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365. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Mémoires de l’abbé Legendre, chanoine de Notre-Dame secrétaire de M. de Harlay, archevêque de Paris. (suite et fin). »

L’archevêque prêtait flanc du côté des mœurs. […] On peut, entre autres passages de cette singulière oraison funèbre, citer le suivant, pour montrer à quel point l’opinion était alors défavorable à M. de Harlay, et quelle clameur publique il y avait à surmonter et à combattre lorsqu’on en venait à toucher l’article de ses mœurs : « Quand du côté de la paix et de la vérité, disait l’orateur, il n’aurait rien eu à se reprocher, est-il pour cela entièrement justifié ? […] Feuillet lui répondit qu’il n’en savait rien, mais que depuis peu il avait dit sur ce sujet à Monsieur (et l’on sait de quelle nature étaient les mœurs de ce prince) qu’il n’avait point besoin de confesseur en menant la vie qu’il mène à la Cour, et qu’il lui conseillait d’épargner les 6,000 livres qu’il donne à son confesseur qui ne sert qu’à le tromper, et qu’il valait bien mieux pour lui de les donner aux pauvres, afin de fléchir pour leurs prières la miséricorde de Dieu sur sa personne : après quoi, si Jésus-Christ lui donnait quelque sentiment de pénitence pour se convertir, il choisirait lui-même un homme de bien pour régler ses mœurs et la conduite de sa vie. — Ce discours, que la plupart des gens prendraient pour quelque chose de bien grave et de bien sérieux, parut à M. de Paris si agréable et si divertissant qu’il fut plus d’un bon demi-quart d’heure à en rire de tout son cœur. » 54.

366. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Collé. »

Tous ceux qui se sont occupés du XVIIIe siècle ont eu affaire à lui non-seulement pour ses jolies productions, pour ses chansons et proverbes qui sont une date dans l’histoire des mœurs, mais encore pour son Journal, qui est une source de renseignements précis et sûrs. […] Ô vicissitude des temps et des mœurs ! […] Un de ces critiques qu’on méprise aujourd’hui et qu’on se flatte d’avoir enterrés, La Harpe, a dit à ce sujet excellemment : « Il est bien vrai que la gaîté qui tient à la licence est plus facile qu’aucune autre ; mais celle de Collé est si originale et si franche, qu’on pourrait croire qu’elle n’avait pas besoin de si mauvaises mœurs pour trouver où se placer. » Nous allons plus loin que La Harpe, et nous disons que ces mœurs mêmes, prises sur le fait et rendues avec cette touche facile et hardie, ajoutent, du point de vue où nous sommes, un prix tout particulier au tableau : elles y mettent la signature d’une époque.

367. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur Bazin. » pp. 464-485

3º Deux volumes d’études de mœurs, intitulés : L’Époque sans nom (1833). […] C’est un joli livre dans le genre de Duclos, et qui peint bien l’aspect des mœurs à sa date. […] Dans les esquisses de mœurs qui composent son Époque sans nom, il émousse son épigramme quand il arrive au Palais de justice. […] Bazin est tout différent ; en s’attaquant directement aux mœurs du siècle, l’auteur a trouvé sa matière.

368. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Le duc de Lauzun. » pp. 287-308

Puisqu’on en peut causer comme d’une chose morte, et que le poison a péri avec le parfum, parlons-en donc sans complicité, sans pruderie, et comme d’un des témoignages les plus curieux des mœurs d’une époque qui a commencé par être frivole et qui a fini par être sanglante. […] Dans la guerre de Corse, un trait assez piquant peint les mœurs françaises d’alors. […] Tout ce qui attaque les mœurs de la reine ôte quelque chose du respect dû à Madame (la duchesse d’Angoulême). […] L’Ancien Régime était plus coulant sur ces choses de mœurs, une fois divulguées, et, après un premier éclat de colère, il était convenu qu’on fermerait les yeux ; les éditeurs de Bussy-Rabutin et d’Hamilton auraient eu, sans cela, trop de comptes à rendre.

369. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — I. » pp. 471-493

Parlant de l’Histoire philosophique de l’abbé Raynal, il en relève, dans ses Annales (15 juin 1781), toutes les déclamations ridicules ou dangereuses : Quelles que soient leurs opinions, demandait-il, que les philosophes regardent les mœurs de notre siècle, et qu’ils nous disent si le moment est arrivé de diminuer les motifs d’être vertueux… Quels remords n’aurait pas M.  […] « J’ai entendu en 1788, dit quelque part Mallet, Marat lire et commenter le Contrat social, dans les promenades publiques, aux applaudissements d’un auditoire enthousiaste65. » Un Journal intime de Mallet, dont on nous donne des extraits et qui contient ses observations sur Paris, de 1785 à 1789, nous transporte au milieu des mœurs du temps et dans les scènes les plus vives de la guerre de la Cour contre les parlements. […] Est-il concevable que nos mœurs efféminées soient aussi cruelles ? […] Dépeignant cette corruption de mœurs, qui avait précédé la Révolution et qui l’avait préparée : « Pour la consommer, dit-il quelque part énergiquement, il suffisait de déchaîner les vices féroces contre les vices lâches, et de mettre aux prises les passions amollies avec les passions brutales de la multitude. » Ayant vu son domicile violé le 21 juin 1791, à l’époque de la fuite du roi, Mallet, forcé de se dérober, avait dû interrompre pour un temps son travail de rédaction au Mercure.

370. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — I. » pp. 41-62

Ce qui nous plaît et ce que nous cherchons dans ces lettres, c’est Montesquieu lui-même se partageant légèrement entre ses divers personnages, et jugeant sous un masque transparent les mœurs, les idées et toute la société de sa jeunesse. […] Les Lettres persanes, ayant épuisé le tableau et la satire des mœurs présentes, tournent au romanesque : Usbek reçoit la nouvelle que son sérail, profitant de son absence, a fait sa révolution ; on s’y révolte, on s’y égorge, on s’y tue. […] Il remarque que, de son temps, les ambassadeurs ou ministres étrangers ne connaissaient pas plus l’Angleterre qu’un enfant de six mois ; la liberté de la presse les abusait : « Comme on voit le diable dans les papiers périodiques, on croit que le peuple va se révolter demain ; mais il faut seulement se mettre dans l’esprit qu’en Angleterre comme ailleurs le peuple est mécontent des ministres, et que le peuple y écrit ce que l’on pense ailleurs. » Montesquieu apprécie cette liberté dont chacun veut là-bas et sait jouir : « Un couvreur se faisait apporter la gazette sur les toits pour la lire. » Il ne se fait point d’ailleurs d’illusion en beau sur l’état du pays et des institutions ; il juge au vrai la corruption des mœurs politiques, la vénalité des consciences et des votes, le côté positif et calculateur, cette peur d’être dupe, qui mène à la dureté. Il paraît n’être pas éloigné lui-même de croire à une révolution prochaine ; mais on sait comment les mœurs politiques, très abaissées au temps de Robert Walpole, se relevèrent patriotiquement et se retrempèrent avec Chatham.

371. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XX. Le Dante, poëte lyrique. »

L’élégance manquait il l’art, comme aux mœurs. […] Il aura, dans son langage habilement extrait de tous les dialectes vulgaires de l’Italie, l’énergie populaire et la sublimité, ou la douceur mystique ; il empruntera sans cesse à la riche nature dont il est entouré, au spectacle des champs, au souvenir de ses fuites à travers tous les lieux et parmi toutes les conditions humaines, à ses combats, à ses souffrances, bien des images de la vie réelle et des mœurs de son temps et il sera pourtant, à certaines heures de son inspiration, le plus idéal et le plus recueilli des poëtes religieux. […] Ce poëte, inexorable pour le vice, la cruauté, la bassesse, est un peintre sublime des plus douces vertus : il est, par moments, le moraliste mélodieux que charment l’innocence de la vie, la simplicité des champs, la pureté des mœurs antiques. […] Dans cette vie si calme, dans cette belle vie de citoyen, dans cette communauté si pure, dans ce doux hospice, me fit naître Marie invoquée à grands cris ; et, sur votre antique baptistère, je reçus à la fois les noms de chrétien et de Cacciaguida », À ces traits naïfs, trop altérés dans toute traduction, à ce langage d’une si maligne et si poétique candeur, on peut comparer les regrets et la verve moqueuse d’Horace, ses louanges des vieux Romains et de leurs chastes épouses, son âpre censure des mœurs dégénérées et de la danse ionienne.

372. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Rapport sur les primes à donner aux ouvrages dramatiques.] » pp. 518-522

Cette pièce, d’un comique aimable, se compose de tableaux vrais empruntés à la société de nos jours ; deux familles y sont en présence : l’une toute mondaine, dans laquelle la discorde et le désordre se sont glissés, ne sert qu’à faire ressortir les mœurs unies et simples d’une autre famille toute laborieuse et restée patriarcale : deux jeunes cœurs purs, épris d’une passion mutuelle, sont le lien de l’une à l’autre. […] La littérature dramatique a été prise au dépourvu ; on lui demande presque le contraire de ce qu’on était accoutumé à désirer d’elle depuis longtemps ; on lui demande des émotions vives, profondes et passionnées, mais pures s’il est possible, et, dans tous les cas, salutaires et fortifiantes ; on lui demande, au milieu de toutes les libertés d’inspiration auxquelles le talent a droit et qui lui sont reconnues, de songer à sa propre influence sur les mœurs publiques et sur les âmes, de se souvenir un peu, en un mot, et sans devenir pour cela trop sévère, de tout ce qui est à guérir parmi nous et à réparer.

373. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XIX » pp. 76-83

Voilà où le défaut de mœurs et de procédés se retrouve chez le poëte ! […] Si j’étais de l’Académie, je le proposerais l’année prochaine pour le prix de vertu ou de l’ouvrage le plus utile aux mœurs.

374. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXIX » pp. 117-125

Les pièces justificatives sont pleines d’horreurs touchant les mœurs et les principes prétendus de l’Université ; celle-ci en devient presque intéressante, à titre de calomniée26 ; elle est pourtant bien assez puissante pour se défendre toute seule : laissons-la faire. — C'en est bien assez aujourd’hui sur cette grosse querelle. […] Sur les mœurs pourtant (entre nous) ne pas trop crier à la calomnie ; moi, je ne crie qu’à la grossièreté.

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