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997. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre II. Lord Byron. » pp. 334-423

. —  Comment et selon quelle loi varient les conceptions morales. —  La vie et la morale méridionales […] Chez lui, la liberté métaphysique a péri sous les préoccupations utilitaires, et la rêverie panthéistique sous les préoccupations morales. […] Le papier ne suffirait pas, s’il fallait transcrire les injures des revues décentes « contre ces hommes (entendez cet homme) au cœur gâté, à l’imagination dépravée, qui, se forgeant un système d’opinions accommodées à leur triste conduite, se sont révoltés contre les plus saintes ordonnances de la société humaine, et qui, haïssant cette religion révélée dont avec tous leurs efforts et toutes leurs bravades ils ne peuvent entièrement déraciner en eux la croyance, travaillent à rendre les autres aussi misérables qu’eux-mêmes en les infectant d’un poison moral qui les rongera jusqu’au cœur. » Emphase de mandement et pédanterie de cuistre : dans ce pays, la presse fait l’office de gendarme, et jamais elle ne l’y a fait plus violemment qu’alors. […] L’Angleterre conservatrice et protestante ; après un quart de siècle de guerres morales et deux siècles d’éducation morale, avait poussé à bout sa sévérité et son rigorisme, et l’intolérance puritaine, comme jadis en Espagne l’intolérance catholique, mettait les dissidents hors la loi. […] Une fois arrivé en Angleterre, il aura de la tenue : j’avoue que sur provocation il pourra bien encore par-ci par-là picorer dans les jardins conjugaux de l’aristocratie ; mais à la fin il se rangera, il ira au Parlement prononcer des discours moraux, il deviendra membre de l’association pour la répression du vice.

998. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre III. La nouvelle langue. » pp. 165-234

Chaucer décrit une troupe de pèlerins, gens de toute condition qui vont à Cantorbéry, un chevalier, un homme de loi, un clerc d’Oxford, un médecin, un meunier, une abbesse, un moine, qui conviennent de dire chacun une histoire. « Car il n’eût été ni gai ni réconfortant de chevaucher, muets comme des pierres184. » Ils content donc ; sur ce fil léger et flexible, tous les joyaux, faux ou vrais, de l’imagination féodale viennent poser bout à bout leurs bigarrures et faire un collier : tour à tour de nobles récits chevaleresques, le miracle d’un enfant égorgé par des juifs, les épreuves de la patiente Griselidis, Canace et les merveilleuses inventions de la fantaisie orientale, des fabliaux graveleux sur le mariage et sur les, moines, des contes allégoriques ou moraux, la fable du Coq et de la Poule, l’énumération des grands infortunés : Lucifer, Adam, Samson, Nabuchodonosor, Zénobie, Crésus, Ugolin, Pierre d’Espagne. […] On juge les histoires qu’on vient d’écouter ; on déclare qu’il y a peu de Griselidis au monde ; on rit des mésaventures du charpentier trompé, on fait son profit du conte moral. […] Quelle suite de vérités originales et de doctrines neuves peut-on trouver et prouver, lorsque, dans un conte moral comme celui de Mélibée et de sa femme Prudence, on se croit obligé d’établir une controverse en forme, de citer Sénèque et Job pour interdire les larmes, d’alléguer Jésus qui pleure pour autoriser les larmes, de numéroter chaque preuve, d’appeler à l’aide Salomon, Cassiodore et Caton, bref d’écrire un livre d’école ? […] Voulez-vous écouter le plus illustre, le grave Gower, « moral Gower », comme on l’appelle224 ?

999. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. Tome xviii » pp. 84-92

Le spectacle d’hommes remarquables par le caractère, l’intelligence, le talent, pensant différemment les uns des autres, se le disant vivement, rivaux sans doute, mais rivaux pas aussi implacables que ces généraux qui, en Espagne, immolaient des armées à leurs jalousies ; occupés sans cesse des plus graves intérêts des nations, et élevés souvent par la grandeur de ces intérêts à la plus haute éloquence ; groupés autour de quelques esprits supérieurs, jamais asservis à un seul ; offrant de la sorte mille physionomies, animées, vivantes, vraies comme l’est toujours la nature en liberté ; — ce spectacle intellectuel et moral commençait à saisir et à captiver fortement la France.

1000. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers, Tome xix. (L’île d’Elbe, — L’acte additionnel. — Le champ de mai.) » pp. 275-284

Et le moral y est-il donc absent ?

1001. (1874) Premiers lundis. Tome I « J. Fiévée : Causes et conséquences des événements du mois de Juillet 1830 »

Trois jours de combat, et les ateliers se rouvrirent avec la certitude d’une longue sécurité ; c’est ce que voulait un peuple qui craint le joug du besoin, mais qui a accepté la nécessité du travail depuis qu’il jouit d’un peu d’aisance et d’un peu d’instruction qui doivent tendre à s’accroître, dès que des habitudes nouvelles lui ont fait comprendre qu’il n’y a rien de plus moral que le travail pour ceux qui ont leur fortune à commencer, et que la vie publique pour ceux dont la fortune est faite. » Après ce qui s’est passé dans les rues, l’auteur de la brochure comprend et indique très-bien ce qui doit se passer dans le gouvernement par rapport à la société.

1002. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — George Sand. Cosima. »

Un étranger, un Vénitien passe ; il s’occupe d’elle ; sans lui parler à peine, il l’entoure de ses soins comme de prestiges ; elle n’a guère vu encore que sa plume au vent et son manteau, que déjà elle l’aime, comme toute jeune femme, même la plus pudique, aimera, si elle n’y prend garde, le jeune étranger, est-ce moral ?

1003. (1894) Propos de littérature « Chapitre Ier » pp. 11-22

Si l’on veut laisser de côté un illogisme partiel qui peut-être me frappe parce que M. de Régnier n’a pas encore énoncé sa pensée tout entière, il faut dire combien sa philosophie, débilitante pour l’homme, est au contraire féconde pour le poète, car elle lui donne à montrer les plus grandes attitudes morales et plastiques.

1004. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XII. Mme la Princesse de Belgiojoso »

Dans ce long voyage de onze mois, pendant lequel elle a traversé l’Asie Mineure presque tout entière, Mme de Belgiojoso a pénétré dans beaucoup de harems, et ce quelle y a vu, au physique comme au moral, l’a profondément dégoûtée.

1005. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le Christianisme en Chine, en Tartarie et au Thibet »

Nous, nous n’avons jamais cru beaucoup aux transformations morales et libres de cette grande idiote qu’on appelle l’Asie, de cette hébétée de l’opium, du panthéisme indou et des coups de bâton ; mais en ce moment nous y croyons moins que jamais, et surtout en ce qui touche la Chine, c’est-à-dire l’expression de l’Asie dans sa concentration la plus violente et la plus dure.

1006. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « IV. Saisset »

Ce sont d’énormes poëtes abstraits, mais le moindre poëte vivant, avec la plus modeste des fleurs à la bouche, le moindre poëte d’expression vaut mieux que tout cela, et, je finirai par ce blasphème philosophique, fait plus véritablement que tous ces abstracteurs de quintessence pour l’avancement moral du genre humain.

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