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339. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1874 » pp. 106-168

Il nous le montre encore, dépensant deux cents francs de frais de poste, pour aller faire dans quelque coin du département, une opération à une poissonnière, qui le payait avec une douzaine de harengs. […] Je suis dans un compartiment britannique, et je vois, au même moment, sept anglais remonter leurs montres. […] Sur un coin de la table, un petit pupitre en laque, montre exposée, la photographie du tableau de la « Fête-Dieu » de Rousseau, au bas duquel Augier a crayonné des vers. […] On me les montre et devant ce ras velouté, devant ces surfaces givreuses et miroitantes, devant ces laines qui ont le micacé de crins coupés, devant cette fonte de couleurs, entrant les unes dans les autres, ainsi que les tons d’une aquarelle trempant dans l’eau, devant ces jaunes qui ont le palissement de l’or vert, ces roses qui semblent le rose de la fraise écrasée dans de la crème, devant ces bleus, ces verts, qui sont si peu les bleus, les verts de l’Occident, devant cette palette de couleurs doucement souriantes, qu’on dirait la palette inventée pour jouer autour du corps nu d’une femme, je me sens pris d’une passion d’amateur de tableaux pour ces tapis, et une indescriptible horreur me vient subitement pour tous les Sallandrouze quelconques. […] Pierre Gavarni me raconte qu’il a vendu mille francs ses aquarelles du salon, me montre des croquis de la vie élégante parisienne, qu’il est en train d’exécuter pour un journal, qui doit de se fonder, me parle avec une certaine fièvre de son désir de faire de l’eau-forte.

340. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Conclusions »

Dostoïewski poussant plus loin encore la déformation que ces observateurs passionnés font subir à ce qu’ils voient, en vient, à force de perpétuel et trépidant émoi, à fantastiser, si l’on peut dire, la réalité, à réduire les personnages en des sortes de fous constamment furieux ou hagards, les descriptions en hallucinations de songe, les scènes en péripéties de cauchemar, et agit ainsi sur le spectateur, moins par le contenu réel de ce qu’il lui montre, que par le sentiment qu’il donne de l’état de conscience trouble et dément dans lequel l’auteur dut se trouver pour déformer ainsi tout ce que le monde lui montre. […] Il faut donc que les réalistes et les idéalistes, usent les uns comme les autres d’imagination et s’attachent à modifier, à déformer, à dénaturer le réel, ce qui diffère entre ces deux grandes écoles, c’est non l’exactitude, la justesse de la vision, mais la manière d’altérer ce que leur montre la nature et d’en tirer des œuvres qui n’ont rien de semblable12. […] En tout cas, la sensibilité maladive qu’il montre pour les visions et les imaginations d’horreur était impérieusement asservie et utilisée chez lui par des facultés de raisonnement supérieures. […] L’auteur s’y montre en communion constante avec le public.

341. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre II. Les génies »

Job, après avoir touché le sommet du drame, remue le fond de la philosophie ; il montre, le premier, cette sublime démence de la sagesse qui, deux mille ans plus tard, de résignation se faisant sacrifice, sera la folie de la croix. […] Tu rends la honte visible par l’horreur, tu forces l’ignominie à détourner la tête en se reconnaissant dans l’ordure, tu montres qu’accepter un homme pour maître, c’est manger le fumier, tu fais frémir les lâches de la suite du prince en mettant dans ton estomac ce qu’ils mettent dans leur âme, tu prêches la délivrance par le vomissement, sois vénéré ! […] On ne savait ce que c’était que « ces femmes assises du côté de l’Aquilon qui pleuraient Thammus. » Impossible de deviner ce que c’est que le « hasmal », ce métal qu’il montre en fusion dans la fournaise du rêve. […] C’est lui qui montre à Tarquin le lit de Lucrèce ; c’est lui qui finit par faire délibérer sur la sauce d’un turbot ce sénat qui avait attendu Brennus et ébloui Jugurtha. […] Ainsi il montre l’un après l’autre, l’un avec l’autre, les deux profils de l’homme, et les parodie, sans plus de pitié pour le sublime que pour le grotesque.

342. (1926) L’esprit contre la raison

Crevel cherche le vice d’origine : l’identification de l’esprit à la seule intelligence logique, à la raison, la survalorisation des valeurs occidentales mais aussi les fascinations dangereuses qui ont, il le montre, partie liée : l’esthétisation de la mort et la séduction de la forme. […] Un Julien Sorel, par exemple, qui n’a point trouvé son salut dans la froide ambition, par son crime nous montre comment un fait divers devient un fait lyrique. […] Mais la suite de la phrase montre que le bon patriote français ne diffère en rien de son épouvantail — « le boche » — dans son culte des apparences clinquantes, des démonstrations de force et du scientisme capitaliste. […] Cette citation montre que le divorce entre le corps et l’être, la souffrance devant un corps étriqué qui contraint la pensée ne peut être éludée par un simple renvoi à une pathologie exceptionnelle. […] Marcel Arland emploie l’expression dans un article que lui a commandé Rivière et qu’il intitule : « Sur un nouveau mal du siècle », dans La NRF n°125, février 1924 ; il s’attire une réponse de Jacques Rivière dans les « Notes de la rédaction » du même numéro, dénonçant cette « erreur » d’un très jeune écrivain qui conçoit la littérature comme subordonnée : « Si l’on interroge Paul Valéry sur le sens de son activité, il s’efforce aussitôt de la montrer transcendante par rapport à la littérature, la forme écrite qu’il lui donne n’étant, pour sa pensée, qu’un accident. » Cette allusion à un débat interne à la NRF montre encore combien le texte de Crevel est réactif, prend place dans un échange crucial sur la relation de la littérature au politique.

343. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre dixième. Le style, comme moyen d’expression et instrument de sympathie. »

Il vaut mieux dire, selon lui une flotte de dix voiles qu’une flotte de dix navires, parce que le mot navire éveillerait probablement la vision des vaisseaux au bassin ; le mot voile vous les montre en mer […] En général, le poétique n’est pas la même chose que le beau ; la beauté réside surtout dans la forme, dans ses proportions et son harmonie, le poétique réside surtout dans ce que la forme exprime ou suggère, plutôt qu’elle ne le montre. […] On ne peut donc pas juger le style uniquement sur ce qu’il dit et montre, mais encore et surtout sur ce qu’il ne dit pas, fait penser et sentir. […] Dans l’enfer de Dante, quand l’amant de Françoise montre le livre échappant à leurs mains et ajoute : Ce jour-là nous ne lûmes pas davantage, ces mots voilés, par tout ce qu’ils laissent entrevoir d’amour dans le lointain du passé, ont plus de poésie qu’une description éclatante et enflammée. […] La science montre les rapports abstraits de toutes choses ; la poésie nous montre les sympathies réelles de toutes choses.

344. (1886) Le roman russe pp. -351

Il n’y a peut-être qu’une règle, c’est d’éclairer par tous les moyens l’objet que l’on montre, de le faire comprendre et toucher sous toutes ses faces. […] Elle montre une répugnance égale pour tout ce qu’on lui sert. […] Voyez comme il se comporte dans les deux grandes épreuves où le romancier nous le montre, l’amour et la mort. […] Le roman finit par le récit d’une échauffourée avortée, qui montre l’inanité et l’enfantillage de la propagande révolutionnaire dans le peuple. […] Il ne montre pas la lanterne magique, il montre la vie ; les faits en eux-mêmes l’intéressent peu ; il ne les voit qu’à travers l’âme humaine et dans leur contrecoup sur l’individu moral.

345. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — France, Anatole (1844-1924) »

Les beaux vers, où se montre l’influence de M. 

346. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 56-59

Presque tous les Ouvrages qu’il a publiés roulent sur des matieres de commerce, de finance ou de politique, & nous n’en connoissons aucun où il ne se montre supérieur au sujet qu’il traite.

347. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre IV. Des Sujets de Tableaux. »

Le christianisme nous montre partout la vertu et l’infortune, et le polythéisme est un culte de crimes et de prospérité.

348. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Pierre » pp. 200-201

Quand on ne montre qu’un seul incident d’une scène immense, il faut qu’il soit sublime, et qu’il dise ex ungue leonem.

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