Il ne manque au moderne que le cadre enfumé, la poussière, quelques gerçures et les autres signes de vétusté pour être estimés, recherchés et payés leur valeur, car nos prétendus connaisseurs fixent le prix sur l’ancienneté et la rareté.
Rathery a fort bien montré que, si à certaines époques de notre histoire les influences italiennes ont versé leur âme dans notre génie national, avant ces époques, assez modernes du reste, l’Italie, elle, était sous le coup de l’influence française et que la littérature des troubadours se réverbérait dans toutes ses inspirations.
Après la Révolution de 1830, l’École normale fut rétablie sur son plan primitif, avec deux professeurs d’histoire, l’un pour l’antiquité, l’autre pour le moyen âge et les temps modernes. […] Au lieu d’une sympathie équitable pour toutes les grandeurs du passé, Michelet attaque avec violence tout ce qui n’est pas conforme à son idéal moderne de justice et de bonté, le moyen âge, le catholicisme, la monarchie. […] En même temps l’esprit clérical renaissant s’efforçait de ramener la société, moderne non plus seulement à l’admiration, mais à l’imitation du moyen âge. Michelet dut prendre parti dans la lutte, et, pour la défense des idées modernes, rompre avec ses habitudes de respect envers l’Église, quelque profondément enracinées qu’elles fussent dans son cœur. […] N’a-t-il pas éprouvé un vague regret, regret d’historien et d’ami de la vieille France, en pensant qu’Henri V eût pu peut-être renouer ces traditions, s’il avait été capable de comprendre les aspirations légitimes et les besoins du monde moderne ?
Ce défaut devient d’autant plus grave, à mesure qu’on se rapproche de l’époque moderne où les affaires semblent relever davantage de l’opinion. […] Les admirateurs de Dumas lui font gloire d’avoir ce soir-là fondé le drame moderne. […] Un des thèmes les plus habituels du lyrisme moderne est la rêverie amoureuse. […] Et de là viennent tant de surprises de la politique moderne. […] Mais justement par ce qu’elles avaient de suranné elles devenaient une manière de défi jeté à l’esprit moderne.
ittré ne rentre pas dans l’ordre d’idées plus expressément littéraires que nous recherchons), on peut se demander quelle œuvre s’est produite en France qui mette l’antiquité grecque de pair avec le mouvement moderne et qui la fasse circuler. […] Notez bien qu’à chaque rédaction nouvelle d’Anthologie, comme on faisait entrer pour une bonne part les poëtes modernes qui avaient paru dans l’intervalle, on sacrifiait quelque chose des anciens ; de sorte que chaque fois il tombait plus ou moins de la fleur du panier. […] Cette pièce, dont je disais qu’elle était comme l’enseigne du jardin des Hespérides, contient les noms de quarante-six poëtes, sans compter ceux tout modernes et d’hier qui avaient fourni leur brin au bouquet, parmi lesquels, lui Méléagre, il avait semé çà et là, ajoutait-il, les premières violettes matinales de sa propre muse. […] » Et quelle fraîcheur matinale et pure dans le couplet suivant, que tant de poëtes latins modernes ont travaillé à imiter sans l’atteindre : « Déjà la blanche violette fleurit, et fleurit le narcisse ami des pluies, et les lis fleurissent sur les montagnes ; mais la plus aimable de toutes, la fleur la plus éclose entre les fleurs, Zénophila, est comme la rose qui exhale le charme.
Il semble qu’il suffise de les nommer ; l’Europe moderne n’a pas d’écrivains plus grands ; et pourtant il faut regarder de près leur talent, si l’on veut bien comprendre leur puissance Pour le ton et les façons, Montesquieu est le premier. […] En ceci, nul écrivain ancien ou moderne n’approche de lui ; pour simplifier et vulgariser, il n’a pas son égal au monde. Sans sortir du ton de la conversation ordinaire et comme en se jouant, il met en petites phrases portatives les plus grandes découvertes et les plus grandes hypothèses de l’esprit humain, les théories de Descartes, Malebranche, Leibnitz, Locke et Newton, les diverses religions de l’antiquité et des temps modernes, tous les systèmes connus de physique, de physiologie, de géologie, de morale, de droit naturel, d’économie politique468, bref, en tout ordre de connaissances, toutes les conceptions d’ensemble que l’espèce humaine au dix-huitième siècle avait atteintes. — Sa pente est si forte de ce côté, qu’elle l’entraîne trop loin ; il rapetisse les grandes choses à force de les rendre accessibles. […] Lettres 98 (sur les sciences modernes), 46 (sur le véritable culte), 11 à 14 (sur la nature de la justice).
Dans ces pièces il y a trois choses : « 1° le sujet ancien imité, qui était formé déjà d’éléments divers ; 2° les mœurs et les sentiments modernes combinés avec ce sujet ancien ; 3° sous les formes et les modes propres à telle époque déterminée, la peinture de l’homme et de la femme tels que les ont faits la nature et la civilisation39. » Comment Racine a été conduit à opérer ces savants mélanges, voici une page qui nous l’apprend : Telles étaient les conditions de l’œuvre dramatique à cette époque : pour le fond, l’influence de la Renaissance gréco-latine avait décidément triomphé ; on était voué aux sujets anciens ; quant à la forme, celle de la tragi-comédie, depuis l’aventure du Cid, ayant été écartée comme peu compatible avec les fameuses règles des trois unités ( ?) […] Le poète ne pouvait donc produire que des œuvres mixtes, d’ordre composite, à peu près comme sont en architecture les édifices de la Renaissance, mi-partis du génie ancien et du génie moderne, au reste n’en ayant peut-être que plus de charme pour les esprits cultivés et subtils, épris, tout à tour ou en même temps, de toutes les modulations de la beauté40. […] « la forme la plus actuelle de l’art, par conséquent l’appropriation des sujets anciens aux publics modernes, l’adaptation des faits d’autrefois aux croyances et aux sentiments présents »52. […] Il y a, suivant lui, une première façon, la vraie, de concevoir le romantisme (c’est de le considérer comme l’amalgame du présent et du passé), et une seconde définition qui le fait consister dans « le mélange du tragique et du comique, le retour aux sujets modernes, le joug des trois unités secoué, le vers assoupli, le lyrisme ou la familiarité du style ».
Le théâtre contemporain ressemble assez à notre roman moderne, comme d’ailleurs à toute notre littérature. […] Dégager de ce fatras les ouvrages nombreux, plus nombreux que jamais, qui sont la gloire de la littérature moderne française, est une besogne ardue. […] Encore Diderot qui, plus que nos modernes, possédait le sens et la mesure des choses, disait-il que « le grand comédien est un pantin merveilleux dont le poète tient la ficelle » ; tandis que, s’il vivait de nos jours, il lui faudrait penser que c’est, maintenant, dans beaucoup de cas, tout le contraire qui arrive, le comédien tenant le plus souvent la ficelle du poète. […] Le meilleur spectacle est de contempler une soirée bien moderne.
Cependant elle a servi de texte à un biographe moderne de Molière, pour imputer positivement à toutes les précieuses, comme une des habitudes qui leur étaient communes, les plus ridicules exercices. […] Plusieurs de nos biographes modernes ont contesté qu’elle eût jamais été jouée en province, et faite contre des femmes de province : ils affirment qu’elle a été faite à Paris, contre l’hôtel de Rambouillet qui n’existait plus, contre la marquise de Rambouillet qui, selon eux, venait de changer son nom en celui d’Arthénice qu’elle portait depuis plus de 50 ans, et Molière la désigne, disent-ils, par sa Madelon qui veut absolument être appelée Polixène. […] Il nous en reste un monument irrécusable dans Les Dialogues concernant le nouveau langage français italianisé et autrement déguisé, principalement entre les principaux courtisans de ce temps : de plusieurs nouveautés (dans les usages) qui ont accompagné cette nouveauté de langage : de quelques courtisanismes modernes et de quelques singularités courtisanesques. […] Certes, il ne viendra dans l’esprit de personne que cela regarde la maison de Rambouillet Molière, dans la préface de la pièce, exprime positivement une intention opposée aux applications de nos biographes modernes : « Les vicieuses imitations de ce qu’il y a de plus parfait, ont été de tout temps, dit-il, la matière de la comédie ; les plus excellentes choses sont sujettes à être copiées par de mauvais singes.
Si cette condition est une fois réellement remplie, le système philosophique des modernes sera enfin fondé dans son ensemble ; car aucun phénomène observable ne saurait évidemment manquer de rentrer dans quelqu’une des cinq grandes catégories dès lors établies des phénomènes astronomiques, physiques, chimiques, physiologiques et sociaux. […] C’est à cette répartition des diverses sortes de recherches entre différents ordres de savants, que nous devons évidemment le développement si remarquable qu’a pris enfin de nos jours chaque classe distincte des connaissances humaines, et qui rend manifeste l’impossibilité, chez les modernes, de cette universalité de recherches spéciales, si facile et si commune dans les temps antiques. […] En un mot, l’organisation moderne du monde savant sera dès lors complètement fondée, et n’aura qu’à se développer indéfiniment, en conservant toujours le même caractère. […] En effet, déjà les bons esprits reconnaissent unanimement la nécessité de remplacer notre éducation européenne, encore essentiellement théologique, métaphysique et littéraire, par une éducation positive, conforme à l’esprit de notre époque, et adaptée aux besoins de la civilisation moderne.