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574. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) «  Mémoires de Gourville .  » pp. 359-379

La grande morale, d’ailleurs, n’est pas son fort et ne le préoccupe que médiocrement ; il est de ceux dont on ne saurait dire précisément qu’ils la violent, car ils l’ignorent. […] Quand Mme Fouquet, dans les premiers moments de la catastrophe, eut besoin d’argent, c’est Gourville qui lui en prêta ; il avait de la générosité, de la fidélité, et, si l’on peut dire, de belles parties de morale personnelle. […] Je le crois tout à fait ; je crois que l’étude morale des caractères en est encore à l’état de la botanique avant Jussieu. […] Il a la connaissance des hommes et de l’extension morale. » Cette expression heureuse et neuve m’a toujours frappé ; elle s’appliquerait bien à Gourville.

575. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — II. (Fin.) » pp. 308-328

Les mauvais ouvrages d’Helvétius ou de d’Holbach ne lui paraissent avoir aucun danger pour la morale : « Je ne leur trouve d’autre danger, dit-il, que celui de l’ennui : tout cela commence à être si rebattu, qu’on en est excédé. Cependant le monde ne va ni plus ni moins, et l’influence des opinions les plus hardies est équivalente à zéro. » Grimm se trompe ; en attribuant toute la morale publique aux institutions et à la législation d’un peuple, il oublie que, dans les intervalles de relâchement, les livres ont grande influence. […] Depuis ce temps jusqu’au jour où il adressait ce remerciement et cette louange à Catherine, Grimm avait fait bien du chemin, et on peut dire qu’il avait accompli le cercle de l’expérience morale. […] Il avait manqué, comme il le disait quelquefois, « le moment de se faire enterrer ». — Je n’ai pas craint de laisser voir, sans pourtant y trop appuyer, la doctrine morale de Grimm dans toute sa tristesse et son aridité, sans un désir et sans un rayon ; elle n’a rien qui puisse séduire.

576. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Émile Zola » pp. 70-104

Coupeau et Gervaise passent par d’admirables gradations d’une bonne santé morale à l’extrême abaissement. […] La santé physique ou morale ou double lui paraît adorable. […] Zola, sous lesquels les traits de sa physionomie morale commencent à affleurer. […] Zola sur presque toute ses assertions par les autorités qu’il invoque et de lui montrer une bonne fois qu’il n’est plus permis aujourd’hui de lancer au hasard les affirmations que lui dicte son tempérament, qu’il y a des raisons aux choses et qu’en plusieurs points l’esthétique de ses adversaires, malheureusement médiocres et ineptes, des Feuillet, des Sand, est plus rationnelle que la sienne, qu’enfin Balzac, Tolstoï et même Flaubert, ont montré une bonne fois comment on peut embrasser la nature entière sans en omettre le couronnement et rester réalistes tout en analysant le génie et la noblesse morale.

577. (1874) Premiers lundis. Tome I « Deux révolutions — I. De la France en 1789 et de la France en 1830 »

Quand la société est morale, avancée, et se tient volontiers dans le bon sens et le travail, quand les passions et les haines publiques n’ont plus d’objet, les théories absolues et les prestiges quelconques peu de séduction, les conséquences les plus nombreuses et les plus vraies de la liberté n’ont aucun péril ; car elles garantissent ce travail, exercent et développent ce bon sens, préviennent le retour des passions politiques, ou en dirigent le cours vers le bien général, et ferment la bouche aux théories des rêveurs. […] Les classes inférieures travaillent, sentent leur dignité, et reconnaissent pourtant la supériorité morale des autres classes.

578. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — De la langue Latine. » pp. 147-158

Il traite tout avec le même enthousiasme ; il est toujours dans la tribune aux harangues, toujours orateur, lors même qu’il ne devroit être que philosophe, qu’écrivain didactique, comme dans ses ouvrages sur la Morale, sur la Nature des dieux, sur les Préceptes de l’éloquence. […] Comment exprimer en latin les changemens arrivés par rapport à la religion, à la morale, aux coutumes, aux habillemens, aux commodités & aux besoins de la vie, aux sciences & aux arts ?

579. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 3, que l’impulsion du génie détermine à être peintre ou poëte, ceux qui l’ont apporté en naissant » pp. 25-34

Or la naissance physique l’emporte toûjours sur la naissance morale. […] Les enfans ne sont contraints, ils ne sont gênez que durant un temps, par l’éducation qu’ils reçoivent en conséquence de leur naissance morale ; mais les inclinations qu’ils ont, en conséquence de leur naissance physique, durent plus ou moins vives, aussi longtemps que l’homme même.

580. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 30, objection tirée des bons ouvrages que le public a paru désapprouver, comme des mauvais qu’il a loüez, et réponse à cette objection » pp. 409-421

Apulée parle de ce même Philemon dans le second livre des florida, comme d’un poëte qui avoit de très-grands talens, et qui sur tout étoit recommandable par la morale excellente de ses comédies. […] Les athéniens n’ont-ils pas été en droit d’avoir égard à la morale de leurs poëtes comiques en leur distribuant le prix ?

581. (1875) Premiers lundis. Tome III « De la liberté de l’enseignement »

Mais il est d’habitude, je dirai même de mode, d’injurier cette disposition d’esprit dans toutes les réunions, les solennités publiques, de la dépeindre comme un malheur, comme une infériorité morale déplorable. […] mais ce nombre, il crève les yeux), — et avec le nombre ils offrent cet autre caractère qui constitue la respectabilité, je veux dire la pratique de la morale et des devoirs civils et sociaux. […] J’ajouterai, sans grand espoir de voir mon vœu exaucé, avec la conviction toutefois d’être dans le vrai : Rien ne détendrait la situation morale, rien n’apaiserait, ne désarmerait l’animosité et l’hostilité des esprits comme une pareille tolérance publiquement observée et pratiquée par tous et envers tous. […] Sans donc aller jusqu’à nier qu’il y ait telle ou telle opinion, conviction ou croyance, qui puisse ajouter quelque chose dans les âmes à la sanction morale des prescriptions légales, je maintiens que le meilleur et le plus sûr principe et fondement de la légitimité des lois qui régissent les sociétés humaines est encore et sera toujours dans leur nécessité, dans leur utilité même. […] Ce n’est pas seulement l’hygiène physique de l’humanité qui y gagnera, c’est son hygiène morale.

582. (1834) Des destinées de la poésie pp. 4-75

Tous ces hommes géométriques qui seuls avaient alors la parole et qui nous écrasaient, nous autres jeunes hommes, sous l’insolente tyrannie de leur triomphe, croyaient avoir desséché pour toujours en nous ce qu’ils étaient parvenus en effet à flétrir et à tuer en eux, toute la partie morale, divine, mélodieuse, de la pensée humaine. […] Ne pouvant susciter un généreux élan dans sa patrie, dont on la repoussait comme on éloigne l’étincelle d’un édifice de chaume, elle se réfugiait dans la pensée de l’Angleterre et de l’Allemagne, qui seules vivaient alors de vie morale, de poésie et de philosophie, et lançait de là dans le monde ces pages sublimes et palpitantes que le pilon de la police écrasait, que la douane de la pensée déchirait à la frontière, que la tyrannie faisait bafouer par ses grands hommes jurés, mais dont les lambeaux échappés à leurs mains flétrissantes venaient nous consoler de notre avilissement intellectuel, et nous apporter à l’oreille et au cœur ce souffle lointain de morale, de poésie, de liberté que nous ne pouvions respirer sous la coupe pneumatique de l’esclavage et de la médiocrité. […] Ce que j’ai écrit depuis ne valait pas mieux, mais le temps avait changé ; la poésie était revenue en France avec la liberté, avec la pensée, avec la vie morale que nous rendit la restauration. […] La poésie de nos jours a déjà tenté cette forme, et des talents d’un ordre élevé se sont abaissés pour tendre la main au peuple ; la poésie s’est faite chanson, pour courir sur l’aile du refrain dans les camps ou dans les chaumières ; elle y a porté quelques nobles souvenirs, quelques généreuses inspirations, quelques sentiments de morale sociale ; mais cependant il faut le déplorer, elle n’a guère popularisé que des passions, des haines ou des envies. […] Ma conviction est que nous sommes à une de ces grandes époques de reconstruction, de rénovation sociale ; il ne s’agit pas seulement de savoir si le pouvoir passera de telles mains royales dans telles mains populaires ; si ce sera la noblesse, le sacerdoce ou la bourgeoisie qui prendront les rênes des gouvernements nouveaux, si nous nous appellerons empires ou républiques : il s’agit de plus ; il s’agit de décider si l’idée de morale, de religion, de charité évangélique sera substituée à l’idée d’égoïsme dans la politique ; si Dieu dans son acception la plus pratique descendra enfin dans nos lois ; si tous les hommes consentiront à voir enfin dans tous les autres hommes des frères, ou continueront à y voir des ennemis ou des esclaves.

583. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Proudhon » pp. 29-79

Rien des vertus du cœur ne rachète les vices ou les crimes du cerveau, Les faiseurs d’analyse peuvent les séparer, les mettre à part les uns des autres pour le service et l’amusement de la curiosité humaine, la synthèse de la vie les reprend et les étreint dans son unité inflexible, et la balance morale est toujours emportée du côté des crimes spirituels, qui pèsent davantage, puisqu’ils sont les plus grands ! […] Ainsi, un moraliste, et même un moraliste chrétien (peut-on l’être autrement après le Christianisme, qui, en morale, a dit le dernier mot ? […] La femme, hypocrite et despote, a toujours été, chez toutes les nations, un danger pour l’homme, la morale et la société ; mais, ces derniers temps, elle Test devenue plus que jamais. […] Cette étude, purement littéraire, qui devait être suivie d’une étude morale sur le livre de Proudhon, était à peine terminée quand le Moniteur vint nous apprendre que le livre était saisi. […] La Correspondance et la Pornocratie suffisent pour remplacer l’étude spéciale projetée et montrer amplement ce qu’étaient devenues la métaphysique et la morale, c’est-à-dire la Philosophie tout entière, dans une tête Conformée ou plutôt déformée comme celle de Proudhon.

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