ; c’est le Michel-Ange des écrivains ; il a sa profondeur, sa force, et peut-être un peu de sa rudesse.

817. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre IV. Le développement général de l’esprit est nécessaire pour bien écrire, avant toute préparation particulière »

Si elle écrit au courant de la plume une page qui est un chef-d’œuvre, c’est qu’elle avait au cours de toute sa vie lu, pensé, causé ; c’est que dans son intelligence toujours active les sentiments, les idées circulaient incessamment comme le sang dans son corps et entretenaient la vie ; que toute son âme était toujours debout, prête au service, et que chaque mot, chaque phrase était le produit et l’expression de toute son existence intellectuelle et morale. […] Vous pouvez aimer votre vieux jardinier, sans être capable d’écrire ces simples mots : « Maître Paul vient de mourir ; notre jardin en est tout triste ». […] Le mot spirituel, ému, pittoresque, sublime, germe sans effort et s’épanouit sur le riche fond de la vie morale : c’est le prolongement extérieur et le dernier terme d’une longue série île sentiments intimes et d’idées inexprimées.

/ 3580